JURI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 24 février 1998
[Traduction]
La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): Nous allons commencer.
Nous allons poursuivre aujourd'hui notre examen du projet de loi C-3 ainsi que l'étude du projet de loi C-104 qui a été déposé au cours de la première session de la 35e législature.
Nous allons entendre aujourd'hui des représentants de l'Association canadienne des policiers et Neal Jessop du Service de police de Windsor en Ontario. Il est également président de l'Association canadienne des policiers. Nous allons aussi entendre Scott Newark, un cadre dirigeant de l'Association canadienne des policiers. Jon Netelenbos est vice-président de cette association. William J. Donnelly, de Windsor, va nous prêter son concours pour les démonstrations, si j'ai bien compris. Neale Tweedy est membre du Service de police du Toronto métropolitain. Robert Keppel représente le Bureau du procureur général de l'État de Washington.
Je vous souhaite à tous la bienvenue. Je sais que vous avez beaucoup de choses à nous dire aujourd'hui et je vous invite donc à commencer.
M. Neal Jessop (président, Association canadienne des policiers): Merci, madame la présidente.
Je tiens à signaler que c'est, je crois, la huitième année que je comparais devant votre comité et qu'il s'agit probablement ici du projet de loi le plus important pour les Canadiens dans le domaine de la justice que j'ai jamais été amené à commenter. Sans aucun doute, c'est le projet de loi le plus important que nous ayons jamais eu l'occasion d'examiner ensemble pour ce qui est de l'application de la loi et de la prévention du crime. L'adoption d'un projet de loi efficace dans ce domaine aura, d'après nous, à long terme pour effet d'entraîner une diminution importante de la violence et des crimes graves.
Nous allons aborder avec vous aujourd'hui un certain nombre de questions. Certains s'inquiètent vivement, je crois, des méthodes utilisées pour prendre les empreintes génétiques parce qu'elles seraient intrusives. Nous avons pensé que la meilleure façon de répondre à ces préoccupations était de vous montrer comment cela se fait et de comparer ces méthodes aux autres techniques que nous utilisons tous les jours dans notre profession.
J'ai demandé à M. Donnelly, un technicien légiste diplômé, de prendre aujourd'hui M. Newark comme sujet et de recueillir des échantillons de cette personne—l'idée même me fait frissonner, je le dis en passant—et il va vous montrer comment se passera à l'avenir, nous l'espérons, la prise de ces échantillons, très comparable à celle des empreintes digitales.
La présidente: Très bien mais je crois que M. Discepola devrait passer un test d'haleine.
M. Neal Jessop: Je pourrais sans doute le faire aussi bien que lui, madame la présidente.
L'inspecteur Neale Tweedy est membre de l'escouade des homicides du service de police métropolitain. Neale dirige l'enquête sur le meurtre de Christine Jessop, une des enquêtes les plus importantes et les plus coûteuses qui ait jamais été effectuée au sujet du meurtre d'un enfant au Canada. Je suis sûr que Neale va vous parler de l'importance des banques de données; il va vous dire combien une telle banque aurait pu l'aider à résoudre ce crime et l'utilité qu'elle aurait tant aujourd'hui que pour l'avenir.
Bob Keppel est quelqu'un de très intéressant. Il a participé à toutes les grandes enquêtes sur les meurtres en série qui ont été tenues aux États-Unis depuis plusieurs années. Je crois que Bob va vous parler de l'utilité de prélever des échantillons sur des criminels qu'on ne considère pas comme étant violents. Il va vous décrire comment les délinquants qui commettent des infractions mineures arrivent progressivement à commettre des crimes graves, en particulier dans le cas des infractions intrusives comme l'introduction par effraction. Il nous a transmis une quantité impressionnante de connaissances sur une longue période. Bien sûr, Bob occupe son poste et travaille dans ce domaine à plein temps.
Madame la présidente, je vais demander à Scott et à Bill de poursuivre.
M. Scott Newark (directeur exécutif, Association canadienne des policiers): Madame la présidente, je tiens tout d'abord à vous remercier de nous avoir laissé une certaine liberté dans la façon de vous présenter nos commentaires. Il nous est apparu clairement qu'il serait utile de vous faire la démonstration concrète de certaines choses qui, sous de nombreux aspects, illustrent le genre d'expérience que l'Association canadienne des policiers peut apporter aux législateurs, des expériences vécues dans le concret; rien de plus spécial, je crois, que la prise d'échantillons que nous allons vous montrer ce matin. Nous tenons à vous remercier de nous avoir donner cette liberté.
Neal vous en a sans doute parler ce matin et je crois que nous l'avons fait également tous les deux les dix dernières fois que nous avons comparu devant votre comité. D'une façon ou d'une autre, nous avons tenté de démontrer l'importance des banques de données génétiques. Nous avons essayé de vous expliquer toute l'importance qu'un tel outil peut avoir en vous parlant de sujets très éloignés de cette question... en effet, l'on peut sans doute dire que l'APC n'a pas toujours été parfaitement d'accord avec le gouvernement au cours des cinq dernières années mais je crois qu'à la réflexion, nous avons participé, de façon efficace, à l'amélioration de certains projets de loi. Pensez aux diverses initiatives qu'a prises le gouvernement fédéral dans le domaine de la réforme de la justice pénale, pensez aux améliorations considérables qui ont été apportées au cours des cinq dernières années, et je dirais que tout cela nous a amené à établir une franche collaboration entre nous.
Bien évidemment, nous ne sommes pas totalement d'accord avec tout ce qui s'est fait et, je le soupçonne, vous n'avez pas toujours été d'accord avec tout ce que nous avons dit mais je voudrais me faire l'écho des commentaires qu'a fait Neal ce matin. Vous n'avez jamais examiné un projet de loi concernant la sécurité publique qui soit plus important que celui que vous examinez aujourd'hui. La première fois que j'ai comparu devant vous c'était en 1989 à titre de procureur de la Couronne et je peux vous dire que, d'après moi, cette affirmation est parfaitement exacte.
Pour aller droit au but, je dirais que nous avons suivi ce qu'ont déclaré les témoins, et nous avons assisté à plusieurs interventions. Nous savons à quel moment le ministre est venu livrer son témoignage. En fait, comme vous le savez peut-être, nous avons préparé nos mémoires à l'avance, nous les avons remis aux membres du comité et nous avons même posé certaines questions précises au sujet des lacunes que paraissait, d'après nous, comporter ce projet de loi. Nous avons également veillé, je le signale en passant, à transmettre ces documents au ministre à l'avance, parce que nous tenons simplement à montrer qu'il existe une meilleure façon d'atteindre l'objectif proposé et qu'il est possible d'apporter certaines améliorations à ce projet de loi.
• 0910
Si vous vous souvenez, lorsque le ministre a comparu devant
votre comité—et j'ai la transcription de son témoignage—vous lui
avez demandé quel était le problème principal que soulevait la
prise d'échantillons au moment de l'arrestation, parce que cette
question se pose depuis un certain temps, depuis que le projet de
loi a été présenté. On lui a demandé s'il s'agissait d'une question
d'argent et il a répondu que non. Ce problème découle en fait des
questions constitutionnelles que soulève la prise des échantillons
au moment de l'arrestation, et, d'une façon générale, de la
question de savoir si en fait les Canadiens sont prêts à accepter
ce genre de choses.
Je crois que c'est M. Ramsay qui a demandé au ministre s'il allait demander une opinion juridique indépendante sur cet aspect, parce qu'il avait mentionné que des représentants du ministère de la Justice lui avaient suggéré de procéder de cette façon.
Nous avons pris l'initiative de demander une opinion sur cette question à quelqu'un qui est, je crois, bien connu des membres du Parti libéral: Tim Danson, quelqu'un qui est connu depuis longtemps par les membres de cette famille... et en fait, c'est quelqu'un qui a la réputation d'être un avocat de la défense, un constitutionnaliste et un criminaliste éminent.
Voici son opinion. Elle n'a pas encore été traduite. Nous allons la distribuer. Elle traite du caractère intrusif de la mesure, de la question du moment auquel cette opération peut se faire, et de tous les autres aspects. Je vais simplement vous citer la conclusion de l'opinion de M. Danson:
-
Nous n'avons pas été en mesure de découvrir aucun argument
défendable qui permettrait d'affirmer que le projet de loi C-3,
modifié pour autoriser la prise d'empreintes génétiques au moment
de l'arrestation, deviendrait inconstitutionnel. Si cela était le
cas, il faudrait en conclure que le projet de loi C-3, sous sa
forme actuelle, ainsi que les articles 48.705-48.709 du Code
criminel
...qui figuraient dans l'ancien projet de loi C-103...
-
seraient inconstitutionnels.
-
Si le gouvernement préfère que la prise d'empreintes génétiques ne
soit permise qu'au moment de la condamnation et non à celui de
l'arrestation, c'est une décision purement politique qui relève
uniquement de lui. Il n'y a pas d'obstacle juridique à cela.
Je vous invite à examiner l'opinion de M. Danson si vous pensez qu'il serait bon de l'inviter à témoigner. Nous avons remis une copie de cette opinion, ce matin seulement, aux représentants du ministère et nous espérons qu'ils pourront en tenir compte avant de prendre une décision sur cette question importante.
Je vais mentionner un autre aspect qui, je crois, vous a déjà été signalé. Si vous avez un doute quant à la constitutionnalité du prélèvement d'un tel échantillon au moment de l'arrestation, soumettez la question à la Cour suprême du Canada.
J'ai en fait parlé ce matin à M. Jessop. Nous savons que cette offre est peut-être maladroite mais l'Association canadienne des policiers est prête à assumer tous les frais qu'occasionnerait le renvoi constitutionnel de cette question devant la Cour suprême du Canada. C'est vous dire toute l'importance qu'elle revêt pour nous.
Je tiens à vous affirmer que c'est quelque chose qui en vaudrait la peine. Je vous invite à réfléchir longuement à cette suggestion, qui porte en fait sur la constitutionnalité de cette mesure. C'est d'ailleurs une initiative, en fait, un renvoi qui peut être soumis avant que le projet de loi ne soit adopté.
Nous avons essayé de parler principalement des objections que l'on peut faire au choix du moment auquel s'effectue la prise d'échantillon, un aspect fondamental. Nous allons vous communiquer les renseignements et des données au sujet de certains homicides et agressions sexuelles non résolus. Vous allez entendre M. Netelenbos, un agent de police de première ligne de Calgary, qui va vous parler de cet aspect. Cette mesure nous permettrait de travailler efficacement sur ces crimes non résolus ou, plutôt, ce sont des choses que nous ne pourrons pas faire si nous ne sommes pas autorisés à prendre l'échantillon génétique au moment de l'arrestation.
Une des objections qui a été faite à cette mesure est bien sûr celle qui concerne le caractère intrusif de la prise d'échantillon qu'appelle cette mesure. Nous avons donc décidé de vous montrer, avec votre permission, comment cela se fait au lieu de nous contenter d'affirmer que cette opération n'est pas vraiment intrusive.
Je vais donc maintenant passer la parole, si vous le permettez, à Bill Donnelly, qui va vous donner quelques renseignements généraux sur cette question. Comme l'a mentionné Neal, Bill est un agent d'identification. Il va vous fournir des explications sur l'utilité de l'identité judiciaire, sur la façon dont ce service a commencé et comment il a évolué. Je vous invite à ne pas oublier le fait qu'il s'agit là d'un processus de nature évolutive ni la nature réelle de l'opération. Nous allons ensuite vous montrer comment l'on opère et vous pourrez constater par vous-mêmes si la mesure envisagée est véritablement de nature intrusive.
Bill.
Agent William J. Donnelly (représentant, Association canadienne des policiers): Merci.
Dès les premières enquêtes policières effectuées au Canada, on a constaté toute l'importance que revêtait pour l'agent enquêteur la possibilité de préciser l'identité de la personne visée par l'enquête. C'est devenu une question fondamentale tant pour les enquêtes criminelles que pour le processus judiciaire: comment faire pour être certain que la personne qui est traduite devant un tribunal aujourd'hui n'a pas déjà été jugée par un autre tribunal, même sous un autre nom?
• 0915
Lorsque ces questions ont pris de l'importance à la fin du
XIXe siècle, le gouvernement du Canada a pris la décision d'adopter
la Loi sur l'identification des criminels en 1898. Cette loi
autorisait pour la première fois les agents de police à prendre des
empreintes digitales ou d'utiliser ce qu'on appelait à l'époque le
bertillonnage, un système de mesurage de différentes parties du
corps qui avait pour seul objectif d'obtenir un identificateur
permettant de reconnaître la personne en question. Ainsi, quel que
soit le nom utilisé par cette personne pour commettre un crime ou
le nom sous lequel elle a été traduite devant les tribunaux, ou
quel que soit le lieu où le crime a été commis, on pouvait
désormais être certain que c'était la même personne qui était
poursuivie pour l'infraction qu'elle avait effectivement commise.
William Donnelly n'aurait pu commettre un vol à Windsor, se rendre à Ottawa, y commettre une infraction, et se présenter ensuite sous le nom de Scott Newark parce que dès qu'on aurait pris ces mesures, il aurait été possible de déterminer rapidement que cette personne figurait déjà dans le dossier et qu'elle avait commis des infractions à Windsor. On m'aurait alors considéré comme un récidiviste à Ottawa et non pas comme un délinquant primaire, ce que j'essayais de faire croire.
C'est ainsi que le bertillonnage inventé en France a été introduit au Canada. Ce système a été approuvé par le gouvernement du Canada et lorsqu'on l'examine, on peut dire qu'il ressemblait à un moyen de torture moyenâgeux si l'on tient compte de ce qu'il fallait faire pour identifier les individus à l'époque. C'était avant l'époque de l'ADN. C'est avant que l'on découvre le système d'identification basé sur les empreintes digitales. À cette époque, un monsieur du nom d'Alphonse Bertillon avait découvert en France qu'en mesurant certaines parties du corps et en mesurant de façon précise 11 parties du corps, on savait qu'il n'y avait pas deux personnes au monde qui auraient des séries de mesures identiques.
Cela obligeait les policiers à effectuer une série de 11 mesures complexes, et bien entendu, cela a forcé les criminels à s'y soumettre. Les criminels étaient obligés de se tenir debout, de mettre tout leur poids sur un pied et d'écarter les bras pour que les policiers puissent mesurer la longueur de leur pied droit, avec des outils assez sophistiqués pour l'époque. On plaçait un compas mixte en bois des deux côtés de la tête du criminel et on tournait une vis jusqu'à ce que les parties en bois se touchent aux extrémités du crâne de façon à obtenir une mesure précise de la largeur du crâne de cette personne. On mesurait également la longueur du visage, la longueur de l'avant-bras du coude jusqu'à l'extrémité du majeur, la longueur de l'index droit, mesures qu'exigeait le bertillonnage.
Le procédé était long, il arrivait à l'utilisateur du système de commettre des erreurs et lorsque les mesures n'étaient pas bien faites, cela pouvait entraîner des erreurs d'identification. Cela n'a toutefois pas empêché le gouvernement du Canada d'approuver ce système parce que c'était la meilleure façon d'identifier les gens à l'époque, d'après la technologie existante.
Au début du XXe siècle, l'identification au moyen des empreintes digitales a remplacé le bertillonnage. Le bertillonnage comportait des imperfections. Il y avait des erreurs et dans une affaire tragique qui s'est produite aux États-Unis, on s'est trompé entre deux frères qui avaient été séparés depuis leur naissance. Les choses ont évolué aux États-Unis jusqu'à l'affaire Will West qui a démontré que le bertillonnage n'était pas la meilleure façon d'identifier quelqu'un. C'est alors qu'on a adopté la dactyloscopie.
La Loi sur l'identification des criminels n'a pas été modifiée. La version de 1998 de la Loi sur l'identification des criminels ne mentionne aucunement la prise d'empreintes digitales, c'est pourtant cette loi qui nous donne le pouvoir de prendre des empreintes digitales.
Cela s'explique parce que la Loi sur l'identification des criminels contient une disposition qui autorise le gouverneur en conseil à modifier cette loi dans le but d'approuver une méthode qui utiliserait des moyens comparables à ceux du bertillonnage ou qui viseraient un objectif semblable, à savoir l'identification des individus. Voilà tout.
C'est de cette façon qu'on a adopté dans les années 20 un décret qui autorisait la prise d'empreintes digitales au Canada. C'est à partir de ce moment que la dactyloscopie a constitué l'élément clé de l'identité judiciaire au Canada, parce que c'était la meilleure technique à l'époque. En effet, à cette époque, personne ne savait ce qu'était l'ADN. Cette molécule n'a été découverte que 20 ou 30 ans plus tard.
La Loi sur l'identification des criminels nous permet donc d'utiliser la force nécessaire pour prendre les empreintes digitales d'une personne inculpée d'un acte criminel au Canada ou qui en a été déclarée coupable. Je vais utiliser M. Newark pour démontrer comment cette loi nous autorise, chaque fois que nous avons arrêté un suspect et l'avons inculpé d'une infraction—il n'a pas encore été déclaré coupable par les tribunaux, parce que c'est de cette façon que nous allons l'identifier pour être sûr qu'il n'y a pas d'erreur sur la personne de l'accusé—à prendre les empreintes digitales de cette personne. Cette opération s'effectue dans toutes les provinces canadiennes plusieurs fois par jour. Les empreintes digitales sont conservées dans un dossier qui est versé dans une banque nationale de données et qui contient des renseignements concernant les personnes qui n'ont pas encore été déclarées coupables d'une infraction pénale.
• 0920
De cette façon, nous pouvons non seulement comparer ces
empreintes digitales à toutes celles qui figurent dans nos dossiers
pour nous assurer que M. Newark est bien en fait la personne qu'il
déclare être et non pas quelqu'un qui ait déjà comparu devant les
tribunaux mais également comparer ces empreintes digitales avec
n'importe quelle empreinte digitale retrouvée sur la scène d'un
crime non résolu qui a été commis dans une autre province ou
territoire canadien. C'est un outil puissant et très efficace que
nous utilisons tous les jours, qui a été approuvé par le
gouvernement du Canada, qui a été jugé constitutionnel par la Cour
suprême du Canada et que l'on utilise si souvent tous les jours que
personne ne se pose plus de questions à ce sujet.
M. Scott Newark: Ce n'est toutefois pas une opération qui se pratique au hasard. Le droit exige que certains conditions soient réunies pour que l'on puisse prendre les empreintes digitales de quelqu'un. Le législateur a défini ce qu'était un acte criminel et précisé l'étendue des pouvoirs d'arrestation ainsi que les procédures à utiliser pour les exercer. Ce n'est pas un procédé qui nous permet de choisir quelqu'un dans la rue et de lui dire: «Vous nous intéressez. Vous êtes peut-être recherché. Nous allons prendre vos empreintes digitales.»
Ou va vous parler un peu plus tard de la comparaison des empreintes digitales. La dactyloscopie, utilisée depuis un siècle, qui consiste, par exemple, à prendre les empreintes digitales d'une personne accusée de vol à l'étalage a débouché sur le système dont parle Bill: l'identification des meurtriers.
C'est essentiellement le même principe qui s'applique lorsqu'on utilise une autre substance. Il y a simplement le fait que la substance découverte en quantité infirme ne peut être utilisée en combinaison avec les empreintes digitales.
Agent William Donnelly: Comme Scott l'a mentionné, on ne trouve pas toujours des empreintes digitales sur les lieux d'un crime. J'ai fait enquête sur un certain nombre de crimes, depuis des vols mineurs jusqu'à des agressions sexuelles graves et même des homicides. Nous travaillons à partir des indices dont nous disposons. Les empreintes digitales sont un des types de preuves que nous trouvons.
Depuis 1986, il existe une technologie qui nous permet de recueillir des échantillons de tissus, de liquides organiques se trouvant sur le lieu d'un crime et même de découvrir le délinquant qui a laissé ces traces. Elle nous permet non seulement d'identifier le délinquant mais si nous soupçonnons quelqu'un et que cette personne nous fournit un échantillon, nous pouvons déterminer avec certitude que cette personne n'est pas celle qui a laissé des traces sur les lieux du crime. Si l'échantillon a été trouvé dans un lieu tel que seul l'auteur du crime peut l'avoir laissé, cela a pour effet de démontrer que cette personne n'est pas celle qui a laissé cette trace et qu'elle n'a donc pu commettre le crime en question.
L'intérêt des preuves médico-légales réside dans le fait qu'elles permettent d'écarter avec certitude les suspects. Nous n'avons pas d'outil plus puissant que celui-là.
C'est pourquoi nous souhaitons réunir ce genre de preuve de plusieurs façons. Récemment, le gouvernement du Canada nous a autorisé, avec les articles prévoyant les mandats de prélèvement, d'obtenir des échantillons d'ADN à des fins de comparaison. Je vais maintenant vous montrer les trois méthodes autorisées par le gouvernement du Canada et la Cour suprême pour prélever des échantillons d'ADN. Voici les trois méthodes que nous utilisons.
Je vais commencer par la méthode qui consiste à prendre un échantillon de cheveu. Les cheveux ne contiennent pas de cellules—il n'y a pas d'ADN dans nos cheveux, comme la plupart des gens le savent—mais les cheveux possèdent à leur racine des cellules dans le cuir chevelu qui contiennent elles des noyaux, qui contiennent l'ADN dont nous pouvons extraire ces renseignements. C'est donc un premier cas, lorsque je suis autorisé en vertu d'un mandat, conformément à...
La présidente: Prenez-en une bonne poignée, d'accord Bill?
Des voix: Oh, oh!
