SRID Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SUB-COMMITTEE ON HUMAN RIGHTS AND INTERNATIONAL DEVELOPMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
SOUS-COMITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 1er mars 2000
La présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Que mon nom ne vous induise pas en erreur. En effet, je ne suis malheureusement pas aussi douée que d'autres membres du comité et je vais donc devoir compter sur l'interprétation.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Nous tenons plusieurs tables rondes en compagnie de représentants canadiens et des groupes des ONG pour examiner le rôle de la société civile dans l'établissement de la sécurité humaine en Afrique.
Un certain nombre de témoins nous ont dit qu'il serait utile d'examiner le rôle de la société civile dans la lutte contre les difficultés que traverse la République démocratique du Congo qui, comme nous le savons, est aux prises avec un conflit très complexe mettant en cause des groupes rebelles dans un certain nombre de pays voisins. Nous aimerions entendre votre avis sur la question.
Si les membres du comité décident d'approfondir la question, ils voudront tenir d'autres audiences, visiter la région et présenter un rapport assorti de recommandations en vue d'établir la politique officielle du Canada.
Dans trois semaines, nous entendrons des fonctionnaires du ministère qui nous parleront de la situation au Congo. Nous nous réjouissons de pouvoir miser sur vos opinions et vos suggestions lorsque nous les rencontrerons.
Je signale aux membres du comité que le ministère des Affaires étrangères tient sa séance annuelle de consultations sur les droits de l'homme la semaine prochaine en préparation aux séances de la Commission des droits de l'homme de l'ONU à Genève.
M. Svend J. Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Cela commence cette semaine et se termine lundi.
La présidente: Comme par le passé, dans deux semaines, nous allons entendre Adèle Dion du ministère, qui nous parlera des consultations et des priorités du Canada à Genève.
Nous recevons aujourd'hui M. Marc Kapenda de l'Union pour la démocratie et le progrès social; M. Jean-Christophe Kasende du Centre de recherche sur la démocratie pour le développement en Afrique ainsi que M. Denis Tougas de la Table de concertation.
M. Tougas nous a remis un document, qui n'est qu'en français. Nous obtiendrons la version anglaise la semaine prochaine; je vais donc faire distribuer le texte. Ceux qui comme moi n'ont pas le don des langues recevront leur document en anglais la semaine prochaine.
J'invite l'un d'entre vous à décider qui fera l'exposé.
Monsieur Tougas.
M. Marc Kapenda (représentant, Union pour la démocratie et le progrès social): C'est moi qui ferai l'exposé. Je m'exprimerai en français, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
La présidente: Très bien.
[Français]
M. Marc Kapenda: Mesdames et messieurs, membres du Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, au nom de l'UDPS, nous devons avant toute chose nous acquitter d'un devoir agréable, celui de remercier, en passant par votre sous-comité, le Parlement du Canada pour la toute première occasion qu'il donne au groupe canadien d'origine congolaise, et plus particulièrement à l'UDPS, de faire un témoignage sur la situation du Congo. Nous espérons que ceci constitue une première occasion qui inaugure un début de consultation.
L'UDPS Canada est encore un projet d'organisation civile avec des bénévoles qui sont, pour la plupart, d'anciens membres de l'Union pour la démocratie et le progrès social, l'UDPS, qui est le plus vieux parti politique national d'opposition démocratique au Congo, fondé en 1982 par un groupe de parlementaires décidés à braver la peur, devant la toute terrifiante dictature de Mobutu, alors président du Zaïre.
L'UDPS Canada se veut donc une ONG dont le mandat est d'influencer le soutien canadien au processus de la démocratisation et du développement du Congo et de contribuer à l'établissement de liens entre les diverses institutions canadiennes et celles du Congo.
Comme ONG, notre appui à l'Union pour la démocratie et le progrès social n'est pas un secret. À notre avis, dans le contexte de la panoplie de séduction et de violence exercée par les régimes officiels congolais, aussi bien sous Mobutu hier que sous Kabila aujourd'hui, l'UDPS reste le parti congolais d'opposition interne à caractère national, qui défend, au prix d'innombrables sacrifices, un projet démocratique dans une philosophie de non-violence et de non-exclusion, et dont les membres s'exercent, par leur réflexion critique et par leur dénonciation des méfaits du pouvoir en place, à la participation politique.
Outre l'UDPS, notre collaboration au Zaïre doit s'étendre aux ONG des droits de l'homme et à d'autres organisations de défense des idéaux démocratiques. En effet, la résistance de l'UDPS et le fonctionnement, tant bien que mal, de quelques braves organisations des droits de l'homme, dans un contexte de dictature aussi virulente que celle du régime Kabila aujourd'hui, sont des indicateurs de la détermination des Congolais à rejeter toute forme de dictature, même au prix de leur sang.
Dans cette détermination, un homme s'est particulièrement distingué, Étienne Tshisekedi, que les nombreuses arrestations, tortures et perversions diverses n'ont pas découragé, pas plus qu'elles n'ont eu raison de son attachement à la philosophie de non-violence et à sa détermination d'instaurer un État moderne et solvable au coeur de l'Afrique centrale.
Après cette présentation, permettez-nous de vous dire qu'il nous faudrait bien plus que 10 minutes pour vous informer de l'énormité des cas de violation des droits de l'homme au Congo. Aussi devons-nous nous contenter de vous relater la source du mal. Quant aux détails sur les violations elles-mêmes, nous déposons à votre intention une copie du rapport d'Amnistie Internationale et une copie des rapports de Human Rights Watch, qui sont des observateurs directs sur le terrain.
Les Congolais ont eu l'occasion de décrier le régime dictatorial de Mobutu lors de la Conférence nationale souveraine qui avait réuni, de 1991 à 1992, plus de 2 800 délégués des partis politiques, des ONG, des communautés, des institutions gouvernementales et quelques sommités intellectuelles zaïroises.
