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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 27 mai 1999

• 0911

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest— Mississauga, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Ce matin, nous avons le grand privilège d'accueillir l'honorable Amine Gemayel, président du Liban de 1982 à 1988. Hier soir, j'ai entendu dire qu'il pourrait peut-être accéder à nouveau à la présidence. M. Gemayel, nous sommes très heureux de vous compter parmi nous, ce matin. Le Proche-Orient est une région qui intéresse plusieurs membres du comité. Nous écouterons donc ce que vous avez à dire avec beaucoup d'intérêt.

Monsieur Gemayel, je vous demanderais de bien vouloir nous présenter les personnes qui vous accompagnent. Notre formule habituelle est de vous laisser faire un exposé, après quoi nous vous poserons des questions à tour de rôle. Donc, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous sommes prêts à vous entendre.

M. Amine Gemayel (ancien président du Liban): Je commencerai par faire un court exposé en anglais, après quoi je répondrai aux questions en français, si vous le désirez.

Je suis accompagné de M. Toupic Soyad, qui m'aide dans mon travail, de M. Joseph Chami, qui vit ici au Canada et qui travaille également avec nous à promouvoir la cause du Liban, tout comme M. George Karam, qui vient de Montréal et qui fait essentiellement le même travail.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Si vous voulez bien commencer votre exposé, nous vous écoutons.

M. Amine Gemayel: Madame la présidente—j'ignore la formule d'usage pour s'adresser à la présidence—et distingués membres du comité, bonjour. C'est pour moi un réel plaisir de me trouver ici pour partager avec vous mes réflexions sur la situation au Liban et sur son rapport avec la question plus générale de la paix au Proche-Orient. Je me réjouis de l'occasion non pas parce que vous êtes d'estimés parlementaires, mais parce que j'ai un profond respect pour le rôle que le Canada joue dans le domaine des relations internationales, particulièrement pour la constance avec laquelle il défend les principes de la démocratie.

Le fait qu'il soit un membre du Conseil de sécurité des Nations Unies actuellement rassure ceux qui dans le monde luttent pour le respect des droits de la personne, en ce sens qu'ils savent avoir un allié au sein de l'une des plus importantes tribunes politiques. De plus, le Canada s'est acquis la gratitude des gouvernements et des peuples de la région pour le leadership dont il fait preuve dans le processus de paix au Proche-Orient, notamment sa participation exemplaire à la force internationale d'aide aux réfugiés établie en janvier 1992. Enfin, l'engagement du Canada à l'égard de la force de maintien de la paix des Nations Unies au Liban est profond et soutenu, comme en témoigne la participation des Canadiens au sein de l'organisme de surveillance, de 1944 jusqu'à maintenant, du groupe d'observateurs de 1958 à 1959 et de la force provisoire de 1978.

• 0915

Madame la présidente et membres du comité, mon pays, le Liban, a une longue tradition de paix, de démocratie et de tolérance. Le Liban est aussi le creuset du Proche-Orient dans lequel interagissent avec dynamisme les divers dogmes politiques, principes religieux et courants culturels de la région.

Au cours de son histoire, la société libanaise a parfois connu des épisodes de conflits communautaires et religieux. Toutefois, le plus souvent, ces conflits sont la conséquence d'ingérences de l'étranger.

Tout accord de paix au Proche-Orient ne serait complet et permanent s'il ne donne pas l'assurance d'une véritable paix au Liban, d'une paix qui soit juste et qui rétablisse la souveraineté et l'indépendance même du pays. J'insiste sur le fait qu'on ne peut envisager une paix juste et permanente au Proche-Orient si le Liban est exclu d'une véritable participation au processus.

Heureusement, les accords israélo-égyptiens signés en 1978 à Camp David, l'accord de 1993 intervenu à Oslo entre Israël et l'OLP et le traité israélo-jordanien signé à Arava-Araba en 1994 ont jeté les bases d'un accord de paix régional. L'élection d'Ehoud Barak au poste de premier ministre d'Israël crée une conjoncture favorable à la paix entre Israël, le Liban et la Syrie.

Pour le peuple libanais, cette conjoncture est à la fois prometteuse et périlleuse. Elle est prometteuse de paix, du fait qu'elle est essentielle à la survie du Liban comme nation. Il est vrai qu'aussi longtemps qu'Israël et la Syrie se livreront la guerre, ils verront le peuple, les ressources et le territoire libanais comme des atouts stratégiques à exploiter. Pour les Libanais, le péril de la paix réside dans la crainte qu'il se fera au prix de leur souveraineté et de leur volonté nationales.

Si je semble inquiet au comité, c'est que je suis le reflet de l'inquiétude nationale des Libanais, des musulmans comme des chrétiens, qui craignent que leur pays soit peut-être la victime d'une paix injuste, plutôt que le bénéficiaire d'une véritable paix.

Les Libanais craignent une forme de paix parce qu'ils ne souhaitent pas que la paix se traduise par le sacrifice de leur nationalité et des valeurs qui leur sont chères, comme la démocratie et la tolérance. Ils estiment que leur cause sera sacrifiée à l'autel de la réalpolitik et que leur destinée libanaise leur sera confisquée comme condition préalable à un accord de paix entre des puissances régionales plus fortes.

Il faut que la représentation libanaise aux futures négociations de paix soit authentique et, pour l'être, il faut qu'elle témoigne de la volonté librement exprimée du peuple libanais. Comme tout peuple libre et souverain, seuls les Libanais peuvent définir leurs propres intérêts nationaux et seuls les Libanais peuvent y veiller en se dotant de leur propre stratégie diplomatique.

Actuellement, le territoire libanais est occupé par deux puissances étrangères. Dans le Sud, Israël a déclaré, appliqué et maintenu unilatéralement une pseudozone de sécurité. Cette région est patrouillée conjointement par des troupes israéliennes et une milice à la solde des Israéliens qu'on appelle l'Armée du Sud-Liban.

La brutalité de la garnison militaire israélienne au Liban était manifeste en 1996 quand les forces de la défense israélienne ont mené l'opération appelée «Raisins de la colère». Durant cette opération, les forces israéliennes ont bombardé massivement les positions illégalement tenues par des guérillas anti-israéliennes. Quel que soit le nombre de guérilleros tués ou neutralisés, nous savons que les Israéliens ont bombardé un camp de casques bleus où s'étaient réfugiées des centaines de civils innocents. Des douzaines de personnes ont été tuées, y compris des femmes et des enfants. C'est le genre de menaces qui pèsent sur le peuple libanais chaque jour.

En plus des forces d'occupation étrangères, nous savons que les institutions nationales libanaises subissent d'extrêmes contraintes. Nous savons que la présidence, la fonction de premier ministre, le Conseil des ministres, le Parlement et les forces armées du Liban sont sous l'emprise de la dictature de Damas. Nous savons que la grande influence exercée par Damas sur tous les aspects de la vie politique libanaise au moyen d'assassinats, de disparitions, d'arrestations, d'exils forcés et de contraintes physiques va à l'encontre des aspirations réelles du peuple.

• 0920

Pour reprendre ce que disait un rapport sur le respect des droits de la personne publié par le Département d'État des États- Unis en janvier 1999, la relation avec la Syrie n'est pas le reflet de la volonté de la plupart des Libanais. Je reprends ce que dit cette source faisant autorité, non pas en raison de son origine américaine, mais parce qu'elle représente une synthèse des documents du Département d'État ainsi que des documents rédigés par les Nations Unies, Amnistie internationale, «Human Rights Watch» et les organismes populaires de défense des droits de la personne au sein même du Liban.

Bien qu'il y ait à Beyrouth un gouvernement libanais qui voit en théorie aux affaires nationales du pays, le véritable pouvoir du pays est exercé par la Syrie et par ses agents déclarés et non déclarés. L'appareil gouvernemental libanais est une structure opportune et cynique qui se consacre à la promotion des intérêts syriens sous l'apparence de ce que l'on prétend être une politique nationale libanaise.

