Beaucoup d’excellentes nominations ont été faites aux cours supérieures provinciales et territoriales, aux cours d’appel et aux cours fédérales au cours des dernières décennies. Le travail des tribunaux du Canada est en général largement respecté, au pays comme à l’étranger. Il n’est pas dans l’intention du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes de dénigrer la haute considération dont les tribunaux canadiens font l’objet.
Mais, récemment, on a modifié la composition des comités consultatifs de la magistrature qui aident à choisir les juges et le mode de sélection des juges. De l’avis de la majorité des membres du Comité, ces changements soulèvent certains problèmes. Il y a, entre autres, une préférence indue pour les membres des forces de l’ordre, alors que la grande majorité des causes entendues par les cours supérieures n’ont rien à voir avec la police. Il y a aussi que l’un des intervenants de la procédure criminelle, dont les actes font souvent l’objet d’un examen par les juges choisis, ne devrait pas intervenir, ou sembler intervenir, dans le choix de l’arbitre. Troisième difficulté, la catégorie des juges « fortement recommandé » a été éliminée, de sorte que le ministre de la Justice a plus de latitude pour choisir des juges qui peuvent être considérés comme des choix partisans. Les changements récents ont incité le Comité à se pencher sur la procédure de nomination à la magistrature fédérale.
Il s’agissait pour le Comité de proposer des changements à la procédure tout en respectant l’indépendance des juges, si essentielle à l’estime à laquelle les tribunaux sont tenus. Le Comité devait également s’en tenir aux limites imposées par l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui investit le gouverneur général du pouvoir de nommer les juges des tribunaux supérieurs. Nous partons ici du principe que la nomination des juges des tribunaux supérieurs restera confiée au gouverneur général, mais que la décision de nommer peut être prise dans un contexte différent de celui d’aujourd’hui. Tous les membres du Comité s’accordent à dire que le principe primordial de toute décision à cet égard doit être le mérite. Ils estiment par ailleurs unanimement que l’un des principaux objectifs de tous changements à la procédure de nomination des juges doit être d’assujettir celle-ci aux principes de transparence et de responsabilité.
Les témoins (annexe A) qui se sont adressés à nous et les mémoires que nous avons reçus (annexe B) nous ont permis d’envisager plusieurs solutions, sur lesquelles nous nous sommes penchés très sérieusement et que nous analysons dans ce rapport.
L’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 dispose que c’est le gouverneur général qui nomme les juges des cours supérieures, de district et de comté des provinces. L’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 dispose par ailleurs que le Parlement du Canada peut prévoir la création d’autres tribunaux pour mieux appliquer les lois du Canada. C’est en vertu du pouvoir conféré par l’article 101 que la Cour fédérale a été créée en 1971 pour faire suite à la Cour de l’Échiquier du Canada, créée en 1875. Compte tenu des modifications apportées à la Loi sur les cours fédérales [1], entrées en vigueur en 2003, il existe désormais deux tribunaux distincts : la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Par ailleurs, la Cour canadienne de l’impôt a été créée en 1983 en vertu de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt [2], pour remplacer un tribunal administratif connu sous le nom de Commission d’appel de l’impôt. À la suite des modifications apportées à la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt en 2003, la Cour a désormais statut de cour supérieure.
En vertu du paragraphe 99(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, de l’article 8 de la Loi sur les cours fédérales et de l’article 7 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, les juges nommés par le Parlement « resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes ». Aucun juge fédéral n’a jamais été révoqué ainsi. Tous les juges fédéraux doivent désormais prendre leur retraite lorsqu’ils atteignent l’âge de 75 ans. Les traitements, allocations et pensions des juges sont prévus dans la Loi sur les juges [3].