Après deux ans de travaux, ce forum, qui doit son aboutissement pénible à la mobilisation et à la vigilance collective, a produit les résultats importants suivants: un projet constitutionnel d'un Congo fédéral et démocratique, à soumettre au référendum populaire; un acte constitutionnel transitoire; une organisation de l'État caractérisée par la révision des pouvoirs et dont les institutions—présidence de la République ou gouvernement de transition, le Haut Conseil de la République, le parlement de transition, les cours et les tribunaux—furent retenues comme organes devant assurer la transition et appliquer les décisions de la CNS, la Conférence nationale souveraine.
• 1545
Pour veiller au grain, la CNS a voulu que le
premier ministre élu par ce forum national tire sa
légitimité de lui et ne puisse être révoqué par le
président de la République. En réalité, c'est
seulement deux mois de travail après son installation
qu'Étienne Tshisekedi, le premier ministre élu par la
Conférence nationale souveraine, se verra barrer la
porte de son cabinet et celle de tous les ministères de
son gouvernement par la soldatesque de Mobutu.
Ce dernier nommera, en violation de l'Acte
constitutionnel, une succession de premiers ministres
qui n'obtiendront pas la collaboration de la population
civile, et ce, jusqu'à sa fuite et sa mort en 1997.
Au moment où M. Kabila est arrivé au pouvoir à la tête d'une rébellion triomphante, en 1997, le Zaïre avait déjà réalisé un travail de fond en matière de projet de démocratie et de développement. Ignorer ce projet sorti de la CNS paraît, aux yeux de la majorité des Congolais, une instauration de pouvoir personnel, une dictature.
Les indicateurs de la dictature n'ont d'ailleurs pas tardé à s'extérioriser. M. Kabila a interdit le fonctionnement des partis politiques, qui pourtant, depuis 1990, avaient fonctionné tant bien que mal sous Mobutu. Des dirigeants ainsi que des membres des partis politiques, d'organisations des droits de l'homme et d'organes de presse ont été fréquemment faits prisonniers d'opinion. De jeunes officiers militaires, formés à l'étranger et qui avaient rallié la nouvelle armée de Kabila, ont été exécutés secrètement, sans inculpation ni procès.
Comme il y avait sous Mobutu le Comité de la jeunesse du Mouvement Populaire de la Révolution, Kabila a installé des comités de pouvoir populaire dans des quartiers urbains, dans l'ensemble du pays et à l'étranger, sous l'appellation de CPP ou sous d'autres dénominations, avec l'appui des ambassades et du Congo pour appuyer et répandre son idéologie nationaliste et pour terroriser des Congolais ayant des opinions contraires à celles du pouvoir.
Les droits des citoyens sont ignorés dans le régime de Kabila, et toute tentative d'opinion contraire est un motif d'arrestation de son auteur. Si l'on considère que la force des partis politiques et des groupes réside dans le processus électoral du régime démocratique, jeu par lequel ceux-ci cherchent à faire placer leurs candidats à des postes publics, il devient aisé de comprendre que, faute de démocratie, divers groupes utilisent des moyens divers pour s'opposer au régime en place.
La rébellion dans l'est du pays trouve son origine dans cette crise politique. Des filles et fils du pays exclus du jeu politique se sont ralliés à des forces armées de pays voisins, en l'occurrence le Rwanda et l'Ouganda.
La confusion devient totale lorsque les régimes de ces deux pays profitent de la rébellion congolaise pour lancer leurs troupes à la poursuite des extrémistes hutus, auteurs du génocide sur les Tutsis, en 1994. Ces troupes, à leur tour, brillent particulièrement par des actes de génocide sur les populations congolaises des territoires occupés, qu'ils associent tout simplement aux Hutus. Des villages entiers sont pillés et brûlés. De nombreuses personnes civiles sont exécutées ou enterrées vivantes en guise de représailles, et les richesses minières de la région sont pillées au profit de ces pays.
Dans ces conditions, de nombreuses populations civiles, redoutant la violence militaire ougandaise et rwandaise, errent dans la forêt, attendant en vain la fin de leur cauchemar. L'UDPS Canada est opposée à une guerre inutile qui fait de nombreuses victimes innocentes dans la population civile de l'est du pays et qui paralyse le fonctionnement de l'État.
Nous croyons que, d'une part, l'absence d'un État légitime et responsable au Congo et, d'autre part, l'irresponsabilité des gouvernements du Rwanda et de l'Ouganda qui profitent de l'appui à la rébellion congolaise pour piller les ressources du Congo et tenter d'occuper une partie du territoire congolais sont le fondement de la crise politique et du conflit armé actuel.
• 1550
Nous nous réjouissons du début d'attention porté à ce
problème par le Conseil de sécurité de l'ONU.
Nous émettons le voeu que des forces d'interposition
plus nombreuses soient dépêchées sur le terrain pour
garantir le respect des accords de Lusaka, amener les
Congolais autour de la table ronde nationale pour
organiser le pouvoir de transition et surveiller le
processus de démocratisation jusqu'à l'organisation
d'élections libres et transparentes. Il sera aussi
question que, sous un gouvernement responsable,
légitimé par la table ronde nationale, tous les
militaires étrangers quittent le territoire congolais
afin que celui-ci retrouve son intégrité territoriale.
Nous croyons que, dans l'ensemble de ce processus du rétablissement de la paix et de l'organisation et de l'instauration d'un État moderne, le Canada, fort de sa culture politique et de son image sur l'échiquier international, peut jouer un rôle direct et d'influence. Soutenir le projet démocratique, le processus du relèvement du Congo, plutôt que les nationalismes xénophobes actuels, pour faire enfin du Congo un pays solvable, c'est contribuer au développement international.
