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JURI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND LEGAL AFFAIRS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES QUESTIONS JURIDIQUES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 4 novembre 1997

• 1529

[Traduction]

La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): La séance est ouverte.

Je veux souhaiter la bienvenue à tous ceux qui ont déjà été membres du comité avant ou qui ont déjà eu affaire avec lui, ainsi qu'à tous les nouveaux députés.

Avant de commencer, je précise que je n'ai pas oublié que nous n'avons pas encore adopté les motions nécessaires à l'organisation du comité. Comme je l'ai dit à plusieurs d'entre vous, nous allons essayer de nous en sortir aujourd'hui et nous étudierons toutes ces motions susceptibles d'être litigieuses plus tard.

Aujourd'hui, nous accueillons deux témoins. En outre, d'autres témoins ont confirmé qu'ils désiraient comparaître demain après- midi, notamment l'Association canadienne des chefs de police et la Criminal Lawyers' Association de l'Ontario, de Toronto. Autrement dit, nous allons entreprendre l'étude article par article du projet de loi après avoir entendu ces deux témoins demain.

• 1530

Je suis certaine que vous voulez faire des commentaires sur la façon de procéder. Mais pour ce qui est des témoins confirmés, est- ce que quelqu'un y trouve à redire?

M. Chuck Strahl (Fraser Valley, Réf.): J'invoque le Règlement. Je suis certain qu'il y aura des commentaires. L'Association canadienne des policiers fait même une remarque dans son mémoire sur notre façon de procéder. Elle y dit que nous avons créé une atmosphère de crise. En fait, elle va même jusqu'à dire que:

    Nous ne pouvons nous empêcher de noter qu'en acceptant cette procédure inutilement accélérée, les députés eux-mêmes contribuent à l'émasculation inquiétante de l'institution du Parlement.

... en acceptant la démarche que nous entreprenons aujourd'hui.

Madame la présidente, je sais que ce n'est pas votre faute parce que vous n'avez pas eu le choix. Mais je tiens à dire publiquement, en des termes sans équivoque, que ce n'est pas la première fois que ça se produit. Nous avons fait tout en notre pouvoir pour aider le comité à faire son travail. Nous avons retranché des orateurs vendredi dernier, vous le savez. Nous n'avons pas demandé le vote, vous le savez aussi. Nous avons encouragé le comité à se réunir sans tarder afin d'entendre les témoins le plus tôt possible. Mais quand le ministère, la ministre nous donne un préavis aussi court, quand on ne peut même pas proposer d'entendre des témoins qui nous présenteraient les deux facettes de la question, on ne peut s'empêcher d'avoir l'impression qu'il y a atteinte à nos droits de député.

Je m'incline bien bas devant ceux qui ont réussi à se présenter à un jour d'avis, mais vraiment madame la présidente, c'est un affront au Parlement et au comité de nous demander de faire passer à toute vitesse, comme si c'était une bagatelle, un important projet de loi qui entraîne une modification constitutionnelle susceptible d'être contestée en vertu de la Charte, et qui vise les victimes, les avocats et l'ensemble du ministère de la Justice. Cette façon de faire nous paraît si viciée que nous ne sommes pas convaincus de pouvoir étudier le projet de loi comme il le mérite pendant le bref laps de temps qui lui a été alloué, à moins que d'autres témoins soient capables de comparaître malgré un préavis aussi incroyablement court. Des témoins nous ont fait savoir qu'ils viendraient avec plaisir. En fait, ils aimeraient bien nous faire partager leur expertise, mais il leur est tout à fait impossible de se présenter à un ou deux jours d'avis.

Sans vouloir trop insister, sauf pour dire à la présidente que je ne sais pas qui au juste est responsable de cet état de fait, je répète que c'est une démarche tout à fait viciée que le Parti réformiste est loin d'approuver. Si la Chambre ne faisait pas relâche la semaine prochaine, nous nous y opposerions farouchement. Nous ne savons même pas si le projet de loi devrait être adopté par la Chambre avant vendredi, le délai qu'elle s'est imposé. Nous ne savons pas si nous pourrons entendre suffisamment de témoins pour avoir une réponse à toutes les questions que nous nous posons, et que se posent sans doute les autres membres du comité, sur ce qui doit être abordé afin de connaître l'avis des experts.

Je le répète, je suis certain que ce n'est pas de votre faute, Shaughnessy...

La présidente: Je le sais.

M. Chuck Strahl: ... mais cette façon de procéder, c'est une comédie. C'est dommage aussi que les membres du comité soient traités comme ça. Le jugement a été rendu en mai et ce n'est qu'aujourd'hui, à la veille de sa prise d'effet, alors que la situation est critique, qu'on apprend qu'il faut étudier un projet de loi mais sans convoquer les témoins que vous avez vous-même inscrits sur la liste. C'est une honte cette comédie et ça devrait être interdit. Si j'étais un membre régulier du comité, je lui sonnerais les cloches à la ministre parce que cette façon de faire n'a rien de bon.

La présidente: Je pense qu'elle vous entend.

M. Chuck Strahl: Je le suppose. Cette façon de faire, c'est mal et c'est mauvais.

La présidente: Je vous remercie pour ces commentaires, mais puis-je présumer que vous allez néanmoins participer à notre étude?

M. Chuck Strahl: Que je sache, je suis encore là.

La présidente: Je sais que le secrétaire parlementaire veut dire un mot sur la question, mais puis-je faire moi-même une remarque? À supposer que vous consentiez à la comparution de l'Association des chefs de police et de la Criminal Lawyers' Association demain et vu la présence aujourd'hui de l'Association canadienne des policiers, du Centre canadien de ressources pour les victimes de crime et d'experts du ministère, sans compter toute l'expertise des membres du comité—c'est un comité passablement amélioré étant donné les ressources personnelles de ses membres aujourd'hui—je pense que, même si nous n'entendrons peut-être pas tout le monde, nous aurons au moins une représentation équilibrée des points de vue. Je suis particulièrement contente que la Criminal Lawyers' Association vienne demain, justement pour cette raison.

• 1535

C'est au tour de Mme Bakopanos.

Mme Eleni Bakopanos (Ahuntsic, Lib.): Je ne veux pas provoquer un débat—le débat a eu lieu à la Chambre des communes—mais nous avons convenu que le temps pressait. S'il y avait eu d'autres témoins... Évidemment, la présidente a dit que tous ceux qui avaient demandé à comparaître devant le comité allaient en avoir la possibilité. Aucun des membres du comité ne refuserait de participer à toute cette démarche.

Le délai nous a été imposé. Ce qu'on a dit durant le débat à la Chambre des communes, c'est qu'il y a eu des consultations exhaustives. C'est pourquoi il a fallu tant de temps. Comme vous l'avez aussi fait remarquer à la Chambre, c'est une question complexe. C'est une affaire qui aura des répercussions sur les futurs arrêts judiciaires. Nous convenons qu'il faut faire des modifications. Tous les partis s'entendent sur la nécessité de modifier ces dispositions législatives. Nous devrions aller de l'avant.

Nous donner une semaine de plus alors qu'il y a six témoins que nous essayons d'arranger, que la présidente essaie d'arranger, ne changerait pas grand-chose au résultat de l'entente conclue à la Chambre.

La présidente: Je vous remercie.

Monsieur Muise.

M. Mark Muise (West Nova, PC): Ça doit être le bon moment pour avancer l'idée de demander à la ministre une prolongation du délai, puisque c'est déjà arrivé une fois. Il y a un précédent. Je vous demande donc respectueusement d'envisager cette possibilité.

La présidente: Nous pouvons demander à la ministre d'en traiter dans son exposé.

Monsieur Ramsay.

M. Jack Ramsay (Crowfoot, Réf.): Je suis très inquiet de voir qu'aucun constitutionnaliste ni personne qui soit reconnu comme une sommité en matière de Charte ne viendra témoigner devant le comité, alors qu'il est question ici de la Charte et que...

La présidente: Et si je vous dis que le représentant de la Criminal Lawyers' Association sera Irwin Koziebrocki. Personnellement, ayant été avocate en Ontario, je pense que c'est l'un des plus grands experts sur la Charte. Cela pourra peut-être vous aider.

M. Jack Ramsay: Si c'est vrai, je suis en partie rassuré.

Pour répondre au secrétaire parlementaire, on ne peut pas s'attendre que des témoins ayant reçu un préavis d'une journée et demie aient le temps de préparer une réaction étoffée à un projet de loi comme celui-ci et de comparaître devant un comité permanent des communes. On ne peut pas s'attendre qu'ils remanient leur horaire pour venir ici et qu'ils arrivent avec une réaction bien étayée au projet de loi. C'est ça le problème.

Ce n'est pas la première fois que ces témoins vont comparaître devant notre comité et ils sont toujours venus sans hésiter. Si on me donnait une journée et demie d'avis et que je devais refaire mon emploi du temps pour effectuer la recherche nécessaire à la présentation d'une opinion éclairée au comité, j'hésiterais énormément à accepter l'invitation.

C'est une question de temps. On n'en sort pas. C'est une question d'horaire. Comme l'a dit M. Strahl, ce n'est pas la faute de la présidente du comité; c'est d'abord et avant tout parce que le ministre de la Justice n'est pas intervenu dans la cause. L'affaire venait de la Colombie-Britannique et on n'a pas demandé au ministère de présenter le projet de loi dès qu'on a su que c'était nécessaire.

Il est certain que si le ministère avait fait tout ce travail à la mi-mai ou même en juin, le projet de loi aurait été présenté plus tôt et nous ne serions pas bousculés. Nous ne serions pas aux prises avec le problème que nous connaissons. Nous allons donc entendre quatre des dix témoins sur la liste établie en vitesse, alors que nous avons dit que c'était le minimum. C'est inacceptable.

La présidente: Merci, monsieur Ramsay.

Derek Lee.

M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci, madame la présidente.

Tout à l'heure, j'étais un peu mal à l'aise devant la possibilité que le comité entreprenne dès aujourd'hui l'étude article par article, parce que je crois qu'il faut une certaine période de réflexion et de la minutie, ce qu'il est impossible de faire en quatre heures.

Sur la question plus générale du temps qui passe, si nous sommes tous là aujourd'hui, madame la présidente, c'est pour participer à l'étude du projet de loi. Personne dans cette pièce n'a approuvé le délai et nous n'étions pas là quand le délai a commencé à courir. Ce sont les branches judiciaire et administrative de notre gouvernement—le ministère de la Justice— qui ont proposé six mois. Qui était le porte-parole du Parlement quand ça c'est négocié?

• 1540

La présidente: Je pense que...

M. Derek Lee: Non, laissez-moi terminer, madame la présidente. Je veux connaître l'opinion des fonctionnaires de la Justice.

L'hon. Anne McLellan (ministre de la Justice et procureure générale du Canada, Lib.): Je vous écoute.

M. Derek Lee: Qui représentait le Parlement quand on a proposé le délai de six mois? La réponse c'est personne. Le Parlement avait été dissous à l'époque, si je ne m'abuse.

Donc, peut-être qu'au cours des mois à venir, nous pourrions songer à faire savoir à la Cour suprême et au ministère de la Justice de combien de temps le Parlement aura besoin à l'avenir si jamais d'autres jugements intéressant la Charte sont rendus et suspendus provisoirement. Voilà une question sur laquelle nous devrions sans doute nous pencher.

La présidente: C'est une suggestion constructive.

Je vais donc présumer, sauf avis contraire, que nous pouvons commencer l'étude du projet de loi et confirmer ces témoins parce que je veux donner des instructions pour demain. Très bien, c'est réglé.

Notre premier témoin est donc la ministre de la Justice. Bienvenue, madame la ministre.

L'hon. Anne McLellan: Merci beaucoup. Je suis très heureuse d'être ici. Je suis très heureuse de cette première rencontre avec les membres du comité à ce titre.

Je comprends les craintes qui motivent certains députés et je tiens à rétablir certains faits avant de prononcer mes remarques officielles.

Pour répondre à ce que M. Ramsay a dit au sujet du procureur général de la Colombie-Britannique, je rappelle pour ceux d'entre vous qui l'ignoreraient, que l'affaire Feeney s'est passée en Colombie-Britannique. Nous étions en contact permanent avec le procureur général de cette province. Nous sommes intervenus avec le procureur général de la Colombie-Britannique pour demander la suspension de l'exécution du jugement.

En fait, nous avons été un partenaire à part entière et actif, et sauf votre respect, quiconque laisse entendre que nous nous sommes traîné les pieds quand il a fallu appuyer le procureur général de la Colombie-Britannique qui demandait la suspension, se trompe. Je pense que le procureur général de la Colombie- Britannique et ses fonctionnaires pourraient le confirmer à M. Ramsay. Nous les avons bien épaulés dans toute cette histoire et nous avons agi tous les deux, de concert avec les autres provinces, pour nous assurer que la requête en suspension soit présentée avec diligence devant le tribunal.

À nouveau pour ceux d'entre vous qui l'ignorent, l'arrêt Feeney a été rendu le 22 mai et en juin, nous comparaissions devant la Cour suprême du Canada avec nos homologues des provinces pour lui demander de surseoir à l'exécution de son jugement, le temps de faire ce que nous sommes ici pour faire, c'est-à-dire étudier les mesures législatives à prendre en réaction à cette décision de la Cour suprême qui a provoqué de vives inquiétudes, surtout chez les forces de l'ordre au pays.

J'ajouterais qu'à ma connaissance, presque tous les principaux intéressés ont été consultés. Le milieu policier... vous allez entendre l'Association canadienne des policiers. Je ne veux pas dire que l'Association est d'accord en tous points, mais elle pourra confirmer qu'elle a été consultée pendant toute la rédaction du projet de loi. Les chefs de police ont été consultés. D'ailleurs, nous avons modifié le projet de loi jusqu'à la dernière minute afin de répondre aux préoccupations des forces de l'ordre et d'autres, des procureurs généraux des provinces qui sont intéressés au premier chef.

Je m'excuse donc auprès de tous les députés de leur demander d'étudier le projet de loi en si peu de temps, mais je dois dire que les circonstances sont exceptionnelles et que nous avons consulté les principaux intéressés à la moindre occasion, car ce sont eux qui sont quotidiennement confrontés à des situations difficiles sur le terrain.

Comme j'y ai déjà fait allusion tout à l'heure, la Cour suprême a rendu son jugement dans la cause R. c. Feeney le 22 mai. Une majorité de cinq juges sur quatre a statué qu'à la lumière de la Charte des droits et libertés, les policiers étaient tenus d'obtenir une autorisation judiciaire ou un mandat avant de pénétrer dans une maison d'habitation pour arrêter quelqu'un dont ils ont des raisons de croire qu'il s'y trouve.

Ce faisant, la Cour a renversé l'une de ses décisions antérieures dans l'arrêt R. c. Landry, dans lequel elle avait statué que la police n'était pas tenue d'avoir un mandat d'entrée lorsqu'elle avait des motifs raisonnables d'arrêter quelqu'un et de croire que cette personne se trouvait sur les lieux, dans la mesure où le policier procédant à l'arrestation informait les gens de sa présence, de son pouvoir et du motif de son entrée en pénétrant dans les lieux.

Il importe de souligner toutefois que la Cour suprême a expressément reconnu la nécessité de permettre aux policiers de pénétrer dans une habitation dans le but d'arrêter quelqu'un, même sans mandat d'entrée, lorsqu'il y a prise en chasse. La Cour l'a affirmé et je cite:

    Dans le cas d'une prise en chasse, le droit à la vie privée doit céder le pas à l'intérêt qu'a la société à garantir une protection policière suffisante.

• 1545

Je vous l'ai dit, le 27 juin, la Cour suprême du Canada a accepté de surseoir à l'exécution de l'arrêt Feeney pendant six mois afin de permettre au Parlement d'édicter une loi corrective. Il est évident que la suspension vient à échéance le 22 novembre.

Pour rédiger le projet de loi, mes fonctionnaires ont consulté l'Association canadienne des chefs de police, l'Association canadienne des policiers que vous allez entendre tout à l'heure, la GRC, l'Association du Barreau canadien, le Barreau du Québec et les fonctionnaires des ministères des Procureurs généraux des provinces au sujet des questions soulevées par l'arrêt Feeney.

Ce fut du temps bien employé et nous avons produit ce qui, à mon avis, est un bon projet de loi. Je suis donc ici aujourd'hui pour vous demander d'approuver le projet de loi C-16.

Les dispositions législatives proposées sont conçues pour veiller aux intérêts des forces de l'ordre en leur fournissant une procédure claire et efficace pour demander l'autorisation nécessaire pour pénétrer dans une habitation en vue d'y arrêter quelqu'un, avec ou sans mandat d'arrestation. Par ailleurs, elles assureront aux Canadiens une protection indéfectible contre toute atteinte déraisonnable à l'inviolabilité de leur demeure.

Certains se demanderont pourquoi le gouvernement ne s'est pas contenté de redonner aux policiers les pouvoirs d'entrée et d'arrestation qu'ils détenaient avant l'arrêt Feeney. Comme le jugement dans l'affaire Feeney repose sur la Constitution, il serait impossible d'édicter une loi prétendant codifier l'ancienne common law alors que la Cour suprême a conclu qu'elle violait la Charte canadienne des droits et libertés.

