La Chambre reprend l'étude de la motion.
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Madame la Présidente, cela va être difficile de prendre la parole après ma collègue de Saint‑Jean, car je l'ai trouvée vraiment très bonne.
Si, de Saint‑Augustin à l'ère moderne, la question du rapport entre le pouvoir politique et le pouvoir spirituel était à l'avant-plan, il faut dire qu'à l'époque actuelle on a d'autres défis de nature complètement différente. L'État doit traiter avec un respect égal toutes les convictions et les engagements fondamentaux des citoyens qui sont compatibles avec les exigences de la vie en société. Cela s'appelle l'inclusion. La diversité morale et religieuse est une caractéristique structurante et, pour autant qu'on puisse en juger, permanente dans nos sociétés démocratiques.
Il apparaît donc conséquent à ces propos de signaler que la neutralité de l'État est assurée lorsque celui-ci ne favorise ni ne défavorise aucune conviction religieuse; en d'autres termes, quand l'État respecte toutes les positions à l'égard de la religion, y compris celle de n'en avoir aucune, tout en prenant bien sûr en considération les droits constitutionnels concurrents des personnes affectées.
La Nouvelle‑Écosse a finalement abandonné la prière quotidienne en octobre 2021 pour un moment de réflexion solennel. C'est ce que le Bloc québécois propose. C'est bien d'être inclusif, et les trois partis politiques représentés à l'Assemblée législative de la Nouvelle‑Écosse, que sont les conservateurs, les libéraux et les NPD, ont été en faveur du retrait de la prière. Je souhaite qu'il se passe la même chose ici, au fédéral.
Faire une prière solennelle quotidienne serait-il en dehors des rôles de l'État? S'agit-il d'une récitation sans répercussion, qui n'est pas méritoire de l'attention que nous lui consacrons aujourd'hui? Certainement pas.
Pour preuve, quand l'Assemblée législative de l'Ontario a étudié la question de la prière en 2008, il y a tout de même eu 25 000 pétitionnaires, et cela a été acheminé à la commission multipartite chargée de l'étude; même la Cour suprême du Canada a été saisie de la question, en 2015. Nous ne sommes donc pas complètement dans le champen proposant une telle motion.
Autrement dit, la prière récitée dans cette enceinte cadre-t-elle avec les croyances de la population?
Cette pratique, loin de promouvoir la diversité, traduit-elle une tendance à favoriser une tradition religieuse en particulier et à donner la préséance aux croyances religieuses au détriment des croyances non religieuses? On s'entendra pour dire que la prière dite ici a une saveur judéo-chrétienne très affirmée.
Pour le Bloc québécois, la meilleure manière d'assurer la neutralité religieuse de l'État n'est pas de tenter d'introduire toutes les formes de croyances possibles — il y a en a un très grand nombre —, mais de conserver dans la sphère privée l'expression de ses convictions religieuses et de ne pas les afficher de manière ostentatoire au sein des institutions publiques.
Quand, entre 2015 et 2019, ma collègue avait proposé une motion, et que les conservateurs et les libéraux avaient voté contre, j'ai donné des entrevues à la radio et un communiqué de presse du Bloc québécois a été largement repris dans nos journaux locaux. Quand nous parlons de ce sujet, les citoyens sont intéressés.
Les auteurs, qui ont étudié les plus de 870 prières prononcées à l'Assemblée législative de la Colombie‑Britannique de 2003 à 2019, concluent que les pratiques du Québec, à l'égard de la prière, mériteraient d'être suivies ailleurs:
Les prières pourraient être remplacées par un moment de réflexion dans le silence, comme c’est le cas à l’Assemblée nationale du Québec.
La mesure la plus simple serait d’abolir la prière à l’Assemblée législative.
Nous sommes donc des modèles.
Il ne fait aucun doute pour la population que les élus ne sont pas désignés par une puissance suprême, mais par un processus démocratique qui exprime le choix des électeurs et des électrices.
L'idéal d'une société libre et démocratique requiert de l'État qu'il encourage la participation de tout le monde à la vie publique, parce que c'est comme cela qu'on a une démocratie.
D'ailleurs, dans les processus de recrutement et d'incitation de participation à la politique active, tous les partis ici présents interpellent les citoyens issus de tous les horizons, et ce phénomène illustre très bien le chemin parcouru par la société dans son ensemble. C'est très bien ainsi.
On a changé d'époque. D'ailleurs, la Cour suprême a conclu, dans un jugement unanime en faveur du Mouvement laïque québécois, que « l’obligation de neutralité religieuse de l’État résulte de l’interprétation évolutive de la liberté de conscience et de religion. » Il s'agit quand même de la Cour suprême.
Ce que le Bloc québécois trouve bizarre, c'est que le Parlement, qui se présente comme une institution qui favorise la préservation et la promotion du caractère multiculturel de la société canadienne, choisisse de réciter une prière à l'ouverture des séances de la Chambre, une prière plutôt qu'une autre issue d'une autre religion. Lorsqu'il fait ce choix, il le fait au détriment des autres religions ou de l'athéisme, par exemple. On ne prend pas en compte le droit des religions des minorités culturelles et l'inclusion au sein de la société canadienne.
Le Parlement du Canada n'est pas un lieu de prosélytisme. On ne doit pas promouvoir une croyance religieuse dans cette enceinte. Nous avons besoin que ce lieu soit un espace public neutre, libre de contraintes, libre de pressions et libre de jugement. C'est comme cela que, en matière de spiritualité, on parvient à protéger la liberté de religion et de conscience de tout un chacun.
Un peu plus loin dans la même décision de la Cour suprême, on peut lire ce qui suit: [...] l’État ne doit pas s’ingérer dans le domaine de la religion et des croyances. L’État doit plutôt demeurer neutre à cet égard, ce qui exige qu’il ne favorise ni ne défavorise aucune croyance, pas plus que l’incroyance.