M. Scott Newark: En fait madame, j'ai été content qu'il me fasse cela hier parce qu'il a pris uniquement mes cheveux gris.
Des voix: Oh, oh!
La présidente: J'ai ma propre méthode de m'occuper de cela.
Allez-y, prenez-en une poignée et...
Agent William Donnelly: Je ne suis pas au bout de mes peines si je ne dois prendre que les cheveux gris. Cela va prendre pas mal de temps.
Il suffit de prendre les cheveux situés sur l'arrière de la tête, là où le cuir chevelu est constitué de telle façon que les cheveux que nous allons y prendre vont contenir des cellules qui nous permettront d'établir un profil génétique. Ce que je tiens en ce moment entre mes deux doigts constitue un échantillon suffisant pour établir le profil génétique de Scott Newark. C'est tout ce qu'il faut. C'est la seule chose que j'ai à faire pour obtenir un tel échantillon. Si cet échantillon est correctement pris, correctement entreposé et correctement analysé, il me donnera l'empreinte génétique de Scott Newark. C'est tout ce dont nous avons besoin.
Le désavantage est qu'il y a environ 10 à 15 p. 100 de la population dont les échantillons pris de cette façon ne contiennent pas suffisamment de cellules, soit parce qu'il n'y a pas beaucoup de cheveux dans cette région du crâne en raison d'une calvitie soit à cause d'autres problèmes médicaux ou parce que les cheveux sont tellement fins qu'il n'est pas possible de retirer, en tirant dessus, la gaine épithéliale située dans le cuir chevelu. C'est pourquoi il faut avoir recours à d'autres méthodes.
M. Scott Newark: Avant d'aller plus loin, j'aimerais signaler quelque chose. Dans l'opinion juridique que vous allez lire—et j'aimerais qu'elle soit distribuée—on parle d'une décision toute récente des tribunaux ontariens qui a confirmé la constitutionnalité des mandats ADN autorisant ces méthodes de prélèvement d'échantillon.
La méthode qui a été jugée en fait inconstitutionnelle—par le juge Hill—est le procédé que nous venons de voir, le prélèvement de cheveux, et c'est précisément pour les raisons que Bill vient de mentionner. Vous verrez que le juge Hill en parle dans son jugement, lorsqu'il affirme que les deux autres méthodes de prélèvement sont statistiquement fiables alors que le prélèvement de cheveux comporte cette lacune... il a jugé en fait que cette méthode n'était pas constitutionnelle, même si, je dois le signaler, elle figure déjà dans nos lois.
Nous tenions à ce que vous connaissiez tous les aspects de ce problème. Cette question n'a pas encore été soumise à la Cour suprême du Canada mais il y a une autre affaire qui est mentionnée dans cette opinion, l'affaire Brighteyes, de l'Alberta, où le tribunal a jugé que la méthode était constitutionnelle.
Agent William Donnelly: Sachant cela, le gouvernement du Canada a estimé qu'il convenait d'adopter plusieurs méthodes de prélèvement d'échantillons d'ADN. La meilleure façon de prélever un échantillon d'ADN utilisable n'est pas toujours la même.
Compte tenu de tout cela, il y a la méthode de l'écouvillonnage buccal qui permet de prélever des cellules de l'épithélium qui recouvre l'intérieur de la bouche, de la langue, de toutes les cavités se trouvant dans la bouche, jusque dans le système digestif, cellules qu'il est facile de prélever en passant un écouvillon sur une de ces surfaces. Il faut moins de force pour le faire que vous n'en utilisez tous les matins pour vous brosser les dents. Vous recueillez davantage de cellules épithéliales sur votre brosse à dents tous les matins lorsque vous vous brossez les dents que nous en recueillons pour établir le profil génétique d'une personne ou un échantillon d'ADN suffisant pour obtenir un tel profil.
Avec cette méthode, il suffit de demander au sujet d'ouvrir la bouche, de prendre un coton-tige stérile, et de frotter légèrement ce coton-tige sur l'intérieur de la joue; on laisse sécher le tout et à l'extrémité de ce coton-tige, j'ai un échantillon suffisant pour établir le profil génétique de Scott Newark. C'est tout.
J'estime que cela est plus facile que d'obtenir une série complète des empreintes digitales de M. Newark. Cela prend, dans ce dernier cas, plus de temps, il faut plus de manipulations et exercer une force physique plus grande. C'est tout ce qu'il faut pour obtenir cet échantillon.
M. Scott Newark: Nous avons placé un enregistrement vidéo dans le poste de télévision. Vous venez de voir une démonstration de la méthode qui est utilisée et nous n'allons pas montrer ce vidéo. Nous allons vous le laisser pour que vous en ayez une copie. C'est un enregistrement de formation à l'intention des policiers écossais qui montre l'ensemble du processus et indique comment se fait le prélèvement à l'aide d'un coton-tige, comment on conserve ces prélèvements, comment on utilise les codes de barres et tout le reste.
La méthode que nous venons de vous montrer est celle qui est autorisée en Angleterre et en Écosse par la loi et par les autorités et c'est celle qui y est utilisée à l'heure actuelle.
Nous allons vous laisser le vidéo, madame la présidente, et vous pourrez le regarder lorsque vous le pourrez.
Agent William Donnelly: La dernière méthode autorisée par le gouvernement du Canada pour obtenir un échantillon d'ADN est le prélèvement d'un échantillon de sang provenant d'un vaisseau capillaire qu'on obtient en piquant le doigt avec une lancette stérilisée. C'est pour nous de loin la meilleure méthode d'obtenir un bon échantillon d'ADN. Lorsque la personne se trouve devant vous, elle a suffisamment de sang dans son corps pour qu'on puisse en prendre deux ou trois gouttes pour obtenir son profil génétique.
Il arrive qu'en raison des processus chimiques qui ont lieu à l'intérieur de la bouche ou de l'état de l'intérieur de la bouche, il ne soit pas possible d'obtenir un bon échantillon par la méthode de l'écouvillonnage. Cette méthode occasionne parfois des erreurs. Si la personne qui effectue le prélèvement ne frotte pas l'écouvillon de façon suffisamment vigoureuse ou s'il ne le déplace pas assez, l'échantillon risque d'être insuffisant.
Par contre, avec une goutte de sang, tout le monde peut voir qu'il y a une goutte de sang. Il arrive rarement que ce genre d'échantillon soit insuffisant.
Dans ce cas, à l'aide d'un mandat, en utilisant une méthode qui a été utilisée de nombreuses fois, on demande au sujet de présenter un doigt. On nettoie le doigt avec un morceau de coton imbibé d'alcool. On prend ensuite une compresse stérile. Il est facile de se procurer de nos jours ce matériel dans n'importe quelle pharmacie et c'est d'ailleurs ce matériel qu'utilisent les personnes qui doivent faire une analyse de glucose, une chose que certaines personnes font plusieurs fois par jour.
Une fois le doigt nettoyé, on prend une lancette avec laquelle on pique le doigt et on recueille trois à quatre gouttes de sang sur la compresse stérile.
• 0930
Cela coule assez vite. Je ne sais pas si je vais pouvoir
l'arrêter.
La présidente: Eh bien, ne vous en faites pas. Continuez à parler.
Des voix: Oh, oh!
M. Scott Newark: J'ai remarqué que vous aviez nettoyé un doigt et en aviez pris un autre pour donner l'échantillon.
Des voix: Oh, oh!
Agent William Donnelly: La plupart du temps, en appliquant une légère pression sur le doigt, la piqûre se ferme d'elle-même et le sang arrête de couler après 30 secondes ou une minute. Sinon, on fait un petit bandage. Je l'ai fait des centaines de fois et je n'ai jamais eu de problème.
Je ne suis pas un médecin. Ce sont des médecins qui m'ont montré comment faire mais ce n'est pas quelque chose qui dépasse les compétences d'un policier correctement formé. En fait, nous l'avons fait plusieurs fois au cours des enquêtes que nous menons, et même récemment avec les mandats d'ADN.
Ce petit échantillon, une fois séché à l'air, contient une quantité suffisante de cellules pour établir le profil génétique complet de M. Newark. Il a même proposé que son empreinte génétique soit la première à être entreposée dans notre nouvelle banque de données, si cela est nécessaire.
M. Scott Newark: M. Ramsay a posé une question au ministre sur laquelle j'aimerais revenir. Il s'agit de la méthode de prélèvement des échantillons.
En fait, ces méthodes évoluent constamment. Cela ne veut pas dire qu'en Nouvelle-Zélande ou en Australie, il suffit de placer les mains d'une personne sur une surface pour obtenir une empreinte. Mais la technologie évolue et cela va venir. En fait, il est possible d'obtenir des renseignements sur l'ADN de quelqu'un en lui demandant de placer ses doigts sur une surface et en obtenant une empreinte de ses doigts.
Nous allons vous présenter une dernière démonstration qui porte sur un dispositif qui est déjà légalement approuvé et qui permet d'obtenir ce type d'échantillon d'ADN à partir de l'air des poumons, avec de l'air soufflé dans un appareil comme l'ivressomètre. La seule question qui demeure est celle de la qualité de l'échantillon mais je crois que vous pouvez constater que la science est en train de rattraper et même de dépasser cette notion d'intrusion. Ce n'est pas la véritable question.
Agent William Donnelly: Lorsque j'ai commencé à travailler à la direction de l'identité judiciaire du Service de police de Windsor, on n'utilisait pas encore les profils génétiques dans les enquêtes criminelles. C'était encore une méthode dont on parlait et qui faisait l'objet de recherches. Nous ne nous en servions pas à l'époque.
À la fin de 1991, le Centre des sciences judiciaires de l'Ontario a été autorisé pour la première fois à prendre des empreintes génétiques mais il fallait pour y parvenir, avec la technologie existante, un échantillon contenant au moins 50 000 cellules nucléées.
Cela ne semble pas très difficile, si l'on tient compte du fait que nous avons tous des milliards de cellules dans notre corps mais cela correspondait aux cellules contenues dans une tache de sang à peu près de la taille d'un huard. C'est à peu près la quantité de sang qu'il fallait recueillir sur une compresse stérile pour pouvoir établir un profil. Il n'était pas possible d'obtenir un profil complet avec un échantillon plus petit.
Je sais que c'est la difficulté qu'a rencontré le Service de police de Toronto au cours de l'enquête sur le meurtre de Christine Jessop. À l'époque, il n'était pas possible d'établir un profil génétique avec le type d'échantillon que l'on avait obtenu.
Retenez ce chiffre, 50 000. À la fin de l'année 1997, l'échantillon de cellules nucléées nécessaire pour obtenir un profil d'identification génétique n'était plus que de 30 cellules environ. Entre 1991 et 1997, nous sommes donc passés d'un échantillon de 50 000 cellules nucléées à un échantillon comprenant environ 30 cellules, ce qui représente à peu près le nombre de cellules que nous laissons sur un timbre lorsque nous le léchons pour envoyer une lettre.
À mesure que les sciences progressent, nous allons être capables d'identifier et de traiter des traces de substances de plus en plus faibles. Nous allons être en mesure de prélever des échantillons selon des méthodes qui seront de moins en moins intrusives. Dans quelques années, nous pourrons peut-être obtenir un échantillon suffisant pour établir un profil génétique en demandant au sujet de lécher un morceau de buvard stérile qu'on laisserait ensuite sécher à l'air libre. On pourrait ajouter cela aux empreintes digitales de cette personne pour établir ses paramètres d'identification pénale. Voilà où nous en sommes aujourd'hui.
Si l'on compare ces méthodes avec ce que nous faisons au Canada depuis des années, même dans le domaine de la conduite avec facultés affaiblies... je vais vous montrer maintenant ce qu'il faut faire pour prélever un échantillon avec un alcotest routier.
C'est un ivressomètre Dr«ger. C'est le type d'appareil qui est toujours utilisé au Canada. Il est très probable que la police d'Ottawa l'a utilisé à quelques reprises hier soir et qu'il sera utilisé quelque part au Canada aujourd'hui.
Un agent de la paix peut demander à un citoyen canadien de fournir un échantillon lorsque l'agent soupçonne que cette personne a consommé de l'alcool avant de conduire son véhicule. En tant qu'agent de la paix, je peux demander, sur de simples soupçons, à un conducteur de souffler dans cet appareil et de fournir un échantillon d'haleine sous peine d'être poursuivi pénalement.
Comme vous pouvez le constater, il est plus difficile de fournir un échantillon au moyen de ce genre d'ivressomètre qu'un échantillon permettant d'établir un profil d'identification génétique.
M. Scott Newark: J'ajouterais également que cette méthode est constitutionnelle parce que le Parlement a énoncé dans le Code criminel qu'un agent de la paix avait le pouvoir de le faire. Notez bien que cela se fait avant l'arrestation.
C'est là l'aspect important: le législateur a adopté cette mesure. Nos élus ont, dans leur sagesse, estimé que l'objectif recherché était utile et ils ont donc adopté ce texte législatif.
Vous allez entendre des arguments contraires qui découlent de l'affaire qu'on a appelé l'affaire Stillman. Vous allez voir que cela figure également dans notre opinion. On y fait constamment référence à la différence qu'il y a entre une mesure prévue par une directive légale—par exemple, lorsque vous dites que c'est ce que vous voulez—et lorsqu'il n'y en a pas. C'est pourquoi ce procédé est constitutionnel. C'est également la raison pour laquelle cela serait constitutionnel si vous autorisez ce prélèvement à ce moment.
Après avoir utilisé cette méthode aujourd'hui et l'autre hier, je peux vous dire que, du point de vue de la personne qui subit l'opération, j'ai trouvé que ce dernier test était beaucoup plus difficile et intrusif que toutes les autres méthodes que j'ai vu décrites jusqu'ici.
La présidente: Monsieur Newark, le fait que ces données ne soient pas entreposées dans une banque ne constitue-t-il pas une différence essentielle? Lorsque vous passez le test d'ivressomètre, vous êtes soupçonné d'avoir exercé une activité illégale se rapportant à un crime commis à ce moment. Une fois passé le test, c'est fini. On n'en conserve pas les résultats pour démontrer que vous avez conduit en état d'ivresse il y a 3 ou 10 ans.
M. Scott Newark: Cela est tout à fait exact. Je crois que concrètement, c'est là que réside le véritable problème: l'ADN offre beaucoup d'autres possibilités que n'offrent pas les empreintes digitales ou les échantillons d'haleine.
Je crois qu'il est bon de rappeler que tout ceci a déjà été autorisé. Cela fait des années que nous prélevons des échantillons de sang et d'haleine, choses dont on peut se servir pour effectuer une analyse de l'ADN. Et le Parlement a adopté, il y a deux ans, un projet de loi qui autorisait le prélèvement d'échantillons en vue de procéder à des analyses de l'ADN.
Je ne connais pas de cas où l'on ait procédé à des recherches irrégulières. Je ne connais pas de cas où l'on ait démontré que ces prélèvements ont été mal utilisés. Nous avons même été jusqu'à recommander de vous expliquer que c'était là la principale préoccupation sur le plan des principes. C'est nous qui avons recommandé d'en faire une infraction.
Vous avez peut-être remarqué que, selon le projet de loi, il s'agit là d'une infraction qui ne permet pas la prise d'échantillons d'ADN.
Nous vous demandons que la loi prévoie qu'en cas d'acquittement, l'échantillon soit obligatoirement détruit, ce qui n'est pas le cas des empreintes digitales. Nous avons fait cette recommandation parce que nous savons qu'il existe la possibilité que ces échantillons soient utilisés à d'autres fins.
La question essentielle est, si vous le permettez, la suivante: allons-nous pouvoir prendre ce genre de chose? La réponse est que vous l'avez déjà autorisé. La question devient donc allons-nous le faire de la meilleure façon?
Allons-y, d'accord?
Agent William Donnelly: Prenez l'embout dans votre bouche et soufflez jusqu'à ce que je vous dise d'arrêter. Soufflez, continuez, continuez, continuez, arrêter.
La présidente: Comment s'en est-il sorti?
Agent William Donnelly: Zéro. Mais vous pouvez voir les efforts qu'il a dû faire car il a changé de couleur. Il faut faire un certain effort physique pour procéder à cette analyse.
Votre remarque au sujet de l'entreposage de données est excellente. Mais supposons que je lui demande de me fournir un échantillon avec cet appareil dans le cadre du programme RIDE. Disons qu'il se refuse à fournir un échantillon.
À ce moment-là, il commet une infraction qui me permet de l'amener au poste de police, de prendre ses empreintes digitales et de placer ses empreintes digitales dans une banque nationale de données qui existe depuis 1925. Nous pouvons comparer les empreintes qu'il m'a fournies avec celles qui ont été recueillies au cours des enquêtes sur des crimes non résolus pour le simple fait qu'il a refusé de donner suite à une demande que je lui ai faite à cause de mes soupçons. Ce n'est pas aller beaucoup plus loin que d'entreposer une partie de ces renseignements pour les comparer avec ce que nous avons déjà.
M. Scott Newark: Merci, Bill.
M. Neal Jessop: Vous n'allez pas utiliser le...
M. Scott Newark: Non, nous avons décidé de ne pas le faire. Je me suis presque tué hier en essayant d'utiliser ces ivressomètres. On me dit qu'il s'agit de modèles un peu anciens.
Mais c'est bien l'appareil qu'on utilise après avoir effectué ces tests ou après que l'agent de la paix a fait certaines observations. C'est un ivressomètre.
Il y a un appareil qui fonctionne à peu près de la même façon. Il faut souffler dedans. Cet appareil utilise un procédé photoélectrique qui mesure la concentration de sang dans l'alcool. Il faut souffler dedans comme pour l'ivressomètre que vous avez vu utiliser plus tôt.
M. Neal Jessop: Avant que certains d'entre vous n'arrivent, j'ai expliqué que nous avions avec nous l'inspecteur Tweedy de l'escouade des homicides de la police de Toronto métropolitain qui dirige l'enquête sur le meurtre de Christine Jessop. Il va vous en parler. Il y a aussi Bob Keppel du Bureau du procureur général de l'État de Washington qui a des renseignements importants à vous communiquer. Il y a aussi Jon Netelenbos qui va vous fournir des chiffres concernant les choses que nous pourrions faire si vous acceptez d'adopter les dispositions dont nous avons besoin.
Neale.
Sergent détective Neale T. Tweedy (Service de police de Toronto métropolitain): Merci, Neal.
Madame la présidente, cela fait 26 ans que je fais partie de la police du Toronto métropolitain. Depuis plus de 15 ans, j'enquête sur des meurtres, ce qui veut sans doute dire que je suis le plus ancien détective au Canada.
Il y a environ trois ans, on m'a confié la direction de l'enquête sur la mort de Christine Jessop, une enfant de neuf ans. Cela s'est produit peu après que M. Guy Paul Morin a été acquitté par le juge en chef Dubin de la Cour d'appel de l'Ontario.
Depuis cette époque, j'ai constitué une équipe de neuf agents et nous avons travaillé pendant trois ans à rechercher l'assassin de Christine Jessop en vue de le traduire devant les tribunaux. J'ai dépensé 2,2 millions de dollars pour essayer d'identifier et de localiser le meurtrier de Christine Jessop.
Christine Jessop a été enlevée le 3 octobre 1984 à Queensville. C'était une enfant intelligente et heureuse. Je crois que cela revient à dire que lorsqu'on enlève quelqu'un qui vit à Queensville, on peut être enlevé au Canada quel que soit l'endroit où l'on vit.
Elle a été emmenée dans un endroit isolé et elle a été violée. Des éléments indiquent qu'elle a été torturée. Elle a reçu des coups de couteau dans la poitrine et dans le dos ainsi qu'au cou, au point où elle était presque décapitée. Elle est restée dans les bois, bras et jambes écartés et il a fallu attendre trois mois pour que l'on découvre son cadavre le 31 décembre 1984.
Lorsque l'on parle d'intrusion, je crois que personne n'a subi une intrusion aussi brutale que celle qu'a subie Christine Jessop.
Lorsque l'on essaie de résoudre une affaire comme celle-ci, on essaie de se donner des stratégies. Comment peut-on écarter toute une série de questions? Une des choses que je devais faire était d'essayer de relier cette affaire à d'autres affaires, à des crimes non résolus ou à des contrevenants.
Nous vivons dans un monde de très haute technologie et je travaille avec l'ADN depuis 1988. Il est toutefois triste d'avouer que bien que, vivant dans un monde où la technologie est aussi développée, je suis limité à des techniques d'enquête à faible technologie. J'ai dû envoyer 750 lettres à des organismes d'application de loi du Canada et des États-Unis pour leur demander de bien vouloir effectuer des recherches dans leurs dossiers. Avez-vous connu un cas semblable qui pourrait m'aider à résoudre ce crime? Ou avez-vous dans vos dossiers une empreinte génétique qui pourrait être reliée à celle que j'ai obtenue? En outre, j'ai également dû envoyer des lettres à 100 laboratoires médico-légaux au Canada et aux États-Unis pour essayer de localiser cette empreinte génétique.
Avec la technologie dont nous disposons, cela est complètement inutile. Cela se fait au hasard. C'est incomplet. Il est très possible que cette empreinte se trouve déjà dans un laboratoire au Canada ou aux États-Unis.
En plus, j'ai essayé d'élaborer des critères permettant d'identifier les personnes qui pourraient faire ce genre de choses. Parmi les critères, il y avait celui du lieu de résidence. A-t-on commis des infractions comparables ou peut-être légèrement moins violentes, dans les comtés de Durham, York et Simcoe? Après avoir utilisé ce critère, je me suis rendu dans des prisons—en particulier au pénitencier de Kingston, au pénitencier de Millhaven et au pénitencier de Warkworth—et j'ai obtenu des échantillons sanguins avec le consentement des détenus que je voulais écarter de ma liste de suspects et qui avaient exercé leurs activités dans cette région.