Les nominations à la magistrature fédérale sont effectuées par le gouverneur général sur le conseil du Cabinet fédéral. Une recommandation est adressée au Cabinet par le ministre de la Justice pour la nomination des juges puînéset par le premier ministre pour la nomination des juges en chef et des juges en chef adjoints. Le juge recommandé au Cabinet est choisi parmi les noms proposés par les comités consultatifs de la magistrature (voir plus loin) au ministre de la Justice par le commissaire à la magistrature fédérale ou son représentant, le directeur exécutif des nominations à la magistrature. La procédure de nomination à la magistrature fédérale ne concerne pas la nomination des juges de la Cour suprême du Canada, des juges de cours supérieures posant leur candidature à la Cour d’appel ou des juges en chef, qui sont du ressort du premier ministre. Elle concerne cependant les avocats et les juges de cours provinciales aspirant directement à un poste de juge à une cour d’appel.
La compétence professionnelle et le mérite général sont les principales conditions de nomination des juges. La procédure actuelle de nomination à la magistrature fédérale a été mise en œuvre en 1989, lorsque les comités consultatifs créés dans le cadre de cette procédure sont devenus opérationnels. Ces comités sont chargés d’évaluer les qualifications des avocats qui posent leur candidature. Chaque province et territoire est doté d’au moins un comité, alors que, en raison de leur population plus importante, l’Ontario en a trois et le Québec, deux. Les candidats sont évalués par le comité régional créé pour le district judiciaire où ils pratiquent ou exercent ou par le comité jugé le plus approprié par le commissaire à la magistrature fédérale.
Avant les modifications apportées récemment, chaque comité consultatif était composé de sept membres représentant la magistrature, le barreau et le public :
Outre les membres énumérés ci‑dessus, chaque comité comptait un membre d’office sans droit de vote : le commissaire à la magistrature fédérale ou le directeur exécutif des nominations à la magistrature. Le ministre de la Justice, aidé du commissaire à la magistrature fédérale, choisit les personnes qui feront partie de chaque comité en fonction de facteurs adaptés à la juridiction : géographie, sexe, langue, multiculturalisme. Les membres sont nommés par le ministre de la Justice pour un mandat de deux ou trois ans, avec possibilité d’un seul renouvellement. Ils sont guidés par un code de déontologie [4] qui leur interdit de soulever des questions sur les opinions ou l’affiliation politiques des candidats. Le Ministre rencontre périodiquement les présidents de tous les comités pour s’entretenir du fonctionnement de la procédure. Il existe des lignes directrices publiées à l’intention des membres des comités consultatifs [5]. Les avocats membres des comités ne peuvent pas être eux‑mêmes candidats à la magistrature durant l’année suivant la fin de leur mandat.
Les avocats qualifiés et les personnes assumant une fonction judiciaire dans la province ou le territoire qui désirent poser leur candidature à un poste de juge d’une cour supérieure provinciale, territoriale ou fédérale (Cour fédérale, Cour d’appel fédérale ou Cour canadienne de l’impôt) doivent s’adresser au commissaire à la magistrature fédérale. Le Commissariat fournit un guide aux candidats pour les aider [6]. Outre les candidats proprement dits, les membres de la collectivité juridique et toutes les autres personnes et organisations intéressées sont invités à proposer les personnes qu’ils jugent qualifiées pour une fonction judiciaire. Le commissaire contacte les personnes proposées pour s’assurer qu’elles désirent être mises en candidature.
Les candidats sont invités à remplir une Fiche de candidature [7], qui permet d’obtenir, outre les renseignements habituels fournis dans un curriculum vitae, des renseignements sur les antécédents professionnels du candidat en dehors du domaine juridique, sur ses autres responsabilités professionnelles, sur ses activités communautaires et civiques, ainsi qu’une description de ses qualifications et des renseignements personnels sur sa santé, sa situation financière et sa capacité à entendre et à diriger un procès dans les deux langues officielles.
Les qualifications obligatoires sont énoncées dans la Loi sur les juges, la Loi sur les cours fédérales et la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt. En général, il faut avoir passé dix ans au barreau d’une province ou d’un territoire ou accumulé en tout dix ans au barreau et dans l’exercice de pouvoirs et responsabilités à caractère judiciaire, dans le cadre d’un poste à temps plein détenu en vertu d’une loi fédérale, provinciale ou territoriale. Les juges nommés à une cour supérieure provinciale ne peuvent être que des membres du barreau de la province en question, comme le prévoit la Loi constitutionnelle de 1867. Les juges nommés aux cours supérieures des trois territoires sont choisis parmi tous les candidats remplissant les conditions de nomination dans leur propre province ou territoire.