Il y a des croyants, mais il y a aussi des non-croyants. Nonobstant ce qui précède, et essentiellement dans un propos tout à fait complémentaire, la spiritualité existe bel et bien, mais elle est particulière à chaque individu. Elle est privée. Elle doit se vivre et se concrétiser dans une certaine intimité, si je puis dire. C'est ce que l'Assemblée nationale du Québec a fait en 1976. Chaque séance débute par un moment de réflexion dans le silence. Voilà ce que la motion du Bloc québécois propose, rien de moins, rien de plus. C'est le moment où la conscience est interpellée. C'est une occasion pour les députés de recueillir leurs pensées et leur énergie, de formuler intérieurement leur sentiment à l'égard des défis qui sont devant eux ou d'avoir une pensée spéciale pour des proches. C'est personnel.
Je vais maintenant citer un ancien président de l'Assemblée nationale du Québec, M. Clément Richard. Le 15 décembre 1976, il confirmait l'adoption d'un nouveau règlement.
C'est par respect pour les membres de cette Assemblée, qui ne sont pas nécessairement tous de la même dénomination religieuse, et c'est par respect pour l'Assemblée que j'ai choisi un mode de prière que je laisse à la liberté de chacun. Chacun aura le loisir, au moment de la période de recueillement, de faire la prière qu'il entend, et c'est par respect pour l'Assemblée que j'ai pris cette décision.
Notre motion, c'est tout simplement une question de respect.
La spiritualité n'est pas synonyme de religion ou même de confession. Les non-croyants, de plus en plus nombreux au Canada, pourraient en parler longuement. La séparation de l'État et de la religion est un principe fondamental avec lequel nous avons le devoir d'être conséquents. La laïcité, c'est un mode d'organisation, d'égalité entre les principes que sont la liberté de conscience, la séparation de l'Église et de l'État et l'égalité entre les citoyennes et les citoyens. Ces principes ne sont rien de moins qu'essentiels à la démocratie et il est bon de les rappeler.
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Madame la Présidente, je m’excuse auprès des interprètes, car je sais à quel point le travail qu’ils font est important.
Nous savons qu’une journée est consacrée à débattre du Règlement à la Chambre. Nous savons que ce débat aura lieu en juin, et ce serait le moment approprié pour discuter de tout changement, comme celui de la prière non confessionnelle au début de chaque journée.
Nous avons entendu aujourd’hui, au cours de cette séance, qu’il y a huit journées de l’opposition. Ce sont des occasions pour les membres de l’opposition de se manifester et de mettre le gouvernement au défi de faire encore mieux pour leur électorat et pour les Canadiens. Nous savons que le Bloc a deux journées où il peut soulever des questions. Je trouve curieux que les bloquistes choisissent d’utiliser leur temps de débat pour apporter des modifications au Règlement, plutôt que pour traiter des questions qui intéressent réellement leurs concitoyens.
Nous sommes à la Chambre des communes, où il y a 338 députés, élus d’un océan à l’autre. Depuis que j’ai été élue, ma priorité a toujours été les électeurs de la circonscription de Waterloo. C’est grâce à eux que je suis ici. Ils sont la raison pour laquelle j’ai été élue. Ce sont eux que je sers chaque jour.
Ils peuvent être préoccupés par le Règlement, les règles qui régissent la Chambre, mais je sais qu’ils sont surtout touchés par les défis auxquels ils sont confrontés chaque jour. Il y a beaucoup d’autres questions importantes que le Bloc aurait pu choisir de débattre aujourd’hui. Il y a celles que les Québécois auraient aimé le voir aborder, j’en suis sûre, et que tous les députés auraient aimé débattre, notamment les problèmes et les lacunes de longue date au sein de notre société que la pandémie de COVID‑19 a mis en lumière, l'exacerbation des pressions inflationnistes mondiales attribuable à la guerre illégale de Poutine en Ukraine et le fait que les changements climatiques continuent d’être une menace existentielle pour le Canada et le monde, ainsi que le droit d’une femme de disposer de son corps et le droit fondamental d’une femme au libre choix.
Les députés ont été élus au nom de tous les Canadiens pour s’attaquer aux plus importants enjeux sociaux, sanitaires, financiers et économiques de notre époque à la Chambre des communes. De toutes les questions urgentes auxquelles notre pays est confronté, je trouve étonnant que le Bloc québécois ait choisi cette question au lieu de proposer des idées constructives pour relever les défis que doivent relever les Canadiens et les Québécois.
C’est pourquoi, dans mon intervention, j’aborderai les questions urgentes dont nous pourrions débattre, comme l’économie canadienne. Je traiterai de questions que les électeurs de la circonscription de Waterloo m’ont soumises. J’ai l’occasion de prendre connaissance de toutes sortes de points de vue et d’expériences. Certaines personnes approuvent le gouvernement, d’autres le contestent. Certaines poussent le gouvernement à en faire plus, et je crois que le moment est bien choisi pour débattre et discuter de ce que les électeurs aimeraient que nous fassions.
Il y a plus de Canadiens qui travaillent aujourd’hui qu’à n’importe quelle autre époque de l’histoire de notre pays: 19,6 millions d’entre eux ont actuellement un emploi. C’est presque 3,5 millions de plus qu’au plus fort de la pandémie et environ un demi-million de plus qu’avant que la COVID ne frappe. Nous avons le plus fort redressement du taux de chômage du G7, et le taux de chômage national est de 5,2 %.
La dernière fois qu’un taux de chômage a été aussi faible remonte à l’époque où John Diefenbaker siégeait encore à la Chambre des communes. La Chambre comptait environ 265 députés, et moins de 10 étaient des femmes. Le Bloc québécois n’existait même pas en tant que parti à l’époque.