Je ne suis pas satisfait de mon travail parce qu'il s'effectue un peu au hasard et de façon incomplète. Il est assujetti aux limites que comportent les critères que j'ai élaborés.
• 0945
Après trois ans d'efforts avec une équipe de neuf personnes
qui s'est entièrement consacrée à cette tâche, je dois dire que
nous sommes frustrés parce que nous n'avons pas réussi à découvrir
ce meurtrier. Je peux vous dire que cet individu a probablement
commis d'autres crimes avant de commettre celui-là et qu'il a
probablement commis d'autres crimes par la suite. Je crains que cet
individu ne se trouve aujourd'hui dans un de nos pénitenciers,
selon le bon plaisir de Sa Majesté, et que nous n'arrivons pas à le
localiser.
Je vous demande d'adopter ce projet de loi qui est rédigé de façon à empêcher que se reproduise des cas comme celui de Christine Jessop. Il y aura d'autres cas de ce genre, vous pouvez m'en croire, si ce projet de loi n'est pas rédigé comme il faut.
Nous parlons de police communautaire et de prévention du crime. Il n'y a pas d'outil plus important pour les policiers au cours des années 90 ou dans le siècle qui va suivre que l'outil que vous avez devant vous.
Je sais ce qu'est la violence familiale. J'ai souvent fait enquête sur des cas de violence familiale. J'ai également mené des enquêtes sur des crimes impliquant des personnes ne se connaissant pas.
Pour vous parler franchement, je vous demande de m'aider. Vous pouvez jouer un rôle dans ce domaine. C'est une occasion magnifique pour l'application de la loi, pour la protection des femmes et des enfants et je vous demande de m'aider à le faire. C'est tout ce que je peux faire après avoir essayé pendant trois ans d'attraper l'individu qui a commis ce crime.
M. Bob Keppel (Bureau du procureur général de l'État de Washington): Je dois vous dire, madame la présidente et les membres du comité, que je n'ai jamais comparu auparavant devant un groupe comme le vôtre. Je m'occupe habituellement d'aider des policiers et des détectives à attraper des meurtriers et des violeurs. Mon principal rôle au sein du Bureau du procureur général de l'État de Washington est celui d'enquêteur en chef. Je supervise un système de suivi des enquêtes sur les homicides. Ce titre ne décrit pas tout ce que nous faisons. Nous nous occupons également de viols, d'incendies criminels, de vols qualifiés—ce genre de suivi—dans le but d'établir des recoupements entre des crimes semblables.
Sur la question des liens pouvant exister entre les crimes, nous avons fait beaucoup d'études dans cet État. Mon expérience s'appuie sur plus de 2 000 enquêtes sur des meurtres auxquels j'ai participé comme consultant ou comme enquêteur, j'ai également étudié plus de 7 000 affaires de viols, qui remontent jusqu'en 1980.
J'ai constaté que les antécédents des délinquants qui commettent des viols et des meurtres... Lorsqu'ils ont commencé leur carrière, ils ont tout à coup, comme par magie, modifié leur comportement. De voyeurs, d'auteurs d'outrage à la pudeur, ils sont passés aux introductions par effraction, aux cambriolages de résidence, en passant par toute une série d'étapes. J'ai l'impression que nous, qui nous occupons d'appliquer la loi, avons depuis des années gravement sous-estimé ces infractions dans notre compréhension de la violence parce que ce sont ces crimes qui en réalité amènent le criminel à commettre des crimes plus graves et plus violents.
Il est intéressant de vous mentionner que, pour démontrer cette théorie, nous avons étudié 621 cas d'enlèvement et de meurtre d'enfants aux États-Unis. Cette étude couvrait également 44 États et 419 tueurs. Soixante pour cent de ces 419 tueurs avaient déjà été arrêtés parce qu'ils avaient commis des crimes violents. Aux États-Unis, les crimes violents comprennent le cambriolage au premier degré, qui consiste pour l'essentiel à pénétrer dans une maison d'habitation la nuit au moment où s'y trouvent ses occupants et à y commettre un cambriolage ou un crime—vol qualifié, kidnapping, tous les crimes graves que nous associons habituellement aux crimes violents.
Il est intéressant de noter que 53 p. 100 de ces 419 tueurs avaient commis des crimes violents comparables sur des enfants; ils avaient agressé des enfants—attouchements illégaux, viols d'enfants, ou autre chose, ils avaient déjà été traduits devant les tribunaux, ils avaient ensuite été relâchés et avaient tué un enfant après cela.
• 0950
Il est donc probable qu'en adoptant ce projet de loi, vous
allez aider à empêcher que ces contrevenants commettent davantage
de crimes, de crimes répétitifs. Les violeurs sont des criminels
d'habitude. Les meurtriers sexuels sont des criminels d'habitude.
Il n'existe pas de traitement pour soigner les gens qui commettent
des viols sur des personnes qu'ils ne connaissent pas ou qui sont
des sadiques. Il n'y a pas de cure pour ce genre de comportement.
Quelle que soit la durée de la première peine qu'ils purgent en
prison, cela devrait servir pour les autres infractions qu'ils vont
commettre une fois libérés. C'est pourquoi nous avons besoin
d'avoir l'empreinte génétique de ces hommes dans nos systèmes.
Il est intéressant de signaler qu'aux États-Unis les banques de données génétiques ont permis de découvrir 200 auteurs d'infractions, qu'il s'agisse de celle de l'État de Washington, du système fédéral ou d'autres États. Plus de 50 p. 100 des crimes pour lesquels ces personnes avaient été arrêtées à l'origine étaient des cambriolages et des introductions par effraction. C'est le motif pour lequel on avait relevé l'empreinte génétique de ces criminels et nous avons réussi à résoudre des affaires de viol, des affaires de meurtre grâce à l'échantillon d'ADN recueilli à l'époque où ils avaient commis ces cambriolages et ces introductions par effraction. C'est pourquoi nous considérons qu'il s'agit là d'une question très importante qui mérite de vous être soumise.
L'aspect le plus intéressant de l'ADN est qu'il permet non seulement de découvrir les criminels mais également d'écarter les soupçons qui pèsent contre des innocents. Nous avons enregistré 52 cas aux États-Unis où des criminels condamnés—des personnes que l'on pensait être des criminels—ont finalement été innocentés grâce à l'ADN.
Dans nos tâches d'application de la loi, nous voyons dans l'ADN un moyen de réduire le nombre des suspects que nous devons rechercher. Sans banque de données génétiques, nous devons en tant qu'enquêteurs, rechercher les suspects et les confronter, soit pour avoir un motif raisonnable de prélever un échantillon de sang à des fins de comparaison ou pour leur demander la permission de le faire. C'est une façon très onéreuse et très complexe de procéder à une enquête et cela va probablement nous obliger à perdre beaucoup de temps à le faire.
Lorsque l'on pense à des affaires comme celles de Ted Bundy, de Wayne Williams, de Clifford Olson ou de Paul Bernardo, tous ces gens qui ont tué plusieurs personnes, nous demandons simplement la possibilité de les arrêter avant qu'ils ne tuent quelqu'un d'autre et les banques de données génétiques vont nous permettre d'identifier ces criminels plus rapidement. Sans ces banques, c'est un travail de longue haleine et tous ceux d'entre nous qui effectuent des enquêtes considèrent que l'ADN est peut-être l'outil le plus important après la dactyloscopie. Nous n'arrêtons plus les criminels parce qu'ils laissent des empreintes digitales, parce qu'ils savent maintenant qu'il faut éviter d'en laisser. Il en va autrement des empreintes génétiques et des façons de prélever des échantillons sur les lieux du crime parce que le tueur n'est pas toujours en mesure d'expliquer la présence de son ADN sur les lieux du crime.
Je vous remercie de votre attention.
M. Neal Jessop: Avant que John ne vous donne quelques statistiques, je reviens sur la description précise que vous a faite Bob des raisons pour lesquelles le projet de loi est boiteux. Je ne vois pas qui aurait pu mieux le faire que lui. Il est impossible de nous appuyer sur une loi de ce genre pour obtenir les empreintes génétiques de Clifford Olson. Vous devez régler ce problème et combler les autres lacunes, sinon ce que Bob vient de vous décrire ne pourra pas s'accomplir chez nous.
• 0955
Il vous a raconté dans quel monde imaginaire vivent ces gens.
Ils ont vraiment l'impression qu'entrer dans votre maison leur
donne un flash, si je peux employer ce terme. Ils entrent dans
votre vie. Ils vous contrôlent. Puis, ils progressent, comme l'a
indiqué Bob, vers des actes criminels plus violents qui causent des
lésions corporelles.
Si vous n'incluez pas ces types d'actes criminels, si vous ne le faites pas exactement comme l'exige la Loi sur l'identification des criminels, alors nous allons rater ces gens. Si vous ne le faites pas au bon moment, ils auront eu largement le temps de filer lorsque nous découvrirons enfin leur identité.
Jon.
Le sergent Jon Netelenbos (vice-président, Association canadienne des policiers): Madame la présidente, messieurs les membres du comité, je suis sergent et cadre subalterne au Service de police de Calgary. J'aimerais vous donner un bref aperçu statistique, avant de faire quelques observations.
En tant que policiers, nous consacrons des centaines et des milliers d'heures d'enquête à l'identification des auteurs de crimes non résolus. Il est important de vous donner une idée de l'ampleur de la tâche. Dans ma ville, par exemple, il y a 25 homicides non résolus depuis 1977. À Edmonton, il y en a 38 depuis 1980. De 1978 jusqu'à aujourd'hui, il y a 19 homicides non résolus à Windsor et 408 agressions sexuelles non résolues. Et dans une ville plus grande, à Toronto par exemple, il y a 89 homicides et plus de 3 000 agressions sexuelles non résolus entre 1992 et 1996. Ce sont des chiffres effarants.
À Calgary, j'ai discuté avec le sergent d'état-major chargé des homicides. Il m'a dit que nous attendons une révision de la loi, parce qu'il y a eu en 1994 un double homicide pour lequel des analyses génétiques ont été obtenues en douce, grâce à un prélèvement sanguin. Ce serait merveilleux si nous pouvions lier les empreintes génétiques à l'auteur d'une effraction de domicile.
Lorsqu'un nouveau type de système appelé système automatisé de dactyloscopie a été implanté à Calgary à la fin des années 80, il a permis de comparer directement les empreintes digitales prélevées à celles qui existaient déjà dans le système, si un lien était possible. En un mois, nous avons résolu un homicide qui avait été commis à la fin des années 70. C'était un homicide vicieux, où la victime était une dame de presque 90 ans. Lorsque nous avons coincé l'auteur du crime, c'était vraiment l'euphorie.
Je laisse l'analyse psychologique et législative au Dr Keppel et à M. Newark. Mon point de vue est plus pratique, c'est celui d'un policier de voie publique. Il ne s'agit pas d'obtenir de nouveaux pouvoirs policiers, mais plutôt de résoudre certains crimes très graves, et de le faire, d'une part, pour appliquer la loi—et même si les aspects économiques ne devraient pas entrer en ligne de compte, il importe de souligner que ces crimes horribles exigent beaucoup de temps et coûtent très cher—et, d'autre part, pour les victimes d'actes criminels graves, les victimes ou les familles qui cherchent une explication ou un règlement.
Mais ce qui importe encore plus, c'est le fait qu'à titre de cadre subalterne, j'ai la tâche peu enviable d'informer les familles des victimes. J'ose affirmer que c'est une tâche épouvantable. Si la vie de quelques-uns de nos citoyens était sauvée par une réglementation des banques de données génétiques nous permettant de prélever des empreintes génétiques au moment de l'arrestation... Non, si une seule vie, ne serait-ce qu'une seule, était sauvée parce que nous pourrions prélever ces empreintes au moment de l'arrestation, votre comité sait certainement quelle recommandation il peut faire, je crois.
M. Scott Newark: Permettez-moi de conclure.
Neal Jessop a fait allusion à certaines dispositions du projet de loi. Si nous en avons le temps, nous pouvons peut-être en discuter plus longuement durant la période de questions.
Au sujet de Clifford Olson, je veux m'assurer qu'une chose est claire. De la façon dont le projet de loi est rédigé actuellement, le gouvernement du Canada, par l'entremise de deux organismes fédéraux—la GRC et Service correctionnel Canada—redoutait tellement que ce type soit impliqué dans d'autres crimes, que nous lui avons fait parcourir le pays d'un bout à l'autre. Nous lui avons aussi fourni, par l'entremise de Service correctionnel Canada, du matériel vidéo, afin qu'il puisse raconter sur vidéo ce qu'il avait fait. Cela vous montre à quel point nous étions inquiets.
• 1000
Mais la loi ne nous permettait pas de faire ce qu'on peut
faire, dans le même but, avec un simple coton-tige, comme vous
l'avez vu. Demandez-vous si c'est logique.
L'article 487.055 proposé doit être repensé. Vous avez entendu nos suggestions concernant l'identification des criminels. Sans vouloir vous contredire, je crois que c'est cette approche-là qui a du bon sens. L'article devrait inclure tout au moins toutes les infractions désignées pour lesquelles une personne a été déclarée coupable, à moins que nous ne voulions littéralement nous condamner—nous et toute la nation à vrai dire—à ce que John a expliqué. Nous savons ce qui va arriver si nous agissons autrement. Nous savons que cette personne commettra ce genre d'acte criminel et nous savons qu'il est possible de l'en empêcher.
Je vous invite vivement à considérer les problèmes juridiques. Si ce sont eux qui nous empêchent d'adopter cette solution, alors prenez le temps de réfléchir à la façon de les régler.
Mme la présidente et M. Lee, je le sais, sont au courant d'une opinion juridique que notre association a déjà présentée au sujet de l'alinéa 745.6(2)(d), où il y avait eu une petite bévue et où un pouvoir accordé aux victimes pour leur permettre de témoigner leur avait été enlevé involontairement. Cette disposition allait à l'encontre d'un projet de loi précédent. Nous l'avons fait remarquer. Il y a ici tout lieu de s'arrêter, d'analyser et de réfléchir.
Je termine par une observation J'ai déjà été procureur et j'ai donc travaillé avec ces types. Il y a environ 125 ans d'expérience de l'exécution de la loi autour ce cette table. Écoutez ces gens-là.
Merci.
La présidente: Monsieur Ramsay.
M. Jack Ramsay (Crowfoot, Réf.): Je remercie les témoins qui ont présenté ce témoignage et ces renseignements au comité, en particulier cette opinion juridique, que nous examinerons sans aucun doute.
Si le projet de loi C-3 était modifié pour permettre les prélèvements pour analyse génétique au moment de l'arrestation dans le cas des infractions primaires et secondaires, quelles seraient les conséquences sur la loi C-104? Faudrait-il la modifier elle aussi? L'obligation d'obtenir un mandat conformément à la loi C-104 et toutes les procédures nécessaires: il faut prélever un échantillon sur le lieu de l'infraction et il doit exister des motifs raisonnables de croire que la personne a participé à l'infraction, ne deviendront-elles pas redondantes?
M. Scott Newark: Non, monsieur. Ce serait simplement un complément. Il pourrait facilement arriver qu'une personne n'ayant pas déjà été déclarée coupable d'une infraction criminelle ou à qui la loi C-104 s'applique... que la police ait des motifs de croire que cette personne répond aux critères énoncés dans l'article 487.05 de la loi C-104. Ce serait la condition préalable. Ce qu'offre une banque de données génétiques, que le prélèvement se fasse au moment de la déclaration de culpabilité ou de l'arrestation, c'est créer une banque de données sur les personnes qui ont déjà commis une infraction criminelle à laquelle on peut comparer les échantillons prélevés sur le lieu de l'infraction. Ce serait un complément mais pas un substitut à ce que prévoit déjà la loi C-104.
M. Jack Ramsay: Je ne sais pas si cela répond à ma question. Ce n'est toujours pas clair dans mon esprit. Si vous avez le pouvoir d'effectuer les prélèvements pour des analyses génétiques au moment de la prise des empreintes digitales, alors pourquoi faudrait-il un mandat pour prélever des substances corporelles?
M. Scott Newark: Parce qu'il se pourrait que la police ait des motifs de croire que la personne a participé à l'infraction mais qu'aucun prélèvement antérieur n'a été effectué par suite d'une déclaration de culpabilité antérieure ou d'une arrestation suivie d'une déclaration de culpabilité. C'est la différence.
• 1005
Ne vous méprenez pas, s'il existe une banque de données
génétiques bien construite, il sera beaucoup moins nécessaire
d'obtenir ce genre de mandat, parce que, selon nous—et je pense
que toutes les statistiques criminelles le démontrent—il y aura
déjà des données de comparaison. Mais il se pourrait encore que les
empreintes génétiques d'une personne ne figurent pas dans la banque
et que cette personne réponde aux critères énoncés dans la loi
C-104.
M. Jack Ramsay: D'accord. Cela ne me convainc pas.
Le constable William Donnelly: Si vous me permettez, je peux peut-être apporter quelques éclaircissements. À l'heure actuelle, l'identification par la cartographie génétique nous permet de prélever les empreintes digitales de toute personne en état d'arrestation relativement à un acte criminel ou déclarée coupable d'un acte criminel, notamment les infractions mixtes au Canada.
Une disposition de l'article 47 prévoit aussi des mandats pour obtenir des empreintes. Si nous n'avons pas d'empreintes en dossier, nous pouvons obtenir un mandat pour obliger la personne visée à nous donner ses empreintes digitales. L'un n'exclut pas l'autre.
Il se pourrait que je n'aie jamais commis d'infraction et donc que mes empreintes n'aient jamais été prélevées. Mais je suis peut-être aussi le principal suspect d'un acte criminel faisant l'objet d'une enquête policière. La police n'a peut-être pas de motifs suffisants pour m'arrêter, mais elle peut en avoir assez pour m'obliger à donner mes empreintes digitales, au moyen d'un mandat, afin de pouvoir poursuivre son enquête et de les comparer. Si ces empreintes correspondent à celles qui ont été prélevées sur le lieu de l'infraction, la police aura désormais des motifs raisonnables de croire que j'ai commis l'infraction et elle pourra donc m'arrêter. Après mon arrestation, je serai assujetti aux dispositions de la Loi sur l'identification des criminels et mes empreintes digitales seront prélevées et versées à la banque nationale de données génétiques.
La police peut prélever les empreintes au moment de l'arrestation, mais elle en a peut-être besoin avant l'arrestation, afin d'avoir des raisons de procéder à l'arrestation. C'est ce que permet bien souvent la disposition sur le mandat relatif aux empreintes génétiques.
Les empreintes génétiques de la personne ne figurent peut-être pas déjà dans la banque de données. Cette personne n'a peut-être jamais été déclarée coupable d'une infraction. Même si le projet de loi est modifié afin que nous puissions prélever les empreintes au moment de l'arrestation, nous n'avons peut-être pas suffisamment de motifs pour procéder à l'arrestation. Mais nous avons peut-être des motifs suffisants pour demander un mandat afin d'obliger cette personne à donner ses empreintes génétiques.
M. Jack Ramsay: D'accord, merci. J'ai écouté le témoignage de Neale Tweedy avec grand intérêt. Mais, à mon avis, ce n'est pas le problème des crimes non résolus qui serait réglé en priorité, encore qu'il soit important de résoudre les crimes. Ce qui importe par-dessus tout, et ce que le comité doit reconnaître, selon moi, c'est que ce projet de loi permettrait de protéger des vies.
Nous avons entendu d'autres témoins affirmer que si ce projet de loi avait déjà été adopté afin de donner les autorisations pertinentes, des vies auraient peut-être pu être sauvées dans l'affaire Clifford Olson et dans certaines autres où il est évident qu'une personne est impliquée dans ce genre d'infractions et qu'elle continue pourtant de faire des ravages parce que la police n'a pas les pouvoirs nécessaires pour obtenir les preuves permettant d'arrêter les suspects et d'assurer la protection que tous les membres du comité aimeraient voir assurée.
Notre responsabilité consiste à trouver le juste milieu dans toute mesure législative, surtout lorsqu'un projet de loi empiète autant sur la vie privée que celui-ci. Quand je réfléchis à ce projet de loi et à la possibilité que le comité recommande des modifications permettant de prélever des empreintes génétiques au moment de l'arrestation, pour des infractions primaires et secondaires, je songe aux inconvénients. Quels sont les inconvénients possibles? Cette pratique pourrait-elle entraîner des erreurs judiciaires? Pourrait-elle nuire à une personne, lui porter préjudice? Je ne le crois pas.
Dans ce cas—et n'importe lequel d'entre vous peut répondre—comment justifie-t-on qu'on n'accorde pas ce pouvoir, celui de prélever les empreintes génétiques au moment de l'arrestation, pour ces infractions en particulier?
M. Scott Newark: Vous posez probablement la question aux mauvaises personnes.
J'ai indiqué plus tôt que je n'ai jamais entendu parler d'allégations selon lesquelles des empreintes génétiques prélevées par les forces policières auraient été utilisées à mauvais escient.
M. Mancini, je crois, lorsque le ministre ou l'un des autres témoins a comparu, s'est interrogé sur la nature des peines prévues pour ce genre d'abus. Je rappelle une fois de plus au comité que, durant les consultations nous n'étions pas le seul groupe mais plutôt l'un des groupes qui ont recommandé expressément que cela constitue une infraction pénale.