Mesdames et messieurs du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, je ne vous demande pas de me croire sur parole. Pour confirmer les visées syriennes au Liban, il suffit de se rappeler les appels persistants à la création d'une Syrie élargie lancés par les dirigeants de Damas depuis les années 40. Enfin, l'actuel gouvernement de Syrie a réalisé son ambition de toujours en faisant du Liban, dans les faits, une province syrienne. En fait, ce qui se passe actuellement, c'est qu'il est en train de lentement annexer le Liban.

Le président el-Assad n'a plus qu'à légitimer le contrôle syrien exercé sur le Liban lors des prochaines négociations de paix régionales, négociations qui pourraient fort bien définir vos alliances politiques au Proche-Orient pour des siècles. Ainsi, comme le savent fort bien les Libanais, l'avenir même de leur nation est en jeu.

La réalité de la domination syrienne au Liban a été confirmée par rien de moins que la radio officielle de Damas. Dans une émission du 22 mai, la radio étatique syrienne a exhorté le nouveau premier ministre israélien à négocier avec le Liban et la Syrie simultanément, comme s'il s'agissait d'un tout, puisque—et je cite ce que l'on a dit officiellement au nom du gouvernement de la Syrie—les deux sont unifiés. La radio syrienne a annoncé sans ménagements que les deux pays, soit le Liban et la Syrie, sont unifiés. Donc, pour l'instant, le Liban n'existe en tant que pays souverain et indépendant que dans le coeur et dans l'esprit de ses citoyens patriotiques.

J'aimerais maintenant attirer votre attention sur un épisode particulièrement dangereux de l'histoire récente du Liban qui a sapé l'équilibre démographique du pays. En 1994, le gouvernement du Liban a publié un décret officiel, dont j'ai copie ici, de quelque 1 200 pages. Malheureusement, il est rédigé en arabe. Cependant, vous pouvez l'examiner, et mon ami, Mac Harb, pourra peut-être vous donner une idée de ce dont il est question. Ce document est la gazette officielle du Liban. Il compte 1 273 pages. Il énumère le nom des familles qui ont reçu la citoyenneté libanaise sans y avoir droit. Je vous laisse le consulter.

Dans ce document, le gouvernement du Liban a publié un décret officiel, dont j'ai copie ici aujourd'hui, qui compte plus de 1 200 pages. Le texte de ce volumineux document est composé entièrement de noms de familles auxquelles on a accordé, d'un simple coup de plume, la citoyenneté libanaise. Le décret ne donne pas de détail, pas d'explication, quant à qui sont ces gens, d'où elles viennent ni pourquoi elles ont droit à la citoyenneté libanaise. En fait, le décret ne donne même pas les noms de chacun. Il se contente d'énumérer les noms de famille, de sorte qu'il est impossible de savoir combien de personnes en profitent. Certains ont évalué à au moins 500 000 le nombre total de personnes visées par le décret. Si c'est vrai, cela signifie qu'au moins un demi-million de citoyens ont été ajoutés à la population libanaise, d'environ trois millions au départ.

• 0925

Si l'on établit une comparaison avec les données statistiques de 1996 sur la population canadienne, cela reviendrait à l'ajout, aux 29 millions de Canadiens, de cinq millions de citoyens naturalisés subitement, sans autre information ou justification de la part du gouvernement.

Par cette manoeuvre, le gouvernement libanais sous contrôle syrien a réussi à accroître d'un sixième la population du pays, un exploit réalisé au moyen d'un édit du pouvoir exécutif pour lequel il n'existe pas de précédent en droit libanais ou dans les traditions libanaises.

Manifestement, cet assaut mené contre la nationalité libanaise aura des conséquences profondes. Pour ne vous en donner qu'un exemple, ces néo-Libanais ont pu voter aux élections nationales et municipales, ce qui a de toute évidence fait pencher la balance électorale en faveur des candidats prosyriens.

Le décret sur la citoyenneté a immédiatement été contesté devant les tribunaux, mais jusqu'ici, le tribunal compétent n'a pas donné de véritable suite à la plainte.

Le phénomène nous rappelle un peu les manoeuvres soviétiques—comment envahir d'autres États au sein de l'Union soviétique. La Syrie tente, par ce décret, de déstabiliser en réalité non seulement les institutions libanaises, mais également la démographie même du pays, de créer un fait accompli au Liban et de changer la composition de la population comme telle, en remplaçant des Libanais par des Syriens. C'est le premier décret, et j'ai entendu dire qu'on en prépare un autre. Ainsi, un autre demi-million de personnes pourraient s'ajouter à la population, l'équivalent du tiers de la population libanaise, sans que le reste du monde réagisse.

Dans un discours de décembre 1996 prononcé à Washington, DC, le ministre des Affaires étrangères Lloyd Axworthy a décrit comme suit les piliers sur lesquels s'appuie la politique de votre gouvernement à l'égard du Liban:

    Le Canada accorde tout son appui à la souveraineté du Liban, à la mise en oeuvre de la résolution 425 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, au respect des accords de Taef et à l'extension de l'autorité du gouvernement du Liban à tout son territoire.

J'aimerais vous parler brièvement de chacun des piliers cités par M. Axworthy et vous expliquer à quel point nous en sommes éloignés.

Tout d'abord, la souveraineté du Liban n'a jamais été en aussi grand péril. Le Liban contemporain est emprisonné dans un cadre brutal d'occupation et de dictature—de dictature étrangère. Le Liban n'a de la souveraineté et de la stabilité que l'apparence, mais la fausse impression de sécurité et de paix qui règne au Liban ne devrait tromper ni votre comité ni un observateur étranger.

L'histoire nous enseigne que pareille sécurité n'est pas durable à long terme. À cet égard, rappelons-nous ce qui se passe en Yougoslavie qui, pendant des décennies, a semblé être un exemple de stabilité, sous le régime du maréchal Tito. Toutefois, dix ans après sa mort, l'édifice s'est effondré, entraînant de sanglantes guerres ethniques, dont la dernière en liste est le Kosovo.

Quand je vois les images dramatiques de centaines de milliers de réfugiés kosovars fuyant les massacres et l'épuration ethnique, je tremble pour mon pays qui, je le sais, pourrait fort bien connaître le même sort. Vous en avez eu un avant-goût.

• 0930

Ensuite, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 425 en 1978, suite à l'invasion par Israël du territoire libanais. La résolution intime à Israël de retirer ses forces du territoire libanais et prévoit leur remplacement par des gardiens de la paix des Nations Unies. Le Liban a été empêché de mener avec Israël des négociations s'appuyant sur la résolution 425 parce que la Syrie ne souhaite pas que les troupes israéliennes se retirent du Liban avant de lui avoir rendu le plateau du Golan occupé en 1967.

En tant qu'ex-président du Liban, j'aimerais exprimer officiellement ma sympathie pour l'argument voulant que le Liban et la Syrie, en tant que puissances arabes voisines, puissent coordonner leur politique stratégique. Toutefois, le diktat de la Syrie qui interdit toute expression d'une volonté libanaise indépendante viole les principes les plus fondamentaux de la souveraineté et est donc inacceptable.

En troisième lieu, comme l'a dit le ministre Axworthy, selon les accords de Taef signés par le Liban et la Syrie en 1989, la Syrie aurait dû retirer ses troupes de Beyrouth et des régions côtières densément peuplées du Liban pour les redéployer dans la vallée du Bekaa. Jusqu'ici, la Syrie n'a pas respecté cet engagement, et ses 35 000 troupes au Liban continuent de faire comme bon leur semble partout au pays, exception faite de la pseudo-zone de sécurité établie par Israël dans le sud. En raison de la nature complexe et technique des déploiements syriens au Liban, je n'irai pas plus loin, mais je peux répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir à ce sujet.