Ayant jeté un coup d'oeil sur le mémoire de l'Association canadienne des policiers, je pense qu'elle en a un peu plus long à dire cet après-midi sur le sujet et sur certaines autres préoccupations plus générales concernant le rôle des juges.

À l'autre extrême, il y a ceux susceptibles de prétendre que chaque fois que les policiers veulent arrêter quelqu'un qu'ils ont repéré dans une maison d'habitation, ils doivent être tenus d'obtenir d'abord un mandat d'arrestation contre cette personne ainsi qu'une autorisation d'entrée dans l'habitation. Cela signifie que les policiers seraient obligés de porter des accusations formelles contre la personne avant d'obtenir une autorisation d'entrée.

À mon avis, une telle obligation nuirait indûment au travail policier et serait particulièrement problématique dans les provinces du Nouveau-Brunswick, du Québec et de la Colombie- Britannique où la Couronne doit approuver les accusations que la police se propose de déposer avant de demander un mandat d'arrestation.

Maintenant, penchons-nous brièvement sur le contenu des dispositions législatives. Le pivot du projet de loi, c'est la création d'un nouveau mandat. Si le projet de loi C-16 est adopté par le Parlement, il autorisera les policiers à obtenir une autorisation judiciaire dans le but d'arrêter quelqu'un, sans être obligés d'accuser formellement cette personne de l'infraction pour laquelle elle sera arrêtée.

En vertu du projet d'article 529.1, l'agent de la paix qui ne détient pas un mandat d'arrestation contre la personne, mais qui a le pouvoir de l'arrêter sans mandat exprès en vertu de l'article 495 du Code criminel, peut demander à un juge ou à un juge de paix de délivrer un mandat l'autorisant à pénétrer dans une maison d'habitation désignée où la personne à arrêter se trouve ou se trouvera. Si le juge ou juge de paix est convaincu que ces conditions sont remplies, il peut délivrer le mandat d'entrée. De même, si un mandat d'arrestation a déjà été délivré, l'agent de la paix pourra obtenir la même autorisation afin d'entrer dans l'habitation pour effectuer l'arrestation. Cependant, un agent de la paix qui aura obtenu un mandat d'arrestation pourra demander à l'avance au juge ou au juge de paix une autorisation d'entrée dans l'habitation.

Le projet de paragraphe 529(1) du Code criminel aura pour effet de permettre qu'une autorisation d'entrée dans une maison d'habitation soit incluse dans un mandat d'arrestation si, au moment de la délivrance du mandat, le juge ou juge de paix est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que la personne à arrêter se trouve ou se trouvera dans cette habitation.

Cette disposition sera vraisemblablement invoquée dans deux situations différentes. La première, c'est à la fin d'une enquête policière lorsque la police s'adresse à un juge de paix pour obtenir un mandat d'arrestation et qu'elle est capable de le convaincre que la personne se trouve ou se trouvera dans une maison d'habitation particulière; la seconde, c'est si un accusé fait défaut de se présenter devant le tribunal alors qu'il y est contraint pour une enquête préliminaire ou un procès et si les policiers peuvent convaincre le juge de paix que cette personne se trouve ou se trouvera dans une maison d'habitation précise.

De plus, le projet de loi C-16 cherche à donner le plus de latitude possible au système judiciaire, puisqu'il renferme une disposition qui autorisera les agents de la paix à utiliser le système de télémandat actuellement prévu dans le Code criminel pour demander un mandat d'entrée, par téléphone ou par un autre moyen de télécommunication, lorsque c'est plus commode pour eux que de comparaître en personne.

• 1550

La loi oblige les policiers à obtenir une autorisation judiciaire avant d'entrer dans une maison d'habitation et nous devons tenter de fournir aux forces de l'ordre tous les moyens technologiques disponibles afin de s'assurer qu'ils s'acquittent adéquatement de leurs obligations constitutionnelles sans mettre en péril la sécurité des Canadiens et sans rendre leur tâche déjà difficile carrément impossible.

Ce sera particulièrement utile pour les agents de police qui travaillent dans des endroits isolés et, de façon générale, ça aidera les policiers à gagner du temps précieux. Ça pourrait aussi contribuer à protéger la société, puisque les policiers pourraient appréhender les suspects plus rapidement.

Autrement dit, les modifications proposées fourniront aux agents de police la plus grande marge de manoeuvre possible, compte tenu que la Charte les oblige à se munir d'une autorisation judiciaire avant de pénétrer dans une habitation.

Je voudrais dire quelques mots au sujet des situations d'urgence qui constituent une exception à l'obligation d'obtenir une autorisation d'entrée. Il ne sera pas toujours possible ni souhaitable que les policiers obtiennent une autorisation judiciaire avant d'entrer dans une habitation pour y arrêter quelqu'un. Dans l'arrêt Feeney, la Cour suprême du Canada reconnaît ce fait et réitère le pouvoir d'entrée prévu en common law dans les cas de prise en chasse.

Le projet de loi ne traite pas de la prise en chasse puisque c'est un concept déjà reconnu dans notre droit. La question de savoir quelles autres situations justifieraient une exception à l'obligation d'obtenir une autorisation judiciaire préalable n'a pas été tranchée définitivement par le jugement majoritaire de la Cour.

Le projet de loi renferme donc—et je trouve que c'est important—une définition non limitative de certaines situations d'urgence dans lesquelles les policiers seront autorisés à entrer dans une habitation pour y arrêter quelqu'un sans être munis d'une autorisation judiciaire. L'entrée sans autorisation ni mandat sera autorisée lorsque les policiers auront des motifs raisonnables de soupçonner qu'il leur est nécessaire de pénétrer dans la maison d'habitation pour éviter à quelqu'un des lésions corporelles imminentes ou la mort. De même, l'entrée sans autorisation ni mandat sera permise lorsque les policiers auront des motifs raisonnables de croire que les éléments de preuve relatifs à la perpétration d'un acte criminel se trouvent dans l'habitation et qu'il est nécessaire d'y pénétrer pour éviter leur perte ou leur destruction imminente.

Le projet de loi que vous avez sous les yeux renferme en plus une modification de la Loi d'interprétation destinée à étendre le régime prévu dans le Code criminel aux arrestations effectuées en vertu d'autres lois fédérales. Il contient aussi un préambule qui énonce l'objet de la loi et précise que celle-ci n'a pas pour but de restreindre les pouvoirs d'entrée conférés à la police par d'autres lois ou par la common law.

Les procureurs généraux des provinces, la GRC, l'Association canadienne des chefs de police, l'Association canadienne des policiers et l'Association du Barreau canadien ont tous été consultés durant la rédaction du projet de loi. Je veux les remercier encore une fois de leur participation et de leur coopération.

Étant donné les restrictions constitutionnelles établies dans l'arrêt Feeney et dans les autres jugements de la Cour suprême intéressant les droits à la vie privée, je crois que ce projet de loi représente un compromis satisfaisant qui permettra aux policiers de faire leur travail difficile sans enfreindre la Charte canadienne des droits et libertés.

Sur ce, je termine mes remarques liminaires.

Permettez-moi de vous présenter Yvan Roy, de mon ministère, qui est on ne peut plus disposé, comme moi, à répondre aux questions que pourrait vous inspirer ce projet de loi, qu'elles portent sur la politique générale ou sur des points plus précis.

La présidente: Madame la ministre, puis-je vous demander de combien de temps vous disposez?

L'hon. Anne McLellan: Je vais devoir partir sans doute à 16 h 15 au plus tard, parce que je suis attendue à une autre réunion de comité.

La présidente: Il y a deux députés qui ont demandé la parole jusqu'à présent. Je vais commencer par M. Ramsay du Parti réformiste qui a droit à cinq minutes.

• 1555

M. Mark Muise: Madame la présidente, j'invoque le Règlement. Je me demandais si vous pouviez expliquer de combien de temps chaque parti va disposer. Je crois que ça n'a pas été décidé.

La présidente: Effectivement, notre comité n'a pas encore réglé cette question, monsieur Muise, mais j'avais l'intention de commencer par un tour de cinq minutes pour chacun des partis, après ça on verra, d'accord?

M. Mark Muise: Très bien, merci.

La présidente: Monsieur Ramsay.

M. Jack Ramsay: Je veux poser deux questions et s'il me reste du temps, mon collègue voudrait poser une question lui aussi, madame la présidente.

La présidente: Certainement.

M. Jack Ramsay: Madame la ministre, je tiens à vous remercier d'être venue nous faire une présentation cet après-midi.

Je vous renvoie à une disposition que vous avez effleurée, le projet d'alinéa 529.3(2)b). Qu'y a-t-il dans cette disposition pour laisser croire que le projet d'alinéa est constitutionnel et qu'il n'a pas été invalidé en fait par l'arrêt Feeney? Qu'y a-t-il là- dedans pour nous rassurer sur la constitutionnalité de ce projet d'alinéa qui autorise les policiers à entrer sans mandat dans une habitation, au simple motif qu'ils ont des raisons de croire que les éléments de preuve relatifs à un acte criminel pourraient être détruits?

Je pose la question parce que j'ai l'impression que l'arrêt Feeney a carrément écarté ce motif pour justifier l'entrée dans une habitation.

L'hon. Anne McLellan: M. Roy va répondre directement à votre question, mais je dirais d'abord qu'il faut manifestement trouver un juste milieu. Il faut respecter le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Feeney; il faut respecter la Charte des droits et libertés; il faut respecter le droit à la vie privée des Canadiens; il faut respecter le droit des Canadiens à la sécurité; et il faut protéger, dans toute la mesure du possible, la capacité des forces de l'ordre à faire leur travail.

Vous n'êtes pas sans savoir, monsieur Ramsay, qu'il y a maints intérêts et maintes valeurs à mettre dans la balance et nous croyons avoir fait de notre mieux étant donné les contraintes imposées par l'arrêt de la Cour suprême.

M. Jack Ramsay: Mais la disposition est-elle constitutionnelle?

L'hon. Anne McLellan: Nous en sommes convaincus et M. Roy va vous expliquer en détail pourquoi nous le sommes. Monsieur Ramsay, si vous nous demandez la ferme assurance que la constitutionnalité de ce projet d'alinéa sera confirmée par la Cour suprême du Canada si jamais elle est contestée par un accusé, alors non, je ne peux pas le faire parce que c'est contraire à la nature même de notre système de droit.

En fait, on ne peut pas donner une telle garantie et il faudrait être fou pour le faire, car ce serait ni plus ni moins priver les tribunaux, quelle que soit l'instance, de leur capacité de faire leur travail.

M. Jack Ramsay: Est-ce que cela vaut pour l'ensemble du projet de loi?

L'hon. Anne McLellan: Non. Ce que je vous dis, c'est que nous croyons avoir trouvé le juste milieu et nous croyons que la Cour suprême sera d'accord avec nous et confirmera ces dispositions législatives parce que nous avons mis en équilibre toutes ses valeurs importantes. Cependant, si vous me demandez de vous garantir que la Cour va confirmer le projet de loi, c'est une toute autre affaire. Je ne peux pas le faire et personne ne le peut.

M. Jack Ramsay: Puis-je poser ma deuxième question?

L'hon. Anne McLellan: Voulez-vous entendre la réponse de M. Roy sur...?

M. Jack Ramsay: Oui, mais je préférerais poser ma deuxième question d'abord.

Comme le jugement de la Cour suprême du Canada oblige toute personne en autorité à s'informer des nouvelles conditions avant d'entrer dans une habitation, est-ce que vos fonctionnaires ou vous-même avez envisagé les conséquences plus générales de l'arrêt, à savoir que de nombreuses lois fédérales et même provinciales confèrent à des fonctionnaires, des agents et des inspecteurs le pouvoir d'entrer dans des habitations? Est-ce que l'arrêt Feeney a une incidence sur ce pouvoir?

L'hon. Anne McLellan: Oui. Nous avons d'ailleurs mené de vastes consultations avec tous les collègues et ministères fédéraux touchés.

Vous avez tout à fait raison de signaler qu'un grand nombre de lois diverses sont touchées par l'arrêt Feeney. C'était d'ailleurs l'une des inquiétudes lorsque l'arrêt a été rendu. Par conséquent, durant l'été, nous avons largement consulté tous les ministères fédéraux responsables de l'application de lois touchées par l'arrêt Feeney. Je crois que nous avons aussi eu des discussions comparables avec nos homologues provinciaux.

M. Yvan Roy (avocat général principal, ministère de la Justice): C'est exact.

M. Jack Ramsay: Est-ce que ça signifie qu'il faudra modifier toutes les dispositions de ces lois conférant le pouvoir d'entrer dans une maison d'habitation?

• 1600

L'hon. Anne McLellan: Comme ce projet de loi modifiera la Loi d'interprétation, si vous l'adoptez, le régime législatif énoncé dans le Code criminel s'appliquera à toutes les arrestations effectuées en vertu d'autres lois fédérales.

La présidente: Merci, monsieur Ramsay.

Monsieur Roy, voulez-vous compléter ces réponses?

M. Yvan Roy: Avec plaisir, madame la présidente.

Au sujet des situations d'urgence, quatre des neuf juges ont affirmé clairement—et c'est la minorité—que dans des situations d'urgence, l'État devrait pouvoir pénétrer dans une habitation pour y arrêter quelqu'un. C'est écrit noir sur blanc.

Quant au jugement majoritaire, je vous renvoie au paragraphe 51 des motifs de la majorité, qui ont été rédigés par le juge Sopinka. Le paragraphe 51 se trouve à la page 158 de l'arrêt reproduit dans Canadian Criminal Cases, la version que j'ai en main. La majorité déclare: «Cette règle»—celle obligeant à obtenir un mandat ou une autorisation d'entrée—«souffre une exception dans le cas d'une prise en chasse».

Voilà qui me donne l'occasion de vous dire que le projet de loi ne prévoit rien au sujet de la prise en chasse. Le concept fait déjà partie de notre droit selon la common law. Donc, lorsque des policiers ont pris en chasse quelqu'un et que cette personne entre dans une habitation, ils peuvent le suivre dans la maison et l'arrêter sans mandat. Les neuf juges de la Cour suprême s'entendent là-dessus.

Je vous lis la phrase suivante:

    Notre Cour n'a pas encore pleinement abordé la question de savoir s'il existe une exception pour les situations d'urgence en général, et il n'est pas nécessaire non plus d'y répondre dans le présent pourvoi, étant donné que j'estime qu'il n'y avait pas de situation d'urgence quand l'arrestation a été effectuée.

Le Parlement a donc l'occasion de se prononcer sur la question des situations d'urgence pour affirmer qu'étant constitué de représentants élus, il est le seul à pouvoir se prononcer là-dessus et à dire aux tribunaux que lui, le législateur, sait que, dans certaines circonstances, il est raisonnable que l'État intervienne sans avoir à attendre la délivrance d'un mandat.

Quelles sont ces circonstances? Deux situations sont décrites dans le projet de loi. La première, c'est quand il y a un risque que quelqu'un soit blessé, que son intégrité physique soit compromise. C'est comme si le Parlement affirmait croire que l'État a le droit d'intervenir dans de telles circonstances.

La seconde, c'est lorsque l'individu qu'on tente d'arrêter est sur le point de détruire des éléments de preuve. C'est imminent. Si une telle chose se produisait, ça déconsidérerait l'administration de la justice et le Parlement a l'occasion de dire que, dans de telles circonstances, il est raisonnable que l'État, la police, les forces de l'ordre soient autorisés à agir.

Voilà les deux situations sur lesquelles le Parlement se prononce. En tant qu'avocats du ministère de la Justice, nous croyons que c'est une limite raisonnable qui se justifie dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Le projet de loi prévoit aussi laisser la common law évoluer au cas où il y aurait d'autres situations d'urgence dont on pourrait et devrait tenir compte.

Le Parlement vise donc expressément ces deux situations et, s'il y en a d'autres, les tribunaux devront se prononcer eux-mêmes sur chaque cas.

Monsieur Ramsay, nous croyons que quand le Parlement se prononce—et la Cour suprême l'a répété à maintes reprises—les tribunaux doivent déférer à sa volonté. Le ministre de la Justice et le gouvernement lui offrent cette possibilité en incorporant cette disposition dans le projet de loi C-16.

Dans votre seconde question, vous vous demandez si ces dispositions s'appliquent à d'autres lois. Ce que vous a répondu la ministre est tout à fait conforme au contenu du projet de loi, mais j'ajouterais quelque chose.

Vous avez parlé des inspections. Ça n'a rien à voir. Il est question ici de conférer à l'État le pouvoir d'aller arrêter quelqu'un quand il a des raisons de croire que cette personne a commis un crime. Il n'est pas du tout question des pouvoirs d'inspection.

M. Jack Ramsay: C'est le pouvoir d'entrer dans une habitation dont je veux parler, quel qu'en soit le but.

M. Yvan Roy: Je sais. L'autorisation dont il est question dans le projet de loi est donnée pour arrêter quelqu'un, pas pour faire une inspection. Il ne faut pas confondre les deux.