Vous, les parlementaires, avez des pouvoirs limités concernant l'adoption des lois, et l'un de ces pouvoirs consiste à reconnaître qu'un acte est mauvais et donc à l'interdire. D'ailleurs, dans ce cas-ci, vous n'hésiterez pas à le criminaliser et à juste titre selon nous.
Mais, à notre avis, rien ne justifie que nous ignorions délibérément les avantages qui en découleraient en ne le faisant pas conformément à la Loi sur l'identification des criminels.
M. Jack Ramsay: J'ai une dernière question, et je tiens à connaître votre point de vue à ce sujet. Il est question d'argent, des sommes nécessaires pour créer la banque de données. Évidemment, le gouvernement a des priorités. Je vous demande quelles sont vos priorités. Préféreriez-vous que l'argent serve à une banque génétique ou plutôt à un système d'enregistrement des armes à feu?
M. Scott Newark: Puis-je répondre?
Une voix: Ah, ah!
M. Jack Ramsay: La question a déjà été posée.
Des voix: Ah, ah!
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Oui. J'allais la poser.
La présidente: Scott.
M. Scott Newark: En réalité, la question est facile.
M. Jack Ramsay: C'est une question légitime.
M. Scott Newark: C'est une question facile. J'aimerais y répondre de deux façons, si vous me le permettez.
Lorsque nous avons commencé à en discuter avec M. Gray, le solliciteur général, nous nous sommes interrogés sur les priorités par rapport aux coûts. Comme vous le savez sans doute, on consacre un peu plus de 11 millions de dollars par année, en deniers publics seulement, au système de justice pénale.
D'après mon expérience—et je pense pouvoir me faire le porte-parole de tous ceux qui sont assis à cette table—il ne saurait y avoir de meilleur investissement, du point de vue de la sécurité publique, de la confiance publique et de l'intégrité publique, y compris la disculpation de ceux qui sont accusés ou soupçonnés à tort, qu'une banque de données génétiques bien structurée.
Nous avons donné dès le départ notre appui au projet de loi C-68, le projet de loi sur le contrôle des armes à feu, parce que nous étions convaincus qu'il y avait un avantage public à se doter d'un système universel d'enregistrement des armes à feu, et nous n'avons pas changé d'avis. Mais, selon nous, cet avantage est minime comparativement à celui qui peut découler d'une banque de données génétiques efficace.
M. Jack Ramsay: Mais vous ne pouvez pas comparer les coûts. Il faudra plus de 100 millions de dollars, uniquement pour mettre sur pied le système d'enregistrement des armes à feu, comparativement à combien pour une banque de données? Je pense qu'on a avancé le montant de 5 millions de dollars pour la banque de données.
M. Scott Newark: Mais je crois que ce montant de 5 millions de dollars repose sur les prélèvements relativement limités qui sont prévus dans le projet de loi C-3. Les coûts seraient certainement plus élevés si la banque était élargie, comme nous le proposons. Il s'agit cependant—et là encore, je pense pouvoir me faire le porte-parole de tout le monde ici, parce que nous en avons discuté—d'un investissement beaucoup plus sage si nous le consacrons à la banque de données génétiques. Franchement, le gouvernement devrait investir dans les deux.
M. Jack Ramsay: Mais en ce qui concerne les priorités de coûts, le coût d'une banque de données génétiques est infime par rapport à celui qui a été estimé pour la mise en oeuvre de la loi C-68...
La présidente: D'accord. C'est votre dernière question.
M. Jack Ramsay: C'est ma dernière question. Merci de vos observations.
La présidente: Neal?
M. Neal Jessop: Voulez-vous que nous répondions à cette question?
La présidente: Évidemment, si vous le voulez.
M. Neal Jessop: Je pense, monsieur Ramsay, que l'opinion des personnes autour de cette table est la suivante. Nous avons appuyé le projet de loi sur le contrôle des armes à feu, comme vous le savez, et avec le gouvernement, nous avons apporté des changements importants pour l'adapter à la population canadienne. Nous pensons qu'il fonctionnera. Nous pensons qu'il y aura des avantages énormes, que de nombreuses vies seront sauvées, grâce à la loi sur le contrôle des armes à feu, en particulier pour ceux d'entre nous qui travaillons dans les centres urbains. Nous pensons également—et je pense que Scott vient de le souligner—qu'un nombre incalculable de vies pourront être sauvées grâce à une bonne loi sur les empreintes génétiques. Je suis désolé, mais nous n'attribuons pas de valeur monétaire à ces convictions.
Nous pensons avoir bien agi et nous pensons que vous avez bien agi en adoptant la loi sur le contrôle des armes à feu. Nous pensons également que vous pouvez faire la même chose ici et, croyez-moi, au bout du compte, le jeu en vaudra largement la chandelle.
La présidente: Merci.
Monsieur John McKay.
M. John McKay: J'ai été intéressé par l'idée que vous seriez même prêts à financer un renvoi à la Cour suprême.
La Cour suprême aime répondre à une ou plusieurs questions précises. Avez-vous défini précisément la ou les questions que vous aimeriez lui poser?
La présidente: Je pensais bien que vous alliez poser des questions sur les renvois.
Des voix: Ah, ah!
Une voix: Il est en train de rédiger.
[Français]
M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): J'ai une question bien précise.
[Traduction]
La présidente: Allez-y, John. Je suis désolée.
M. John McKay: M. Bellehumeur peut peut-être nous éclairer de ses lumières.
La présidente: Vous venez de mettre le feu aux poudres. Tout va y passer, des armes à feu jusqu'à l'unité. Nous entendons l'Association canadienne des policiers, messieurs, et il est question d'ADN.
[Français]
M. Scott Newark: Posez une question. C'est une bonne idée.
[Traduction]
Oui, évidemment. Je vais vous en donner le libellé exact d'ici 11 heures si vous le voulez. Je crois que Tim l'a probablement énoncée assez clairement en fonction de la validité constitutionnelle du prélèvement de substances corporelles pour l'analyse génétique selon les méthodes définies dans l'article 47 du Code criminel au moment de l'arrestation, conformément à la Loi sur l'identification des criminels. Si cela peut se justifier en vertu du droit canadien...
M. Nick Discepola (Vaudreuil—Soulanges, Lib.): Et si droit international s'applique et lequel l'emporte.
M. Scott Newark: Je me préparais à aller une étape... Je pense que nous pourrions probablement le faire assez rapidement. Je ne crois pas que ce sera très difficile ni qu'il y aura un profond désaccord.
M. John McKay: Vous croyez donc qu'il s'agit d'une question de portée assez étroite.
M. Scott Newark: Oui, monsieur.
M. Nick Discepola: Si vous posez cette question à temps, vous aurez peut-être une réponse d'ici six mois, vous aussi.
M. Scott Newark: D'ici 11 heures.
La présidente: John, avez-vous...?
M. John McKay: Je crois qu'il a raison. La question est étroite. Je suis simplement curieux de savoir s'il l'a formulée dans sa tête.
La présidente: D'accord. Monsieur Bellehumeur, puis, monsieur MacKay, je crois.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Sur la question du renvoi, on va attendre la décision des juges de la Cour suprême sur la constitutionnalité des renvois à la Cour suprême.
Farce à part, on a mentionné tout à l'heure la Loi sur l'enregistrement des armes à feu. Si l'objectif ultime est la protection de la vie, comme je le pense, et si on doit indiquer une priorité au gouvernement allant dans ce sens, ce devrait être qu'il investisse premièrement dans l'ADN. C'est ce que je crois, même si j'ai été un de ceux qui ont lutté en faveur du projet de loi C-68.
Cela devrait être la grande priorité du gouvernement. Ensuite, il pourrait s'occuper de l'enregistrement des armes à feu. Je pense qu'on devait le faire, mais de là à sauver des vies... Il y a peut-être un argument que je n'ai pas suivi jusqu'au bout, mais je pense qu'on devait faire l'enregistrement des armes à feu.
Cela étant dit, il me reste une interrogation. Je vais lire attentivement le texte de votre opinion juridique, parce que je me suis toujours posé cette question. En effet, ce n'est pas la première fois que j'entends suggérer qu'on prenne des échantillons non seulement sur les détenus mais également sur les prévenus au moment de leur arrestation. Pour moi, les deux choses sont bien différentes.
Je ne m'inquiète pas trop du fait qu'on demande à un détenu, à quelqu'un qui est emprisonné—vous donnez l'exemple de Clifford Olson qui est en prison—de produire un échantillon de sa personne, même dans le système démocratique et libre dans lequel on vit. J'appelle échantillons d'une personne les prélèvements de salive, de sang ou de cheveux. Il ne m'est pas trop difficile d'accepter cela. Cependant, si vous dites qu'on doit le faire lors de l'arrestation d'un individu, qui est présumé innocent jusqu'à preuve du contraire dans notre système juridique, j'ai de la difficulté à vous suivre et je m'explique.
Vous avez donné en exemple le test d'ivressomètre. Comme juriste «de campagne», car je n'ai pas travaillé dans les grands centres et je n'ai pas traité des dossiers du genre de ceux dont monsieur a parlé plus tôt, je considère que le fait de souffler de son haleine dans l'ivressomètre n'est pas de même nature que celui de donner des cheveux, de la salive ou du sang.
Je vais donc lire l'opinion juridique qui, j'imagine, a été faite en tenant compte de tout cela, en tenant compte de la Charte canadienne des droits et libertés de même que de la Charte québécoise des droits et libertés, les deux se ressemblant d'ailleurs beaucoup.
• 1020
Pour moi, il existe vraiment une distinction de nature
entre ces exigences. Je souhaite que cette opinion juridique
me convainque de vous suivre jusque-là, parce que je
suis d'accord sur le projet de loi C-3. Cependant, je
veux un projet de loi qui ne sera pas contesté, un
projet de loi qui va atteindre son but. Or, j'ai de la
difficulté à vous suivre et à aller jusqu'à permettre à des
policiers de prélever de la salive, du sang ou des
cheveux sur un individu au moment de son arrestation,
même dans les cas de crimes graves, j'en
conviens. Dans le système où nous vivons, j'ai peur aux
abus; j'ai peur à l'utilisation qu'on pourrait en
faire; j'ai peur de bien des choses.
Encore là, je veux être bien compris; dans le cas des détenus déjà jugés coupables, je vous suis entièrement. Si on est capable de résoudre d'autres dossiers grâce à l'ADN, je suis d'accord. Mais je trouve fort dangereux qu'on demande à quelqu'un, à M. Tout-le-Monde, qu'on arrête pour une infraction très grave selon vos informations, alors qu'il n'a pas encore été reconnu coupable, des cheveux, de la salive ou du sang pour obtenir un échantillon d'ADN.
M. Scott Newark: Ce n'est pas moi qui ai dit qu'il était correct de prélever un échantillon au moment de l'arrestation; c'est la Cour suprême.
Maintenant, en ce qui concerne ce que dit la loi à propos des empreintes digitales,
[Traduction]
ce sont les juges de la Cour suprême qui ont tranché... C'est dans l'opinion, dont la version française sera prête demain. Ce sont eux qui ont examiné tous les principes en cause et qui ont conclu que, dans l'ensemble, il est justifiable de le faire au moment de l'arrestation. Nous avons eu cette discussion auparavant, je crois, quant aux raisons pour lesquelles...au sujet des personnes que nous allons rater. Nous sommes conscients qu'il y a cette distinction entre la période avant et après la déclaration de culpabilité. Mais c'est en saisissant bien ce qui peut arriver si on ne prélève pas les échantillons à ce moment-là, ce qu'on va rater, que la Cour suprême a conclu que cette façon de procéder se justifiait.
Je vous demande simplement, lorsque vous lirez l'opinion juridique, de vous rappeler que nous avons eu cette idée en lisant l'arrêt de la Cour suprême du Canada. Dieu sait que nous ne sommes pas toujours d'accord avec les décisions de la Cour suprême du Canada, mais dans ce cas-ci, nous pensons qu'elle a raison.
Agent William Donnelly: Écoutez, les mêmes arguments s'appliquent à la dactyloscopie. J'y reviens toujours parce que c'est une technique que nous appliquons maintenant tous les jours.
Supposons que votre résidence, votre famille, est victime d'une introduction par effraction. Le suspect est entré chez vous et a laissé des empreintes digitales, mais nous n'avons pas ses empreintes dans nos dossiers. Cette personne n'a jamais été interpellée auparavant. Elle commet ensuite un méfait dans la même ville. Elle casse un carreau et est arrêtée par les policiers. Si nous pouvons relever les empreintes digitales uniquement dans les cas de vol et possession de biens afin d'enquêter sur les introductions par effraction, si l'on veut être logique il faut convenir qu'il s'agit d'un simple méfait et que nous ne devrions pas alors relever les empreintes digitales. Mais si l'on prend les empreintes digitales d'une personne qui a commis un méfait, une infraction mixte en vertu du Code criminel, nous avons le droit, comme nous y autorise la Loi sur l'identification des criminels, d'utiliser les empreintes digitales relevées sur la personne au moment de son arrestation pour méfait et de les comparer aux empreintes laissées lors de l'introduction par effraction dans votre résidence. Il ne s'agit pas de la même infraction, pourtant nous pouvons faire une comparaison.
Il y a eu des affaires d'homicide... il n'y a pas que les tueurs en série dont vous avez entendu parler aujourd'hui. Je connais un cas, à Toronto, où une jeune femme a été assassinée à son domicile en 1972. Il y avait des empreintes digitales sur les lieux du crime, de sorte que les enquêteurs étaient certains que ces empreintes appartenaient au suspect. Elles ont été comparées à celles de la victime, des membres de sa famille, de ses colocataires, des personnes de ce genre, et tous les suspects ont été écartés. C'était en 1972. En 1972 et en 1973, la police de la région métropolitaine de Toronto a comparé manuellement ces empreintes digitales à toutes celles qu'elle possédait dans sa base de données locale, en vain. Elle les a transmises à la GRC, qui tient une base de données nationale d'empreintes digitales, pour les comparer à celles qui se trouvaient dans les dossiers—rien encore. Rien dans cette base de données ne correspondait à ces empreintes digitales.
Aujourd'hui, ce crime n'est toujours pas résolu; l'assassin court toujours.
• 1025
En 1986, je crois, la GRC a créé le système automatisé
d'identification dactyloscopique, le SAID, un système informatisé
d'identification des empreintes digitales, dans lequel on peut
stocker toutes les empreintes digitales. Ce système accélère
beaucoup la recherche d'empreintes dans un important volume de
données.
Les empreintes digitales sont à nouveau présentées à la GRC, qui effectue des recherches dans son système automatisé d'identification dactyloscopique, mais toujours sans résultat.
En 1990 ou en 1991, la police de la région métropolitaine de Toronto fait l'acquisition d'une unité SAID, qui est reliée à la base de données nationale de la GRC. Ces empreintes digitales sont parmi les premières qu'elle entre dans son SAID aux fins de recherche. La technologie a maintenant évolué, cependant, et c'est la raison pour laquelle ces empreintes sont à nouveau comparées, elles sont comparées à celles qui se trouvent dans la base de données nationale, et cette recherche ne donne encore aucun résultat, mais les empreintes sont maintenant enregistrées dans la catégorie dite empreintes digitales latentes non identifiées. Ce sont des traces laissées sur les lieux du crime et qui n'ont pas été identifiées, mais elles vont maintenant servir à des comparaisons chaque fois que des données sont entrées dans la base de données. Chaque fois qu'une personne est arrêtée au Canada et que l'on prend ses empreintes digitales, ces empreintes sont entrées dans le système et elles sont comparées aux empreintes digitales latentes non identifiées.
En 1992, un homme de Halifax, en Nouvelle-Écosse, bien loin des lieux du crime, est arrêté et accusé de conduite avec facultés affaiblies—ce qui n'est pas un crime violent, pas même un crime lié à un homicide. Il est donc arrêté, ses empreintes digitales sont prises et envoyées à la base de données nationale, où l'ordinateur les reconnaît, et l'information est transmise à Toronto. La police de Toronto peut maintenant procéder à une arrestation, presque 20 ans après le crime.
C'est pourquoi nous disons que la prise des empreintes digitales de quelqu'un, le prélèvement de deux ou trois cheveux ou le prélèvement de substances corporelles dans sa bouche visent tous le même but. Ce n'est pas différent.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: C'est le même but, oui. C'est le même but, mais il y a une différence. Il faut reconnaître qu'il y a une différence entre une empreinte digitale ou de l'air qui vient de l'extérieur et passe par les poumons, et des cheveux, du sang ou de la salive. Il y a une différence. L'objectif est le même, j'en conviens, mais il y a une différence par rapport à l'application de la Charte, j'en suis sûr et certain. Les juges n'ont certainement pas dit qu'il n'y avait pas de différence.
Je vais lire attentivement leur opinion juridique parce que, si je comprends bien, vous lui donnez de l'extension. L'opinion juridique porte sur les facultés affaiblies, sur le test qui est pris au moyen de l'ivressomètre avant la condamnation. Est-ce que je me trompe ou si elle porte sur autre chose?
[Traduction]
M. Scott Newark: Non, non. Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur l'ADN, les deux décisions dont il est question ici, qui portent sur l'échantillon que vous avez vu, ont conclu que le processus ne contrevient pas à la Constitution.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Avant l'arrestation ou après la condamnation?
M. Scott Newark: Non, après.
M. Michel Bellehumeur: Donc, après la condamnation.
M. Scott Newark: Oui.
M. Michel Bellehumeur: Cela fait une différence.
[Traduction]
M. Scott Newark: Oui, mais la Cour suprême a aussi affirmé que le prélèvement d'échantillons accessoirement à la prise des empreintes digitales au moment d'une arrestation est valable sur le plan constitutionnel. Alors ce que nous proposons... J'imagine qu'on pourrait l'exprimer ainsi: si cela est inacceptable, alors tout le projet de loi est inconstitutionnel—le projet de loi C-3 est inconstitutionnel et tout le projet de loi C-104 est inconstitutionnel.
Je suis assez certain du résultat. À tout le moins, pourquoi ne pas poser la question?
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Je ne l'ai pas lue et je ne me prétends pas hautement spécialisé dans le domaine, mais d'après les connaissances que j'ai à l'heure actuelle, les juges de la Cour suprême se sont prononcés à plusieurs reprises sur les tests de l'ivressomètre. Ils ont dit qu'il était constitutionnel de faire passer ces tests au moment de l'arrestation.
Ils se sont prononcés également sur le moment où on pouvait faire un test d'ADN, une fois que la personne était condamnée. Sur cela aussi ils se sont prononcés. Mais ils ne se sont jamais prononcés directement, que je sache—je puis me tromper—, en faveur du prélèvement d'échantillons de sang ou de salive au moment de l'arrestation. Jamais, me semble-t-il, les juges de la Cour suprême n'ont dit qu'on pouvait le faire selon la Constitution.
M. Scott Newark: C'est vrai.
[Traduction]
Ils ont décrété que c'était valable lorsque l'échantillon est prélevé en vertu d'un mandat fondé sur le projet de loi C-104, avant la déclaration de culpabilité. Les juges ont déclaré que cela était valide. Ce qu'ils ont dit dans l'affaire Stillman, et c'est dans ce document, vous le verrez, est qu'en l'absence d'autorité statutaire—si vous n'adoptez pas de loi—vous ne pouvez pas le faire. Il n'appartient pas aux policiers de décider qu'ils vont faire les prélèvements que vous avez vus ici. Ce que cela nous dit, à M. Danson et à moi, c'est que seulement un groupe peut déclarer que c'est acceptable: le vôtre. C'est pourquoi nous sommes ici.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Oui, mais ce doit être fait de façon responsable. Vous venez ici demander cela, mais cela ne vous sera pas accordé par le fait même, pas par moi en tout cas, surtout si on craint qu'il se produise des abus ou si on croit que la finalité ne sera pas atteinte.
• 1030
C'est comme ce qui est arrivé pour la Loi sur
l'enregistrement des armes à feu. Nous vous avons
suivis
parce que nous avions l'impression qu'en bout de
la ligne, cela allait aider. Ce n'est pas la
première fois que vous vous présentez devant le comité pour
obtenir des choses qu'on ne vous accorde pas
entièrement. C'est normal aussi; c'est le système
qui veut cela. Je pense que, de cette façon, on
atteint un certain équilibre.
Si j'attache mon nom à un projet de loi qui va dans le sens que vous voulez, je veux vraiment que cela permette d'atteindre le but que vous recherchez. Or, je ne suis pas sûr que le système en sortirait gagnant si on allait aussi loin que vous le demandez. Peut-être.
À l'heure actuelle, je ne suis pas capable d'aller aussi loin. Peut-être allez-vous me convaincre. Peut-être que l'opinion juridique que j'ai entre les mains est vraiment à cet effet. Peut-être d'autres témoins apporteront-ils des précisions propres à me convaincre. Mais, aujourd'hui, il me semblerait dangereux de m'aventurer aussi loin que vous en acceptant qu'on puisse prendre un échantillon de cheveux, de salive ou de sang d'une personne au moment de son arrestation, même pour des crimes clairement déterminés.
[Traduction]
La présidente: C'est votre dernière question, monsieur Bellehumeur.
M. Neal Jessop: Est-ce que je peux y répondre rapidement?
La présidente: Certainement, Neal.
M. Neal Jessop: Monsieur Bellehumeur, c'est précisément pourquoi nous sommes ici: pour vous convaincre, grâce à ces démonstrations, que cette technique est équivalente à la prise de vos empreintes digitales, un caractère génétique, et qu'elle n'est pas plus intrusive que la prise des empreintes digitales. De notre point de vue, nous avons présenté les meilleurs arguments que nous connaissions, et nous espérons que vous allez les accepter.