Il est clair qu’il s’agit d’un redressement impressionnant, et nous avons encore beaucoup à faire. Le Canada est revenu en force, en grande partie grâce aux programmes extraordinaires et novateurs que le gouvernement fédéral a mis en place pour soutenir les Canadiens, les entreprises et l’économie. Cela dit, nous savons que des difficultés persistent, par exemple l’inflation élevée actuelle.
C’est un phénomène mondial, et il fait grimper les prix au Canada. Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement continuent de nuire à tout le monde, et, à présent, la guerre de Poutine provoque la hausse des prix des aliments et de l’essence. L’inflation est plus faible au Canada que dans de nombreux pays, mais nous savons qu’elle continue d’avoir des conséquences néfastes pour de nombreux Canadiens. Les électeurs de Waterloo m’en parlent.
C’est pourquoi, en tant que gouvernement, nous centrons nos efforts sur les Canadiens. Nous nous attachons à proposer des mesures qui contribueront à rendre la vie plus abordable pour eux.
L’opposition officielle, les conservateurs, continue de se concentrer sur les attaques personnelles et la désinformation, et, de toute évidence, le Bloc québécois se concentre sur le Règlement. Je répète qu’en tant que gouvernement, nous nous concentrons sur les Canadiens et nous nous affairons à proposer des mesures qui contribueront à rendre la vie plus abordable pour eux.
Prenons le logement, par exemple. C’est un besoin humain fondamental et un impératif économique. Cependant, le Canada n’a pas suffisamment de logements. Nous avons besoin d’en avoir plus. Au cours des 10 prochaines années, nous mettrons le Canada sur la voie de doubler le nombre de nouvelles maisons construites au pays.
Le budget de 2022, déposé par la , comprend des mesures visant à faciliter la construction de logements supplémentaires. Il comprend également des mesures destinées à éliminer les obstacles qui empêchent la construction domiciliaire. Le budget de 2022 permettra également aux jeunes d’obtenir plus facilement les clés de leur première maison.
Bien sûr, s’attaquer à l’abordabilité du logement est un défi qui exigera un grand effort national et un nouvel esprit de collaboration entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires, les régions et les administrations municipales, le secteur privé et les groupes sans but lucratif. N'en doutons pas, le gouvernement fédéral fera sa part.
D'ailleurs, il fait déjà sa part, car pour rendre la vie plus abordable pour les Canadiens, il faut rendre le marché du logement plus équitable pour eux. Nous interdirons les investissements étrangers, qui ont alimenté la spéculation sur les prix et qui ont rendu le logement moins abordable pour les Canadiens. Nous limiterons les prix de revente précipitée de propriétés, une pratique qui rend le logement plus cher pour les Canadiens.
Plus tôt cette année, le gouvernement a également annoncé un investissement d'un maximum de 750 millions de dollars pour aider les villes à faire face aux déficits d’exploitation des transports en commun. Afin de respecter les compétences et d’accroître l’incidence de cet investissement, les demandes seront considérées lorsque les gouvernements provinciaux et territoriaux verseront une somme équivalente à la contribution fédérale et en fonction de l'accélération des efforts pour améliorer l’offre de logements en collaboration avec les administrations municipales. Ce sont les questions dont me parlent les électeurs de ma circonscription.
Le gouvernement actuel se concentre sur les Canadiens et sur les mesures qui leur apporteront le soutien dont ils ont besoin. La réalité, c'est que ces mesures aideront les personnes qui luttent pour trouver un endroit sûr et abordable où vivre dans nos villes.
J’ai parlé du budget de 2022, mais je me permets aussi de rappeler à la Chambre une mesure du budget de 2021. Dans le budget de 2021, le gouvernement présente un plan ambitieux visant à offrir aux parents canadiens des places de garderie réglementée, à raison de 10 $ par jour en moyenne, pour les enfants de moins de 6 ans. L’Ontario, la province d'où je viens, a été, hélas, la dernière à s’associer au plan, mais en moins d’un an, nous avons conclu des ententes avec toutes les provinces et tous les territoires.
D’ici à la fin de l’année, les familles verront leurs frais de garde réduits de 50 % en moyenne, ce qui représente 6 000 $ par enfant en moyenne pour les familles de la Colombie-Britannique et de l’Ontario. Ce n’est pas dans 5 ans ni dans 10 ans: je parle d’économies réalisées d’ici la fin de décembre. D’ici 2025‑2026, grâce à notre plan, les frais de garde s’élèveront en moyenne à 10 $ par jour, et ce, dans toutes les garderies réglementées au Canada, ce qui représentera des milliers de dollars d’économies pour les familles du pays.
Une voix: Oh, oh!
L’hon. Bardish Chagger: Madame la Présidente, j’entends des députés se demander si nous allons parler du Règlement. Il y aura un jour réservé à la Chambre pour parler du Règlement, un jour consacré au Règlement qui régit nos échanges à la Chambre des communes, où j’ai été élue par les citoyens de la circonscription de Waterloo.
Ils m’ont élue pour que je fasse passer leurs besoins en premier. Ils m’ont élue pour représenter la diversité de leurs expériences et de leurs besoins. Dans cette enceinte, je pense surtout aux électeurs de la circonscription de Waterloo et à la façon dont je travaille avec le gouvernement pour obtenir de meilleurs résultats. Malheureusement, le Bloc s’intéresse surtout au Règlement. C’est bien dommage parce que d’habitude, le Bloc soulève des questions vraiment importantes. C’est pourquoi je suis étonnée du sujet qu’il aborde aujourd’hui.
Je sais que mon temps de parole achève, mais je voulais parler des aînés, car nous connaissons leur vulnérabilité. Je voulais parler des jeunes et je voulais parler de l’environnement, mais je vais redonner la parole à la présidence pour pouvoir passer aux questions et aux commentaires. Je suis heureuse d'avoir pu m’exprimer.