M. Jack Ramsay: Mais je voulais que vous parliez du pouvoir de pénétrer dans une maison d'habitation.

La présidente: Monsieur Ramsay, c'est ce qu'il est en train de faire.

L'hon. Anne McLellan: C'est un point important qu'il faut clarifier. Je pensais que tout le monde avait compris de quoi il était question.

• 1605

L'arrêt Feeney porte sur une gamme très restreinte de circonstances comprenant les mandats d'arrestation, le droit d'entrée et les situations dans lesquelles on peut entrer dans une habitation pour arrêter un suspect. Le projet de loi ne vise rien d'autre.

La présidente: Monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): J'aimerais vous dire qu'il est vrai que vous avez consulté les procureurs généraux des provinces. Mais ils auraient peut-être aimé qu'on assure un suivi à leurs remarques.

Pour ce qui est du gouvernement du Québec, vous avez effectivement communiqué avec lui. Ils ont fait une série de commentaires, dont un sur lequel ils auraient aimé avoir une analyse beaucoup plus globale sur tous les mandats. Ils ont apporté certaines précisions, et on me dit qu'à la suite de ces consultations, ils n'ont pas obtenu de réponses. Plus que cela, monsieur Roy, c'est moi qui ai transmis le projet de loi C-16, que vous nous aviez remis le matin même de son dépôt. Ils auraient peut-être aimé qu'il y ait un suivi plus serré, étant donné qu'ils ont collaboré avec le ministère.

Ils vous comprennent également au niveau de l'«urgence», urgence qui est peut-être occasionnée par les fonctionnaires ou je ne sais trop quoi. Je ne veux pas mettre cela sur vos épaules, monsieur Roy, parce que je sais que vous n'êtes pas seul. Cependant, je pense qu'on aurait pu se pencher sur ce projet de loi avant cela, puisqu'on siège depuis le mois de septembre.

Cela étant dit, bien qu'on n'accorde pas pas une bénédiction globale au projet de loi, je pense que les procureurs généraux, du moins le procureur général du Québec, sont capables de vivre avec cela. Dans ma tête, je me pose les mêmes questions que le Parti réformiste à propos de l'article 529.3 proposé.

Vous avez répondu à certaines questions. Je vois une porte ouverte avec le mot «notamment» en français. Pour ce qui est du texte anglais, cette langue ne m'est pas assez familière pour que je puisse dire si c'est la même chose, mais dans le texte français, le terme «notamment urgence» laisse une grande porte à l'interprétation des juges.

Quand on ajoute «notamment urgence», c'est plus large que «des motifs raisonnables de soupçonner» ou «des motifs raisonnables de croire que». Le fait de conjuguer «notamment» et «motifs raisonnables de croire que» ne peut-il pas mener à des abus? Si oui, les juges pourraient-ils utiliser cela pour élargir cette disposition et dire que le législateur a ajouté «notamment urgence» et qu'ils considèrent qu'il y a urgence dans un cas particulier?

J'aimerais entendre la ministre et ensuite M. Roy.

[Traduction]

L'hon. Anne McLellan: Premièrement, vous vous demandez à quel point de vue il y avait urgence, n'est-ce pas? Je pense qu'il y avait avant tout urgence pour le milieu policier au sens où, après l'arrêt de la Cour suprême du Canada, on ne savait plus trop bien dans quelles circonstances il fallait obligatoirement obtenir un mandat d'arrestation avant d'entrer dans une habitation. Il était donc urgent de clarifier ce point pour l'efficacité des forces de l'ordre et des enquêtes effectuées au pays.

Je pense qu'il y avait aussi urgence pour les Canadiens au sens où ils voulaient des précisions tout en étant rassurés à la fois sur leur droit à la vie privée et sur les circonstances dans lesquelles ce droit peut être exercé d'une part et, d'autre part, sur le droit des Canadiens à un quartier et un chez-soi sûrs.

À mon avis, c'est pourquoi il était urgent d'agir après l'arrêt Feeney. C'est pourquoi nous nous devions d'agir et de mener des consultations comme nous l'avons fait.

Au sujet des divergences possibles entre les textes français et anglais du paragraphe 529.3(2), je vais demander à Yvan de commenter cette observation et de répondre aux autres aspects de la question de M. Bellehumeur.

[Français]

M. Yvan Roy: Monsieur Bellehumeur, vous avez tout à fait raison de dire qu'au paragraphe (2) de l'article 529.3 proposé, le mot «notamment» a de l'importance. Cela correspond aux propos que je tenais en réponse à la question posée par M. Ramsay.

• 1610

Je veux dire par là que le Parlement est appelé, en vertu de cette disposition, à se prononcer, à donner un signal aux tribunaux en disant: Dans les cas qui sont prévus aux alinéas a) et b) de ce paragraphe, le Parlement considère qu'il s'agit de situations d'urgence. Le but de cette disposition n'est pas de limiter la possibilité de développement de la common law au-delà de ces deux situations d'urgence prévues dans le projet de loi.

Je vous invite à regarder le préambule, à la première page. On dit:

    Attendu: qu'il tient toutefois à préciser qu'il n'a pas l'intention, par l'édiction de la présente loi, de limiter les cas, prévus par une loi ou une règle de droit, notamment la common law, où l'entrée, en vue d'une arrestation, d'une maison d'habitation sans autorisation judiciaire préalable se justifie;

Cet attendu dans le préambule est confirmé dans le texte de loi, au paragraphe 529.3(2) proposé, qui dit que «notamment», dans ces deux cas-là, le Parlement aura parlé.

M. Michel Bellehumeur: Pour le nouveau cas qui va se présenter au policier, est-ce qu'on va lui demander s'il a des motifs raisonnables de soupçonner ou des motifs raisonnables de croire, pour justifier son entée dans une maison, qu'il est dans une situation d'urgence?

Par exemple, on apprend qu'ils ont des motifs raisonnables de soupçonner qu'un individu va quitter le pays avec des documents démontrant une fraude économique au Canada. Est-ce que cela ferait partie des motifs raisonnables de soupçonner ou des motifs raisonnables de croire?

M. Yvan Roy: Dans un cas comme celui que vous me présentez, monsieur Bellehumeur, je dirais qu'il n'y a pas de situation d'urgence. Il n'y a pas de raison pour laquelle la police doit entrer dans cette maison d'habitation pour arrêter cette personne. Il n'y a pas de danger de destruction de preuve ou de danger à l'intégrité physique...

M. Michel Bellehumeur: Quand quelqu'un veut partir du Canada avec des documents démontrant une fraude, n'est-ce pas suffisant? Ne doit-on pas éviter leur perte ou leur destruction imminente?

M. Yvan Roy: Non. Mais faisons attention. Je ne dis pas que la police ne peut pas les arrêter. Je dis que la police ne peut pas entrer dans cette maison d'habitation pour arrêter la personne pour cette raison uniquement.

Si on sait que la personne va sortir, de deux choses l'une: ou bien on obtient les autorisations judiciaires prévues par ce texte-là, ou bien on attend que la personne sorte et, lorsque la personne est sur le domaine public, on l'arrête. Il n'y a aucune difficulté de ce côté-là, aucune.

Mais votre question est plus pointue et je voudrais y revenir. Vous me demandez quel sera le standard applicable en matière de situations d'urgence, de façon générale. Je pense que le standard applicable va être un standard de «motif raisonnable de croire que» et qu'il s'agira de voir en quoi consiste la situation d'urgence.

Vous avez raison de noter que, dans le texte qui est présentement devant vous, il y a deux standards différents, un pour les blessures corporelles, l'autre pour la destruction de preuves. Le standard pour les blessures corporelles est un standard de soupçon. C'est effectivement un standard qui est moins élevé que «des raisons de croire que». Mais nous croyons, et c'est l'opinion que nous avons donnée à la ministre et qu'elle a acceptée, que ce standard-là se défend dans une société libre et démocratique.

Par exemple, on ne peut tolérer que, dans une situation de violence domestique, la police ne puisse intervenir parce qu'on ne sait pas si ça va arriver. Il faut que, lorsque les soupçons sont raisonnables, c'est-à-dire lorsqu'ils peuvent être articulés, il puisse y avoir une intervention de l'État. Autrement, cette loi-là sera tenue comme étant inique, croyons-nous.

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur Bellehumeur. Je sais que votre collègue a une question à poser, mais je donne maintenant la parole à M. Muise.

M. Mark Muise: Merci.

Au sujet de ma première question à la ministre, pour que les policiers fassent leur travail comme il faut, il faudra que les juges de paix soient disponibles en pratique 24 heures sur 24, sept jours par semaine. Comment la ministre s'assurera-t-elle que les fonds nécessaires seront alloués pour que ce soit réalisable?

L'hon. Anne McLellan: La question des ressources est importante mais aucun changement de la situation n'est prévu, puisque l'arrêt Feeney ne change rien au fait que cette question relève des procureurs généraux provinciaux. Ce sont eux qui sont responsables de l'administration de la justice dans les provinces. C'est évidemment l'une des raisons pour lesquelles nous avons tant consulté les provinces sur la rédaction du projet de loi.

• 1615

Les télémandats, ce n'est rien de nouveau. Ça existe depuis bien plus de dix ans au Canada. Je pense que ces mesures législatives entraîneront une multiplication des télémandats. Il faudra probablement une augmentation ou une expansion des ressources nécessaires pour s'assurer que les policiers seront capables d'obtenir des mandats en temps opportun et utile.

Ayant travaillé en collaboration avec nos collègues provinciaux, nous sommes persuadés que les ressources nécessaires seront disponibles. Néanmoins, je vous induirais en erreur si j'omettais d'ajouter que les ressources font nettement problème et que, dans notre système de justice pénale, l'administration de la justice relève des provinces.

M. Mark Muise: J'ai une question supplémentaire puis une deuxième question.

Madame la ministre, combien d'argent allez-vous allouer pour ça? Allez-vous attribuer des fonds?

L'hon. Anne McLellan: Nous n'allons pas attribuer de ressources supplémentaires pour la mise en oeuvre de ces modifications législatives.

Elles ne sont pas dues à un changement de politique. Nous travaillons en étroite collaboration avec les provinces et si nous devions modifier une politique fédérale pour donner suite à la volonté législative du gouvernement et que cela entraînait une hausse des coûts de l'administration de la justice pour une ou plusieurs provinces, nous nous sentirions obligés, bien entendu, d'envisager une hausse des ressources attribuées aux provinces. Or, il s'agit en l'occurrence d'une réaction législative découlant non pas d'une politique du gouvernement fédéral mais d'une décision de la Cour suprême du Canada.

M. Mark Muise: D'accord.

Étant donné les discussions et les questions posées par les députés présents sur la prolongation du délai fixé, je demande respectueusement à la ministre de permettre une prolongation de la suspension afin que nous puissions en débattre comme il faut et entendre des témoins, compte tenu du précédent établi. Je demande respectueusement à la ministre d'acquiescer à ma demande.

La présidente: Voulez-vous faire un commentaire?

L'hon. Anne McLellan: Je comprends que nous en demandons beaucoup aux membres du comité, mais il faut que le comité songe sérieusement à étudier le projet de loi avec célérité, surtout étant donné que, à ma connaissance, au cours des quatre derniers mois, presque tous les principaux intéressés ont été consultés par le ministère fédéral de la Justice et les procureurs généraux provinciaux et ont collaboré avec eux. D'ailleurs, jusqu'à ce que le projet de loi soit déposé à la Chambre, il a été modifié pour arranger certains de ces groupes, surtout le milieu policier, et pour que la loi soit meilleure.

Je demande donc au comité de régler l'affaire rapidement. Bien entendu, il est possible mais pas souhaitable de s'adresser à la Cour suprême pour lui demander une prolongation de la suspension. Vous avez raison; il y a effectivement eu un précédent dans le cas de l'arrêt R. c. Swain intéressant la Charte, pour lequel la Cour suprême a accepté de prolonger la suspension de l'exécution de son jugement. Je demande au comité d'être indulgent et de vérifier s'il n'est pas en mesure d'étudier le projet de loi au lieu de nous obliger à présenter une nouvelle requête à la Cour suprême.

La présidente: Monsieur Muise, il vous reste environ 15 secondes.

M. Mark Muise: Madame la présidente, je comprends parfaitement la remarque de la ministre. Je ne demande pas un délai indéfini; je veux seulement que le comité ait le temps voulu pour faire du bon travail.

La présidente: Merci. Nous pourrons en discuter entre nous.

On vient de nous faire savoir que vous avez encore 10 minutes, madame la ministre.

Monsieur Lee.

M. Derek Lee: Merci.

Madame la ministre, l'arrêt Feeney a fait un grand trou dans le filet de la common law qui sert à attraper les criminels. Croyez-vous que ces mesures législatives réparent parfaitement le trou? Personnellement, je ne le crois pas. Est-ce qu'il manque encore des mailles?

L'hon. Anne McLellan: Il est certain—et j'essaie de respecter en tous points la décision de la Cour suprême du Canada—que l'arrêt Feeney a pris par surprise tout le milieu policier et les procureurs généraux tant au fédéral qu'au provincial. C'est pourquoi, pour être franche, nous nous sommes arrangés si rapidement pour agir de concert avec tous les principaux intéressés dans le but de réparer, comme vous dites, un grand trou dans le filet, dans la partie des mandats d'arrestation et de leur caractère obligatoire.

• 1620

Nous devons tenir compte de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Feeney et de tout ce qu'elle a dit au sujet de la Charte des droits et libertés et de l'équilibre entre le droit à la vie privée—et personne ici ne veut miner le droit à la vie privée des Canadiens—et le droit des Canadiens de se sentir en sécurité chez eux. Nous croyons que ces dispositions constituent un compromis—ou un équilibre, si vous préférez—juste, équitable et efficace entre ces droits. Bien entendu, dans certaines circonstances, les agents de police devront dorénavant se munir d'un mandat pour entrer dans une maison d'habitation afin d'y arrêter quelqu'un; ça ne fait aucun doute. C'est maintenant la règle de base, mais il nous faut prévoir des exceptions qui serviront à favoriser l'efficacité des forces de l'ordre.

M. Derek Lee: Si je comprends bien, le trou n'est pas encore complètement bouché. Il reste...

L'hon. Anne McLellan: Je crois que nous avons fait de notre mieux.

M. Derek Lee: Mais la réponse, c'est que vous n'avez pas complètement réussi.

Je me suis fait un scénario que j'ai exposé à la Chambre. L'auteur d'un viol ou d'un vol à main armée n'a pas été identifié, mais il a été reconnu par la victime qui l'a aperçu deux semaines plus tard. Le criminel entre dans une maison d'habitation et la victime va dire à la police dans quelle maison il se trouve. Le policier dit: «Bon, allons le chercher». Le policier vérifie dans son manuel de procédure que tous les policiers doivent maintenant toujours avoir sur eux parce que la loi est trop compliquée, et se rend compte qu'il n'a pas le droit de le faire. Il ne peut pas obtenir un mandat en vertu de la loi parce qu'il est incapable de nommer le criminel. Ce n'est pas une prise en chasse puisque le crime a été commis deux semaines plus tôt—il n'y a eu aucune discussion au comité sur la prise en chasse—alors le policier doit attendre à l'extérieur de la maison.

Supposons que le criminel soit entré légalement dans la maison de son beau-frère; il faudra mettre le siège pendant deux, trois semaines ou trois mois pour attendre que le criminel sorte. On n'est même pas certain de son identité.

Ai-je raison de croire que le policier et la victime debout à la porte de la maison sont incapables d'arrêter le criminel à cause de l'arrêt Feeney?

M. Yvan Roy: Je vais vous présenter deux observations qui, je l'espère, vont aider à répondre à votre question.

M. Derek Lee: Je ne demande qu'un simple oui ou non.

L'hon. Anne McLellan: Ce n'est jamais aussi simple, Derek.

M. Yvan Roy: La loi prévoit qu'il n'est pas nécessaire d'identifier la personne, mais dans la mesure où la personne est identifiable—c'est-à-dire qu'il faut donner au juge de paix qui délivrera l'autorisation d'entrée, assez de renseignements pour identifier cette personne même si on ne connaît pas son nom. On peut décrire la personne; l'important, c'est de savoir clairement qui la police a l'intention d'arrêter dans cette maison. Je pense que ça répond à votre question.

Je vais aller un peu plus loin et vous citer un passage d'un jugement de la Cour suprême des États-Unis dans une affaire appelée Payton c. New York, parce que je crois qu'elle s'applique dans le contexte qui nous intéresse. Laissez-moi vous en lire un bout. J'en ai pour 30 secondes. Je pense que vous allez voir quelle est l'orientation des tribunaux:

    Les parties ont longuement insisté dans leur plaidoirie sur les conséquences pratiques de l'obligation d'obtenir un mandat comme condition préalable à l'arrestation d'un criminel chez lui. Faute de preuves que l'efficacité des forces de l'ordre a diminué dans les États qui ont déjà imposé une telle obligation, nous sommes enclins à considérer ces arguments avec scepticisme.

Et voici le passage clé:

    Mais, fondamentalement, de tels arguments d'ordre politique doivent faire place à un impératif constitutionnel qui, selon nous, est sans équivoque.

