FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 22 février 2000
Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte.
Avant de commencer, j'aimerais vous communiquer certains renseignements. Nous entendrons ce matin MM. Coombes et Mandel. Nous devions aussi entendre Mme Stein de l'Université de Toronto qui ne peut pas être des nôtres aujourd'hui pour des raisons familiales. Par conséquent, notre séance ne sera peut-être pas aussi longue que prévue. C'est peut-être tout aussi bien, parce qu'on prévoit la tenue de votes à 10 h 30 ou 11 heures. Commençons donc sans tarder parce que les votes ont malheureusement trop tendance à perturber nos travaux.
Messieurs Mandel et Coombes, je vais vous accorder la parole dans l'ordre où vos noms figurent à l'ordre du jour. Vous avez donc la parole, monsieur Mandel.
M. Michael Mandel (témoignage à titre personnel): [professeur] Je vous remercie, monsieur le président. Vous pouvez m'entendre? Je crois que le son n'est pas amplifié.
Le président: Les gens qui vous entendent mal peuvent se servir de leur écouteur. Faites simplement comme si vous donniez un cours de droit et que personne ne vous écoutait de toute façon.
Une voix: Vous parlez d'expérience?
Le président: Je parle d'expérience à titre d'ancien professeur de droit.
M. Michael Mandel: Dans ce cas, je vais faire comme si je ne m'adressais pas à des étudiants en droit.
Bonjour. Je tiens à remercier les membres du comité de m'avoir invité à comparaître devant eux. Je suis très honoré de participer à cette très importante série d'audiences.
J'aimerais d'abord vous expliquer comment je me suis intéressé à cette question. J'enseigne le droit à la faculté de droit Osgoode Hall à l'Université York à Toronto. J'enseigne le droit depuis 25 ans. Je me spécialise dans le droit criminel et dans le droit constitutionnel comparé et en particulier dans le fonctionnement des tribunaux intérieurs et étrangers, dont les tribunaux des Nations Unies comme le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
Je n'ai pas de raison personnelle de m'intéresser au conflit en Yougoslavie. Ma famille ne compte par de Serbes ou d'Albanais. Je ne touche pas d'honoraires de qui que ce soit.
Je me suis intéressé à la question à titre d'avocat canadien qui a été témoin du fait que son gouvernement a commis une violation flagrante de la loi, laquelle a eu des résultats tragiques pour des personnes innocentes appartenant à différents groupes ethniques yougoslaves. Je m'y suis intéressé parce que je suis juif et que j'ai été choqué du fait qu'on invoque volontairement de façon grotesque l'holocauste pour justifier le fait qu'on tue et qu'on blesse des innocents, et ce pour des raisons que je crois purement intéressées, ce qui va à l'encontre même de motivation humanitaire. À mon avis, on a exploité de façon cynique le fait que les Canadiens voulaient aider leurs semblables de l'autre côté du monde.
• 0940
La première chose qu'il convient de dire au sujet de la guerre
qu'a menée l'OTAN contre la Yougoslavie est qu'elle était
totalement illégale. Tant la raison d'être de cette guerre que la
façon dont elle a été menée étaient illégales. Elle constitue une
violation flagrante et délibérée du droit international et de la
Charte des Nations Unies. Cette charte autorise le recours à la
force dans deux situations seulement: l'autodéfense ou lorsqu'une
intervention est autorisée par le Conseil de sécurité. Mon exposé
dont je vous ai remis copie comporte des citations que je ne vous
lirai pas parce que je n'ai pas beaucoup de temps.
J'attire votre attention sur le fait que la décision préliminaire rendue par la Cour internationale l'an dernier dans l'affaire opposant la Yougoslavie à 10 pays membres de l'OTAN dont le Canada ne contredit en rien la thèse voulant qu'il y ait eu violation du droit international. Lors de sa comparution devant le comité, M. Matas a fait valoir que la Cour mondiale a rendu cette décision pour des raisons purement liées au fait que les États-Unis d'abord et le Canada ensuite ont refusé de reconnaître la compétence de la Cour internationale dans cette affaire.
Permettez-moi de vous citer certains paragraphes du préambule de la décision de la Cour mondiale.
-
15. Considérant que la Cour est profondément préoccupée par le
drame humain, les pertes en vies humaines et les terribles
souffrances que connaît le Kosovo et qui constituent la toile de
fond du présent différend, ainsi que par les victimes et les
souffrances humaines que l'on déplore de façon continue dans
l'ensemble de la Yougoslavie;
-
16. Considérant que la Cour est fortement préoccupée par l'emploi
de la force en Yougoslavie; que, dans les circonstances actuelles,
cet emploi soulève des problèmes très graves de droit
international;
-
18. Considérant que la Cour estime nécessaire de souligner que
toutes les parties qui se présentent devant elle doivent agir
conformément à leurs obligations en vertu de la Charte des Nations
Unies et des autres règles du droit international, y compris du
droit humanitaire;
Je répète que dans le cas de la guerre menée par l'OTAN contre la Yougoslavie, l'OTAN n'a même pas essayé de soutenir que cette guerre se justifiait pour l'une ou l'autre des raisons où le recours à la force est permis par les Nations Unies, c'est-à-dire lorsque le Conseil de sécurité l'autorise et en cas de légitime défense.
Si la guerre menée contre la Yougoslavie constituait une violation de la Charte des Nations Unies, elle constituait aussi une violation du traité de l'OTAN lui-même ainsi que du droit intérieur canadien.
Voici les passages pertinents du Traité de l'OTAN:
-
Article 1: Les parties s'engagent, ainsi qu'il est stipulé dans la
Charte des Nations Unies, à régler par des moyens pacifiques tous
différends internationaux dans lesquels elles pourraient être
impliquées, de telle manière que la paix et la sécurité
internationales, ainsi que la justice, ne soient pas mises en
danger, et à s'abstenir dans leurs relations internationales de
recourir à la menace ou à l'emploi de la force de toute manière
incompatible avec les buts des Nations Unies.
-
Article 7: Le présent Traité n'affecte pas et ne sera pas
interprété comme affectant en aucune façon les droits et
obligations découlant de la Charte pour les parties qui sont
membres des Nations Unies ou la responsabilité primordiale du
Conseil de Sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales.
Voici maintenant le passage pertinent de la Loi sur la Défense nationale du Canada:
-
31.(1) Le gouverneur en conseil peut mettre en service actif les
Forces canadiennes ou tout élément constitutif, unité ou autre
élément de ces forces, ou l'un de leurs officiers ou militaires du
rang, n'importe où au Canada ou à l'étranger quand il estime
opportun de le faire:
-
a) soit pour la défense du Canada, en raison d'un état d'urgence;
-
b) soit en conséquence d'une action entreprise par le Canada aux
termes de la Charte des Nations Unies, du Traité de l'Atlantique-
Nord ou de tout autre instrument semblable pour la défense
collective que le Canada peut souscrire.
Comme vous le voyez et comme je vous l'ai dit, le Traité de l'Atlantique-Nord comprend la Charte des Nations Unies.
Aucun juriste de renom ne conteste l'illégalité de la guerre, pas même ceux qui étaient plutôt en faveur de celle-ci, comme M. Mendes qui vous l'a dit lors de sa comparution. M. Mendes notamment pense qu'il s'agit cependant d'une lacune flagrante de la charte des Nations Unies. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une lacune du tout pour les raisons que je vais maintenant vous expliquer, mais je pense qu'il convient de souligner la gravité de la violation flagrante du droit commise par notre gouvernement. La démocratie ne signifie tout simplement rien si les gouvernements peuvent violer la loi avec impunité.
Nous savons tous que les dirigeants des pays de l'OTAN ont cherché à justifier cette guerre par des raisons humanitaires. Ils ont dit intervenir pour protéger une population vulnérable, les Kosovars de souche albanaise, contre des atrocités. Cette justification à l'intervention de l'OTAN ne change rien à l'illégalité de la guerre. En fait, si tous les experts s'entendent pour reconnaître que cette guerre était illégale, c'est que le droit international ou la Charte des Nations Unies ne prévoit pas le recours à la force pour des raisons humanitaires.
Il ne faut pas en déduire que la communauté internationale ne peut pas intervenir pour empêcher des désastres humanitaires ou ne peut pas recourir à la force nécessaire pour le faire. Cela signifie simplement que la Charte des Nations Unies ne mentionne pas l'intervention à des fins humanitaires. Un État doit prouver que son intervention repose sur des motifs humanitaires au Conseil de sécurité, et notamment aux cinq membres permanents du conseil qui possèdent un droit de veto.
• 0945
Le Conseil de sécurité a déjà pu intervenir dans ce genre de
situation. Il a pris de nombreuses résolutions autorisant
l'intervention dans ce conflit lui-même. Le Conseil de sécurité a
déjà pu autoriser le recours à la force. À titre d'exemple, il a
autorisé, dans le cadre de la résolution 678 du 29 novembre 1990,
le recours à «tous les moyens nécessaires» pour rétablir la
souveraineté du Koweit. Il a donné à l'Irak jusqu'au 15 janvier
1991 pour se retirer du Koweit.
Dans le cas du Kosovo, l'OTAN n'a même pas présenté une résolution au Conseil de sécurité. Elle n'a pas non plus cherché à justifier devant la communauté internationale le recours à la force en invoquant la résolution d'Union pour le maintien de la paix de l'Assemblée générale qui permet à celle-ci de recommander une intervention au Conseil de sécurité si les deux tiers des membres présents ayant droit de vote le jugent opportun.
Deux raisons fondamentales expliquent pourquoi l'OTAN n'a pas eu recours à cette procédure. En premier lieu—et il s'agit, à mon avis, de l'explication la plus plausible pour cette guerre—les États-Unis, par l'intermédiaire de l'OTAN, ont voulu carrément démolir l'autorité des Nations Unies. En deuxième lieu, l'OTAN n'aurait jamais pu prouver qu'elle intervenait pour des raisons humanitaires puisque ce n'était pas le cas.
Le droit et la morale exigent qu'on fasse la preuve des raisons humanitaires qui justifient une guerre. Pour donner un exemple odieux qui est cependant éloquent, Hitler lui-même a prétendu envahir la Pologne, ce qui a déclenché la Seconde Guerre mondiale, pour des raisons humanitaires. Il a prétendu protéger la minorité allemande de l'oppression dont elle faisait l'objet de la part des Polonais.
Dans le cas qui nous occupe, l'OTAN aurait eu à prouver les raisons humanitaires qui l'amenaient à larguer en Yougoslavie 25 000 bombes qui ont tué entre 500 et 1 800 civils, femmes, hommes et enfants, provenant de tous les groupes ethniques, et qui ont blessé beaucoup d'autres; une campagne de bombardements qui a causé entre 60 et 100 milliards de dollars américains de dommages à un pays déjà pauvre, une campagne de bombardements qui, directement et indirectement, a créé un nombre effarant de réfugiés puisqu'un million de gens ont quitté le Kosovo pendant les bombardements; et une campagne de bombardements qui a indirectement causé la mort de milliers de personnes en donnant lieu à des mesures de représailles qui sont inévitables quand une guerre aussi intense éclate et lorsque les extrémistes des deux camps peuvent laisser libre cours à leur haine.
L'OTAN devait aussi justifier le nettoyage ethnique qui s'est produit au Kosovo après l'entrée sur scène de l'UCK qui jouissait du plein appui de l'OTAN. Au cours de cette guerre, des centaines de milliers de Serbes, de Roms et de Kosovars juifs ont été forcés de quitter leur maison et des centaines d'entre eux ont été tués. Le taux de meurtre par habitant dans la région est à peu près dix fois ce qu'il est au Canada.
Il fallait s'attendre à ces résultats, lesquels avaient d'ailleurs été prévus par les conseillers militaires et politiques de l'OTAN qui ont très soigneusement planifié cette guerre un an avant que les bombardements ne commencent. Pour que l'intervention de l'OTAN se justifie pour des raisons humanitaires, il aurait fallu que l'OTAN puisse prouver qu'elle prévenait ainsi un désastre encore plus grand.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que les preuves à cet égard—lesquelles nous devons tous examiner soigneusement, et en particulier ce comité—manquent. Personne n'aurait pu sérieusement soutenir que nous allions assister à une répétition des massacres qui sont survenus en Bosnie. Il ne s'agissait pas dans ce cas-ci d'une guerre civile totale entre des parties armées d'à peu près égale force dans le cadre de laquelle des groupes ethniques importants luttaient pour leur survie. Cette situation n'existait tout simplement pas au Kosovo.
Les faits démentissent également la thèse voulant qu'un désastre humanitaire serait survenu si l'OTAN avait décidé de ne pas intervenir. Environ 2 000 personnes sont mortes dans les deux camps dans les deux années qui ont précédé les affrontements entre l'UCK et les Serbes. Les affrontements diminuaient d'ailleurs grâce à la présence sur le terrain d'observateurs des Nations Unies et de l'OSCE.
Le prétendu massacre de 45 Albanais de souche, à Racak, éveille également de grands soupçons, non seulement à cause des circonstances elles-mêmes, mais aussi à cause de la part qu'a prise l'émissaire américain, M. William Walker, qui est bien connu pour ses activités occultes et illégales, pour les Américains, en Amérique latine.
Le rapport récemment publié par l'OSCE n'est pas non plus très utile pour évaluer la situation, puisqu'il a été rédigé et payé par les pays membres de l'OTAN. Quand vous lirez l'introduction de ce rapport, faites attention. Voyez d'abord qui l'a rédigé et qui l'a payé.