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Madame la Présidente, c'est un honneur pour moi de me lever à la Chambre pour débattre la motion de mon grand ami de .
Il m'a texté ce matin pour me demander ce que je pensais de sa motion. Je lui ai répondu que j'étais en réflexion, parce que, pour moi, c'est une zone grise et ce n'est ni noir ni blanc. Comme membre non pratiquant d'une minorité religieuse, je comprends très bien la bonne intention de mon collègue de Drummond de conférer à cet endroit un caractère plus pluraliste afin que tout le monde se sente plus à l'aise. Cependant, je comprends que des traditions sont conservées à la Chambre depuis 150 ans. La meilleure manière d'expliquer pourquoi je trouve qu'il s'agit d'une zone grise, c'est d'expliquer comment je perçois la laïcité et la liberté de religion.
[Traduction]
Ce qui est primordial, à mon avis, c’est qu’en tant que société, nous sommes confrontés à deux enjeux distincts. Premièrement, l’article 2 de notre Charte nous garantit le droit à la liberté de religion. Cette garantie est assujettie à l’article 1 qui permet à l’État d’imposer des limites raisonnables à la liberté de religion.
Je cherche l’inspiration non pas en me tournant vers l’Europe continentale, mais vers les États‑Unis. Ce pays a été l’un des premiers de notre continent à se doter d’une déclaration des droits qui garantit deux choses très différentes. L’article 1 de la Déclaration des droits des États‑Unis précise que le Congrès ne peut légiférer pour établir une religion. Il précise également que le Congrès ne peut légiférer pour restreindre la liberté de religion. Ces deux concepts doivent aller de pair.
Le Canada ne devrait pas avoir de loi qui favorise une religion plutôt qu’une autre ou qui favorise une religion plutôt que l’athéisme, l’agnosticisme ou toute autre doctrine.
[Français]
Pour moi, il est très clair qu'il ne devrait pas y avoir de croix à la Chambre des communes, parce que c'est le symbole d'une seule religion. Quand j'étais maire de Côte‑Saint‑Luc, dans l'agglomération de Montréal, il y avait une grande croix accrochée au mur de l'hôtel de ville de Montréal. J'ai voté en faveur de la motion qui proposait de l'enlever, parce que, pour moi, on ne peut de toute évidence pas préférer une religion à une autre. Il y a peut-être un moyen d'accrocher le symbole de 50 différentes religions aux murs de la Chambre, mais ce n'est probablement pas la meilleure chose à faire. Pour moi, c'est très évident.
Un autre aspect est clair pour moi, et, malheureusement, à cet égard, je suis un peu en désaccord avec mes collègues du Bloc québécois. Selon moi, ils confondent la liberté de religion et la liberté d'un individu de pratiquer une religion.
[Traduction]
C’est pourquoi je me suis tellement opposé au projet de loi adopté par le Québec, la loi 21, qui précise que les gens n’ont plus le droit d’occuper certains emplois à cause de leur croyance religieuse. Je suis tout à fait contre cela.
[Français]
Je suis un député du Québec, alors je peux parler en tant que Québécois. Dans ma circonscription, Mont‑Royal, plusieurs personnes portent la kippa, le hidjab ou d'autres symboles religieux. Ces gens pratiquants n'ont pas le droit de les enlever selon leur religion.
[Traduction]
Je tiens à préciser que dans certaines religions, les pratiquants doivent porter des signes religieux. Les juifs orthodoxes portent la kippa, les femmes musulmanes pratiquantes qui choisissent de le faire portent le hidjab et les hommes sikhs portent le turban s’ils sont religieux.
Ces pratiquants n’ont pas le droit de retirer leur signe. Lorsqu’une loi interdit le port de signes religieux à certaines catégories d'employés, cela crée une inégalité entre les religions. C’est comme dire aux gens qui pratiquent des religions qui ne leur imposent pas le port d'un signe religieux qu’ils peuvent occuper ces emplois, et à ceux qui pratiquent une religion qui les oblige à en porter un qu’ils ne peuvent pas exercer ces fonctions.
Il s’agit d’une violation de la liberté de religion, quelle que soit la religion, et cela crée une inégalité entre les religions. C’est très clair pour moi.
[Français]
Je dois aussi mentionner que je comprends très bien qu'il y a une diversité dans la société, et que plusieurs personnes croient le contraire de ce que je viens d'énoncer. Il y a une philosophie de laïcité qui existe en France et en Belgique. Je vais peser mes mots, mais ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose; c'est une philosophie.
Personnellement, je ne crois pas du tout en cette philosophie. Selon moi, cela crée de la discrimination.
Je n'aimerais pas avoir à dire à une petite fille qui porte le hijab, dans ma circonscription, qu'elle ne pourra jamais être professeure dans une école publique au Québec, mais qu'elle pourra l'être n'importe où ailleurs au Canada ou aux États‑Unis. Je n'aimerais pas non plus avoir à dire au petit garçon qui porte la kippa qu'il ne pourra pas être procureur. Personnellement, j'ai un problème avec cela. Ce n'est pas la bonne façon de distinguer la liberté de la religion de la laïcité. Là où la laïcité est importante, c'est quand on parle de l'État.
[Traduction]
Comme symbole de l’État, je vais maintenant aborder la question de la prière.
En général, je conviens que si une personne est agnostique et qu’elle doit participer à une prière, ou si elle est contrainte à participer à une prière contre son gré, c’est injuste pour cette personne qui est agnostique. Il me semble évident que si la prière que nous avons devant nous était une prière chrétienne, juive, musulmane ou sikhe, elle serait totalement inacceptable à la Chambre des communes, parce qu’on ne peut pas favoriser une religion par rapport à une autre. Cependant, je me trouve dans une zone grise, parce que, même si je comprends que d’obliger une personne qui ne croit en aucune religion à écouter une prière jour après jour cause un problème, je comprends aussi qu’il y a des traditions qui existent non seulement ici, mais aussi aux États-Unis.