Je vous remercie.
[Traduction]
La présidente: Merci. Je souhaite également la bienvenue à Lucien Naki. Il vient d'arriver. Il est le président et responsable des contacts externes de la Commission indépendante de préparation pour le dialogue inter-congolais.
M. Lucien Naki (président et responsable des contacts externes de la Commission indépendante de préparation pour le dialogue inter-congolais, Commission politique du CSDCK): Merci beaucoup.
La présidente: Monsieur Denis Tougas. Voulez-vous faire votre exposé maintenant?
[Français]
M. Denis Tougas (porte-parole, Entraide missionnaire; Table de concertation sur les droits humains au Congo-Kinshasa): Si je peux me permettre, j'aimerais accorder la priorité aux ressortissants congolais puisqu'on parle de leur pays.
La présidente: D'accord.
M. Lucien Naki: Madame, il vaudrait mieux suivre l'ordre prévu, parce qu'à la fin, comme notre organisation est une plate-forme, j'aimerais inviter le président de la commission, M. Théophile Zamba, à me rejoindre à cette table. La commission est la plate-forme de plusieurs organisations. J'aimerais donc qu'on suive l'ordre tel qu'il a été établi.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Kasende, allons-nous suivre l'ordre prévu à l'ordre du jour?
Un témoin: Oui.
[Français]
M. Jean-Christophe Kasende (président du conseil d'administration, Centre de recherche sur la démocratie pour le développement en Afrique): Je ne sais pas si mon argument sera plus valable que ceux des autres. Nous sommes un centre de recherche. Les autres groupes sont des groupes de tendances différentes. Nous contactons tout ce monde pour obtenir des éléments et les analyser scientifiquement. Donc, en principe, ils devraient parler d'abord.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Tougas.
[Français]
M. Denis Tougas: Dans ce cas, si vous me le permettez, je vais prendre la parole.
Je vous remercie de l'invitation que vous avez faite à la Table de concertation sur les droits humains au Congo-Kinshasa, qui existe depuis 1988 et qui édite un petit feuillet mensuel depuis 1992 dans les deux langues, qui est également traduit en allemand. Il est distribué en Allemagne. C'est pour mettre l'accent sur le fait qu'il existe des ressources importantes et intéressantes au Canada même sur la situation du Congo.
J'encourage fortement les parlementaires à s'intéresser à la situation du Congo pour plusieurs raisons. La question des droits de la personne et la situation actuelle de guerre nous interpellent en tant qu'humains. Le Congo fait également partie de la Francophonie. C'est le deuxième pays en importance de la Francophonie, à laquelle le Canada participe. Surtout, et j'y reviendrai dans ma présentation, les intérêts canadiens sont de plus en plus présents au Congo, particulièrement les intérêts miniers. Ils sont présents dans le reste de l'Afrique, mais d'une manière particulière au Congo.
J'ai eu assez de difficulté à préparer cette présentation puisque je ne connais pas vos intérêts actuels ni le degré de vos connaissances, que j'imagine très élevé. C'est pourquoi je n'entrerai pas dans les détails, m'imaginant que vous suivez assez bien la situation. J'aborderai trois points: la question humanitaire, les droits de la personne et cette question particulière des intérêts miniers canadiens et étrangers en Afrique et particulièrement au Congo.
Quant à la question humanitaire, il me semblait tout à fait important de l'aborder d'abord puisque, avant de parler des droits de la personne et de la situation de la société civile, il faut bien voir quel est le contexte actuel.
• 1555
Je vous donne uniquement un chiffre,
celui que les Nations Unies ont présenté en décembre
dernier: pour l'année 1999, on n'avait reçu que
20 p. 100 des fonds demandés en réponse aux appels
des agences onusiennes pour l'aide internationale. C'est
dire la faiblesse de la réponse de la communauté
internationale face à la situation.
Cette situation, en chiffres, est à peu près la suivante. Actuellement, on calcule qu'il y a près d'un million de personnes déplacées. Il y a, à l'intérieur du Congo, plus de 300 000 réfugiés. La malnutrition atteint maintenant 17 p. 100 de la population et 4 p. 100 de cette population est en disette sévère, c'est-à-dire que ces gens risquent d'en garder des séquelles. Quatre pour cent, cela veut dire 2 150 000 personnes.
Des maladies que l'on croyait disparues sont réapparues au Congo et le pays est devenu un centre important d'observation, si je peux dire, pour tout ce qui touche l'hygiène mondiale. Je vous cite ces maladies: la polio, la maladie de Marburg, qui est très proche de la maladie d'Ebola, et la maladie du sommeil, qu'on croyait totalement disparue de l'Afrique. Actuellement, le Congo est donc une poudrière sanitaire au niveau mondial, plus particulièrement pour les pays voisins.
Les agences de l'ONU consultées la semaine dernière annonçaient une famine très sévère pour très bientôt, à Kinshasa même. Kinshasa compte cinq millions d'habitants.
Donc, avant de parler des droits de la personne, il fallait, il me semble, situer la question humanitaire, qui a toujours reçu un accueil et suscité un intérêt particulier au Canada.
Au niveau des droits de la personne, je me contenterai de faire quelques observations plutôt vagues. Ce que l'on a remarqué—à l'instar de l'intervenant qui m'a précédé, j'ai pris plusieurs données dans le dernier rapport d'Amnistie Internationale—c'est que plusieurs cas de violation des droits de la personne sont attribuables à l'état de guerre. D'autres sont attribuables à des prétextes à l'état de guerre, d'un côté comme de l'autre. Enfin, il y a une situation tout à fait particulière qui touche le Congo et les autres pays de la région: il s'agit de la guerre qui se prolonge pour l'utilisation des matières premières de la région.