Quatrième et dernier point, en ce qui concerne l'extension de l'autorité du gouvernement du Liban à tout le territoire libanais, l'idée maîtresse de mon témoignage prouve que la réalité est tout autre. En fait, le gouvernement du Liban n'a à peu près aucune liberté d'action sur son territoire, y compris sur le palais présidentiel. Aussi incroyable que cela puisse sembler, comme nous l'avons vu, le régime libanais a même comploté avec la Syrie pour déstabiliser l'équilibre démographique du pays et pour implanter artificiellement une vaste population prosyrienne au sein même du pays.

En guise de conclusion, distinguée présidente et membres du comité des Affaires étrangères, je vous prie instamment de rejeter la voie de l'opportunisme et des accommodements. Les principes qui guident le Canada dans l'élaboration de sa politique, tels qu'exposés par le ministre des Affaires étrangères, M. Axworthy, en 1996 sont toujours valables et primordiaux. Il faut que le Canada, en tant que membre du Conseil de sécurité et leader dans le processus de paix au Proche-Orient, aide activement les Libanais à retrouver leur indépendance nationale. Si vous laissez tomber le Liban, votre pays n'aura pas été à la hauteur des grands principes moraux qui en ont fait, sur le plan de la démocratie et du respect des droits de la personne, une véritable superpuissance mondiale. Je vous remercie.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Martin.

M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci, madame la présidente.

Votre Excellence, je vous remercie beaucoup d'être venus nous rencontrer aujourd'hui, vous et ceux qui vous accompagnent. En fait, ce fut fort intéressant, j'en suis sûr, pour nous tous.

J'ai quelques questions à vous poser. Tout d'abord, la situation me rappelle non seulement la Yougoslavie, mais également ce qui se passe au Tibet et dans tant d'autres régions du monde actuellement. Il me semble que, avant d'adopter une résolution quelconque, il faut que les États parties touchées par ce conflit se réunissent pour en parler. Constatez-vous un mouvement en faveur d'un pareil dialogue ou la possibilité que les États parties se réunissent, avec l'arrivée au pouvoir du premier ministre Barak en Israël? Pourrait-il y avoir une rencontre où il serait présent, de même que Hafez el-Assad, les représentants de l'Égypte, de la Jordanie et de tous les autres États parties de la région, en vue de discuter non seulement de cette question, mais également d'autres questions relatives au Proche-Orient, d'amorcer un dialogue qui permettrait de lancer un processus de rapatriement des Libanais et peut-être même une médiation des Nations Unies?

Deuxièmement, excusez-moi, mais j'ignore quand les dernières élections ont eu lieu et je ne sais pas non plus quand les prochaines auront lieu. Y a-t-il des élections qui s'annoncent à l'horizon? Dans l'affirmative, quand?

M. Amine Gemayel: Les dernières élections législatives ont eu lieu en 1996. Les prochaines auront lieu en l'an 2000.

M. Keith Martin: Étaient-elles équitables?

M. Amine Gemayel: Ce sont des élections législatives.

M. Keith Martin: Ce que j'essaie de comprendre, c'est le contrôle exercé par la Syrie...

• 0935

M. Amine Gemayel: Mais comment parler d'élections démocratiques lorsque celles-ci se déroulent sous le contrôle très strict et très serré de la Syrie?

M. Keith Martin: Autrement dit, vous affirmez que ce n'était pas des élections équitables. Dans ce cas, pensez-vous que la prochaine fois, les Nations Unies devraient être présentes pour assurer que les élections se déroulent de façon juste et démocratique?

M. Amine Gemayel: Bien sûr. Nous réclamons cette participation internationale. La situation au Liban est semblable à celle qui avait cours pendant la Seconde Guerre mondiale en Europe, dans les années 40. C'est exactement la même chose que lorsque les Nazis occupaient une partie de l'Europe.

Vous vous souvenez que les Américains et les Alliés ont décidé d'envahir l'Europe. Sans cette invasion, l'Europe serait restée sous l'emprise de l'Allemagne. Je n'envisage aucunement une action militaire, mais il faut que la communauté politique internationale soit présente pour montrer au Liban qu'il y a un courant de réelle sympathie pour sa cause. Il faut essayer d'organiser—comme vous l'avez mentionné, et je suis tout à fait d'accord avec cette idée—une conférence internationale pour aider le Liban à recouvrer sa souveraineté et son intégrité territoriale.

M. Keith Martin: Votre Excellence, je vous remercie beaucoup de votre réponse. Brièvement, si vous deviez faire une liste des mesures qui s'imposent au niveau international pour résoudre le problème et faire en sorte que le peuple libanais puisse récupérer sa souveraineté et redevenir maître de sa destinée quelles seraient-elles, sur le plan du processus? Réclameriez-vous des rencontres constantes entre les États parties au problème pour le résoudre? Souhaiteriez-vous que la question soit soulevée encore et encore auprès des Nations Unies? Ou suggéreriez-vous autre chose?

[Français]

M. Amine Gemayel: Je vais vous répondre en français au bénéfice de nos amis. Il y a selon moi une première initiative qui est essentielle. Si elle est prise, tout le reste suivra. Cette première initiative est une prise de conscience de la communauté internationale que ce qui se passe au Liban est injuste. Une fois qu'on aura pris cette décision et que le Canada, les États-Unis et l'Europe auront pris position face à cette question de principe et reconnu qu'il y a au Liban une situation artificielle et injuste, tout suivra. C'est un pays qui est occupé par plusieurs armées et dont le gouvernement est un puppet government, un gouvernement fantoche. Il faut le dire clairement puisque tout le monde le sait. Quand on lit les rapports des associations des droits de l'homme, que ce soit ceux d'Amnistie Internationale, de «Human Rights Watch», du Département d'État ou des associations canadiennes, on constate que tous reconnaissent que les principes des droits de l'homme sont bafoués chaque jour à cause de l'occupation israélienne et de l'occupation syrienne.

Au moment où les grandes nations, les grands champions de la démocratie et des valeurs qu'ils défendent décideront de sortir de cette realpolitik, de ce pragmatisme politique, de cesser de fermer les yeux sur ce qui se passe au Liban et de faire une prise de conscience, je vous assure que tout suivra tout seul. Nous avons besoin d'une prise de conscience. Jusqu'à aujourd'hui, il y a une couverture, un blessing. On est en train d'entériner le processus de civilisation du Liban et, au sud, un genre de fait accompli. Il y a une couverture internationale.

• 0940

Parfois on nous blâme nous, les Libanais, de nous défendre ou de prôner notre cause auprès des instances internationales. De quoi M. Gemayel vient-il nous parler? C'est un chrétien, un fanatique chrétien. les Libanais sont responsables de ce qui se passe dans le pays puisqu'ils ont eux-mêmes détruit leur pays à cause de leurs conflits internes. La Syrie fait finalement un bon travail; les Syriens sont des gens sympathiques et gentils. La Syrie est un pays très démocratique qui défend les valeurs que vous défendez ainsi que les droits de l'homme. Il n'y a pas du tout de dictature. C'est un pays très démocratique, très libéral qui fait au Liban un travail honorable. Monsieur Gemayel, vous êtes en train de dire n'importe quoi.

Lorsqu'on se réunit avec le Canada, les États-Unis ou l'Europe, on a malheureusement l'impression que nous sommes nous-mêmes en défaut. Nous sommes ceux qui défendent leur propre cause, et la victime devient elle-même l'agresseur. Puisque vous me posez cette question, je vais vous répondre brutalement. La première chose que nous demandons, c'est une prise de conscience de la part de la communauté internationale. Nous lui demandons de ne pas commettre l'erreur qu'avait commise Chamberlain à Munich en 1939, alors qu'il s'était entendu avec Hitler sur la Tchécoslovaquie, qui a ensuite explosé sur toute l'Europe, ni l'erreur de Tito, que nous sommes aujourd'hui en train de payer au Kosovo. Il ne faut pas commettre ces deux erreurs parce que nous sommes en train de créer un nouveau problème au Moyen-Orient. C'est le début d'une nouvelle crise humaine très grave parce qu'au Liban, comme pourraient vous le confirmer vos services de recherche, la situation est assez similaire à ce qui se passe au Kosovo.

