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CITI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CITIZENSHIP AND IMMIGRATION

COMITÉ PERMANENT DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 23 avril 1998

• 1110

[Traduction]

Le président (M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.)): La séance est ouverte.

Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons l'étude de la recommandation 155 du rapport du Groupe consultatif sur la révision de la législation intitulée: «Au-delà des chiffres: l'immigration de demain au Canada» traitant particulièrement de détention et d'ordonnance de renvoi.

Aujourd'hui nous avons la très grande chance d'accueillir Jean-Michel Montbriand et Jean-François Fiset, président et vice- président respectivement de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration.

Nous vous consacrerons une heure au cours de laquelle le débat sera ouvert. Si nous n'avons pas besoin de tout ce temps, c'est très bien! Nous devons ensuite entreprendre une autre tâche après vous avoir entendus.

Commençons donc.

M. Jean-Michel Montbriand (président, Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration): Merci, monsieur le président.

Comme vous venez tout juste de le dire, je suis président de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration et mon collègue Jean-François Fiset en est le vice-président chargé des affaires des réfugiés.

Dans un premier temps, laissez-moi vous parler un peu de notre organisme. Sa création remonte à presque huit ans alors que les membres du Barreau du Québec ont décidé d'essayer de nouer des liens plus étroits avec notre corporation professionnelle, en l'occurrence le Barreau du Québec. Nous avons donc quitté les rangs de l'Association du Barreau canadien. Notre ordre des avocats, le Barreau du Québec, étant beaucoup plus près de nous dans nos activités quotidiennes, nous avons pris cette décision pour des raisons pratiques et nullement politiques.

Notre association rejoint quelque 150 juristes de la province de Québec, des avocats et avocates de cabinets privés ou des membres de l'Aide juridique, qui a des employés permanents dans la province de Québec contrairement à d'autres provinces canadiennes.

Mon collègue et moi-même comptons plus de 25 années d'expérience dans le domaine de l'immigration. Avant de nous présenter devant ce comité aujourd'hui nous avons largement consulté nos membres.

Je crois que vous avez tous reçu une copie de nos observations concernant le rapport: «Au-delà des chiffres: l'immigration de demain au Canada» auquel a fait plus tôt allusion le président du comité.

Je veux simplement vous dire que nous ne nous limiterons pas à ce sujet dans notre exposé d'aujourd'hui. Nous en parlerons brièvement mais nous attacherons surtout sur à la détention et au renvoi.

• 1115

[Français]

La recommandation 155 du rapport Au-delà des chiffres: l'immigration de demain, qui a été présenté à l'honorable ministre de l'Immigration, souhaitait que le présent comité s'intéresse aux questions de détention et de renvoi, principalement avec l'objectif de rétablir la confiance du public devant ces questions fort épineuses dans le système d'immigration.

Notre position est relativement simple à cet égard. Nous considérons que, pour rétablir la confiance du public, il est d'abord nécessaire d'améliorer les relations entre les personnes visées par des mesures de renvoi ou des ordres de détention et le ministère de l'Immigration. Les relations ne sont pas harmonieuses. Les relations sont tendues. Ces relations difficiles sont basées sur un nombre relativement significatif de mauvaises expériences, d'impairs dans le système ou d'incidents malheureux, sur la base desquels les clients, c'est-à-dire les personnes visées par les mesures de renvoi et les mesures de détention, ont une vision extrêmement erronée de l'ensemble du système d'immigration.

Permettez-vous de vous faire part de certaines croyances qu'ont les clients du système d'immigration. Ces gens pensent, eu égard aux mesures de renvoi, que les agents d'immigration, pour exécuter une mesure de renvoi, viendront les arrêter la nuit chez eux, les sortiront de leur domicile en pyjama ou viendront les arrêter sur leur lieu de travail, devant leurs collègues. Est-ce que cette croyance est fondée? Oui et non. Il est évident que la majorité des agents d'immigration ne procèdent pas de cette façon, mais il y a eu des incidents de la sorte, parfois de grande envergure.

Laissez-moi vous rappeler, par exemple, qu'il y a à peine un peu plus de deux ans, dans la communauté zaïroise de Montréal—le Zaïre est maintenant appelé République démocratique du Congo—, on a procédé à de telles arrestations massives en pleine nuit, dans cette communauté spécifiquement, et on a tiré des gens de leur domicile en pyjama. On a aussi convoqué de façon réelle des gens sous de faux prétextes dans les centres d'immigration pour les détenir à des fins de renvoi. Ces incidents malheureux persistent dans la mémoire de nos clients, et de telles arrestations, même si elles ne se font plus sur une grande échelle, arrivent encore occasionnellement aujourd'hui, dans du cas à cas, dans la région de Montréal.

Comme avocats qui pratiquons et qui vivons avec ces gens tous les jours, nous nous faisons poser la question: «Maître Montbriand, maître Fiset, si je coopère avec les autorités de l'immigration, est-ce qu'on va venir m'arrêter sur les lieux de travail? Est-ce qu'on va venir m'arrêter chez moi en pleine nuit?» La réponse que nous leur donnons est celle-ci: «Normalement, ça ne devrait pas arriver. Malheureusement, monsieur, madame, je ne peux pas vous garantir que ça n'arrivera pas.» Il nous est impossible de le garantir, puisque les autorités de l'immigration ne peuvent pas nous le garantir, mais surtout parce que les règles ne sont pas claires.

Laissez-moi vous donner quelques autres exemples. Les personnes visées par une mesure de renvoi pensent, et leur croyance est concrète cette fois, qu'on ne leur accordera pas de délai raisonnable pour liquider leurs biens qui sont au Canada, pour régler les questions scolaires de leurs enfants qui étudient au Canada, parfois depuis un an ou deux, pour liquider leur bail avec leur bailleur. Ces gens-là ont des obligations légales et ils ont besoin d'un minimum de délai. On ne parle pas de plusieurs mois, mais de quelques semaines. Ces gens croient qu'on ne va même pas leur accorder ce délai, et c'est un fait que plusieurs agents du ministère qui travaillent à l'unité des renvois n'accordent pas de délai minimum aux personnes pour qu'elles puissent faire leurs arrangements personnels de départ.

• 1120

Dans le même ordre d'idées, les gens croient qu'on ne va pas leur permettre de quitter par leurs propres moyens pour aller vers le pays de leur choix. Il règne une mentalité contraire à la loi, à mon avis, au sein de l'unité des renvois à Montréal, mentalité qui fait en sorte qu'on empêche les gens de quitter par leurs propres moyens pour aller dans un pays autre que leur pays de citoyenneté. On leur confisque même leur passeport pour les empêcher de faire une telle tentative.

Quels sont les autres éléments qui minent les relations entre les clients et le ministère? Quand on procède à un renvoi, on cache parfois le numéro du vol sur lequel la personne sera renvoyée, empêchant ainsi ses amis et sa famille au Canada de tenter de l'accompagner, mais surtout empêchant sa famille à l'étranger ou même les ONG à l'étranger de l'accueillir à son arrivée dans un pays où elle craint parfois pour sa sécurité. Je parle de l'accueillir, mais il s'agit aussi de surveiller son arrivée.

Pourquoi les gens ne font-ils pas confiance aux autorités? Parce qu'ils croient que les agents d'immigration vont informer le gouvernement étranger de leur arrivée, qu'ils vont même aller parfois les remettre entre les mains des autorités à l'étranger.