Je répète très rapidement ce que l'intervenant qui m'a précédé a dit plus tôt, sauf pour un thème: la dénonciation de la première violation qui a été, il me semble, celle de l'invasion et de l'occupation d'un territoire par des pays étrangers. On n'a pas encore relevé cela; le Canada ne l'a pas fait. Le dernier Conseil de sécurité a admis cela, mais d'une manière tout à fait mitigée. Je pense qu'il est important qu'on le souligne.
Les violations dues à l'état de guerre sont les mêmes que partout ailleurs en Afrique quand il y a ce type de guerre: des déplacements, des combats, des pillages. Quant aux violations commises sous le couvert de la guerre, on en cite plusieurs: des arrestations arbitraires, autant des journalistes que des membres des partis politiques et des membres de la société civile, et je parle d'abord pour les territoires contrôlés par le gouvernement du président Kabila; une propagande haineuse qui a des hauts et des bas; et le maintien d'une juridiction militaire, la cour d'ordre militaire, qui continue à juger les civils. Le mois dernier, 19 personnes ont été exécutées par cette cour d'ordre militaire.
À l'est, ce qui est remarquable—et qui a été dénoncé par de nombreuses sources—ce sont les massacres de grande envergure dans la population, massacres qui souvent n'ont aucun lien avec la rébellion ou avec la résistance. On procède au pillage et à des arrestations des leaders religieux et des leaders de la société civile.
J'en arrive à mon dernier point. On remarque, au Congo, une course pour occuper les territoires où il y a des métaux précieux. On parle de l'or, du diamant, du cuivre, du cobalt et des métaux rares tels que le cadmium, le niobium, le tantale et toutes ces richesses.
On remarque cette même situation dans d'autres pays: en Angola, au Congo-Brazzaville et en Sierra Leone. Je crois que ceci devrait nous inciter à une réflexion importante sur le sujet. Elle touche l'Afrique, mais elle touche aussi les pays qui ont intérêt à ces ressources minières.
• 1600
J'ai remis
tout à l'heure à M. le greffier un mémorandum qui
est le fruit d'une recherche
effectuée par un groupe d'étude de l'Université du
Québec à Montréal. Cette recherche a été commanditée
et réclamée par les organisations suivantes de la société
civile: la Table de concertation sur les droits
humains au Congo de Montréal, le groupe Inter Pares
d'Ottawa, l'Organisation catholique pour le
développement et la paix de Toronto et de Montréal,
Mining Watch d'Ottawa et InterChurch Coalition of Africa
de Toronto, qui sont tous très sensibles à la
situation actuelle des manipulations ou des opérations
que l'on remarque autour des investissements miniers en
Afrique.
Le phénomène est le suivant. Il semble maintenant que malgré les zones de conflit, comme au Congo, en Sierra Leone ou au Congo-Brazzaville, les investissements étrangers ne se sont pas arrêtés; au contraire, ils s'amplifient et vont de l'avant. Dans l'annexe du mémorandum que nous vous avons remis, vous retrouverez une liste des compagnies minières canadiennes qui sont toujours en opération et qui ont des projets d'expansion au Congo.
Dans ces situations de conflit, ces compagnies minières veulent évidemment protéger leurs investissements. Pour ce faire, dans des situations où l'État n'est pas capable de le faire, on a de plus en plus recours à des compagnies privées de sécurité. Il en existe au Canada, et surtout aux États-Unis et en Afrique du Sud. Elles sont tout à fait présentes.
Ceci pose d'abord des questions au niveau des droits de la personne, puisque ces gens ne sont redevables qu'à leurs seuls employeurs, ainsi que des problèmes à long terme pour le développement des pays puisque plusieurs de ces compagnies—nous en citons des cas dans ce mémorandum—obtiennent des concessions minières en paiement de leurs services.
Au niveau international, il nous semble que le Canada devrait faire preuve d'une très grande vigilance face à cette situation. Aucune juridiction internationale ne gère ceci à l'heure actuelle, à l'exception de cette convention internationale sur l'utilisation des mercenaires que le Canada n'a pas encore ratifiée et n'a peut-être pas l'intention de ratifier.
Je m'arrête ici puisque nous aurons probablement l'occasion d'échanger lors de la période des questions. Je pourrai alors, si vous le voulez, présenter certains points de ce mémorandum, qui vous sera retransmis dans sa forme finale et dans les deux langues officielles la semaine prochaine.
[Traduction]
La présidente: Merci. Il y aura beaucoup de questions.
Monsieur Naki, voulez-vous faire votre exposé maintenant?
[Français]
M. Lucien Naki: Madame la présidente, honorables mesdames et messieurs les députés, je vous salue au nom de la Commission indépendante pour le dialogue intercongolais et vous remercie sincèrement de nous avoir accordé cette tribune pour nous adresser à vous afin de vous entretenir brièvement de la situation de la République démocratique du Congo, ainsi que des efforts faits ici pour contribuer à la recherche des solutions de paix depuis le déclenchement de la guerre en août 1998.
Cette guerre, commencée le 2 août 1988, revêt plusieurs formes: une invasion menée par une coalition constituée des États voisins, l'Ouganda, le Rwanda et le Burundi; des rébellions existant avant l'arrivée de Kabila au pouvoir et oeuvrant à partir de la République démocratique du Congo contre les pays voisins, dont l'Angola, le Rwanda, le Burundi, l'Ouganda et le Soudan; des rébellions menées contre le gouvernement de Kabila par quatre organisations.
Parmi ces quatre organisations, on retrouve le RDC/Goma dirigé par le Dr Émile Ilunga, un ancien allié de l'actuel chef de l'État, M. Laurent Désiré Kabila, alors qu'il dirigeait sa propre rébellion contre l'ancien dictateur Joseph Désiré Mobutu. Au sortir de la guerre, en mai 1997, le Dr Ilunga et son organisation furent écartés du pouvoir par l'AFDL de M. Kabila.