Voilà ce que je dis. Il faut que le Canada, les États-Unis et l'Europe décident de prendre conscience de la situation et aient le courage de sortir de la realpolitik, du pragmatisme politique dans lequel la diplomatie internationale est enfoncée. C'est à ce moment-là qu'on pourra passer à la deuxième étape et voir ce qu'on veut faire. Mais tant qu'il y aura ce laxisme de la part des grandes puissances, rien n'empêchera la radio de Damas de diffuser dans l'impunité générale des propos tels que: «The two are unified». Cette expression a été reprise dans le Washington Post du 22 mai et elle n'a soulevé aucune réaction. Le ministère des Affaires étrangères du Canada n'a posé aucune question et n'a pas non plus convoqué l'ambassadeur de Damas à Ottawa pour lui demander ce que signifiait cette phrase. Ni les États-Unis ni l'Europe n'ont demandé à la Syrie ce que cela signifiait.

Que je sache, vous m'invitez ici en tant que représentant de citoyens d'un pays indépendant. De fait, d'après la déclaration officielle de la radio de Damas, je ne représente pas un pays indépendant. Moi, je suis un rebelle et un exclu parce que je suis en train de parler au nom d'un pays qui, selon la radio de Damas, n'existe plus puisque le Liban et la Syrie sont tous les deux unis.

Voilà ce que je veux dire. En réponse à votre question, il est nécessaire qu'il y ait une prise de conscience. Après cette prise de conscience, ce genre de déclaration de Damas n'aura plus lieu. On aura fait comprendre à Damas que cela ne marche pas, que c'est injuste et illégal, que cela va à l'encontre du droit international et que les pays qui se respectent refusent ce genre de déclaration officielle de la part d'un gouvernement étranger qui prétend être uni à un autre pays alors que le Liban prône toujours son indépendance.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

• 0945

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Excellence, au nom de notre parti, le Bloc québécois, je vous souhaite la bienvenue à Ottawa. Vous avez très bien expliqué la situation politique de votre pays. D'ailleurs, elle correspond, en ce qui nous concerne à tout le moins, à pratiquement toutes les analyses politiques que j'ai lues concernant votre pays.

Vous avez dit que Damas avait une mainmise incroyable sur le pouvoir politique au Liban. Le pouvoir politique au Liban est pourtant exercé par des Libanais. Comment expliquez-vous cette mainmise de Damas sur le pouvoir politique libanais que détiennent des Libanais d'origine? Il y a, bien sûr, les forces armées et vous avez parlé de répression, d'assassinats et de liberté d'expression réduite. Quels sont les autres problèmes profonds qui expliquent cette mainmise de Damas sur les Libanais qui sont au pouvoir? Il y a sans doute des problèmes de corruption. Vous ne l'avez pas dit en ces mots, mais j'imagine que ce doit être le cas. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Ma deuxième question a trait à un tout autre domaine, soit la reconstruction du Liban. On sait qu'après la fin de la guerre, il y a eu un début de reconstruction du Liban qui devait comprendre deux phases. J'ai cru comprendre que la dernière phase, qui était la reconstruction du district central de Beyrouth, devait se terminer bientôt. J'aimerais que vous nous parliez de cette reconstruction du Liban d'après-guerre et nous indiquiez où en sont les travaux. Je sais qu'il y avait des problèmes d'investissement étranger et je crois me souvenir que le gouvernement recherchait 3 ou 5 milliards de dollars pour réussir cette reconstruction. J'aimerais que vous fassiez le point sur cette reconstruction du Liban d'après-guerre.

M. Amine Gemayel: En réponse à votre première question au sujet de la situation actuelle et de la responsabilité des Libanais, comme je l'indiquais lors de ma présentation, il existe des problèmes entre Libanais. Évidemment, où que l'on soit dans le monde, que ce soit au Canada ou en Belgique, il y a toujours des problèmes.

Cependant, depuis l'accession du Liban à l'indépendance, en 1943, jusqu'en 1975, au début de la guerre du Liban, nous, les Libanais, avons été capables de créer une société solidaire où l'on coexistait harmonieusement. Nous avons donné le plus bel exemple de la coexistence harmonieuse intercommunautaire, le meilleur exemple de démocratie dans cette région troublée du Moyen-Orient. Nous avions fait la preuve que nous étions capables de régler nos conflits politiquement et pacifiquement jusqu'au début de la guerre. Des problèmes sont survenus à l'intérieur de la société, et nous en assumons évidemment la responsabilité. Nous avons toutefois donné la preuve que nous pouvions les gérer quand nous sommes seuls, quand nous sommes entre Libanais.

Quant à la corruption, c'est un problème qui est malheureusement un peu généralisé et qu'on retrouve surtout dans les pays sous-développés. Ce problème est beaucoup moins marqué au Liban qu'il ne l'est ailleurs. On porte plus rarement des accusations à ce sujet au Liban. Vous entendez peut-être parler de la corruption au Liban parce qu'il y a un minimum de transparence et que les gens en parlent. Vous savez que dans les autres pays du Moyen-Orient, on n'en parle pas parce que c'est tellement grossier et tellement généralisé. Cela devient en quelque sorte une nature. Au Liban, on en parle, et c'est l'exception.

Je passe maintenant à la question de la reconstruction. Pour revenir aux problèmes internes libanais, je ne vais pas prendre beaucoup de votre temps parce que je sais qu'il est limité et que je ne veux pas en abuser. J'ai apporté un document qui remonte à l'époque où j'étais président. Nous faisions beaucoup d'efforts de réconciliation entre Libanais. Mon principal objectif était de rassembler les Libanais et de les réconcilier entre eux. Nous avions fait un grand pas en avant dans ce sens. Dans le cadre de nos consultations avec les Libanais, je sentais qu'il y avait un blocage quelque part et qu'on n'arrivait pas à avancer. Les musulmans et les chrétiens voulaient s'entendre entre eux. On s'entendait sur quelque chose et, malheureusement, le lendemain, cela ne marchait plus.

• 0950

Mon ministre des Affaires étrangères m'a remis ce rapport que j'ai apporté ici. Ce rapport porte la signature du ministre des Affaires étrangères, qui est une personne très respectable et qui est actuellement le recteur d'une université à Beyrouth. Il est un ancien doyen de la faculté Johns Hopkins, aux États-Unis. Cette personne très respectable s'appelle Elie Salem. Dans son rapport, dont je pourrais vous remettre un exemplaire, on lit:

[Traduction]

    L'ambassadeur des États-Unis John Kelly m'a appelé pour me dire qu'il souhaitait me rencontrer l'après-midi. Il est venu à mon bureau et m'a dit ceci:

    Le mufti, Shaykh Hasan Khalid [...]

Et ce document vous expliquera quelque peu ce que font les Syriens au Liban et quel genre de politique ils y mettent en oeuvre.

Shaykh Hasan Khalid est le chef de la communauté musulmane sunnite au Liban. Khalid a envoyé un émissaire spécial à l'ambassadeur Kelly pour lui expliquer qu'en ce qui concerne le partage des pouvoirs, la position des Sunnites, y compris la position de Salim al Huss, qui était le premier ministre sunnite, était analogue à celle du président Gemayel. Par conséquent, les musulmans étaient près de ma position. Bien que Huss ait accepté la formulation à Damas, sous la pression syrienne, il a été obligé de déclarer tout à fait autre chose. En outre, les Sunnites ne veulent pas que le premier ministre...

Kelly a continué en disant:

    C'est précisément ce que m'a dit le président Gemayel et j'en ai fait rapport à Washington. Je suis déçu que M. Huss change d'avis si souvent au point où je ne sais plus où il loge. M. Huss est de nouveau le premier ministre, et représente les Sunnites, les Musulmans.