Pourquoi n'ont-ils pas confiance? Parce qu'ils ont entendu parler dans les journaux de cas concrets de personnes qui ont été droguées pour leur renvoi sans aucune supervision médicale, de gens qui ont été menottés pour leur renvoi, de gens à qui on a mis les fers aux pieds pour leur renvoi. Je ne veux pas faire de sensationnalisme, mais il reste qu'un cas très contemporain comme celui du jeune Dominicain qui a été expulsé il y a très peu de temps du Canada, à qui on avait amputé les deux pieds mais qu'on a malgré tout menotté, est un cas qui s'imprime dans la mémoire des gens qui sont visés par une mesure de renvoi.

Une voix: C'est honteux.

Me Jean-Michel Montbriand: La position de notre association là-dessus, et nous avons fait une conférence de presse hier, c'est qu'il doit absolument y avoir une enquête publique sur ce cas. Devant ce manque total de confiance entre, d'une part, les personnes visées par une mesure de renvoi et, d'autre part, le ministère de l'Immigration, nous vous soumettons respectueusement qu'il est essentiel, comme l'ont d'ailleurs recommandé d'autres autorités peut-être plus prestigieuses que la nôtre, comme M. Tassé dans son rapport, qu'un code d'éthique soit établi pour les agents travaillant à l'unité des renvois au ministère de l'Immigration.

Évidemment, ce code d'éthique doit être public. Il faut que les gens connaissent les règles selon lesquelles les agents doivent fonctionner et il faut que ce code d'éthique soit associé à un mécanisme efficace, le cas échéant, de plaintes et d'enquêtes quand les gens considèrent que le code d'éthique n'a pas été respecté.

Nous pensons que les personnes visées par une mesure de renvoi ont des obligations. Elles ont aussi des droits. Malheureusement, ces personnes sont très mal informées de leurs obligations et de leurs droits. Selon l'agent d'une unité de renvoi avec qui on peut traiter un cas, les exigences varient. Évidemment, les obligations de la personne visée par la mesure de renvoi varient en conséquence. D'un agent à l'autre, les exigences ne sont pas les mêmes.

Les gens ne savent pas non plus ce qu'ils doivent faire comme démarche. Souvent, en bout de ligne, les personnes visées par une mesure de renvoi n'ont plus d'avocat qui travaille pour elles. Je pense que l'agent d'immigration qui les convoque la première fois pour préparer l'exécution de la mesure de renvoi se doit de les informer de leurs droits mais aussi de leurs obligations et de ce qu'on attend d'elles en général.

• 1125

Plusieurs personnes, par exemple, n'ont pas de documents de voyage et sont déchirées entre leurs craintes de contacter leur ambassade, d'une part, et le fait que certains agents d'immigration exigent à tout prix et considèrent même qu'il est normal que tout cela soit fait, connu et réalisé par la personne avant même qu'elle n'arrive à sa première entrevue pour le renvoi.

Mais les gens ont de la difficulté à faire ça, non seulement parce qu'ils ne connaissent même pas ces choses, mais aussi parce qu'ils ont des craintes. Peu importe que ces craintes soient subjectives ou objectives, ce sont des craintes réelles dans l'esprit de ces gens-là.

Nous avons noté qu'on recommandait dans le rapport Au-delà des chiffres que les clients du système d'immigration soient informés de leurs droits au moyen d'espèces de dépliants, ce qui serait, par ailleurs, utilisé contre eux si jamais ils dérogeaient à une information contenue dans ces dépliants.

Nous sommes évidemment d'accord sur l'aspect informatif de ces dépliants, mais il nous semble illusoire d'ériger ces dépliants ou ces documents d'information en règlement et d'imposer, parce que c'est ce que le rapport sembler suggérer à certains égards, une détention quasi automatique dans le cas où une personne ne se conformerait pas à une obligation qui lui aurait été expliquée dans un dépliant.

Chaque cas est un cas d'espèce. Comme vous le savez sûrement, on peut avoir affaire, au ministère de l'Immigration, à des ressortissants de plus de 160 ou 170 pays dans le monde. Nous faisons face à une myriade de cultures et également à une myriade de niveaux d'éducation chez cette clientèle. Je pense qu'il est impossible, dans un objectif d'information, d'essayer de transformer ça en contrat avec ces clients, auxquels on pourrait reprocher quelque chose s'il y avait un accroc.

Nous sommes évidemment, et notre document déposé auprès de la ministre l'explique de façon très détaillée, totalement contre le démantèlement proposé—parce que c'est bien de cela qu'il s'agit—de la CISR, et notamment de la section d'appels de la CISR qui, dans une des dimensions de son travail, doit décider non seulement de la légalité mais aussi de l'opportunité de certaines mesures de renvoi, qui peut les maintenir ou les annuler, et parfois—ce qui est extrêmement positif et fait partie de notre culture judiciaire en droit de l'immigration depuis plus de 30 ans maintenant—peut surseoir à ces mesures de renvoi pour permettre à la personne visée de démontrer qu'elle s'est «réhabilitée».

Vous devez aussi comprendre que dans la méfiance que ressentent les personnes visées par une mesure de renvoi, il y a aussi des facteurs qui tiennent au fait que, dans le système de détermination des revendications du statut de réfugié, ces gens-là ont le sentiment—et je dois vous dire que les avocats sont totalement d'accord sur cette perception—qu'il n'y a aucun mécanisme efficace et réel pour corriger une erreur si la section du statut de réfugié se trompe en rendant une décision négative.

Certains mécanismes sont en place, effectivement, mais ce sont des mécanismes partiels. Ce sont des mécanismes qui n'offrent qu'une possibilité d'intervention extrêmement réduite et qui ne permettent pas de corriger toutes les erreurs.

• 1130

Évidemment, les mécanismes auxquels je fais allusion sont, tout d'abord, le contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, qui n'est pas un appel mais vraiment un recours qui permet d'intervenir uniquement quand une erreur déraisonnable a été commise par la section du statut de réfugié, et, ensuite, le système ou le programme pour la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada—auquel on fait souvent allusion par son acronyme anglais PDRCCC—qui, nous vous le soumettons respectueusement, est une faillite quasi totale depuis sa mise en vigueur en 1993, tel que les statistiques le démontrent notamment.

Maintenant, en ce qui concerne la détention, nous voudrions d'abord attirer votre attention sur le fait qu'il y a d'énormes différences dans les décisions rendues par les arbitres en matière de détention, d'un arbitre à l'autre et d'une région à l'autre du Canada. Nous croyons que la section d'arbitrage de la CISR est un tribunal primordial et important, mais qui nécessite une cohérence décisionnelle beaucoup plus grande. Il est inadmissible qu'une révision de détention soit l'équivalent d'un jeu de roulette russe pour en déterminer le résultat.

Les révisions de détention ne sont pas un phénomène nouveau au Canada. Toutes nos cours criminelles, d'un océan à l'autre, traitent de ces questions journellement. Et pourtant, je ne crois pas que ces cas de révision de détention, qu'on appelle souvent, selon le Code criminel, enquête sur cautionnement, fassent la manchette des journaux très fréquemment.

De fait, lorsqu'un avocat criminaliste comparaît devant la section d'arbitrage de la CISR, il est toujours un peu surpris de voir que ces personnes qui ne sont soupçonnées d'aucun crime sont traitées par ce tribunal avec des exigences beaucoup plus grandes que les prévenus qui comparaissent devant les tribunaux criminels au Canada. Les conditions imposées aux détenus en matière d'immigration sont souvent beaucoup plus dures qu'en matière criminelle, et les détentions sont malheureusement plus fréquentes. Il est exact qu'en matière d'immigration, et il faut se le rappeler, on peut détenir une personne pour deux raisons. L'une est que l'on pense que cette personne constitue un danger pour le public, et je ne me préoccupe pas de ces cas-là aujourd'hui car je pense que ce sont des cas clairs du fait que la preuve peut être faite qu'une personne constitue un danger pour le public et que, dans ce cas, la section d'arbitrage remplit bien son rôle. Ce sont plutôt les autres cas qui me préoccupent, les cas où on détient des personnes qui n'ont pas de pièces d'identité suffisantes ou des personnes qui, d'après ce que l'on pense, ne vont pas se présenter à leur enquête d'immigration ou ne vont pas se présenter pour l'exécution de leurs mesures de renvoi. Nous nous préoccupons de ces personnes pour lesquelles il ne se pose aucune question au sujet d'un quelconque danger qu'elles pourraient représenter.