• 1605
Deuxièmement, il y a le RCD/Kisangani, dirigé par le professeur
Wamba Dia Wamba, également un ancien allié de M.
Kabila dans sa guerre contre Mobutu, et qui l'aurait
quitté après l'assassinat mystérieux d'André Ngandu
Kissasse pour avoir protesté contre les massacres...
[Traduction]
La présidente: Puis-je vous interrompre un instant? Est-ce que ce serait mieux s'il parlait plus lentement?
Avez-vous une copie de votre texte? L'interprète a des difficultés.
M. Lucien Naki: Je suis désolé, je n'ai pas de copie en anglais.
La présidente: Non, en français.
M. Lucien Naki: Nous allons vous remettre une copie...
La présidente: Avez-vous une copie du texte en français pour l'interprète?
M. Lucien Naki: Oui, nous en avons une.
La présidente: Pourriez-vous la remettre à notre interprète? Cela l'aiderait dans son travail. Merci.
M. Lucien Naki: On ne nous accorde que 10 minutes, d'après l'ordre...
Une voix: Et vous voulez tout dire.
M. Lucien Naki: Oui, si vous le voulez bien, parce que c'est très important.
La présidente: Vous aurez aussi l'occasion de vous exprimer en réponse aux questions.
M. Lucien Naki: D'accord. Merci.
La présidente: Voyez-vous, nous sommes ici au Parlement. Lorsque vient le moment de poser des questions, il vous suffit de faire comme on le fait à Chambre des communes. Si vous trouvez qu'une question est ridicule, vous donnez tout simplement la réponse qui correspond le mieux au message que vous voulez transmettre.
Une voix: C'est ainsi que ça se passe?
La présidente: J'imagine. C'est ce qu'on me dit.
Merci. Poursuivez.
M. Lucien Naki: Je vous remercie.
[Français]
Comme je disais, il y a le RDC/Kisangani, dirigé par le professeur Wamba Dia Wamba, également un ancien allié du chef de l'État dans sa guerre contre Mobutu, et qu'il aurait quitté après l'assassinat mystérieux d'André Ngandu Kissasse pour avoir protesté contre les massacres des réfugiés, et la prédominance des soldats rwandais dans le mouvement rebelle.
Troisièmement, il y a le MLC, dirigé par Mbemba, un proche des dignitaires de l'ancien régime évincé du pouvoir par M. Kabila.
Quatrièmement, il y a les Mai-Mai, un mouvement composé des ressortissants du Kivu qui luttent pour reconquérir leurs terres actuellement occupées par des Rwandais.
Cinquièmement, et tout récemment, a surgi une nouvelle rébellion dont les enjeux ne semblent pas très clairs et où s'opposent deux ethnies dans la province orientale sous occupation des Ougandais et de leurs alliés du RCD/Kisangani. Dans ce cas-ci, on parle de plus en plus ouvertement d'une manipulation de la part des Ougandais dans le but de se créer une base sociale dans la région qu'ils contrôlent.
En plus de ces cinq mouvements rebelles et des pays envahisseurs qui appuient les rebellions tout en poursuivant leurs propres objectifs, il y a le gouvernement de M. Kabila et ses alliés qui, à leur tour, ont leurs propres comptes à régler avec leurs propres rébellions oeuvrant à partir de la RDC. Il y a les partis politiques non armés et les organisations de la société civile dont on a nié le droit d'exercer leurs activités. Leurs dirigeants sont malmenés, emprisonnés, déportés, forcés à l'exil ou réduits au silence par le gouvernement. J'aimerais bien souligner ce point, madame la présidente.
Au milieu de cet enfer, il y a le peuple coincé entre des groupes armés, avec ses souffrances, ses déplacements forcés, la faim, la soif, les maladies, les pleurs et la mort. Il y a des hommes, des femmes et surtout des enfants coupés en morceaux, des femmes qui sont humiliées, violées puis massacrées ou enterrées vivantes.
• 1610
Pour nous, Canadiens d'origine congolaise, ces hommes
et ces femmes sont nos parents, nos soeurs et nos amis.
La destruction de la RDC
nous enlève une valeur à laquelle nous
sommes particulièrement attachés. Voilà pourquoi nous
nous inscrivons dans la logique de la recherche des
solutions qui conduisent à une paix durable.
Depuis le déclenchement de cette guerre, en même temps que plusieurs tentatives se multipliaient sur le continent africain et ailleurs dans le monde pour obtenir le cessez-le-feu entre les belligérants, plusieurs personnalités et organisations congolaises se mobilisaient pour réclamer la paix.
En RDC, les organisations de la société civile lançaient la campagne nationale pour la paix, qui a débuté ses consultations à Kinshasa pour s'étendre dans tous les coins de la RDC, puis en Europe, en Belgique et en Suisse, et finalement au Canada, où devait se réaliser la jonction avec les organisations de la diaspora et les partis politiques congolais.
Au Canada, le collectif de solidarité pour la démocratie au Congo-Kinshasa, oeuvrant à partir de Montréal, l'ADSFHO, soit l'Association africaine des droits de l'homme, dont la direction est en exil, et le RNS oeuvrant aux États-Unis, se regroupaient au sein du Comité pour la paix durable en RDC, auquel se sont jointes plusieurs autres organisations congolaises du Canada. Outre les principes de base admis de tous les observateurs et analystes politiques, le Comité pour la paix durable affirme qu'une solution durable au-delà d'un cessez-le-feu illusoire n'est réalisable que si on implique dans les négociations actuelles et futures les acteurs politiques internes et externes, qui ne recourent pas aux armes, car l'absence aux négociations de cette partie importante de représentants congolais qui ont un appui populaire réel justifie l'intransigeance des belligérants dont la seule légitimité est de recourir aux armes pour imposer leur contrôle par la force.