Au Congrès des États-Unis, les membres font une prière au début de chaque séance, malgré le fait que, constitutionnellement, aux États-Unis, la séparation de l’Église et de l’État est beaucoup plus forte qu’au Canada. Je me demande aussi ce que font d’autres parlements semblables au nôtre. Le Parlement du Royaume-Uni fait une prière avant l’ouverture du Parlement, et en Australie, on fait une prière avant l’ouverture du Parlement. Dans ces deux parlements, comme dans celui du Canada, les prières non confessionnelles sont suivies d’un moment de réflexion. En Nouvelle-Zélande, on fait une prière. Il s’agissait d’une prière chrétienne qui mentionnait Jésus-Christ jusqu’en 2017, il y a cinq ans. Pourtant, la Nouvelle-Zélande a une population très diverse.
Il y a aussi la tradition. Je respecte la tradition de la prière, alors je suis un peu déchiré. Je crois qu’il doit y avoir une meilleure façon de faire les choses. Je conviens que ce que nous faisons maintenant n’est pas nécessairement équitable pour certains députés. Il me semble aussi que cela ne reconnaît pas les traditions autochtones du pays.
Je tiens à souligner que certaines choses me tiennent à cœur, et je crois fermement que nous sommes allés trop loin dans bien des cas au Canada en affirmant que la religion n’a pas sa place en public. Je crois que la religion a sa place en public. Les gens peuvent être guidés par leur conscience et ils peuvent pratiquer leur religion en public. Dans mon rôle de maire, je n'avais rien contre le fait de voir un arbre de Noël et une menorah sur la pelouse de notre hôtel de ville. Cependant, je comprends aussi que l’État doit être entièrement neutre. Cet équilibre est très difficile à établir. Alors je dois souligner que bien qu’il soit facile pour les politiciens de prendre position sur beaucoup de choses, cette question est plus difficile pour moi, parce que je suis vraiment déchiré. Il va falloir que je décide avant demain.
[Français]
Je suis très reconnaissant d'avoir eu la chance de parler du fait que je suis encore un peu confus au sujet de la question. Je ne suis pas certain du côté où je vais pencher.
:
Madame la Présidente, comme je le fais souvent, je vais commencer par rendre le sujet accessible pour celles et ceux qui nous suivent.
À Lac-Saint‑Jean, j'ai un conseil jeunesse et on a un petit groupe Messenger. On s'envoie parfois des trucs. Quand j'ai un discours à faire, je leur demande s'ils voudraient dire quelque chose et ils aiment grandement cette initiative. J'ai donc fait lire à ces jeunes de ma circonscription, qui sont de confessions différentes, en passant, le texte suivant. J'assure à la Chambre que je ne le répéterai plus jamais après avoir fini de le lire:
Dieu tout‑puissant, nous te remercions des nombreuses grâces que tu as accordées au Canada et à ses citoyens, dont la liberté, les possibilités d'épanouissement et la paix. Nous te prions pour notre souveraine, la reine Elizabeth, et la gouverneure générale. Guide‑nous dans nos délibérations à titre de députés et aide‑nous à bien prendre conscience de nos devoirs et responsabilités. Accorde-nous la sagesse, les connaissances et la compréhension qui nous permettront de préserver les faveurs dont jouit notre pays afin que tous puissent en profiter, ainsi que de faire de bonnes lois et prendre de sages décisions. Amen.
Je sais que la présidence lit cette prière mieux que moi, mais je m'y suis quand même essayé.
La Chambre ne sera pas surprise d'apprendre que ces jeunes étaient surpris. En fait, leur réaction était assez unanime sur un point: le Parlement est à tout le monde, mais à aucune religion en particulier. Ils ont même systématiquement insisté, et je partage leur opinion, qu'ils respectaient la foi de tout un chacun.
Après tout, la liberté de croire ou de ne pas croire est un fondement de notre démocratie. C'est quelque chose de convenu.
Pour paraphraser deux auteurs connus au Québec qui expliquent cela pas mal plus en détail que moi: la diversité morale et religieuse est une caractéristique structurante et permanente des sociétés démocratiques.
Aujourd'hui, il n’est donc nullement question des croyances personnelles de quiconque, bien au contraire. La question est celle de la préférence qu'induit notre institution à l'égard de la religion, et même d'une religion en particulier. Notre motion n'est pas chargée d'émotion, elle n'est irrespectueuse de personne et elle n'est surtout pas dogmatique.
Notre motion est dirigée au bénéfice de la croissante diversité culturelle qui s'est greffée à la courtepointe de notre société et qui s'exprime directement dans l'enceinte de ce Parlement. Tout le monde peut le constater: peu importe les partis représentés ici, la diversité culturelle, mais aussi spirituelle, parmi les députés à la Chambre est évidente et importante.
Au‑delà des croyances des députés, il y a surtout une diversité spirituelle évidente et importante au sein de la population qu'on représente, que ce soit au Québec ou dans le reste du Canada. Étant donné l'expression de toute cette diversité spirituelle, la neutralité de l'État est une question qui se pose face aux diverses religions et face à ceux, de plus en plus nombreux, qui ne croient pas en un dieu.
Les sociétés changent, la nôtre également. Nous devons adapter nos institutions de temps à autre, ce qui est correct et même important, puisque la situation n'est plus celle de 1877.
Depuis presque 150 ans, la présidence et ses prédécesseurs — surtout des hommes, on en conviendra — prononcent avant chaque séance une prière à la Chambre, celle que j'ai lue ou une version similaire. Certains disent que c'est une tradition, soit.