Le rapport Au-delà des chiffres, qui suggère finalement d'abolir la CISR, suggère implicitement d'abolir la section d'arbitrage par le fait même et de remplacer les arbitres indépendants par des agents d'immigration.

Nous vous soumettons, tel que nous l'avons développé dans le mémoire dont une copie vous a été remise aujourd'hui, qu'il serait insensé et que ce serait un retour en arrière que de confier cette tâche de la révision de la détention à des agents d'immigration.

• 1135

Cette situation a déjà existé sous l'ancienne Loi sur l'immigration et n'a pas donné de bons résultats. Le système a été modifié pour créer un poste de décideurs indépendants. Les arbitres, je vous le rappelle, ont été des employés du ministère de l'Immigration jusqu'en 1993. Il y a donc eu une lente évolution. Tous les intervenants externes ont toujours demandé une indépendance encore plus grande de ces arbitres par rapport au ministère. N'oublions pas que ceux qui viennent plaider la détention devant les arbitres sont aussi des employés du ministère.

Nous avons obtenu cette indépendance en 1993, et c'est pourquoi les arbitres font maintenant partie d'une section à part entière de la CISR. Nous croyons que ce serait une erreur de revenir en arrière, mais nous croyons cependant qu'il y a place à amélioration et qu'il est nécessaire de mieux encadrer le travail de ces arbitres.

La présidente de la CISR a émis dernièrement des directives en matière de détention pour ces arbitres. Ces directives sont un excellent pas en avant pour assurer—il ne s'agit pas de dicter aux arbitres les décisions qu'ils doivent prendre—une certaine cohésion décisionnelle. Nous pensons que ces directives sont un ajout primordial à la pratique.

J'aimerais cependant attirer votre attention sur une faille importante de ces directives car, au niveau des mesures alternatives à la détention, ces directives n'envisagent malheureusement que des dépôts ou des cautions en argent et/ou des engagements financiers d'une nature similaire. Même devant les cours criminelles, il y a un éventail de mesures alternatives à la détention beaucoup plus développées et beaucoup plus larges entre la détention et la caution.

Messieurs et mesdames les membres du comité, il y a beaucoup d'autres mesures qu'il est possible d'imposer à des individus. De fait, dans notre pratique avec certains arbitres, nous réussissons à les convaincre d'imposer des mesures alternatives. Quelles sont les mesures alternatives? Vous en avez tous vu et entendu parler en écoutant de bonnes émissions de télé ou des séries policières. On peut ordonner à une personne de se présenter de façon régulière au bureau d'immigration. Ce sont des choses qui se font à Montréal mais, malheureusement, de façon rarissime.

Par exemple, on ordonne à une personne de se présenter le lundi de chaque semaine. On peut ordonner à la personne de ne pas quitter un certain territoire. On peut ordonner à la personne de ne pas s'approcher des frontières. On peut ordonner à la personne de ne pas s'approcher d'un aéroport. On peut ordonner à la personne, non pas de nous aviser de son changement d'adresse, mais d'aviser le ministère avant de changer d'adresse et de faire autoriser ce changement, surtout si le changement déborde le territoire auquel elle est confinée. On peut obliger la personne à fournir les coordonnées de son employeur et même l'obliger à aviser en cas de changement au niveau de l'emploi. On peut également imposer comme condition à une personne qu'on voudrait renvoyer l'obligation de coopérer pour demander un passeport ou un document de voyage. Et on peut aussi, par exemple, l'obliger à rencontrer les fonctionnaires du ministère et/ou les instances de la CISR qui ont à juger de son cas.

Il y a plusieurs autres possibilités. En matière de détention comme en matière de renvoi, nous pensons qu'il doit aussi exister un mécanisme réel et indépendant du ministère qui permette de se plaindre des agissements des fonctionnaires lorsqu'on considère que la détention est injustifiée ou a été imposée abusivement.

• 1140

Je vous rappelle que, selon la loi, les agents d'immigration ont le pouvoir d'arrêter des personnes et de les détenir pendant 48 heures sans se rapporter à quiconque. Il n'y a aucun organisme qui surveille leur pouvoir d'arrestation, et leur décision de détention n'est vérifiée que 48 heures après l'action. Il est nécessaire que les gens puissent compter—parce que souvent les détentions sont faites, en plus, en vue d'un renvoi éventuel—sur un organisme auquel ils puissent faire part de leurs doléances et que les gens aient confiance en cet organisme.

Les séances d'enquêtes à huis clos et les enquêtes secrètes sur des bavures en matière d'immigration concernant des questions de détention ou de renvoi doivent cesser. Il doit y avoir de la transparence, sinon la confiance qui n'existe pas entre les clients et le ministère ne sera jamais rétablie. Tant que cette confiance ne sera pas rétablie, le public n'aura pas confiance dans le système parce que le système ne va pas fonctionner.

Je vous ai fait part de mes remarques concernant le renvoi et la détention. Je pense que mon collègue voudrait ajouter quelques mots.

[Traduction]

Le président: Allez-y.

M. Jean-François Fiset (vice-président, Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration): Je m'adresserai tout d'abord aux membres du comité en anglais et je poursuivrai en français.

J'aimerais tout d'abord vous dire que dans toute situation nous devons toujours envisager les cultures en cause. Le tissu social du Canada évolue de toute évidence et l'avenir du Canada repose sur l'immigration. Il s'agit d'une réalité que nous avons tendance à oublier. Nous ne faisons plus d'enfants au Canada ou du moins les décès l'emportent sur les naissances. Ce sont les immigrants qui ont découvert et façonner ce pays et c'est encore plus vrai que jamais aujourd'hui.

Nous avons de l'avenir dans cette profession parce que nous sommes des spécialistes de l'immigration mais surtout parce que nous sommes des êtres humains. J'essaye de me définir en tant qu'être humain et je n'oublie jamais que j'en suis un. Je ne suis pas un animal et il y a des comportements auxquels je m'attends, ce qui englobe le respect que je porte aux gens qui m'entourent et vice versa et celui que je témoigne à mes clients.

Je me définis aussi en tant qu'avocat ce qui me donne des responsabilités et des obligations. J'ai choisi ma profession en toute connaissance de cause: je voulais être avocat.

Je me définis également comme un défenseur des droits de la personne ce qui rétrécie le cercle. En effet nous parlons souvent le même langage, éprouvons les mêmes difficultés, vivons sur la même planète. De plus les questions de droits de la personne sont vraiment une composante fondamentale de mon travail. Il arrive souvent que ce travail soit totalement bénévole; nous ne sommes pas rémunérés pour défendre les droits de la personne.

Si j'ai fait ces observations c'est que beaucoup de choses que nous tenons pour acquis, par exemple le fait d'exposer son point de vue devant ce comité, sont un privilège que n'auront jamais un grand nombre des gens que nous représentons. Je remercie donc les membres du comité de nous avoir invités comme porte-parole de toutes les personnes qui ne peuvent se faire entendre. Nous les représentons ainsi qu'une association qui se battra pour que soient respectés une bonne partie des droits que beaucoup de gens se sont vus refuser. Voilà essentiellement en quoi consiste notre travail.