À la conférence de Montréal tenue en janvier 1999, avec l'appui du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, les organisations congolaises de la RDC, du Canada, des États-Unis et d'Europe, ainsi que les partis politiques présents réclamaient une conférence internationale sur le Congo sous l'égide de l'Organisation de l'unité africaine, l'OUA, et des Nations Unies. Cette conférence spéciale devait impliquer toutes ces composantes, y compris le gouvernement congolais et le groupe rebelle, en vue d'un accord politique devant organiser la paix et établir le cadre d'une transition démocratique et sécuritaire. C'est ainsi que naissait à la conférence de Montréal le concept de Forum de dialogue intercongolais.
Tout au long des activités de suivi de la conférence de Montréal, la commission indépendante s'est employée à diffuser ses conclusions, et plus particulièrement à faire accepter le principe du dialogue intercongolais.
Avec la signature des accords de Lusaka, les voeux exprimés à la conférence de Montréal ont été exaucés. La commission a alors entrepris une autre phase d'activité qui consistait à soutenir les organisations congolaises dans leur préparation pour une démarche réussie en vue du dialogue intercongolais.
Au cours de ces activités de préparation, la commission indépendante a relevé un certain nombre de constats. J'en énumérerai quelques-uns. Les organisations de la société civile de l'intérieur bénéficiant des aides des institutions internationales sont mieux équipées techniquement, et donc en mesure d'organiser rapidement leur cohésion avec leur propre logistique et de jouer pleinement le rôle de représentants des communautés de base à tout moment et en quelque lieu où leur présence est requise.
Les partis politiques non armés, à qui on demande de jouer un plus grand rôle pour contribuer au processus de paix et à l'organisation démocratique des pouvoirs, ne bénéficient que difficilement de l'assistance technique financière internationale, ce qui compromet gravement leur degré d'organisation et donc aussi leur efficacité.
Les organisations de l'extérieur, qui pourtant jouent un rôle important au niveau de la sensibilisation et du lobby, ne sont soutenues que sous de nombreuses réserves et conditions. Elles sont souvent tenues à l'écart de l'évolution de la situation qui implique leur pays d'origine, ce qui les empêche de contribuer efficacement au processus de recherche des solutions et accroît les frustrations.
• 1615
Une diaspora bien soutenue et encadrée est une liaison
nécessaire pour des interventions réussies. C'est ce
dont on a été témoins au cours des années
1980 et 1970 avec la
diaspora grecque et la diaspora polonaise.
Le Canada a montré l'exemple en cette matière dans le
cadre de ses démarches pour la formation d'une police
républicaine en Haïti, lorsqu'il a soutenu et encadré
les Canadiens d'origine haïtienne pour organiser la
police dans leur pays d'origine. Il s'agit d'un
exemple éloquent et d'une des formes que peut prendre le
soutien aux organisations de la diaspora.
De plus, pour la reconstruction d'un Congo en paix, libre et démocratique, on devrait faire appel aux Canadiens d'origine congolaise assis sur des mines d'or—M. Denis Tougas en a parlé tout à l'heure—qui sont des compagnies possédant des équipements et des expertises diverses. Bien soutenus dans le processus actuel, ils pourraient servir de facilitateurs avisés dans les échanges fructueux entre le Canada et le Congo.
À l'étape actuelle du processus de paix en RDC, la Commission indépendante pour le dialogue intercongolais remercie le gouvernement canadien, ainsi que le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, l'honorable Lloyd Axworthy, pour leur engagement financier en faveur du dialogue intercongolais, des enfants-soldats et des opérations de maintien de la paix.
La commission sollicite auprès de vous, mesdames et messieurs les députés, de l'appuyer dans ses projets d'accompagnement du processus de dialogue intercongolais et de présenter ses doléances au gouvernement canadien pour l'obtention d'une partie des fonds mis à la disposition du processus de dialogue intercongolais.
Dans une démarche indépendante et complémentaire, la commission croit pouvoir continuer à jouer le rôle de préparation tel que décrit dans ses cahiers d'activités et espère bénéficier de votre engagement ainsi que de vos avis et expertises nécessaires pour atteindre ses objectifs.
Un tel accompagnement pourrait s'articuler dans le cadre du groupe parlementaire Canada-Afrique ou d'un comité parlementaire spécial de soutien à la RDC, que vous pourriez envisager de mettre sur pied à l'intérieur dudit groupe.
[Traduction]
Je tiens à féliciter Mme Jean Augustine de sa nomination au poste de présidente du Groupe d'amitié Canada-Afrique.
[Français]
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, au nom de la Commission indépendante pour le dialogue intercongolais, je vous remercie encore une fois de nous avoir accordé cette occasion.
Mon ami Théophile Zamba m'accompagne ici pour que nous puissions vous dire, madame la présidente, que le peuple congolais qui est plongé dans la souffrance et la misère a besoin de vous. Cette rencontre d'aujourd'hui est une rencontre historique. Vous avez l'occasion de sauver la vie de plus de 40 millions de personnes et de nous aider à éviter cette guerre qu'on appelle la Deuxième Guerre mondiale en Afrique. Je vous remercie.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Madame la présidente, je soulève la question de privilège.
Je tiens à préciser que mes collègues autour de la table font aussi partie du Groupe Canada-Afrique: Svend Robinson, Maud Debien et Keith Martin.
Vous en faites sûrement partie aussi, ainsi qu'Aileen.
La présidente: Allez-vous lire ceci?