Franchement, nous estimons ne pas avoir le choix. La Cour suprême du Canada a dit qu'il fallait être muni d'un mandat pour entrer dans un lieu lorsqu'il n'y avait pas de prise en chasse ni, croyons-nous, de situation d'urgence. Nous sommes allés aussi loin que possible en prévoyant l'obligation non seulement d'identifier la personne si elle est identifiable, mais aussi d'obtenir un mandat.

M. Derek Lee: D'accord. Donc, avant l'arrêt Feeney, on aurait pu arrêter le gars dans mon histoire. Depuis l'arrêt Feeney, c'est impossible et il faut faire le pied de grue.

J'ai maintenant une autre question. J'en conclus que...

L'hon. Anne McLellan: S'il est identifiable?

M. Yvan Roy: Est-il identifiable?

• 1625

M. Derek Lee: Oui, homme caucasien, lunettes, complet brun. Est-ce que ça suffit?

Je m'excuse, je viens de décrire...

M. Yvan Roy: Je ne veux pas qu'on m'arrête sur la foi de ces seuls renseignements!

M. Derek Lee: Au sujet de la distinction à faire entre les arrestations et le rassemblement des preuves, a-t-on prévu la situation où si l'arrestation se passe irrégulièrement pour une raison technique que le tribunal juge en examinant une cause un jour... A-t-on prévu le problème de la preuve obtenue après être entré dans la maison d'habitation? A-t-on besoin d'une autre disposition dans ces modifications pour prévoir que, même si le pauvre policier agit irrégulièrement pour des raisons techniques qu'il n'a pas pu envisager, les éléments de preuve rassemblés une fois à l'intérieur de la maison demeurent admissibles? Est-ce que vous voyez où je veux en venir? Est-ce que le projet de loi a prévu une telle situation? Dans la négative, pourquoi pas?

M. Yvan Roy: Si je comprends bien votre question, vous songez en fait au paragraphe 24(2) de la Charte.

M. Derek Lee: Je veux parler du sang sur la chemise de Feeney.

M. Yvan Roy: Vous voulez parler de la règle d'exclusion énoncée dans la Constitution. À moins de suggérer une modification de la Charte des droits et libertés—et je sais que certains l'ont déjà fait—je crois qu'il faut s'en tenir à l'état actuel du droit relativement au paragraphe 24(2), et les arrêts les plus récents sont Feeney, Stillman, d'autres arrêts de cet ordre qui ont établi des critères.

M. Derek Lee: Monsieur Roy, les règles d'exclusion ne sont pas expressément prévues dans la Charte, si je ne m'abuse. Elles sont le résultat de l'évolution de la jurisprudence. C'est nous qui faisons les règles. C'est le Parlement qui légifère. Nous n'avons pas rédigé la Charte. Donc, si les règles d'exclusion ont été déduites à partir de la Charte, pourquoi ne pouvons-nous pas édicter nous-mêmes des règles d'inclusion que nous estimons compatibles avec la Charte? Pourquoi jeter la serviette uniquement parce que la Cour a décidé qu'elle voulait établir une série de règles d'exclusion? Pourquoi n'édictons-nous pas des règles d'inclusion visant les situations comme celle que j'ai donnée en exemple?

L'hon. Anne McLellan: En fait, monsieur Lee, je pense que nous faisons précisément ce que vous proposez, c'est-à-dire édicter des règles dans ce contexte. Le paragraphe 24(2) de la Charte des droits et libertés parle de l'irrecevabilité d'éléments de preuve obtenus dans des conditions susceptibles de déconsidérer l'administration de la justice. Personne ici, que ce soit les députés ou les ministres, ne peut modifier unilatéralement cette disposition parce qu'il faut respecter la formule de modification, c'est-à-dire obtenir le consentement de sept provinces dont la population représente 50 p. 100 de tous les Canadiens, plus le Parlement fédéral. La règle énoncée au paragraphe 24(2) est assez claire.

Si vous voulez savoir si la Cour suprême du Canada et les instances inférieures ont interprété le paragraphe 24(2) relativement à l'irrecevabilité d'éléments de preuve dans des circonstances où leur utilisation déconsidérerait l'administration de la justice, comme ils ont interprété tous les autres articles de la Charte, alors oui, il y a une jurisprudence croissante sur cette question. Mais ce que nous tentons de faire ici, dans le contexte du paragraphe 24(2) de la Charte... Nous, les parlementaires, exerçons notre droit comme parlementaire de définir—au moins pour guider les tribunaux—les circonstances dans lesquelles, croyons- nous, il n'y aurait aucune raison d'écarter les éléments de preuve et de contester l'arrestation d'un suspect ou le rassemblement d'éléments de preuve en vertu de l'alinéa 429.3(2)b), sans mandat.

La présidente: Merci, monsieur Lee. Merci, madame la ministre.

Monsieur Roy, vous est-il possible de rester un peu plus longtemps?

M. Yvan Roy: Certainement.

La présidente: Merci beaucoup.

[Français]

M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): J'invoque le Règlement. On nous dit depuis le début qu'une des raisons pour lesquelles on doit étudier ce projet de loi de façon accélérée est que la Cour suprême nous a donné un délai de six mois. Pour un débat aussi important que celui-là, je trouve dommage que la ministre ne nous consacre qu'une heure de son temps, alors qu'on joue avec un équilibre assez strict entre les droits et libertés des gens et le pouvoir de l'État. Je trouve cela vraiment dommageable qu'elle ne reste ici qu'une heure. Je pensais que c'était important de le mentionner.

[Traduction]

La présidente: Je vous remercie pour cette remarque.

L'hon. Anne McLellan: M. Roy pourra rester pour répondre à vos questions sur l'opinion non seulement de notre ministère, mais aussi des procureurs généraux des provinces qui ont travaillé avec nous au projet de loi. Vous entendrez d'autres témoins cet après- midi et demain qui vous exposeront leur propre vision du projet de loi.

• 1630

Je suis désolée de ne pas pouvoir rester plus longtemps avec vous cet après-midi, mais j'espère avoir exprimé clairement, à ma façon habituelle, directe et quelque peu verbeuse, pourquoi nous vous avons demandé d'adopter les modifications législatives qui vous sont soumises aujourd'hui. À notre avis, la politique est claire.

Ce n'est pas moi qui vais prétendre que les questions soulevées ici ne sont pas importantes, mais au bout du compte, il s'agit de trouver un juste équilibre dans une démocratie qui a constitutionnalisé une déclaration des droits fondamentaux, qui a une Cour suprême du Canada et qui a un Parlement. Chacun a son rôle et je demande à votre comité et au Parlement fédéral de jouer un rôle très important qui consiste à définir les circonstances dans lesquelles nos agents de police auront besoin ou non d'un mandat pour s'acquitter efficacement de l'administration de la justice dans leur secteur de notre système de justice.

Je vais m'arrêter là, mais M. Roy et peut-être certains autres fonctionnaires de mon ministère se feront un plaisir de répondre à toutes vos questions sur des applications particulières ou sur des détails.

Je remercie M. Lee pour sa question parce qu'elle était très intéressante et qu'elle donnait un bon exemple des types de situations particulières qui peuvent soulever des questions importantes.

La présidente: Merci, madame la ministre.

L'hon. Anne McLellan: Je sais que je reviendrai vous voir souvent et que nous pourrons donc apprendre à nous connaître au cours des mois et des années à venir. Merci beaucoup.

La présidente: Monsieur Forseth.

M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Réf.): Examinons en particulier certains scénarios de comportement à la porte d'une maison. Comment les policiers sont-ils censés se conduire à la porte ou à une autre entrée? Qu'arrive-t-il de l'obligation de prévenir? Parfois, le fait de signaler la présence de la police et ce qu'elle a l'intention de faire est risqué. Rien qu'à parler les policiers peuvent se faire tirer dessus ou quelque chose du genre. Il y a aussi le problème de la prise de possession par la force. Je veux donc que vous expliquiez quelle sera la procédure à suivre, comment ça marchera, comment les policiers devront se conduire à la porte et quelle distinction il faut faire entre un comportement régulier et un comportement susceptible d'entraîner plus tard un échec des procédures.

M. Yvan Roy: Les membres du comité devraient se reporter à ce qui deviendra l'article 529.4 du Code criminel si le projet de loi est adopté. C'est le projet d'article qui cherche à codifier les règles applicables dans les circonstances mentionnées par M. Forseth.

Dans notre droit, la règle voulait dans le passé et veut encore que la police, avant d'entrer dans une habitation pour y arrêter quelqu'un, prévienne de sa présence et laisse à ceux qui se trouvent dans la pièce le temps de réagir et d'ouvrir la porte. Ensuite, si les choses ne se passent pas comme elles sont censées se passer dans les circonstances, les policiers peuvent pénétrer de force dans la maison.

Néanmoins, comme M. Forseth l'a souligné, il doit y avoir des situations dans lesquelles cette façon de procéder ne convient pas. Il s'agit généralement des situations où les personnes qui se trouvent dans l'habitation attendent les policiers avec des fusils, d'autres armes à feu ou d'autres armes. Si on les prévient que la police arrive, ils vont évidemment mener le bal.

Ce que le projet de loi propose, c'est qu'il soit possible d'obtenir d'un juge de paix l'autorisation de se présenter à une maison d'habitation sans être obligé de prévenir, en même temps qu'on demande le mandat. La loi va préciser les trois situations dans lesquelles on peut le faire. Il y a d'abord le risque que les agents de la paix subissent des lésions corporelles. C'est ce qui vient généralement à l'esprit quand on parle de cette question.

• 1635

La loi irait un peu plus loin en précisant que l'autorisation pourrait aussi être accordée si les policiers craignaient qu'en prévenant de leur arrivée, quelqu'un se trouvant dans la maison soit blessé.

La troisième possibilité, c'est si quand on criera: «Police!» pour prévenir la personne recherchée, celle-ci se hâtera d'aller détruire les éléments de preuve dans la maison. Voilà une autre raison que les policiers peuvent invoquer pour obtenir l'autorisation d'entrer sans prévenir.

Un troisième paragraphe de ce même article prévoit la possibilité que les policiers ne soient pas tenus de prévenir s'il y a une situation d'urgence. C'est évident. Ça doit absolument être prévu dans la loi.

Dans ces cas-là, la police sera autorisée par la loi—le Parlement se sera prononcé—à entrer sans prévenir. Dans les autres cas, elle sera tenue de dire: «Police!» puis de laisser aux gens à l'intérieur le temps de réagir et d'ouvrir la porte.

[Français]

M. Richard Marceau: Toujours à propos de l'article 529.3 proposé, je partage les interrogations de mon collègue Jack Ramsay. Je me pose de sérieuses questions sur la constitutionnalité de l'alinéa (2)b), mais je reviens à (2)a), au problème du mot «notamment». Je croyais que l'un des effets de la cause Feeney était que les policiers s'étaient sentis gelés par ce qui est légal par rapport à ce qui n'est pas légal. Ils étaient dans une sorte de trou noir, pour utiliser l'expression bien connue d'un autre homme politique.

Or, en examinant 529.3(2), je ne suis pas convaincu que les policiers seront plus éclairés, et je m'explique. Avec le «notamment» on dit: voici deux situations d'urgence où on peut entrer sans mandat. Par contre, à mon humble avis, c'est laisser beaucoup de pouvoirs discrétionnaires à un policier qui regarde cela et qui se dit: Cela, c'est «notamment». Donc, il y a ces deux cas-là, mais il y a peut-être d'autres situations où on devra se demander si c'est un cas d'urgence ou si cela n'en est pas un. C'est beaucoup de pouvoirs discrétionnaires à un agent de la paix, ce qui soulève des questions assez importantes.

Même s'il y avait une révision judiciaire par la suite... Vous parliez de laisser se développer la common law, mais c'est après le fait. Donc, il y a une possibilité assez forte que cela porte atteinte aux droits et libertés, et que certaines personnes se fassent bafouer parce qu'on n'aura pas précisé les situations d'urgence et qu'on aura laissé les policiers dans le noir.

J'aimerais que vous m'expliquiez cela un peu.

M. Yvan Roy: Je vous remercie de la question. Il y avait essentiellement trois possibilités qui s'offraient à la ministre de la Justice relativement à cette question de situation d'urgence.

Premièrement, on pouvait dire qu'il n'y en aurait pas et qu'on laisserait à la common law le soin d'évoluer au fil des ans, en pensant que la majorité, dans Feeney, lorsque les cas appropriés se présenteraient, serait d'accord pour maintenir des cas où on pensait que les tribunaux étaient appropriés. C'est une option.

L'autre option, qui est complètement à l'autre bout, est d'essayer de définir complètement en quoi consistent les situations d'urgence. Cela fait partie de ce qui s'est passé au cours des quatre mois qui ont été consacrés à la préparation de cela. On a fait de la recherche un peu partout dans les pays de common law et même en Europe continentale pour voir comment on fonctionnait dans ces endroits-là et on n'a pas trouvé—peut-être qu'on n'a pas cherché aux bons endroits, mais je pense qu'on a fait notre travail correctement—d'endroit où on définissait de façon concluante en quoi consistaient des situations d'urgence. De fait, en common law, on parle de situations d'urgence; on ne les définit jamais.

Donc, ce sont les deux extrêmes: les définir complètement, ce dont on a été incapables, ou bien ne pas les définir du tout. Nos discussions avec les représentants des forces de l'ordre, les procureurs généraux et les barreaux nous ont fait comprendre qu'il était souhaitable pour le Parlement de se prononcer sur certaines situations comme étant, de l'avis des parlementaires, des situations d'urgence.

• 1640

On nous a en quelque sorte dit: Dites-le donc; si vous avez quelques situations qui se présentent qui, à votre avis, méritent cela, dites-le.

C'est comme cela qu'on s'est mis à regarder des situations particulières, en en considérant trois, foncièrement. Premièrement, c'était les blessures causées à des gens. Deuxièmement, c'était la destruction de la preuve. Troisièmement, c'était la destruction de propriété au sens large du terme. Ce n'est pas nécessairement de la preuve. Rappelons-nous que, lorsqu'on parle de preuve dans le texte de loi, c'est dans le sens juridique du terme.

Quand quelqu'un, dans un accès de rage, casse sa télévision chez lui, est-ce suffisant pour permettre à la police d'entrer et d'arrêter des gens à l'intérieur? On en est venu à la conclusion que ce ne l'était pas.

Or, il a été retenu de ceci deux exceptions qui sont dans le texte de loi qui est proposé. Premièrement, est-ce tolérable, est-ce raisonnable, dans une société libre et démocratique, de laisser des gens se faire blesser parce que la police ne peut pas entrer, n'ayant pas obtenu de mandat? La réponse fut non. Deuxièmement, il y a la destruction de la preuve, avec un standard relativement élevé, c'est-à-dire quand on a des motifs raisonnables de croire que cela va être détruit de façon imminente. On a pensé que le Parlement pourrait se prononcer et dire que cela est approprié dans une société libre et démocratique, en laissant la possibilité, et c'est là qu'est la beauté de l'affaire, à la common law de se développer dans les cas qui le mériteront.

Cela veut dire que dans certains cas, les tribunaux vont dire à la police: Vous êtes intervenus et ce n'était pas approprié; cela ne constituait pas une situation d'urgence. Dans d'autres cas, les tribunaux vont possiblement dire: Oui.

Est-ce qu'on devait geler la common law? La position de la ministre de la Justice a été de dire non. On doit permettre à la common law d'évoluer, mais tout en reconnaissant que le Parlement doit se prononcer sur des situations particulières.

M. Richard Marceau: Si vous me permettez, encore une fois...

[Traduction]

La présidente: Je m'excuse, monsieur Marceau, mais votre temps est écoulé.

Monsieur MacKay, vous avez une question?

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Oui.

La présidente: Vous avez trois minutes.

M. Peter MacKay: Ma question porte sur le projet d'article 529.3, en particulier sur ce qui arrive s'il y a plusieurs maisons d'habitation, étant donné la loi d'interprétation. Supposons par exemple qu'on demande au juge de paix un mandat pour une personne dont on a des motifs de croire qu'elle peut résider à différentes adresses. Je sais que le singulier est assimilable au pluriel selon les règles d'interprétation, mais je trouve le libellé de cette disposition plutôt vague.

J'ai aussi une question au sujet de l'expiration des mandats accordés en vertu de ces dispositions.

M. Yvon Roy: Pour répondre à votre première question, nous sommes effectivement convaincus que le singulier comprend le pluriel. À mon avis, dans les circonstances, il y a une alternative: soit la police demande au juge de paix de délivrer plusieurs mandats, soit elle lui demande un seul mandat énumérant les différentes adresses où les policiers pourront entrer.

Je suis presque certain que les deux solutions sont tout à fait acceptables. À mon très humble avis, les deux mandats devraient être confirmés par les tribunaux—et il faut être très prudent—dans la mesure où, pour chacune des maisons d'habitation visée, on a rempli les critères énoncés dans la loi. Il n'est pas question d'y aller à l'aveuglette en demandant un mandat donnant par exemple le droit d'entrer dans chacune des maisons d'un village.