Le Président m'a beaucoup aidé et a rehaussé ma crédibilité à Washington car Kelly a dit:

    Je rapporte toujours à Washington la position du Président Gemayel, qui demeure constante, et les événements ne m'ont pas donné raison, même s'il y a un certain nombre de personnes à Washington [...]

Les trois dernières lignes du rapport sont les plus importantes:

    Je suis désolé, mais je n'ai plus guère confiance dans le jugement du président Husseini qui semble tenir un discours différent selon qu'il est en Syrie ou qu'il s'entretient avec nous.

Husseini est le président de l'Assemblée.

Écoutez cette dernière phrase:

    De toute évidence, les leaders musulmans vivent dans la peur et adoptent des positions sous la pression syrienne.

Voilà les déclarations qu'a faites officiellement l'ambassadeur américain, et elles figurent dans le rapport.

    De toute évidence, les leaders musulmans vivent dans la peur et adoptent des positions sous la pression syrienne.

Voilà le rapport. Je peux vous en donner un exemplaire si vous en avez besoin d'un.

[Français]

Voilà le problème. Chaque fois que nous arrivons à un compromis entre chrétiens et musulmans, il y a une pression sur les deux qui nous empêche d'aller plus loin. C'est la devise classique: «diviser pour régner». Si les chrétiens et musulmans s'entendaient aujourd'hui, il n'y aurait plus de raison pour que le Syriens restent chez nous. Ces derniers empêchent la réconciliation pour garder leur mainmise. Je pourrais vous montrer les rapports des ambassadeurs avec qui nous traitions. Tous insistent sur le fait que les musulmans et même certains chrétiens parlent différemment en privé et publiquement parce qu'ils sont l'objet de pressions de la part des Syriens.

• 0955

Je ne vous parle pas de mon frère, l'ancien président, qui a été assassiné. Nous avons des preuves quant à l'identité des assassins. Chaque fois que les Libanais avancent d'un pas vers la réconciliation et s'apprêtent à bâtir leur avenir en commun, ils sont assassinés ou exilés. Je suis une parfaite illustration de ce que nous subissons puisque je ne suis pas autorisé à rentrer dans mon pays. Je fais appel à votre conscience. Vous êtes tous des pères de famille et vous avez tous à coeur les principes des droits de l'homme.

Je ne suis pas ici pour discuter de ma situation personnelle, mais puisque vous m'avez posé cette question, je vais vous répondre. Je suis venu exprimer ce que les Libanais subissent au quotidien. Mon fils se marie dans deux mois et je ne suis pas autorisé à aller assister à son mariage à Beyrouth. Voilà comment se passe le démembrement des familles, comment s'exercent les pressions et comment sont appliqués les principes des droits de l'homme au Liban.

Ma fille s'est mariée il n'y a pas longtemps, et je n'ai pas été autorisé à aller au Liban pour assister à son mariage. Mon fils se mariera aussi au Liban, et je ne serai pas autorisé à assister à son mariage non plus. De nombreuses autres familles subissent de tels démembrements. Je ne veux pas décrire ici mes problèmes personnels puisque je préfère les garder pour moi, mais j'ai simplement voulu vous donner, comme vous me l'avez demandé, des exemples concrets des pressions qui visent à empêcher les Libanais de se réconcilier ou de revenir au Liban et à empêcher que le processus démocratique puisse reprendre son cours.

Les leaders qui oeuvrent pour l'indépendance du Liban, pour la coexistence et pour l'unité du Liban sont soit assassinés, comme mon frère l'a été, soit forcés à l'exil, comme je l'ai moi-même été. D'autres musulmans, dont le mufti Khalid dont j'ai parlé tout à l'heure et qui est l'objet de cette lettre, ont été assassinés. Le mufti Khalid a été assassiné à Beyrouth entre deux barrages syriens. Il ne faut pas oublier non plus Kamal Jumblatt, un autre musulman, qui a été assassiné parce qu'il s'était opposé à l'entrée de l'armée syrienne en 1975. Tous ceux qui ne marchent pas sur cette voie sont assassinés ou éliminés. Malheureusement, les grands champions de la démocratie et des principes des droits de l'homme ferment les yeux devant ce genre d'agissements.

Je passe maintenant à votre deuxième question, qui porte sur la reconstruction, madame. Je vous dirai trois choses et j'essaierai d'être bref. La première chose, c'est qu'aucune personne logique ne saurait penser qu'une reconstruction puisse être normale dans un contexte politique malsain et dans un contexte d'occupation. Ce serait vraiment un non-sens que de croire qu'un véritable effort de développement puisse être fait dans le contexte d'un pays occupé et d'un pays déchiré. On construit la pierre, mais où est l'homme?

Comme deuxième point, il est vrai qu'il y a un effort de reconstruction. Nous avons reconstruit Beyrouth et il y a par ailleurs des projets de développement. Je ne veux pas entrer dans les détails puisque je constate que Mme la présidente est en train de regarder l'heure, mais je vous dirai qu'en ce qui concerne la reconstruction de Beyrouth par la société Solidere, je souhaiterais qu'une délégation parlementaire fasse une petite enquête sur la légalité de ce projet. Vous verrez que c'est la plus grande escroquerie du siècle. Le centre-ville de la capitale a été livré à une société privée dans un contexte des plus étranges. C'est le centre-ville, et personne n'en parle. C'est un peu comme ce document; il contient des hérésies tellement grossières que personne n'en parle plus car cela devient normal.

• 1000

Combien de minutes me reste-t-il, madame la présidente?

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Nous avons jusqu'à 10 h 30. Je ne voudrais pas vous bousculer ou manquer de courtoisie, mais il y a un certain nombre de députés qui souhaitent poser des questions, dont moi.

M. Amine Gemayel: D'accord.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Vos réponses sont très passionnées et intéressantes, de sorte que j'hésite à vous interrompre.

M. Amine Gemayel: Merci. Je serai très bref.

[Français]

Le centre-ville, c'est une piraterie foncière pure et simple. On a vendu notre centre-ville à une société inconnue. Au Liban, il y a une loi qui interdit ou limite l'appropriation des terrains par les étrangers. Le Liban a exclu le centre-ville de cette loi. le centre-ville ne nous appartient plus maintenant. On ne sait plus s'il s'agit d'une société saoudienne, américaine ou canadienne. On ne sait plus à qui appartient notre centre-ville; il est sorti de notre patrimoine national.

Mme Maud Debien: Vous parlez de Solidere?

M. Amine Gemayel: Oui. J'assume la responsabilité de mes paroles. Je dis que, pour le centre-ville, il s'agit d'une piraterie foncière.

Mon troisième point porte sur le reste des projets. Lorsque j'ai quitté le Liban, la dette nationale était en deçà de 800 millions de dollars américains. Aujourd'hui, elle est de 20 milliards de dollars. Nous sommes donc passés de 800 millions de dollars à 20 milliards de dollars. Selon les rapports officiels du gouvernement libanais, les travaux que vous mentionnez ne dépassent pas les 3 milliards de dollars. Au nom de la reconstruction, nous avons enlisé le pays dans une dette de 20 milliards de dollars dont l'intérêt seul s'élève à 110 p. 100 du produit national brut, du PNB.

Pour ceux qui connaissent la situation économique et financière au Liban, c'est la plus grande catastrophe et nous allons vers la faillite de tout le système, parce que le Liban ne sera pas en mesure de régler ne serait-ce que les intérêts de la dette de 20 milliards de dollars, qui sont au-delà du produit national brut.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): C'est sans doute la première séance qui échappe totalement à mon contrôle, et je le dis avec beaucoup d'humour. C'est un compliment à votre endroit. Cela dit, j'aimerais donner à M. Patry et à d'autres l'occasion d'intervenir.

Monsieur Patry.

[Français]

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente. Monsieur Gemayel, soyez le bienvenu au Canada. Il y a deux ans, j'ai eu le plaisir de visiter Beyrouth et j'ai pu constater sur place une partie des problèmes auxquels vous faites allusion ce matin.