M. Jon Netelenbos: Madame la présidente, pour un agent de police, une des questions qui se pose touche la présomption d'innocence. Même si l'on relève des empreintes digitales correspondantes, la présomption d'innocence demeure. Même s'il y a correspondance de l'ADN, la présomption d'innocence demeure.
La présidente: Merci.
M. Neale Tweedy: Permettez-moi d'intervenir. Je ne comprends pas cet abus hypothétique dont nous discutons. J'enquête sur des affaires fondées sur l'ADN depuis 1988, et à moins d'être généticien ou biologiste, monsieur tout le monde ne peut pas comprendre. À mes yeux, en tant qu'enquêteur, il s'agit d'une série de chiffres et de lettres sur une page. Alors il n'y a absolument aucune possibilité d'usage indu par les autorités policières.
La présidente: Monsieur, vous serez content d'apprendre que le Dr Young, du Centre des sciences judiciaires, nous a présenté le même argument: tout ce que cette technique nous donne, c'est un profil, que l'on utilise à ce titre. Il faut aussi se demander ce qu'il advient de l'échantillon, parce que l'échantillon peut être utilisé à d'autres fins. Mais nous allons procéder par étapes.
Monsieur Bellehumeur, vous avez la parole.
[Français]
M. Michel Bellehumeur: Oui, dans ce sens-là aussi. Aujourd'hui, la technologie avance tellement rapidement qu'on est capable, avec le clonage par exemple, de faire toutes sortes de choses.
Qu'est-ce qui nous dit que demain, au moyen de banques de données ou autrement, on ne sera pas capable de reproduire l'ADN sur la scène d'un crime? Je ne veux pas dire que c'est vous qui le ferez, mais je pense qu'il faut avoir de la perspective lorsqu'on adapte un projet de loi.
C'est en ce sens que cela me paraît dangereux. Aujourd'hui, on connaît l'utilisation que vous pouvez en faire, mais qu'en sera-t-il demain ou dans 10 ans? On peut aller plus loin. Pourquoi demain matin ne décrète-t-on pas qu'on fait le test d'ADN sur tous les enfants qui naissent? Dans 20 ans, on aurait l'ADN de tout le monde. Qu'est-ce qui nous en empêche aujourd'hui? Si on pousse votre raisonnement jusqu'au bout, pourquoi n'adopte-t-on pas un projet de loi voulant que tous les enfants, à leur naissance, soient testés pour l'ADN? Dans 15 ou 20 ans, lorsque ces enfants seront devenus des adultes, vous aurez une banque universelle de données. Est-ce là la société qu'on se souhaite aujourd'hui?
Je me pose des questions et je réfléchis à voix haute. Ce que vous demandez aujourd'hui a une extrême importance. Cela peut influencer l'avenir juridique et légal du Canada et du Québec. C'est du moins ce que je pense.
M. Scott Newark: Je me permettrai de vous rappeler une chose.
[Traduction]
Vous avez demandé ce qui pouvait l'arrêter. Vous. Vous. Vous, les députés, la loi. Vous nous écoutez ici, vous écoutez ce que nous vous demandons, et c'est ce que vous devriez nous répondre: cela n'est pas raisonnable, cela n'est pas acceptable. Nous avez-vous jamais entendu suggérer une telle chose?
M. Michel Bellehumeur: Non.
M. Scott Newark: À mon avis, on ne peut pas affirmer que la méthode elle-même est valable mais que, parce que quelqu'un pourrait peut-être, un jour, l'utiliser à mauvais escient, il faut renoncer à ses avantages. Si tel est le cas, vous devriez casser toutes les lois qui ont été adoptées. Vous devriez mettre au panier tout le Code criminel. Ce qui vous en empêche, c'est le bon sens, le bon jugement de la population canadienne, vos électeurs, et la loi. C'est cela qui vous en empêche.
La présidente: Merci, monsieur Bellehumeur.
Monsieur Opposition MacKay.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Permettez-moi d'abord de vous remercier d'être venus. Je crois que la description que M. Newark nous a faite de votre expérience a atteint son but; elle est splendide.
Je dois dire que je suis très impressionné par tout ce que vous avez dit, mais je crois que la question du moment est ce qui nous intéresse véritablement ici. L'allusion aux vies épargnées, le caractère proactif du projet de loi pour ce qui est d'aider les policiers à faire leur travail, tout cela ne saurait être trop souligné.
Je conteste la nécessité de poser la question à la Cour suprême, et je vais vous expliquer pourquoi. Je crois que dans notre pays nous souffrons d'une véritable phobie de la Charte. Je crois que nous nous posons à la Cour suprême des questions dont nous connaissons déjà la réponse. Convenons-en, la question finira devant la Cour suprême. Il ne faut pas nous leurrer. J'en suis aussi certain que de voir le soleil se lever demain. Un avocat contestera inévitablement cette disposition, parce que c'est son métier.
Vous vous inquiétez des coûts ou d'une utilisation indue du projet de loi. L'utilisation indue va se traduire sur les factures des avocats de la défense, parce que le projet de loi va permettre d'accélérer beaucoup les choses. Il va mettre des gens sur les lieux du crime.
La question est trop fondamentale, à mon avis, pour que l'on puisse attendre de voir ce qui va se passer. Nous devrions aller de l'avant le plus rapidement possible, parce que c'est inévitable. Cela va se produire. Cela se produit partout dans le monde. Il est régressif, ridicule de combattre la technologie quand il s'agit de vies humaines.
J'ai deux ou trois questions qui m'ont été inspirées par d'autres témoins et par leurs préoccupations. J'aimerais connaître l'opinion des policiers sur la fiabilité, du point de vue de la défense, de la question du consentement, parce qu'à cause de l'ADN, les prévenus auront plus de difficulté à soutenir qu'ils n'étaient pas sur les lieux». Selon vous, que se passera-t-il dans les salles d'audience au niveau de l'enquête policière, de la prise des déclarations, de l'argument de défense fondé sur le consentement?
M. Neal Jessop: Monsieur MacKay, c'est précisément pourquoi nous réclamons une loi. Pour nous, qui sommes dans le métier depuis plusieurs années, le mot «consentement» est souvent facile à utiliser et difficile à prouver. Par exemple—et j'espère que je réponds bien à votre question—, nous avons tenté par le passé d'accélérer les choses, sans succès. Nous entendons encore des agents de police affirmer «Pourquoi nous faut-il un mandat si nous pouvons obtenir le consentement de l'intéressé?»
Pour répondre à votre question, je dirais que les avocats ont pu s'acheter des Mercedez en pérorant au sujet du consentement éclairé. Le consentement éclairé, c'est exactement cela. Est-ce que la personne à qui vous demandez ce consentement, ce que vous écrivez dans votre carnet de notes et ce que vous lui faites signer, est-ce que cette personne était suffisamment consciente des conséquences de tout cela? M. Tweedy et moi-même, comme bien d'autres, avons passé des heures à la barre des témoins pour justifier cela.
C'est précisément pourquoi nous vous demandons de consacrer ce principe dans la loi. Si vous nous donnez l'autorité légale de procéder ainsi et si nous respectons soigneusement le pouvoir qui nous est accordé et que nous ne dépassons pas les limites de ce pouvoir, alors nous éliminons toute cette question du consentement.
M. Scott Newark: J'aimerais répondre à votre question au sujet du renvoi.
Je préfère parler de colère liée à la Charte. Je n'ai jamais entendu l'expression «phobie de la Charte» auparavant, mais je crois qu'elle désigne un sentiment à peu près identique. Nous en avons discuté dans le cadre du projet de loi C-16 et relativement à la notion de la réalité du tribunal, en effet, compte tenu de l'importance du tribunal maintenant que la Charte des droits s'insinue de plus en plus dans le domaine législatif.
• 1040
Dans mes rapports avec le ministère de la Justice—et je
travaille énormément en collaboration avec le ministère de la
Justice—je me heurte souvent à cette espèce de fantôme, quelque
chose qui sortirait tout droit d'un des premiers épisodes de la
Guerre des étoiles, quelque chose de ce genre. Vous savez que c'est
là et on vous le rappelle chaque fois qu'on s'inquiète du respect
de la Charte.
C'est la raison pour laquelle nous avons proposé au tout début de demander au ministre de révéler l'existence de toute opinion juridique démontrant que ce projet était contestable en vertu de la Charte. Je ne sais pas si les fonctionnaires du ministère vous ont déjà fourni une telle opinion, mais nous sommes allés de l'avant et nous en avons obtenu une, parce que cela a plus de poids que mon seul témoignage ici.
Je vous demande de bien nous comprendre; je crois que vous devriez adopter sans hésitation cet amendement. En effet, lorsqu'il s'agit d'un obstacle illusoire de ce genre, un problème lié à la Charte par exemple, il nous a semblé qu'il valait mieux en discuter ouvertement et déclarer, très bien, tournons-nous vers la plus haute instance, c'est-à-dire la Cour suprême du Canada. Je ne crois pas que ce soit vraiment nécessaire, et vous avez tout à fait raison; pratiquement tout ce qui est efficace en matière d'exécution de la loi aujourd'hui peut être contesté en vertu de la Charte. Nous devons nous y faire et prendre les mesures nécessaires, mais ne pas craindre de telles contestations.
M. Peter MacKay: Pour ce qui est de la capacité des policiers d'utiliser cette technologie, en combien de temps pourrait-on mettre sur pied la base de données?
Je mets en outre en doute le recours à la preuve par l'ADN à l'échelle nationale, parce que je sais qu'il y a parfois des problèmes d'échange d'information à l'heure actuelle lorsqu'il s'agit d'empreintes digitales ou d'information du CIPC. Même dans le système actuel, cette information n'est pas toujours mise à la disposition des policiers partout au pays.
M. Neal Jessop: Je ne sais pas si je peux mieux répondre à cette question que mes collègues ici présents.
Le noeud du problème, pour répondre à votre première question, c'est qu'il faut bien commencer. Il s'agit d'une vaste entreprise. Des milliers d'empreintes digitales sont relevées chaque jour dans notre pays, et des milliers de noms s'ajoutent tous les jours à la base de données des empreintes digitales.
Nous croyons, d'après notre expérience, que la GRC fait un travail plutôt satisfaisant pour ce qui est de produire et de protéger cette information. Dans le cadre de nos activités quotidiennes, les banques de données nous donnent des résultats corrects.
Pour l'essentiel, je crois que le vrai problème du système d'information de la police canadienne est lié aux personnes. Par exemple, on n'entre pas suffisamment d'infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité dans les dossiers personnels à l'échelle nationale. C'est très dangereux, parce que certaines des infractions mineures qui révéleraient une tendance à la criminalité plus grave sont punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité; par conséquent, nous n'avons pas une aussi bonne idée de la situation que nous le devrions.
Cela, en particulier, est un problème de ressources, et c'est un problème qu'on n'a pas tenté de corriger. J'ai vu ce que cela donnait de ne pas bien faire ce travail, dans des villes comme Détroit, où le service policier possède le même jeu d'empreintes digitales sous deux noms différents, et personne ne s'en est jamais aperçu.
Lorsqu'on arrive à ce genre de situation, où on ne fournit pas les ressources nécessaires, on peut nuire très gravement à l'enquête.
M. Scott Newark: J'aimerais ajouter quelque chose.
J'ai participé à une consultation auprès du ministère du Solliciteur général au sujet des services policiers nationaux, c'est pour ainsi dire l'organisation administrée par la Gendarmerie royale du Canada et qui fournit entre autres des services d'information criminelle, l'identité judiciaire. C'est là que la base de données sur l'ADN fonctionnera un jour, quelle que soit sa structure.
Il faut procéder à une vaste réorganisation. C'est une question qui, à mon avis, finira par vous être soumise, sous une forme ou sous une autre. Il faut moderniser. Il faut injecter un peu d'argent.
À mon avis, ce qu'il faut retenir du rapport du juge Campbell, c'est qu'un danger se présente dans le domaine de l'exécution de la loi lorsqu'il y a fragmentation et que les compétences se multiplient. C'est ainsi que les mailles du filet s'élargissent.
L'une des affaires mentionnées ici est l'affaire Bernardo. Je vais vous donner un autre exemple, pour lequel Neal a apporté une découpure de presse, qui montre pourquoi il est important de prélever les échantillons au moment de l'arrestation. Nous vivons dans un grand pays; nos budgets sont limités et nous devons arrêter les personnes pour lesquelles un mandat a été délivré. En Colombie-Britannique, le problème revêt une autre dimension. Pour une raison quelconque, les fugitifs au Canada ont tendance à se diriger vers la Colombie-Britannique.
• 1045
Je vais vous donner un exemple concret, si vous me le
permettez, car je pense qu'il illustre bien mon idée. Disons que
quelqu'un est arrêté à Ottawa, à la suite d'une introduction par
effraction. Les autorités ne le savent pas, mais cette personne est
aussi—et comme vous l'avez entendu, c'est une possibilité très
réelle—responsable de deux viols pour lesquels la police possède
des éléments de preuve. Dans le cas de notre système, cette
personne sera certainement libérée sous caution.
En vertu du projet de loi actuel, si cette personne comparaît devant un tribunal, elle sera libérée sous caution, nous ne prélèverons pas d'ADN, nous ne savons rien, sauf que cette personne est accusée d'introduction par effraction. Cette personne, elle, sait bien que si elle se présente à nouveau devant le tribunal, elle sera fort probablement condamnée et qu'elle devra alors accepter un prélèvement d'ADN, ce qui entraînera sa mise en accusation dans deux affaires de viol.
La dernière fois que j'ai vérifié les statistiques, et cela fait un certain temps, environ 60 000 personnes par année étaient déclarées coupables de défaut de comparaître. C'est une infraction criminelle. Je suis certain, monsieur MacKay, vous le savez comme tous ceux qui ont exercé le droit criminel, que c'est l'une des infractions les plus fréquentes chez les récidivistes. Nous ne parlons que des condamnations. Et les chiffres sont déjà à ce niveau!
Notre accusé, donc, décide de ne pas se présenter devant le tribunal parce qu'il sait ce qui va lui arriver, et il s'enfuit en Colombie-Britannique. Disons qu'environ un mois plus tard il est interpellé par des policiers en Colombie-Britannique. Ces policiers interrogent le système et découvrent qu'il existe déjà un mandat contre lui à Ottawa, pour défaut de comparaître suite à une accusation d'introduction par effraction. Ils nous appellent et nous demandent si nous voulons récupérer cette personne. Dans 99,9 p. 100 des cas, la réponse sera non, c'est trop coûteux.
Nous parlons de mandat non exécutable. Le procureur général de la Colombie-Britannique, M. Desongs, et la Fédération canadienne des municipalités dénoncent cette situation depuis quelques temps déjà, ils s'élèvent contre ses répercussions concrète et les torts qu'elle entraîne en particulier dans les régions où les fugitifs cherchent refuge. Avec l'ADN, dans des situations semblables, c'est ainsi que cela va se passer.
Voilà donc une autre raison pour faire les prélèvements au moment de l'arrestation et ce que je vous propose, en ce qui concerne tout ce domaine des bases de données sur l'ADN, c'est d'instaurer un système national, adéquatement financé par le gouvernement fédéral et non pas délégué aux provinces. Il faudra peut-être établir certaines priorités sur la façon dont les fonds seront utilisés, mais là encore rien n'est aussi rentable que le sentiment de sécurité de la population et le fait de disculper des innocents.
La présidente: Une dernière question, monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Ma question constitue peut-être une solution à ce problème. J'aimerais vous la soumettre. Faites-en une condition de libération, alors on se situerait à mi-chemin entre... Je sais que dans un monde idéal vous aimeriez que cela se fasse au moment de l'arrestation, mais dans le cas des infractions désignées, cela pourrait constituer une condition de libération lors d'une enquête sur le cautionnement menée en vertu de l'article 515. On pourrait dire voilà, on vous accuse de ce crime, vous ne sortez pas d'ici tant que vous n'aurez pas donné un échantillon d'ADN. C'est une solution médiane.
Qu'en pensez-vous?
M. Scott Newark: C'est curieux, j'y avais moi-même songé et j'en ai fait mention. De toute évidence, nous considérons qu'il vaudrait mieux faire le prélèvement au moment de l'arrestation, et si la Constitution le permet, c'est ce que nous devrions faire.
Cela dit, j'ai également envisagé le prélèvement autorisé dans le contexte des conditions de libération—, par exemple, dans les cas de libération conditionnelle. À l'heure actuelle, nous autorisons les responsables des libérations conditionnelles à dire à quelqu'un: Vous devez fournir un échantillon d'urine toutes les deux semaines pour des tests d'urine, et c'est une mesure qui a été adoptée par le Parlement et autorisée par les tribunaux. On permet aussi de demander à quelqu'un de souffler dans l'ivressomètre pour la mise en liberté sous condition. De quelle façon pourrais-je mieux manifester que j'ai l'intention de rester dans le droit chemin, que j'ai eu ma leçon, que j'ai renoncé au crime?
En bref, on améliorerait ainsi dans une large mesure le projet de loi actuel, mais rien ne justifie de ne pas prélever d'échantillon au moment de l'arrestation.
M. Peter MacKay: Mais votre première recommandation est que le projet de loi reflète la Loi sur l'identification des criminels?
M. Scott Newark: En effet.
M. Peter MacKay: J'aimerais aussi vous demander une précision. Est-ce que l'Association des policiers affirme que les échantillons d'ADN devraient être prélevés sur toutes les personnes actuellement détenues, ou seulement sur les personnes accusées d'infractions désignées.
M. Scott Newark: Notre recommandation vise tous les détenus des pénitenciers fédéraux, mais je crois quand même comprendre les raisons qui vous poussent à vous en tenir aux personnes accusées d'infractions désignées. Mais tout vaut mieux que les 125 délinquants dangereux et les auteurs de plusieurs viols.
La présidente: Merci.
M. Neal Jessop: J'aimerais ajouter quelque chose à votre suggestion. Si jamais on l'envisageait, et je ne prétends pas qu'il faudrait le faire parce que ce n'est pas ce que nous souhaitons, il ne faut pas oublier que vous devez encore adopter une loi pour ce faire. Vous ne pouvez laisser la Couronne et les avocats de la défense négocier ce genre de choses et, dans la plupart des cas, les juges de paix ne savent pas bien ce dont ils ont besoin dans ce domaine.
M. Scott Newark: En plus, dans l'arrêt Stillman, le juge affirme que les choses seraient inconstitutionnelles; c'est ce que je comprends de l'arrêt Stillman. On y voit bien qu'à moins d'y être habilité par la loi, on s'expose à ce que la décision soit cassée.
La présidente: Merci, monsieur MacKay.
M. Ramsay a une brève question à poser, puis je donnerai la parole à M. Discepola, qui a été bien patient.
M. Jack Ramsay: Dans votre mémoire, vous recommandez que la section 487.04 qui est proposée soit éliminée, qu'elle disparaisse. C'est l'article qui porte sur une personne pouvant interjeter appel pour s'opposer au prélèvement d'un échantillon d'ADN. Outre cela, nous constatons que le nombre des appels augmente partout. Dans la LJC modifiée, l'inversion du fardeau de la preuve équivaut à une nouvelle forme d'appel. La clause du dernier espoir représente un type similaire de processus d'appel. Ce matin encore, j'ai appris qu'une affaire d'agression sexuelle avait été rejetée en Colombie-Britannique à la suite de la décision Askov, parce qu'il y avait eu un délai indu.
Sur quelle base vous fondez-vous pour recommander l'élimination de cette mesure? Est-ce simplement parce qu'elle est redondante ou parce qu'elle va créer encore des retards, ou les deux.
M. Scott Newark: Les deux, et quelques autres facteurs aussi. Nous nous fondons sur la notion que, d'après nous, il conviendrait d'aborder ces mesures comme la prise des empreintes digitales, et nous n'autorisons pas les appels dans le cas des empreintes digitales.
Cela reflète aussi, cependant, le sentiment qui envahit notre droit depuis cinq, six ou dix ans, une dizaine d'années environ—et je dirais la même chose au sujet des exemptions relatives au prélèvement obligatoire dans le cas des infractions primaires et secondaires—, qu'en quelque sorte il vaudrait mieux laisser intervenir des personnes plus spécialisées, plus compétentes, pour prendre des décisions de ce genre, les tribunaux, les juges—une élite plus avertie dans ce domaine.
Vous savez, il y a des milliers et des milliers de juges. Vous n'êtes que 301. Les juges sont simplement nommés. Vous êtes élus. Vous êtes la voix de la sagesse des habitants du pays, qui s'expriment par scrutin.
À mon humble avis, c'est à vous qu'il incombe de décider, au nom du peuple, si la mesure est ce que souhaitent les Canadiens. Si vous croyez que dans le cas d'une personne accusée ou condamnée pour ce genre d'infraction cette information devrait être obtenue, alors les tribunaux ne pourraient pas affirmer qu'ils ne sont pas d'accord ou que le processus devrait comprendre la possibilité d'un appel. En outre, sur le plan administratif, cela sera un véritable cauchemar.
Permettez-moi de conclure sur ce sujet en disant que nous avons proposé au ministre—et cela ne devrait pas être difficile, peut-être que même M. Discepola est conscient... Prenons les exemptions prévues dans le projet de loi, au paragraphe 47.05(1), qui donnent aux tribunaux une certaine latitude... J'y ai réfléchi pendant des heures. Je ne peux pas songer à une situation concrète qui justifierait de ne pas imposer cette exigence à une personne accusée de ces infractions désignées primaires ou même secondaires. J'ai vraiment très peur que l'on ait rédigé quelque chose, avec de bonnes intentions, sans que personne ne sache avec certitude ce que signifie véritablement le texte. À en juger par l'expérience, il faut croire que les tribunaux trouveront des raisons. Si vous n'avez pas l'intention d'adopter cette mesure, ne l'inscrivez pas dans la loi. Enlevez-là.