Dans un tel cas, la police—c'est-à-dire l'État—aurait de graves ennuis parce que ce serait inconstitutionnel.

Mais si les policiers ont des motifs de croire que la personne va aller à tel et tel endroit—s'ils savent par exemple qu'Yvan Roy va voir sa mère tous les samedis après-midi—ils devraient pouvoir obtenir le mandat d'aller arrêter Yvan Roy chez sa mère, avec l'autorisation nécessaire.

En l'occurrence, ils devraient pouvoir obtenir un mandat précisant qu'il peut être arrêté non seulement chez sa mère, mais aussi chez lui, à l'adresse où on sait qu'il habite. La condition énoncée dans la loi, c'est que les policiers, au moment d'exécuter le mandat, aient des motifs de croire qu'Yvan Roy se trouve sur les lieux à ce moment-là.

Et votre autre question c'était...?

M. Peter MacKay: Elle est reliée à la première—votre exemple d'une énumération de plusieurs maisons d'habitation dans un même mandat. Si le mandat est exécuté à une adresse—si les policiers se rendent chez votre mère pour se rendre compte que vous vous trouvez en fait chez votre ex-femme ou chez un ami, et qu'ils savaient déjà que vous pouviez vous trouver à ces endroits—voulez-vous dire qu'il faudrait demander une nouvelle autorisation judiciaire pour exercer le mandat?

• 1645

M. Yvan Roy: J'ai été arrêté, donc le mandat est périmé?

M. Peter MacKay: Non, vous n'étiez pas là.

M. Yvan Roy: Je n'étais pas là.

M. Peter MacKay: Non, je me suis rendu à cette adresse, mais vous vous étiez enfui par la porte arrière. Je veux donc me rendre maintenant à une autre des maisons d'habitation énumérées.

M. Jack Ramsay: Peut-on retourner à cette même maison?

M. Yvan Roy: Je pense que le mandat est toujours valide. J'en suis même convaincu. Je pense que votre mandat sera périmé le jour où vous arrêterez la personne visée. Étant donné l'état actuel du droit pour les mandats d'arrestation, le mandat ne serait toujours pas exécuté. Vous savez fort bien puisque vous avez été procureur de la Couronne, que certains mandats mettent des années à être exécutés.

M. Peter MacKay: D'accord, c'est donc le sens de cette disposition.

La présidente: Merci, monsieur MacKay.

Monsieur Martin, voulez-vous poser des questions? Non?

Bien, nous passons donc aux témoins suivants qui représentent l'Association canadienne des policiers.

M. Jack Ramsay: Madame la présidente, j'invoque le Règlement. Je propose que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne prie le ministre de la Justice de demander à la Cour suprême du Canada de prolonger le délai de suspension de six mois afin de laisser au comité assez de temps pour étudier à fond le projet de loi C-16.

La présidente: Merci.

Une voix: J'appuie.

M. Peter MacKay: Moi aussi, j'appuie la motion.

La présidente: Je pense que ce ne sont pas les appuis qui manquent.

Mme Eleni Bakopanos: Tous du même bord.

La présidente: Y a-t-il des interventions?

Mme Eleni Bakopanos: Peut-on passer au vote?

La présidente: N'oubliez pas que vous empêchez des témoins d'être entendus.

Mme Eleni Bakopanos: C'est exact et c'est le contraire de l'argument qu'ils ont présenté plus tôt, madame la présidente.

M. Jack Ramsay: Je tiens seulement à dire que nos réserves au sujet du projet de loi sont déjà consignées au compte rendu. Voilà la raison d'être de cette motion. Je n'ai rien à ajouter, madame la présidente.

La présidente: Madame Bakopanos, vous avez quelque chose à dire.

Mme Eleni Bakopanos: Non, j'ai demandé le vote.

Une voix: Mais quelqu'un ici veut faire une intervention.

M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville, Réf.): J'avais quelque chose à dire, mais je pense que nous pouvons sans doute passer au vote. Comme on ne peut pas dire que la question sera réglée définitivement de toute façon...

La présidente: C'est vrai.

Mme Eleni Bakopanos: Madame la présidente, puis-je poser une question au sujet du rappel au Règlement?

La présidente: Oui.

Mme Eleni Bakopanos: Est-ce que le comité a une règle concernant la présentation de motions? Y a-t-il eu préavis?

La présidente: Notre comité n'a pas adopté une telle règle, mais il pourrait le faire plus tard.

Mme Eleni Bakopanos: Je le sais bien, mais étant donné que notre comité n'a pas une telle règle—et je ne connais pas la réponse—quelles règles s'appliquent?

La présidente: Le Règlement de la Chambre.

[Français]

Mme Eleni Bakopanos: Il faut au moins avoir un indice ou un écrit.

[Traduction]

M. Richard Marceau: Ce n'est pas notre faute. Nous n'avons rien demandé.

La présidente: Ressaisissez-vous! Inutile de monter sur ses grands chevaux. Écoutons ce que les gens ont à dire.

Monsieur Lee.

M. Derek Lee: Si je repense aux années passées, je me souviens qu'il y a toujours eu un préavis de 48 heures. De toute façon, c'est l'anarchie complète en ce moment parce que nous n'avons pas adopté toutes les règles de procédure à la séance d'organisation.

Je pense qu'il vaudrait mieux étudier cette question demain une fois que nous aurons entendu les témoins et que nous aurons eu l'occasion d'avoir des échos par téléphone, par lettre, par télécopieur ou par courrier électronique. Nous serons alors mieux en mesure de décider s'il nous faudra plus de temps ou non.

Personnellement, j'aurais opté pour le dépôt de cette motion demain seulement; c'est une solution. Si le parrain y consent, nous pourrions la réserver jusqu'à demain; la situation sera alors plus claire. Si le motionnaire préfère que nous en disposions tout de suite, nous pouvons le faire, mais cela ne règle pas... Je trouve que nous pourrons nous faire une meilleure idée de la situation demain.

La présidente: Monsieur Ramsay.

M. Jack Ramsay: Je n'y vois pas d'inconvénient, sauf que je pressens ce qui va se passer pour les témoins disponibles à la dernière minute. C'est pourquoi je préférerais que la motion soit mise aux voix maintenant, parce que ce ne sont pas 24 heures qui y changeront quoi que ce soit. Les témoins qui sont réticents à comparaître n'auront pas le temps de se préparer de toute façon.

• 1650

La présidente: Merci, monsieur Ramsay.

Madame Bakopanos.

Mme Eleni Bakopanos: Je veux que vous sachiez que les députés de l'opposition se rendent compte que si la motion est mise aux voix, elle ne sera pas présentée de nouveau. Nous n'allons pas la présenter chaque fois que nous siégeons. La motion sera présentée verbalement. Tous les députés de l'opposition savent donc que c'est la motion sur laquelle on s'entend et qu'elle ne sera pas représentée demain ni plus tard.

La présidente: Une journée à la fois, voulez-vous? N'anticipons pas.

Mme Eleni Bakopanos: Si nous voulons perdre plus de temps...

La présidente: La question est mise aux voix. Voulez-vous un vote par oui ou non?

M. Derek Lee: Oui.

(La motion est rejetée par huit voix contre six)

La présidente: J'ai cru que j'allais exercer un pouvoir nouveau aujourd'hui, mais...

Nous accueillons l'Association canadienne des policiers. Neal Jessop en est le président et Scott Newark, l'agent exécutif. M. Jessop vient de Windsor. Nous aimons beaucoup Windsor parce que c'est le centre du monde.

Voulez-vous commencer, sergent d'état-major?

M. Neal Jessop (président, Association canadienne des policiers): Merci, madame la présidente.

Je tiens à vous avertir que ce n'est pas moi qui suis ici, c'est mon clone. Je suis en ce moment en plein procès pour meurtre à Windsor, où j'ai été cité à comparaître.

La présidente: Nous ne vous avons pas vu.

M. Neal Jessop: Voilà où nous en sommes.

Pour ceux d'entre vous qui me connaissent et qui connaissent M. Newark, ce qui suit va vous ennuyer. C'est ma sixième année comme président de l'Association canadienne des policiers qui représente 42 000 policiers canadiens de tout le pays.

• 1655

[Français]

M. Michel Bellehumeur: En ce qui a trait aux témoins, j'imagine que c'est parce que le temps leur a manqué, mais je trouve déplorable, surtout dans le cas de l'Association canadienne des policiers, qu'on vienne ici avec des documents uniquement en anglais. Je pense que, pour une association semblable, même si les délais sont courts, nous amener un document qui...

Ce n'est pas la première fois que vous venez ici, monsieur. En tout cas, vous, je vous ai déjà vu. Quant à l'autre, c'est la première fois que je le rencontre. On nous dit toujours, depuis au moins quatre ans que je suis député, que dans le beau et grand Canada, on est bilingue et on est capable de travailler dans les deux langues officielles. Souvent, des gens de la GRC, de l'Association des policiers ou d'organismes semblables viennent nous voir, nous les députés du Bloc québécois, et nous disent qu'on est beaux, qu'on est fins, mais quand vient le temps de déposer un document dans les deux langues officielles, on ignore le Bloc québécois.

Je le note cette fois-ci. La prochaine fois, je pense que vous verrez les députés du Bloc sortir, parce que nous aussi, on est capables de manquer de respect à des gens.

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Scott Newark (agent exécutif, Association canadienne des policiers): Monsieur Bellehumeur, je regrette...

[Traduction]

La présidente: Vous devez me laisser le temps de vous donner la parole, d'accord?

Avant que le témoin réponde, est-ce quelqu'un d'autre veut faire une observation?

M. Derek Lee: Sur ce sujet?

La présidente: Oui.

M. Derek Lee: Si je peux me permettre, d'après mes souvenirs, le comité a toujours accepté des mémoires dans l'une ou l'autre des langues officielles, mais souvent les associations nationales présentaient leurs documents et leurs mémoires écrits dans les deux langues officielles. En l'occurrence, je suppose que si le mémoire est en anglais seulement c'est à cause du bref préavis, un problème regrettable dont on a déjà parlé. Je présume que le mémoire aurait pu tout aussi bien être présenté en français et alors ce sont ceux d'entre nous qui ne sont pas habitués à travailler en français qui auraient pu se plaindre de ne pas l'avoir en anglais. Voilà ce que j'en pense. J'espère que nous entendrons les témoins.

La présidente: Voulez-vous répliquer, monsieur Newark?

[Français]

M. Michel Bellehumeur: C'est rare que cela se fasse à l'inverse, monsieur Lee. On a siégé durant la 35e législature et c'est très rare qu'on ait eu des documents uniquement en langue française.

M. Derek Lee: D'accord.

M. Michel Bellehumeur: C'est à 99,9999 p. 100 en anglais.

M. Derek Lee: D'accord.

[Traduction]

La présidente: Merci. Je suis certaine que nous avons tous noté pour la prochaine fois.

Monsieur Jessop.

M. Neal Jessop: M. Bellehumeur peut être assuré qu'il recevra les documents en français, mais M. Newark a terminé celui-ci hier soir seulement. Moi-même, le président de l'association, je ne l'ai vu que ce matin. Nous vous présentons des excuses. Vous recevrez vos documents en français.

Nous savions qu'il y aurait de l'interprétation.

Madame la présidente, je disais donc, c'est ma sixième année comme président de l'Association canadienne des policiers qui représente 42 000 policiers canadiens. J'ai par ailleurs l'insigne honneur d'être sergent détective dans l'escouade des crimes graves de Windsor.

Je vais vous exposer les conséquences pratiques du projet de loi puisque c'est probablement ce qui vous sera le plus utile.

Très franchement, quand M. Newark—pour lequel je demanderais la parole—aura terminé son exposé, j'aurai quelque chose à ajouter qui pourrait vous troubler un peu, mais c'est une chose que je me dois de vous dire de la part de tous les policiers canadiens même si je risque de m'attirer les foudres de certains juges de la Cour suprême.

Avant de céder la parole à M. Newark, je veux encore vous dire ceci. Il est incontestable—et je veux que ce soit consigné au compte rendu et que ça se sache—que M. Newark, des employés de l'Association canadienne des policiers et moi-même avons entretenu des contacts étroits avec le ministère de la Justice relativement à ce projet de loi. Nos contacts étaient parfois quotidiens. Ainsi, grâce au ministère de la Justice et à son ministre, ainsi qu'à vous tous, notre opinion exposée dans ce mémoire est déjà bien connue. À notre avis, certaines dispositions du projet de loi ne vont pas assez loin. M. Newark va vous expliquer en quoi nous croyons qu'elles ne vont pas assez loin et, quand il aura terminé, je voudrais vous dire quelques mots sur la situation dans laquelle nous nous sommes retrouvés à cause de la Cour suprême.

• 1700

Nous tenons à dire publiquement qu'il y a eu coopération. Cette coopération profitera aux Canadiens, je pense, parce que c'était nécessaire pour réparer les dommages très graves que la Cour suprême a infligés au système judiciaire sans prévenir. Cela n'aurait jamais dû se produire. Nous avons donc uni nos efforts pour faire le nécessaire.

Si les membres le veulent bien, je leur demanderais d'écouter M. Newark qui va leur expliquer quelles dispositions du projet de loi ne vont pas assez loin.

La présidente: Allez-y.

M. Scott Newark: Au départ, je veux faire écho à M. Lee au sujet de l'unilinguisme du mémoire. Votre plainte est certainement fondée. Je vous suggère toutefois d'adresser vos reproches à ceux qui ont fixé les délais. Nous avons des traducteurs à temps plein parce que nous savons qu'à titre d'organisation nationale, notre documentation doit être publiée dans les deux langues. J'accepte donc votre remarque, monsieur, mais je crois qu'il vaudrait mieux l'adresser à quelqu'un d'autre.

Au sujet de ce que Neal a dit sur la consultation—et vous l'avez entendu de la bouche même de la ministre et de son collaborateur, M. Roy—c'est tout à fait vrai. Bien franchement, nous avons collaboré très étroitement à la rédaction du projet de loi, aussi étroitement que possible. Nous avons eu des consultations opportunes, utiles et réelles, pas comme lorsqu'on nous demande de donner notre opinion sur un projet de loi déjà déposé. Je vous assure personnellement que celui-ci est le fruit d'un échange d'idées.

Vous avez entendu l'énumération des gens impressionnants qui ont été consultés. Le seul problème, c'est qu'il y a un groupe qui n'a pas été consulté, un groupe auquel on n'a pas donné le temps voulu pour consulter. Pourtant, il est beaucoup plus important que l'Association canadienne des policiers, l'Association canadienne des chefs de police et les divers autres organismes, y compris ceux du barreau—et je veux parler de vous, les parlementaires. Cette façon de procéder prive l'organe législatif élu du gouvernement de la possibilité de faire des recherches, de poser des questions, bref de faire ce que le comité a entrepris aujourd'hui et ce que j'ai fait dans mes échanges avec le ministère.

Ce n'est qu'une observation en passant car je ne peux absolument rien à ce qui se passe.

Les gens savent probablement que cette histoire n'est pas sans précédent. Le problème dans l'affaire Feeney, dont Neal va sans doute vous parler, c'est que le pouvoir judiciaire se mêle d'une fonction attribuée au pouvoir législatif, du moins jusqu'ici. Ne vous y trompez pas, l'arrêt Feeney, c'est une question d'équilibre entre divers intérêts sociétaux légitimes: le principe du droit à la vie privée et celui de l'intérêt public par l'arrestation des gens visés par des mandats, en reconnaissant qu'au Canada, dans les années 90, la plupart des gens ne vivent plus à la belle étoile, c'est pourquoi nous devons avoir une procédure nous permettant d'aller les chercher chez eux. Sauf votre respect, nous croyons que cet équilibre des intérêts est une décision politique qui, de préférence, doit être prise par les élus.

Pourtant, je crois comprendre que vous n'avez pas grand temps. Je laisse donc cette question pour vous exposer certaines observations intéressant directement le projet de loi. Je vais en présenter deux. La première se rapporte à la remarque faite sur le défaut de définir la prise en chasse, que nous préférons désigner en anglais par l'expression «fresh pursuit».

En passant, j'y reviendrai plus tard relativement aux remarques de M. Lee. Heureusement, j'ai réussi à trouver le moyen de fusionner des documents à l'ordinateur, mais il m'a fallu une demi-heure.

Vous allez voir dans le corps de notre mémoire des extraits de l'avant-projet de loi qui a servi de point de départ à nos discussions avec le ministère. Nous avons rédigé de vraies dispositions que nous estimions nécessaires. Je vais donc vous renvoyer parfois à certains passages où l'on dit comment on pourrait définir telle chose ou faire telle autre. Entre autres, pour désigner la prise en chasse, nous privilégions l'expression «fresh pursuit» au lieu de «hot pursuit» parce qu'elle nous semble avoir un sens plus large.

Si j'ai bien compris l'argument avancé par les représentants du ministère quand on leur a demandé pourquoi situation d'urgence était définie, c'est parce que le concept ne l'avait jamais été jusqu'ici. Comme la Cour suprême a entrouvert une porte, une définition s'imposait. Nous en convenons.