C'est la première fois que je me présente ici et ce n'est probablement pas la dernière. En ce qui me concerne, il s'agit d'un processus éducatif. Nous avons des connaissances spécialisées. Nous représentons les gens devant les tribunaux. Nous parlons à quantité de défenseurs des droits de la personne, d'avocats, d'éducateurs et de professeurs qui sont venus ici à titre d'immigrés ou de réfugiés. Ainsi, nous avons aussi une responsabilité parce que nous sommes les porte-parole d'un groupe d'avocats.

Notre expérience quoique vaste n'est pas toujours positive. Je vais vous donner un exemple et vous laisser tirer vos propres conclusions. Il y a environ deux ans j'ai représenté un jeune latino-américain qui avait revendiqué le statut de réfugié. Il n'était pas un criminel et n'avait rien fait d'exceptionnel, sauf peut-être de ne pas avoir présenté les documents de voyage voulus lorsqu'il a revendiqué le statut de réfugié. Cependant, à la différence de certaines autres personnes, l'agent d'immigration a décidé de le placer sous garde.

• 1145

J'ouvre ici une parenthèse: le parallèle établi par mon collègue, Jean-Michel, est tout à fait pertinent. Quiconque a pratiqué ou étudié le droit pénal saura que nous redoutons beaucoup les pouvoirs conférés à un agent de police. Je dis—et je pratique également le droit pénal—que si vous voulez avoir une idée exacte des pouvoirs détenus par un agent d'immigration, vous pouvez multiplier par dix ce que je vais dire. Vous aurez ainsi une idée assez juste des pouvoirs en question: le pouvoir de détenir une personne, le pouvoir de confisquer des documents, le pouvoir d'amener cette personne à un centre de détention ou d'interrogation et le pouvoir, éventuellement, de rédiger un rapport pour travail illégal ou pour non-possession des documents voulus.

Un agent d'immigration est habilité à rédiger un rapport alléguant que la personne a perdu son statut de résident. Ainsi la personne est un résident, mais nous présumons qu'elle a perdu son statut de résident. Nous pouvons confisquer les documents qui disent que cette personne est un résident et la soumettre à une enquête. Beaucoup d'éléments entrent en ligne de compte. Et pourtant nous ne comprenons pas la frayeur qu'inspirent souvent à certains clients les agents d'immigration. Eh bien! Si vous avez la chance d'assister à une rencontre entre un immigrant et un agent d'immigration, vous verrez à quel point il tremble, sa voix est chevrotante et dans quelle mesure il craint souvent ces agents, avec certaines raisons.

Pour revenir à mon exemple, à mon histoire, ce jeune homme était dans un centre de détention. Nous nous sommes présentés devant un arbitre à au moins deux reprises pour tenter, au moyen d'arguments, d'obtenir sa libération. N'ayant pas de famille, il n'a pas pu payer la caution et la détention a été maintenue. Cela signifiait à l'époque une révision automatique dans les sept jours. À l'heure actuelle, la première détention est de 48 heures, suivie d'une autre de 7 jours, d'une autre de 30 jours, tous les 30 jours.

Je lui ai donc dit que j'étais désolé, mais qu'il devrait rester en détention une autre semaine. Il téléphonait à mon bureau pour me demander une seule chose: «Quand vais-je recouvrer ma liberté? Vais-je être libre? Va-t-on me libérer»

Je me suis présenté un jour pour une révision des motifs de la détention, c'était un vendredi. C'est comme si j'y étais encore. C'était il y a environ deux ans et je n'ai pas oublié. L'agent d'immigration m'a dit alors: «Êtes-vous au courant de ce qui est arrivé à votre client?» Je lui ai répondu: «Non, je ne suis pas au courant de ce qui lui est arrivé». Elle m'a alors annoncé qu'il avait tenté de se suicider au centre de détention. Il avait essayé d'utiliser le cordon téléphonique. Un agent du centre l'a aperçu et l'a sauvé de justesse. Il a ensuite été envoyé à l'Institut Pinel où on l'a confié aux soins d'un psychologue.

Donc j'ai répondu, «Non, on ne m'en a même pas informé. Après tout, je suis simplement son avocat.» Ni l'agent d'immigration, ni les responsables au centre n'ont jugé approprié de me mettre au courant de la situation. Mon nom était sur le dossier. J'avais été son avocat devant le tribunal. J'étais toujours son avocat à ce moment-là.

Quoi qu'il en soit, on m'a dit en plus que le client devrait comparaître devant le tribunal pour la révision des motifs de sa détention. J'étais complètement stupéfait. J'ai dit, «Il a essayé de se suicider hier et vous l'amenez ici pour une révision des motifs de sa détention?»

Il a comparu. Il était blanc comme un drap, abruti par les médicaments, complètement perdu. Il avait des marques sur le cou. Il est allé à la fenêtre, et il y avait un garde qui était là, il a regardé dehors, son corps était là mais pas son esprit. Je me suis alors demandé qu'elle était l'utilité d'amener cette personne ici devant le tribunal le lendemain de sa tentative de suicide. J'aurais accepté de maintenir la détention parce qu'il était suivi par un psychologue à l'époque.

Tous les sept jours après cela, il a été ramené devant le tribunal et je crois qu'il y a eu dix audiences. On ne m'a jamais demandé de consentir à la détention, ce que j'aurais pu faire puisque j'étais son avocat. Rien dans la loi n'exigeait qu'il comparaisse devant l'arbitre. Or, on l'a obligé à comparaître. Il a fallu beaucoup de temps pour régler le dossier et lorsque les médecins ont été convaincus qu'il était rétabli, il a été libéré et l'Immigration ne s'est pas opposée à sa libération.

• 1150

Ce cas m'amène à me poser beaucoup de questions. Tout d'abord, pourquoi a-t-il été détenu? Il avait fait une demande de revendication du statut de réfugié et son cas n'était pas si différent des autres. Pourquoi l'agent d'immigration l'a-t-il détenu à ce moment-là? C'est l'une des questions que je me pose.

Deuxièmement, s'il n'avait pas été détenu, il n'aurait probablement pas fait de tentative de suicide. Donc, il y avait un lien direct entre la détention et une situation qu'il avait déjà vécue.

Pourquoi le centre ou l'agent d'immigration ne m'ont-ils pas informé moi, son avocat, de sa tentative de suicide?

Pourquoi l'a-t-on amené devant le tribunal, vu son état? La loi prévoit que j'avais le mandat de le représenter. Pourquoi alors le faire comparaître ce jour-là? Et pourquoi le faire comparaître tous les sept jours, ce que j'aurais pu facilement lui éviter en le représentant et en indiquant que sa situation ne s'était pas améliorée, et en pouvant ainsi procéder à l'enquête et consentir à sa détention? J'aurais très bien pu le faire, ce qui aurait sans doute permis de faire des économies puisqu'il n'aurait pas été nécessaire qu'un arbitre et un agent d'immigration soient présents chaque fois.

Voilà les questions que j'ai soulevées. Cela indique le genre de pouvoir que possède l'Immigration. Si ce pouvoir n'est pas bien exercé, les conséquences risquent d'être très graves pour l'avenir de la personne en question, car cela laisse évidemment des traces.

Les choses ont-elles changé depuis que nous avons modifié la loi? Je n'en suis pas sûr. Nous pouvons changer les modalités de la révision mais si nous ne changeons pas la mentalité de ceux qui appliquent la loi, nous ne changerons pas grand-chose.