Or, si on se rendait à ce seul argument, la présidence porterait présentement un bicorne, le chapeau de Napoléon, avec une perruque en-dessous. J'admets que je serais prêt à faire revivre cette tradition juste pour avoir la chance de prendre un petit « selfie » avec vous, madame la Présidente.
Blague à part, il n'en demeure pas moins qu'au-delà de l'accoutrement, bien des choses ont changé au Canada depuis. Cela m'apparait évident, comme ce l'est pour les jeunes à qui j'ai fait lire la prière et à qui j'ai appris qu'elle existait.
Le temps est venu de s'y attarder, bien simplement, en adoptant cette motion qui nous donnera l'occasion de prier, de méditer, de patienter ou de nous ressourcer, comme bon nous semble, de la façon qui colle le mieux à nos valeurs. C'est pour cela que nous proposons deux minutes de réflexion.
Nous pensons que la meilleure manière d'assurer la neutralité religieuse de l'État est de conserver dans la sphère privée l'expression de ses convictions religieuses et de ne pas les afficher de manière ostentatoire au sein des institutions publiques.
Je mentionne le mot « ostentatoire » parce que je vois déjà du monde qui pourrait vouloir introduire dans nos institutions toutes les formes de croyances possibles. C'est un petit aparté que je me permets, mais je pense que cela mènerait nécessairement à oublier des cultures et des spiritualités, entre autres autochtones, et je trouverais périlleux de commencer à juger, une à une, les pratiques.
Par ailleurs, si on veut donner à la prière ou à quelconque manifestation religieuse de gratitude ou de réflexion une valeur réelle, cela doit se faire en silence, de façon paisible, entre les députés et ce qui les interpelle individuellement.
Bref, ce que nous disons et que la moitié du monde pense, c'est qu'en matière de spiritualité étatique, la meilleure approche, c'est le « one size fits all », si on me permet l'expression. Il faudrait deux minutes de réflexion, pour tout le monde. Je mets fin à mon aparté.
Je crois franchement que nous sommes tous égaux, ici au Parlement. De cette façon, en silence, chacun de son bord, on fera ce qu'on voudra sans le montrer de façon ostentatoire. Les élus, me semble-t-il, ne sont pas désignés par une puissance suprême ni au service de celle-ci. Ils sont désignés par le peuple québécois et canadien, pour mes amis des autres provinces.
Moi, je crois aux gens qui nous ont désignés pour les représenter. Enfin, je me lève tous les matins avec mon petit rituel, mon petit Post-it sur lequel il est écrit « pour qui tu travailles? »
Aujourd'hui, dans le débat qui nous mobilise, je réponds la même chose que toujours: le monde du Lac-Saint-Jean, les Québécoises et les Québécois dans toute la splendeur de leur diversité. Je crois que c'est là que commence notre rôle de député, celui de représenter la population dans son ensemble et sa diversité, dans le respect des croyances de chacun. Mon rituel, si j'en ai un, celui qui me permet de mieux faire mon travail, il m'appartient. Pour moi et pour le Bloc québécois, c'est un peu aberrant de voir que le Parlement, d'un côté, dit être une institution qui favorise la préservation et la promotion du caractère multiculturel de la société canadienne et, de l'autre, choisit de réciter une prière plutôt qu'une autre à l'ouverture de ses séances. C'est un peu paradoxal et le tout, il me semble, se fait au détriment des autres religions ou des autres courants de pensée.
Ce n'est pas un geste d'inclusion. Selon nous, cela affecte la participation de certains croyants ou non-croyants à la vie publique au détriment des autres. C'est le maintien de telles traditions qui nous enferme dans une logique d'exclusion de certaines communautés. Décharger ce moment de réflexion de son caractère religieux à dimension unique, c'est le respect élémentaire qu'on doit à toutes les croyances et les non-croyances. Sans vouloir mélanger les débats — ce n'est pas l'objet de la motion —, je dois souligner qu'on prie pour la Reine, la cheffe de l'Église anglicane dans la parfaite ignorance de tous les autres chefs spirituels.
Les jeunes auxquels j'ai montré la prière l'ont remarqué. On a une société qui veut des institutions neutres, des pratiques plus inclusives, mais on continue de souligner la représentante d'une seule religion, et ce, chaque jour. Il faut se regarder dans le miroir.
Heureusement, il y a des exemples. Au Québec, depuis le 15 décembre 1976, l'Assemblée nationale ne prononce plus de prière et se recueille plutôt à l'ouverture. Son Président l'a fait unilatéralement à l'époque: « C'est par respect pour les membres de cette Assemblée, qui ne sont pas nécessairement tous de la même dénomination religieuse [...] »
L'idée était peut-être révolutionnaire à ce moment-là. Je n'étais pas né. De nos jours, c'est un acquis, et ce n'est plus remis en doute. En Nouvelle‑Écosse, les députés observent un moment de silence et de réflexion avant que le Président déclare la séance ouverte. Cela s'est même décidé entre le gouvernement et l'opposition dans la plus ancienne assemblée au Canada. La prière y était récitée depuis 1758; la Nouvelle‑France existait encore. Ce n'est pas peu dire.
À Saguenay, tout près de chez moi, cette pratique de la prière dans un lieu de pouvoir a été scrutée par notre plus haut tribunal. Par une décision unanime de la Cour suprême en 2015, il a été jugé que la récitation de la prière portait atteinte à la liberté de conscience et de religion du plaignant. La Cour suprême a dit que la prière au conseil de ville constituait « une utilisation des pouvoirs publics par le conseil dans le but de manifester et de professer une religion à l'exclusion des autres. »
Évidemment, la Chambre n'est pas visée par la décision à cause du privilège parlementaire. N'empêche que cela a un effet important dans le débat sur cette pratique, tout court, dans un lieu de pouvoir comme le nôtre.