La présidente: Monsieur Discepola.
M. Nick Discepola: Que ferez-vous des échantillons si vous pouvez les prélever au moment de l'arrestation? Quelles sont vos recommandations?
Agent William Donnelly: Je suis probablement le seul ici qui utilise quotidiennement la Loi sur l'identification des criminels, nous en ferons ce que ce que nous faisons actuellement des empreintes digitales. Quand quelqu'un se présente, au moment de l'arrestation...
M. Nick Discepola: Vous les gardez?
Agent William Donnelly: Nous gardons un jeu d'empreintes digitales au dossier, simplement parce que nous sommes en mesure de le faire. Parce que nous sommes incapables d'analyser ou d'établir un profil d'ADN fondé sur un spécimen biologique, nous enverrions l'échantillon à un centre qui nous fournirait essentiellement un rapport, un profil, fondé sur cet échantillon.
M. Nick Discepola: Combien de temps le garderiez-vous?
Agent William Donnelly: Nous le transmettrions immédiatement, tel quel...
M. Nick Discepola: Pendant combien de temps conserveriez-vous l'échantillon?
Agent William Donnelly: Aussi longtemps qu'il faut pour le conditionner et le laisser sécher à l'air. On le garderait pendant 24 heures pour le sécher...
M. Nick Discepola: Je vais être plus précis. Est-ce que vous le jetez au moment de la disculpation ou voulez-vous quand même le garder?
M. Scott Newark: Oh non, nous allons le détruire.
Agent William Donnelly: Oui, le détruire.
M. Scott Newark: De fait, pour vous répondre de façon plus générale, nous allons le garder aussi longtemps que vous nous direz de le garder.
M. Nick Discepola: Alors, quand la personne est innocentée, vous détruisez le profil...
M. Scott Newark: Oui.
M. Nick Discepola: ... et l'échantillon?
M. Scott Newark: Oui.
Agent William Donnelly: Tout comme dans le cas des empreintes digitales.
M. Nick Discepola: Alors, j'ai de la difficulté à accepter certains des exemples que vous avez donnés au sujet des empreintes digitales. Vingt ans après le fait, quelqu'un a commis les infractions B et E, et aujourd'hui la seule façon dont vous seriez capable de rapprocher les deux crimes serait d'avoir les empreintes digitales au dossier. Si vous prélevez les échantillons au moment de l'arrestation mais que vous les détruisez à la suite d'un acquittement, cela ne vous aidera pas à régler les cas hypothétiques que vous nous avez présentés.
Agent William Donnelly: Si la preuve de l'innocence est faite. Mais dans le cas des empreintes digitales, si un suspect est arrêté à la suite d'une introduction par effraction et qu'il y a...
M. Nick Discepola: Eh bien, si les échantillons sont prélevés au moment de la condamnation, vous les aurez dans la base de données de toute façon, alors je ne comprends pas.
M. Scott Newark: Pas en vertu du projet de loi.
La présidente: Nick, laissez les témoins terminer. Je sais que la tension monte, mais laissez-les terminer leur réponse.
Bill, est-ce que vous aviez quelque chose à ajouter?
M. Nick Discepola: Très bien, vous allez m'interrompre dans deux minutes.
La présidente: Non, je ne vais pas vous interrompre.
Agent William Donnelly: Dans le cas des empreintes digitales, nous utilisons la formule «accessoirement à une arrestation», ce qui n'est pas du tout à fait exact. Nous les prélevons concrètement après le dépôt des accusations. Il faut plus de certitude pour déposer des accusations que pour effectuer une arrestation. L'accusation et l'information doivent être présentées sous serment, un juge de paix examine l'information indépendamment des policiers et convient que cette information justifie le dépôt d'accusations, puis les suspects sont formellement accusés. C'est alors seulement que l'on peut prélever les empreintes digitales en vertu du Code criminel. C'est une décision qui a été prise par la Cour suprême.
Nous ne pouvons pas prélever d'échantillon simplement à la suite d'une arrestation, déclarer: «Nous aimerions avoir un échantillon de l'ADN de Paul Bernardo. Nous allons donc l'arrêter même en l'absence de preuves. Nous allons l'arrêter, prélever des échantillons d'ADN, puis le libérer». Nous ne pouvons prélever d'échantillons que si nous disposons d'une information suffisante pour déposer une accusation, pour accuser la personne de cette infraction.
Une fois les échantillons prélevés, si l'accusé est reconnu coupable, les empreintes digitales sont versées au dossier. S'il y a eu une déclaration de culpabilité et que nous avons obtenu les empreintes digitales de façon licite, ces empreintes peuvent rester dans le dossier indéfiniment. Le délai que nous prévoyons est de 99 ans plus un jour à compter du moment de la déclaration de culpabilité. Après ce délai, le criminel n'est plus en état de nuire.
Des voix: Oh, oh!
Agent William Donnelly: Oui, nous péchons un peu par excès de prudence.
Si la personne est innocentée—si par exemple vous êtes accusé de conduite avec facultés affaiblies, vos empreintes digitales sont prises, mais si un non-lieu est rendu, si l'accusation est retirée—ces empreintes digitales sont éliminées du système. On les enlève.
M. Nick Discepola: Alors en quoi cela pourrait-il vous aider à résoudre un crime si vous n'avez pas l'échantillon d'ADN au moment de l'enquête? Je ne vois pas l'intérêt de le prélever au moment de l'arrestation.
Agent William Donnelly: Eh bien, avant d'éliminer les empreintes digitales du système, nous les comparons avec tous les échantillons que nous avons dans le dossier des empreintes digitales latentes non identifiées. Les empreintes digitales ont déjà été comparées. Elles ont été présentées à la GRC, entrées dans la base de données nationale et comparées aux informations classées dans le dossier des empreintes digitales latentes non identifiées. Si vous vous présentez ensuite devant le tribunal, plusieurs mois plus tard, et que le juge rend un non-lieu, vos empreintes digitales sont effacées. Mais avant de comparaître, si vos empreintes digitales ont une correspondance dans le dossier des empreintes digitales latentes non identifiées, vous serez accusé d'une nouvelle infraction, fondée sur cette correspondance.
M. Nick Discepola: Vous avez donné l'exemple d'une affaire qui refait surface 20 ans plus tard. Parce que des empreintes digitales se trouvaient dans le dossier et que la technologie avait évolué, vous avez été en mesure de retracer un suspect. Dans le cas de l'ADN, selon ce que nous avons discuté ici, même si vous prélevez un échantillon au moment de l'arrestation, vous ne pourrez pas établir cette correspondance.
M. Scott Newark: Oui, nous le pourrons, monsieur.
M. Nick Discepola: Mais le profil que vous avez aura été détruit.
M. Scott Newark: Non, non, vous l'aurez, parce que l'ADN versé au dossier n'est pas l'échantillon d'un contrevenant, c'est un échantillon prélevé sur les lieux du crime. C'est un élément de preuve. Disons qu'il s'agit d'un meurtre avec violence sexuelle. On a retrouvé du sperme sur les lieux du crime. Nous le comparons avec l'échantillon prélevé sur les lieux du crime.
M. Nick Discepola: Grâce au répertoire des lieux de crime, vous pouvez maintenant conserver l'échantillon.
M. Scott Newark: C'est exact, mais il faut intervenir pour le comparer à quelque chose. C'est là tout son intérêt, la possibilité de le comparer, 20 ans plus tard, quand quelqu'un est arrêté à la suite d'une introduction par effraction, par exemple. Vous le faites au moment de l'arrestation, quand le suspect arrive dans le système, plutôt que par la suite, parce que cette personne sait qu'elle va être accusée d'un meurtre avec violence sexuelle commis il y a 20 ans, alors elle ne va pas accepter de revenir dans le système aujourd'hui pour être condamnée et donner des échantillons de matières biologiques. Elle ne reviendra pas. Nous allons la perdre.
M. Nick Discepola: Ce que nous essayons de faire, c'est de trouver un juste milieu. Si vous étiez certain que la loi modifiée en fonction de votre demande, qui est de faire le prélèvement au moment de l'arrestation, peut être contestée en vertu de la Charte, que choisiriez-vous? Voir abrogé entièrement le projet de loi ou l'accepter tel qu'il est?
M. Scott Newark: Des risques de contestation ou des risques d'annulation en vertu de la Charte?
M. Nick Discepola: Les tribunaux décideront certainement que la disposition est inconstitutionnelle.
M. Scott Newark: Eh bien, il est inutile d'adopter une loi qui sera jugée inconstitutionnelle. Et personne ici ne nous a d'ailleurs entendus réclamer que l'on invoque la clause dérogatoire.
M. Nick Discepola: Non, seul le Québec invoque cette clause.
M. Scott Newark: Très bien, nous ne l'avons pas recommandé. Si vous vous souvenez bien, au sujet du projet de loi Feeney, certains ont suggéré au Parlement d'invoquer la clause dérogatoire. Nous nous y sommes opposés. Ce que nous aimerions que vous fassiez, cependant, c'est de demander au ministère de la Justice de présenter la question aux tribunaux, que ses avocats aillent en cour et méritent leur salaire, pour dire que le projet de loi est constitutionnel, pour examiner les opinions, pour affirmer que c'est viable. Il y a aussi l'article 1 de la Charte, et c'est un élément aussi important et valable de ce document. Il faut au moins essayer.
Nous sommes confiants, nous croyons que nous allons gagner.
M. Neal Jessop: Nous ne reprocherons jamais à quelqu'un d'avoir le courage de ses opinions. Ce à quoi nous nous opposons, c'est que des personnes qui n'ont aucune responsabilité au sein du système judiciaire affirment que, voilà, elles ont eu une inspiration du ciel et nous ne devrions vraiment pas faire ce qui s'impose.
• 1100
Nous accepterons la décision de la Cour suprême. Nous
acceptons depuis 120 ans ce que disent les juges de la Cour
suprême, et nous continuerons de le faire. En fait, nous sommes
même prêts à prendre l'initiative, à payer nous-mêmes, mais ce que
nous vous disons ici, c'est ceci: Ne partez pas d'une idée
préconçue pour faire d'abord ce qu'il ne faut pas faire.
M. Nick Discepola: Mais aucune banque de données sur l'ADN au monde n'aurait empêché un Paul Bernardo... et je ne sais pas pourquoi nous utilisons toujours cet exemple...
M. Scott Newark: En effet, vous avez raison.
M. Nick Discepola: ... parce que c'est du sensationnalisme. Vous ne devriez pas utiliser cet exemple.
M. Scott Newark: C'est vrai, et il y a des centaines d'autres cas. Vous avez raison au sujet de celui-là, parce que Bernardo n'avait jamais eu à répondre à des accusations antérieurement.
M. Nick Discepola: C'est exact. Et même dans ce cas particulier, si vous prenez l'ADN pour exemple, même vos statistiques montrent que seulement 20 p. 100 des contrevenants du SCC, et ils sont 23 000 au total, ont des antécédents judiciaires...
M. Scott Newark: Permettez-moi...
M. Nick Discepola: ... alors, même si vous aviez cette information dans une base de données, vous ne pourriez pas résoudre tout...
M. Scott Newark: Permettez-moi d'intervenir, 23 p. 100 des détenus ont des antécédents...
M. Nick Discepola: Vingt pour cent ont déjà purgé une peine fédérale. Ce sont vos propres statistiques.
M. Scott Newark: Non, si vous regardez bien, monsieur...
M. Neal Jessop: Une peine fédérale.
M. Scott Newark: Il faut commettre des crimes assez graves pour entrer dans un pénitencier fédéral dans notre pays...
M. Nick Discepola: Non, mais je...
M. Scott Newark: Quatre-vingt pour cent d'entre eux, monsieur, ont déjà fait de la prison. Je dis bien 80 p. 100.
M. Nick Discepola: Mais pour quels genres d'infractions?
M. Scott Newark: Aussi bien...
M. Nick Discepola: Mais s'il n'y avait pas de récidive, nous n'aurions pas besoin d'une base de données sur l'ADN.
M. Scott Newark: Même si les chiffres et les pourcentages sont exacts... et je crois que quelqu'un que j'ai recommandé au comité, l'inspecteur Gary Bass, a parlé d'environ 600 meurtres non éclaircis. Même si nous parlons de quelque 30 p. 100, cela correspond à 180 meurtres non éclaircis, uniquement en Colombie-Britannique. À notre avis, monsieur, il vaut la peine de bien faire ses devoirs pour parvenir à cette fin.
M. Nick Discepola: Mais ce que je dis c'est qu'il s'agit d'un outil très puissant pour éclaircir des affaires criminelles et qu'il ne faudrait pas le considérer comme un outil de prévention du crime.
Des voix: Oh, oh!
M. Scott Newark: Monsieur Discepola, mon expérience, et vous pouvez me croire—vous avez entendu une réponse plus ou moins collective ici—vient des salles d'audience. À mon avis, monsieur, l'un des plus grands facteurs de dissuasion pour les personnes qui sont le plus susceptibles de commettre des crimes graves est de savoir qu'elles seront prises. C'est le véritable facteur dissuasif, et cet outil particulier est sans doute, pour quelqu'un qui serait tenté par les pires crimes, la meilleure indication qu'il a de très fortes chances—en fait, des chances très supérieures—d'être pris. C'est cela, la prévention du crime!
M. Nick Discepola: Très bien.
La présidente: Merci, monsieur Discepola.
Monsieur DeVillers, je vous laisse le dernier mot.
M. Paul DeVillers (Simcoe Nord, Lib.): Merci, madame la présidente. Je n'ai qu'une petite question à poser au sujet de la raison d'être de l'amendement, faire le prélèvement au moment du dépôt des accusations, tout comme dans le cas des empreintes digitales actuellement.
À l'heure actuelle, si quelqu'un est accusé et que, en conséquence, on relève ses empreintes digitales mais qu'au bout du compte, après le procès, il est déclaré innocent, le système utilise ses empreintes digitales. Les empreintes sont versées dans le système et sont utilisées pour tenter de résoudre des crimes, etc. Si une personne est déclarée non coupable à son procès, les empreintes digitales sont détruites. Il y a donc une période pendant laquelle les empreintes digitales de l'innocent sont dans le système et sont utilisées.
C'est ce que vous demandez ici. Vous dites que c'est une violation justifiée—en théorie—des droits d'une personne dont l'innocence est finalement reconnue.
M. Scott Newark: Je vais vous répondre en deux étapes. C'est nous qui avons recommandé de mettre dans la loi qu'il faut détruire les échantillons. Et si quelqu'un est déclaré innocent de l'infraction dont il était accusé, il est évident que l'échantillon devrait être détruit.
Mais supposons... et je répète que nous parlons de sang ou de sperme dans un cas de meurtre ou de viol. Il faut alors utiliser le mot «innocent» avec un peu plus de soin, car on peut être innocent, apparemment, de cette infraction particulière. Mais dans le cas de l'autre infraction, nous avons des preuves qui indiquent que cette personne devrait répondre à une question du genre «Comment votre sperme a-t-il pu se trouver à cet endroit précis?»
Agent William Donnelly: Nous le voyons tous les jours. Vous auriez pu être interpellé par un policier en venant ici aujourd'hui, pour une infraction qui ne mérite même pas une contravention. Si, par hasard, vous n'aviez pas été en état de conduire, cet agent de police aurait pris votre permis et serait retourné à sa voiture, il aurait effectué une vérification, même si vous êtes peut-être innocent. Votre numéro de plaque est entré dans le CIPC pour vérifier s'il y a des mandats non exécutés ou quelque chose que nous ignorons. Nous le faisons tous les jours. Nous le faisons avec votre nom, avec vos empreintes digitales, et nous pouvons le faire avec l'ADN.
Mais si vous êtes par la suite exonéré, que l'on effectue des vérifications sur vous et que ces vérifications ne donnent aucun résultat, tout rentre dans l'ordre. Il ne se passe rien parce que l'on a fait ces vérifications. Mais cela nous donne un bon moyen de prendre les personnes qui, autrement, échapperaient au système.
La Cour suprême du Canada en a convenu. Elle a déclaré que les agents de police pouvaient arrêter les conducteurs de véhicules moteurs à seule fin de vérifier si le véhicule était assuré et si la personne était titulaire d'un permis de conduire valide—de façon arbitraire, pour aucune autre raison. Elle a essentiellement dit qu'il n'y avait rien de mal à simplement vérifier, et c'est tout ce que nous demandons de pouvoir faire, vérifier. Si rien n'est retenu contre vous, on élimine l'information. Si l'on trouve une correspondance, c'est une autre affaire.
La présidente: Merci, monsieur DeVillers.
Messieurs, merci beaucoup. Je suis particulièrement heureuse que l'agent Donnelly soit ici aujourd'hui. Merci.
Agent William Donnelly: Merci.
M. Neal Jessop: Merci.
La présidente: Nous allons suspendre la séance en attendant que notre prochain témoin s'avance.
La présidente: La séance est ouverte. S'il vous plaît, reprenons nos travaux.
Nous accueillons maintenant Mme Marie-Hélène Parizeau, de l'Université Laval. Je vous souhaite la bienvenue, madame Parizeau. Je crois savoir que vous avez un mémoire à nous présenter, puis nous passerons aux questions.
[Français]
Mme Marie-Hélène Parizeau (professeure, Université Laval): Permettez-moi de me présenter rapidement. Je suis professeure de philosophie et j'enseigne l'éthique médicale et la bioéthique. Je regrette un peu que la philosophie attire moins les foules que les policiers. C'est dommage.
Enfin, mon propos est assez simple. Il va simplement et essentiellement porter sur les valeurs qui sont sous-jacentes au projet de loi. Comme philosophe, je vais faire simplement une analyse éthique de la finalité et des moyens qui sont utilisés dans ce projet de loi. Ce n'est donc ni une analyse juridique ni une analyse politique que je vais faire ici.
Sur un plan pratique, il y a différentes façons de faire une analyse éthique. Ici, j'ai privilégié l'approche utilitariste. Pourquoi? Parce qu'elle oblige à penser en termes de conséquences à long terme ou à court terme. Donc, elle est plus proche du calcul de nos intérêts. C'est-à-dire que dans la vie courante, nous nous interrogeons toujours: Que dois-je faire? Est-ce que c'est bien?
• 1115
Dans le fond, on se pose des questions sur les avantages et les
inconvénients de telle ou telle action sur le plan
individuel ou collectif. C'est dans cette
perspective-là que je vais analyser le projet de loi.
Dans une approche utilitariste, qu'est-ce qu'on fait? On essaie de balancer les avantages et les inconvénients. On fait une sorte de calcul plus ou moins semblable à ce que j'ai entendu tout à l'heure. Dans le fond, les questions qui étaient posées revenaient à dire: quels sont les avantages, les inconvénients et les conséquences à long et à court termes. Je vais essayer de prendre un peu de recul par rapport à ces choses-là et de parler plus généralement de ce qui est en jeu, c'est-à-dire des valeurs sous-jacentes.
Pour qu'une loi soit bonne, elle doit être efficace, répondre à un but précis et pouvoir être appliquée de façon simple. Ce sont des critères qu'on a peut-être tendance à oublier.
Au plan moral, une bonne loi doit être juste; c'est-à-dire qu'elle doit s'appliquer à tous les citoyens de la même façon, sans créer de discrimination qui ne soit justifiée. On peut décider de protéger un groupe de personnes par rapport à certains éléments de vulnérabilité, par exemple.
Essayons de regarder un peu ce projet de loi du côté des avantages. Du côté des avantages, on peut voir assez clairement, et c'est explicité assez rapidement dans le projet de loi, qu'il s'agit d'utiliser de façon sélective une technologie fiable, un test génétique permettant seulement l'identification d'une personne grâce à son empreinte génétique, dans un contexte spécifique de criminalité. C'est un but qui est assez explicite, qui est positif.
Le deuxième but qu'on peut dégager, et qui est positif également, c'est que cette technologie permet l'identification rapide et sûre de personnes ayant commis un crime. Le projet de loi permet du même coup d'éliminer le doute par rapport à des personnes qui n'auraient pas commis ce crime.
Donc, le projet de loi est assez spécifique puisqu'il montre qu'il s'agit d'infractions graves, d'infractions primaires. Le bien ultime recherché, c'est la sécurité de la population. Lorsqu'on se place sur le plan des valeurs, le côté positif, c'est qu'on veut la sécurité de la population par rapport à des infractions primaires qui sont graves et, comme on l'a entendu tout à l'heure de façon assez explicite, par rapport à des crimes non résolus, etc.
Le deuxième but recherché par l'État est d'identifier des criminels qui portent atteinte, cette fois-ci, à la sécurité de l'État, comme en témoigne la référence à certaines infractions secondaires. Ce sont pour moi les deux visées, sur le plan des valeurs, de ce projet de loi.
En résumé, les avantages de l'utilisation de l'empreinte génétique sont la maximisation de la sécurité pour la population et pour l'État. L'analyse positive, c'est essentiellement la sécurité pour les individus, pour la population en général et pour l'État.
Maintenant, je vais m'arrêter brièvement à l'évaluation des inconvénients. Essentiellement, ils portent autour de la question de la protection de la vie privée. On peut voir assez rapidement que l'empreinte génétique est un outil de contrôle social très efficace qui permet d'identifier un criminel et de monter des fichiers informatisés centralisés, nationaux et internationaux, et qui donne donc une capacité de contrôle social extrêmement puissante. La loi donne un pouvoir large à l'État, au nom de la sécurité, au détriment de la protection de la vie privée.