Je vous donnerai quelques exemples de choses qui sont toujours en vigueur. Il y a de très longues périodes de détention à des fins de renvoi. Un grand nombre de nos collègues représentent des personnes qui ont été détenues pendant plus de trois mois, quatre mois, six mois ou même un an. L'Immigration prend beaucoup de temps à émettre l'ordonnance de renvoi et à procéder effectivement au renvoi à cause d'un certain nombre de problèmes—que ce soit à cause de l'impossibilité d'obtenir un passeport ou du manque de collaboration du pays d'origine de la personne en question.

Le système présente des lacunes évidentes, mais parfois le demandeur pourrait mieux se débrouiller s'il n'était pas détenu parce qu'il ne peut pas faire grand-chose pendant qu'il est détenu. Un appel téléphonique sera transmis à son avocat mais pas nécessairement à sa famille. Parfois, il doit se présenter à l'ambassade pour signer un document. Donc, nous n'arrêtons pas d'appliquer la loi mais parallèlement nous ne facilitons pas le traitement du cas.

À un certain stade, cette détention devient de toute évidence abusive, contraire à la Charte, mais est maintenue parce que l'Immigration s'oppose à la mise en liberté de cette personne. Cela coûte beaucoup d'argent aux contribuables et le dossier ne progresse pas vraiment. On finit donc par devoir libérer cette personne parce qu'il est impossible d'exécuter l'ordonnance ou qu'il y a très peu de chances de le faire.

Voilà le genre de choses qui se passe. Je ne dis pas que c'est le cas pour tout le monde, mais ces cas sont trop fréquents et la détention n'est pas le seul moyen dont on dispose pour exécuter l'ordonnance.

Le président: Je vous remercie.

Comme nous avons un horaire très serré, nous devons maintenant passer aux questions. Chaque intervenant pourra poser une question, après quoi nous verrons où nous en sommes. Êtes-vous d'accord? Très bien.

Nous commencerons par M. Reynolds.

M. John Reynolds (West Vancouver—Sunshine Coast, Réf.): Je n'ai qu'une question. Vous avez parlé de l'incarcération des criminels et nous comprenons pourquoi il faut incarcérer une personne qui a un casier judiciaire. Mais vous venez de mentionner le cas d'une personne qui n'a pas de nom ni de pièce d'identité. Comment savons-nous, si cette personne n'a pas de nom ni de pièce d'identité lorsqu'elle se présente à la frontière, qu'elle n'est pas un criminel ou qu'elle n'a pas une forme de maladie contagieuse? Il faut que quelqu'un prenne cette décision.

Que proposeriez-vous à cet égard? Ces gens font ce travail depuis longtemps. Je suppose, comme dans n'importe quel cas, s'ils voient les gens qui arrivent, certains leur inspirent des doutes, mais quand quelqu'un n'a pas de pièces d'identité... Je sais que sur le plan des droits de la personne, vous répondrez que s'ils n'ont pas de pièces d'identité c'est parce qu'ils ne peuvent pas en obtenir, qu'ils sont des fugitifs. Mais lorsqu'ils sont montés à bord de l'avion, ils en avaient. Ils pourraient au moins être honnêtes et dire, «C'est une fausse pièce d'identité, et c'est la raison pour laquelle je l'ai—j'ai dû m'enfuir.»

• 1155

Il y a bien des choses qui se passent, mais comment protégeons-nous les Canadiens, car cela doit être notre souci premier: protéger le Canadien moyen. Nous ignorons qui sont ces gens et pourtant nous en laissons certains se promener en toute liberté et bien entendu il arrive, comme cela a été le cas dans ma région, qu'on finisse par s'apercevoir que ces gens posent des problèmes parce qu'ils ont un casier judiciaire dans leur pays, et pourtant nous les laissons se promener en toute liberté.

Que proposeriez-vous, comme avocats, pour régler ce problème?

M. Jean-Michel Montbriand: Tout d'abord, Monsieur Reynolds, d'après mon expérience, les gens qui ont un casier judiciaire ou pire encore, qui ont commis des crimes contre l'humanité, par exemple, ne viennent pas ici habituellement sous leur propre nom et avec leurs propres pièces d'identité. Ils ont des faux papiers très convaincants.

Tout cela pour dire que dans bien des pays, il est malheureusement très facile d'obtenir de faux papiers, non seulement pour voyager mais de faux papiers d'identité pour entrer au Canada, par exemple. Donc, il n'existe pas de système entièrement fiable.

Il ne fait aucun doute que les empreintes digitales sont un bon moyen. Le prélèvement des empreintes digitales est maintenant obligatoire pour ceux qui demandent le statut de réfugié. Je crois que ce système est en vigueur depuis 1993. De plus, depuis l'adoption du projet de loi C-44, logiquement, je dirais qu'il existe désormais certains liens entre le ministère de l'Immigration, la GRC et le SCRS, non seulement en aval du système mais aussi en amont, pour vérifier les antécédents criminels et l'existence de casiers judiciaire. C'est à mon avis la meilleure façon de procéder à une vérification car même si quelqu'un a, supposons une pièce d'identité de la Guinée, comment peut-on être sûr qu'il s'agit d'une véritable pièce d'identité et que cette personne peut se promener en toute liberté chez nous?

M. John Reynolds: J'aimerais simplement vous poser une question. Seriez-vous d'accord alors pour qu'on place sous garde les gens une fois qu'on a prélevé leurs empreintes digitales? On aurait sans doute besoin de 24 ou 48 heures pour faire vérifier leurs empreintes digitales par Interpol, par le système américain et canadien. Ils ne pourraient être libérés qu'après que ces vérifications aient été faites et aient permis de constater qu'ils n'ont pas de casier judiciaire.

M. Jean-Michel Montbriand: Non, je ne serais pas d'accord pour qu'on place ces gens sous garde. Ce serait calquer la politique en vigueur aux États-Unis, et le Canada n'est pas les États-Unis. Je ne crois pas que nous voulions d'un système comme le leur et je ne crois pas que nous voulions avoir littéralement des camps où nous détenons des gens pendant toute la période de leur audience ou pendant le temps nécessaire pour déterminer leur identité.

Je pense que la grande majorité des gens qui viennent au Canada pour revendiquer le statut de réfugié ne disparaissent pas tout simplement dans la nature les jours qui suivent. La plupart ont une adresse vers laquelle ils ont été dirigés ou seront pris en charge par les services sociaux ou le YMCA local et ainsi de suite. Je crois que si le ministère fait sa vérification rapidement, elle sera faite pendant une période où il est possible de joindre la personne en question.

En ce qui concerne les véritables criminels, ceux qui utilisent le Canada simplement comme pays intermédiaire pour aller ailleurs, peut-être aux États-Unis, vous ne les trouverez pas de toute façon. Et ils auront des papiers parfaits, même un vrai passeport, peut-être même une carte d'identité avec leurs empreintes digitales prélevées dans leur pays parce que ce système existe dans certains pays. Donc, je ne considère pas que la solution consiste à placer tout le monde sous garde dans l'espoir d'en attraper quelques-uns qui réussiront à contourner un système qui ne peut jamais être parfait.

Le président: Monsieur Saada.

[Français]

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Je vous remercie de cette présentation.

Si je devais faire la synthèse de vos présentation par un seul mot, je pense que le premier mot qui me viendrait à l'esprit serait «arbitraire». Toutes les choses que vous avez dites concernent aussi bien le manque de règles que, par exemple, les pouvoirs de l'agent, qui sont énormes et par conséquent sujets à l'arbitraire, ainsi que le traitement accordé aux personnes visées, qui varie selon les régions.

• 1200

Donc, si on parle d'arbitraire tout le long de la présentation, est-ce que je dois comprendre qu'au fond, ce n'est pas tant la loi actuelle qui pose problème mais beaucoup plus la façon dont elle est appliquée? Et est-ce que je ne devrais pas comprendre, en conséquence, que votre préoccupation porte surtout sur les critères, sur l'encadrement de cette loi et sur le détail de la loi?