Il est regrettable que la Cour suprême ne suive plus la tradition de la common law. Elle a l'habitude très nette de rejeter les règles de la common law relativement à la procédure et à la pratique pénales, pour énoncer ses propres règles. L'arrêt Feeney n'en est que l'exemple le plus récent. Franchement, je trouve que c'est dommage parce que le point fort de notre système, c'était sa capacité d'évoluer.

• 1705

Connaissant ce fait—c'est-à-dire sachant que la Cour suprême va agir ainsi—il est insensé de décider que les tribunaux détermineront eux-mêmes ce que signifie «prise en chasse». Si nous devons effectivement abandonner à regret cette façon de procéder pour laisser les tribunaux décider, alors puisqu'on définit le sens de «situation d'urgence», je pense sauf votre respect qu'il est préférable, non seulement pour des raisons pratiques mais aussi pour la confiance populaire, que la définition utilisée soit celle établie par les 301 représentants élus au Parlement plutôt que par cinq juges non élus qui n'ont pas de comptes à rendre.

S'il est logique de définir «situation d'urgence», il est tout aussi logique de définir «prise en chasse». Le ministère vous dira que définir le concept, c'est en restreindre le sens, puisqu'il ne voudra plus rien dire d'autre. Nous ne sommes pas d'accord. D'ailleurs, examinez la position du ministère qui dit, par exemple, que «il y a notamment urgence dans les cas où». Dans notre mémoire, vous allez trouver une ébauche de définition de «prise en chasse» qui n'est pas limitative non plus. Voilà les questions sur lesquelles je vous suggère de vous pencher. Il faut se demander si c'est vraiment une fonction propre au législateur.

Je vous prie aussi de demander à la ministre ou à ses collaborateurs, s'ils reviennent, quel est l'effet rétroactif du projet de loi. Nous voulons être certains de connaître l'avis de la ministre et du Parlement. Ce sera important si l'article est adopté et s'il y a un jour une controverse quelconque ou encore, pourvu que non, si les tribunaux ne sont pas certains du sens de la loi.

Il est loisible aux tribunaux d'examiner vos délibérations pour s'assurer de l'intention du législateur. Si nous voulons être certains de ne pas nous méprendre sur ses intentions, à savoir que tout ce qui est arrivé avant le 22 mai—c'est-à-dire l'état du droit avant l'arrêt Feeney—alors la suspension a pour effet de faire en sorte que rien ne change pendant la période entre la date de l'arrêt et l'adoption du projet de loi. Voilà quel est l'effet de l'arrêt Feeney. Vous devriez vous le faire confirmer par la ministre.

Nous avons aussi une autre question importante au sujet des dispositions concernant le fait de «prévenir». J'attire votre attention là-dessus parce que, bien franchement, j'ignore la réponse. Hier soir, j'étais à l'aéroport à Montréal, et j'ai lu et relu ce passage dans l'espoir d'en comprendre le sens.

Il s'agit des circonstances prévues au projet d'article 529.4 en vertu duquel les policiers ne seront pas tenus de prévenir avant de pénétrer dans une maison si les critères énoncés sont remplis. C'est un domaine où, pour nous, il y a du progrès.

Mais il y a une chose sur laquelle je voudrais que vous interrogiez la ministre. Supposons qu'un policier soit muni d'un de ces mandats et de l'autorisation de pénétrer dans une maison. Deux semaines plus tard, par exemple, la police apprend que la personne à arrêter se trouve dans une maison donnée. Les policiers s'y rendent pour effectuer l'arrestation, mais le juge n'a pas indiqué sur l'autorisation l'une des exceptions permettant de ne pas prévenir. Sauf que dans notre exemple, l'informateur a non seulement indiqué que le gars se trouvait dans la maison, mais aussi qu'il avait une arme à feu ou un couteau.

Nous croyons qu'un tel renseignement devrait équivaloir au critère de la loi selon lequel un policier a des raisons de croire que le gars est en mesure de représenter un danger pour lui ou pour quelqu'un d'autre. Le tribunal pourrait apprécier objectivement ce fait après coup, mais je ne crois pas qu'on veuille que le policier, dans une telle situation—manifestement urgente—s'arrête pour essayer de trouver un téléphone quelque part, expliquer l'affaire et obtenir une autorisation.

Ce n'est sûrement pas l'intention du législateur, mais d'après les discussions précipitées que j'ai eues cet après-midi avec les fonctionnaires du ministère... personne ne peut être catégorique. Sauf votre respect, il ne doit planer aucun doute, c'est pourquoi je vous prie de discuter de ce point avec eux.

Nous avons présenté une suggestion au ministère qui ne l'a pas retenue même si nous la jugeons parfaitement constitutionnelle. Comme vous êtes les représentants élus de la population canadienne, les éléments à mettre en équilibre dans une situation particulière sont tels que pour certains des crimes les plus graves, dans de telles circonstances, nous devrions décider qu'il est amplement justifié d'indiquer sur le mandat même—et il faut le prévoir dans la loi—que les policiers peuvent pénétrer dans une maison pour arrêter la personne visée. On ne leur demande pas de dire qu'ils doivent savoir effectivement de quelle maison il s'agit.

Ces circonstances sont, entre autres, l'arrestation de personnes contre lesquelles des mandats ont été délivrés, par exemple pour des infractions figurant à l'annexe, des infractions à la LSCMLC, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, ou même des personnes visées par une ordonnance d'expulsion pour activité criminelle en vertu de la Loi sur l'immigration.

• 1710

Je vous explique pourquoi. Je vais reprendre l'exemple que M. Ramsay a utilisé lors de la séance d'information.

Supposons qu'un détenu condamné pour meurtre s'évade de prison. Étant donné le libellé actuel du projet de loi, les policiers seraient obligés de dire au juge où ils s'attendent à trouver l'évadé s'ils veulent obtenir un mandat. Ce n'est pas particulièrement réaliste.

Examinons l'intérêt public dans ces circonstances bien précises. Il s'agit de quelqu'un qui a déjà été déclaré coupable d'un crime et qui a violé une ordonnance en s'évadant de prison. En l'occurrence, l'intérêt public pèse certainement plus lourd que l'obligation d'obtenir un sceau d'approbation judiciaire pour aller le chercher dans sa cachette.

Le plus absurde, quand on y réfléchit bien, c'est le cas de quelqu'un qui a commis un crime très grave, par exemple un meurtre, et qui est maintenant en liberté conditionnelle. Supposons que l'une des conditions de sa liberté soit l'obligation de résider à un endroit donné où il ne se trouve plus. Les policiers devront obtenir un mandat les autorisant à pénétrer dans une maison, mais sans savoir laquelle puisque la personne recherchée vient de partir. Je trouve que ça n'a vraiment pas de sens.

Nous vous avons recommandé de préciser les infractions en choisissant les plus importantes pour justifier une telle situation. Nous sommes tout à fait convaincus que ce serait constitutionnel en vertu de l'article premier de la Charte. Sauf votre respect, il est vrai que le ministère n'est manifestement pas d'accord avec nous, mais je n'ai toujours pas vu—et pourtant je l'ai demandé—l'analyse juridique qui étaye leur décision.

Je vous prie de poser les mêmes questions. Examinons l'analyse juridique concluant à l'inconstitutionnalité d'une telle disposition. Dans la situation que j'ai donnée comme exemple, si la disposition ne saurait être valide en vertu de l'article premier de la Charte, c'est insensé.

La ministre a dit que ces modifications n'entraîneraient aucune dépense fédérale puisque ce n'est pas une décision politique du gouvernement; c'est simplement une réaction à un jugement de la Cour suprême du Canada. En toute déférence, je crois que c'est faux. En rejetant ce cadre législatif et en adoptant plutôt ce système de télémandat, le gouvernement fédéral prend une décision politique. Il a le loisir de choisir la politique qui lui convient. Après avoir fait son choix, il lui incombe de fournir l'argent—et on va en avoir besoin—nécessaire pour financer les conséquences de son choix.

Je peux vous assurer que s'il n'y a pas—et je crois que l'un de ces messieurs là-bas l'a fait remarquer—un juge de paix disponible 24 heures par jour, sept jours par semaine à l'autre bout de la ligne, le système ne marchera pas.

La ministre a affirmé que ce n'était pas un grand changement puisque le système de télémandat fonctionnait déjà. C'est vrai, mais cette disposition va ajouter 19 000—c'est un chiffre au hasard—cas de plus par jour dont il faudra s'occuper. Pour savoir à quoi ressemble en pratique le système actuel, laissez-moi vous dire que, ce matin, quelqu'un de Vancouver a affirmé que le système de télémandat était une farce, au sens où il n'existe pas.

Hier, j'étais au Nouveau-Brunswick. J'ai été pris à partie quand j'ai essayé d'expliquer à quoi ressemblerait le système. Là non plus, le système ne fonctionnait pas quand on avait besoin de quelqu'un. Personne n'était disponible.

Je dirais que c'est un domaine où le fédéral doit prendre l'initiative, y compris fournir les fonds nécessaires. Si cela signifie dépenser une certaine somme pendant l'année civile ou l'exercice 1998-1999—je crois savoir que deux milliards de dollars sont disponibles pour les dépenses de programmes—ce serait un investissement très judicieux pour la sécurité publique.

Nous avons aussi une autre recommandation. Je sais que ça se trouve en dehors de la portée du projet de loi, mais je pense que vous en comprendrez l'importance. L'arrêt Feeney est unique en un sens parce qu'il équivaut littéralement à un guet-apens de la magistrature. Le ministère public n'a pas été avisé que la Cour songeait sérieusement à invalider des articles du Code criminel énonçant la procédure à suivre dans certains cas. Par conséquent, nous n'avons pas été informés non plus. Nous n'avons donc pas pu intervenir pour plaider notre cause.

Nous suggérons de modifier la Loi sur la Cour suprême pour obliger la Cour à aviser le ministère public lorsqu'elle envisage de rendre un jugement qui aura pour effet d'invalider ou de modifier des règles de droit fédérales. Ainsi, on aura au moins la possibilité d'aller plaider notre cause. Nous n'avons pas pu le faire dans cette affaire.

• 1715

En ce qui concerne vos témoins, j'ai déjà averti l'Association canadienne des procureurs de la Couronne. Il est tout à fait capital—j'ai un parti pris étant donné que j'ai déjà été moi-même substitut du procureur—que vous les entendiez et que vous entendiez aussi les avocats de la défense. Je suis content d'apprendre que vous entendrez un constitutionnaliste représentant les avocats de la défense. J'espère que vous en recevrez un aussi pour les procureurs de la Couronne.

La présidente: Je vous signale en passant que l'Association canadienne des procureurs de la Couronne a refusé dans le passé de comparaître...

M. Scott Newark: Je sais.

La présidente: ... parce que ses membres n'aiment pas s'opposer aux décideurs des ministères dont ils relèvent. Je serais ravie d'entendre régulièrement les représentants de l'Association canadienne des procureurs de la Couronne, mais ils ne veulent pas.

M. Scott Newark: Laisse-moi vous dire que j'ai été membre du bureau de l'Association des procureurs de la Couronne de l'Alberta et que je me suis heurté au même point de vue. C'est d'ailleurs en partie la raison pour laquelle j'ai décidé de passer à autre chose. Le but d'une association, c'est précisément d'avoir une voix indépendante de celle de la direction.

J'ai connu le même problème. J'ai écrit à l'association en lui envoyant la documentation et je l'ai priée de communiquer avec vous pour venir témoigner.

La présidente: Vous connaissez probablement des groupes dont la participation serait assez précieuse pour des choses comme ça.

M. Scott Newark: J'ai encore deux autres observations à faire, si vous permettez. J'espère vous avoir fait sentir que nous nous posons beaucoup de questions. Il y a certaines choses assez pratiques qu'il faudrait peut-être explorer et analyser pour découvrir pourquoi on ne peut rien faire.

Ne vous méprenez pas. Je trouve que c'est vraiment un très bon projet de loi. Il s'agit seulement de savoir s'il pourrait être amélioré, s'il a besoin de l'être, et si le Parlement s'acquitte comme il faut de ses obligations en faisant cette étude. Peut-être que deux journées vous suffiront, auquel cas ce serait parfait.

De mon point de vue subjectif, vous pourriez peut-être adopter les amendements que nous avons rédigés, mais je ne m'attends pas à ce que vous le fassiez. D'ailleurs, je ne vous le recommande pas parce qu'ils doivent être examinés par des légistes, des gens beaucoup plus compétents que moi.

La présidente: Nous n'avons plus de légistes.

M. Scott Newark: Oui, j'ai lu quelque chose là-dessus.

Au sujet de l'obligation de nommer les individus, il serait possible d'amender le libellé afin que le mandat puisse être obtenu que la personne soit nommée ou non. Je pense que la question posée par M. Lee, si je ne m'abuse, à ce sujet est sur la bonne voie.

Étant donné la raison pour laquelle cette discussion a lieu, il paraît plutôt insensé de s'entendre répondre: «Laissons les tribunaux trancher». En toute déférence, c'est à vous de déterminer quels intérêts doivent être prépondérants. Si telle est l'intention du Parlement, alors franchement vous devriez donner instruction au ministère ou à ceux qui rédigent les projets de loi de tenir compte de votre volonté au lieu de laisser les tribunaux décider puisque ce sont eux qui nous ont mis dans le pétrin.

Je veux faire une dernière remarque au sujet d'une observation de M. Lee, encore une fois, qui se demandait si l'on avait la possibilité de dire que par exemple... Je pense que M. Lee a parlé du manuel pratique du policier. Le premier qui date d'il y a deux ou trois ans était épais comme ça et aujourd'hui, il est rendu épais comme ça. Nous pensons suggérer que les juges des cours d'appel accompagnent les policiers en tout temps afin de pouvoir leur interpréter la loi.

M. Paul Forseth: Qu'ils aient un livre sur eux.

M. Scott Newark: Néanmoins, c'est une excellente remarque et je vous suggère d'y réfléchir puisque c'est une procédure extrêmement technique, rendue nécessaire non seulement à cause du rôle du Parlement mais aussi en réaction au fonctionnement de la Cour suprême. Je suis certain que mon collègue va y revenir.

Le Parlement a eu l'intention de préciser que ce n'est pas parce que quelqu'un ne suit pas exactement la procédure énoncée que les éléments de preuve ainsi recueillis—le sang sur la chemise de Feeney—devraient automatiquement être déclarés inadmissibles. Sauf votre respect, je crois qu'il y a moyen de le faire. Nous proposons un amendement à cet effet dans notre mémoire.

M. Jack Ramsay: À quelle page?

M. Scott Newark: Je suis en train de chercher. Ça chevauche deux pages. Regardez à la page 13, au sujet de situation d'urgence, on peut lire:

    Lorsque le tribunal conclut que les conditions énoncées au paragraphe (2) n'ont pas été remplies, ce n'est pas un motif en soi pour déclarer inadmissibles en preuve des éléments obtenus licitement par ailleurs au moment de l'arrestation.

Il en est aussi question à la page 11, paragraphe (6). C'est le même thème, si on veut. On a établi ce cadre assez technique mais qui permettrait au Parlement de faire connaître sa volonté aux tribunaux en disant—non pas que l'on va redéfinir l'article 24 de la Charte—mais que le fait que l'article a été violé ne constitue pas un motif pour exclure la preuve obtenue. Ça ne veut pas dire que le tribunal ne doit pas en tenir compte. Ça signifie seulement qu'en soi, ça ne devrait pas entraîner l'exclusion des éléments véridiques de la preuve.

• 1720

J'ai eu la même discussion avec le ministère qui, il faut le dire, ne souscrit pas à cette position. Sauf votre respect, voilà le genre d'idée que cette cause a fait naître et que, malheureusement, le préavis plutôt court fait ressortir dans ce texte assez touffu.

J'ai voulu m'en tenir dans la mesure du possible à ce que je pouvais vous prier soit d'envisager comme amendement au projet de loi, soit de soumettre aux fonctionnaires du ministère en leur demandant d'expliquer pourquoi c'était infaisable. Parce que nous, nous sommes convaincus du contraire et nous croyons que le projet de loi, quoique déjà très bien, en sera amélioré.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup.

Sergent détective Jessop.

Je viens de lui accorder un nouveau grade.

M. Neal Jessop: Merci.

Mesdames et messieurs, j'ai écouté attentivement l'exposé—je suis certain que M. Sullivan le rappellera—et il n'y a pas eu un mot sur l'arrêt Feeney. Je ne sais pas combien d'entre vous ont lu quelque chose sur l'affaire, mais aucun de vous n'aurait le moindre doute sur l'identité du responsable de la mort de la victime en l'espèce—la victime a été battue à mort—sur l'endroit où ça s'est produit, ni sur les circonstances du meurtre... le vol d'un camion. Vous seriez convaincus que Feeney est le responsable. Pensez-y.

La présidente et moi sommes au courant d'une autre affaire qui a eu lieu à Windsor où de toute évidence deux personnes en avaient assassiné une troisième dans un garage à étages. À cause des règles de droit, mais pas à cause de l'enquête, les deux ont été acquittées.

Quand on pense à Feeney, on sait que cinq personnes à la Cour suprême étaient prêtes à accepter qu'un meurtre flagrant ne soit pas puni et à laisser le meurtrier s'en tirer.