Lorsqu’on a déterminé que le candidat remplit les conditions constitutionnelles et obligatoires minimales, le commissaire à la magistrature fédérale ou le directeur exécutif des nominations à la magistrature envoie le dossier du candidat au comité compétent pour évaluation (avocats) ou commentaire seulement (juges de cours provinciales ou territoriales). Seuls les candidats avocats sont évalués par les comités. Des consultations importantes auprès des collectivités juridiques et non juridiques sont entamées par le comité à l’égard de chaque candidat.
La compétence professionnelle et le mérite général sont les principales qualifications à remplir. Les membres des comités sont invités à employer des critères d’évaluation [8] pour déterminer la capacité des candidats. Ces critères sont notamment les suivants :
Les comités sont encouragés à respecter la diversité et à tenir dûment compte de toute l’expérience juridique du candidat, y compris en dehors de l’exercice classique.
Certains obstacles s’opposent à la nomination de candidats :
Les comités étaient jusqu’ici invités à évaluer les candidats en fonction de trois cotes : « recommandé », « fortement recommandé » ou « sans recommandation ». Ces cotes traduisent le caractère consultatif de la procédure des comités. Une fois l’évaluation terminée, les candidats sont informés de la date à laquelle ils ont été évalués, mais non pas des résultats d’évaluation. Ces résultats restent strictement confidentiels et ne sont communiqués qu’au Ministre. Celui‑ci peut demander d’autres renseignements au comité sur un candidat. Dans le cas où l’avis du comité est contraire aux renseignements obtenus auprès d’autres sources par le Ministre, celui‑ci peut demander au comité de réévaluer le candidat.
Les évaluations sont valables deux ans : au cours de cette période, les candidats « recommandés » ou « fortement recommandés » (désormais, ce sont seulement les candidats « recommandés ») restent sur la liste des candidats disponibles pour le ministre de la Justice. Une nouvelle Fiche de candidature doit être présentée avant la date d’expiration si le candidat est toujours intéressé, auquel cas le comité procédera à une nouvelle évaluation.
Les juges provinciaux ou territoriaux qui désirent être candidats doivent également informer le commissaire par écrit qu’ils souhaitent être nommés à la magistrature fédérale et ils doivent également remplir une Fiche de candidature pour les juges. Ces candidats ne sont pas évalués par les comités consultatifs : leur dossier est adressé au comité compétent pour commentaires, lesquels sont communiqués au ministre de la Justice avec les résultats des consultations confidentielles entreprises par le comité. Ces commentaires sont strictement confidentiels et ne sont communiqués qu’au ministre de la Justice. Ils ne lient pas le Ministre, et les noms de ces candidats sont automatiquement inscrits dans la liste des candidats disponibles. Ils doivent cependant renouveler l’expression de leur intérêt tous les cinq ans, faute de quoi leur nom sera éliminé de la liste.
Le commissaire à la magistrature fédérale assume la responsabilité globale de l’administration de la procédure de nomination pour le compte du ministre de la Justice. Il l’exerce directement ou par l’intermédiaire du directeur exécutif des nominations à la magistrature. Le commissaire ou le directeur exécutif doivent participer à toutes les réunions des comités à titre de membres d’office : ils sont le lien entre le ministre de la Justice et les comités. En garantie de son authenticité, l’évaluation de chaque candidat est certifiée par le commissaire ou le directeur exécutif avant d’être présentée au ministre de la Justice.
Les modifications suivantes ont été apportées récemment à la procédure de nomination des juges.
Composition des comités consultatifs de la magistrature
Le premier changement concerne la composition des comités consultatifs de la magistrature. Ils comptent désormais les huit membres suivants :
Chaque comité compte également un membre d’office sans droit de vote – le commissaire à la magistrature fédérale ou le directeur exécutif des nominations à la magistrature. Ainsi, les comités comptent un membre de plus qu’avant, choisi parmi les membres des forces de police et nommé par le ministre de la Justice.