Ma question porte sur l'élection d'un nouveau président en Israël, M. Barak, et sur ses déclarations. Il dit envisager une paix durable entre le Liban et l'État d'Israël d'ici deux ans. Que pensez-vous de la théorie selon laquelle, compte tenu des défis économiques que le Liban a à relever et dont vous nous avez parlé, tout appui à l'opposition risquerait de fragiliser le pays et de mettre en péril son redressement? Selon certaines déclarations de la Syrie, il semble qu'elle voudrait être un interlocuteur...

M. Amine Gemayel: Pardon?

M. Bernard Patry: Il semble que la Syrie voudrait pratiquement négocier avec Israël au nom du Liban.

M. Amine Gemayel: Écoutez, il faut séparer les choses et les gens. J'ai appris moi-même, quand j'étais dans la classe primaire, qu'on n'additionnait pas des vaches avec des pommes. Il ne faut pas mélanger les gens. La souveraineté et l'indépendance du Liban sont une chose et l'économie en est une autre.

Comme je le mentionnais au début, la notion de développement en dehors de la souveraineté ou de la normalisation politique est quand même une hérésie dans le sens pratique du terme; il faut un minimum de logique.

• 1005

Ce qui nous importe sur le plan de l'économie, c'est évidemment de faire un effort. Nous sommes nous-mêmes disposés, l'opposition, à prêter main forte à l'État libanais pour redresser l'économie. Ce qui se passe est très, très grave et cette dette de 20 milliards de dollars peut être fatale.

Je ne veux pas entrer dans les détails parce que c'est trop loin. Parfois, nous avons payé dans les 25 à 30 p. 100 d'intérêt sur les bons du Trésor, alors que le LIBOR est à 4, 5 et 6 p. 100 d'intérêt. Vous pouvez imaginer ce que représentent 25 p. 100 de ces 20 milliards de dollars.

Mesdames et messieurs, il y a des hérésies tellement grossières, comme celle de l'affaire des 20 milliards de dollars, que personne n'y croit plus. Le ridicule ne tue plus, comme on dit. La réalité dépasse la fiction. Qui aurait pu imaginer que 500 000 étrangers puissent être ainsi gratifiés de la nationalité d'un seul coup de crayon?

L'affaire de l'économie est très importante. Nous sommes disposés à aider dans l'économie car ce qui se passe est très grave. C'est la responsabilité du gouvernement. Voulez-vous savoir pourquoi cette somme a atteint 20 milliards de dollars? C'est parce qu'une grosse partie de l'argent est allée en Syrie. Comme cette dernière occupe le pays et est de tous les grands projets, des pots-de-vin vont aux responsables syriens.

Nous avons deux compagnies de téléphone cellulaire au Liban et elles n'ont pu fonctionner que lorsqu'on a accordé une grande partie des actions à des gens en Syrie. Regardons les grands projets, l'éducation.

Nous avons, au Liban, un million d'ouvriers syriens qui travaillent sans permis de travail, qui ne paient pas un sou de taxe et qui sont en train de pomper toutes nos réserves; chaque jour, ils prennent nos dollars pour les ramener en Syrie.

Tout cela, c'est une partie des 20 milliards de dollars. Cet état de choses anormal au Liban a aussi contribué à cette dette de 20 milliards de dollars.

Vous avez parlé de l'élection de M. Barak. Nous avons tous applaudi son élection parce qu'il donne un nouvel espoir au processus de paix. Il faudra voir s'il pourra aller de l'avant parce qu'il n'a pas la majorité au Parlement, à la Knesset. Il n'a que 26 députés alors qu'il en faut 61 pour avoir la majorité. Il doit faire des accords avec les uns et les autres. Dans ce contexte, il faudra voir s'il pourra vraiment établir une nouvelle politique qui ne soit pas bloquée par les autres partis qui, eux, ont d'autres idées.

De toute façon, nous sympathisons avec la nouvelle approche de M. Barak.

M. Bernard Patry: Merci.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): J'ai ici un document. Selon le site Web des Affaires étrangères, votre dette s'établissait en 1996 à 10,3... Est-ce millions ou milliards?

M. Amine Gemayel: Milliards. Je ne sais pas où vous avez obtenu ces chiffres, mais selon les chiffres officiels communiqués par le ministre des Finances, notre dette s'élève aujourd'hui à 18 milliards de dollars.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): US?

M. Amine Gemayel: Il s'agit de dollars américains. J'ai parlé tout à l'heure de 20 milliards parce qu'il y a 2 milliards qui n'avaient pas encore été déclarés. En fait, le chiffre exact est 20 milliards. Je n'ai pas inventé ce chiffre, et je parle officiellement.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): D'accord, et cela vaut également pour 1996.

M. Amine Gemayel: En 1996, la dette s'établissait déjà à 14 ou 15 milliards de dollars. Pour 1996, les chiffres ne sont pas exacts.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): D'accord, merci.

• 1010

[Français]

Mme Maud Debien: Nous allons demander au ministère de mettre ses chiffres à jour.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je suis désolée, madame Debien.

Madame Finestone, je vous prie.

L'hon. Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Merci beaucoup. En venant de Montréal ce matin, j'ai entendu à la radio que le retrait des troupes du territoire libanais avait commencé. J'espère que c'est un signe encourageant et que M. Barak pourra former un cabinet, ce qui, je le sais, est difficile, et que cela permettra de résoudre certains des problèmes que vous avez soulevés.

Mais sur le plan de la realpolitik, par opposition à ce que nous pouvons souhaiter ou espérer, peut-on vraiment commencer à négocier séparément avec le Liban et la Syrie compte tenu du portrait désespérant que vous nous avez brossé ce matin et dont je ne mets absolument pas en doute la véracité? Comment communiquer à notre ministre des Affaires étrangères que nous sommes d'accord avec les points que vous avez soulevés? Comment pouvons-nous aller de l'avant dans le contexte d'une politique réaliste?

[Français]

M. Amine Gemayel: Je comprends parfaitement votre remarque. Dans mes premières réponses, je n'ai pas voulu élaborer sur les différentes étapes de la solution. J'ai simplement dit qu'il fallait tout d'abord qu'on prenne conscience que le Liban est occupé et que le gouvernement libanais n'est pas vraiment libre de parler au nom des Libanais.

Une fois que les grandes puissances auront reconnu ce premier fait, nous n'aurons aucune objection à traiter avec la Syrie et à ce qu'elle soit partenaire puisque, comme vous le dites, elle est sur place et que le réalisme politique rend nécessaire la discussion avec la Syrie.

Comme je l'ai dit moi-même dans ma présentation, et je crois que vous m'avez écouté, nous avons tout intérêt à traiter avec la Syrie. Nous ne voulons pas du tout nous opposer à la Syrie; elle est notre voisin et nous tenons à avoir d'excellentes relations avec elle.

Si nous arrivons à restaurer notre souveraineté, nous pourrons établir des relations beaucoup plus saines, amicales et fraternelles avec la Syrie. Nous tenons à établir des relations fraternelles avec la Syrie et à coopérer avec elle dans un contexte stratégique pour ensuite faire un package deal en ce qui concerne le Liban.

On sait très bien que personne n'a de presse-bouton ou de bâton magique pour qu'en l'espace d'une heure la Syrie et Israël sortent du Liban. Nous savons que ce n'est pas aisé. Nous avons d'abord besoin d'une prise de conscience et, une fois que cela sera acquis et que nous n'entendrons plus à la radio de Damas que le Liban et la Syrie ne font qu'un seul pays, à ce moment-là, nous pourrons nous mettre à table avec les Syriens et les Israéliens et voir quelles sont les étapes.

Le retrait peut se faire par étape: d'abord le retrait israélien ou le retrait syrien. On verra cela une fois qu'il y aura de la bonne foi et qu'on aura établi des principes logiques.