Je suis élu comme président de l'Association canadienne des policiers. Je suis comme un politicien qui représente 42 000 électeurs. Je suppose que vous êtes tous dans la même situation que moi. Vos électeurs n'en savent pas beaucoup sur Feeney, mais la première chose qu'ils vous diraient s'ils étaient au courant de l'affaire ou si on la leur expliquait, ce serait pourquoi avez-vous laissé faire ça? Comment Feeney a-t-il pu filer entre les doigts des Canadiens?

N'est-ce pas que j'ai raison? C'est ce que disent les gens ordinaires quand ils lisent un article là-dessus dans le journal. Comment ont-ils pu faire ça? Comment ont-ils pu laisser partir un meurtrier? Pourtant ils l'ont fait. Cinq des neuf juges ont dit que c'était correct parce que M. Sopinka a affirmé que pour une arrestation sans mandat, le droit à la vie privée l'emportait en général sur l'intérêt de la police.

Qu'est-ce que la police a à voir là-dedans? La police vous représente vous. Il faudrait parler du public et non de la police. Les arrestations sans mandat dans des maisons d'habitation sont interdites en règle générale. C'est à devenir fou. Et tous se demandent ce qu'on peut bien y faire parce que c'est inacceptable.

Feeney aurait pu se précipiter dans la salle de bain, se laver, prendre un verre, brûler ses vêtements ou, si quelqu'un avait été avec lui dans sa maison après qu'il ait assassiné la première victime, prendre cette autre personne en otage. Ce n'est pas arrivé cette fois, mais ça aurait pu arriver.

Ce qui m'amène à ce que je voulais vous dire: les policiers canadiens en ont assez de cette Cour suprême. Les policiers canadiens vous représentent.

[Français]

Un député: Le Bloc québécois aussi...

[Traduction]

La présidente: À l'ordre, s'il vous plaît.

M. Neal Jessop: Comme vous êtes élus par la population, je dis que vous devriez faire comme les Américains. Les Américains étudient la qualification des juges de leur Cour suprême. Si la population américaine est plutôt conservatrice et si le Sénat et la Chambre des représentants choisissent un milieu conservateur, ils nomment des juges conservateurs. Ils assoient le juge en face d'eux et l'interrogent pour connaître ses moeurs, ses valeurs, ses convictions, et pour savoir s'il est compatible avec le gouvernement au pouvoir. Ça les responsabilise.

• 1725

Vous avez tous observé les tribunaux américains passer de l'extrême gauche au centre et maintenant au centre droit sans doute. Et tout ça a été enseigné dans le cours d'introduction à la politique à l'université, et nous savons ce que ça veut dire.

Il n'en demeure pas moins qu'ils représentent les gens qui les ont élus et que ça se reflète dans les juges qu'ils nomment.

N'est-il pas temps...? Cette conviction a été raffermie par un juge de la Cour suprême même, le juge La Forest, qui a dit en avoir assez et qui a demandé que le prochain juge nommé à la Cour suprême soit interrogé par les représentants élus de la population pour qu'on connaisse ses valeurs.

Cinq des neuf juges ont infirmé la règle de droit qui prévalait au Canada depuis 130 ans et selon laquelle on ne peut se dérober à une arrestation légale au pays. Quelqu'un a écrit que ce jugement majoritaire déclarait que tous les autres juges de la Cour suprême pendant ces 130 années n'ont dit que des conneries, que nous avons raison et qu'eux avaient tort. Eh bien! c'est faux, et je vous dis qu'il est temps pour vous de proclamer que c'est une erreur.

Je vous remercie.

La présidente: Merci.

Question de régie interne, je vous rappelle qu'il va y avoir un vote. Le timbre se fera entendre à 17 h 30. Or, il est déjà 17 h 25 et je sais que vous avez des questions à poser.

Sergent détective Jessop, je présume que vous rentrer à Windsor ce soir.

M. Neal Jessop: Peut-être, si on ne m'enferme pas à clef.

La présidente: Personne ici ne va vous enfermer. M. Richardson peut-être, mais je ne crois qu'il ait un pouvoir d'arrestation.

J'essaie juste d'avoir une idée de notre horaire.

M. Neal Jessop: J'ai un vol à 20 h.

La présidente: Bien.

Voulez-vous commencer les questions tout de suite avant le vote?

Des voix: Oui.

La présidente: Bien. Alors commençons; nous avons cinq minutes.

Monsieur Ramsay.

M. Jack Ramsay: Je vais aller droit au domaine qui m'intéresse et dont je peux traiter en cinq minutes.

J'ai lu l'arrêt Feeney. J'ai également lu au moins la première page de votre mémoire et j'y ai vu quelque chose de très intéressant. À la fin du premier paragraphe de la page 1, vous dites:

    Près de la demeure où résidait Feeney, les policiers ont rencontré le beau-frère de Feeney qui a confirmé que celui-ci avait volé son véhicule plus tôt et qu'il avait eu un accident.

Ce fait n'était pas mentionné dans le jugement que j'ai lu. Ça signifie que l'agent de la paix qui a procédé à l'arrestation avait des motifs raisonnables et probables de croire que cet homme avait commis un acte criminel, c'est-à-dire un vol. Par conséquent, il pouvait pénétrer légalement dans la maison.

M. Scott Newark: L'ironie de l'affaire—et la juge L'Heureux- Dubé le note dans son jugement dissident—c'est qu'à la barre des témoins, l'agent qui a fait l'arrestation a été amené à changer d'avis pour affirmer littéralement qu'il n'avait pas de motifs d'arrêter l'accusé. La juge L'Heureux-Dubé est la seule à s'être rendue compte de ce qui s'était passé et elle a dit qu'on n'avait pas besoin d'être juge à la cour d'appel pour comprendre la situation. La majorité de la cour a pourtant statué que c'était ce que le témoin avait dit et que, par conséquent, il n'avait pas de motif.

Évidemment, le tribunal de première instance était mieux placé pour tirer des conclusions. La Cour d'appel de la Colombie- Britannique a confirmé à l'unanimité. Malheureusement, la majorité de la Cour suprême ne l'a pas fait. Mais si l'on se fonde sur les faits, je crois que c'est incontestable.

M. Jack Ramsay: Ce que je veux dire, c'est que la GRC, l'agent qui a fait l'arrestation a admis en contre-interrogatoire qu'il avait l'impression de ne pas avoir de motifs raisonnables et probables d'arrêter l'accusé pour le crime. Mais il avait certainement des motifs raisonnables et probables de croire que cet homme avait commis un acte criminel en volant une voiture; par conséquent, il avait le droit de l'arrêter sans mandat pour avoir commis un acte criminel.

• 1730

Bon, ça sonne; on nous appelle pour le vote. Je veux dire encore une chose. Je trouve que le ministre a tort de laisser tomber la hausse des fonds pour financer les services d'un juge de paix 24 heures par jour. Qu'est-ce que ça signifie? Les coûts vont augmenter et s'il n'y a pas d'argent, les policiers seront moins efficaces pour faire face à cette nouvelle situation.

Bien entendu, du point de vue politique, ça va à l'encontre de l'engagement du gouvernement qui a promis des foyers et des rues sûrs.

Je pose alors la question suivante.

La présidente: Un moment, s'il vous plaît, je voudrais savoir ce que nous allons faire. Je voudrais suspendre la séance parce qu'il nous faut retourner jusqu'à l'édifice du Centre. Est-ce que tout le monde est d'accord pour revenir ici et finir d'interroger ces témoins ce soir? Bien.

Alors nous allons voter et puis nous revenons directement ici. Le greffier a parlé à M. Sullivan qui sera notre premier témoin demain. Il a accepté de nous rendre ce service pour que le sergent détective Jessop puisse rentrer chez lui ce soir.

M. Jack Ramsay: Nous allons donc entendre seulement ces témoins-ci?

La présidente: Oui, dès notre retour et puis nous aurons terminé. Ça va? Merci.

• 1731




• 1820

La présidente: Bon, nous sommes de retour. J'ai l'impression que nous nous sommes absentés pendant 52 minutes et cinq secondes.

Monsieur Ramsay, pourquoi ne commencez-vous pas? Je crois qu'il est préférable que vous répétiez vos questions et nous allons vous donner un tour complet.

M. Jack Ramsay: Bien. Merci, madame la présidente.

Étant donné l'attitude que reflète l'arrêt de la Cour suprême, je crains que le projet d'alinéa 529.3(2)b) soit aussi invalidé, parce qu'il me semble, du moins dans une certaine mesure, que la majorité de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Feeney n'a pas tenu compte des éléments de preuve démontrant l'urgence de la situation, d'après son interprétation de la Charte.

Si c'est le cas, cette attitude, ce sentiment, cette opinion de la majorité de la Cour suprême donne à penser que ce projet d'alinéa en particulier n'a pas la moindre chance de résister à une contestation de sa constitutionnalité. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Scott Newark: Il y a une différence de taille cependant et il en est question dans notre mémoire.

Dans l'arrêt Feeney, la Cour suprême s'est en fait prononcée sur un vide législatif. L'expression «situation d'urgence» n'est pas définie. D'ailleurs, il n'existait aucun cadre législatif pour les arrestations sans mandat dans une maison d'habitation, même si la question avait été soulevée dans une autre affaire quelques années auparavant. J'oublie le titre de l'arrêt.

M. Derek Lee: L'arrêt Landry.

M. Scott Newark: La Cour suprême a déclaré que c'était un concept qui n'avait pas été défini par le Parlement et qu'elle allait donc énoncer elle-même certains des principes en cause.

D'après notre analyse de l'arrêt Feeney et de certaines autres causes antérieures, le mieux c'est de considérer le tout comme une tendance et non pas d'examiner chaque arrêt indépendamment des autres. Chaque fois que la loi n'aura pas énoncé clairement l'intention du législateur, la Cour suprême va s'immiscer à la fois dans le champ du législateur et, en réalité, dans celui de l'enquêteur.

C'est bien différent de la situation de l'article 529.3 proposé dans le projet de loi. C'est la première fois qu'on donne une vraie définition. C'est la première fois que le Parlement exprime vraiment son opinion et précise les motifs justifiant l'entrée dans une habitation. Ce n'est pas du tout comme lorsque la Cour suprême affirme elle-même que le Parlement n'a pas du tout précisé ses intentions.

M. Jack Ramsay: Mais en toute déférence, ce n'est pas ce qu'on dit dans l'arrêt. La Cour n'a pas déclaré que l'on n'a pas à comparer la loi en vigueur à la Charte des droits pour établir le droit de l'accusé à l'inviolabilité de sa demeure. Ce n'est pas ce que la Cour dit; ce n'était pas en cause dans cette affaire.

La Cour a invalidé... Les dispositions protégeant les victimes de viol ont été les dernières à être invalidées et ce n'est pas la Cour suprême qui l'a fait mais bien les tribunaux de l'Alberta.

Le juge Sopinka dit: «... il n'était pas évident que la sécurité des policiers ou de la collectivité était menacée au point d'engendrer une situation d'urgence...» Il ne mentionne pas la preuve relative à la situation d'urgence.

M. Scott Newark: C'est exact.

M. Jack Ramsay: J'en conclus donc qu'une situation d'urgence se rapportant au rassemblement d'éléments de preuve ne justifierait pas l'entrée sans mandat dans une habitation.

M. Scott Newark: Sauf votre respect, monsieur Ramsay, la question est de savoir qui mène. C'est d'ailleurs le point de vue adopté par bien des gens. On se retrouve pratiquement obligé de deviner ce qu'un juge de la Cour suprême ferait dans une situation donnée. Ce qui a abouti non seulement dans ce projet de loi, mais dans une foule d'autres lois...

Si vous relisez les mémoires que nous avons présentés au cours des trois ou quatre dernières années, vous allez retrouver la même chose. Au lieu de tenter de prévoir ce que décidera la Cour suprême, il faudrait que le Parlement soit aux commandes et qu'il énonce la façon dont «situation d'urgence» devrait être définie à son avis.

• 1825

Il y a deux points sur lesquels je suis certes d'accord avec le ministre, bien qu'à des degrés différents. Le premier, c'est le fait que si le Parlement a légiféré, la Cour suprême—je ne suis pas certains que j'irais jusqu'à la déférence—devrait au moins lui donner un préavis. Le second, c'est que sans définition, on se retrouve presque à la case départ.

Selon mon interprétation de l'arrêt Feeney, les commentaires du juge Sopinka ne sont pas limitatifs dans ce sens. Le ministère a décidé que, pour nous, c'était la façon de légiférer afin que telle, telle et telle choses que nous trouvons nécessaires puissent se produire. L'avantage, c'est que tout ceci est défini pour la première fois. Personnellement, je préférerais qu'on aille plus loin et qu'on applique le même raisonnement aux prises en chasse, ce qui n'est pas le cas. Nous allons encore une fois laisser les tribunaux décider. Je ne serais pas étonné que nous ayons une mauvaise surprise à un moment donné.

M. Jack Ramsay: L'arrêt traite de la prise en chasse en utilisant en anglais l'expression «hot pursuit» mais jamais «fresh pursuit». Évidemment, à la séance d'information donnée par les fonctionnaires, vous étiez là lorsque Stephen Bindman a demandé pourquoi la prise en chasse n'était pas définie afin que les policiers sachent exactement à quoi s'en tenir. Comme on ne l'a pas fait, il y a encore matière à interprétation.

J'ai une dernière question au sujet des télémandats. Il semble que ces mandats existent depuis dix ans. Savez-vous si cette procédure a déjà été contestée?

M. Neal Jessop: Je l'ignore. Scott le saurait probablement mieux que moi. Les télémandats n'existent pas en Ontario depuis dix ans, mais plutôt depuis dix jours. Dans la province, probablement l'une des plus peuplées, le système des télémandats n'existait pas. Le Code criminel les autorisait, mais nous ne les avons jamais utilisés. On l'a fait au Québec et en Alberta aussi, si je ne m'abuse.

M. Scott Newark: C'est exact.

M. Neal Jessop: Je vais vous donner quelques renseignements supplémentaires sur le système des télémandats afin que vous ne...

M. Jack Ramsay: Nous vous en serions reconnaissants, mais je veux savoir si la procédure actuelle de télémandat pourra résister à une contestation de sa constitutionnalité.

M. Scott Newark: Je peux vous répondre. Je le crois. Il est question en fait d'utiliser de plus en plus la technologie pour remplir les exigences de la preuve. N'oubliez pas qu'il y a un contrôle au bout du compte. Je sais que vous vous demandez comment le juge de paix peut être certain que la personne à laquelle il s'adresse est bel et bien un policier. On le saura lors du procès, après l'arrestation de l'accusé, lorsqu'un gars en uniforme viendra témoigner. Le cercle se refermera à ce moment-là. Je ne crois pas que ce soit un problème.

N'oubliez pas que les audiences sont enregistrées et qu'il existe toutes sortes de garanties. Néanmoins, je suis d'accord avec la ministre; on ne peut jamais être sûr de ce que la Cour suprême décidera un jour.

M. Jack Ramsay: Quelle que soit la loi.

M. Scott Newark: C'est vrai, mais on ne peut quand même pas tout laisser tomber et rentrer chacun chez soi sans rien faire parce qu'alors, il n'y aurait plus de gouvernement responsable et nous laisserions la Cour suprême nous dire à tous quoi faire.

La présidente: Je crois plutôt que nous devrions laisser les banques décider.

M. Jack Ramsay: Je pense que c'est à ça que M. Jessop faisait allusion tout à l'heure.

C'est tout, madame la présidente. Merci.

La présidente: Pour les banques, c'était une blague.

Monsieur Forseth.

M. Paul Forseth: Pourriez-vous expliquer la différence que vous faites entre les termes anglais «hot pursuit» et «fresh pursuit» qui désignent la prise en chasse en droit et quel est le rapport avec le problème que pose le projet de loi? D'après la ministre, le projet de loi ne traite pas vraiment de ces questions, laissant sous-entendre que rien n'est changé à ce chapitre. J'ai pourtant l'impression que vous, vous n'êtes pas d'accord, c'est pourquoi je voudrais que vous étoffiez un peu vos observations. Quel effet le projet de loi aura-t-il sur toute cette notion de prise en chasse?

• 1830

M. Scott Newark: La ministre a raison de dire qu'aucune disposition du projet de loi n'aura un effet sur les prises en chasse, «hot pursuit» en anglais, parce que c'est l'expression utilisée par la Cour suprême du Canada. Mais, sauf votre respect, c'est bien là le problème. À mon avis, sa position contredit celle qu'elle a adoptée plus tôt en définissant «situation d'urgence». S'il est nécessaire de définir ce qu'est une situation d'urgence pour faire connaître la volonté du Parlement au sujet de cette expression importante pour la police, je ne comprends pas pourquoi la même raison ne vaut pas pour la définition d'un autre concept important, celui de la prise en chasse, qu'on l'appelle «hot pursuit» ou «fresh pursuit» en anglais.

L'idée de laisser la common law... Malheureusement, ce n'est pas une réussite jusqu'à présent. La Cour suprême a manifestement tendance à imposer son interprétation personnelle lorsque, à son avis, les intentions du législateur ne sont pas précisées. On se rend compte après coup qu'elle a remis ça.