Deuxième inconvénient: l'empreinte génétique n'est pas une technique neutre. Elle comporte, comme on l'a vu, des bénéfices et des inconvénients, des risques. Bien que cette technique soit vide de toute autre information génétique que celle qui donne la possibilité d'identifier une personne, la technique suppose un prélèvement de tissus. J'ai bien aimé les questions posées sur la différence qui peut exister entre la prise d'une empreinte digitale et le prélèvement d'un tissu.
Le tissu est une partie du corps; donc il y a une partie de la personne dans ce prélèvement. Si on peut avoir tendance à identifier une personne avec les parties de son corps, on ne peut pas, sur le plan des catégories, assimiler une empreinte digitale à l'utilisation ou au prélèvement d'un tissu du corps.
• 1120
Compte tenu du pouvoir discrétionnaire du commissaire
quant à l'utilisation de substances corporelles, les
risques d'extension ultérieure dans l'utilisation du
matériel génétique d'un individu sont présents,
quant à moi, si on analyse les autres développements
dans le domaine de la génétique.
Il s'agit simplement de penser à tous les tests de prédisposition à des maladies, les tests permettant d'identifier les maladies génétiques. Il y a un potentiel d'utilisation du matériel génétique tout à fait important. On pourrait même penser que la fiche génétique d'un criminel pourrait être l'extension possible de la présente loi. On peut penser aussi que certaines pratiques plus ou moins occultes pourraient être justifiées au nom de la sécurité de l'État.
Donc, j'attire ici votre attention sur les possibilités de dérive qui doivent être considérées, sachant que lorsqu'une technologie est disponible, elle sera utilisée le plus largement possible. Quand vous allez voir un chirurgien, il vous propose probablement une opération, car c'est son métier d'opérer. Donc, il est évident que quand on développe une technique, si on donne à quelqu'un l'autorisation de l'utiliser, cette personne-là va l'utiliser au maximum de ses possibilités. D'ailleurs, cela a été dit clairement: Donnez-nous des limites, et on obéira à ces limites-là. Mais, potentiellement, c'est une technologie qui peut être utilisée de façon beaucoup plus vaste.
Le troisième inconvénient est le suivant. Quand on lit la littérature américaine publiée depuis 1989 sur les empreintes génétiques, on voit qu'elle fait état de querelles juridiques interminables sur la fiabilité réelle, pratique, courante et pragmatique de l'utilisation de la technique d'empreintes génétiques. Parce que devenant un élément de preuve indiscutable, parce que prouvée scientifiquement, la seule porte de sortie pour y échapper est de remettre en question la fiabilité effective du test d'empreintes. Des querelles d'experts devant les tribunaux sont donc à prévoir ici. La littérature américaine et la jurisprudence font état de nombreuses querelles de ce genre-là.
Le quatrième point négatif—pour moi, c'est une question importante puisqu'il s'agit de justice distributive—porte sur l'efficacité financière de l'utilisation de l'empreinte génétique. C'est une question extrêmement pertinente. Un sain pragmatisme et une visée de justice obligent à s'interroger sur la proportionnalité des coûts en rapport avec la justice sociale. Je crois qu'ici le fardeau de la preuve est du côté de ceux qui proposent une nouvelle technique. C'est à eux de calculer les impacts financiers et sociaux de cette technique.
A-t-on étudié le coût financier de l'entreposage, de la gestion des fichiers, de la contestation du test devant les tribunaux avec l'allongement des procès, des honoraires des avocats, des spécialistes par rapport au nombre de cas où le test d'empreintes génétiques permettrait à lui seul de résoudre le mystère de l'identification d'un criminel? C'est la proportionnalité ici qui fait question, quant à moi. A-t-on évalué la priorité des coûts liés à l'utilisation de l'empreinte génétique en rapport avec d'autres priorités sociales, et en particulier avec la justice sociale? Donc, ce sont là mes questions en termes d'évaluation des inconvénients du projet.
En résumé, parce que je veux garder cet exposé extrêmement court pour laisser le temps pour des questions éventuelles, ce projet de loi sur les empreintes génétiques pose le problème moral du choix de valeurs entre la sécurité de la population et la sécurité de l'État, qui sont liées dans le projet, et la protection de la vie privée des individus et donc des citoyens en général.
Pour moi, ce dilemme pose le problème du syndrome sécuritaire qui hante les gouvernements nord-américains et européens, où on entend parler des frontières ouvertes, de la peur de l'immigration clandestine, de la peur du terrorisme international ou nationaliste. Le syndrome sécuritaire amène l'État à prendre des mesures de contrôle de plus en plus poussées contre les contrevenants.
C'est ce que j'appelle le syndrome sécuritaire actuellement, et je crois qu'en utilisant une technologie comme l'identification génétique, on offre une espèce de fausse sécurité qui serait due à la certitude scientifique. Or, en pratique, les problèmes seront évidemment plus nombreux qu'on le pense.
Ma question est la suivante: est-ce que le gouvernement canadien voudrait ici renouer avec un passé pas si lointain, où l'État et la génétique étaient conjugués avec discrimination et eugénisme? C'est un point d'interrogation.
De qui avons-nous peur? Pour moi, il est important d'affirmer que l'État a le droit et le devoir de punir ceux qui tuent ou violent. Cependant, cette finalité de justice n'autorise pas, au plan moral, tous les moyens. Il y a donc pour moi une question de proportionnalité entre les moyens et la justice sociale, dont la priorisation de l'allocation des ressources en matière de justice.
Je vous remercie.
[Traduction]
La présidente: Merci, madame Parizeau.
Que ceux qui veulent poser des questions se manifestent, je vous prie.
Je vais d'abord donner la parole à monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Merci, madame la présidente.
Je vous remercie de votre exposé, madame. Dans votre dernière affirmation—j'ai écouté la traduction—vous mettez en doute le droit de l'État à intervenir au nom d'une victime de violence?
Mme Marie-Hélène Parizeau: Non, pas du tout. J'ai dit qu'il était légitime que l'État intervienne. L'État a le devoir d'intervenir.
M. Peter MacKay: Mais dans quelle mesure?
Mme Marie-Hélène Parizeau: Il faut parler aussi bien de mesure que de professionnalité des moyens. Je crois que certains problèmes se posent ici quant à la professionnalité des moyens, et en particulier de la question de la distribution de la justice. Voulons-nous vraiment consacrer tout cet argent...?
Rien ne preuve à ma satisfaction que cette technologie facilitera sans l'ombre d'un doute, efficacement, avec certitude, l'identification des meurtriers et autres criminels. J'ai de la difficulté à l'accepter. À mon avis, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de celui qui propose la technologie.
M. Peter MacKay: C'est-à-dire l'État, en l'occurrence.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Eh bien, c'est cela. D'après ce que je viens d'entendre, ce sont plutôt les corps policiers qui veulent utiliser cet outil. Il s'agit, je crois, de déterminer si l'État veut utiliser cet outil et dans quelle mesure, et s'il y a véritablement une priorité en matière de justice et d'efficacité.
M. Peter MacKay: Mais je pars sans doute de l'hypothèse que l'outil combattra efficacement, en particulier—entre autres choses, mais en particulier—les crimes accompagnés de violence, notamment le viol et l'homicide. Quel autre but pourrions-nous rechercher dans le cadre d'un système pénal si ce n'est de protéger les citoyens contre ce type de crime?
Mme Marie-Hélène Parizeau: La difficulté vient de l'équilibre entre la protection de la société et des personnes en général. Il demeure que ce projet de loi introduit un outil qui pourrait avoir de lourdes conséquences sur l'efficacité des mesures de protection de la vie privée. Si vous ouvrez la porte à une technologie, en particulier une technologie qui repose sur la génétique, il devient facile d'élargir de plus en plus le champ d'application et d'élaborer d'autres outils auxquels nous ne songeons même pas encore.
M. Peter MacKay: Est-ce que votre inquiétude porte sur la précision de la science elle-même ou est-elle plutôt d'ordre philosophique—c'est-à-dire, est-ce que le droit de la personne se trouve assujetti, dans ce cas, au droit de l'État.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Je crois que c'est un peu des deux. En principe, j'éprouve une certaine réticence à l'idée d'utiliser cette technologie, surtout si je pense à la protection de la vie privée. Sur le plan pratique, si vous lisez ce qui s'écrit aux États-Unis au sujet des échantillons d'ADN et que vous suivez les affaires en instance, eh bien, vous n'êtes pas tellement convaincu que ce soit efficace.
M. Peter MacKay: Mais vous êtes certainement d'accord, cet outil, ce type de preuve, est un élément du casse-tête. Ce n'est pas une solution en soi. Ces techniques sont efficaces pour démontrer qu'une personne se trouvait sur les lieux d'un crime, pour prouver que cette personne était là. Cela lève un doute et, à mon avis, cela permettra très certainement de réduire le nombre d'affaires renvoyées à procès. La preuve peut vous disculper aussi bien que vous incriminer.
Mme Marie-Hélène Parizeau: C'est une hypothèse.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Non, c'est une certitude.
M. Peter MacKay: Non, c'est une certitude. C'est blanc ou noir. Si vous avez confiance dans la science elle-même, si vous croyez que l'ADN est un indicateur précis et que cet ADN correspond à celui d'une personne, l'ADN vous permet d'établir sans l'ombre d'un doute la présence de cette personne. L'intéressé peut alors décider de lutter jusqu'au bout et de tenter d'expliquer pourquoi il était sur les lieux mais n'a pas commis le crime ou il peut affirmer de façon péremptoire qu'il s'agissait de quelqu'un d'autre, qu'il n'était pas là, que cela n'est pas son ADN.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Mais vous réduisez la preuve au simple fait de disposer ou non d'un échantillon. Je crois que ce type de réduction peut créer des problèmes, parce que d'une certaine façon cela nous donne l'impression que nous pouvons détenir une preuve absolue que vous étiez présent ou pas, que vous avez commis le crime ou non.
Je me demande si, concrètement, les choses sont aussi simples. Sur papier, dans le cadre d'une démonstration, comme nous l'avons vu, il semble n'y avoir aucun problème. Il semble que ce soit une preuve solide, mais en pratique je ne suis pas certaine que...
J'exerce dans les hôpitaux—ma spécialité est l'éthique hospitalière. Vous ne pouvez vous imaginer le genre de négligences qui se produisent, les éprouvettes interchangées, etc. Ce sont des erreurs humaines, je crois que nous devons en tenir compte—ce sont des policiers qui auront l'autorisation de prélever les échantillons. Ils feront de leur mieux, j'en suis certaine, mais le problème de l'erreur humaine, à mon avis, est toujours moindre si l'on conteste une technologie et, en pratique, le fait que vous pourriez devoir...
Je suis désolée, je vais poursuivre en français parce que j'ai trop de difficulté.
[Français]
M. Peter MacKay: Très bien.
Mme Marie-Hélène Parizeau: En pratique, si on minimise les impacts pratiques des erreurs humaines, eh bien, on risque de se retrouver dans des imbroglios à la fois juridiques et pratiques. Fondamentalement, sur le plan éthique, sur le plan de la protection des personnes, on inverse. Ce que je veux dire par là, c'est qu'on se donne, avec la technologie, l'impression d'une certitude.
[Traduction]
Nous avons un sentiment de certitude, mais concrètement, je crois que nous devons être conscients que les choses ne sont pas toujours aussi simples et évidentes. C'est un des aspects que je voulais souligner.
À mon avis, le problème se pose surtout au niveau des principes et il s'agit de déterminer, sur le plan judiciaire, si nous devons élaborer cette technologie et l'utiliser à cette fin. C'est ce que je voulais dire.
M. Peter MacKay: Finalement, est-ce que vous nous dites, alors, que vous êtes venue nous mettre en garde ou est-ce que vous vous opposez à ce projet de loi? Croyez-vous que nous devrions poursuivre sur cette voie de façon très méthodique et prudente?
Mme Marie-Hélène Parizeau: Personnellement, je ne suis pas très à l'aise face à ce projet de loi parce que, comme je l'ai dit, il accroît notablement les pouvoirs de l'État. On a l'impression qu'avec un outil très précis nous pourrions régler tous les problèmes.
M. Peter MacKay: De quelle façon établissez-vous la différence entre ce type de preuve et les empreintes digitales? Les empreintes digitales—eh bien, vous avez vu la démonstration. J'ai de la difficulté à admettre que la technique dont on nous a fait la démonstration soit beaucoup plus intrusive que le prélèvement des empreintes.
Mme Marie-Hélène Parizeau: À mon avis, c'est une question de nature. L'empreinte digitale est une marque individuelle, mais le problème des prélèvements du corps—le fait que vous utilisez une partie du corps et que vous pouvez obtenir beaucoup d'autres renseignements lorsque vous avez l'échantillon d'une partie du corps, cela signifie que vous pouvez utiliser cet échantillon à d'autres fins. Vous avez cette possibilité. Le problème, c'est qu'en matière de génétique, tout va si vite pour ce qui est d'identifier les prédispositions génétiques, etc., je me demande si nous ne serions pas tentés d'utiliser ces échantillons à d'autres fins, par exemple, pour la recherche médicale.
M. Peter MacKay: Mais vous supposez que l'on s'en servira à mauvais escient, n'est-ce pas? Si c'est là votre crainte, vous devez savoir que les usages détournés seront criminalisés.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Oui, bien sûr, mais la raison d'état peut toujours donner lieu à des exceptions. Comme je l'ai dit, le problème que me crée ce projet de loi sous sa forme actuelle, en particulier dans le cas des infractions secondaires, a trait à la sécurité d'État. Il donne à l'État des outils qui pourront être utilisés de façon très arbitraire. Je pense que le danger, dans ce cas, est que nous nous imaginions que ce pouvoir est limité, mais à en juger par les moyens de contrôle proposés, on ouvre la porte à d'autres usages à l'avenir.
M. Peter MacKay: Je vous rappelle la métaphore de la justice munie de sa balance; est-ce que la prévention du crime et la possibilité de demander des comptes pour le comportement criminel ne font pas contrepoids à l'éventualité d'un usage abusif? Nous sommes un peu orwelliens quand nous pensons que la technologie se perfectionnera au point de nous permettre de classer les criminels d'après leur ADN ou de nous servir à des fins de recherche. Je cherche un équilibre, c'est tout.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Le problème, en réalité, est que la technologie est de plus en plus interreliée. Nous avons de plus en plus de difficulté à imposer des limites à l'utilisation de la technologie, en particulier lorsque l'on parle de bases de données. Nous avons de plus en plus de difficulté à limiter l'utilisation des bases de données elles-mêmes. En raison de la grande puissance de cette technologie, je crois que nous devons être prudents lorsque nous accordons des pouvoirs à l'État.
Je parle en mon nom personnel, le problème, à mes yeux, se ramène au fardeau de la preuve. Je ne crois pas que l'équilibre entre la protection de la vie privée et la sécurité de l'État et de la population soit absolument évident dans ce cas. Je crois qu'il y a danger de mauvaise utilisation et que nous devons en être conscients, en particulier compte tenu des progrès de la génétique.
Je suis membre d'un comité de déontologie de la recherche. Il y a des travaux de recherche en médecine qui utilisent une énorme base de données d'échantillons provenant de personnes qui ne savent pas à quoi les échantillons servent. Nous avons beaucoup de difficultés à imposer des limites aux chercheurs. Je crois que le même problème se pose partout.
Lorsque vous avez une technologie, il est facile de l'utiliser. La difficulté vient de ce qu'il faut déterminer si cela est utile et positif et s'il y a un risque d'utilisation abusive. Je crois que nous devons être très prudents dans ce domaine.
La présidente: Merci.
M. Peter MacKay: Merci. Merci, madame la présidente. Je suis désolé d'avoir excédé le temps qui m'était alloué.
La présidente: Ne vous en faites pas. C'était fort intéressant.
Monsieur Maloney, puis monsieur Ramsay.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Vous avez exprimé des inquiétudes au sujet de la technologie et de sa précision. Un des aspects qui ressortent est la très grande précision de cette technologie. Il ne reste peut-être que l'erreur humaine, et cela peut se produire. Nous pouvons toujours faire de nouvelles vérifications. Si j'étais avocat de la défense et que j'avais l'impression que mon client était pris au piège, pour ainsi dire, est-ce que je ne demanderais pas un nouvel échantillon, une analyse indépendante, pour confirmer ou réfuter les résultats du premier, pour éliminer la possibilité d'une erreur humaine?
Mme Marie-Hélène Parizeau: Évidemment, vous pouvez toujours recourir encore plus à la technologie pour régler le problème, mais là encore, il s'agit d'une question de coût—la proportionnalité des moyens selon la fin que vous poursuivez. Je ne suis pas convaincue que la fin que nous poursuivons ici vaille vraiment les sacrifices qu'il faudrait consentir sur le plan de la protection de la vie privée.
Je me demande ce que penseraient les citoyens du pays si on leur demandait des échantillons de leurs matières biologiques, et n'aurions-nous pas l'impression de prélever une partie de leur identité profonde? À mon avis, le recours à ces technologies donne de plus en plus de connaissances au sujet des particuliers et expose de plus en plus leur vie privée aux yeux de l'État.
J'ai de la difficulté à accepter cette question de proportionnalité des moyens. Je me demande si c'est vraiment sur le plan de la justice distributive que nous voulons régler certaines affaires. Est-ce vraiment la façon appropriée, si l'on tient compte de la sécurité de l'État et des personnes et du respect de la vie privée? À mes yeux, c'est un dilemme moral.
Évidemment, nous pouvons toujours dire que l'on instaurera des mécanismes pour aider les gens en difficulté à cause d'un échantillon, ou quelque chose de ce genre. Mais réfléchissez un instant, si vous étiez dans cette situation, je ne crois pas que vous la trouveriez très agréable. Là encore, quelles fins poursuivons-nous, et utilisons-nous les moyens appropriés pour vraiment mieux identifier, avec certitude et sans recourir à d'autres outils, les criminels que nous recherchons?
M. John Maloney: Je suis bien conscient de votre dilemme pour ce qui est d'équilibrer le droit à la vie privée et les progrès d'une enquête pour résoudre un crime. C'est peut-être une question piège, mais si un membre de votre famille avait été victime d'un crime est-ce que vous verriez les choses différemment? Seriez-vous capable de passer du plan théorique au plan pratique, concret?
Mme Marie-Hélène Parizeau: Je crois que nous devons tous nous poser la question, personnellement. Il faut aussi se poser la question suivante: si j'étais témoin d'un crime ou si j'avais été dans un lieu où un crime a été commis quelques heures plus tard et qu'on y trouvait un ou deux de mes cheveux, mes empreintes génétiques seraient quelque part dans une base de données de la police. Je crois que nous devons déterminer dans quelle mesure nous faisons confiance à la justice et au corps policier, avec les outils dont ils disposent, pour remonter jusqu'à l'assassin ou jusqu'à l'auteur du viol, etc. Est-ce que cette technique sera, toutes proportions gardées, assez utile pour nous aider à trouver la solution? C'est ma question.
M. John Maloney: Par exemple, disons qu'un échantillon de vos cheveux est trouvé sur les lieux du crime. Ce n'est qu'un outil d'identification. Le fait que les policiers trouvent un échantillon de votre ADN sur les lieux du crime ne signifie pas automatiquement que vous êtes coupable.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Évidemment, mais cela me lie à un événement auquel je n'ai pas participé, par exemple. Il faut savoir si l'État et les policiers ont le droit de procéder à des vérifications de toutes les personnes qui se trouvaient dans un lieu public ou privé donné.
À mes yeux, c'est une question de proportionnalité. Est-ce que cela justifie l'argent que nous investissons dans cette technologie? Est-ce que cela nous sera assez utile pour retrouver un meurtrier ou l'auteur d'un viol?
M. John Maloney: Pour ce qui est des coûts, nous avons entendu précédemment un témoin qui, ces trois dernières années, a essayé de résoudre l'affaire Jessop. On a dépensé 2,2 millions de dollars, sans résultat.
Comparez à cela les coûts de mise sur pied de ce système et des diverses analyses qu'il faudra effectuer de temps à autre, ou ceux d'une autre initiative d'échec au crime, le régime de contrôle des armes à feu. Tout bien pesé, je me demande simplement comment les coûts sont répartis. À long terme, nous pourrions réaliser des économies grâce à ce projet de loi.
Mme Marie-Hélène Parizeau: À mes yeux, ce n'est pas tellement la question des coûts que les autres priorités de la justice sociale qui m'inquiètent. C'est un autre aspect. Il y a le coût de la technologie et le fait que nous investissons de l'argent dans cette technologie, alors que nous n'avons d'argent pour rien d'autre. À mes yeux, c'est un argument qu'il vaut la peine d'examiner.
La présidente: Merci, monsieur Maloney.
M. John Maloney: Merci, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Ramsay.
M. Jack Ramsay: Je tiens à vous remercier, madame Parizeau, de votre exposé et des préoccupations que vous avez exprimées.
Nous entendons des témoignages favorables et des témoignages défavorables dans ce dossier. Vous avez exprimé au moins deux préoccupations que j'aimerais reprendre.
La première porte sur la fiabilité de l'échantillon d'ADN prélevé sur les lieux du crime, est-ce qu'il prouve hors de tout doute la présence de quelqu'un. Il y a eu au moins deux affaires où l'ADN a permis d'exonérer quelqu'un d'un crime, en particulier l'affaire Guy Paul Morin, qui a été innocenté pratiquement uniquement à la suite d'un test d'ADN.