Plus encore, il existe des preuves écrasantes que l'OTAN n'a pas fait d'efforts véritables pour éviter un désastre et n'a pas beaucoup défendu la paix. Dans les négociations de Rambouillet, dont vous avez beaucoup entendu parler, on a soulevé un certain nombre de questions embarrassantes. Pourquoi l'OTAN s'est-elle choisi comme interlocuteur l'UCK, un organisme irrédentiste et insurrectionniste, plutôt que le leader élu par la population, un modéré, Ibrahim Rugova? En fait, pourquoi Rugova a-t-il été entièrement ignoré durant la guerre? Pourquoi les États-Unis ont-ils insisté pour ajouter à l'accord de Rambouillet une annexe secrète, l'annexe B, qui lui aurait permis d'occuper toute la Serbie? Pourquoi l'accord de paix final était-il si semblable aux mesures dont les Serbes avaient convenu avant les bombardements?
• 0950
Sommes-nous vraiment persuadés que l'OTAN n'aurait pas pu
consacrer les 10 milliards de dollars engloutis dans les
bombardements à élaborer plutôt un accord de paix qui aurait
protégé toutes les parties et pris en compte leurs besoins, si elle
s'intéressait davantage à l'humanité qu'à la guerre? Pourquoi les
pays de l'OTAN sont-ils si peu prêts à dépenser pour la
reconstruction du Kosovo, sous prétexte qu'ils n'ont plus d'argent?
Ils ont dépensé moins d'un milliard de dollars pour cela alors que
les bombardements leur en ont coûté 10. Et, si l'on veut dissiper
les grands doutes au sujet des motifs humanitaires de l'OTAN dans
cette intervention, quelle preuve avons-nous que l'OTAN ait jamais
agi auparavant pour des motifs humanitaires?
Compte tenu des lacunes de son argumentation, nous avons le droit d'examiner les faits eux-mêmes. Pourquoi l'OTAN n'est-elle pas intervenue avec force au Rwanda? Que penser du financement accordé par les États-Unis au régime répressif de Suharto en Indonésie? Qu'en est-il de la violente répression des Kurdes par la Turquie, un désastre humanitaire qui a coûté 30 000 vies, au lieu de 2 000? Que doit-on croire des États-Unis eux-mêmes, le pays le plus riche du monde, mais un pays dont les conditions sociales sont si violentes et si racistes que le taux habituel de meurtre est de l'ordre de 20 000 victimes par année, un taux proportionnellement aussi élevé que celui du Kosovo à l'heure actuelle? Je rappelle au comité que deux ou trois Américains sont mis à mort chaque semaine au moyen d'injections mortelles. L'OTAN n'a pas de leçon d'humanité à donner aux autres.
Enfin, et c'est très important, nous avons de sérieux doutes quant à la façon dont la prétendue intervention humanitaire a été menée. Les Kosovars étaient censés être aux prises avec des tueurs génocidaires. L'OTAN a donné un préavis de cinq jours entre le retrait des observateurs et le lancement de l'attaque. Il y a eu ensuite sept jours de bombardements qui n'ont à peu près pas touché le Kosovo. Autrement dit, il s'agissait d'une invitation au génocide, dont on n'a Dieu merci pas tenu compte, une intervention qui était sûre de produire un afflux de réfugiés suffisant pour rendre légitime une campagne massive de bombardement.
La semaine dernière, l'ambassadeur Bissett a déclaré devant votre comité que les leaders de l'OTAN n'avaient rien à faire de la vérité. Cela n'étonnera personne. Jamie Shea n'a-t-il pas déclaré que ce sont les Serbes qui ont bombardé le convoi de réfugiés albanais, et ce, jusqu'à ce que des journalistes indépendants constatent, aux fragments de la bombe, que celle-ci avait été fabriquée aux États-Unis? Un général de l'OTAN a prétendu, vidéo à l'appui, que le train de passagers sur le pont de Grdelica allait trop vite pour éviter la collision, jusqu'à ce que quelqu'un fasse remarquer que la bande vidéo avait été accélérée de trois fois sa vitesse normale. Faut-il croire que l'ambassade chinoise a été bombardée parce que les cartes de l'OTAN étaient désuètes? C'est sans parler des déclarations de M. Clinton, de Mme Clinton et de M. Cohen, d'après qui 100 000 hommes kosovars avaient été victimes d'un holocauste. Enfin, la plupart des citoyens du monde n'ont pas cru...
Le président: Pardonnez-moi de vous interrompre. Je sais que vous mettez les bouchés doubles pour tout dire. Nous voulons de vous limiter à 10 minutes parce qu'autrement, nous ne pourrons pas vous poser de questions. Il y a un vote de prévu. Normalement, je ne vous interromprais pas, mais je vois que vous n'avez débité qu'environ la moitié de votre texte.
M. Michael Mandel: Je vais sauter certaines citations.
Combien de temps me reste-t-il?
Le président: Vous avez déjà dépassé votre temps de deux minutes et demie. Vous êtes déjà en infraction des règles du comité.
M. Michael Mandel: Le comité pourrait-il m'accorder deux minutes et demie de plus?
Le président: Vous n'enfreignez peut-être pas les règles de la guerre, mais vous enfreignez celles du comité. Comme pour toutes les autres, infractions, il doit y avoir sanction.
Veuillez conclure en une minute, car nous voulons entendre M. Coombes, puis nous verrons combien il nous reste de temps.
M. Michael Mandel: D'accord.
Comme je le disais, la plupart des citoyens du monde n'ont pas cru aux prétentions humanitaires de l'OTAN. Les sondages d'opinions ont révélé qu'un tiers des Canadiens n'y croyaient pas. La plupart des autres pays n'y ont pas cru non plus.
Ce qui est plus plausible que la thèse humanitaire, c'est que les États-Unis ont délibérément, ou du moins sans égard à la prudence, provoqué cette guerre. Ils ont exploité et exacerbé le drame d'un autre pays, un drame dont ils étaient en partie responsables. Il ne faut pas oublier les politiques économiques agressives et purement égoïstes de l'Occident qui ont réduit la Yougoslavie à la pauvreté au cours des dix dernières années.
La raison d'être de l'OTAN, c'est la guerre, pas la paix. Du fait de leur puissance militaire, les États-Unis dominent l'OTAN comme ils ne peuvent dominer les Nations Unies. L'explication la plus plausible, c'est que cette attaque n'avait rien à voir avec les Balkans. Il s'agissait d'une tentative de renverser les Nations Unies et de faire de l'OTAN et des États-Unis la puissance suprême mondiale. Il s'agissait d'établir un précédent.
La façon dont cette guerre a été entreprise était illégale. Je ne vais passer en revue ce que j'ai écrit dans mon document. En résumé, des milliers de personnes des quatre coins de la planète, et j'en fais partie—dont nombre d'avocats et de professeurs de droit—ont déposé devant le Tribunal pénal international une plainte pour crimes de guerre. J'ai participé au dépôt de cette plainte. J'ai amené des documents pour les comités, dans lesquels on accuse les 68 leaders de l'OTAN de crimes de guerre très graves. Je les ai soulignés dans le rapport. Human Rights Watch l'a récemment corroboré dans un rapport où il établit à environ 500, d'après une estimation modeste, le nombre des civils tués en raison de la violation des conventions de Genève et du droit humanitaire international.
• 0955
Tout cela a des conséquences très très graves. Le fait que
cette guerre était illégale et injustifiée signifie que M.
Chrétien, M. Axworthy et M. Eggleton, de concert avec tous les
autres leaders de l'OTAN, ont planifié et exécuté une campagne de
bombardement qu'ils savaient illégale. Ils savaient que cette
campagne tuerait des milliers de civils, hommes, femmes et enfants,
ou provoquerait des blessures permanentes. Même s'il nous est
difficile de l'accepter ou même de l'avouer, tuer délibérément des
centaines de milliers de civils, sans excuse légitime, ce n'est
rien de moins qu'un assassinat collectif.
Le Tribunal de La Haye a reconnu Milosevic coupable de la mort de 385 victimes. Le total des victimes des 98 personnes exécutées pour meurtre aux États-Unis l'an dernier était de 129. Nos leaders ont sciemment tué de 500 à 1 800 personnes, sans excuse légitime.
Nous avons porté plainte devant le Tribunal pénal international, mais comme je l'ai dit dans mes remarques, il existe des doutes graves quant à l'impartialité de ce tribunal. Il rendra une décision dans cette affaire, mais je souhaite que votre comité examine soigneusement toutes les décisions du tribunal. Je ne veux pas que votre comité se décharge sur quelqu'un d'autre du devoir d'examiner ces infractions très graves au droit international, au droit national, au droit canadien, compte tenu des résultats terribles de ces actes.
Je vous remercie, monsieur le président.
Le président: Je vous remercie, monsieur Mandel.
Monsieur Coombes.
M. Peter Coombes (organisateur national, End the Arms Race): Je vous remercie. Je m'appelle Peter Coombes et je suis organisateur national de End the Arms Race, l'un des plus importants mouvements pacifiques au Canada. L'organisation est basée à Vancouver.
Je voulais simplement faire remarquer que je sais maintenant ce qu'est cette fameuse maladie d'Ottawa. J'ai marché pour me rendre à cette réunion, et je pouvais sentir mes pieds et tout mon corps devenir lentement gelés. Lorsque je suis arrivé, mon cerveau aussi était gelé.
Le président: Cela vous est arrivé à l'extérieur ou à l'intérieur?
Des voix: Oh, oh!
M. Peter Coombes: À l'extérieur, lorsque je marchais pour me rendre ici.
Le président: Cela se produit parfois à l'intérieur aussi, mais ne vous en inquiétez pas.
Des voix: Oh, oh!
M. Peter Coombes: Je compte aller droit au sujet aujourd'hui. Avant que je ne commence mon exposé, j'aimerais d'abord dire que mon intention n'est pas du tout de manquer de respect au comité et à ses membres. En fait, j'ai beaucoup de respect pour les personnes autour de cette table et pour le travail du comité.
J'ai décidé de comparaître devant le comité aujourd'hui non pas parce que je compte exercer une grande influence sur la politique gouvernementale. En fait, pour être franc, je m'attends à ce que ma comparution n'ait aucune incidence sur la politique gouvernementale canadienne. Je suis venu pour dire que des milliers de Canadiens, soit une partie importante de la population, étaient opposés à la guerre menée contre la Yougoslavie. Je suis venu pour dire publiquement que des milliers de Canadiens s'opposent aussi aux politiques canadiennes actuelles sur la Yougoslavie.
Je tiens également à dire aujourd'hui que dès le début de la guerre contre la Yougoslavie, des gens comme moi dans tout le pays savaient exactement quel serait l'aboutissement de la campagne de bombardement menée contre la Yougoslavie. Nous savions que cette campagne créerait davantage de réfugiés, causerait des morts parmi les civils et provoquerait une catastrophe humanitaire dans la région.
Je ne prétends pas posséder une intelligence hors du commun. Je n'ai pas accès aux documents gouvernementaux ni aux rapports de renseignements de sécurité. J'ai cependant pu, moi, un petit militant pour la paix de la côte Ouest, émettre un communiqué intitulé: «La diplomatie des B-52 ne peut que causer plus de souffrance parmi les civils».
• 1000
Dans une lettre que je faisais parvenir au premier ministre
Chrétien le 8 avril dernier, et dans laquelle j'attirais son
attention sur 11 grandes préoccupations des membres de notre
organisation, je disais ceci:
-
La campagne de bombardement de l'OTAN est un désastre absolu qui
doit être arrêtée immédiatement. La poursuite des bombardements ne
fera qu'exacerber et prolonger les problèmes que nous vous avons
décrits: multiplication des décès parmi les civils et du nombre de
réfugiés, déstabilisation de la région, aggravation des tensions
entre la Russie et les membres de l'OTAN et recrudescence de
l'anarchie à l'échelle internationale.
Le comité doit se demander pourquoi les gens les plus intelligents de notre société, les meneurs de notre société, les leaders politiques de notre société, n'ont-ils pas au moins admis publiquement que la campagne était un désastre? Nous savons qu'ils n'ont pas admis que les mesures que nous prenions allaient aggraver les problèmes que connaissent les Balkans.
Avant que l'OTAN ne commence à bombarder la Yougoslavie, il n'y avait pas de catastrophe humanitaire dans ce pays. Il faut bien admettre que le pays connaissait des problèmes et qu'il y avait un conflit grave au Kosovo. On tuait des gens. C'est ce qui se produit dans les conflits. Il faudrait cependant comparer la situation qui existait alors en Yougoslavie à celle qui existait dans d'autres pays du monde où sévissait une véritable catastrophe humanitaire.
Que faisait le Canada à cette époque au sujet de la situation au Soudan? Que faisions-nous au sujet des activités de Talisman au Soudan? En Sierra Leone, on coupait les mains et les pieds d'enfants de 12 mois, de six mois ou de cinq ans. Voilà une véritable catastrophe humanitaire. Il y a des millions de réfugiés en Afrique, mais nous ne faisons rien pour les aider. C'est l'OTAN qui a causé la catastrophe humanitaire en Yougoslavie et nous prolongeons ce désastre par nos politiques actuelles.
En fin de compte, je ne suis pas sûr pourquoi nous avons fait la guerre à la Yougoslavie. Beaucoup de raisons ont été avancées pour justifier cette guerre. M. Mandel vous a exposé l'une de ces raisons. D'autres témoins avanceront d'autres raisons. Une chose est sûre: nous n'avons pas fait la guerre à la Yougoslavie par humanitarisme.