Je vois le temps filer. Je conclurais mon allocution avec les observations qui vont suivre, inspirées notamment du jugement cité. D'abord, je suis d'avis qu'au regard de tout ce que j'ai mentionné, mais aussi du droit, l'État a une obligation de neutralité religieuse. L'évolution de la société canadienne et québécoise a engendré une conception de cette neutralité suivant laquelle l'État ne doit pas s'ingérer dans le domaine de la religion et des croyances. Cela exige de ne pas favoriser ni de défavoriser aucune croyance, pas plus que l'incroyance.
La poursuite de l'idéal d'une société libre et démocratique requiert de l'État qu'il encourage la libre participation de tous à la vie publique, quelles que soient leurs croyances. À partir du moment où on dit qu'il faut préserver la prière au Parlement parce qu'on trouve cela important et qu'on y croit, on admet que ce n'est pas neutre et que c'est chargé d'une spiritualité en particulier. Autrement, si on dit que la prière n'est pas grave parce que c'est juste une tradition qui ne veut pas dire grand-chose, on admet que les mots ne sont pas vraiment importants et que tout le monde se porterait sublimement bien si on priait en silence pour ce qu'on veut bien prier.
La prière nous enferme dans ce que nous ne sommes plus, comme société, c'est-à-dire une colonie sous le joug de la religion et d'une métropole gouvernée par une caste de messieurs, pas si pieux que cela, qui camouflaient leurs actions à l'ombre de Dieu et d'une Reine de qui les responsabilités démocratiques, finalement, ne découlent pas.
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Madame la Présidente, c'est à moi qu'incombe la tâche d’être le dernier orateur du Bloc québécois dans le cadre de notre journée de l’opposition. Je me permets de savourer l’ironie, parce qu’il s’agit aussi de ma dernière intervention à la Chambre en ayant l’âge du Christ, étant donné que mon anniversaire est demain.
Une voix: Bonne fête!
M. Simon-Pierre Savard-Tremblay: Madame la Présidente, je remercie le député, mais c’est demain qu’il faudra me le dire.
Rappelons que la motion du Bloc québécois propose d’abolir la prière qui ouvre chaque séance du Parlement fédéral afin que nous nous en tenions à un moment de recueillement. Cette prière, rappelons-le, comporte un passage franchement monarchiste à la gloire de la reine Elizabeth et de la gouverneure générale.
Pour plusieurs Québécoises et Québécois, c’est la surprise. De nombreux et nombreuses compatriotes m’ont interpellé depuis ce matin, depuis qu'on a annoncé que notre journée d’opposition portait là-dessus, pour me communiquer tout leur étonnement. Or je tiens à les rassurer: personnellement, je ne participe jamais à la prière. J’attends la fin de l’exercice pour entrer et pour aller m’asseoir à ma place, et ce, pour deux raisons.
En premier lieu, la foi, c’est personnel.
En deuxième lieu, je représente des milliers de citoyens et citoyennes de toutes les croyances et de toutes les non-croyances. Quand je suis ici, je ne suis pas ici pour promouvoir mon identité personnelle et mes convictions personnelles. Certes, je suis là pour défendre mes convictions politiques, car je suis élu, et on m'a confié un mandat relatif à ces convictions. Toutefois, je ne suis pas ici pour défendre mes convictions religieuses personnelles, car j’incarne une fonction. D’ailleurs, je n’ai pas le droit de me désigner ou de désigner un de mes collègues par autre chose que par la fonction, par le titre.
Pour cette même raison, je ne répondrai jamais à la question lorsqu'on me demandera si je crois en Dieu. Je pourrai y répondre en privé. Mes amis et ma famille peuvent me le demander en privé, mais, publiquement, en tant que député, je ne répondrai jamais à cette question.
Au cours de la journée, il semble y avoir eu un consensus au sein des autres partis pour condamner notre choix de présenter cette motion aujourd’hui dans le cadre d’une de nos journées de l’opposition. On nous dit que nous aurions pu consacrer notre journée aux vraies affaires comme l’économie, le logement, la santé, l’environnement ou le déclin du français. Ce sont des exemples que nous avons entendus aujourd’hui.
Que cette critique soit survenue à 10 h 30 quand le débat commençait, soit. Cependant, alors qu'il est 17 heures passées, c'est pratiquement le seul argument massue que nous avons entendu, et cela nous laisse quand même songeurs.
C’est un sophisme qu’on appelle en bon français le « whataboutisme », c’est‑à‑dire que l'on dévie une critique par des références à d’autres griefs réels et présumés. Nous parlons d'un problème, mais on nous rétorque que tel autre problème existe aussi et que nous n’en parlons pas.
On peut assurément y voir une tentative d’éviter de faire des commentaires sur le fond. Précisons une chose: nous n’avons aucune leçon à recevoir au sujet de ce que nous faisons de nos journées de l’opposition. Réglons cela en partant.
Ensuite, nous n’avons aucune leçon non plus à recevoir en ce qui a trait à notre action politique et parlementaire. Notre bilan en la matière n’est pas gênant. Nous intervenons régulièrement sur toutes les questions, sur les questions sociales, économiques et environnementales. Que ce soit en comité, à la Chambre ou dans les médias, nous sommes là.
D’ailleurs, c’est le gouvernement de René Levesque qui a aboli la prière à l’Assemblée nationale en 1976. Même si cela avait été décidé avant, c’est en 1976 que cela a été mis en place. On s’entend pour dire que le gouvernement Levesque a été pour le moins proactif. Le fait d’abolir la prière ne l’a pas empêché d'être probablement l'un des gouvernements les plus proactifs de l’histoire du Québec.