Cotes d’évaluation
Un second changement concerne la manière dont sont évalués les candidats. Auparavant, les comités consultatifs évaluaient les candidats en fonction de trois cotes, à savoir « recommandé », « fortement recommandé » et « sans recommandation ». Maintenant, les comités évaluent les avocats candidats en fonction de deux cotes seulement : « recommandé » ou « sans recommandation ».
Rôle des présidents des comités consultatifs de la magistrature
Un troisième changement concerne la nomination et le rôle des présidents des comités consultatifs de la magistrature. Ceux-ci étaient auparavant choisis parmi les membres et élus par eux, généralement pour la durée du mandat du comité. Les présidents participaient aux votes. Maintenant, c’est le juge membre du Comité qui préside celui-ci pour toute la durée du mandat du comité et il ne vote qu’en cas d’égalité des voix.
Échelonnement des mandats
Le mandat de la moitié des comités consultatifs de la magistrature prendra fin en 2008, et celui des autres en 2009. On évite ainsi qu’ils expirent tous en même temps, ce qui assure une certaine continuité dans la procédure de nomination des juges.
Le Comité de la Cour canadienne de l’impôt
Un nouveau comité consultatif de cinq membres est institué dans le contexte d’un projet pilote pour la sélection des candidats à nomination à la Cour canadienne de l’impôt. Le comité sera composé d’un juge membre de la Cour canadienne de l’impôt et de quatre personnes nommées par le ministre de la Justice, choisies en consultation avec le juge en chef de la Cour de l’impôt.
Quand il a comparu devant le Comité le 5 février 2007, le ministre de la Justice a dit que des changements avaient été apportés aux comités de nomination des juges en 1991, en 1994 et en 1999. Par exemple, en 1991, les deux cotes « qualifié » et « non qualifié » ont été remplacées par les trois cotes « fortement recommandé », recommandé » ou « sans recommandation »; tandis qu’en 1994, on a ajouté aux comités deux membres supplémentaires désignés par le ministre de la Justice afin d’augmenter la représentation des non-juristes. Parlant de l’addition d’un membre provenant des forces policières, le Ministre a dit que la police n’était pas moins active dans l’administration de la justice que les juges et les avocats. Il a affirmé que ce changement permettait d’élargir la base d’examen des candidats potentiels et qu’il contribuerait à l’ajout d’une perspective nouvelle sur les candidats à la magistrature.
Le ministre de la Justice a aussi parlé de la modification du rôle des juges membres des comités consultatifs. Le fait que le juge présidera désormais le comité signifie qu’il contrôlera le débat et dirigera l’évaluation des candidats. Comme il est rare qu’il faille voter, l’évaluation des candidats se réglant le plus souvent par consensus, la perte du vote du juge membre du comité, sauf en cas d’égalité des voix, est relativement sans conséquence. Le Ministre a dit que le juge membre du Comité aura autant de poids au sein des « nouveaux » comités consultatifs de la magistrature qu’il en avait dans les « anciens ».
Enfin, le ministre de la Justice a déclaré qu’il n’existait pas de critère objectif permettant aux comités de dire d’un candidat qu’il était « fortement recommandé ». Il a aussi dit que l’expérience avait montré que la cote « fortement recommandé » perdait de sa valeur puisque le pourcentage des candidats la recevant variait considérablement d’un bout à l’autre du pays. On avait noté aussi que cette cote était attribuée plus souvent aux avocats de grands cabinets d’avocats qu’à ceux provenant de cabinets de moindre envergure ou de petites villes. En outre, la feuille de commentaires qu’utilisent les comités consultatifs est plus explicite en ce qui concerne les forces et les faiblesses des candidats qu’une simple étiquette portant « recommandé » ou « fortement recommandé ».