Me Jean-Michel Montbriand: Je pense que vous avez raison. En matière de renvoi et de détention spécifiquement, nous ne croyons pas qu'il y ait nécessité de changement législatif. Nous croyons qu'il y a nécessité de changement de mentalité d'abord, et surtout d'instauration—et je ne pense pas que ça nécessite de changement législatif—de lignes directrices minimales connues de tous et d'un encadrement—une espèce de mécanisme de monitoring—des plaintes qui permettrait aux gens d'avoir confiance dans le système. Vous n'avez pas tort, en effet, de résumer notre présentation en disant que nous parlons beaucoup d'arbitraire, mais nous essayons aussi d'être positifs et nous parlons beaucoup également de rétablir la confiance entre les clients et le ministère. Merci.

Le président: Monsieur Ménard.

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): J'ai trois courtes questions. Dans un premier temps, je vous demanderais de nous parler du code d'éthique que vous souhaitez voir adopter. Donnez-nous plus de détails sur ce que vous entendez par le code d'éthique et dites-nous quelles en seraient les principales dispositions.

Deuxièmement, vous avez parlé de la nécessité d'une plus grande cohérence décisionnelle dans la section d'arbitrage. J'aimerais que vous reveniez là-dessus pour que nous comprenions mieux.

Troisièmement, vous dites que certaines conditions de détention des candidats à l'immigration sont plus dures que pour des criminels de droit commun. Expliquez-nous cela.

Me Jean-Michel Montbriand: Je vais commencer par votre dernier point. Si à Montréal, monsieur, vous êtes accusé d'avoir battu votre femme, ce qui est un crime grave, vous allez, à moins qu'il n'y ait une preuve directe, un témoin de la scène ou une question de récidive, être libéré en moins de 24 heures selon toute vraisemblance. Dans le cas où vous auriez la malchance d'être arrêté un vendredi soir, vous resteriez en cellule jusqu'au lundi.

On va vous imposer des conditions sévères, certes, comme de ne pas communiquer avec la victime ou de vivre ailleurs, etc., mais on ne va pas vous détenir. Et pourtant, l'accusation est quand même assez grave. Comparez cette accusation avec celle du jeune homme de tout à l'heure, le Latino-Américain qui fait une revendication du statut de réfugié et qui n'a pas tous ses papiers d'identité, ce qui fait qu'on le soupçonne de Dieu sait quoi, comme de vouloir s'évanouir dans la nature, alors qu'en fait, il souhaite seulement obtenir un statut au Canada. On a peine à croire qu'il vient ici pour devenir illégal.

Je ne sais pas si cela répond à votre question. La pratique de tous les jours peut parfois ressembler à cela.

M. Réal Ménard: Merci. Parlez-nous du code d'éthique maintenant.

Me Jean-Michel Montbriand: En ce qui concerne le code d'éthique—et cela recoupe un peu notre idée des obligations qu'aurait la clientèle—, nous pensons que l'agent d'immigration doit informer les personnes visées par une mesures de renvoi du fait qu'on attend d'elles qu'elles fassent des démarches pour obtenir un passeport.

M. Réal Ménard: Mais qui va voir à l'application du code d'éthique?

Me Jean-Michel Montbriand: Nous croyons qu'une fois le code d'éthique établi et publicisé, et nous espérons que ce sera en consultation avec les ONG et les divers barreaux, il devra être nécessairement coiffé d'un mécanisme de plaintes pour les cas où il ne serait pas respecté.

• 1205

M. Réal Ménard: Disons que dans votre compréhension de ce que doit être ultimement un code d'éthique, dont je comprends que vous souhaitez qu'il soit le plus neutre possible et appliqué par une partie tierce, vous n'êtes pas nécessairement en mesure de nous dire ce matin qui en serait le responsable. Ce serait un genre d'ombudsman de l'immigration. C'est à parfaire.

Me Jean-Michel Montbriand: C'est à parfaire.

M. Réal Ménard: Vous parlez d'une plus grande cohérence décisionnelle dans la section de l'arbitrage. Que voulez-vous nous en redire pour que ce soit clair pour nous?

Me Jean-Michel Montbriand: J'aimerais ajouter un point sur le code d'éthique. L'utilisation de la force et d'appareils qui restreignent la liberté est évidemment une chose qui devrait être bien encadrée dans un document. Je ne sais pas s'il sera nécessaire d'écrire qu'on n'a pas besoin de menotter quelqu'un qui est amputé des deux pieds. Cela devrait aller de soi. Je pense que c'est nécessaire de l'expliciter.

M. Réal Ménard: Vous savez que même la ministre, avec sa petite voix correcte et son tailleur à la dernière mode, souhaitait un peu plus de compassion. Alors, vous voyez que les choses cheminent, bien que la situation puisse paraître désespérée.

Me Jean-Michel Montbriand: J'ai été heureux d'entendre la déclaration.

M. Réal Ménard: Que pouvez-vous nous dire de la plus grande cohérence décisionnelle?

Me Jean-Michel Montbriand: Évidemment, la cohérence est au niveau des conditions de libération. C'est à ce niveau-là qu'on s'en inquiète. Nous considérons que les lignes directrices de la présidente, comme je le disais plus tôt, sont un excellent pas dans la bonne direction, mais qu'il faut, encore là, créer un mécanisme de surveillance.

D'ailleurs, nous avons remarqué que d'autres intervenants qui ont comparu devant vous, d'autres témoins, ont aussi demandé qu'il y ait ce qu'on pourrait appeler un mécanisme de suivi, puisque «surveillance» fait peut-être un peu déplacé eu égard à des juges qu'on veut indépendants, donc un mécanisme de suivi des décisions des arbitres pour s'assurer que la cohérence recherchée par la présidente dans ses directives soit atteinte.

Je pense que c'est le droit de tout justiciable, et on est tous ici des justiciables, de s'assurer que la décision ne varie pas quand on change de juge. Quand on a des problèmes, même personnels, que ce soit des problèmes familiaux, des problèmes avec son assureur, des problèmes contractuels ou autres, on souhaite tous cela. Dans notre société, si on le souhaite pour nous, on doit aussi avoir les mêmes règles pour les personnes qui ne sont pas citoyens.

Me Jean-François Fiset: Permettez-moi de donner un complément de réponse à la question de M. Reynolds. Est-ce que lui-même ou les Canadiens accepteraient que leurs empreintes digitales soient prises chaque fois qu'ils franchissent une frontière? Comme human rights activist, je crois que c'est la prochaine étape. Si on donnait ce pouvoir face aux immigrants, j'aurais vraiment peur qu'il soit étendu à tous. On est tous des immigrants quand on va en France ou aux États-Unis.

Il ne faut pas oublier qu'avec le nombre de registres qui existent, on est fichés de plusieurs manières et à plusieurs endroits, notamment au bureau des passeports. Ce sera la prochaine étape: on va vous demander vos empreintes chaque fois que vous entrerez aux États-Unis et on pourra vous dire: «Il me semble que vous voyagez souvent ces derniers temps. Vous êtes passé ici la semaine dernière.» C'est une chose qu'on doit garder à l'esprit.

[Traduction]

Le président: Monsieur Mahoney.

M. Steve Mahoney (Mississauga-Ouest, Lib.): Je suppose qu'il est possible que le travail du Comité de la justice sur le système de registre national des empreintes génétiques pourrait éliminer ce problème particulier lorsqu'il s'agit de criminels.