Soyons honnêtes. On ne peut pas invoquer des raisons humanitaires pour bombarder un pays et pour détruire ses ponts, ses routes, ses systèmes d'approvisionnement en eau, son réseau et ses centrales électriques, ses installations de communication, ses usines, ses trains de passagers, ses convois de réfugiés, ses hôpitaux, ses villes et ses villages. Il faut admettre que le Canada a fait la guerre à la Yougoslavie.
Une intervention humanitaire aurait pris des formes bien différentes. Nous aurions consacré des centaines de millions de dollars à renforcer les activités de l'OSCE dans la région. Pourquoi n'avons-nous pas doublé ou triplé le nombre d'observateurs de l'OSCE? Nous étions cependant prêts à consacrer des milliards de dollars à une guerre contre la Yougoslavie. Nous étions prêts à faire participer à cette guerre des centaines et des milliers de soldats sans y réfléchir à deux fois. Nous n'étions cependant pas prêts à consacrer les ressources voulues pour prévenir cette guerre et pour pacifier la région. Je n'aime pas le dire, mais mon pays a fait le mal.
• 1005
La guerre menée contre la Yougoslavie a eu pour conséquence de
compromettre la coopération occidentale avec la Russie, de miner
l'autorité des Nations Unies, d'exacerber encore davantage le
conflit dans les Balkans, d'appauvrir des millions de gens et de
créer pour le Canada des ennemis qu'il n'avait pas auparavant.
En bout de ligne, nous avons lancé la Yougoslavie sur la même voie que nous avons lancé l'Irak en 1990. Nous entrons dans un pays, nous bombardons son infrastructure et la détruisons, et nous privons toute une population de services essentiels: l'eau, la nourriture, le logement, les soins de santé, l'éducation et l'emploi. Le comble, c'est que le Canada invoque des raisons morales comme l'intervention humanitaire et le prétendu pouvoir discret pour justifier ses actes.
Je suppose qu'on peut dire qu'à quelque chose malheur est bon. Ce que cette guerre a eu de bon n'est cependant peut-être pas aussi évident qu'on le souhaiterait. La guerre a uni deux communautés au Canada, les Irakiens et les Yougoslaves qui collaborent maintenant à combattre le militarisme occidental. La guerre a aidé des milliers de Canadiens instruits, particulièrement de jeunes Canadiens, à comprendre que l'OTAN est une alliance militaire qui a des visées expansionnistes. La guerre a aidé ceux qui s'opposent à la mondialisation de comprendre jusqu'où l'Occident est prêt à aller pour protéger et étendre ses intérêts politiques, stratégiques et économiques.
La guerre contre la Yougoslavie a revigoré et a radicalisé le nouveau mouvement pour la paix. Le 29 avril à Vancouver, notre organisme tiendra une manifestation dans le centre-ville, à laquelle participeront aussi des organismes syndicaux et des groupes confessionnels qui s'opposent à la mondialisation. Je peux vous assurer que les Yougoslaves, les Irakiens et les partisans du mouvement de la paix seront nombreux à manifester et qu'ils paralyseront le centre-ville pour faire savoir à leurs concitoyens qu'ils s'opposent à la militarisation occidentale.
Nous continuerons à collaborer avec le gouvernement, mais nous lui ferons aussi savoir notre mécontentement en manifestant dans la rue.
Je vous remercie.
Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Coombes. Nous vous savons gré de votre témoignage.
J'ouvre maintenant la période des questions. Monsieur Martin.
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous remercie beaucoup tous les deux d'être venus comparaître devant le comité aujourd'hui.
Un collègue médecin à moi travaille à la frontière de l'Albanie et a dû venir en aide aux civils qui fuyaient le Kosovo, au nombre desquels se trouvaient des femmes enceintes qui ont dû se traîner jusqu'à la frontière parce que des soldats serbes leur avaient tiré dans les chevilles. Tous les Kosovars de souche albanaise qu'il a traités n'avaient que du bon à dire au sujet des bombardements. Ils n'avaient tous que du bon à dire au sujet de l'intervention de l'OTAN, bien qu'ils se trouvaient au coeur du conflit qui a eu lieu en Yougoslavie.
Les universitaires que vous avez mentionnés, monsieur Mandel, qui se plaignent que la primauté du droit a été bafouée, ne sont pas en danger. Dans un pays comme le nôtre, ils ne risquent rien en disant ce qu'ils disent.
La primauté du droit a été bafouée en ce qui touche le Conseil de sécurité. Or, on sait combien peu efficace a été le Conseil de sécurité dans le cas du Rwanda et du Burundi que vous avez mentionné. Entendons-nous ces mêmes universitaires dénoncer ce qui se passe aujourd'hui dans ces pays ou en Angola, par exemple, ou ce qui se passe à Srebrenica et Bihac? Ils ne le font pas ou très peu. Qui va aider ces gens dont on lance les bébés en l'air pour ensuite les transpercer d'un coup de baïonnette? Le Conseil de sécurité va-t-il les défendre? Le monde est jonché de civils innocents qui ont été massacrés pendant que le Conseil de sécurité se tournait les pouces. Nous savons donc à quel point le Conseil de sécurité a été efficace dans le passé.
• 1010
Monsieur Coombes, vous avez dit qu'il ne s'agissait pas d'une
catastrophe. On tuait cependant des gens. Compte tenu de ce qui
s'est produit en Bosnie et compte tenu des mesures prises par M.
Milosevic dans la région, je me demande ce que vous pensez que le
monde occidental et notamment l'OTAN auraient dû faire pour
défendre des civils innocents tout en respectant la primauté du
droit telle qu'elle existe à l'heure actuelle.
Je vous remercie.
M. Michael Mandel: J'aimerais répliquer.
Les pays de l'OTAN sont représentés au Conseil de sécurité. Les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne y siègent. On ne peut pas dire que le Conseil de sécurité a été inefficace. Il a adopté beaucoup de résolutions. Il a adopté les résolutions qui ont mis fin à ce conflit. Si les États-Unis voyaient des raisons humanitaires d'intervenir en Yougoslavie, ils auraient dû soumettre la question au Conseil de sécurité, mais ils ne l'ont pas fait. Ils auraient dû aussi la soumettre à l'Assemblée générale.
Je conviens avec vous que des atrocités sont commises. La question que je pose est de savoir si cette intervention qui allait à l'encontre non seulement du droit international, mais du droit humanitaire, dans la mesure où elle visait des cibles civiles, notamment des enfants... Ce qu'une bombe à dispersion peut faire à une femme enceinte qui fait son marché est horrible. Je ne veux absolument pas donner l'impression que ce qu'on a fait aux Albanais n'était pas horrible. Je demande seulement si l'OTAN et les États-Unis ont vraiment agi pour des raisons humanitaires ou, si, comme tous en conviennent, ils n'ont pas encouragé ce conflit. Les États-Unis n'interviennent pas pour mettre fin aux désastres humanitaires qui se produisent dans le monde. Ils appuient même les gouvernements qui causent ces désastres. Je me demande donc si nous pouvons vraiment croire qu'ils sont intervenus dans ce cas-ci pour des raisons humanitaires. Voilà la question que je pose.
Il ne s'agit pas de dire qui des Albanais ou des Serbes ont souffert davantage. Ils ont tous beaucoup souffert. Nous savons que ce sont les bombardements qui ont causé le plus de souffrances. La question est donc de savoir si l'on peut croire à la sincérité de cette intervention pour des raisons humanitaires. Je ne conteste pas le fait que des gestes humanitaires aient été posés.
M. Keith Martin: Monsieur Mandel, ce que je vous demande à titre de spécialiste du sujet, c'est ce qu'on peut faire pour protéger des civils innocents lorsque le système juridique international est tellement inadéquat qu'il ne permet pas de le faire? Qu'aurions-nous pu faire si nous avions soumis la question au Conseil de sécurité, compte tenu du fait que certains pays exercent un veto, et je songe en particulier aux Russes qui s'opposaient catégoriquement à une intervention quelconque? Pouvons-nous permettre qu'on massacre des civils innocents comme on l'a fait à Bihac et à Srebrenica?
M. Michael Mandel: Je crois que dans 85 p. 100 des cas où un pays a exercé un droit de veto au Conseil de sécurité, ce sont les États-Unis qui l'ont fait. Je ne demande pas si les Russes valent mieux que les Américains. Je demande simplement si dans ce cas-ci les Américains avaient des raisons humanitaires d'intervenir. Il est permis d'en douter compte tenu des fois où ils ont exercé leur droit de veto au Conseil de sécurité.
Je ne prends parti ni pour les Russes ni pour les Américains. Je dis simplement que notre seule défense contre ces grandes puissances est le droit international et le droit humanitaire international. Nous devons insister pour que la primauté du droit soit protégée. Si le fonctionnement des Nations Unies laisse à désirer, nous ne devrions cependant pas simplement faire fi de cette institution.
Permettez-moi de vous lire une citation très importante du juge Robert Jackson qui était au nombre des juges qui ont présidé au procès de Nuremberg en 1945. Voici ce qu'il a dit:
-
Le moyen le plus important que nous pouvons prendre pour éviter les
guerres périodiques, lesquelles sont inévitables dans un monde où
la primauté du droit est bafouée, est de demander aux hommes d'État
de rendre compte de leurs actes. Je me permets de préciser que si
nous invoquons aujourd'hui cette loi pour punir les agresseurs
allemands, elle devra aussi être invoquée, pour être utile, contre
les agresseurs d'autres pays, y compris contre les pays qui sont
aujourd'hui représentés au sein de ce tribunal [les États-Unis, la
Russie et la Grande-Bretagne]. Nous ne pourrons éliminer la
tyrannie et la violence au sein d'un pays et combattre ceux qui
s'en prennent à leurs propres citoyens que lorsque la loi
s'appliquera à tous également.
Nous demandons simplement que les États-Unis et l'OTAN soient tenus de respecter la loi et que lorsqu'ils interviennent dans un pays, ils utilisent les moyens juridiques à leur disposition pour démontrer la légitimité de leurs actes. Compte tenu de leur fiche de route dans le domaine humanitaire, les États-Unis ne peuvent pas être juge et partie et être également chargés d'appliquer la loi. Sinon, nous courons tous au désastre.
M. Peter Coombes: Vous demandez quels paramètres devraient régir l'intervention. Voyons ce qu'il en est.
Dans le monde occidental, en raison de notre imposante machine militaire, nous présumons qu'une intervention doit toujours être de nature militaire. Nous intervenions déjà dans le conflit au Kosovo. Nous avons envoyé dans la région des milliers d'observateurs. Certains de ces observateurs ont dit que leur présence avait permis de réduire les tensions. Nous aurions pu accroître le nombre d'observateurs de l'OSCE au Kosovo. Nous aurions pu recourir à des solutions politiques.
Voici ce que je disais à M. Chrétien dans la lettre que je lui ai envoyée le 8 avril dernier:
-
Il serait possible de régler le problème par des moyens politiques,
mais on ne pourra le faire que si toutes les parties sont prêtes à
négocier. Cela signifie que l'OTAN et ses membres, et en
particulier les États-Unis, ne peuvent pas dicter aux autres
parties les conditions en vertu desquelles une paix pourra être
obtenue, comme on l'a fait avant la campagne de bombardement en
Yougoslavie. Madeleine Albright a déclaré publiquement que l'OTAN
allait bombarder la Yougoslavie si le président refusait de
ratifier l'entente de paix. Aucun pays, pas même le Canada,
n'aurait accepté ce genre de chantage. Au lieu d'aider à régler le
problème, nous avons amené les parties à durcir leurs positions en
menaçant de bombarder le pays.
-
L'entente de paix était vouée à l'échec dès le départ. Même les
observateurs les moins avertis savaient que la Yougoslavie
s'opposerait à l'envoi de troupes de l'OTAN au Kosovo.
Il était bien évident à l'époque comme il l'est toujours aujourd'hui qu'une intervention militaire constituait une grave erreur.
Le président: Nous devons poursuivre. La séance doit prendre fin à 11 h.
[Français]
Madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Messieurs, merci d'être venus ici ce matin. J'ai participé à quelques débats au Conseil de l'Europe, où sont représentés tous les pays de l'Europe, des débats sur la situation avant que ne se produisent les bombardements et sur ce qui se passait au Kosovo. Je n'ai aucun penchant pour l'action militaire, mais toutes les nouvelles que nous avions...
Je vous précise que les rapporteurs de là-bas sont de différents groupes politiques et qu'à l'assemblée, il y avait des représentants de la fédération de Yougoslavie. Donc, il y avait des débats. Ce qui ressortait de chacun des rapports, c'était que le plan qui poussait les Albanais hors de chez eux était ralenti par l'OSCE. Ils avaient des contacts là-bas avec les gens de l'OSCE.
Si nous nous étions réunis avant l'action de l'OTAN, qu'est-ce que vous auriez recommandé face à ce qui se passait, devant le nombre de personnes qui étaient déplacées, qu'on avait chassées de chez elles, sans parler des exactions, des viols et des hommes disparus? Qu'est-ce qu'il aurait fallu faire?
Si vous nous dites que ce n'était pas un vrai problème humanitaire, j'aimerais que vous me disiez où il existe de vrais problèmes humanitaires. Qu'aurait-il fallu faire?