En réponse aux modifications apportées à la procédure de nomination des juges fédéraux, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a adopté la motion suivante le 27 février 2007 :
Attendu que le gouvernement conservateur a choisi de réviser le processus de sélection des juges sans aucune consultation;
Attendu que ce processus de révision modifié comporte des signes flagrants de partisannerie et d’influence idéologique,
Il est proposé :
Conformément à la motion, le Comité a entendu des témoins au sujet des modifications apportées à la procédure de nomination des juges fédéraux les 20 et 28 mars et le 18 avril 2007.
Partie I
Les quatre recommandations suivantes ont été adoptées par une majorité de membres du Comité :
Composition des comités consultatifs de la magistrature
Les témoins qui ont comparu devant le Comité n’ont pas mis en doute l’intégrité des agents de police qui peuvent être appelés à siéger à un comité de nomination à la magistrature; ils ne pensent pas non plus que ceux-ci n’ont rien à apporter à la discussion sur les mérites comparatifs des candidats à la magistrature. Le problème que pose la présence de policiers au sein des comités de nomination est plutôt un problème de perception.
On a fait valoir au Comité que la procédure de nomination doit être telle qu’elle nourrit la confiance de la population dans l’impartialité des juges. Or, la population ne percevra pas les juges comme étant impartiaux si la procédure de nomination des juges privilégie les préférences d’un groupe donné. Ainsi, la présence d’un représentant de la police à un comité de nomination qui ne serait pas contrebalancée par la présence d’une personne représentant les avocats de la défense, par exemple, risque de donner l’impression que les juges sont choisis parmi des candidats qui soutiennent les intérêts de la police. Cette impression est d’autant plus vive que le premier ministre a fait la déclaration suivante à la Chambre des communes le 14 février 2007 : « Nous voulons nous doter de lois afin de lutter contre la criminalité et d'accroître la sécurité publique. Nous voulons nous assurer que la sélection des juges permet d'atteindre ces objectifs. »
L’autre problème de perception, c’est le fait que les quatre personnes nommées par le ministre de la Justice représentent la majorité des membres ayant droit de vote, ce qui peut donner l’impression d’une plus grande partialité au sein du processus de nomination des juges. Si les juges ont l’impression que leurs chances de promotion seront meilleures si, en matière de droit pénal, ils se montrent inflexibles parce qu’ils croient que c’est ce que souhaitent la majorité des membres des comités de nomination, on risque d’arriver à un point où l’indépendance des magistrats est menacée.
Au-delà des questions idéologiques, le fait de mettre l’accent sur l’attitude des juges en matière pénale est déplacé dans le contexte de la nomination des juges de cour supérieure. Les cours supérieures s’occupent majoritairement d’affaires civiles exigeant une très grande compétence dans des domaines comme le droit de la responsabilité délictuelle, le droit des contrats, le droit de la propriété intellectuelle, le droit fiscal et le droit administratif. Des chiffres fournis au Comité montrent que moins de 5 p. 100 des affaires criminelles se retrouvent en cour supérieure. On voit mal ce que la police peut apporter aux comités consultatifs à la magistrature en matière non pénale.
Tous les témoins qui ont comparu devant le Comité ont le plus grand respect pour le difficile travail des policiers, mais la majorité d’entre eux ne souscrivent pas à l’ajout de la police parmi les institutions qui contribuent au travail des comités consultatifs à la magistrature. Certains ont même signalé que la police est souvent l’une des parties dont la conduite est évaluée lors des procès au pénal. Ce n’est pas seulement la conduite de l’accusé qui est jugée, mais aussi celle de la police qui, même avec les meilleures intentions du monde, peut porter atteinte par inadvertance aux droits d’un prévenu aux termes de la Charte dans sa recherche de la vérité. Il est contraire à la règle de droit que les parties à un procès pénal choisissent l’arbitre de ce procès et il importe de décourager cette pratique. Les juges indépendants et impartiaux font office d’arbitre entre un accusé potentiellement innocent et un agent ou un service de police qui, convaincus de la culpabilité de l’accusé, peuvent aller trop loin. Les juges doivent protéger les accusés contre de tels excès et non les encourager. Enfin, on a fait remarquer que, avant les récentes modifications, le ministre de la Justice était habilité à nommer un agent de police à un comité consultatif à la magistrature en tant que représentant de la collectivité.