Dans le cas Milgaard, bien qu'il ait été libéré, on se pose encore de graves questions au sujet de sa culpabilité éventuelle. Aux yeux des procureurs et du gouvernement de la Saskatchewan, ces doutes ont été complètement effacés, c'est certain. Tous les soupçons ont été levés à la suite d'une analyse d'ADN. La précision de cet instrument est donc reconnue par l'État.
Vous voulez peut-être ajouter quelque chose à ce sujet, mais j'aimerais d'abord présenter l'autre point qui m'intéresse, et il s'agit du mauvais usage des échantillons. C'est un point important. Ce qui m'inquiète, dans ce cas, c'est que de tous les échantillons de matières biologiques humaines prélevés dans la société quotidiennement, celui-ci et le plus étroitement gardé par la loi pour ce qui est des utilisations non autorisées.
Chaque fois que nous passons un examen médical, nous donnons un échantillon de sang. Je ne sais pas ce que le docteur va en faire, je sais seulement que c'est de mon sang qu'il a prélevé et il me dit que je me porte bien. Je ne sais pas ce qu'il va faire de l'échantillon.
Pour quiconque a donné du sang à la Croix-Rouge, le même problème se pose. Nous ne savons pas quel usage on en fera. Nous ne savons même pas dans quelles conditions ce sang est gardé. Nous ignorons tout. Il n'y a pas de loi, à ma connaissance, qui garantisse ce genre de protection quand, comme nous en avons parlé auparavant ici, un échantillon de sang est prélevé sur des nouveau-nés. Qu'en fait-on? Est-il utilisé à mauvais escient?
• 1150
Si quelqu'un voulait un échantillon de votre ADN ou de l'ADN
de quelqu'un d'autres, un échantillon qu'il utiliserait de façon
clandestine, il lui suffirait de vous suivre pendant quelque temps
pour s'emparer d'un échantillon que vous pourriez jeter dans un
papier-mouchoir, par exemple. Avec tous les échantillons qui sont
disponibles, nous en sommes au point où je crois où nous allons
devoir nous inquiéter quand nous allons chez le coiffeur et que
nous y laissons quelques cheveux, parce qu'un jour quelqu'un
pourrait parvenir à établir notre profil génétique grâce à un bout
de cheveu, même sans racine.
Si nous craignons les usages non autorisés, je crois que le projet de loi nous donne les meilleures garanties possibles en ce qui concerne les échantillons qui seront prélevés, compte tenu de la foule d'échantillons que les Canadiens donnent chaque jour dans tout le pays.
Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter à cela?
Mme Marie-Hélène Parizeau: J'aimerais faire un commentaire. Je crois que nous devons établir une distinction entre l'utilisation d'échantillons de matières biologiques humaines dans le domaine médical, le principe sous-jacent étant que c'est pour votre bien, pour un traitement ou quelque chose d'autres. Ici, le but de l'échantillon a trait à la sécurité, la sécurité des personnes ou de l'État. Je crois donc que la finalité est fort différente.
Nous devons être plus prudents, et là encore, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de ceux qui proposent une telle loi, une loi qui autorise l'État à utiliser une partie de votre corps pour fabriquer une preuve de votre identité au moyen de tests génétiques. À mes yeux, cela touche aux droits de la personne et au droit qu'a l'État d'intervenir dans la vie privée des particuliers.
Je suis d'accord avec vous, le projet de loi prévoit un grand nombre de mesures de précaution pour définir véritablement et très précisément les utilisations que l'on peut faire des échantillons. Si nous vivions dans un monde parfait, je dirais que c'est merveilleux. La difficulté vient de ce que, concrètement, je ne suis pas entièrement convaincue qu'on ne fera pas un mauvais usage de ces échantillons, qu'il n'y aura pas d'erreurs humaines, etc.; et cela alimentera le débat devant les tribunaux, le recours à des experts, les péroraisons des avocats, etc.
M. Jack Ramsay: Revenons au domaine précis de l'utilisation abusive, je ne vois pas quelles conséquences entraînent l'utilisation non autorisée de tous les autres échantillons de matières biologiques humaines prélevés de la façon que j'ai décrite dans mon introduction. Il y a peut-être des conséquences, mais je ne les vois pas.
Au cours de ma vie, je n'ai jamais jugé devoir m'inquiéter de ce que le médecin allait faire du sang qu'il prélevait pendant mon examen annuel. Je n'ai éprouvé aucune inquiétude à la naissance de mes quatre enfants, lorsqu'on a prélevé des échantillons de sang; je ne me suis pas demandé ce qu'on allait en faire et quelles précautions étaient prises, parce que je n'avais pas de raison de m'inquiéter. Si on s'inquiète des utilisations non autorisées, alors cette inquiétude devrait se présenter aussi dans tous les autres secteurs où des échantillons de matières biologiques humaines sont prélevés.
Revenons à notre discussion, oui, le projet de loi va autoriser la constitution de bases de données—le projet de loi C-101 autorisait le prélèvement—et peut-être que la pratique du prélèvement d'échantillons se répandra. Mais avec tous les programmes que notre société supporte, quelles qu'en soient les raisons, que ce soit pour des questions de santé ou de sécurité, les échantillons sont là. La question demeure l'utilisation abusive.
• 1155
De tous ces programmes où l'on prend des échantillons, celui-ci est le
plus strictement gardé pour ce qui est d'empêcher les
utilisations indues des échantillons, parce que s'il y a
utilisation indue, il y a sanction. Il y a une peine prévue en cas
d'utilisation non autorisée.
Là encore, je ne vois pas pourquoi vous vous inquiétez d'échantillons utilisés autrement que ce que prescrit la loi. Si tel est le cas, si quelqu'un a intérêt dans notre pays à agir ainsi, il a accès à tous ces autres secteurs, y compris la collecte clandestine d'échantillons d'ADN, votre ADN, le mien, que nous semons un peu partout en vaquant à nos activités quotidiennes.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Je suis d'accord avec vous, le projet de loi a été rédigé de façon à protéger le plus possible la vie privée des particuliers. Lorsque nous parlons d'utilisation indue, je crois que j'adopte une perspective un peu plus lointaine, les conséquences à long terme.
J'ai l'impression que si nous autorisons cette technologie, alors il sera très facile, en matière de santé publique, de décréter qu'il faut prélever un échantillon de sang sur tous les bébés, par exemple pour le dépistage de différentes maladies génétiques. Ce que je veux dire ici, c'est que le projet de loi, puisque d'autres lois permettent déjà l'utilisation d'un échantillon de matière biologique humaine, fait qu'il devient monnaie courante que de plus en plus l'État, pour des raisons valables liées à la sécurité ou à la santé, autorise différents organismes publics à utiliser une parcelle du corps des gens en général.
Je m'inquiète du fait que si nous devions, au nom de la sécurité, autoriser une technologie très puissante, alors pour d'autres fins, par exemple en santé publique, il serait très facile d'imposer des tests obligatoires. Nous créons, par ce projet de loi et en général, une idéologie selon laquelle l'État a toujours de bonnes raisons de prélever des échantillons de matières biologiques humaines pour recueillir divers types d'information.
Comme je l'ai dit, je crois que le projet de loi en soi garantit bien la protection de la vie privée, mais à mes yeux, il s'agit d'un document idéologique qui donne de plus en plus de pouvoirs à l'État pour porter atteinte à l'intégrité physique des personnes en général, pour toutes sortes de raisons.
M. Jack Ramsay: Merci.
La présidente: Merci, monsieur M. Ramsay.
Monsieur Marceau, monsieur MacKay, puis monsieur Forseth.
[Français]
M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Merci, madame la présidente. Je serai bref.
D'abord, merci professeure, d'être venue nous présenter votre point de vue. La raison d'être de ce comité est d'entendre des gens qui soutiennent des opinions différentes. Vos prédécesseurs n'avaient pas la même opinion que vous, loin de là.
J'ai quelques questions assez courtes, dont voici la première. On parle d'équilibre entre les avantages et les inconvénients d'un projet de loi. Dois-je comprendre que, selon vous, le projet de loi, dans son principe même, comporte un déséquilibre tel qu'il ne devrait pas être adopté? Est-ce bien ce que je dois comprendre?
Mme Marie-Hélène Parizeau: Si vous me posez la question personnellement, je crois que le projet de loi en lui-même offre certaines garanties. Cependant, c'est beaucoup plus sa mise en application qui me pose problème. Ce n'est pas le projet de loi en tant que tel. Sur papier, en principe, on essaie vraiment de limiter l'intervention de l'État et de protéger la vie privée. Toutefois, en pratique, surtout quand on voit les budgets diminuer, ce qui a été évoqué tout à l'heure par mes prédécesseurs, le risque de bavures et de mauvaise utilisation du test m'apparaît problématique.
Plus vous utilisez une technologie de pointe, plus il faut des gens qui respectent un protocole extrêmement serré sur le plan scientifique. Donc, pour moi, c'est plus la question de l'application qui se pose. En même temps, au niveau des principes, je me demande si les avantages sont vraiment si grands par rapport à la finalité qu'on se donne, soit la poursuite des criminels graves. Est-ce que l'avantage de ce test est tel qu'on est prêt à mettre en péril certaines libertés individuelles et à mettre autant d'argent dans un processus technologique comme celui-là?
M. Richard Marceau: Je me trompe peut-être et j'anticipe peut-être sur ce que sera l'opinion du comité, mais j'ai l'impression que le gouvernement va procéder quand même à l'adoption d'un projet de loi sur une banque d'ADN. C'est mon impression actuellement.
Vous avez parlé d'un enjeu concernant la sécurité de l'État, le principal bras de la sécurité de l'État, hormis l'armée et la police. À l'heure actuelle, le projet de loi tel qu'il est donne le contrôle de la banque au bras policier de l'État.
Partant de la présomption qu'il est fort probable que ce projet de loi soit adopté, on peut essayer de circonscrire les empiétements sur la vie privée qu'il rendrait possibles. Je pense, par exemple, au contrôle de la banque. Au lieu de le confier à la force policière, quel serait votre deuxième choix? Si le projet de loi devait être adopté, est-ce que, personnellement, vous recommanderiez de confier le contrôle de cette banque à un organisme indépendant de l'État, un organisme contrôlé peut-être par des philosophes en éthique?
C'est possible, parce qu'il y a des enjeux sur le plan éthique. Je pensais au commissaire à la vie privée ou à quelque autre instance, à une agence indépendante du gouvernement, surveillée par des personnes indépendantes du gouvernement. Est-ce qu'on ne se trouverait pas ainsi à aller dans le sens que vous préconisez? Est-ce qu'on ne réussirait pas à circonscrire de façon plus précise les dangers d'empiétement sur la vie privée?
Mme Marie-Hélène Parizeau: Je vais répondre très franchement à votre question. Cela ne m'étonnerait pas que le projet de loi soit adopté parce que, comme il a été dit tout à l'heure, dans le fond, il est rédigé de telle façon que, sur papier, il donne le maximum de garanties pour protéger la vie privée des personnes et que sa finalité apparaît sans détours. Elle paraît claire, la finalité.
La question qui se pose maintenant, c'est qu'à l'intérieur d'un tel cadre, s'il devait être adopté, quelles mesures pourraient empêcher, dans les faits, de donner tous les pouvoirs à l'État, en particulier à la police? On connaît les événements qui se sont produits au Québec en termes de bavures policières, les problèmes qu'on rencontre dans les enquêtes menées à l'intérieur des services de police, etc., sans compter les offenses de second degré dont j'ai parlé, qui renvoient à la sécurité de l'État, mais sur le plan politique.
Il est évident que si vous laissez l'organisme de gestion des banques à l'intérieur du gouvernement, vous lui donnez tous les pouvoirs, y compris le pouvoir discrétionnaire de faire de la banque un usage abusif ou inacceptable.
• 1205
Il est évident que si vous essayez de sortir cela des
services de la police, vous multipliez les paliers et
les difficultés de communication. Vous risquez ainsi,
d'une certaine façon et à l'inverse, de rendre cela moins efficace.
Quand on est pris dans une logique comme celle-là,
il faut
l'utiliser de façon vraiment efficace en assumant le
choix qu'on fait. On ne commence pas à prendre
des espèces de demi-mesures qui risquent de rendre le
processus inefficace.
M. Richard Marceau: Mais en quoi cela le rendrait-il inefficace? En quoi le fait de demander à une instance indépendante de faire une vérification au lieu de le demander à l'agent Untel peut-il rendre le processus inefficace? Cela aurait l'avantage de retirer à la police le monopole du pouvoir sur l'ensemble du processus.
Mme Marie-Hélène Parizeau: En termes de séparation du pouvoir, cela me paraît juste. Le seul problème, c'est que je ne suis pas convaincue qu'en pratique, cette procédure serait bien accueillie. Elle oblige, à tout le moins, à des contacts moins directs.
Je vais vous donner un exemple. À l'hôpital, il y a un archiviste. L'archiviste est quelqu'un d'extrêmement important. C'est lui qui gère les dossiers médicaux et permet l'accès aux dossiers médicaux à différents professionnels de la santé. Tout le monde n'a pas accès aux dossiers médicaux parce qu'il s'y trouve des éléments de la vie privée. L'archiviste a un rôle de chien de garde extrêmement important. La loi définit ce qu'il est autorisé à donner ou à ne pas donner. Mais l'archiviste n'étant ni un médecin ni un membre du personnel soignant, il a un pouvoir discrétionnaire qui lui permet, dans certaines circonstances, de mettre certaines informations de côté parce qu'il sait que si cette information était mise entre les mains du conjoint ou des parents, en particulier quand ils sont divorcés, etc... Il exerce donc son jugement pour se sortir de ce genre de situation.
Il est donc évident que si vous mettez sur pied un comité indépendant pour gérer l'accès à ces informations, vous mettez un sas.
Je crois qu'il ne faut pas se faire d'illusions. Vous compliqueriez ainsi la machine administrative. Je crois qu'une fois pris le chemin qui conduit à l'emploi de ce genre de technologie, il n'y a pas de recette facile pour résoudre les problèmes.
M. Richard Marceau: D'accord.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Donc, si vous mettez des comités sur pied, si vous instaurez des organismes supplémentaires, vous complexifiez la chose. Cela ne veut pas dire que vous la rendez forcément plus efficace ou que vous protégez effectivement, très concrètement, le droit à la vie privée des gens.
M. Richard Marceau: Merci.
[Traduction]
La présidente: Merci, monsieur Marceau. Monsieur McKay nous vous écoutons.
M. John McKay: Je vous remercie de votre témoignage.
Vous avez à juste titre orienté la discussion sur les utilisations licites et les utilisations indues de cette technologie et de ce processus. De toute évidence, le système est défini comme centre d'identification, il vise à identifier les suspects pour diverses raisons, tant pour les inculper que pour les innocenter.
J'aimerais savoir ce que vous pensez, vous, éthicienne, des utilisations licites ou indues de l'échantillon prélevé. Je vais vous donner un exemple, puis j'écouterai votre réponse.
Si vous—et si les policiers obtiennent ce qu'ils veulent, c'est à titre d'inculpé, mais si le projet de loi est adopté tel quel, c'est à titre de criminel déclaré coupable—si vous donnez un échantillon de sang aux fins d'identification génétique et qu'au cours de l'analyse on découvre que vous avez le sida, croyez-vous que cette information devrait vous être communiquée ou être transmise à la population, soit à la population carcérale ou à d'autres personnes? À votre avis, sur le plan éthique, est-il approprié de divulguer cette information?
Mme Marie-Hélène Parizeau: Vous posez là une question très difficile, et je crois que c'est le genre d'utilisations non prévues qui pourraient se présenter. Mais je vais vous donner...
M. John McKay: C'est vrai. C'est à la fois une utilisation licite et une utilisation abusive.
Mme Marie-Hélène Parizeau: C'est une utilisation licite et une utilisation abusive. Mais il y a d'autres exemples possibles.
• 1210
Ainsi, disons que nous procédons à ce test génétique pour
établir la cartographie génétique, et nous constatons que la
personne présente le gène XYY. Vous avez lu de nombreux articles où
l'on affirme qu'il y a un lien entre votre composition génétique,
votre génotype, et la criminalité, par exemple.
Ce que je veux dire, c'est que vous pouvez ouvrir la porte quelque part à un type d'information qu'il est facile d'obtenir. Dans le cas du projet de loi, il est facile de dire que nous n'utiliserons l'échantillon que pour la prise d'empreintes génétiques, mais dans cinq ans, qui sait, nous aurons peut-être un test qui...
M. John McKay: Nous voulons établir des profils.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Oui, de nouveaux profils. Ce que je crains, c'est le lien qui s'établit entre les connaissances médicales et génétiques et votre personne.
Le sida est un bon exemple. À quel titre pourriez-vous imposer la diffusion de l'information? Par exemple, qu'en serait-il dans les prisons?
M. John McKay: La question est plus compliquée encore.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Évidemment.
M. John McKay: Si l'État possède cette information, s'il sait que cette personne est atteinte du sida, et qu'il ne transmet pas l'information, alors nous avons un système tout à fait parallèle à ce que nous avons connu à l'époque de l'enquête sur le sang contaminé, car l'État devient responsable des personnes atteintes du sida.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Nous pouvons fournir de nombreux autres exemples de maladies génétiques.
M. John McKay: Le syndrome de Down.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Il y a le syndrome de Down, la chorée de Huntington, etc. Il est très facile d'établir un lien entre la connaissance des maladies et le fait que vous avez cet échantillon.
Le problème, dans le cas du sida, c'est qu'il faut se demander de la sécurité de qui s'agit-il? Là encore, c'est un dilemme entre le devoir d'informer l'intéressé et celui de protéger la santé publique. Où se trouve le juste milieu?
M. John McKay: J'espérais une réponse, pas une question.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Je suis désolée, comme je l'ai dit à mes étudiants, je ne suis pas Dieu le Père. Il faut poser plus de questions à chacun d'entre nous. Le problème, dans le cas du sida...
Je suis désolée mais je vais poursuivre en français parce que c'est un peu compliqué.
[Français]
Le problème du sida, au fond, c'est qu'il y a beaucoup de discrimination autour de cette maladie. Il y a le problème de l'information qui est retirée du test génétique, alors que la personne ne l'a pas demandé.
[Traduction]
Il y a le fait que l'information n'a pas été obtenue par la personne, et c'est de l'information touchant la santé. Vous avez ici une finalité entièrement différente de la finalité envisagée au début, qui était d'identifier la personne. Cela signifie qu'il risque d'y avoir dérive, le fait que la technologie peut être utilisée de bien des façons et à bien des fins, et vous avez un bon exemple de ce phénomène d'utilisation abusive.
Je crois que c'est l'une de mes craintes. Lorsque l'on commence à jouer avec une technologie aussi puissante, il y a le risque de recueillir de l'information qui n'est pas toujours essentielle à votre objectif et c'est très difficile à contrôler. Avec la technologie, nous avons de plus en plus de difficulté à imposer des limites.
M. John McKay: Simplement à titre d'exemple, vous travaillez comme éthicienne dans un hôpital. Tout comme dans le cas de la question de M. Ramsay, vous recevez des échantillons de diverses matières génétiques, des échantillons sanguins, etc., quotidiennement. Quelle est la position éthique de votre hôpital au sujet de l'information fortuite obtenue de ces échantillons et révélant une maladie comme le sida? Est-ce que vous communiquez l'information au patient?
Mme Marie-Hélène Parizeau: Normalement, si vous procédez à un test, vous êtes censé dire au patient quel est le but du test. Alors, si vous...
M. John McKay: Eh bien, je suis venu, j'avais la grippe, j'ai donné un échantillon sanguin.
Mme Marie-Hélène Parizeau: Normalement, le test du sida n'est pas effectué systématiquement sur tous les échantillons sanguins. Si c'est un test que nous pouvons faire dans un hôpital, alors nous sommes censés aviser la personne de l'information que le test nous fournira; l'hépatite, par exemple, est beaucoup plus contagieuse que le sida. Normalement, vous devez dire à quoi sert le test. Alors s'il se trouve que vous avez le sida, par exemple, il y a une procédure à suivre, il y a une consultation spécifique dans ces cas, pour vous aider...
M. John McKay: Alors est-ce que la solution au dilemme moral dans ce cas ne serait pas de demander à l'intéressé de permettre que ce matériel soit utilisé à des fins autres que l'identification criminelle?
Mme Marie-Hélène Parizeau: Je ne vous comprends pas.
M. John McKay: Il se peut que je m'écarte un peu ici. Ma question revient à ce que vous disiez au sujet des utilisations licites et des utilisations abusives. Les utilisations licites et abusives font problème si vous n'obtenez pas le consentement de l'intéressé et que vous utilisez le matériel produit à d'autres fins que, dans le cas qui nous occupe, l'identification d'un criminel. Je ne sais pas si vous y avez réfléchi, mais est-ce qu'il existe un moyen de calmer vos inquiétudes au sujet des utilisations abusives, en élaborant une formule de consentement plus large que la simple identification par exemple?
Mme Marie-Hélène Parizeau: Le problème, dans un tel cas, c'est qu'il s'agit d'une procédure et qu'elle est tributaire des personnes qui l'appliquent. J'ai certains doutes même quand il s'agit de pratique médicale quant au consentement au traitement, aux expériences, etc.
M. John McKay: Le consentement est presque toujours un problème. J'en conviens.
La présidente: Merci beaucoup, madame Parizeau. Votre témoignage était fort intéressant et nous incite à la réflexion.
Nous allons maintenant lever la séance. Je vous souhaite à tous un heureux budget!