JURI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 11 février 1998
[Traduction]
La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor-St. Clair, Lib.)): La séance est ouverte. Nous examinons le projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques.
Nous accueillons aujourd'hui, de l'Université York, Dianne Martin et Elizabeth Costa, étudiante à Osgoode Hall. Mme Martin est aussi à la faculté de droit. Nous avons bien hâte d'entendre votre exposé.
Mme Dianne Martin (professeure, Université York): Je présume que vous n'avez pas mon mémoire.
M. Nick Discepola (Vaudreuil-Soulanges, Lib.): Vous avez raison.
Mme Dianne Martin: Je mettrai en relief les principaux points du mémoire que vous n'avez pas et je ne tenterai pas d'être originale. Veuillez m'excuser. J'ai été invitée à comparaître la semaine dernière et je n'ai pu rédiger mon mémoire à temps pour le faire traduire.
Je suis ici à titre de codirectrice d'un projet que la faculté de droit appelle le projet Innocence. Il a été créé en septembre dernier, sous l'égide de moi-même et d'un de mes collègues, Alan Young.
Nous enquêtons, avec six étudiants dont l'une m'accompagne aujourd'hui, les cas de condamnation injustifiée et les possibilités de condamnation injustifiée. Nous avons pour mandat de nous pencher sur les cas où il y a innocence de fait. Nous cherchons les condamnés qui ne sont pas coupables, et nous examinons leurs dossiers depuis septembre.
J'enseigne le droit de la preuve et le droit criminel à la faculté de droit. Auparavant, j'ai pratiqué le droit criminel à Toronto pendant une quinzaine d'années. Mon collègue, M. Young, enseigne aussi le droit criminel et a de l'expérience de la pratique du droit. Nous avons donc la chance de compter sur une longue expérience des divers enjeux liés aux poursuites criminelles.
Le mémoire que j'ai rédigé commence par une citation que je vous lirai, car je crois qu'elle donne le ton à tout le texte. C'est un extrait d'un éditorial de William Thorsell, paru dans le Globe and Mail l'automne dernier. Il y disait, et je cite:
-
Le système canadien d'enquête et de poursuite concernant les crimes
sérieux, tels que le meurtre, comporte de graves lacunes.
Récemment, il est arrivé trop souvent que des innocents soient
punis et que les coupables s'en tirent à bon compte [...]
Deux incidents particuliers ont incité M. Thorsell à faire cette remarque: la disculpation, après tant d'années, de David Milgaard, survenue au moment même de l'enquête sur la condamnation injustifiée de Guy-Paul Morin, deux événements qui faisaient eux-mêmes suite au rapport sur l'enquête bâclée sur Paul Bernardo, un des pires récidivistes de l'histoire du pays. Bien sûr, les erreurs commises pendant l'enquête sur Paul Bernardo reflétaient celles qui avaient été faites dans les affaires Morin et Milgaard. On l'oublie souvent, je crois. Lorsqu'un innocent est condamné à tort, un coupable échappe à la justice. Chaque fois qu'on condamne quelqu'un à tort, des erreurs semblables font que le coupable n'est pas appréhendé.
À la faculté de droit, nous étudions des dossiers et faisons des recherches sur les causes des condamnations injustifiées. Ce genre de recherche n'a pas encore été menée sérieusement au Canada, sauf dans le cadre d'une commission royale. Nous apprenons toutes sortes de choses et nous estimons pouvoir apporter une contribution à long terme à cette question.
Le plus souvent, les gens nous demandent si ce genre d'erreurs sont courantes. D'une part, nous aimerions tous croire que c'est une aberration très rare, qu'une fois par génération, le système, qui est humain, fait une erreur, et que cela est inévitable. D'autre part, j'ai entendu dire, comme l'ont indiqué des études, que de 20 à 30 p. 100 des condamnations sont injustifiées. Mes propres recherches m'ont convaincue que les erreurs de ce genre ne sont pas rares, ne sont pas une aberration, mais qu'elles ne représentent pas non plus 30 p. 100 de toutes les causes criminelles. Nous n'abordons pas la question du bon point de vue et, à mon avis, il importe de se corriger à cet égard car cela nous amène à parler de ce que la méthode des empreintes génétiques peut faire pour nous.
Les affaires où il y a erreur sont celles où on ne connaît pas le contrevenant. Ces causes sont en fait très rares dans le système de justice pénale. Dans la vaste majorité des cas qui font l'objet de poursuites, les participants sont bien connus. La question est alors de savoir s'ils ont commis une infraction. Leur identité, elle, ne pose pas de problème.
• 1545
Les causes où l'identité du contrevenant posent un problème
sont très peu nombreuses. Je crois pouvoir dire que c'est dans ce
petit groupe de cas que se commettent la plupart des erreurs.
La preuve fondée sur l'identification par un témoin oculaire, qui est cruciale dans les cas où l'agresseur est inconnu et qu'un étranger est identifié, est la preuve la plus fragile qui soit. La probabilité d'identifier correctement un étranger est en fait très faible à moins que toutes les circonstances ne soient idéales.
Le taux d'erreur dans ces cas est de plus de 50 p. 100. Cela ne signifie pas que 50 p. 100 de ces condamnations sont injustifiées, car on dispose généralement d'autres preuves. Mais les condamnations justifiées fondées uniquement sur le témoignage d'un témoin oculaire sont extrêmement rares.
La deuxième catégorie de preuves fragiles est celle des aveux. Les raisons qui poussent les gens à faire de faux aveux sont innombrables, et le nombre de gens qui le font est étonnamment élevé.
La troisième catégorie des preuves fragiles est celle des dénonciations par des informateurs emprisonnés. On a recours à ces dénonciations lorsqu'il n'y a pas d'autres preuves.
Enfin, il y a la catégorie des preuves purement circonstancielles.
Dans la plupart des cas où l'identité du coupable est inconnue, ce sont là les seules preuves dont on dispose; il n'est donc pas étonnant qu'on commette des erreurs. C'est pour cela que les preuves fondées sur l'ADN représentent une révolution. La méthode des empreintes génétiques permet une identification précise à partir de preuves infimes; elle peut donc compenser la fragilité des autres preuves dont je viens de parler.
Voilà pourquoi nous, du projet Innocence, sommes ravis de participer aux débats sur le projet de loi sur une banque de données génétiques. Nous estimons qu'on doit mettre sur pied une banque nationale de données génétiques. Toutefois, nous avons d'importantes réserves concernant le projet de loi C-3.
Voici ce qui constitue d'après nous la première lacune du projet de loi; c'est aussi notre première recommandation. Le mémoire que je vous ai distribué énonce quatre recommandations et cinq questions. La première recommandation est la suivante:
-
Nous recommandons que l'objet et les principes du projet de loi
soient modifiés de façon à traduire l'importance de la précision
lors de l'identification d'accusés, ainsi que pour l'administration
de la justice lors de la disculpation d'innocents et la
condamnation de coupables.
Il semble qu'en matière législative, la nouvelle tendance veut qu'on énonce un objet et quelques principes directeurs. Cela a été utile dans le cas des agressions sexuelles, par exemple. Cela sert de guide non seulement au système judiciaire, mais aussi au grand public.
Nous recommandons donc qu'on reconnaisse la double valeur des preuves fondées sur l'ADN, qui est en fait la première valeur, à savoir la découverte de la vérité. Nous souhaitons qu'on cesse de présenter la preuve fondée sur l'ADN comme un outil de poursuite, qu'on la considère comme il se doit dans un cadre scientifique et qu'on appuie son utilisation comme outil de recherche sur la vérité.
Dans presque tous les cas de conviction injustifiée au Canada, dans les cas concernant l'IRA en Angleterre et aux États-Unis, on a agi dans la hâte. Il était urgent de trouver un coupable. Des intervenants du système de justice pleins de bonne volonté et de bonnes intentions ont refusé d'envisager la possibilité que le premier suspect qu'ils aient trouvé soit innocent.
C'est compréhensible, mais c'est mal. Nous vous exhortons à examiner attentivement le libellé des dispositions sur l'objet et les principes et de reformuler ces articles de façon à ce que la découverte de la vérité devienne la priorité absolue.
• 1550
Nous recommandons aussi que la gestion de la banque de
données, à tout le moins, n'incombe pas à un service de police.
Nous estimons qu'une banque de données génétiques est d'une telle
importance qu'elle devrait être régie par un organisme
gouvernemental indépendant et transparent.