Si j'ai bien compris, vous favorisez un certain laissez-faire au niveau des changements en ce sens que vous n'avez aucune objection à la détention de ceux qui présentent une menace pour la sécurité publique. Je pense que c'est ce que M. Montbriand a dit au début. Le véritable problème, c'est la question de l'identité et la crainte que les gens ne se présentent pas.

Notre comité a essayé de trouver certaines solutions et de recommander certains changements au ministre. Je considère que la grande majorité—et je suis tout à fait d'accord avec vous—de ceux qui arrivent ici ne posent pas de problèmes; c'est la minorité. Donc, il n'y a rien à changer puisqu'on n'arrivera pas à les attraper de toute façon, ce qui est, je crois, votre position également. Je ne crois pas que ce soit une recommandation que le comité serait porté à faire.

• 1210

Nous avons besoin de propositions concrètes. Votre association se compose de 150 avocats du Québec et je suppose que certains des clients que vous représentez auraient droit à une forme quelconque d'aide juridique dans votre province. Je ne suis pas autant au courant de la situation là-bas qu'en Ontario. Donc, ils n'auraient pas la possibilité, disons, de déposer un cautionnement ou une forme quelconque de garantie pour qu'on soit sûr qu'ils se présentent.

Une association comme la vôtre, c'est-à-dire une association d'avocats, ne pourrait-elle pas assumer une certaine responsabilité pour ce qui est de s'assurer qu'ils se présenteront? Vous vous occupez de leur cas et vous êtes leur avocat. Pourriez-vous fournir une forme quelconque de garantie ou d'engagement? Votre association pourrait-elle, peut-être grâce à un effort conjoint, garantir jusqu'à un certain point au ministère de l'Immigration qu'effectivement ils se présenteront et que vous travaillerez avec le ministère de l'Immigration afin de découvrir pourquoi ils n'ont pas de pièces d'identité ou ce qu'ils craignent? Ce serait une forme de collaboration entre une association de 150 avocats qui représente des immigrants, des réfugiés éventuels et le ministère de l'Immigration.

M. Jean-Michel Montbriand: Je ne suis pas sûr de comprendre le type de coopération auquel vous songez exactement. Vous ne devez pas oublier que nous sommes avant tout des officiers de justice régis par différents codes. Nous avons donc l'obligation intrinsèque de coopérer avec les tribunaux et la division de l'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié tant qu'elle fonctionne comme un tribunal. Nous agirons comme officiers du tribunal devant cette instance.

Lorsque nous faisons affaire avec le ministère de l'Immigration, nous sommes les avocats de nos clients et par conséquent nous avons une obligation d'abord et avant tout envers ces clients.

En ce qui concerne la question particulière de l'identité, je peux vous dire qu'en raison du mandat et de la responsabilité légale que nous avons, nous coopérons effectivement très souvent avec le ministère. Sans pièce d'identité, il est impossible à long terme d'être reconnu comme réfugié ou de devenir un immigrant reçu au Canada. Il est extrêmement difficile d'obtenir un statut quel qu'il soit. Le ministère a toutefois adopté, en consultation avec nous, certaines lignes directrices qui offrent d'autres moyens de déterminer l'identité d'une personne. C'est certainement un pas dans la bonne voie.

Quant à ceux dont le ministère n'est pas sûr qu'ils se présenteront pour leur renvoi ou leur enquête, je ne vois pas comment un avocat pourrait offrir une forme quelconque de garantie au nom de son client, car cela le mettrait dans une situation de conflit d'intérêt.

Le président: Madame Minna.

Mme Maria Minna (Beaches—East York, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

J'aimerais revenir sur la question du statut provisoire. Comme vous le savez, le rapport renferme une recommandation à laquelle le comité doit donner suite. Je me demandais si vous pouviez nous dire—comme je n'ai pas encore lu votre mémoire, j'ignore si vous en avez parlé—ce que vous pensez de cette recommandation, non seulement en ce qui concerne l'aspect théorique mais aussi les moyens d'application proposés et les conditions susceptibles d'être imposées.

Je parle en particulier des recommandations 122 et 123. Je me demande si vous les avez étudiées, si vous y avez réfléchi et quelle serait votre position.

• 1215

M. Jean-Michel Montbriand: Je n'ai pas le rapport avec moi, mais je crois qu'il traite entre autres du statut provisoire pour les revendicateurs du statut de réfugié, par exemple.

Mme Maria Minna: Un statut provisoire est prévu pour les revendicateurs. S'ils n'ont pas de statut provisoire, ils sont détenus. Ils perdent ce statut provisoire s'ils ne respectent pas certaines conditions. Ce statut provisoire est accordé si la personne en question n'est pas susceptible de constituer une menace pour la sécurité publique; est susceptible de se présenter pour son renvoi du Canada au besoin; a volontiers fourni des pièces d'identité et a collaboré avec les autorités pour obtenir les documents nécessaires à son départ du Canada.

Ce sont les conditions prévues. Si cette personne est disposée à se plier aux conditions qui seraient alors imposées—et ces conditions sont facultatives, elles ne sont pas définies ici—elle obtiendrait un statut provisoire.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de ce statut provisoire.

M. Jean-Michel Montbriand: Il ne fait aucun doute que l'idée d'un statut provisoire pour des demandeurs de statut de réfugié est intéressante. Très souvent, ces gens sont dans les limbes au Canada; il arrive que leur dossier prenne très longtemps à se régler. Il leur est très difficile de composer avec la société canadienne—que ce soit au niveau du travail, des services gouvernementaux, de l'impôt et ainsi de suite, c'est-à-dire tous les aspects de la vie normale, s'ils n'ont aucun statut.

Cependant, nous nous opposons catégoriquement aux strictes conditions qui seraient imposées, d'après ce que nous croyons comprendre, pour l'obtention de ce statut. Nous nous opposons également au fait que ce statut puisse être révoqué si facilement; par exemple, et c'est d'ailleurs un exemple cité dans le rapport—pour n'avoir pas informé les autorités d'un changement de domicile dans un délai raisonnable. Nous considérons acceptable d'imposer certaines obligations au demandeur mais chaque jour, dans l'exercice de notre profession, nous voyons des cas où il est impossible de se conformer à l'obligation que l'administration veut imposer à nos clients. Cette obligation est soit impossible à respecter, soit impossible à respecter dans les délais qui nous ont d'abord été imposés.

Nous estimons qu'il faudrait prévoir une grande souplesse dans les conditions à remplir et qu'un décideur indépendant devrait déterminer les situations susceptibles de priver un demandeur de ce statut. Nous estimons que l'arbitre—ce que nous avons d'ailleurs indiqué dans nos commentaires—est la personne toute indiquée pour décider si la personne n'a pas rempli les exigences ou les conditions et en déterminer les raisons.

Vous admettrez que détenir quelqu'un parce qu'il n'a pas fourni son changement d'adresse est une mesure plutôt sévère et je ne vois pas comment il peut être dans l'intérêt des contribuables d'emprisonner les personnes qui n'ont pas fourni leur changement d'adresse dans les délais prescrits. Certaines personnes sont négligentes, mais si vous téléphonez à leur ancien numéro de téléphone, vous obtiendrez le nouveau numéro immédiatement; vous pouvez les trouver simplement de cette façon.

Le président: Je vous remercie.

[Français]

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier, maître Montbriand et maître Fiset, de la logique de votre présentation et en particulier de l'unicité des idées que vous venez de présenter. Nous allons certainement pouvoir, avec les quatre ou cinq suggestions que vous nous avez faites, travailler notre rapport.

• 1220

Je suis d'accord avec vous que les lignes directrices, en particulier les lignes directrices de la présidente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en ce qui concerne le renvoi et surtout la détention, ne sont que des lignes directrices. Je pense que le problème ne se situe dans le règlement, bien que les lignes directrices ne soient pas des règlements. Le problème se situe véritablement dans le concret, dans la façon dont les agents d'immigration interprètent ces lignes directrices et ce qu'ils font véritablement.