[Traduction]
M. Michael Mandel: Je ne nie absolument pas le fait qu'il existait un problème humanitaire. La question est de savoir si ce qu'il convenait de faire est ce qu'a fait l'OTAN en bombardant un pays pendant 79 jours—ce qui n'avait jamais été fait auparavant—, tuant ainsi des civils et aggravant les tensions. Personne ne nie qu'il existait un problème humanitaire. Nous voulons le comprendre. Nous aimerions comprendre ce qu'a fait l'Occident pour faire en sorte que le niveau de vie en Yougoslavie soit maintenant les deux tiers de ce qu'il était il y a dix ans. Nous voulons examiner la façon dont les États-Unis ont aussi soutenu l'UCK.
• 1020
Nous voulons examiner tous ces aspects de la question pour
voir si ceux qui ont proposé comme solution de bombarder le pays
auraient pu songer à une autre solution. Si au lieu de consacrer
10 milliards de dollars à des bombardements, on avait investi de
l'argent pour réconcilier les parties et si on avait investi dans
le développement économique de la Yougoslavie et si on avait
investi dans la paix... Si on avait consenti autant d'efforts à
chercher une solution pacifique aux problèmes qui existaient en
Yougoslavie qu'on l'a fait en Irlande du Nord ou en Israël...
Il est difficile à imaginer ce que nous pouvons faire... Cela semble être la façon américaine de régler un problème. Aux États-Unis, la façon dont on veut régler le problème du nombre élevé de meurtres qui sont commis, c'est en tuant des gens.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Mais vous ne me répondez pas.
[Traduction]
M. Michael Mandel: Entre rien faire et larguer 25 000 bombes qui tuent des enfants, des femmes et des hommes, il y a une marge. Il y a une marge entre faire cela et ne rien faire.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Qu'est-ce que vous auriez recommandé dans la situation, dans cette situation qui était réelle?
[Traduction]
M. Michael Mandel: Je ne suis pas diplomate. Ce que j'aurais fait est évident: j'aurais soutenu le mouvement en faveur de la paix. Il fallait soutenir Rugova et pas l'UCK. Il fallait soutenir le représentant élu des Albanais et non pas l'armée de guérilla...
[Français]
Mme Francine Lalonde: Quand j'accompagnais M. Axworthy, j'ai entendu de mes deux oreilles Rugova dire qu'heureusement, il y avait eu l'OTAN parce qu'autrement, il n'y aurait plus rien. C'est Rugova le pacifique, le modéré que j'ai entendu dire cela. Il est donc difficile d'accepter que tout ce qu'auraient dû faire les les puissances, les peuples, c'était de laisser faire.
Vous avez dit que les États-Unis avaient encouragé l'UCK. De quoi est née l'UCK? Du problème qui est apparu en 1989, quand les Albanais ont été éliminés de toute l'administration. Il faut voir que les problèmes qu'il y a en ce moment ne sont pas seulement nés des effets de la guerre, mais aussi de 10 années pendant lesquelles on a laissé se détériorer tout ce qui avait été bâti avant.
J'ai beaucoup de sympathie pour votre passion, mais il faut avoir une réponse à nos questions. Autrement, qu'est-ce qui serait arrivé? Je ne suis pas contente de ce qui se passe au Sierra Leone et partout. Je suis inquiète de ce monde dans lequel nous vivons et dans cet après-guerre froide au cours duquel nous ne semblons pas capables d'empêcher des situations horribles. Ne rien faire, est-ce que ce n'aurait pas été laisser faire tous les Milosevic de ce monde?
[Traduction]
M. Michael Mandel: Permettez-moi de répéter, madame Lalonde, que je crois qu'il y a une marge entre ne rien faire et larguer 25 000 bombes.
[Français]
Mme Francine Lalonde: Mais vous n'avez rien suggéré.
[Traduction]
M. Michael Mandel: Je vois une distinction entre ne rien faire et bombarder un pays. Il y a tout un monde entre ne rien faire et bombarder à mort un pays, comme l'a dit mon collègue, et tuer des civils. Il y a tout un monde. N'aurions-nous pas pu aider ce pays en y investissant les 10 milliards de dollars que l'OTAN a choisi de consacrer aux bombardements comme le souhaitaient les fabricants d'armes?
Le niveau de vie en Yougoslavie est actuellement le tiers de ce qu'il était il y a dix ans. Ce n'est pas surprenant qu'il y ait une guerre civile en Yougoslavie. Ce n'est pas surprenant que l'Occident ait imposé des politiques économiques rigoureuses et ait appauvri le pays. Ces gens auraient pu faire la paix. Il y a toute une marge entre ne rien faire et tuer des milliers de gens. On aurait pu beaucoup faire avec 10 milliards de dollars.
Le président: Mais quoi? Dites-nous quoi. Fallait-il remettre 10 milliards de dollars à M. Milosevic? Fallait-il simplement lui envoyer un chèque pour qu'il investisse cet argent dans son armée?
M. Michael Mandel: Il faut jouer un rôle unificateur. Il faut investir dans la paix et la prospérité.
Le président: Est-ce ce que vous auriez fait? Vous auriez dit voici 10 milliards de dollars pour augmenter votre armée?
M. Michael Mandel: Il faut amener les parties à régler leurs différends comme on l'a fait pour la Palestine et Israël. Y avait-il des tensions plus graves que celles qui existaient entre les Juifs et les Arabes au Moyen-Orient? Avec Arafat et Barak, on choisit d'investir dans la prospérité et dans la création d'une infrastructure. On cherche à amener les gens à régler leurs différends et on ne décide pas simplement de lancer des bombes parce que certaines solutions retenues ne nous plaisent pas ou ne correspondent pas à nos intérêts.
Le président: Les bombardements n'ont pas été décidés à la légère...
M. Michael Mandel: Je suis d'accord avec vous madame Lalonde pour reconnaître qu'il y a une marge entre ne rien faire et bombarder un pays. Nous ne pouvions pas simplement nous croiser les bras. Mais si la seule solution est de bombarder...
Le président: Ce qui explique la frustration de Mme Lalonde et la nôtre, c'est que vous partez de l'hypothèse que rien n'avait été tenté pour amener les parties à s'entendre.
Je suis l'un des vice-présidents de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE. Je le suis depuis des années. Pensez-vous que l'OSCE n'a rien fait? Pensez-vous que l'organisation n'a pas consacré beaucoup d'efforts à éviter ce qui s'est produit? Ne pensez-vous pas qu'il y a des gens qui ont consacré toute leur vie à essayer d'éviter cette énorme catastrophe humaine? Les bombardements n'ont pas été décidés à la légère. Ceux qui ont pris la décision de bombarder la Yougoslavie l'ont fait en désespoir de cause, reconnaissant que le système n'avait pas bien servi qui que ce soit.
• 1025
Ne pensez-vous pas que M. McWhinney, qui a enseigné le droit
international public pendant 40 ans, et que moi-même, qui l'ai
enseigné pendant 15 ans, ne nous sommes pas mis martel en tête à ce
sujet? Si vous pensez que MM. Chrétien et Axworthy sont des
criminels de guerre, aussi bien dire que nous en sommes aussi. À
titre de juriste, nous nous sommes vraiment demandé ce qu'il
convenait de faire dans ces terribles circonstances.
Mme Lalonde vous a posé une question simple en vous demandant ce que vous auriez fait, vous, et vous lui avez parlé du nombre de gens qui sont exécutés aux États-Unis. Vous ne pensez pas que nous savons à quoi nous en tenir à ce sujet? Vous avez aussi parlé d'Israël et de la Palestine. La question est...
M. Michael Mandel: Il ne s'agit pas simplement de donner des exemples...
Le président: Dites-vous sérieusement que ce que vous auriez fait aurait permis de prévenir la destruction de la société au Kosovo? Si c'est le cas, vous êtes vraiment très fort parce que nous, nous ne sommes pas parvenus à trouver une façon d'éviter ce qui s'est produit.
M. Peter Coombes: C'est là-dessus que nous ne sommes pas d'accord. Je ne pense pas comme vous que la Yougoslavie ou le Kosovo était sur le point de s'effondrer. Ce que je dirais... Pardon?
Le président: Monsieur Mandel, la question est... C'est Mme Lalonde qui a posé la question.
M. Peter Coombes: Comme je l'ai dit plus tôt, je ne suis qu'un petit militant pour la paix de Vancouver. Je regarde cependant ce que fait la communauté internationale tous les jours et ce que fait mon pays. Nous avons été prêts à envoyer des milliers de soldats participer à cette guerre et nous avons été prêts à investir des milliards de dollars dans une campagne de bombardement, mais nous n'étions pas prêts à consacrer les ressources voulues pour renforcer l'intervention de l'OSCE et le rôle des Nations Unies. Nous nous plaignons continuellement que les Nations Unies et l'OSCE gaspillent de l'argent. Ces organismes proposaient cependant des moyens pacifiques de régler le conflit.
Le président: Je m'excuse, la question s'adresse à M. Mandel, mais je ne peux simplement pas accepter qu'on dise des faussetés...
Nous avons prêté attention à V«clav Havel—qu'on ne peut pas accuser, monsieur Mandel, d'être à la solde des États-Unis—lorsqu'il a dit à la Chambre des communes que nous devions intervenir si nous voulions éviter que le monde ne connaisse un autre âge des ténèbres. Ce n'est pas un quelconque Dr Strangelove qui nous a dit cela. C'était V«clav Havel, qui a souffert sous un régime totalitaire pendant des années, qui nous a dit, pendant que nous nous demandions ce que nous devions faire en toute conscience, que cette intervention était juste. Vous venez maintenant nous dire que nous sommes tous des criminels de guerre et que nous nous sommes fait berner par un groupe d'Américains fous qui voulaient détruire le monde.
Voilà ce qui explique la frustration de Mme Lalonde ainsi que la nôtre. Qu'auriez-vous fait? C'est ce qu'elle vous a demandé. Qu'est-ce que vous auriez fait pour éviter cette catastrophe?
M. Michael Mandel: Pour revenir à V«clav Havel, 65 p. 100 des Tchèques n'appuyaient pas l'intervention de l'OTAN. Je ne sais donc pas qui il représentait lorsqu'il a pris la parole devant vous.
Le président: Il représentait certainement la République tchèque.
M. Michael Mandel: Pas d'après les Tchèques. La plupart des habitants du monde ne croyaient pas au motif de l'OTAN. Je ne doute pas un moment de vos motifs et de votre sincérité, mais vous savez comment fonctionne l'OTAN et le Pentagone. Vous n'étiez cependant pas dans le secret des dieux en ce qui concerne les motifs de l'OTAN.
Ces bombardements convenaient très bien à l'OTAN et aux fabricants d'armes qui ont financé la réunion de l'OTAN à Washington en avril, parce qu'ils justifiaient leur existence. Il y a cependant une marge entre ces bombardements et ne rien faire. Si ces milliards de dollars...
Je ne vois pas ce que vous avez tant de mal à comprendre. Si l'on investit dans la prospérité d'un pays et si l'on investit dans la réconciliation des peuples comme on l'a fait en Israël et en Irlande du Nord, au lieu d'appauvrir délibérément un pays pendant 10 ans et d'y créer des enclaves ethniques... À mon sens, on a manqué d'imagination. Je suis surpris de voir que les membres du comité ne comprennent pas qu'il y a une marge entre ne rien faire et bombarder un pays.
Le président: Nous avons vu beaucoup d'activités dans le sens que vous préconisez, mais rien n'a fonctionné. C'était là le problème.
De toute façon, nous devons passer à M. Robinson. Il est évident que nous ne voyons pas les choses de la même façon en ce qui concerne ce très épineux problème.
M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Merci, monsieur le président.
• 1030
Je suis moi-même très déchiré. En écoutant M. Martin rappeler
les émouvants témoignages des médecins à la frontière albanaise, je
me suis également rappelé certains événements plutôt horribles.
J'ai moi-même entendu les récits de nombreux témoins visuels, de
gens qui avaient eux-mêmes fui cette terreur, des familles que j'ai
rencontrées dans les camps de Macédoine. Les larmes aux yeux, les
gens me parlaient des parents abattus devant eux et du nombre élevé
de membres de leur famille qui, épouvantés, avaient fui dans les
collines.
Je crois que la plupart des gens reconnaissent qu'avant le 24 mars, il y avait peut-être déjà près de 200 000 personnes qui avaient fui, à l'intérieur du Kosovo. Ils avaient fui le carnage que faisaient régner, en grande partie, les forces paramilitaires serbes.
Les bombardements ont-ils amélioré la situation? Absolument pas. Cela a été un désastre absolu, un désastre humanitaire et écologique.
J'ai également entendu des gens qui étaient là lorsque les bombardements ont commencé. Ils m'ont dit comment les brutes qui les tyrannisaient venaient les voir chez eux, pointaient le ciel et les bombardiers du doigt et disaient: «Vous êtes responsables de ces attaques», ensuite, ils tuaient les gens de sang froid. Bien sûr, il n'y avait personne sur le terrain pour défendre les Kosovars. M. Mandel et d'autres ont dit que c'était une guerre de lâches. Lorsqu'on est à 15 000 pieds d'altitude, les populations au sol n'ont rien qui les protège.
J'ai également marché parmi les décombres, à l'extérieur de l'ambassade de Chine et de la maison de télévision à Belgrade. Je suis allé à l'endroit où un autocar, plein d'innocents civils, a été bombardé. Nous nous sommes arrêtés. On m'a demandé si je voulais voir la main d'un des civils qui était mort. J'ai répondu: «Non, je n'ai pas besoin de voir la main.» J'ai vu des champs semés de bombes à dispersion, où jouaient des enfants. J'ai marché parmi les décombres d'un immeuble de logements, à Pristina, où un bombardement avait causé la mort de civils innocents.