Dans une courte section du mémoire, nous recensons ce que nous avons appris sur la science et les laboratoires judiciaires, ainsi que sur leur rôle dans les erreurs judiciaires; ce n'est pas très reluisant. Le projet Innocence a participé à une étude pour l'enquête Kaufman qui nous a menés en Australie, en Angleterre et aux États-Unis où nous avons examiné des cas de condamnation injustifiée. Dans chacun de ces pays, comme au Canada, les laboratoires judiciaires—qui sont très souvent dirigés parla police—ont produit des preuves fausses ou trompeuses.
Il ne s'agit pas ici d'accuser tous les laboratoires judiciaires de parjure. Seulement, les scientifiques connaissent bien le phénomène du parti pris de l'enquêteur. Les véritables scientifiques qui tentent de trouver la vérité mènent des études à double anonymat et ont recours à d'autres méthodes pour se protéger contre un risque qu'ils connaissent bien: le parti pris de l'enquêteur. Or, les laboratoires judiciaires dirigés par la poursuite n'ont pratiquement jamais de moyens de protection de ce genre. Ils deviennent un organe de la poursuite, ce qui, trop souvent, mène à des résultats qui ne favorisent pas la découverte de la vérité, mais plutôt le progrès de la cause de la poursuite.
Récemment, le Département américain de la justice s'est penché sur deux choses: il a examiné les preuves fondées sur l'ADN comme outil de disculpation des innocents et de condamnation des coupables, et il a évalué le laboratoire judiciaire du FBI.
À ce dernier sujet, je vous ferai remarquer que ce laboratoire est reconnu comme étant le deuxième au monde.
Cette étude a mené à deux conclusions qui vous intéresseront. Premièrement, le taux d'erreurs commises par les laboratoires judiciaires dans les cas de condamnation injustifiée où il y avait eu disculpation grâce à des analyses génétiques était extrêmement élevé. Le Département de la justice s'est dit troublé par la quantité de preuves trompeuses et peu précises provenant de ces laboratoires judiciaires. Des témoignages avaient été rendus et des rapports avaient été rédigés de façon à étayer la théorie de la poursuite. On a recommandé que soient portées des accusations de parjure dans certains cas, et on poursuit des enquêtes dans quelques villes. L'enquête se poursuit dans 38 dossiers d'exonération par analyse génétique.
Deuxièmement, on a découvert que, au laboratoire du FBI, les mêmes problèmes existaient. En fait, la reconnaissance même du laboratoire est remise en question. Ce n'est pas la première fois. Le laboratoire judiciaire de l'Angleterre qui a fait les analyses dans les cas d'attentats à la bombe par l'IRA a connu sa propre révolution interne. Les dirigeants de ce laboratoire ont dû reconnaître qu'ils avaient présenté des preuves trompeuses et contribué à des condamnations injustifiées.
C'est probablement l'Australie qui s'en tire le mieux. Là aussi, il y a eu des moments difficiles parce qu'il est douloureux d'admettre que ses meilleurs employés commettent ce genre d'erreurs. Personne ne veut faire face à cela et c'est horrible que de découvrir cela. En Australie, on l'a constaté dans l'affaire du bébé qui avait été enlevé par un dingo. On a alors fait preuve d'une grande rigueur et fait venir des experts, dont un d'Écosse qui a aussi rencontré mes étudiants, pour apporter des correctifs et établir des services médico-légaux professionnels et scientifiquement solides.
Les Australiens et d'autres du monde entier reconnaissent que, si on veut que la criminalistique soit scientifique, elle doit être constituée en organisme distinct de tout autre organisme, de la poursuite et de la défense. Cela nous amène à recommander que le laboratoire scientifique qui sera le plus important du pays, qui aura la responsabilité de l'information sur les Canadiens la plus précieuse, à savoir une banque de données génétiques, doit être administré et vérifié de façon indépendante afin que les erreurs commises à l'étranger et ici même au Centre des sciences judiciaires ne se répètent pas.
• 1555
La deuxième recommandation n'est pas très bien rédigée, et je
m'en excuse, mais la voici:
-
Nous recommandons que la loi soit modifiée de sorte que la Banque
nationale de données génétiques soit établie et maintenue par une
société de la Couronne indépendante et distincte du ministère du
Solliciteur général et de tout service de police.
Je ne sais trop comment on assurerait cette indépendance. Je ne propose pas que les laboratoires judiciaires soient logés dans des immeubles distincts de ceux de la GRC. Il s'agirait plutôt de créer un mécanisme de gestion et de vérification indépendant.
Nous sommes venus à cette conclusion en partie à la suite des travaux de la Commission Morin de décembre dernier. Je recommande à votre comité de passer en revue les travaux de cette commission et de lire le rapport du juge Kaufman lorsqu'il sera rendu public à la fin de mars. Il était évident que les graves erreurs qui avaient été commises au Centre des sciences judiciaires avaient contribué à la condamnation injustifiée de Guy-Paul Morin. Nous n'avons pas à attendre le rapport du juge Kaufman pour en parler. Le Centre des sciences judiciaires l'a reconnu et a déjà entrepris d'importants changements de sa propre initiative.
Cette enquête ayant été menée, il serait sage que votre comité en tire profit.
Nous savons donc que les laboratoires judiciaires ont commis des erreurs; ce n'est pas seulement parce qu'ils ne sont pas indépendants, mais aussi parce qu'ils n'ont aucun compte à rendre à la communauté scientifique ou à l'autre partie intéressée de toute enquête judiciaire, l'accusé.
Le Centre des sciences judiciaires, par exemple, n'a fait aucun travail pour la défense. Les résultats de toutes les analyses qui y ont été faites pour la défense ont été transmis à la poursuite. Le Centre des sciences judiciaires n'était pas tenu de présenter des rapports réguliers et honnêtes à qui que ce soit, sauf à la poursuite. C'est comme porter des oeillères. C'est être aveugle à quoi que ce soit d'autre qu'à la victoire de la poursuite.
Dans notre troisième recommandation, nous proposons que la loi soit modifiée pour permettre à la défense de disposer des ressources d'analyse de la banque de données, ce qui m'apparaît nécessaire même si vous n'allez pas jusqu'à faire de la banque de données un organisme indépendant. Dans son libellé actuel, le projet de loi ne prévoit aucun service à la défense. On nÂy fait nullement mention. À mon avis, c'est un grave oubli. Deuxièmement, nous recommandons que la loi soit modifiée de façon à prévoir une vérification externe annuelle des pratiques, des procédures et de la nouvelle technologie.
C'est là la troisième recommandation qui, à mon avis, complète la deuxième, mais qui peut aussi représenter une solution de rechange à la deuxième recommandation. Elle ne nécessite pas la création d'un organisme indépendant mais permet de réaliser certains des mêmes objectifs. Je la répète donc.
Premièrement, on devrait s'assurer que la défense a aussi accès au matériel et à la technologie. Vous pourriez représenter un accusé et croire qu'il existe des preuves infimes qui pourraient l'exonérer, provenant peut-être d'une autre cause, mais n'avoir aucun moyen d'obtenir cette information. Si la poursuite ne veut pas soulever la question de cette preuve infime, vous ne pourrez exonérer votre client, même si cette preuve a été stockée dans la banque de données.
Nous recommandons donc un droit d'accès pour la défense et une vérification externe annuelle. Cette vérification ne nécessitera pas la divulgation d'informations confidentielles. Elle n'entraînerait pas non plus de violation du droit à la vie privée ou des devoirs de la poursuite et des tribunaux, mais elle pourrait permettre au Parlement et au public de s'assurer qu'on ne se dirige pas vers les erreurs dont on a été témoin à l'étranger et dont nous avons été témoins en Ontario.
• 1600
Cela permettrait aussi de garantir que ce nouveau service
reste à la fine pointe de la technologie, qui est en évolution
rapide. Tout le monde ne le sait pas, mais vous savez
certainement...
La présidente: N'en soyez pas si sûre.
Mme Dianne Martin: ... que la technologie de l'analyse génétique progresse à une vitesse phénoménale. C'est une technique très raffinée. Nous comprenons tous le principe de l'empreinte digitale, du prélèvement d'une empreinte sur un verre, par exemple. Cela, ça va. Mais il n'en va pas de même pour l'ADN. C'est beaucoup plus complexe. Les essais deviennent de plus en plus élaborés et la technologie de plus en plus difficile à comprendre.
La dernière percée... le sigle m'échappe, je ne suis pas meilleure que les autres. Cette nouvelle technique permet la duplication d'un minuscule échantillon... dans l'affaire Morin, on a employé la technique PCR.
M. Nick Discepola: Qu'est-ce que cela signifie?
Mme Dianne Martin: Bonne question.