Mme Sheila Finestone: J'ai bien compris cela. D'après ce qu'on a entendu, et j'espère que c'est vrai, les premières démarches israéliennes se font ce matin. Je veux revenir au point sur lequel je suis du même avis que vous, c'est-à-dire sur le fait qu'il faudra une prise de conscience.

Mon collègue, le Dr Martin, parlait d'une rencontre multilatérale sur les questions du Moyen-Orient concernant surtout le Liban. S'agit-il de la démarche nécessaire au point de départ ou s'il serait préférable de commencer de façon bilatérale? Si vous aviez le choix, quelle serait votre volonté à cet égard?

M. Amine Gemayel: Le gouvernement libanais n'est pas libre de ses choix aujourd'hui. Je respecte le président de la république qui a été nouvellement élu. C'est une personne de bonne foi qui a à coeur l'intérêt de son pays mais, malheureusement, il ne sera pas libre tant que cette pression pèsera sur lui, et la même chose prévaut pour le gouvernement. Dans la mesure où les Libanais ne sont pas libres de leurs choix actuellement, il est préférable d'aller débattre dans le cadre d'une conférence internationale où les principes du droit international seront respectés, nonobstant le fait que le président de la république puisse ou non parler au nom du Liban. Il faut comprendre que, tout comme c'était le cas de la France et de l'Europe en 1940, le Liban n'est pas libre à l'heure actuelle. On sait pertinemment que lorsque le maréchal Pétain était chef de l'État français, les Français n'étaient pas libres.

• 1015

Mme Sheila Finestone: J'ai accompagné le ministre Axworthy au Liban il y a moins d'un an. Nous avons visité Beyrouth et vu les efforts de reconstruction. Nous nous sommes rendus à Sidon et avons rencontré des gens. Le rôle et la présence des Palestiniens sur le territoire compliquent non seulement les relations entre Israël et la Syrie, mais également nos propres relations avec les Palestiniens en question. Quel est votre rôle? De quelle liberté jouissez-vous pour intervenir? Quelle est la portée de votre voix dans les démarches à venir?

M. Amine Gemayel: Nous, les Libanais, avons tout intérêt à trouver un compromis face à l'affaire des réfugiés palestiniens au Liban. Malheureusement, vers 1975, les relations n'étaient pas très bonnes avec l'OLP. Mais depuis l'accord d'Oslo et une normalisation internationale régionale, où les Palestiniens sont entrés dans le contexte de la négociation diplomatique, nous sommes dans de meilleures dispositions. Nous savons que le Liban doit assumer ses responsabilités aux côtés d'autres puissances et qu'il existe un problème important au niveau des réfugiés. Il y a au Liban quelque 200 000 réfugiés palestiniens dont il faut décider du sort. Nous savons très bien qu'ils ne pourront pas retourner en Israël parce que ce sont des réfugiés de 1948 qui viennent de l'État d'Israël même, et non pas de la Cisjordanie ou des territoires. Donc, il y a un problème.

Comme je le mentionnais lors de mon discours, le Canada a joué un rôle très important. Les personnes que je représente et moi croyons que dans le contexte libanais tout entier, il nous est indispensable de coopérer sous la présidence du Canada pour trouver une formule qui sera aussi juste que possible pour les Palestiniens et pour faire en sorte que le Liban puisse assumer ses responsabilités sans que personne n'ait à subir de grave préjudice. Le Liban doit coopérer et nous devons arriver à un compromis qui saura préserver les intérêts vitaux de la nation libanaise.

Mme Sheila Finestone: Puis-je poser une autre petite question?

[Traduction]

En 1994, vous avez parlé du décret de 1 270 pages qui a conféré à environ 500 000 personnes d'origine syrienne la citoyenneté libanaise.

M. Amine Gemayel: C'est un minimum. D'après d'autres chiffres, ce serait environ 700 000 personnes.

Mme Sheila Finestone: Je voudrais parler du principe de la diversité ethnique. Vous êtes en présence d'une diversité ethnique que vous n'avez pas souhaitée mais qui est présente sur votre territoire à l'heure actuelle. Si l'on considère les Palestiniens qui sont là, ce qui représente un groupe, les Syriens qui ont acquis la citoyenneté libanaise et les Libanais qui étaient déjà là et qui représentent deux branches différentes, entrevoyez-vous un mécanisme qui permettrait à cette diversité, à ce pluralisme ou à ce multiculturalisme de la région de s'épanouir de façon harmonieuse et pacifique ou, en bout de piste, entrevoyez-vous des problèmes comme au Kosovo, en Yougoslavie, au Tibet ou au Cambodge? En fait, il y a quantité de pays que nous pourrions nommer.

• 1020

Le Canada étant un pays multiculturel, il est difficile pour nous de présumer comment un autre pays peut gérer sa propre diversité. Nous assumons la nôtre d'une certaine façon, et je me demandais s'il pouvait exister dans le contexte de ce mouvement vers une perspective multiculturelle, un respect pacifique et harmonieux pour la différence dans un nouveau Liban.

[Français]

M. Amine Gemayel: Madame, excusez-moi de vous le dire, mais vous mélangez les gens.

Mme Sheila Finestone: C'est fort possible.

M. Amine Gemayel: Vous mélangez les gens. Il y a un premier point, soit les Libanais eux-mêmes. Nous avons donné des preuves qu'en 1920, au moment où le Liban a été formé, les chrétiens et les musulmans étaient tous unis. Nous avions tous convenu de vivre dans une nation libanaise, dans les limites des frontières actuelles et dans le système démocratique actuel.

En 1943, nous, chrétiens et musulmans, avons mené un combat en commun. Mon père a été arrêté dans cette lutte pour l'indépendance en même temps que Riyad as-Sulh, le leader musulman. Des leaders chrétiens et musulmans ont mené ensemble le combat pour l'indépendance en 1943. Après l'indépendance, nous avons mené ensemble, chrétiens et musulmans, le combat pour construire cette entité libanaise démocratique et libérale qui faisait la fierté du système démocratique dans une région du Moyen-Orient où il n'était pas facile de créer un tel système démocratique.

Nous, le peuple libanais, croyons qu'il faut tout d'abord nous aider à nous retrouver en dehors des pressions étrangères pour que nous puissions reconstruire notre entité libanaise, recouvrer notre souveraineté et libérer le pouvoir national libanais de toute ingérence étrangère. C'est le premier point qui touche les Libanais. Donc, ne mélangeons pas les gens.

La grande catastrophe est le fait que le Liban ne soit pas aujourd'hui un interlocuteur et qu'il n'ait pas la possibilité de défendre nos droits. On nous a confisqué notre qualité d'interlocuteur. Une situation semblable a déjà existé en France, à l'époque où le maréchal Pétain ne parlait pas au nom des Français. Aujourd'hui, malheureusement, malgré toute leur bonne foi, les dirigeants libanais ne parlent pas au nom des Libanais. Il faut donc d'abord refaire cette cohésion libanaise et nous restituer notre qualité d'interlocuteur capable de défendre nos droits essentiels.

Le deuxième élément, ce sont les Palestiniens. À ce moment-là, un interlocuteur libanais serait en mesure de discuter du problème des réfugiés palestiniens et d'en venir à une entente avec les Palestiniens afin de déterminer qui devra quitter le Liban, comment ces réfugiés quitteront le pays et comment ils s'installeront. C'est un problème technique, et le Canada a un rôle essentiel à jouer en vue de le résoudre. Si vous voulez en prendre l'initiative, je suis disposé, dans un contexte tout à fait personnel et hors de ma qualité officielle, à rencontrer les responsables canadiens qui sont en charge de ce dossier et à leur proposer certaines solutions au problème palestinien. Vous savez bien que lorsque j'étais un homme politique et que j'étais au pouvoir, cette question me préoccupait énormément. J'ai certaines idées sur la façon dont nous pourrions traiter le problème palestinien.