J'imagine qu'il aurait été bien d'être absolument sûr, le 24 mars, soit du fait que c'était un désastre, soit du fait que c'était la bonne chose à faire. Je n'ai pas eu cette certitude. Je me suis senti déchiré, angoissé, ne sachant pas quelle était la réaction appropriée.
M. Coombes a peut-être éprouvé cette certitude, mais il doit savoir que de nombreux pacifistes ne l'ont pas éprouvée, y compris Paul Polanyi, lauréat du Prix Nobel que nous entendrons jeudi, et de nombreux autres dont les états de service dans le mouvement pour la paix sont tout aussi impeccables et respectés que ceux de M. Coombes. J'ai énormément de respect pour M. Coombes.
Je voudrais poser quelques questions. La première, d'une certaine façon, nous ramène à celle que posait Mme Lalonde, parce qu'on n'y a pas vraiment répondu. Nous faisons face à un dilemme.
L'an dernier a été une année mémorable pour moi. En plus d'être allé au Kosovo, je me suis également trouvé au Timor-Oriental juste avant que ne commence l'épouvantable carnage qui a eu lieu. Je me suis retrouvé assis devant des paramilitaires à Dili, qui m'ont dit: «Après le référendum, si nous perdons, il y aura du sang dans les rues. Il y aura des massacres au Timor-Oriental. Nous allons égorger ces gens.» Tout ce que les autres avaient, pour se défendre, c'était des machettes.
Nous le savions. Notre délégation est rentrée chez elle. Nous avons exhorté notre ministère des Affaires étrangères à intervenir auprès des Nations Unies et du Conseil de sécurité pour qu'ils fassent quelque chose, pour empêcher les effusions de sang appréhendées de tous. Pourtant, l'ONU s'est trouvée paralysée.
Bien sûr, la Chine n'aurait permis aucune intervention des Nations Unies sans l'accord de l'Indonésie. M. Mandel nous a parlé de Suharto.
Pour ce qui est des leçons que nous avons tirées de cela, comment devons-nous réagir à une situation où se manifeste très clairement le danger de violences et d'hécatombes? Des gens sans défense se font égorger et pourtant le Conseil de sécurité ainsi que la Charte des Nations Unies nous interdisent d'aller empêcher le carnage. Nous savons que la Chine opposerait son veto.
• 1035
Devons-nous nous contenter de contempler la situation et de
dire que la Charte nous empêche d'intervenir dans ce cas? Devons-nous
assister à la tuerie de milliers de gens, y compris la famille
chez qui j'ai été hébergé à Dili, devons-nous les voir mourir sous
nos yeux parce que la Charte nous interdit d'agir? Quelles leçons
devons-nous tirer de tout cela et comment devons-nous réagir à ce
type de crise humanitaire à l'avenir?
M. Michael Mandel: Je crois que ce n'est pas parce que la Charte l'interdit. Il existe évidemment des solutions de remplacement à la Charte. Il y a la possibilité de recourir à l'Assemblée générale, si l'on peut convaincre les nations du monde à donner leur accord. Il s'agit là de la résolution d'Union pour le maintien de la paix, adoptée en 1950. On peut essayer de faire la preuve de la nécessité d'intervenir devant la communauté mondiale et non seulement devant une alliance militaire des pays les plus puissants. Cela s'est déjà fait.
Il y a diverses formes d'intervention. Il y a les sanctions, les observateurs. Il y a toutes sortes d'interventions avant d'en arriver à permettre à l'OTAN, une alliance partiale, partisane et militaire, ayant ses propres intérêts, d'assurer le service d'ordre sans avoir à justifier devant qui que ce soit de la nécessité de prendre les mesures qui sont prises et de violer la loi.
Si nous décidons d'abandonner le droit international, d'abandonner les Nations Unies, j'estime que nous sommes en très grave difficulté. Je pense que c'est ce que les États-Unis veulent que nous fassions, et cela leur permet de contrôler toutes les décisions sur les aspects humanitaires et non humanitaires...
M. Svend Robinson: Je ne prétends pas qu'il faille abandonner cela. En fait, je pense que nous devons renforcer la possibilité de réagir par l'entremise de l'ONU.
M. Michael Mandel: Bien sûr, nous devrions renforcer les Nations Unies. Nous devrions réformer le Conseil de sécurité, nous devrions réformer l'Assemblée générale. Mais il existe une façon de le faire. Si nous pensons qu'une loi suscite un problème, si nous avons de bonnes raisons de croire qu'une loi fait problème, nous essayons de modifier cette loi. Regardez ce que nous faisons de la Loi sur la défense nationale ou de toute autre loi.
Nous ne permettons pas simplement aux gens qui ont des bombes de faire fi de la loi et d'agir comme un éléphant dans un magasin de porcelaine lorsque ce sont les vies d'autres personnes qui sont en danger. Nous ne permettons pas cela. C'est à cela que sert la loi et, si nous ne la trouvons pas acceptable, nous la modifions. Nous la réformons; nous ne l'abandonnons pas. Nous examinons soigneusement la personne qui vient nous voir, qui déclare être un grand humanitaire, et nous nous demandons s'il existe des solutions de remplacement au recours à leurs services.
En Indonésie, qui appuyait ce régime? Qui a porté Suharto au pouvoir? Qui l'a financé? Qui a formé ses forces de sécurité? Ce sont les États-Unis qui l'ont fait.
Nous devons être très prudents. Nous ne pouvons pas simplement permettre à certaines personnes de se prétendre humanitaires et laisser tomber nos facultés de réflexion critique. Nous ne pouvons pas leur permettre d'apporter seules les solutions. Nous devons renforcer l'ONU, nous devons travailler par son entremise. Nous devons nous servir du droit international. Nous ne pouvons pas faire fi de ce droit. Nous ne pouvons pas permettre qu'on le néglige, simplement parce que des pays puissants trouvent cela incommode. Il en va de même du droit humanitaire ou des conventions de Genève, que les États-Unis ont violés de façon flagrante, parce qu'ils ne veulent pas voir de citoyens américains dans des sacs mortuaires.
Comme vous l'avez dit, les avions volaient à 15 000 pieds d'altitude. Par conséquent, tous les gens au sol étaient en danger et aucun des pilotes n'assumait le moindre risque. Les voilà, nos grands humanitaires. Ils ne prennent surtout aucun risque pour eux-mêmes, mais imposent tous les dangers aux civils. Nous parlons des brutes du Pentagone et de l'OTAN, pas des humanitaires.
M. Svend Robinson: J'aimerais vous poser une question, professeur Mandel, en ce qui concerne l'instance que vous et un certain nombre d'autres personnes ont introduit devant le tribunal Del Ponte. Où en est cette poursuite et quelle indication avez-vous que le juge Del Ponte est prêt à examiner sérieusement la plainte que vous et vos collègues ont déposée?
M. Michael Mandel: Moi-même et six autres professeurs de la faculté de droit Osgoode Hall et 15 autres avocats canadiens ainsi que l'American Association of Jurists, groupe panaméricain qui a statut d'ONG auprès de l'ONU, avons déposé une plainte auprès du tribunal en mai. Nous sommes l'un des nombreux groupes dans le monde à avoir déposé une plainte de ce genre. Des milliers de gens ont communiqué avec le juge Del Ponte et avec la juge Arbour pour demander qu'ils prennent des mesures.
Deux fois nous sommes allés à la Haye. Nous avons rencontré le juge Arbour en juin, un groupe de cinq avocats de Grande-Bretagne, de Grèce, de France et de Norvège, pour lui présenter nos arguments. Nous sommes retournés voir le juge Del Ponte en novembre.
Comme vous le savez, le juge Del Ponte a dit qu'elle étudiait notre mémoire pendant les vacances de Noël, puis ça été la tempête quand l'OTAN a attaqué le tribunal. Malheureusement, elle a battu en retraite ignominieusement selon nous. Deux fois depuis, je lui ai demandé de nous indiquer où en était l'affaire, pas seulement la nôtre mais aussi celle des législateurs russes et d'autres gens dans le monde. Pour vous répondre brièvement, elle dit qu'elle étudie toujours le mémoire et n'a pas pris de décision. C'est la dernière réponse que j'ai, en date du 8 février 2000.
• 1040
Nous avons beaucoup de doute à propos de ce tribunal. Le
rédacteur des statuts du tribunal a dit que celui-ci a été créé
essentiellement comme outil de propagande des États-Unis. Il a été
créé pour légitimer le recours à la force et pour contrer le droit
international.
Je dois dire—et je le dis avec beaucoup de tristesse parce que le juge Louise Arbour, un juge de la Cour suprême du Canada qui est une ancienne collègue et une vieille amie à moi et quelqu'un dont on peut être fier—que dans la façon dont elle a exécuté ses fonctions, elle a donné foi à l'idée que telle est la façon dont le tribunal se conçoit. À la veille de la guerre, on a annoncé qu'Arkan avait été inculpé secrètement. Il y a eu la mise en accusation des dirigeants serbes pendant la guerre, six semaines après les événements. Il y a eu des rencontres avec Albright, beaucoup de choses.
La chose la plus grave, pour nous, est la façon dont ces crimes ont fait l'objet d'une enquête après l'entrée de l'OTAN au Kosovo. Le tribunal a confié l'enquête de ces crimes à l'OTAN, alors que l'OTAN avait tout lieu de falsifier les preuves. Cela nous a beaucoup troublés et nous avons été troublés de voir le juge Del Ponte reculer. Elle a dit ne pas avoir décidé si elle allait ou non ouvrir une enquête officielle sur l'OTAN, mais le monde entier a vu des preuves sur les écrans de télévision. Human Rights Watch a signalé suffisamment d'éléments pour justifier des inculpations dès maintenant fondées sur l'illégalité de la guerre et son exécution en violation de la Convention de Genève.
Nous avons donc des soupçons et des doutes à propos de ce tribunal.
M. Svend Robinson: Brièvement, je n'ai plus qu'une autre question, monsieur le président.
Le président: Très bien.
M. Svend Robinson: Vous vous fiez à Human Rights Watch dans ce cas particulier mais pas lorsque cet organisme réclamait dans ses premiers rapports, juste avant le bombardement, une intervention militaire.
M. Michael Mandel: Le rapport de Human Rights Watch est très déconcertant. Nous nous y fions pour la confirmation sur place que des civils ont été tués et que l'OTAN a menti à propos de ses attaques sur des objectifs civils. Au fait, dans le rapport—et vous avez les livres...
M. Svend Robinson: Je suis curieux, parce que vous vous fiez à certains éléments de Humain Rights Watch mais pas à d'autres.
M. Michael Mandel: Le livre dit aussi qu'il s'agit de violations de droits de l'homme en grande partie crédibles. Ce rapport est très déconcertant parce que Human Rights Watch recense 100 victimes d'atteintes aux droits humanitaires mais refuse de les appeler des crimes de guerre. Il parle de l'utilisation de bombes à dispersion contre des civils, il n'appelle pas cela des crimes de guerre.
Le jugement de Human Rights Watch, pour ce que l'organisation réclame et veut voir être fait, ne m'intéresse par vraiment. Ce qu'elle a recensé et consigné—les violations du droit international, le meurtre de civils, les mensonges de l'OTAN, les violations de la Convention de Genève—c'est pour moi une estimation faible, prudente, de ce qui est arrivé.
M. Svend Robinson: Et vous vous souvenez des rapports annuels de Human Rights Watch?
M. Michael Mandel: Oui.
Le président: Désolé, monsieur Robinson, mais vous avez dépassé votre temps de parole, beaucoup d'autres personnes sont impatientes de poser des questions.
Ce sera un débat pour les historiens, et en ce qui concerne le rapport de Human Rights Watch, vous dites ne pas souscrire à ses conclusions juridiques. Mais c'est votre voix d'avocat contre celles d'autres avocats.
M. Michael Mandel: Non, je souscris à ses conclusions juridiques qu'il y a eu de graves atteintes aux droits...
Le président: Non, ce n'est pas vrai. Vous venez de vous inscrire en faux contre ses conclusions...
M. Michael Mandel: Je souscris à ses conclusions juridiques.
Le président: ...qu'il n'y a pas eu de crimes de guerre. Vous les contestées.
M. Michael Mandel: Je n'accepte pas ses recommandations selon lesquelles il ne devrait pas y avoir de poursuites. Je souscris à ses conclusions selon lesquelles il y a eu des violations graves du droit humanitaire international.
Le président: Mais ils ont dit qu'il n'y a pas eu de crimes de guerre.
Monsieur McWhinney.
M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.): Monsieur Mandel, c'est à vous que je vais poser mes questions et je m'en remets à vos connaissances du droit international pour ne pas aborder les questions de principes.
Me permettriez-vous de vous inviter à voir d'un autre oeil le Tribunal pénal international. Ce n'est pas un tribunal de l'OTAN. Sa composition a beaucoup changé. Le juge Wang Tieya a été démis de ses fonctions pendant la révolution culturelle en Chine pendant treize ans puis les a réintégrées. Il est un des grands juristes provenant d'un pays qui n'appartient pas à l'OTAN. Le juge Shahabuddeen, de Guyana, est l'un des avocats de droit international les plus intéressants et les plus radicaux et a siégé à la Cour internationale. C'est à dessein que l'on a choisi comme procureur un ressortissant suisse, le procureur général de la Suisse, un pays qui n'appartient pas à l'OTAN.