Pourquoi est-ce si important? Cela fonctionne comme par magie. C'est étonnant. Ayant bu dans ce verre, j'y ai laissé probablement des cellules de mon corps. Cela permettra la production d'empreintes génétiques. C'est une technique très poussée, une véritable prouesse.
Ce qu'elle comporte de dangereux, ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il est facile de contaminer un échantillon. Beth pourrait mettre son doigt sur mon verre. Nous aurons alors un échantillon mélangé d'ADN qui donnerait je ne sais trop quels résultats, les résultats étant très susceptibles d'être faussés par des contaminants.
Au moment où nous nous parlons, les scientifiques sont à raffiner la technologie, mais si cette nouvelle banque de données n'est pas à la fine pointe de la technologie, nous devrons compter sur la science et nous contenter de dire: «Cela se fait comme par magie; manifestement, c'est lui le coupable, l'analyse génétique l'a prouvé», alors que la preuve sera tout aussi trompeuse que celle qui a mené à la condamnation injustifiée de David Milgaard, à la condamnation injustifiée de Guy-Paul Morin et à la condamnation injustifiée d'autres innocents moins photogéniques, moins bien connus, moins éloquents et moins intéressants, ceux auxquels le projet Innocence s'intéresse. Nous aidons des gens qui n'ont pas de mère comme Joyce Milgaard. Ce sont eux qui croupissent en prison, oubliés, mais dont nous savons, du moins statistiquement, qu'ils sont innocents.
Nous devons demeurer prudents au sujet de la science, car ce qui est un miracle aujourd'hui peut être considéré demain comme de la magie noire. La vérification externe est l'un des moyens qui peuvent nous permettre à nous de savoir si la banque de données sert vraiment les fins auxquelles elle est destinée.
Enfin, en conclusion, David Milgaard a eu une chance incroyable. Les échantillons recueillis dans l'enquête de son dossier avaient été conservés. Il n'existe ni loi ni règlement au Canada qui garantisse la conservation des pièces à conviction relatives aux crimes majeurs. C'est purement une question de chance.
À l'heure actuelle, des efforts sont faits pour retrouver et analyser de nouveau, si possible, les échantillons associés à l'affaire célèbre Stephen Truscott. Projet Innocence a apporté une mince contribution à cet effort. C'est la chance qui décidera si ces échantillons seront retrouvés ou non, s'ils seront réanalysés ou non.
Évidemment, ce n'est pas suffisant. Nous savons maintenant que parmi les gens que nous condamnons aujourd'hui, certains seront reconnus innocents, de façon prouvable, au fur et à mesure que nous progressons dans ce domaine. Il serait criminel de ne pas conserver les pièces à conviction versées aux dossiers. Que ces pièces n'aient pas été conservées, il y a 10, 15 ou 20 ans, c'est bien compréhensible, mais de nos jours, il n'y a plus d'excuse.
• 1605
C'est pourquoi notre dernière recommandation vise à ce que la
loi soit modifiée afin d'y inclure des dispositions sur la
conservation et le stockage des éléments de preuve de ce type, et
ce, non pas dans tous les cas, mais dans tous les cas où l'accusé
est reconnu coupable d'actes criminels désignés. Nous en avons
discuté avec les membres du projet. Une courte liste des actes
criminels pour lesquels la conservation de ces éléments de preuve
est obligatoire serait élaborée et, par la suite, c'est à l'accusé
qu'il incomberait de demander la conservation. En fait, les accusés
sont les seuls à savoir s'il est important de conserver ces
éléments de preuve. La demande sera présentée après leur
condamnation. Le fait qu'ils ne demandent pas la conservation de
ces éléments de preuve ne peut leur causer aucun tort. Les gens
n'auront pas d'eux une pire opinion, puisqu'ils sont déjà
condamnés.
Mais il serait choquant, dans le cas d'actes criminels moins graves, qu'une personne accusée à tort ne puisse s'assurer que ces éléments de preuve sont conservés afin d'éviter que soit perdue la possibilité de leur exonération. Comme je l'ai dit, nous savons maintenant que c'est possible. Aux États-Unis, quelque 80 condamnés à mort ont été acquittés grâce au réexamen de leur dossier par de tels moyens. Nous savons maintenant que c'est possible et, à mon avis, nous avons le devoir incontournable de conserver en toute sécurité ces éléments de preuve.
Voilà.
La présidente: Avant que nous...
Mme Dianne Martin: Nous vous présentons également le point de vue des étudiants.
La présidente: Nous entendrons Mme Costa dans un instant.
Je sais que nous mourrons tous d'envie de poser des questions, mais il faudrait préciser au départ certaines choses afin que nous comprenions comment votre groupe est financé et comment il fonctionne. Vous avez dit, je crois, qu'il y avait deux membres de la faculté et sept étudiants. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Travaillez-vous auprès des tribunaux? Votre groupe compte-t-il des scientifiques? Comment traitez-vous...?
Mme Dianne Martin: En fait, c'est de cela qu'Elizabeth vous parlera.
La présidente: Très bien.
Mme Dianne Martin: Je compléterai ce qui pourrait manquer.
La présidente: D'accord.
Mme Elizabeth Costa (étudiante, Université York): Notre groupe compte six étudiants. Comme Dianne l'a dit, nous avons entrepris ce projet en septembre dernier. Notre travail est supervisé dans toutes ses étapes par Dianne et par Alan Young. Nous participons à un programme clinique offert durant toute l'année scolaire.
À l'heure actuelle, notre groupe étudie cinq dossiers. Notre but est de prouver l'innocence des accusés en fonction des faits, pas seulement de doutes raisonnables.
Nous recevons des demandes de détenus. Nous n'avons qu'un client qui n'est pas incarcéré, et nous essayons d'obtenir pour lui une indemnisation.
Lorsque nous entreprenons l'analyse d'un dossier, nous faisons toutes les recherches nécessaires dans les médias, nous communiquons avec les témoins s'ils sont encore vivant—il s'agit généralement d'actes criminels graves et de peines d'emprisonnement à long terme—et nous interrogeons également les enquêteurs privés qui ont participé aux dossiers. Dans bien des cas, ces enquêteurs continuent de travailler gratuitement pendant des années, après que l'accusé ait été reconnu coupable. Évidemment, s'il existe de nouvelles preuves, nous les obtenons. Si des échantillons d'ADN avaient été prélevés lors de l'enquête, nous essayons de voir si la police les a conservés et nous demandons leur réanalyse. Voilà comment nous procédons. Nous rouvrons le dossier et nous l'examinons de nouveau de A jusqu'à Z.
La présidente: Qui finance votre groupe?
Mme Dianne Martin: En ce moment, c'est la faculté de droit, puisque, comme le professeur Young, je suis membre à plein temps de la faculté. La faculté de droit nous a accordé un bureau et un ordinateur, et nous avons également une petite subvention de la Fondation Donner, qui nous a permis d'entamer le projet. Mais nous chercherons d'autres sources de financement.
Là où nous aurons davantage besoin de fonds, ce sera pour payer les étudiants d'été, pour continuer le projet au cours de l'été et pour payer l'augmentation des frais de cour. Jusqu'à présent, les tribunaux ont eu l'extrême gentillesse de nous aider à obtenir et à consulter les dossiers sans nous imposer trop de frais. Helix Biotech, un laboratoire privé d'analyse d'AND de la Colombie-Britannique, fait gratuitement pour nous les analyses d'ADN, ce qui est un énorme avantage. Nous avons rencontré les services policiers de la région métropolitaine et les représentants du procureur général de l'Ontario afin d'établir des protocoles d'accès aux dossiers et des moyens de faire notre travail à moindre coût. Le Barreau a contracté de l'assurance pour nous, puisque le professeur Young et moi-même travaillons à titre gratuit. S'il est nécessaire de comparaître devant les tribunaux, c'est surtout le professeur Young qui s'en chargera, et les étudiants feront la recherche.
• 1610
Les étudiants obtiennent des crédits universitaires pour ce
travail—9 des 30 crédits nécessaires. Il faudrait leur en donner
davantage. Du moins, c'est ce qu'ils disent.
Mme Elizabeth Costa: Tout à fait.
Mme Dianne Martin: Nous ne pouvons cependant y changer grand-chose. Nous avons conçu ce projet comme projet-pilote de trois ans, car nous ne savions pas quelle serait la demande et nous ne savions pas non plus combien de temps nécessiterait l'analyse de chaque dossier. Nous apprenons au fur et à mesure.
Les étudiants ont adopté comme slogan une phrase tirée d'une chanson de Bruce Cockburn: «Battre l'obscurité à en faire jaillir la lumière». C'est de cette façon que les dossiers sont abordés. Chaque fait est examiné jusqu'à ce qu'il crie la vérité.