M. Jean-Christophe Kasende: Non, j'attends mes notes.
La présidente: Voulez-vous qu'on commence à vous poser des questions ou préférez-vous attendre?
M. Jean-Christophe Kasende: Oui. Je suis désolé.
La présidente: Je me demande si c'est nécessaire. La moitié d'entre nous ne comprenons pas très bien le français, alors je ne sais pas si c'est nécessaire.
M. Jean-Christophe Kasende: Je vais lire.
La présidente: Pardon?
M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca): Si le témoin lit lentement, ça ira.
Une voix: Monsieur le greffier, pourrait-on avoir copie du texte?
La présidente: Vous l'avez en français. Il sera traduit et vous l'obtiendrez la semaine prochaine.
Vous pourriez peut-être commencer votre exposé et l'interprète aidera ceux d'entre nous qui en ont besoin.
M. Jean-Christophe Kasende: J'attends mes notes.
La présidente: Entendu.
[Français]
M. Jean-Christophe Kasende: Merci, madame la présidente.
Au nom du Centre de recherche sur la démocratie pour le développement en Afrique, le CERDDAF, je tiens à remercier les organisateurs de cette rencontre.
Avant que j'entre dans le vif du sujet, permettez-moi de présenter en quelques lignes le Centre de recherche sur la démocratie pour le développement en Afrique. Il s'agit d'une institution de recherche créée par un groupe d'intellectuels libres africains, canadiens et européens qui ont choisi d'unir leurs compétences en vue d'engager l'Afrique à s'engager elle-même dans la lutte pour son développement par la démocratie.
Je reprends dans cette présentation la devise du centre qui est celle-ci: unir des compétences et changer des connaissances, travailler en équipe pour engager l'Afrique à s'engager elle-même dans la lutte pour son développement par la démocratie.
La preuve de ce statut international du CERDDAF est que le membre désigné par son assemblée générale pour répondre à l'invitation adressée au centre par les organisateurs de la consultation nationale sur la RDC est Mme Annick Lambert, citoyenne canadienne d'origine française et professeure à l'Université du Québec à Hull.
Ainsi, sauf erreur d'analyse ayant pu ou devant être commise en toute bonne foi et donc imputable à des données non encore vérifiées ou difficilement vérifiables, nous pouvons postuler, mesdames et messieurs, pour notre intervention une base d'objectivité, qui doit demeurer sa motivation profonde et sa caractéristique primordiale.
L'intervention du CERDDAF concernant la situation des droits de la personne a...
[Traduction]
La présidente: Vous parlez un peu trop vite pour l'interprète. Il vous faudra ralentir.
[Français]
M. Jean-Christophe Kasende: D'accord, je parlerai plus lentement.
[Traduction]
La présidente: Avez-vous une copie du texte? Je suis désolée, il n'y en a pas.
[Français]
M. Jean-Christophe Kasende: L'intervention du CERDDAF concernant la situation des droits de la personne en RDC se veut globale. Elle se présente en outre sous forme d'une réflexion sur la relation entre les motivations profondes de la conquête du pouvoir par l'être humain en général et le comportement de ce dernier en matière de gestion des personnes et des biens dans l'espace conquis.
Partant de ce thème opératoire, notre centre a structuré cette présentation en deux parties. La première examine la gestion du territoire sous le contrôle du nouveau régime au Congo-Kinshasa, tandis que la seconde analyse des données relatives à la gestion de l'espace territorial occupé par les forces armées de la coalition rwando-ougando-burundaise et leurs alliés ressortissants de la RDC.
• 1625
On pourrait avancer que ces expressions choisies pour
désigner les belligérants relèvent d'une précaution
oratoire ou d'une stratégie argumentative, mais notre
souci est de nous garder d'utiliser l'expression de
«pays agresseurs» en parlant des trois pays pourtant reconnus
agresseurs de la RDC par le Conseil de
sécurité des Nations Unies, pour soutenir le ton neutre
qui doit caractériser le CERDDAF. Mais au fil de
notre argumentation, la logique et le bon sens finiront
par s'imposer d'eux-mêmes. Aussi, grâce à eux
pourrons-nous nous permettre de nous mettre d'accord
sur toutes ces désignations.
Quant aux Congolais en collusion avec les forces étrangères coalisées contre leur pays, nous nous en tenons, pour les nommer, au terme d'«alliés» par rapport aux forces d'occupation présentes en République démocratique du Congo.
La question qui préoccupe les instances organisatrices de cette rencontre et tous ceux qui sont présents ici maintenant est celle-ci: les droits de la personne sont-ils respectés en République démocratique du Congo? Eh bien, les orateurs qui m'ont précédé ont donné des réponses. Et la nôtre est aussi objective. Pour le CERDDAF, c'est non: les droits de l'homme ne sont pas respectés au Congo dans sa globalité. Nous essaierons de montrer cela au fur et à mesure de notre commentaire. Mais il faut signaler, comme les autres l'ont dit, que, par rapport à ce qui se passe dans les territoires occupés, les violations du côté du territoire contrôlé par le gouvernement sont presque insignifiantes.
Comment, où et dans quelles circonstances ces droits sont-ils violés? Pour répondre à toutes ces interrogations, nous allons d'abord examiner la gestion de la partie du territoire contrôlé par le nouveau régime de la RDC. Nous allons ensuite analyser la gestion de la partie du territoire occupée par les forces d'opposition aux autorités de Kinshasa. À la fin de cette section interviendra le point de vue du CERDDAF.
Notre exposé va se terminer par une réflexion globale, en guise de conclusion, et quelques recommandations destinées au gouvernement canadien afin de lui permettre de concevoir son action en faveur de la paix en RDC, mais aussi dans toute la région des grands lacs africains.
Parlons d'abord de la gestion du pays par les nouveaux régimes. Dans ses recherches...