Il s'agit donc d'un tribunal intéressant. Moi-même j'ai trouvé qu'il n'était pas très fort lorsqu'il a été créé, parce qu'il n'y avait pas de permanence, mais les personnes nommées sont intéressantes. Je pense que vous devriez y regarder de plus près. Peut-être le trouverez-vous intéressant vous aussi.
M. Michael Mandel: Je m'intéresse beaucoup à ce tribunal parce que sa compétence s'applique aux États-Unis à cause des bombardements sur la Yougoslavie. C'est une expérience unique en son genre en droit pénal international.
• 1045
Comme vous le savez, les États-Unis se sont opposés aux
statuts du Tribunal pénal international, mais ils ont adopté la
résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui a créé le tribunal.
Comme le juge Arbour l'a dit, les États-Unis ont accepté sa
compétence lorsqu'ils ont attaqué la Yougoslavie. C'est donc une
cause très importante.
Il faut examiner la preuve. Comme je le dis, comme le dit Human Rights Watch et comme le disent beaucoup d'avocats, s'il y a des preuves convaincantes contre l'OTAN que des lois ont été enfreintes, beaucoup dépend de ce tribunal.
J'ai le plus grand respect pour les juges du tribunal, en particulier le juge Antonio Cassese, que j'ai connu à l'université de Florence.
M. Ted McWhinney: Il vient de démissionner.
M. Michael Mandel: Il vient de démissionner, mais il a été président du tribunal. Il a déclaré très clairement dans un article du European Journal of International Law qu'il s'agissait d'une guerre illégale, indubitablement.
J'ai un grand respect pour le juge Cassese et beaucoup de respect et d'affection pour le juge Arbour. En revanche, il est bien clair que ce tribunal a été créé pour servir d'outil de propagande. Le rédacteur des statuts du tribunal l'a affirmé. Les pays de l'OTAN exercent quantité de pressions sur le tribunal pour qu'il devienne un outil de propagande destiné à légitimer leur violation du droit international et à déclarer qu'ils suivent un principe de droit supérieur.
M. Ted McWhinney: Je ne veux pas vous détourner de ce que vous avez entrepris. Vous savez que nous avons accepté la compétence du Tribunal pénal international. J'ai appris récemment que le gouvernement français venait de l'accepter. Je pense que le gouvernement britannique va le faire. Il y a donc des choses qui bougent, mais j'aimerais passer à des questions de droit international.
Vous savez que la résolution 1244 doit beaucoup au travail du gouvernement canadien. Le ministre des Affaires étrangères et le premier ministre de la Grèce ont rencontré le ministre des Affaires étrangères russe et proposé ce qui est devenu la Déclaration du G-8 de Saint-Pétersbourg, qui a formé le point de départ de la résolution 1244. Elle a été adoptée par 14 voix contre aucune et une abstention, et cette abstention avait été convenue à l'avance. Cela établit huit codes juridiques pour la poursuite des opérations en Yougoslavie.
Vous êtes aussi au courant du précédent causé par la résolution d'Union pour le maintien de la paix, c'est-à-dire le recours à l'Assemblée générale, et cette résolution pouvait toujours être invoquée avant l'intervention militaire. Vous savez qu'elle a été invoquée pendant la Guerre de Corée. Il est facile d'y recourir en temps utile. Pourtant on ne l'a pas fait.
Ce que nous disons, donc, c'est que vu la nature dynamique de l'élaboration du droit international, ce droit n'est pas une doctrine figée. Parfois, on commence avec des principes informes. Ne reconnaissez-vous pas qu'il existe actuellement un droit international d'intervention humanitaire et que la discussion aujourd'hui porte sur les modalités de son invocation?
M. Michael Mandel: Je reconnais volontiers qu'il existe un droit à l'intervention humanitaire. Je croyais l'avoir déjà dit. Et je crois que nous nous étions entendus pour dire qu'il était incorporé à la Charte de l'ONU et aux procédures de l'organisation.
Le droit international, comme vous le savez, est surtout composé de traités, à moins qu'il s'agisse de jus cogens. Par conséquent, la Charte de l'ONU est un texte fondamental du droit international. Elle autorise une intervention humanitaire en vertu de ses procédures. En vertu de la résolution d'Union pour le maintien de la paix, si vous pouvez prouver aux deux tiers des pays membres la nécessité de l'intervention, c'est un contrepoids puissant au veto du Conseil de sécurité. Vous avez déjà signalé l'activité du Conseil de sécurité et son importance.
S'il y a une chose sur laquelle tous les juristes s'entendent en droit international, c'est que cette guerre, à cause des modalités de l'intervention humanitaire, était illégale. Aucun juriste réputé ne pense qu'elle était légale. Cela ne signifie pas que l'intervention humanitaire ne peut pas l'être, mais elle doit être autorisée en fonction des usages à l'ONU.
M. Ted McWhinney: Vous me troublez sur un point. Vous parlez de l'unanimité des juristes de droit international. J'ai participé aux réunions de la section américaine de l'Association de droit international. Je suis en contact constant avec la Deutsche Gesselschaft für Völkerrecht, la Société française de droit international et son équivalent russe. J'aurais cru plutôt qu'il existe un vaste éventail d'avis, qui comprennent le vôtre mais aussi des avis divergents. Même aux États-Unis, il y a un large éventail de vues. Autrement dit, où est l'unanimité?
Dans votre mémoire—et ici, en bon professeur, vous débordez du cadre du droit dans sa définition traditionnelle—vous abordez des grandes questions de principe. Vos conférences doivent être animées, mais ne convenez-vous pas que la question des crimes de guerre est une conclusion de droit issue d'une évolution plutôt qu'une position a priori? Autrement dit, il n'y a sûrement aucun fondement à votre assertion, actuellement, selon laquelle il y a crime de guerre dans les actions prises par les pays membres de l'alliance de l'OTAN.
• 1050
N'oubliant pas qu'à tout temps l'ONU et l'Assemblée générale
en particulier ont toujours pu se donner la compétence voulue, il
est certain que l'inaction des membres, y compris la Russie et la
Chine, indique quelque chose, tout comme les mesures prises après
l'adoption de la résolution 1244, qui est reprise intégralement
dans la résolution sur le Timor, ce qui pointe également en
direction d'une conclusion juridique, étant donné encore une fois
que le droit international est un processus dynamique et non un
ensemble figé de règles.
M. Michael Mandel: Je suis tout à fait d'accord avec vous et c'est pourquoi je suis renversé de voir l'universalité des avis dans ce cas précis selon lesquels cette guerre est une infraction au droit international. Même ceux qui estiment que le droit international devrait être modifié ou écarté, l'unanimité est tout à fait extraordinaire dans le cas de cette guerre, qu'il s'agisse du juge Cassese ou du professeur Mendes, qui est venu ici, ou de ceux qui étaient en faveur de la guerre et ceux qui étaient contre.
C'est une question qui nous inquiète beaucoup. On s'entend très largement, et c'est incroyable, pour dire que cette guerre était illégale. On s'en sert donc pour créer un précédent.
Pour ce qui est des crimes de guerre, en réponse à votre question, le Tribunal pénal international est un tribunal pénal. C'est ainsi que le définissent ses statuts. Le texte définit clairement les crimes en cause: le meurtre, l'homicide intentionnel, la destruction ou la dévastation et le bombardement d'objectifs civils, il va sans dire. Ces actes ont été commis et reconnus et les éléments de preuve sont assez convaincants pour déclarer coupables, devant n'importe quel tribunal pénal au monde, les dirigeants des pays de l'OTAN.
Que vous estimiez cela moralement justifié ou que vous soyez prêts à les croire, le fait est, vu les preuves, car la plus grande partie du monde ne les croit pas, qu'ils ont commis des crimes de guerre très graves, des crimes qui ressortissent à la compétence de ce tribunal et des crimes pour lesquels, vu la préséance de ce tribunal, ils devraient être inculpés. Je pense que cela ne fait aucun doute.
M. Ted McWhinney: Professeur, je ne discuterai pas de cet argument au fond. Je dirai seulement que sur la question de l'unanimité, vous m'étonnez. Je suis en rapport constant avec des avocats partout dans le monde. Je viens de créer deux commissions dans une association à laquelle j'appartiens pour examiner ces questions et je dois vous dire qu'il n'y a pas d'unanimité. Il y a un éventail étonnant de points de vue.
Il est normal qu'il en soit ainsi parce qu'à la fin du processus il y aura une conclusion. Celle qui est en train d'émerger, et à propos de laquelle nous avions des doutes il y a 6 mois quant à savoir s'il y a un droit international d'intervention humanitaire, la conclusion semble clairement être que ce droit existe. Toutes les discussions ne portent que sur les modalités.
Je pense que vous devriez jeter un nouveau coup d'oeil à la littérature russe, à la littérature allemande et à la littérature française et américaine. Même aux États-Unis, certains adoptent des positions semblables à la vôtre et d'autres une position contraire, et beaucoup d'avis intermédiaires.
M. Michael Mandel: Peut-être ne sommes-nous pas en désaccord et je ne prétendrai pas avoir la facilité que vous avez dans ces autres langues. J'ai le mémoire que nous avons présenté au Tribunal pénal international dans lequel nous avons cité des autorités en droit international—par exemple, le juge Cassese et d'autres.
Nous avons l'air d'être en désaccord, mais je pense que nous sommes du même avis. Il y a un droit d'intervention humanitaire mais il doit être exercé en conformité avec la Charte des Nations Unies. Cela n'a pas été le cas. C'est là où il y a unanimité...
M. Ted McWhinney: Mais admettez-vous qu'en ce qui concerne l'évolution du droit international, lorsque le Conseil de sécurité a la possibilité de tenir un vote; lorsque les voix sont de 14 contre 0, sans veto; et lorsqu'il y a l'Assemblée générale, où aucun veto ne s'applique, et qu'elle peut être saisie à quelques jours de préavis de la question, et qu'il n'y a aucune mesure, cela montre qu'il s'agit d'un continuum plutôt que d'une situation en noir et blanc.
En termes techniques, quelle différence...
M. Michael Mandel: Ce que cela démontre à mes yeux, c'est justement l'efficacité des mesures de l'ONU en faveur de l'intervention humanitaire.
M. Ted McWhinney: Et vous approuvez l'action du gouvernement canadien qui a placé la situation sous l'égide de l'ONU, au moyen de la résolution 1244. Vous approuvez cela?
M. Michael Mandel: Je pense que nous ne pouvons rien faire de plus pour la paix mondiale que de soutenir l'ONU. Une des raisons pour lesquelles je me suis opposé à cette guerre c'est qu'il s'agissait d'une tentative, à mon avis, de renverser les Nations Unies.
M. Ted McWhinney: D'accord. Merci, professeur.
Le président: Je m'adresse aux membres du comité. Nous devions lever la séance à 11 heures mais je pense que nous allons déborder un peu si les témoins peuvent rester quelques instants.
En outre, je veux que vous compreniez que même si nous discutons d'arguments juridiques complexes, l'objet des audiences n'est pas de trouver des coupables pour ce qui s'est produit. Nous sommes censés voir ce qu'il faut faire à partir de maintenant et formuler des recommandations constructives pour faire face à la situation actuelle dans la région et d'autres grandes questions.
• 1055
Si le fait de discuter de ces questions nous permet de mieux
comprendre, eh bien... je veux dire, il y a la position de
M. Coombes et le professeur Polanyi dira quelque chose de
différent. Mais c'est ce que nous essayons de faire, pour que
chacun comprenne bien.
Ce débat nous est très utile et je ne veux pas l'abréger, mais nous sommes quand même contraints par le temps. Nous pouvons peut-être rester une dizaine ou une quinzaine de minutes de plus. J'invite chacun à respecter la limite de cinq minutes.
Madame Folco.
[Français]
Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): J'ai plusieurs commentaires à faire. Tout d'abord, en blâmant l'OTAN, vous avez certainement tendance à oublier que la réaction du gouvernement canadien—et j'ai participé aux débats—a justement été de protéger une population qui n'avait pas été protégée. N'oublions pas qu'il y a quelqu'un qui s'appelle Milosevic et que ce M. Milosevic avait expulsé au-delà d'un million de personnes, qu'il y avait eu des assassinats et toutes sortes d'atrocités.
Malheureusement, dans votre présentation, je n'ai pas entendu d'allusion à ces atrocités. C'est ce qui a fait que, lorsque nous avons participé au débat sur la question de savoir si le Canada devait participer aux bombardements sur le Kosovo, j'ai vu personnellement l'importance de ce bombardement, comme certains autres, non pas pour protéger les personnes qui avaient déjà été assassinées et violées, mais pour protéger celles qui pouvaient être assassinées, violées ou expulsées de leur propre pays. C'est le premier commentaire que j'ai à faire.
Mon deuxième porte sur le commentaire que M. Robinson a fait tout à l'heure. Moi aussi, j'étais au Timor, juste avant, pendant et après le référendum du mois d'août de l'année dernière. Lorsque je suis allée dans le compound UNAMET, donc le compound des Nations Unies, il n'y avait que des civils. Il n'y avait absolument aucun policier venant des Nations Unies. Nous étions donc, tant les fonctionnaires des Nations Unies que nous, les étrangers venant d'ailleurs, absolument sans protection. C'est un petit détail comparé au manque de protection qu'il y avait pour la population du Timor.
Ce que M. Robinson a dit est tout à fait vrai. La population savait, et on me l'a dit à moi aussi, que le jour après le référendum, il y aurait des assassinats en masse, et les Nations Unies n'étaient pas présentes. Il n'y avait absolument aucune force pour protéger les personnes qui allaient être assassinées.