Les étudiants avec qui je travaille ont une perception très conservatrice de l'innocence—ces étudiants viennent du Missouri—et c'est très important. À première vue, les choses sont évidentes ou pas, mais lorsqu'on réexamine un dossier, il faut laisser de côté toutes les notions préconçues, partir à zéro et voir où cela mène.
C'est l'expérience d'enseignement la plus gratifiante que j'aie jamais eue.
La présidente: Cela a l'air très bien.
M. Ramsay, à qui de tels projets ne sont pas étrangers, a quelques questions à vous poser.
Commençons par huit minutes, Jack. Je sais que c'est un sujet qui vous intéresse particulièrement.
M. Jack Ramsay (Crowfoot, Réf.): Oui, merci.
Merci d'être venues nous rencontrer. Ce que vous nous dites est étonnant.
Malgré ce nouvel outil dont nous nous dotons, il serait encore possible de commettre des erreurs judiciaires. Offerte en preuve, l'analyse d'ADN peut tout aussi bien servir à exonérer qu'à condamner, de par sa nature et de par l'importance qui lui accordent les tribunaux.
Mme Dianne Martin: Oui.
M. Jack Ramsay: Les membres du projet Innocence pourraient avoir des problèmes importants si les organismes d'application de la loi, les experts en criminalistique ou les procureurs de la Couronne commettent des erreurs, comme cela s'est fait par le passé. J'ai une question à vous poser, avant de discuter des recommandations que vous avez produites. Comment peut-on éviter, si c'est possible, que quelqu'un se fasse une opinion dont il ne voudra plus démordre par la suite?
Si je dis cela, c'est que dans l'affaire Donald Marshall, par exemple, l'agent chargé de l'enquête a insisté jusqu'au jour de sa mort sur la culpabilité de Donald Marshall, même si quelqu'un d'autre a été reconnu coupable de l'acte criminel. Plus récemment, dans l'affaire Guy Paul Morin, le procureur a insisté, à la barre des témoins, durant le premier jour de l'enquête, sur la culpabilité de Guy Paul Morin. Dans l'affaire Milgaard, le représentant de la police de Saskatoon a fait preuve d'une attitude semblable. Et dans l'affaire Wilson Nepoose, à laquelle j'ai participé, il en a été de même. Les agents de police et les autres personnes concernés insistent encore pour dire que Wilson Nepoose était coupable. Dans l'affaire Nepoose, nous n'avions pas de preuve aussi irréfutable qu'une analyse d'ADN; mais le symptôme existe et c'est contre cela qu'il sera le plus difficile de lutter.
• 1615
Que faites-vous dans de tels cas, lorsque les gens à qui vous
avez affaire sont absolument persuadés que l'accusé est coupable?
Si cela peut mener à de telles erreurs judiciaires, quand, au cours
de l'enquête et de l'évaluation des preuves, l'esprit se ferme-t-il
à tout avis contraire? Même si ce sujet s'écarte un peu du projet
de loi, avez-vous une opinion sur cette question?
Mme Dianne Martin: C'est un problème qui ne m'est certainement pas inconnu. Vous l'avez très bien décrit. C'est un énorme problème. À mon avis, il est temps de vraiment respecter la présomption d'innocence plutôt que de considérer que c'est un truc ou une farce, comme nous le faisons tous, y compris les avocats de la défense, qui disent à la blague n'avoir déjà jamais défendu un client innocent. Nous avons tous peur que notre client soit innocent.
La présidente: Aucun de mes clients n'était coupable—aucun.
Mme Dianne Martin: Vous comprenez quand même, n'est-ce pas? Nous sommes cyniques à ce sujet et nous récompensons les condamnations. Également, nous entretenons une crainte exagérée du crime et nous avons été nourris de cette crainte. Nous ne voulons pas donner l'impression que nous ne punissons le crime avec assez de rigueur, et c'est pourquoi la présomption d'innocence est perçue comme un abri pour les coupables plutôt qu'un principe fondamental de logique, sans parler d'équité. Nous en avons fait un jeu, plutôt qu'une question de vérité et de justice. Il faudrait beaucoup réfléchir à la question et donner une autre formation aux participants, en plus de prendre d'autres mesures comme par exemple retirer les enquêtes scientifiques essentielles du système adversatif.
M. Jack Ramsay: J'ai une question à vous poser à ce sujet.
Mme Dianne Martin: À mon avis, le système adversatif—que l'on m'a enseigné et que je pratique—n'est pas un très bon moyen de découvrir la vérité.
M. Jack Ramsay: Si le gouvernement retirait le laboratoire de criminalistique de la GRC pour en faire un établissement de la Couronne distinct, comme vous l'avez recommandé, comment pourrait-on conserver l'autonomie des opinions et des attitudes?
Mme Dianne Martin: Il faut se dire qu'il s'agit d'analyse scientifique, non d'éléments de preuve pour la Couronne ou la défense. Puisque les deux s'excluent, la criminalistique ne devrait pas être un outil aux mains des procureurs. Elle devrait être un domaine scientifique. Il y a des laboratoires universitaires ou tout le monde... Le Dr Blake, de la Californie, a apporté une contribution précieuse dans l'affaire Morin; l'Université du Michigan, à Detroit, compte un certain nombre de laboratoires auxquels ont recours ceux qui ont besoin d'aide dans le domaine de la criminalistique; tous les laboratoires d'université qui font de la recherche—et ceux de leurs résultats qui permettent de faire avancer un dossier judiciaire sont presque des sous-produits—sont reconnus par tous comme nos meilleures sources d'information. Nous le savons tous, mais nous ne voulons pas nous l'avouer. Lorsque nous sommes dans une impasse, nous demandons à ces laboratoires de nous donner une réponse vraiment objective plutôt... Comme je l'ai dit, c'est comme si nous le savions tous.
De telles expériences peuvent être reproduites, mais je crains que nous n'utilisions pas cet outil pour exonérer le nombre faible ou élevé—qui soit, mais il y en aura toujours trop—des personnes condamnées à tort. Et il y en aura encore d'autres plus tard. L'analyse d'ADN nous fera peut-être condamner à tort d'autres personnes.
Il y a récemment eu un cas, à London, en Ontario, où des échantillons ont été mélangés au Centre des sciences judiciaires. Ce qui a été analysé, c'est un mélange de l'ADN de l'accusé et des échantillons recueillis à la scène du crime. On a dit qu'il y avait correspondance parfaite. Heureusement, l'erreur a été découverte. Ce n'est pas parce que les analystes sont mauvais, c'est simplement parce que ces choses-là arrivent. Je suis d'accord avec vous, vous posez les bonnes questions.
La présidente: Allez-y, Jack.
M. Jack Ramsay: Passons à vos recommandations. Pour satisfaire la recommandation numéro trois, suffirait-il d'exiger la communication de toute la preuve?
Mme Dianne Martin: Cela aiderait grandement.
Ce qu'il faudrait, à mon avis, c'est un laboratoire indépendant, géré de façon indépendante, qui communiquerait toute la preuve et ferait l'objet d'une vérification externe. Je serais satisfaite qu'il y ait un laboratoire administré par le commissaire de la GRC et que ce laboratoire communique toute la preuve et fasse l'objet d'une vérification externe.
M. Jack Ramsay: C'est bien, merci.
La présidente: Merci. C'était excellent.
Richard Marceau. Nous avons beaucoup d'avocats parmi nous aujourd'hui.
[Français]
M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Bonjour et merci d'être venues aujourd'hui. J'ai trouvé votre présentation très, très intéressante. D'ailleurs, j'aurais aimé qu'aux facultés de droit que j'ai fréquentées, que ce soit Laval ou Western, il y ait eu ce genre de projet. Cela aurait rendu plus intéressantes mes années à la faculté de droit.
J'ai quelques questions à vous poser. La première est la suivante. On mentionnait que l'ADN était quelque chose de très, très personnel. On peut trouver plein de renseignements en étudiant l'ADN. Or, dans votre recommandation 3, vous dites que le défendeur devrait avoir accès aux ressources et aux renseignements contenus dans la banque de données de l'ADN.
Cela soulève un problème parce qu'on veut garder le plus possible la confidentialité ou limiter le plus possible l'accès à cette information afin qu'elle ne soit pas diffusée à un trop grand nombre de personnes, qui risqueraient d'en faire un usage un peu moins noble ou honnête que celui pour lequel on est en train de construire la banque.
Comment peut-on concilier cet objectif de sortir la banque de données du système de confrontation et la nécessité de garder les renseignements le plus secrets possible?