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada rétablisse la composition des comités consultatifs de la magistrature telle qu’elle était avant les modifications de novembre 2006.
Cotes d’évaluation
La discussion sur les cotes d’évaluation des candidats a abouti à une discussion du rôle des comités. Si le rôle de ceux-ci consiste simplement à rejeter les candidats non qualifiés ou à exclure certains candidats pour d’autres raisons, l’élimination de la cote « fortement recommandé » ne devrait pas poser de problème. Cependant, si le rôle des comités consiste à trouver les meilleurs candidats à un poste de juge donné, on a alors besoin d’une désignation qui dénote des qualités supérieures. Certains témoins recommandent au gouvernement fédéral de suivre l’exemple des gouvernements provinciaux et de demander aux comités consultatifs de dresser une liste restreinte des candidats les mieux qualifiés pour occuper un poste de juge donné. Le ministre de la Justice serait alors tenu de choisir un candidat dans cette liste, sauf dans le cas de circonstances exceptionnelles. Cette façon de procéder non seulement améliorerait la qualité des juges, mais elle permettrait d’atténuer l’influence des considérations politiques dans le choix des juges.
RECOMMANDATION 2
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada rétablisse les trois cotes d’évaluation établies par les comités consultatifs de la magistrature : « fortement recommandé », « recommandé » et « sans recommandation ».
Rôle des présidents des comités consultatifs de la magistrature
Si on admet que les comités consultatifs cherchent à dégager un consensus dans leur évaluation des candidats à la magistrature, différents témoins sont d’avis que le droit de vote des membres juristes des comités est essentiel et devrait être rétabli. Le membre juriste est le mieux informé des besoins des tribunaux de sa juridiction, des compétences et connaissances nécessaires pour satisfaire à ces besoins ainsi que des aptitudes professionnelles des candidats. Le vote du membre juriste sur les capacités d’un candidat devrait être encouragé et non éliminé.
Selon certains témoins, la suppression du droit de vote du représentant du corps judiciaire irait à l’encontre de l’objectif des comités, soit de recommander les meilleurs candidats à une charge judiciaire sur la base des capacités professionnelles et du mérite général. En soutirant le droit de vote au membre juriste des comités, et en ajoutant un quatrième membre choisi par le gouvernement du Canada, on fait naître la crainte d’une politisation accrue du processus des nominations judiciaires.
RECOMMANDATION 3
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada rétablisse le droit de vote des membres de la magistrature qui siègent aux comités consultatifs de la magistrature fédérale.
Échelonnement des mandats
Dans leurs mémoires, les témoins n’avaient pas d’objection à la décision d’échelonner les mandats des comités consultatifs judiciaires. Toutefois, l’une des propositions était qu’on envisage d’échelonner les nominations au sein des comités eux-mêmes. Cela pourvoirait en permanence à une plus grande continuité des délibérations au sein des comités.
RECOMMANDATION 4
Le Comité recommande que les mandats des membres de chaque comité consultatif de la magistrature soient échelonnés de façon qu’ils n’arrivent pas tous à expiration en même temps.
Partie II
Un nombre de témoins bien renseignés ont proposé certaines suggestions qui n’ont pas été étudiées en profondeur par le Comité. Ces suggestions sont énumérées ci-dessous et sont chacune suivies des explications fournies par les témoins. La majorité du Comité exhorte le gouvernement du Canada à entreprendre une consultation auprès des acteurs intéressés sur les questions suivantes :
- la création d’un comité consultatif ayant pour mandat d’évaluer les candidatures à la Cour canadienne de l’impôt.
Les témoins qui ont traité de la modification au processus de sélection des juges de la Cour canadienne de l’impôt étaient généralement favorables à la création d’un comité consultatif spécial chargé de recommander la nomination de juges à cette cour. Une suggestion a été faite voulant que les personnes nommées par le gouvernement ne forment pas la majorité au comité consultatif, afin d’éliminer toute perception d’un manque d’indépendance.