Voici ma question. Quand j'ai participé, au mois de février, au débat sur le bombardement du Kosovo, je ne pouvais pas prévoir qu'aux mois d'août et septembre, il allait y avoir des assassinats à une échelle aussi grande au Timor. Pour moi, la contribution du Canada au Kosovo a été justement de prévenir. Je me dis qu'en bombardant les forces armées et surtout la milice à Dili, au Timor, on aurait peut-être pu prévenir l'assassinat de milliers de personnes.
Où étaient les Nations Unies à Dili? Elles avaient appris leur leçon au Kosovo. Elles auraient pu revenir et le Conseil de sécurité aurait pu décider d'envoyer des forces armées pour protéger les gens. Elles n'avaient pas appris leur leçon au Kosovo. En conséquence, à Dili, au Timor, des milliers de civils innocents ont été massacrés.
J'aimerais bien entendre votre réponse là-dessus, monsieur.
[Traduction]
M. Michael Mandel: Tout d'abord, si nous n'avons pas parlé de ce que Milosevic ou les Serbes ont fait, ce n'était nullement pour minimiser les souffrances des Albanais. Bien au contraire. Je pars du principe que les dirigeants serbes ont été inculpés de meurtre et je ne comprends pas pourquoi la vie des civils, des enfants, des femmes et des hommes serbes valent moins que celle des enfants albanais ou pourquoi des crimes peuvent être commis contre eux sans que rien ne soit fait, alors que la justice et le droit font leur oeuvre lorsque c'est l'autre camp qui est la victime. Cela me rend soupçonneux vis-à-vis des États-Unis.
• 1100
La situation en Indonésie me rend également très soupçonneux
parce que l'Occident, les États-Unis en particulier, a soutenu ce
régime à fond pendant toute son occupation du Timor-Oriental. Il a
créé les conditions. Il ne voulait pas intervenir parce que le
gouvernement indonésien est le gouvernement des États-Unis. C'est
un client des États-Unis.
On ne peut pas séparer ces crimes de leurs causes ou des conditions sociales qui les ont créés, et la responsabilité des grands pays dans ces situations...
[Français]
Mme Raymonde Folco: Excusez-moi de vous interrompre, mais ce n'est pas le sens de ma question. Je ne vous ai pas demandé si les États-Unis étaient intervenus et pourquoi ils ne l'avaient pas fait. Je vous ai demandé pourquoi le Conseil de sécurité des Nations Unies n'avait pas envoyé de forces armées au Timor. Je ne parle pas des États-Unis, mais des Nations Unies.
[Traduction]
M. Michael Mandel: Je ne suis au courant d'aucune résolution réclamant l'envoi en Indonésie ou au Timor-Oriental... Je ne sais pas s'il y en a qui sont contre ou même si cela a été proposé. Les États-Unis ont essentiellement soutenu, financé et formé le gouvernement et sa force paramilitaire pendant des années. La question n'est donc pas de savoir pourquoi nous n'avons pas soutenu les casques bleus. Ce n'est pas la solution que l'Ouest voulait.
Ce que je veux dire ici, c'est qu'on ne peut pas regarder l'aboutissement d'un processus terriblement violent sans examiner son origine et les causes sous-jacentes qui l'ont précipité. Je ne dis pas—et personne ne dit—qu'il faut aller en guerre et bombarder l'Indonésie et faire ce que l'OTAN a fait au Kosovo. Bien au contraire. Je dis que si les gens recherchent véritablement des solutions pacifiques et si les grandes puissances veulent des solutions pacifiques, elles sont là. Et la responsabilité des grandes puissances dans ces grands bouleversements, ces occupations, ces gouvernements tyranniques, ne peut être oubliée lorsque sur un autre théâtre les mêmes pays se disent humanitaires et se font eux-mêmes justice.
L'important à propos de l'Indonésie, ce n'est pas l'incapacité de la communauté internationale. C'est que cela ne correspondait pas aux intérêts stratégiques de cette grande force militaire, l'OTAN, alors que pour d'autres raisons, le drame terrible de la Yougoslavie, lui, s'y prêtait. Je voudrais une analyse des raisons pourquoi cela s'est produit et de la manière d'arrêter cela. C'est ce que le comité devrait faire.
Je ne pense pas que le droit international se soit révélé impuissant lorsque, comme je l'ai dit, au Conseil de sécurité, le principal gouvernement a exercé son droit de veto—85 p. 100 des vetos exercés au cours des 10 dernières années l'ont été par les États-Unis. Ils n'ont aucun droit de se dire exaspérés par l'incapacité d'agir de l'ONU. Je ne pense pas qu'ils prennent l'ONU au sérieux. Je pense qu'ils essaient actuellement de renverser l'ONU. C'est notre devoir à nous de défendre les Nations Unies, de défendre le droit—le droit intérieur canadien et celui de l'ONU—et de ne pas dire qu'il n'y a rien à faire entre faire rien et lancer des bombardements massifs, ou faire semblant de ne pas comprendre pourquoi l'OTAN bombarde la Yougoslavie et ne bombarde pas l'Indonésie.
Le président: Monsieur Coombes, terminez rapidement, puis nous allons passer...
M. Peter Coombes: Je voulais seulement dire que si je ne me suis pas élevé contre Milosevic, ce n'est pas parce que je suis un de ses partisans, bien au contraire. Je dirais que 90 p. 100 des centaines de Yougoslaves avec qui j'ai travaillé sont des Serbes qui ont quitté la Yougoslavie à cause des politiques de Milosevic et de son régime. Ils ne sont donc sûrement pas de ses partisans, et moi non plus.
Le problème, ici, c'est que nous cherchons dans notre société des solutions simples, que ce soit chez nous ou sur la scène internationale. La solution de facilité pour le monde occidental est d'intervenir par des bombardements. Si nous étions allés au Timor-Oriental et avions commencé à bombarder des installations militaires, cela aurait été un désastre encore plus grand pour ce pays, pour cette région. Qui sait ce que cette étincelle aurait pu allumer dans la région. Combien de gens auraient été tués?
Je pense que le Canada a fait des pas dans la bonne direction au Timor-Oriental et je dois féliciter notre pays ici. Nous avons fait des pas dans la bonne direction. Nous avons essayé d'envoyer des forces de maintien de la paix. Nous l'avons fait un peu tard. Je pense qu'il faudrait agir plus rapidement. Il faut pouvoir agir plus rapidement. Je pense qu'au cours des 20 dernières années, nous avons eu tort de soutenir le gouvernement indonésien.
• 1105
J'ai une vidéo de Raymond Chan, qui est interrogé sur les
exportations du Canada vers l'Indonésie, et il dit que nous
exportons à peine un million de dollars de produits militaires vers
ce pays. Et bien, un million de dollars, cela peut faire beaucoup
quand on exerce de la répression sur son propre peuple.
L'alternative n'est donc pas de ne rien faire ou de bombarder. C'est une idée ridicule. En fait, je dirais même dans le cas de la Yougoslavie que nous aurions sans doute mieux fait de ne rien faire du tout que de bombarder, si vous voulez comparer les deux extrêmes.
Le président: Monsieur Speller.
M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Coombes, vous savez que le mot «crap» signifie ici quelque chose de différent.
Monsieur Mandel, vous semblez dire que le tribunal n'a pas de crédibilité parce que les gens de l'OTAN semblent être ceux qui font enquête. Vous ajoutez qu'il est dit dans le rapport de Human Rights Watch—que j'ai ici—qu'on n'a trouvé aucune preuve de crimes de guerre. Sont-ils aussi influencés par les États-Unis ou par l'OTAN? Je ne sais pas comment vous pouvez nous accuser tous de crimes de guerre quand ce groupe indépendant n'a en fait pas trouvé de preuve de crimes de guerre.
En même temps, vous semblez dire que dans certaines circonstances, des raisons humanitaires justifient de faire la guerre et qu'il faut pour cela prouver que les conséquences de ses actes sont moins graves que ce qui se serait produit si l'on n'était pas intervenu. Est-ce effectivement ce que vous dites?
M. Michael Mandel: La nécessité de défense est... C'est une justification morale fondamentale pour toute intervention—à savoir que vos actes doivent normalement faire plus de bien que de mal.
M. Bob Speller: D'accord, mais comment fait-on cela? La guerre, c'est l'enfer et quand cela commence, il est difficile d'arrêter. Est-ce qu'il faut alors attendre jusqu'à ce qu'on ait l'impression que l'on tue et que l'on viole des tas de gens? Je ne sais pas comment vous pouviez vous attendre à ce que quiconque, nous compris, dise: «D'accord, je crois que c'est le moment. Il y a probablement eu assez de monde tué et violé. Nous n'arrêterons qu'après tant de morts et tant de bombardements». Il est quand même assez difficile d'arrêter en cours de conflit.
M. Michael Mandel: Avant de commencer, il faut savoir ce que l'on fait. C'est comme une prise d'otages. La police arrive. Elle peut négocier ou faire sauter tout le monde. Et l'OTAN a décidé de faire sauter tout le monde. Si la police s'y prenait de cette façon, elle commettrait des crimes. Si elle ne prenait pas toutes les mesures raisonnables nécessaires pour faire le moins de mal et pour trouver une solution légale et pacifique, elle commettrait des crimes.
M. Bob Speller: Oui, mais je pense que c'est ce qu'ils ont fait. Ce rapport dit aussi à propos des bombes à dispersion qu'on a arrêté de les utiliser lorsque l'on a constaté les résultats. Il semble donc...
M. Michael Mandel: Les États-Unis oui, pas la Grande-Bretagne, d'après Human Rights Watch.
M. Bob Speller: En effet, il est dit qu'ils peuvent les avoir utilisées encore une fois. Mais à la lecture du rapport, il me semble que...
M. Michael Mandel: L'utilisation des bombes à dispersion—vos bombes antipersonnel—quand on vise des cibles civiles comme le centre-ville de Belgrade, un marché, ou un pont en plein jour, c'est complètement indéfendable, parce que cela va tuer des civils. C'est une violation de la Convention de Genève et Human Rights Watch l'a bien dit.
Je conviens avec vous que cette organisation a déclaré qu'à son avis il n'y a pas eu de crimes de guerre. Mais elle a tout de même décrit des choses qui sont en fait des crimes de guerre et des violations du droit humanitaire: l'attaque délibérée de cibles civiles et des tentatives pour terroriser la population civile et des cibles qui n'étaient pas militaires et qui allaient à coup sûr tuer des civils.
Ils n'ont parlé que des résultats directs des bombardements et ont épargné l'OTAN à propos des résultats indirects. Je pense que c'est une erreur. Mais leurs observations factuelles, ce qu'ils ont confirmé, étant donné leur position historique à propos de cette guerre et le fait qu'ils y étaient favorables, devraient être considérées comme le minimum de crimes de guerre commis par l'OTAN.
• 1110
S'ils ne les qualifient pas de crimes de guerre, ils ont leurs
raisons mais ils ne donnent pas de justification légale pour cela.
Ce n'est absolument pas défendu sur le plan légal. C'est juste une
déclaration. Je dirais qu'elle a probablement été politiquement
motivée afin de rendre leur rapport plus acceptable. Il est très
difficile pour des gens de croire que leurs gouvernements
commettent des crimes de guerre alors que celui-ci déclare qu'il
fait la guerre pour les empêcher.
M. Bob Speller: Dans ce rapport, on parle aussi de l'utilisation de civils comme boucliers humains par les Yougoslaves. En fait, cela a probablement accru le nombre de victimes civiles.
M. Michael Mandel: Dans ces cas, ils n'ont pas attribué ces morts aux bombardements de l'OTAN. Ils ont soustrait ces chiffres. Il y a par exemple le cas d'une prison qui a été bombardée et le gouvernement yougoslave a prétendu qu'une centaine de personnes avaient été tuées. Human Rights Watch dit que seulement 20 personnes ont été tuées et que les Yougoslaves en ont profité pour tuer les prisonniers. Même si l'on accepte ce que dit Human Rights Watch, il est tout à fait clair que ces gens-là seraient encore en vie s'il n'y avait pas eu les bombardements de l'OTAN. Cela a été le résultat très direct d'un bombardement illégal. Il est très important quand on soupèse les coûts de cette guerre d'inclure également tout cela.
M. Bob Speller: Est-ce que les chiffres que vous utilisez viennent du gouvernement yougoslave ou prenez-vous un ensemble...
M. Michael Mandel: Le nombre minimum est le nombre indiqué par Human Rights Watch. Ils disent que ce sont les chiffres que l'on a pu confirmer. Ils donnent toujours le bénéfice du doute à l'OTAN. Même sur les bombes à dispersion, ils acceptent la parole de l'OTAN au sujet de l'arrêt de l'utilisation de ces bombes. Ils disent avoir reçu ce renseignement d'un agent de l'OTAN. Le chiffre estimatif de la Yougoslavie était de 1 800 qui, disait-elle, était le nombre de morts connu. Je suppose que le chiffre se situe entre les deux.
Mais n'oubliez pas que tuer délibérément 500 civils sans excuse légale est une tuerie. Ce minimum est supérieur au nombre de meurtres attribué à Milosevic. Il faut donc replacer les choses dans leur contexte. C'est très grave. Toute vie est sacrée.
M. Bob Speller: Quel est le nombre minimum qui justifierait d'entrer en guerre alors? Vous dites que ce serait des raisons humanitaires. Est-ce que c'est 5 000, 10 000? Combien?