[Traduction]
Mme Dianne Martin: Merci. C'est une bonne question. Pour moi, il est différent d'utiliser la base de données, d'avoir accès à la base de données pour exclure une personne, et de la consulter pour savoir pour quelles raisons cette personne a été exclue. Si l'ADN d'une autre personne est recueilli sur le lieu d'un crime, la personne condamnée à tort n'a pas besoin de connaître l'identité de cette autre personne. Je ne crois pas que ce renseignement devrait lui être divulgué. La personne condamnée à tort a accès à la banque de données pour établir son innocence. Une fois cet objectif atteint, ce droit d'accès ne s'applique plus. Ce qui entre ensuite en jeu, c'est le droit à la protection de la vie privée de la personne de qui venaient les autres traces d'ADN. Il n'existe aucune raison de divulguer ces renseignements.
Par contre, c'est différent dans le cas des policiers. Les policiers ont un droit d'accès illimité à la banque de données et il n'y a donc pas de problème à ce qu'ils consultent cette banque en raison des pressions exercées par l'avocat de la défense, même s'ils avaient choisi de ne pas consulter la banque auparavant. Les policiers ont toujours le droit de consulter la banque de données pour y trouver un suspect.
Dans le scénario que j'évoque, il est possible que les policiers et le procureur de la Couronne aient choisi de ne pas consulter la banque de données. Mais l'avocat de la défense plaide non coupable pour son client et veut prouver son innocence. À mon avis, la défense devrait avoir le droit de consulter des sources de renseignements pour prouver l'innocence du client.
• 1625
Toutefois, je ne crois pas que cela donne le droit d'avoir
accès à des renseignements sur...
[Français]
M. Richard Marceau: Donc, pratiquement la seule information à laquelle une personne accusée aurait accès, ce serait de savoir si son ADN est là ou pas.
[Traduction]
Mme Dianne Martin: Eh bien, ils le sauraient sûrement, mais pour moi l'accès se limiterait à cela. Ils pourraient utiliser la banque de données. Ils pourraient déclarer que tel ou tel élément de preuve a été découvert sur le lieu du crime dont la personne a été accusée, que le procureur de la Couronne n'a pas fait analyser cet élément de preuve. Ils pourront exiger que les analyses soient faites pour prouver l'innocence de la personne. Par contre, ils n'ont pas à savoir à qui appartient l'ADN analysé. Pourquoi auraient-ils ce droit?
Mais à l'heure actuelle, voyez-vous, ce n'était pas possible.
[Français]
M. Richard Marceau: Merci. Vous parliez d'une vérification externe, et j'aimerais savoir si on ne pourrait pas donner le même pouvoir de vérification externe au commissaire à la vie privée pour s'assurer que les renseignements contenus dans cette banque demeurent confidentiels.
[Traduction]
Mme Dianne Martin: Oui, c'est une très bonne idée. Il est très logique d'avoir recours aux services d'un organisme qui a déjà ce mandat.
La présidente: Vous êtes présumé innocent.
[Français]
M. Richard Marceau: Selon vous, est-ce que la banque d'ADN pourrait rester dans le lieu où elle est à l'heure actuelle, soit dans les bâtiments de la Gendarmerie royale du Canada? Vous savez qu'en droit, on veut toujours faire en sorte que quelque chose non seulement soit indépendant mais ait aussi une apparence d'indépendance. Est-ce qu'on ne devrait pas faire la même chose dans le cas d'une telle banque pour faire en sorte qu'elle ait l'apparence d'être indépendante et soit vraiment indépendante?
[Traduction]
Mme Dianne Martin: S'il n'en tenait qu'à moi, cette indépendance serait matérielle en plus d'être administrative et intellectuelle. Il y a toujours des concessions à faire, et je renoncerais à l'indépendance matérielle au profit de l'indépendance intellectuelle et administrative, en plus de ces dépenses de fonctionnement.
[Français]
M. Richard Marceau: J'aime toujours parler d'indépendance, mais c'est une autre chose.
[Traduction]
La présidente: Petit futé. J'aurais bien voulu représenter la Couronne contre lui.
Mme Dianne Martin: Eh bien, demeurez au Canada et nous vous donnerons l'indépendance intellectuelle.
[Français]
M. Richard Marceau: En ce qui concerne les principes généraux du projet de loi, vous dites qu'on devrait en ajouter, entre autres l'importance d'avoir la précision de la preuve, d'innocenter les innocents, de condamner les coupables, etc. Est-ce qu'on devrait aussi, selon vous, parler dans ces principes généraux de protection de la vie privée? Est-ce que cela ne devrait pas aussi être souligné en caractère gras, en italique, etc.?
[Traduction]
Mme Dianne Martin: Oui. Dans le document, j'ai indiqué entre crochets à quelque part que la protection de la vie privée est un élément très important, mais nous n'en avons pas traité puisque cela ne relève pas de notre mandat. Mais vous avez tout à fait raison, ces objectifs-là sont tout aussi importants que la présomption d'innocence.
[Français]
M. Richard Marceau: Dans le projet de loi, on parle de garder des échantillons même après le procès. Je ne vois pas pourquoi on devrait garder l'échantillon, le cheveu, la salive, le sperme, le sang ou peu importe, alors qu'on a déjà l'information. Est-ce qu'il n'y a pas risque que la loi change dans 10 ou 20 ans et qu'on décide de faire des tests à gauche et à droite sans le consentement des gens après plusieurs années?
[Traduction]
Mme Dianne Martin: Oui, mais nous connaissons actuellement ce problème avec les empreintes digitales. Lorsque les empreintes digitales sont fichées, on peut y avoir indéfiniment accès. Ceci est beaucoup plus délicat mais c'est également... Enfin, je réfléchis tout haut.
Si je voulais que cela soit conservé, c'est parce que c'est la source de disculpation pour quelqu'un accusé à tort. Si ceux qui veulent s'assurer que l'on condamne bien les coupables souhaitent conserver cette information, c'est que cela donne une autre possibilité de s'assurer que rien n'a été manqué la première fois. Nous nous souvenons tous que Clifford Olson avait simplement un casier judiciaire indiquant une introduction par effraction. Ainsi le tueur en série, le criminel très rare mais tout à fait effrayant, semble permettre de justifier des tas de choses alors que je ne pense pas que ce soit bien.
Toutefois, si l'on ne conserve pas les échantillons convenablement, il n'est pas possible d'utiliser cette technologie à fond. Si l'on ne conserve pas correctement les preuves à l'état de traces, je ne suis pas sûre qu'il servirait à quoi que ce soit d'avoir une banque de données.
Il est sûr que l'on pourrait trouver de bonnes raisons pour ne pas du tout faire cela. Je n'en ai pas parlé. Ne pas le faire du tout se défendrait.
Ma préférence absolue serait de conserver des éléments de preuve de chaque condamnation et de disposer de la technologie voulue pour effectuer des tests d'ADN à n'importe quel moment sans nécessairement créer une banque de données.
M. Richard Marceau: Merci beaucoup.
La présidente: Merci, monsieur Marceau.
Monsieur Mancini.
M. Peter Mancini (Sydney—Victoria, NPD): Merci. Je vais revenir tout de suite là-dessus. Nous avons parlé de conserver les éléments de preuve et de protéger les renseignements personnels. Prenez le cas d'un passant innocent, qui se trouve sur le lieu du crime et dont on peut trouver dans les éléments de preuve des échantillons d'ADN. Le problème que je vois là est que si l'on analyse ces échantillons et que l'on obtienne le fichier d'identification génétique de cette personne qui est innocente et que l'on garde cette substance indéfiniment...
Mme Dianne Martin: Oh, je vois ce que vous voulez dire.
M. Peter Mancini: Ce sont des renseignements importants qui ne devraient pas traîner.
Mme Dianne Martin: Certainement.
M. Peter Mancini: Quand vous dites qu'il faudrait conserver ces éléments de preuve, voulez-vous dire qu'il n'est pas nécessaire de tout analyser tant que l'on n'en a pas besoin?
Mme Dianne Martin: C'était moins général que cela. Les éléments que je crois qu'il faudrait conserver sont ceux que l'on a utilisés pour condamner M. Morin et c'est la robe de l'infirmière qui a été violée dans l'affaire David Milgaard. C'est le plus grand des hasards si cette robe a été conservée. Ce ne devrait pas être le cas.
Cela dit, je dirais aussi que toutes ces informations, tous ces éléments réunis pour cette affaire devraient être conservés mais pas forcément donner lieu à un profil. Je veux simplement que l'on conserve les pièces. Je ne veux pas que l'on fasse les profils parce que je crois que vous avez raison—cela présente de très hauts risques. Est-ce que...?