Cette minute de recueillement laïque est la meilleure option qui soit pour respecter la liberté de conscience. D'ailleurs, sept députés de la Chambre ont déjà siégé à l’Assemblée nationale. Il y en a quatre au Bloc, deux chez les conservateurs et un chez les libéraux. Ce à quoi ils pensaient au moment de se lever, ce qui les inspirait au moment de se lever pour la minute de recueillement à l’Assemblée nationale ne m’intéresse pas. Je ne veux pas le savoir. Je ne veux pas connaître leur foi ou leur absence de foi.
Parlons maintenant du fond des choses. Qu’est-ce que la laïcité? Il y a de très nombreux textes marquants sur laïcité, mais, pour débuter, comme je me sens un brin taquin et j’ai envie de citer la Bible: « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Autrement dit, il faut séparer les deux.
Il faut retourner aux bases de la laïcité pour bien la comprendre. On peut réunir des décideurs et des décideuses comme nous pour discuter du meilleur avenir de leur collectivité, mais il y a un sujet sur lequel nous ne parviendrons jamais à nous entendre, parce qu'aucun argument rationnel ne peut être présenté, et c’est la religion.
Devant l'absence de consensus, étant donné qu'on ne peut pas démontrer quoique ce soit sur la religion en disant que un plus un égale deux, on enlève ce dossier du débat public et de la table des décisions. On laisse le sujet de côté. C'est la base même de la laïcité.
Si une question comme le dieu à honorer ne peut être tranchée par la raison, il n'y a qu'une seule solution: retirer la question du débat politique et la renvoyer au domaine privé, où chacun détient le droit inaliénable de croire ce qu'il veut et de l'exprimer. Cependant, aucune religion ne peut s'imposer dans l'appareil politique.
Pour reprendre la chose sous un angle contemporain, cela veut dire que les élus, comme l'ensemble des citoyens, sont libres de vénérer le dieu qu'ils veulent, que ce soit Allah, Bouddha ou Yahvé. À l'inverse, ils sont aussi libres de détester une religion en particulier, certaines religions ou toutes les religions. C'est aussi cela, la liberté de conscience. Tous sont libres de prier le nombre de fois qu'ils veulent par jour et de lire les livres sacrés qu'ils souhaitent.
Toutefois, un Parlement n'est pas le lieu pour l'exprimer ni pour en discuter. La foi n'a pas à être exprimée de manière ostentatoire, publiquement, par les décideurs politiques, qui représentent par définition des gens issus de toutes les confessions.
Si on suit cette logique, il faut donc rejeter du revers de la main l'idée que la laïcité représente le passé. On nous dit que cela marchait dans le temps, mais qu'on est désormais dans une société multiconfessionnelle. Justement, la laïcité est encore plus d'actualité dans une telle société. La laïcité est la seule manière de faire coexister des gens de toutes les tendances religieuses au sein d'un même État. Que la politique ne soit tranchée que par la raison, c'était le projet des Lumières en Europe au XXVIIe et au XXVIIIe siècle. Voltaire disait justement que la discorde est le plus grand mal du genre humain et que la tolérance en est le seul remède.
Au Québec, de nombreux personnages marquants de ma circonscription ont été à l'avant-garde de la laïcisation de notre société. On peut penser au seigneur de Saint‑Hyacinthe, Louis-Antoine Dessaulles au XIXe siècle, ou au maire et ministre Télesphore‑Damien Bouchard au XXe siècle, qui luttèrent contre les excès du cléricalisme. Encore au XXe siècle, on peut aussi penser au citoyen Yves Michaud, qui fut l'une des plumes les plus percutantes du combat contre le duplessisme, à titre de directeur du Clairon de Saint-Hyacinthe.
Le Québec reconnaît aujourd'hui la grande place qu'a ee la religion, une place toujours marquante jusqu'à un certain point sur le plan culturel. On sait cependant là où elle ne doit pas être.
En 1960, la Révolution tranquille a marqué le début d'un grand processus de déconfessionnalisation des services, dont les écoles. La laïcisation est un processus constant et continu. Ainsi, on se pose depuis plus récemment la question des signes religieux ostentatoires de certains représentants de l'État, de ceux qui sont en position d'autorité, voire de tous les représentants de l'État. Les avis divergent, ce qui est correct, car c'est un sain débat.
Ce n'est qu'en 2018 que le crucifix qui trônait au-dessus du siège du président de l'Assemblée nationale du Québec a été retiré, lui qui avait été posé en 1936 par le gouvernement de Maurice Duplessis avec l'intention précise et explicite d'officialiser l'unification de l'Église et de l'État.
Précisons que les croix et les crucifix ne sont pas un problème lorsqu'ils sont employés dans l'espace privé, ou dans l'espace public à titre patrimonial. Il en va de même pour les multiples « saints » qu'on trouve dans les noms de nombreuses institutions, comme dans le nom de ma circonscription. Les noms de 19 des 25 municipalités que je représente commencent par « Saint » et il ne faut y voir qu'un hommage à ce que nous avons déjà été.
Le problème du crucifix au Salon bleu à Québec, c'était son emplacement: au-dessus des députés qui votent les lois, dans la maison de la démocratie. C'est pourquoi la prière y a été supprimée dans les années 1970.
Au Canada, c'est plus complexe. La suprématie de Dieu figure dans le préambule de la Constitution et la cheffe de l'État est également la cheffe de l'Église anglicane. On part donc de plus loin, mais, avec l'adoption de la motion du Bloc québécois, on pourrait marquer une étape importante.
J'invite donc une dernière fois la Chambre à se prononcer pour un peu plus de laïcité et pour que notre institution cesse cette pratique de prosélytisme. En conclusion, je paraphraserai le grand tribun français Jean Jaurès en disant que la laïcité et le progrès social sont deux formules indivisibles et que nous lutterons pour les deux.