M. Michael Mandel: Une guerre légale autorisée par le Conseil de sécurité et justifiée comme tout à fait nécessaire, dans laquelle seraient scrupuleusement observées les Conventions de Genève, dans laquelle tous les risques ne retomberaient pas sur les civils, dans laquelle les défenseurs de raisons humanitaires, les soldats, prendraient aussi certains risques, ce qui est en fait prévu dans les lois de la guerre, s'il s'agissait réellement d'essayer de réduire au minimum le nombre de victimes civiles dans une guerre légale, ce ne serait évidemment pas une guerre criminelle. C'était le contraire dans ce cas.
Le président: Ce n'était pas la question, monsieur Mandel. Vous dites que nous parlons de chiffres et vous n'arrêtez pas de parler d'autre chose et de dire que les États-Unis ont fait ceci et cela. On vous a posé une question précise. Étant donné que vous fondez votre attaque sur ce qui a été fait sur des chiffres, à votre avis, quel est le nombre qu'il faudrait pour justifier une intervention aux termes du droit humanitaire international, 10 000...
M. Michael Mandel: Ce n'est pas à moi de décider d'une intervention, c'est au Conseil de sécurité des Nations Unies. Je ne suis pas le gouvernement canadien. Je ne suis pas le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Le président: Alors je ne crois pas que vous puissiez fonder votre attaque sur des chiffres si vous n'êtes pas prêt à...
M. Michael Mandel: Je ne veux pas que l'OTAN décide de cela toute seule. Je ne veux pas que l'OTAN soit le juge, le jury et le bourreau...
Le président: C'était bien ce que vous vouliez demander, monsieur Speller.
M. Michael Mandel: ...et décide ce qui justifie une intervention. L'OTAN doit obéir également à la loi, me semble-t-il. La loi ne s'applique pas simplement à nous.
Le président: D'accord. Écoutez, c'est simplement que je trouve qu'il n'est pas normal d'utiliser des chiffres dans une partie de votre raisonnement si vous refusez de les utiliser ensuite.
Nous allons passer à Mme Carroll puis nous devrons partir. Nous devons en effet être à la Chambre dans un quart d'heure et je ne vous laisserai donc que cinq minutes, madame.
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Merci, monsieur le président. Beaucoup de collègues ont déjà soulevé les questions que je voulais soulever et j'essaierai donc de ne pas répéter.
Monsieur, je crois qu'après ce que nous a dit le président, si nous n'avions pas joué notre rôle comme membre de l'OTAN, nous serions probablement ici aujourd'hui devant un autre professeur qui nous jugerait un peu comme vous en nous accusant de ne pas avoir analysé les données empiriques que nous avions sous les yeux et de n'avoir pas suivi la voie que celles-ci nous dictaient.
Peut-être que nous avons un rôle un peu différent de celui des universitaires parce que nous ne pouvons nous permettre de ne pas nous prononcer, nous devons, avec nos expériences et nos valeurs, prendre une décision. Je ne veux pas minimiser le rôle des universitaires mais je voudrais attirer votre attention sur un article—il y a longtemps que je ne l'ai pas relu—d'Henry Kissinger quand il était toujours à Harvard et qui s'intitulait: «The Intellectual in the Policy-making Process». Cela porte sur beaucoup de choses dont nous discutons aujourd'hui. Il y a un moment où il faut se décider et se décider avec les informations à notre disposition.
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Bien que nous ayons un peu abordé la question, j'aimerais
revenir sur ce que nous avons observé. Pour ce qui est de la
Yougoslavie, nous avons observé l'échec terrible des Nations Unies
face aux atrocités constatées. Nous l'avons observé en
Bosnie-Herzégovine, avec la lutte entre les Serbes bosniaques, les
Croates et les Musulmans. Je lis dans les notes que j'ai prises
hier soir pour me préparer à la séance d'aujourd'hui, que l'exemple
le pire était à Srebrenica où, des données empiriques le prouvent,
si je ne m'abuse, des milliers de Musulmans du sexe masculin,
jeunes ou vieux, peu importe, ont été tués et que les troupes
hollandaises de l'ONU n'ont rien pu faire à ce sujet. À Sarajevo,
que l'on voyait à la télévision tous les soirs, nous constations ce
même échec.
Même si le général Lew MacKenzie a attaqué l'action de l'OTAN, c'est lui qui a dit que l'on ne peut mener une guerre avec une administration qui siège à New York de 9 heures du matin à 5 heures du soir.
Cela veut dire que lorsqu'on décide que l'on a suffisamment de preuves pour se sentir obligé de lancer une action militaire, il faut s'efforcer d'être efficace. Il faut se demander si c'est réalisable? Je crois que j'aurais pu être attaquée à juste titre si nous avions renoncé à prendre une décision et déclaré qu'il fallait que la question soit renvoyée à l'ONU.
Évidemment, à l'ONU, il y aurait eu un veto. Ils n'auraient rien pu faire à ce sujet. Et je dois dire que si c'était passé au Conseil de sécurité et qu'il y avait eu un veto de la Russie ou de la Chine ou des deux et que si l'OTAN avait continué à évaluer la situation et jugé qu'il fallait intervenir, cela aurait été alors fatal pour la crédibilité des Nations Unies.
Le président: Vous avez déjà utilisé trois des cinq minutes à votre disposition et peut-être devriez-vous poser votre question.
Mme Aileen Carroll: Qu'est-ce qui vous pousse à conclure que les Nations Unies auraient été efficaces dans ce cas?
M. Michael Mandel: Je dois dire qu'il était très important que la Russie participe au processus de paix. La solution réelle devait compter sur la participation de la Russie et je ne crois pas que quoi que ce soit ait donné la preuve que la Russie n'était pas capable de ramener la paix.
Je conviens avec vous que le fait que vous soyez élus vous confère une responsabilité très lourde. Vous devez évaluer les faits à votre disposition et vous ne pouvez pas croire l'OTAN sur parole.
Mme Aileen Carroll: Je ne l'ai pas fait.
M. Michael Mandel: Vous savez ce qu'est l'OTAN. Vous savez ce que sont les Américains. Vous avez vu ce qu'ils ont fait dans le reste du monde. Vous ne pouvez pas dire que parce qu'ils vous disent ceci, cela suffit. Vous avez une responsabilité, nous avons tous une responsabilité, qui consiste à évaluer les faits et essayer de faire ressortir la vérité.
Mme Aileen Carroll: Aucun des faits sur lesquels nous nous sommes fondés venait de l'OTAN.
M. Michael Mandel: Vous avez effectivement cette responsabilité, et elle est lourde. Aucun d'entre nous n'y échappe. Nous devons décider de la position à prendre, parce qu'en tant qu'universitaires et que membres de la classe politique, personne ne peut nous libérer de nos consciences si nous avons mal agi.
On ne peut donc pas dire que quoi qu'on fasse, quelqu'un va vous crier après. Il faut décider de ce qui est juste. Il faut décider de ce qu'est la vérité. Il ne suffit pas que l'OTAN dise que c'est le cas. Il faut examiner la situation attentivement. Il faut se demander le contexte de tout cela? Dans quelle mesure l'OTAN est-elle sincère? N'y a-t-il vraiment aucune autre solution pour trouver la paix? Est-ce que cela en vaut la peine? Avant d'autoriser quelque chose de cette nature, soyez parfaitement sûrs que c'est une bonne solution, parce que si ce n'est pas le cas, alors vous aurez beaucoup de sang sur les mains.
On ne m'a pas élu pour le faire, mais vous l'avez été. J'ai ma propre position là-dessus. Nous avons tous une conscience, mais vous êtes élus, et vous devez prendre une décision. Il ne suffit pas de dire que quelqu'un vous aurait crié après.
Le président: C'est un problème pour nous.
Avant de conclure, je veux vous poser des questions d'ordre juridique. Vous avez mentionné que nous avons enfreint le droit national canadien. Pourquoi donc n'avez-vous pas intenté des poursuites au Canada? Pourquoi ne pas soumettre la question à un tribunal?
M. Ted McWhinney: Un tribunal canadien.
Le président: Vous dites que nous avons largement enfreint le droit canadien. Alors pourquoi ne pas intenter une poursuite devant un tribunal canadien? Votre...
M. Michael Mandel: J'en ai déjà plein les mains avec le Tribunal pénal international, et je travaille sans relâche à ce mémoire. C'est une affaire très sérieuse. En outre, je pense que le Tribunal pénal international est un aspect très important de cette guerre. Je pense que si cette guerre a éclaté—et à mon avis illégitimement—à la suite d'une violation du droit international justifié par le Tribunal pénal international...
Le président: Nous voyons bien.
M. Michael Mandel: Il est important de s'adresser au Tribunal pénal international et de dire que la loi doit s'appliquer également à tous, qu'on ne peut imposer de sanctions à la Yougoslavie sous prétexte qu'elle a mis en accusation des criminels de guerre quand nous constatons bien ici que nous avons affaire à des criminels de guerre contre qui aucune accusation n'a été portée. Je pense que c'est un très bon point de départ; je pense que certains essaient de faire appel aux tribunaux canadiens. Mais c'est manifestement une violation du droit canadien.
Permettez que j'ajoute autre chose...
Le président: Un instant s'il vous plaît. Attendons la décision du tribunal à ce propos, d'accord? J'aimerais vous poser une autre question.
M. Robinson vous l'a déjà posée, tout comme M. Speller, au sujet de Human Rights Watch. Vous reconnaissez certains faits et vous en concluez qu'on a commis un crime de guerre. Vous reconnaîtrez certainement avec moi—en tant que professeur de droit—que les faits nous disent quelque chose, mais déduire des faits qu'un crime a été ou non commis c'est tirer une conclusion de droit. C'est donc votre conclusion de droit, à titre personnel, conclusion qui n'a été confirmée par aucun tribunal ou, comme l'a dit M. McWhinney, qui n'est pas reconnue par beaucoup d'autres universitaires.
J'ai parlé à Tom Franck l'autre jour. Il est le président de la Société américaine de droit international. Dans son récent article paru dans l'American Journal of International Law, que vous lisez certainement, il est d'accord avec vous, comme le sont de nombreux autres universitaires, pour dire que l'intervention allait à l'encontre de la Charte des Nations Unies, mais il n'en conclut pas que des crimes de guerre ont été commis. Il y a...
M. Michael Mandel: Il y a deux questions distinctes...
Le président: Le Canada viole le droit international tous les jours si l'on pense à la pollution et à de nombreuses autres questions. Cela n'en fait pas pour autant des actes criminels.
M. Michael Mandel: Mais il ne tue pas de civils quand il le fait.
Le président: Tant qu'il n'aura pas été conclu qu'un crime de guerre a été commis—vous reconnaîtrez avec moi qu'il doit s'agir d'une conclusion de droit, qui doit découler des faits—conclusion qui doit venir d'un tribunal informé, dont vous êtes une voix présentant un argument, mais pas la seule voix faisant autorité... Il y aura d'autres voix. Nous devons en fin de compte faire en sorte que cela soit tranché par une cour de justice.
M. Michael Mandel: Bon nombre de professeurs de droit du monde entier—des centaines—se sont plaints devant ce tribunal; je suis donc sûr de ne pas être seul à me demander si des crimes de guerre ont été commis.
Ce que j'essayais de dire au sujet de Human Rights Watch, c'est que le tribunal, en vertu de son mandat, est tenu de faire enquête sur les crimes de guerre lorsqu'il est saisi de preuves établissant qu'ils ont été commis, et lorsqu'il existe de prime abord de tels éléments de preuve, il est normal qu'il préfère les mises en accusation.
Le président: C'est juste.
M. Michael Mandel: Human Rights Watch a établi qu'il existe des éléments de preuve à première vue. Et même dans le cas où cet organisme arrive à la conclusion que malgré les preuves soumises, il n'y a pas crimes, cela n'excuserait ni la juge Del Ponte ni la juge Arbour de faire leur travail, et c'est là où je voulais en venir.
Le président: Vous conviendrez cependant avec moi que c'est au juge Del Ponte et au juge Arbour ainsi qu'au juge du Tribunal pénal international qu'il revient de prendre une telle décision. C'est votre opinion contre la leur. Les juges sont des juristes tout aussi qualifiés, et ils exercent des fonctions d'autorité qui leur permettent de se prononcer sur ce genre de cause et sur l'opportunité de procéder ou non par mise en accusation.
M. Michael Mandel: C'est tout à fait juste, mais...
Le président: C'est bien, c'est tout ce que je voulais...
M. Michael Mandel: ...ils sont tenus de respecter la loi. Ils ont le devoir d'appliquer la loi qui régit leur travail. Vous et moi pouvons toujours avoir un avis différent sur l'existence de Dieu, mais il existe une réponse juste à cela. Ce n'est pas qu'une question d'avis personnel.
Une voix: Oh, oh!
M. Michael Mandel: Je m'excuse.
Le président: Sur ce...
M. Michael Mandel: Je n'ai pas moi-même pris position. J'ai dit qu'il y avait une réponse juste.
Le président: En cet endroit, sans répondre à votre question au sujet de la divinité, il existe une certaine règle qui s'applique aux whips et croyez-moi, ils exercent une certaine autorité sur nous, de sorte que nous devons suspendre nos travaux et aller voter à la Chambre.
Je vous remercie tous les deux très vivement. Les problèmes que vous avez soulevés sont très graves. Nous essayons d'en venir à bout. Nous espérons que lorsque notre travail sera terminé, nous aurons montré une meilleure façon de traiter de telles questions. Tout le monde convient qu'il y a eu d'énormes problèmes, efforçons-nous donc d'améliorer le système.
La séance est levée.