M. Peter Mancini: C'est exactement ce qui m'inquiète et je suis content de vous entendre le dire parce que je suis bien d'accord avec vous.
Mme Dianne Martin: Je répète que je ne suis pas tellement sûre qu'il soit nécessaire d'avoir cela si l'on conserve bien les pièces.
M. Peter Mancini: Ceux d'entre nous qui pratiquent le droit criminel savent que l'on fait venir un expert judiciaire indépendant, un psychiatre qui est aussi indépendant, puis nous savons qu'il y a les experts à gage que l'on fait venir et qui voient les choses un peu différemment, en fonction de qui paye la recherche. Serait-il possible que se développe un groupe comme celui que vous avez mentionné et qui vous finance, Helix...
Mme Dianne Martin: Il ne nous finance pas mais il nous donne gratuitement les données génétiques.
M. Peter Mancini: D'accord, qui vous donne gratuitement des données génétiques.
Est-il possible que les groupes privés prennent de l'ampleur et que nous fassions face au même problème, à savoir que l'accusé qui est riche peut se permettre de produire les éléments de preuve qui l'intéressent?
Mme Dianne Martin: Bien sûr.
M. Peter Mancini: Y aurait-il un moyen d'éviter cela?
Mme Dianne Martin: Oui. Ce devrait être un organisme public.
Je ne recommande pas que nous ayons une foule de petites entreprises concurrentes annonçant qu'elles vendent des données génétiques. Ce serait terriblement dangereux. Mais je crois que nous avons un modèle d'organisme public indépendant.
Le modèle britannique est presque entièrement indépendant—sinon totalement indépendant. Le modèle australien relève de la police fédérale mais est contrôlé de façon indépendante. Le troisième est celui qui repose sur les universités.
M. Peter Mancini: L'avantage que je vois pour les universités c'est que ce peut être une source de financement. Mais le problème serait alors que les universités se feraient concurrence pour obtenir ces fonds.
Mme Dianne Martin: En effet.
Je ne crois pas que nous sachions déjà quel volume cela pourrait représenter. L'attrait que présente le modèle reposant sur les universités est que cela fait partie de la recherche. Cela peut faire avancer les connaissances. C'est là l'objectif. L'objectif, le produit, n'est pas une condamnation ou une disculpation; l'objectif est la vérité et, dans toute la mesure du possible, c'est le modèle qui nous protégera. Aucun ne marche parfaitement.
M. Peter Mancini: Je suis d'accord.
Il pourrait être intéressant que l'accusé demande ces analyses parce qu'il peut arriver que l'accusé souhaite avoir ces analyses mais ne veuille pas les montrer au ministère public. L'argument quant à la divulgation ne tient pas forcément en ce sens que l'accusé peut souhaiter connaître ces informations.
Je trouve cela intéressant et peut-être que nous pourrons en reparler plus tard ou que vous pourrez me donner quelques références. Lorsque vous avez commencé votre exposé, vous avez parlé des laboratoires médico-légaux et du taux d'erreurs. Cela m'a vraiment ouvert les yeux car je fais peut-être partie de ceux qui pensent que les analyses d'identification génétique existent et que si les données génétiques correspondent à un individu, ce doit être une preuve suffisante.
Mme Dianne Martin: En effet.
M. Peter Mancini: Commet-on beaucoup d'erreurs?
Le grand public croit que c'est pratiquement infaillible, que ce sera la fin des condamnations injustifiées. Vous êtes en train de nous dire que cela n'est pas du tout vrai.
Mme Dianne Martin: Si nous utilisons le modèle que nous avons actuellement, un modèle qui a produit tout un éventail de condamnations injustifiées reposant sur des données scientifiques erronées, des données fantaisistes, des témoins légistes souhaitant faire plaisir—si nous utilisons ce modèle et disons simplement que la technologie est celle des analyses génétiques, le résultat sera le même. Ce sera aussi injuste qu'aujourd'hui.
Je suppose que vous partez du principe que beaucoup de cas se passent très bien. On fait beaucoup de travail excellent.
Ce n'est pas aussi bien que nous l'avons tous supposé et c'est ce que nous avons appris dernièrement.
Étant donné ce que nous savons maintenant, il serait criminel de ne pas faire preuve de prudence face à cette technologie qui est la plus puissante et la plus tentaculaire qu'ait jamais inventée l'esprit humain.
N'oublions pas que c'est à l'origine du clonage.
M. Peter Mancini: Je sais, en effet.
Mme Dianne Martin: Cela relève peut-être un peu de la science fiction mais c'est une technologie extrêmement puissante.
La présidente: Monsieur Maloney.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Vous dites que l'objectif est de trouver la vérité. Vous avez dit que pour les crimes graves, nous devrions conserver indéfiniment les échantillons des victimes et du contrevenant.
• 1640
Nous ne pouvons deviner l'avenir et dire qu'une certaine
technologie nous permettra un jour de découvrir que ces gens sont
innocents. Que fait-on dans une situation telle que celle qu'a
décrite M. Ramsay? Indépendamment des cas Marshall, Milgaard et
Morin qui ont été trouvés non coupables grâce à une analyse
génétique, qu'arriverait-il si cette technologie de pointe, quelle
qu'elle soit, permettait en fait d'acquitter quelqu'un qui est
coupable. Que faire dans une telle situation?
Mme Dianne Martin: L'avocat en moi reste muet.
M. John Maloney: Et le procureur en vous dit...
Mme Dianne Martin: Je crois qu'il est muet lui aussi. Même si cela pourrait mener à quelque chose que l'on attend depuis longtemps. Cela pourrait mener à abandonner un système qui repose sur la contestation, sur la théorie, pour adopter un mécanisme de recherche de la vérité. Si tous ces changements se produisaient, on pourrait avoir toujours pour objectif la vérité. Cela permettrait en fait de rouvrir un cas de condamnation réglé.
Mais considérez le type de justice criminelle que nous avons aujourd'hui au Canada. Il s'agit d'un concours dans lequel celui qui a les meilleurs arguments l'emporte. Le concours n'est pas toujours juste ni équitable, mais son résultat dicte tellement tout que nous laissons l'acquitté acquitté.
Si nous voulons rouvrir les deux côtés de l'équation, je pense que ce serait un exercice intéressant et important mais il faudrait alors envisager de rouvrir tout. On éliminerait les jeux de part et d'autre, si vous me comprenez. Je crois que l'on peut dire que s'il arrive que l'on condamne un innocent, il arrive aussi que l'on acquitte un coupable. Nous ne sommes pas très forts lorsqu'il s'agit de savoir qui est coupable. Ce n'est pas notre force.
M. John Maloney: Pour revenir à votre projet précis, comment avez-vous choisi les cinq cas ou dossiers que vous avez? D'où viennent-ils?
Mme Dianne Martin: Elizabeth, voulez-vous parler de cela?
Mme Elizabeth Costa: Nous avons reçu des lettres de gens qui étaient en prison, sauf pour l'un de nos clients, qui n'est pas pour le moment en prison. Les auteurs de ces lettres déclaraient qu'ils étaient innocents et c'est là notre point de départ. Si quelqu'un nous dit simplement qu'il n'a pas été suffisamment bien défendu, qu'il y avait un doute raisonnable, ou autre chose, ce n'est pas un cas que nous considérerons en priorité.
Dans les lettres, nous recevons quelques fois les éléments nécessaires pour prendre contact immédiatement avec les avocats. Nous recevons des informations qui nous permettent de comprendre immédiatement s'il y a quelque chose qui ne va pas. Soit c'est un informateur dans la prison, soit un témoignage visuel, et c'est essentiellement tout.
Dans l'un des cas—j'ai la chance que ce soit mon dossier en ce moment—, un homme aurait pu être mis en libération conditionnelle il y a 12 ans. Il est toujours en prison car il ne veut pas admettre qu'il a commis le crime et dire qu'il s'est réadapté et qu'il regrette son geste. Il préfère rester en prison et continuer à déclarer qu'il est innocent plutôt que de céder.
M. John Maloney: C'est un projet de trois ans. Quand pensez-vous pouvoir arriver à une conclusion sur ces cinq premiers cas? Combien de temps peut prendre toute cette procédure?
Mme Dianne Martin: Un étudiant réunit tout ce qu'il peut sur un dossier et fait un résumé. Il remet ce résumé à un autre étudiant qui l'évalue. C'est une sorte de vérification. Ensuite, nous nous réunissons tous pour voir s'il y a lieu de faire enquête. Nous avons donc établi un seuil assez élevé pour se mettre à travailler à un dossier.