C'est une question politique et si vous en avez l'occasion maintenant, donnez une définition.

En plus, c'est bien plus simple pour les policiers qui sont déjà obligés d'avoir sur eux un manuel épais comme ça sur les prescriptions de la loi, d'appliquer quelque chose qui est défini dans les textes législatifs au lieu de traîner avec eux des arrêts qui énoncent un certain concept.

Néanmoins, ce qui m'inquiète le plus, c'est la contradiction du gouvernement qui trouve maintes raisons pour justifier la définition d'un concept mais pas celle d'un autre.

La présidente: Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Vos commentaires sur l'utilisation de la terminologie juridique m'intéressent énormément parce que je trouve qu'elle donne du fil à retordre à beaucoup de monde. Les avocats ont tendance à délimiter leur territoire en droit en créant leurs propres expressions, et j'ai l'impression que les juges font pareil. J'approuve presque tout ce que M. Jessop a dit sur le degré de frustration exprimé par de nombreux policiers.

Dans le même ordre d'idée, croyez-vous qu'en faisant ajouter dans la loi de nouvelles définitions pour «situation d'urgence» et autres concepts définis par les tribunaux... est-ce que ça ne va pas décupler la masse de renseignements que les policiers seront obligés d'assimiler? Ne devrait-on pas plutôt tenter de simplifier les choses en revenant à des définitions plus fondamentales comme les «motifs raisonnables et probables» et faire confiance aux policiers qui exerceront le pouvoir discrétionnaire que leur confère ce concept?

M. Scott Newark: C'est une excellente idée. Le seul problème, c'est qu'il y a la Cour suprême du Canada et qu'elle finira par se pencher sur les actions de certains policiers en particulier. Or, elle a rendu des jugements qui ont obligé le Parlement et quatre gouvernements à prendre une mesure extraordinaire en lui demandant de surseoir à l'application de son jugement parce que ça a mis les forces de l'ordre à l'envers. C'est bien beau...

Je le répète, le génie de la common law, c'est sa faculté d'évoluer, mais malheureusement l'un des principaux intervenants dans ce processus n'en tient pas compte. La certitude offre un certain avantage, mais... Monsieur MacKay, si vous arriviez à trouver une formule assez claire pour les policiers mais qui laisserait une certaine latitude tout en respectant les prescriptions connues de la Cour suprême, ce serait génial. Mon problème, c'est que le pays a pris une tangente différente depuis dix ans.

M. Peter MacKay: La tendance qui se maintient, c'est que la Cour suprême réagit, invalide une loi ou crée un nouveau corpus de règles de droit et que le Parlement agit en réaction à ça. Et la jurisprudence et les définitions codifiées se multiplient. En tant que législateurs, nous devrions nous charger de simplifier les choses au lieu de grossir un système déjà compliqué. Je sais que ce sont là des principes très généraux, mais c'est l'objectif vers lequel le Parlement devrait tendre au lieu de se contenter de réagir à la suite de jugements comme l'arrêt Feeney.

M. Scott Newark: Très franchement, je pense que beaucoup de gens vont examiner ce projet de loi, que nous trouvons pourtant assez réussi, et ils ne seront pas très contents.

Dans l'affaire Feeney, le problème c'est que tout n'a commencé qu'en mai dernier. Le point de départ, c'est l'arrêt Feeney. Je ne nie pas l'existence du cycle dont vous parlez, mais comme il vous faut réagir de toute façon, à supposer que la situation créée par l'arrêt soit intenable, ce serait fantastique si vous arriviez à trouver une situation plus générale. Malheureusement, je ne suis pas certain que ce soit possible en ce moment.

• 1835

M. Neal Jessop: Tous les policiers qui sont assermentés en ce moment savent que dans chaque affaire où ils seront appelés à témoigner, et en particulier dans les affaires graves, la conduite de la police sera examinée à la lumière de la jurisprudence que l'agent en cause pourrait ignorer pour une foule de raisons, notamment à cause de notre système de formation policière. Mais nous sommes prévenus. Nous savons au départ que la première chose qui sera prise à partie, c'est notre comportement. Et ce sera la nouvelle règle, la règle Feeney. Si nous ne nous conformons pas aux critères de cette règle, tout s'écroulera et aucun élément de preuve ne sera admissible. C'est un fardeau assez lourd surtout sur les épaules d'un jeune policier qui n'est pas avocat et qui ne le sera jamais, mais qui a embrassé cette carrière parce qu'il voulait faire le bien.

M. Scott Newark: Et ce n'est pas tout. Non seulement les policiers ne connaissent pas nécessairement toutes les règles en vigueur à un moment donné, mais en plus, la Cour suprême passe son temps à les modifier en cours de route. N'oubliez pas que dans l'arrêt Feeney, la Cour suprême a décidé que, tant qu'à y être, elle allait changer la pratique acceptée jusqu'alors. Et ce n'est pas la première fois. Cela complique la répression criminelle puisque l'arbitre suprême devenu législateur—peut-être pas suprême mais néanmoins l'un des législateurs—a la capacité et le désir de modifier les règles en cours de route.

M. Peter MacKay: Monsieur Newark, j'irais même plus loin. Il y a des juges qui m'ont demandé si tel article avait été proclamé, si telle règle avait été incorporée dans le Code criminel? Les choses vont donc très vite.

La présidente: On nous demande si l'on est certain que c'est une règle de droit.

M. Peter MacKay: C'est vrai.

J'ai apprécié que vous fassiez un lien, dans votre mémoire, avec une observation du juge L'Heureux-Dubé que je cite:

    L'incapacité d'un policier d'utiliser correctement la terminologie juridique qui accordait le pouvoir d'entrer ne devrait pas invalider une entrée régulière.

Cette opinion incidente se rapporte aussi à l'image du fruit d'un arbre empoisonné. Je pense que les juges eux-mêmes—et j'ignore comment obtenir ce résultat ou essayer d'infléchir leur raisonnement—toute cette idée des policiers mis sur la sellette est un élément d'un problème plus général qui ressort dans ce jugement.

M. Scott Newark: Il y a deux remarques qui devraient vous aider.

Si vous vous reportez encore une fois à la page 13, juste au- dessus du point 5, au paragraphe (8). J'ai déjà mentionné ce passage dans une réponse à M. Lee. Si, par exemple, le tribunal conclut que la procédure technique n'a pas été suivie—même si c'est parce qu'elle est mal expliquée—ce sont des instructions provenant du législateur lui-même et voulant que ce ne soit pas en soi un motif pour que le tribunal refuse automatiquement d'admettre la preuve. Nous pensons que ce serait une solution possible.

Il y a aussi une autre possibilité. Sauf votre respect, il est temps d'aviser la Cour suprême qu'elle aussi est tenue de respecter la loi. Il y a cette modification de la Loi sur la Cour suprême que j'ai suggérée pour obliger la Cour à donner un droit de réplique à l'autre partie. Si je ne m'abuse, ce concept de droit s'appelle audi alteram partem. C'est vraiment le concept de base qui devrait aussi s'appliquer à la Cour suprême.

Voilà deux suggestions qui devraient amener la Cour suprême à se rendre compte que le législateur n'est pas disposé à abandonner la partie.

La présidente: Cela ferait un bon projet de loi d'initiative parlementaire, d'autant plus qu'un député n'a pas à consulter personne.

Des voix: Oh, oh!

La présidente: Merci, monsieur MacKay. Monsieur Lee, vous avez une question?

M. Derek Lee: Oui, j'en ai une. J'ai été ravi, comme nous tous d'ailleurs, d'apprendre que le milieu policier et l'Association canadienne des policiers avaient participé aux consultations ayant abouti à ce projet de loi. Vous souvenez-vous à quel moment l'association a commencé à être consultée?

M. Scott Newark: Oui, la première séance de consultation a eu lieu à la suite d'un appel téléphonique nous demandant notre avis. La première réunion a eu lieu le 9 septembre, si je ne m'abuse; nous avons alors discuté des principes généraux, de l'orientation à prendre, d'une analyse de l'arrêt, de la signification de l'arrêt et de ce qu'il fallait faire. Ensuite, il y a eu une série d'échanges très précis, comme l'a raconté la ministre, jusqu'au moment où le projet de loi a été soumis au cabinet, d'après ce qu'on m'a dit. Il y a eu au moins une dizaine de réunions sur des points bien précis. Sans vous donner tous les détails, je peux dire que certains jours il y a eu de multiples...

• 1840

À mon avis, nous n'avons absolument aucun motif de nous plaindre de cette consultation et j'en fais avec divers gouvernements depuis un certain temps déjà. Les consultations ont été parfaites.

Je l'ai dit au début, que le groupe qui n'a pas été consulté est le plus important et c'est celui composé de vous, les parlementaires.

M. Derek Lee: Je m'intéresse à cet aspect à cause des délais qui ont été imposés.

Merci, madame la présidente.

La présidente: Y a-t-il d'autres questions? Monsieur Ramsay.

M. Jack Ramsay: Si l'on a communiqué avec vous une première fois le 9 septembre, pour connaître votre avis, savez-vous à quel stade en était rendu le projet de loi à ce moment-là? Autrement dit, je voudrais savoir quand le ministère a commencé à ébaucher le projet de loi.

M. Scott Newark: Je ne saurais dire, pas parce que je ne le veux pas, mais parce que j'ignore la réponse à la question.

M. Jack Ramsay: Très bien.

Dans sa décision, Mme L'Heureux-Dubé a écrit ce qui suit:

    Comme [...] les actes des policiers [...] ne violaient pas la Charte, je n'ai pas à examiner le par. 24(2). Toutefois, s'il avait été nécessaire de le faire, [...] vu la situation d'urgence et la gravité du crime, l'exclusion de ces éléments de preuve déconsidérait manifestement l'administration de la justice, étant donné particulièrement que cela empêcherait probablement l'appelant [...] d'être traduit en justice.

Cela contredit directement le jugement de la majorité qui déclare que: «En général, le droit à la vie privée l'emporte sur le droit de la police».

Donc, Mme L'Heureux-Dubé affirme que l'intérêt de la société devrait l'emporter même si quelque chose de fâcheux s'est produit. Il y a aussi la majorité qui affirme exactement le contraire. Ni l'une ni l'autre ne s'appuie sur l'article premier de la Charte et je me demande pourquoi. L'article premier ne s'applique-t-il pas en l'espèce?

M. Scott Newark: Cela renforce l'observation que j'ai faite tout à l'heure. Je pense que si Sa Majesté avait signifié ce que la majorité entendait faire, quelqu'un aurait pu faire valoir cet argument. Je n'ai pas mon code avec moi, mais comme je l'ai fait remarquer au ministère une fois, ce jugement a en fait invalidé l'un des articles du Code criminel donnant des instructions générales sur les arrestations, sur l'exécution des mandats.

Si j'avais été le substitut du procureur dans l'affaire, j'aurais probablement fait remarquer à leurs seigneuries qu'il y a une autre façon d'aborder le problème et qu'il faudrait sans doute appliquer l'article premier. Voilà pourquoi nous trouvons que c'est assez important—et je crois savoir que c'est en dehors de la portée du projet de loi et que ça ne peut donc pas faire l'objet d'un amendement. Mais outre la loi, votre comité pourrait tenir des audiences sur le type de modifications susceptibles d'être apportées à la Loi sur la Cour suprême afin que plus jamais on n'omette d'entendre l'autre partie.

M. Jack Ramsay: Bien entendu, ça nous ramène à la remarque que j'ai faite à la Chambre dans mon discours sur le sujet, et M. Jessop en a parlé aussi. Dans le jugement Sopinka, le droit individuel à l'inviolabilité de sa demeure l'emporte sur l'intérêt de la police. Mais l'intérêt de la police ne se confond-il pas parfaitement avec l'intérêt de la société, c'est-à-dire faire respecter la loi, rassembler des preuves, etc.?

J'en reviens à l'article premier de la Charte qui permet de restreindre un droit individuel lorsqu'un intérêt collectif plus important est en jeu. Là où je veux en venir—cet homme est libre dans cette collectivité, peut-être parce que c'est là qu'était sa demeure. Si le jugement et ce qui s'est passé ici ne déconsidèrent pas l'administration de la justice aux yeux de centaines de milliers de Canadiens, à commencer par les forces de l'ordre, les procureurs de la Couronne et tous ceux qui travaillent dans le système judiciaire, rien ne le fera. Mme L'Heureux-Dubé le dit d'ailleurs dans son jugement que c'est ce qui arrivera si les intérêts de l'assassin l'emportent sur ceux de la société et de ses agents qui sont chargés de la protéger.

• 1845

Qu'est-ce qui arrive pour les policiers?

M. Neal Jessop: Il arrive exactement ce que je vous ai expliqué. Il est probable que, en ce qui concerne certaines questions pénales, la Cour suprême ait perdu sa crédibilité auprès de la population canadienne. Le vrai problème, c'est qu'elle ne semble pas s'en rendre compte ou alors, si elle le sait, elle n'en a cure.

Je suis presque certain que si le juge Sopinka savait que des éléments de preuve pouvaient être détruits et qu'il y avait des risques de lésions corporelles. J'ai lu ses motifs. Il n'est pas bête du tout. S'il a rendu un tel jugement rédigé de cette façon, est-ce parce qu'il se moque de la preuve? Se moque-t-il des risques potentiels pour les membres de la famille qui se trouvent à l'extérieur de la demeure? Il ne pense pas à ça?

M. Jack Ramsay: Je vais conclure mon intervention par une dernière déclaration. En juillet de l'an dernier, si je ne m'abuse, un sondage Angus Reid a indiqué que 52 p. 100 des Canadiens faisaient peu confiance aux tribunaux. Dernièrement, le juge en chef de la Cour suprême du Canada a demandé à un groupe d'avocats de défendre les décisions rendues par les juges et juges de paix. Peut-être que le message est en train de passer.

Bien entendu, nous allons adopter le projet de loi. Nous n'apprécions pas qu'il soit adopté à la hâte parce que nous n'avons pas le temps de connaître l'opinion des intervenants des deux bords sur les dispositions. Néanmoins, je déplore l'arrêt de la Cour suprême du Canada qui a nécessité la présentation de ce projet de loi.

M. Scott Newark: Monsieur Ramsay, j'ai écrit un texte sur le discours du juge en chef réclamant une guerre sainte ou une réaction à une prétendue guerre populaire, et demandant aux avocats de la défense et aux procureurs de la Couronne de se porter à la défense des tribunaux. Sauf votre respect, bien des questions abordées aujourd'hui n'avaient jamais été discutées auparavant, notamment l'interaction du politique, du judiciaire et du législatif.

Le juge en chef Lamer s'est immiscé dans le processus politique en faisant de telles déclarations. J'ai l'impression que c'est arrivé faute de directives du législateur—et c'est là que je voulais en venir—et il y a déjà longtemps que ça dure. Les questions soulevées dans l'arrêt Feeney, les problèmes légitimes que posent les intérêts personnels et les intérêts collectifs lors de l'exécution de mandats d'arrestation commandent des décisions politiques qui doivent être prises de préférence par les représentants élus dans une société libre et démocratique—pour reprendre l'expression de la Charte. C'est une question à laquelle il faudra répondre alors qu'on commence seulement à y réfléchir.

Je souscris tout à fait à l'idée que M. Jessop a cherché à vous transmettre. En principe, c'est sans doute pour cette raison que les gens aspirent à un gouvernement responsable. Cette non- responsabilisation et ce manque de contrôle des législateurs minent la confiance populaire dans le système de justice pénale et j'ajouterais dans le processus législatif même. C'est un problème qu'il faudra régler tôt ou tard et le plus tôt sera le mieux. Ce projet de loi est bien peu de chose et c'est pourquoi nous trouvions important de soulever ces questions sur la place publique, même si elles ne sont pas mentionnées habituellement dans nos mémoires. Il est temps que quelqu'un commence à en parler.

• 1850

Enfin—j'étais en train de chercher l'article—je tiens à dire que, dans l'arrêt Feeney, la Cour suprême a invalidé par inférence l'article 514 du Code criminel qui se lit comme suit:

    514.(1), Un mandat en conformité avec la présente partie peut être exécuté par l'arrestation du prévenu:

      a), en quelque lieu qu'il se trouve dans le ressort du juge de paix [...]

Je pense que les juges n'ont même pas réfléchi au fait que leur jugement aurait pour effet d'invalider l'article 514. Je sais qu'aucun substitut du procureur n'a eu l'occasion de le dire parce que les règles de procédure actuelles permettent aux juges d'agir à leur guise.

M. Jack Ramsay: Merci.

La présidente: Merci. Je crois que nous avons terminé.

Je tiens à dire, au profit du compte rendu pour que vous n'ayez pas à vous plaindre du préavis, que le comité va examiner toutes les règles de droit, la technologie, les principes et tout ce qui entoure la conduite avec facultés affaiblies, y compris les taux d'alcoolémie. Je suis certaine que vous en aurez long à dire sur le sujet.

M. Scott Newark: Merci.

La présidente: Merci, nous avons terminé. À demain.