Parlons de la cohérence. Vous savez sûrement que j'ai été membre de la Commission. Ce qui m'a choquée, lorsque je suis arrivée, a été de voir à quel point il y avait un manque de cohérence, à travers le pays, dans les décisions, autant les décisions concernant les demandeurs de refuge que les décisions par rapport au renvoi et à la détention.

J'ai une question qui semble peut-être s'éloigner du sujet mais qui, à mon avis, ne le fait pas. C'est la notion de tiers pays sûr. Tout d'abord, est-ce une notion qui est pertinente par rapport au renvoi? Il me semble que oui, mais j'aimerais bien entendre votre avis là-dessus. Si oui, vous dites dans votre texte, en commentant les recommandations 95 et 96, que vous êtes contre l'introduction d'une notion de pays sûr et que vous maintenez cette opposition. Pourquoi dites-vous cela? Vous savez comme moi qu'un des grands problèmes du ministère est de faire accepter le retour d'un individu dans son pays d'origine. Souvent, le pays d'origine refuse de recevoir cette personne. Donc il semblerait, en tout cas superficiellement, que la notion de tiers pays sûr nous permette à nous, au Canada, de renvoyer ces personnes du territoire canadien.

Me Jean-Michel Montbriand: Évidemment, quand nous parlions de cette notion de tiers pays sûr dont il est question dans les recommandations 95 et 96 du rapport, c'était surtout eu égard à des questions de recevabilité, des revendications de statut de réfugié, mais vous avez bien raison de dire que la question se pose aussi pour les renvois. D'ailleurs, elle se pose avec beaucoup d'actualité. Le ministère a décidé, il y a deux ou trois semaines, d'imposer un moratoire sur les renvois vers certains pays. Il s'agit essentiellement du Congo-Zaïre, du Rwanda, de l'Afghanistan... Je pense qu'il y en a cinq. Je ne sais pas si le comité en a été informé, mais la ministre a décidé que, malgré ce moratoire, on pourrait quand même renvoyer ces gens aux États-Unis ou dans tout autre pays qui serait prêt à les accepter et qui serait signataire de la Convention de Genève. Il est sous-entendu que ce pays serait considéré comme un tiers pays sûr.

Malheureusement, contrairement à ce qui est prévu dans la Loi sur l'immigration au niveau de la notion de tiers pays sûr en tant que recevabilité, même si cette disposition-là n'a jamais été mise en vigueur faute de réglementation, on y prévoit spécifiquement que le gouvernement doit, avant de désigner un pays sûr, affirmer que ce pays possède un système qui permettra à la personne de revendiquer de façon efficace et réelle le statut de réfugié.

Je vous soumets donc, premièrement, que le simple fait que le pays est signataire de la Convention de Genève n'est pas un gage de sûreté pour une personne qu'on voudrait renvoyer vers ce pays. Il y a de très grandes variations sur la planète parmi les signataires de la Convention de Genève. Donc, le simple fait d'être signataire n'est pas suffisant, mais c'est ce que le ministère vient de décider.

Vous savez de quel enfer mes Rwandais se sont enfuis. Ils ne sont peut-être pas réfugiés au sens de la Convention de Genève et on a décidé de ne pas les renvoyer au Rwanda, mais là on va les renvoyer dans n'importe quel pays, du moment qu'il s'agit d'un signataire de la Convention de Genève. Vous voyez l'effet tout de suite. Là, il s'agit littéralement de mettre des personnes en orbite autour de la terre. Vous les renvoyez aux États-Unis. Est-ce que ces personnes-là ont le droit de faire une revendication aux États-Unis? C'est certain que les États-Unis sont signataires, mais les États-Unis ont leurs propres règles. En Europe, ils ont aussi leurs propres règles.

• 1225

Notre crainte devant un tel système tient au fait que c'est que c'est fait à l'aveuglette. C'est fait sans un examen concret des conditions dans lesquelles la personne sera renvoyée, sans s'assurer qu'elle pourra revendiquer le statut de réfugié. On craint donc que les gens virevoltent autour de la planète, comme ça, sans fin, peut-être jusqu'à ce que les choses s'arrangent dans leur pays.

[Traduction]

Le président: Merci.

Madame Hardy.

Mme Louise Hardy (Yukon, NPD): Je me demandais simplement quel est le nombre de demandeurs du statut de réfugié en détention qui ne sont pas représentés. Y a-t-il un taux de suicide élevé chez les gens qui sont détenus?

M. Jean-Michel Montbriand: Le nombre de demandeurs du statut de réfugié qui ne sont pas représentés, du moins au Québec, est relativement faible. Je pense qu'il est inférieur à 5 p. 100. J'ignore si le pourcentage est plus élevé parmi les demandeurs dans les centres de détention. J'ignore s'il est supérieur à 5 p. 100.

M. Jean-François Fiset: Pour compléter ce que Jean-Michel vient de dire, il y a aussi beaucoup de gens qui ne sont pas des avocats, que nous appelons des consultants, qui font des démarches au nom de ces demandeurs. Ils peuvent simplement décider d'ouvrir un bureau du jour au lendemain et prétendre s'y connaître en immigration parce qu'ils ont étudié l'immigration et se sont spécialisés dans ce domaine, parce qu'ils ont pris des cours, lu des factums et ainsi de suite. Ils peuvent tout simplement ouvrir un bureau et dire qu'ils s'y connaissent en immigration parce que leur soeur a immigré et habituellement ils parlent la même langue que les demandeurs.

Ces gens vont devant les tribunaux et font n'importe quoi. Souvent ils contribuent au problème et à cause de leur inexpérience, parce qu'ils ignorent les preuves à présenter ou la façon de négocier efficacement un cautionnement ou des choses de ce genre, les personnes qu'ils représentent sont détenues pendant de longues périodes. Ils contribuent donc au problème.

Par ailleurs, en modifiant la loi, et le ministre est d'ailleurs en train d'introduire, par exemple, une notion que je vous lirai en français:

[Français]

    2. Elle se dérobera vraisemblablement à l'interrogatoire, à l'enquête ou au renvoi dont elle fait l'objet.

«Vraisemblablement»

[Traduction]

veut dire «fort probablement». Cependant, de nombreux arbitres diront qu'ils doutent que cette personne se présente et la détiendront pour cette raison. Eh bien, dire «J'ai un doute» et

[Français]

«vraisemblablement»

[Traduction]

sont des critères tout à fait différents. Donc, en fait nous pouvons changer la loi mais si l'interprétation qu'on en fait, c'est que je dois être convaincu que cette personne se présentera, en fait nous changeons la loi.

[Français]

On change l'esprit et la lettre;

[Traduction]

nous changeons l'esprit et le texte de la loi.

Donc, changer la loi n'est pas toujours la solution. Certaines personnes maintiennent la détention et après un certain temps les personnes détenues deviennent déprimées et se sentent isolées. La détention devrait être une mesure exceptionnelle, et ce n'est pas toujours le cas.

Le président: Je tiens à vous remercier. Je dois mettre fin à cette discussion. Vous nous avez fourni énormément d'information et nous sommes très heureux que vous ayez pris le temps de comparaître devant nous, malgré votre emploi du temps très chargé.

Vous pouvez donc prendre congé car nous devons poursuivre notre réunion. Nous avons d'autres points à notre ordre du jour. Merci beaucoup d'avoir été des nôtres.

[Français]

Me Jean-Michel Montbriand: Merci de votre attention.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie.

[Note de la rédaction: Les délibérations se poursuivent à huis clos]