Pour finir, nous présenterons des demandes en vertu des dispositions de l'article 690 à moins que nous ne nous réussissions à persuader le ministre de se débarrasser de cet article. Mais à l'heure actuelle, nous devons invoquer l'article 690 pour demander un pardon.
Pour deux des cas, nous sommes très près d'en arriver là. Pour deux autres, cela prendra très longtemps.
Aux États-Unis, le projet Innocence se contente des cas de réexamen des données génétiques. Il y en a tellement que 20 étudiants par an ne font que cela. Ils se contentent de gérer le nombre de cas. Nous ne faisons pas cela.
• 1645
Quand on peut procéder à de nouvelles analyses, les choses
bougent très rapidement. Deux ou trois dossiers déboucheront sur
des résultats dans quelques mois. Les deux autres obligent à tout
reprendre et ce sera très lent.
La présidente: Monsieur Discepola.
M. Discepola est le secrétaire parlementaire du solliciteur général.
M. Nick Discepola: Je ne suis pas avocat, si bien que je n'ai pas de clients, innocents ou coupables.
Une voix: Cessez de vous vanter.
La présidente: Mais il a vécu en Saskatchewan.
Mme Dianne Martin: Tout cela rejaillit sur lui.
M. Nick Discepola: Vous avez parlé de la contamination des éléments de preuve au moment où on les réunit. Voulez-vous dire que si un échantillon génétique a été contaminé, il pourrait donner une identification erronée d'une autre personne ou simplement une analyse ou un profil erroné qui ne correspondra à personne?
Mme Dianne Martin: C'est plutôt la dernière éventualité. Mais comme la science évolue et progresse, nous ne savons pas ce que cela va donner. Pour le moment, un échantillon mélangé produit simplement trop de données génétiques, si bien que cela ne répond aux questions de personne. Mais je ne sais pas où cela va nous amener.
Il y a un risque que la contamination limite les marqueurs et qu'un médecin légiste puisse dire que bien que de nombreux marqueurs aient été contaminés, trois d'entre eux lui permettent de parvenir à un avis. Nous revenons alors à donner un avis subjectif à propos d'une identité génétique et cela peut mener à une conclusion erronée.
M. Nick Discepola: La raison d'être de cette base de données est d'essayer de créer un échantillonnage suffisamment important pour pouvoir l'informatiser.
Mme Dianne Martin: Je sais.
M. Nick Discepola: Si nous rétrécissons trop le champ—et nous avons eu deux témoins déjà qui ont toujours critiqué l'utilisation de cette méthode et le fait que l'on rétrécisse l'échantillon—, je me demande si cela en fait servirait à quoi que ce soit. Si vous voyez certains des résultats aux États-Unis, 50, 60 ou 70 cas ont été réglés. Au Canada, si nous en avons 20 ou 30... Je pense que si nous en avons un, cela vaut la peine, personnellement, surtout si c'est l'innocence que l'on prouve.
Quelles difficultés légales voit-on à essayer de créer un échantillon aussi large que possible? Dans votre témoignage, vous avez même laissé entendre que les éléments de preuve réunis sur le lieu du crime ne devraient pas être analysés et que l'on devrait se contenter de conserver les échantillons et les éléments de preuve. J'ai un peu de mal à comprendre cela aussi. Pourquoi ne pas tenir le fichier judiciaire aussi à jour que possible, en ayant recours aux moyens technologiques les plus modernes, en obtenant les derniers échantillons et profils issus de cette technologie afin d'avoir une bonne base de données?
Mme Dianne Martin: C'est un peu comme si vous demandiez pourquoi on ne prend pas les empreintes digitales de tout le monde? Je ne plaisante pas. Si nous avions un échantillon génétique et une empreinte digitale de tout le monde au Canada, il ne fait aucun doute que nous obtiendrions des résultats plus exacts. Il serait plus facile de suivre les gens. Nous pourrions les identifier de façon plus exacte lorsqu'ils font des demandes de prestations. Cela permettrait des tas de choses. Mais nous donnerions de ce fait un pouvoir sur nous qui me semble tout à fait inacceptable...
M. Nick Discepola: Je ne parle pas de cela. Je ne parle pas de prendre des échantillons sur des criminels.
Mme Dianne Martin: Mais, vous savez, la logique est la même. Pour avoir une base de données parfaite, il faut avoir tout le monde.
M. Nick Discepola: Non, je parle du fichier judiciaire.
Mme Dianne Martin: Je comprends mais je dis que le fichier parfait, la base de données parfaite, c'est tout le monde.
M. Nick Discepola: Oui, je suis d'accord.
Mme Dianne Martin: Donc, il est évident que ce ne sera pas tout le monde parce que ce serait beaucoup trop tentaculaire. Personne ne devrait avoir un tel accès ou un tel pouvoir sur un concitoyen, un point c'est tout. C'est clair. Il faudra se demander comment choisir. Jusqu'où aller? Les gens qui sont prudents et qui disent que le pouvoir corrompt et que l'on commet des erreurs estiment qu'il ne faut pas aller trop loin. Ceux qui tiennent avant tout au respect de la loi ont plus tendance à dire: essayons de nous doter d'une base de données parfaite. Je dis que pour parvenir à une base de données parfaite, on risque de commettre des abus de pouvoir et de prendre beaucoup trop de risques, qu'il s'agisse du respect de la vie privée ou du genre d'erreurs que commettent les êtres humains depuis toujours.
• 1650
Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut
tracer une limite. Je préconise qu'on le fasse d'une manière très
prudente et très stricte, en admettant que ce n'est plus la banque
de données parfaite. Mais c'est parce que nous ne voulons pas d'une
banque de données parfaite dans notre pays.
M. Nick Discepola: Mais l'imperfection serait qu'on n'attraperait un coupable, et non que l'on condamnerait quelqu'un d'autre par erreur.
Mme Dianne Martin: Je crois que nous comprenons mal la façon dont on doit lutter contre la criminalité et maintenir l'ordre. Nous traduisons devant les tribunaux et nous condamnons environ 3 p. 100 des personnes qui commettent des crimes. Nous sommes tellement loin de régler le cas de tous les criminels que c'est une farce cruelle que de dire au public que nous améliorons le maintien de l'ordre. Le chiffre noir se situe entre 80 et 95 p. 100; il s'agit des crimes non signalés ou des crimes signalés mais non résolus. Nous nous concentrons donc déjà sur ces 3 p. 100.
Nous devons reconnaître, je pense, que nous affectons déjà beaucoup de ressources à un très petit groupe de la population, et que nous prenons beaucoup de précaution pour le faire. Ce n'est pas à cause des mesures que nous prenons pour maintenir l'ordre que nous sommes en sécurité au Canada, c'est le Canada même qui fait que nous sommes en sécurité.
La présidente: Merci beaucoup.
Monsieur Cadman?
M. Jack Ramsay: J'en ai toute une à vous proposer!
La présidente: Vous allez laisser Jack prendre la parole? Je peux en effet lui enlever le droit de prendre la parole et vous laisser...
Allez-y, Jack.
M. Jack Ramsay: Vous avez dit que nous poursuivions 3 p. 100 de ceux qui commettent un crime? La prochaine fois qu'un journaliste m'appelle pour obtenir un commentaire sur la baisse de la criminalité, je lui dirai de s'adresser à vous.
Si nous poursuivons seulement 3 p. 100 des criminels et si ce sont nos données qui déterminent la tendance de la criminalité, à la hausse ou à la baisse... Il s'agit des cas qui passent devant les tribunaux, et si vous dites que c'est seulement 3 p. 100, nous avons par conséquent un problème de criminalité beaucoup plus grand que ce que Statistique Canada nous dit.
Mme Dianne Martin: Non. La criminalité est chez nous un problème presque inexistant. Nous avons un problème de perception et un problème au sujet du maintien de l'ordre. Nous pensons qu'un crime... un crime est une chose que quelqu'un peut définir comme un crime. Je peux faire monter le taux de voies de fait dès demain. Je pourrais dire que chaque fois qu'une personne en pousse une autre, crie après quelqu'un d'autre, et dit «enlève-toi de mon chemin, idiot», il faudrait faire passer ces personnes par le système de justice pénale, et je pourrais ainsi vous donner un taux pour les crimes violents qui a augmenté de 100 p. 100 en un jour.
La présidente: Charles Harnick l'a déjà fait.
Mme Dianne Martin: Oui. Je pourrais aussi faire simplement le contraire et dire que nous allons laisser la collectivité s'occuper des gens qui ont un comportement de cette nature, que nous allons laisser les parents, les voisins et la population locale s'occuper des jeunes qui sont grossiers et qui poussent leurs camarades. Je ne peux pas faire disparaître cela en un jour. Le fait est qu'en ce qui concerne notre comportement envers les autres, notre tricherie en matière d'impôt sur le revenu, nos délits d'initiés, notre refus d'utiliser la boîte bleue—quel que soit notre comportement—, l'élément maintien de l'ordre est vraiment infime.