- qu’une attention particulière soit portée à l’introduction d’un changement dans le rôle des comités consultatifs actuels afin qu’ils passent de comités de filtrage à des comités de candidatures.
Les modifications apportées récemment au processus des nominations judiciaires fédérales ne sont pas les seules responsables des problèmes de fond du processus. L’un de ces problèmes est que les comités consultatifs fonctionnent uniquement comme des entités de filtrage dont le rôle est d’écarter les mauvais candidats. Mais il ne suffit pas qu’ils s’acquittent uniquement de la tâche négative consistant à écarter les candidats qui n’ont pas les compétences voulues. Il est essentiel qu’ils exercent également la tâche positive consistant à aider le ministre de la Justice et le gouvernement fédéral à choisir les meilleurs candidats possibles. C'est là le rôle d’un comité des candidatures. Un véritable comité des candidatures contribuerait à effacer la perception que le favoritisme et le patronage politique jouent un rôle important dans la nomination des juges.
- qu’une attention particulière soit portée à l’élaboration éventuelle par les comités de candidature d’une liste restreinte contenant de trois à cinq noms pour chaque nomination judiciaire, au fur et à mesure où les charges deviennent disponibles. S’il nomme une personne qui n'a pas été proposée par un comité, le gouvernement fédéral devrait expliquer publiquement pourquoi il l’a fait.
Le fonctionnement du système des nominations judiciaires en tant que véritable système de nominations au mérite dépendra de la longueur de la liste des candidats recommandés. Si elle est trop longue, le système sera vulnérable à des interprétations néfastes quant à l’influence de la politique sur le choix. On aura plus de chances d’instaurer un régime du mérite si le gouvernement en place choisit sur des listes restreintes les meilleurs candidats proposés par les comités des candidatures. Il s’agit de la meilleure façon d’empêcher que des candidats vraiment excellents soient laissés de côté pour faire place à des candidats moins qualifiés qui ont des liens politiques avec le gouvernement en place.
Le gouvernement en place peut néanmoins décider de nommer une personne dont la candidature n’a pas été proposée par un comité. Différentes raisons peuvent l’expliquer, par exemple une exigence linguistique à laquelle aucun de ceux inscrits sur la liste restreinte ne satisfait. Afin d’assurer la responsabilisation du processus de nomination, le gouvernement devrait expliquer pourquoi il n’a pas adhéré à la liste restreinte. Il devrait également publier un rapport annuel sur toutes les recommandations qu’il n’a pas acceptées.
- qu’une attention particulière soit portée à la création par le Canada d’un institut chargé de l’étude des questions judiciaires, afin d’examiner les dossiers importants pour une administration efficace, équitable et efficiente de la justice.
De nombreuses autres questions de nature judiciaire se profilent dans l’ombre du débat sur le système de nomination des juges. Mentionnons par exemple le caractère souhaitable d’un système de stages probatoires ou de nominations à temps partiel pour les futurs juges, comme cela se fait au Royaume-Uni, le suivi du rendement des juges après leur nomination, le bien-fondé de la spécialisation des juges et l’accès au système judiciaire pour la majorité des citoyens qui ne pourraient se le permettre autrement.
- qu’une attention particulière soit portée à ce que, à l’avenir, les candidats à des nominations judiciaires soient informés des résultats de l’évaluation de leur candidature
- que les comités consultatifs de la magistrature publient un rapport annuel sur leurs activités
- que ce rapport ne dévoile pas les renseignements personnels de ceux qui ont présenté une demande.
Comité a appris que les gens qui présentent leur candidature ne sont pas informés des résultats du processus. Ils n’ont donc aucun recours si le comité consultatif qui examine leur demande considère qu’ils n’ont pas les compétences voulues. En outre, le fait qu’un candidat ne soit pas renseigné sur son classement par rapport aux autres candidats l’empêche de faire des plans d’avenir concrets. Cette confidentialité, conjuguée à l’absence de rapport annuel sur le travail des comités consultatifs de la magistrature, signifie qu’il n’y a pas davantage de transparence et de responsabilisation dans le fonctionnement des comités consultatifs que dans le processus réel des nominations par le gouvernement fédéral.