Il y a un troisième problème relatif à ces éléments qui nous ont été imposés, à cet addenda à la démographie libanaise. C'est une situation injuste et totalement artificielle, d'autant plus que très peu de ces personnes vivent au Liban. Lors des élections, elles sont arrivées de Syrie par autobus pour aller dans les bureaux de scrutin. Aucun maire n'a été consulté, comme cela doit se faire, pour confirmer que ces personnes résidaient bel et bien au Liban. La grande majorité de ces gens ne résidaient pas au Liban, mais on leur a accordé la nationalité libanaise simplement pour déjouer la démographie libanaise et faire un contrepoids aux Libanais.

C'est semblable à ce que les Russes ont fait dans certains États de l'Union soviétique. Ils ont envahi certains États en y envoyant des Russes s'y établir afin de modifier la démographie de certains États de l'Union soviétique.

• 1025

C'est donc un troisième point qui est tout à fait indépendant. Il y a un procès et une contestation de ce décret. Tout ce qu'on demande, c'est que le Conseil d'État puisse statuer sur ce décret qui est illégal et illégitime.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Assad, je vous prie.

[Français]

M. Mark Assad (Gatineau, Lib.): Monsieur le président, votre visite et vos propos sont fort intéressants. Évidemment, on suit la situation depuis très longtemps. Je crois qu'il y a beaucoup de gens qui connaissent la place du Liban dans le monde, surtout depuis son indépendance. Il est devenu un centre culturel, financier et commercial du Moyen-Orient; c'est en quelque sorte la Suisse du Moyen-Orient.

Je crois que les gens ignorent un aspect de l'histoire du Liban depuis sa création, après la Première Guerre mondiale. S'il est un endroit au Moyen-Orient, ou même sur toute la terre, où les Arméniens ont été bien accueillis après avoir été chassés et avoir été victimes d'un génocide, c'est bien le Liban. C'est aussi le Liban qui a accueilli les Palestiniens et ensuite les Kurdes.

Il y a très peu de pays dans ce monde qui ont aussi bien accueilli les gens dispossessed, comme on dit en anglais, que le Liban. Ils y ont trouvé la tolérance et ont pu s'y instruire. Je ne sais plus combien j'ai rencontré d'Arméniens et de Palestiniens élevés au Liban qui ont bénéficié de tous les avantages de ce pays.

Il y a très peu de pays qui peuvent se vanter de choses pareilles. Le Liban a été comme un tremplin pour beaucoup de gens qui sont venus au Canada. Il y a beaucoup d'Arméniens qui me disent, et j'en suis flatté, que leurs parents étaient des Arméniens mais qu'eux sont des Libanais.

S'il est un peuple qui mérite de recevoir l'assistance de la communauté internationale pour réinstaurer sa souveraineté sur son territoire, c'est bien le Liban. Cela m'intrigue parfois et cela devient frustrant de voir comment la communauté internationale a laissé un peuple dans une guerre civile durant 14 ou 15 ans. La communauté internationale a fait très peu pour sortir ce peuple de sa misère.

Maintenant, il y a des résolutions des Nations Unies; même le Canada appuie de nouveau son engagement envers le Liban pour qu'il regagne—il faut le dire—sa souveraineté.

Monsieur le président, ma question est très simple. Quel pourrait être le rôle du Canada pour promouvoir la véritable souveraineté du peuple libanais au Liban? Évidemment, on siège au Conseil de sécurité, mais nos voisins du Sud ont beaucoup de pouvoir. J'aimerais savoir ce que pourrait être notre rôle pour faire avancer cette cause qui traîne depuis trop longtemps.

M. Amine Gemayel: Merci, monsieur le député, de cet exposé très pertinent. Vous avez bien fait remarquer que le Liban est un pays de refuge et qu'il devrait demeurer ainsi. Il ne faut pas que les Libanais deviennent eux-mêmes des réfugiés ailleurs, comme je le suis personnellement et comme le sont beaucoup de mes concitoyens qui ont été obligés d'immigrer au Canada ou en Australie, chassés de leur foyer.

Maintenant, qu'est-ce qu'on peut faire? Qu'est-ce que le Canada peut faire? Il peut faire beaucoup. Le Canada est membre du Conseil de sécurité; il est le président du Groupe de travail sur les réfugiés formé après la Conférence de Madrid en 1992; et il participe à plusieurs forces de paix ici et là dans le monde.

On ne peut pas dire que le Canada ne joue pas un rôle international important. Il joue un rôle important dans l'arène internationale; il est un pays économiquement fort et une puissance qui, de plus en plus, pèse dans la balance.

• 1030

Ce que nous souhaitons, c'est qu'il y ait une prise de conscience et une position ferme. La situation des années 1990 est à fait différente de celle des années 1970. Dans les années 1970, les déclarations en faveur des États et des causes étaient des déclarations symboliques. C'était la guerre froide, et il y avait un certain équilibre ainsi qu'un certain blocage des institutions internationales. Donc, les déclarations se résumaient à des voeux pieux. Mais aujourd'hui, dans la nouvelle conjoncture internationale, après la chute du Mur de Berlin, avec ce mouvement vers la libération des peuples et la souveraineté des États, une déclaration de la part du Canada et une action en faveur de l'indépendance du Liban et de la restauration de la souveraineté seraient importantes.

Il faudrait sortir de ce laxisme dont nous avons été nous-mêmes victimes. Je crois que le Canada devrait nous aider et déclarer dans des instances internationales, auprès des Américains, auprès des Européens et auprès d'autres États qu'il y a une situation artificielle et injuste au Liban. Cette situation artificielle et injuste peut être le départ d'une crise comme celle du Kosovo. Donc, une prise de conscience de la part du Canada, comme je le disais tout à l'heure, pourrait beaucoup nous aider et pourrait être le point de départ d'une action concertée en faveur du Liban. C'est ce dont nous avons besoin.

Comme je le disais à Mme la députée, personne n'a de bâton magique ou de presse-bouton. J'ai été président de la république et je sais de quoi je parle. Personne n'a un bâton magique et on ne trouvera pas de solution instantanée. Il y a du travail à faire et des efforts à déployer pour construire des solutions parfois complexes. Mais pour les construire, il faut d'abord faire le premier pas. Le premier pas, c'est la prise de conscience. Une fois qu'il y aura eu une prise de conscience, on pourra collaborer en vue de construire cette solution. Il ne faut pas mettre la charrue devant les boeufs. Il faut d'abord décider de reconnaître la réalité du Liban, à savoir qu'il y a là une situation artificielle et injuste. Reconnaissons ces deux premiers points, et nous irons ensuite de l'avant. Excusez-moi de me répéter, mais j'insiste sur le fait qu'une déclaration du genre faite par le Canada en 1999 aura un effet tout autre que celui qu'une pareille déclaration aurait eu dans les années 1970 ou 1980, alors que la diplomatie internationale était bloquée.

[Traduction]

M. Bernard Patry: Madame la présidente, avant de...

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je ne sais pas trop ce que signifie ce signal d'alarme. Nous avons réussi à faire arrêter la construction au début de la séance, mais nous avons précisé que nous terminerions à 10 h 30. J'ignore si c'est une alarme d'incendie.

Mme Sheila Finestone: Il y a une question importante qui s'en vient.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Veuillez excuser la reprise du bruit.

Monsieur Patry, vous avez 30 secondes.

[Français]

M. Bernard Patry: Si vous me le permettez, j'aimerais simplement vous aviser que je déposerai dans le délai requis un projet de résolution qui pourrait être adoptée par ce comité à la suite de la rencontre que nous avons eu ce matin, qui demandera au gouvernement du Canada d'oeuvrer pour la restauration de la souveraineté libanaise, qui passe par le retrait de toutes les forces non libanaises, et d'habiliter le peuple libanais à décider lui-même de son propre avenir, surtout que le sort des pays du Moyen-Orient est en train de se décider dans le cadre de négociations de paix. Merci.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. C'est un avis de motion. Nous allons déposer cela.

Comme il s'agit d'une alarme d'incendie, nous devons ajourner. La séance est levée.