M. Jack Ramsay: Évidemment, il n'en serait pas ainsi...
Mme Dianne Martin: C'est environ 3 p. 100.
M. Jack Ramsay: ...dans le cas d'un meurtre, parce que nous sommes au courant.
Mme Dianne Martin: En effet. Les homicides sont parmi les meilleurs crimes qu'on peut utiliser pour mesurer l'augmentation ou la baisse du taux de criminalité, parce que peu d'entre eux nous échappent.
M. Jack Ramsay: Bien. J'ai une question à vous poser au sujet du projet de loi. Je devrai lire le compte rendu de ce qu'on a dit ici, car je pense recevoir des messages contradictoires et ce n'est peut-être pas votre faute. C'est peut-être ce que j'entends ici.
Voici ma question. Lorsque Milgaard a été condamné, on n'utilisait pas encore l'ADN. Fisher a également été condamné à la même époque environ, un peu plus tard. Le projet de loi permet de prélever des échantillons d'ADN chez des personnes qui ont été condamnées, mais seulement dans deux sortes de cas: ceux qu'on a désignés comme étant des délinquants dangereux et ceux qui ont commis deux infractions sexuelles ou plus.
• 1655
Vous recherchez un résultat particulier, vous voulez prouver
l'innocence de David Milgaard. Or, si cela se produisait
aujourd'hui, si ce projet de loi avait été adopté, nous ne
pourrions pas prélever un échantillon sur Fisher puisqu'il a été
reconnu coupable d'une seule infraction sexuelle. Ainsi, même en
ayant le véritable coupable, nous ne pourrions pas disculper
Milgaard. Nous pourrions peut-être le faire par défaut, en faisant
des analyses pour prouver qu'il est innocent.
Est-ce que vous préféreriez que ce passage du projet de loi soit réduit, éliminé, élargi, ou qu'il reste inchangé?
Mme Dianne Martin: J'aimerais apporter deux corrections; il y a plus de deux infractions dans le casier judiciaire de Fisher, et par conséquent, nous aurions pu prélever un échantillon.
M. Jack Ramsay: C'était hypothétique.
Mme Dianne Martin: Mais supposons qu'on n'ait pas fait de prélèvement; mon principal objectif resterait de disculper David Milgaard, car condamner un innocent est la pire des choses. Cela dit, nous aurions disculpé David Milgaard sans l'ADN de Fisher. Nous n'avions pas besoin de condamner Fisher pour disculper Milgaard.
Évidemment, les services de police veulent avant tout résoudre une affaire.
M. Jack Ramsay: Celles qui restent sans solution.
Mme Dianne Martin: Exactement. Je ne prétends plus que nous ne devrions pas du tout procéder de cette façon, et je pense que c'est un argument viable. Si nous décidons de le faire, je trouve que la limite a été assez bien tracée.
M. Jack Ramsay: Vous pensez donc qu'on a eu raison de...
Mme Dianne Martin: Nous nous sommes demandé où il fallait tracer la limite, mais je crois qu'elle a été assez bien tracée.
M. Jack Ramsay: Mais c'est un terrain sur lequel nous nous sommes aventurés, et nous acceptons l'idée de prélever des échantillons d'ADN rétroactivement. Toutefois, cela concerne un très petit groupe. Vous dites que nous ne devrions pas pouvoir faire des prélèvements sur Clifford Olson, Daniel Gingras et Allan Légère—il y en a toute une liste. Évidemment, non seulement Clifford Olson a été condamné pour meurtre, il a également violé ces enfants. On risque donc de trouver son ADN sur les lieux d'un crime non résolu.
Puisque nous nous sommes aventurés sur ce terrain, pourquoi ne pas aller plus loin et faire en sorte qu'on puisse faire des prélèvements d'ADN sur des gens comme Milgaard, ou des gens qui ont commis des infractions violentes et qui pourraient avoir laissé des traces d'ADN?
Mme Dianne Martin: C'est une bonne question. Là encore, vous vous demandez où il faut tracer la limite, et une fois qu'on a décidé de le faire, où faut-il s'arrêter?
M. Jack Ramsay: Il faut s'arrêter aux délinquants sexuels et aux meurtriers.
Mme Dianne Martin: Je comprends. La question, à partir du moment où on a décidé que c'était légitime, est de savoir où arrêter cette intrusion?
M. Jack Ramsay: Nous allons prendre cette décision.
Mme Dianne Martin: Oui, je comprends.
M. Jack Ramsay: D'après le projet de loi, c'est limité à ces deux circonstances. Il y a d'assez bons arguments pour aller au-delà de ces deux circonstances.
Mme Dianne Martin: Je le sais.
M. Jack Ramsay: ... car cela pourrait permettre de résoudre des crimes qui sont restés sans solution.
Mme Dianne Martin: J'aimerais en savoir plus, je n'en sais pas suffisamment sur les implications de ce genre de chose, car on pourrait envisager de le faire dans le cadre d'une clause de droits acquis pour une catégorie de personnes bien précises. Je pense même qu'il faudrait commencer par leur demander leur consentement, et voir si elles le donnent. Certaines d'entre elles sont assez arrogantes pour donner cette permission.
J'hésiterais beaucoup à ouvrir cette porte aussi large pour l'avenir, parce que je ne sais pas jusqu'où on irait pour obtenir notre code génétique et celui de nos concitoyens. Ce ne sont pas des empreintes digitales.
M. Jack Ramsay: D'accord, mais est-ce que le projet de loi sous sa forme actuelle vous convient?
Mme Dianne Martin: Sur ce plan-là, je n'y ai pas particulièrement réfléchi.
M. Jack Ramsay: D'accord.
La présidente: Merci, Jack.
Je remercie infiniment nos deux témoins d'être venus et de nous avoir consacré leur temps. Je sais que nous vous avons donné un préavis très court.
M. Peter Mancini: J'ai une courte question à poser sur laquelle nous nous sommes mis d'accord.
La présidente: Regardez-moi ces types. Je suis en plein discours.
Des voix: Oh, oh!
La présidente: Très bien, allez-y. Avez-vous décidé qui allait poser la question?
[Français]
M. Richard Marceau: Vous dites qu'il y a des problèmes même dans le cas du laboratoire du FBI, qui est censé être le meilleur. J'aimerais avoir, pour la gouverne du comité, une copie du document dans lequel vous avez pris cette information.
Deuxièmement, vous dites que le laboratoire anglais est pratiquement indépendant et que le laboratoire australien fait partie du département de police mais est... Avez-vous des textes expliquant un peu le fonctionnement et l'indépendance de ces deux banques? Je pense que cela pourrait être utile à tout le monde.
[Traduction]
La présidente: Professeure Martin, pouvez-vous nous donner ces citations? On en trouvera sans doute certaines dans votre rapport, mais quant aux autres, notre chargée de recherche, Mme Pilon, se fera un plaisir de les chercher.
Mme Dianne Martin: Certainement. En ce qui concerne l'enquête Morin, le témoignage des experts australiens, américains et anglais sur la gestion des laboratoires judiciaires se trouve dans Quicklaw, dans la base de données d'Alan Gold.
La présidente: Parfait.
Mme Dianne Martin: J'ai cité une étude du ministère de la Justice, je ne crois pas avoir cité l'autre, mais ce n'est pas difficile à trouver.
La présidente: Très bien.
Je tiens à vous remercier infiniment. Cela nous a beaucoup intéressés. En fait, nous trouvons tout ce projet fascinant.
Je tiens à vous éblouir en vous disant que PCR signifie la réaction en chaîne de la polymérase.
Mme Dianne Martin: Voilà, en effet.
La présidente: Vous trouverez tout cela dans un document de la Bibliothèque du Parlement qui se trouve dans tous vos bureaux: L'analyse génétique en criminalistique: technologie et application. Vous avez donc de la lecture en perspective.
Et si cela vous intéresse, nous pourrions probablement vous en envoyer un exemplaire également.
Mme Dianne Martin: Oui. Nous avons une bibliothèque juridique, et cela nous intéresse certainement.
La présidente: Notre Bibliothèque du Parlement est une excellente source de rapports. Ils font un travail excellent, et on se demande ce que nous ferions sans eux.
Encore une fois, merci. Nous avons eu une excellente séance, et je suis certaine que nous aurons à nouveau l'occasion de vous rencontrer. Cela a été un véritable plaisir.
La séance est levée.