[Traduction]
La présidente: Savez-vous que vous ne disposez que 10 minutes en tout? Vous parlez de votre programme ici et je me demande si vous pourrez terminer en 10 minutes. Il vous reste quatre minutes. Nous aurons des questions à poser.
M. Jean-Christophe Kasende: Oui, je vois.
La présidente: Très bien.
[Français]
M. Jean-Christophe Kasende: Cette gestion par le gouvernement se répartit en deux sections. La première partie, c'est la gestion du pays par le nouveau régime de mai 1997 à 1998. Sur le plan politique, pendant cette période, les reproches retenus par l'opposition contre le nouveau régime sont, sur le plan politique, de deux ordres, à savoir la suspension des activités des partis politiques et le rejet de la résolution ou des résolutions de la conférence nationale.
Sur le plan juridico-humanitaire, pendant cette même période, l'opinion internationale avait condamné la relégation au village d'Étienne Tshisekedi, le leader de l'opposition. On a aussi parlé de l'instauration d'un tribunal militaire érigé en unique juridiction du pays.
Sur le plan économique, on a reproché au gouvernement de Kinshasa le revirement qui a été senti par les compagnies minières, c'est-à-dire la résiliation des contrats miniers.
Voici l'analyse du CERDDAF sur ce plan. En les considérant à l'état brut et aux différents plans considérés, tous ces faits reprochés au nouveau régime de la République démocratique du Congo se sont offerts du premier coup à l'esprit des analystes du CERDDAF comme des violations des droits de la personne. Mais pour saisir toute leur portée en tant que faits sociaux, historiques et économiques motivés par des causes analysables, le centre les a placés dans leur contexte historique.
Au sujet des suspensions des activités politiques des partis politiques, l'analyse des faits relevés révèle que cette décision à effet limité s'inscrivait dans la logique du calendrier fixé par les nouvelles autorités qui venaient de prendre le pouvoir à Kinshasa, en 1997. La durée de deux ans était jugée raisonnable.
• 1630
On serait donc tenté de justifier d'autres mesures,
comme le rejet des résolutions de la conférence
nationale, l'arrestation d'Étienne Tshisekedi et la
relégation
au pays, à cause de l'unanimité qu'avait reçue le
calendrier fixé par le gouvernement, mais ce serait
trop simpliste. Le CERDDAF est allé plus loin
dans ses recherches, pour établir que l'ouverture politique
du nouveau régime envers l'opposition non armée
présente à Kinshasa ne figurait pas dans l'agenda de
la coalition qui l'avait aidé à prendre le pouvoir à
Kinshasa à cette époque-là.
Comme l'attestait bien dans Le Soir, Collette Braeckman, journaliste belge, lors de son arrivée, ce sont les conseillers tutsis de Kabila qui avaient fait écran entre lui et les forces intérieures, dont Tshisekedi, qui réclamaient déjà le départ des troupes étrangères. Par ailleurs, Tshisekedi lui-même, dans un message que nous avons ici, a reconnu que certaines des personnes de l'entourage du président l'empêchaient de rencontrer Kabila, son frère, disait-il.
Quant au tribunal militaire, nous avons analysé la situation au CERDDAF. Nous l'avons condamné, mais nous trouvons que dans cette situation de guerre, cette juridiction est intervenue pour des raisons de sécurité. Nous déplorons cela, comme nous nous émouvons tous, au même titre, des exécutions capitales qui se sont répétées dans certains pays.
Quant à la révision des contrats signés pendant la guerre, qui a été aussi un autre grief, selon les informations en notre possession...
[Traduction]
La présidente: Monsieur Kasende, pourriez-vous récapituler les faits saillants du reste du texte et passer directement aux recommandations? Six personnes veulent vous poser des questions et le temps va nous manquer. Est-ce que ce serait possible? Il y l'interprétation et nous pourrons lire intégralement votre mémoire quand il aura été remis aux membres du comité.
M. Jean-Christophe Kasende: Je vais vous donner tout de suite ma conclusion.
La présidente: Très bien.
[Français]
M. Jean-Christophe Kasende: Voici la conclusion et les recommandations du CERDDAF au gouvernement canadien.
On peut donc convenir que les deux groupes qui sont en conflit, le gouvernement de Kinshasa et les pays agresseurs, ont en commun la volonté de conserver les espaces territoriaux, mais n'ont pas, selon toute vraisemblance, les mêmes motivations profondes, dictant leur mode de gestion des territoires sous leur autorité respective. On peut convenir aussi que les motivations d'un État se défendant contre une agression extérieure pour la gestion du territoire sous son contrôle sont différentes de celles des agresseurs qui occupent le territoire d'un pays voisin pour assurer la sécurité de leur propre pays.
Comme les autres l'ont dit, dans les pays et dans les parties occupées, il y a des violations des droits de l'homme. Nous avons ici un livre qui contient des images de personnes qui sont torturées, d'enfants qui sont tués, de femmes qui sont violées. C'est une évocation. On peut retirer cette évocation, par exemple, par rapport au gouvernement. On peut enlever au gouvernement la justification du recours aux mesures de guerre dans son intervention.
Donc, pour lui enlever ce prétexte historique et l'empêcher de recourir à ces moyens d'un autre âge, il faut que la société des nations, née après l'expérience douloureuse de la guerre de 1940-1945, s'impose en tant qu'instance juridique suprême pour rendre justice au peuple congolais, victime d'une guerre importée sur son territoire par le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi.
Cela n'est possible que si la démocratie devient, dans ces pays qui ont tort de chercher les causes de leur insécurité en dehors de leurs frontières, la seule voie d'accession au pouvoir. Les origines des génocides des Rwandais se trouvent au Rwanda et non en République démocratique du Congo. C'est au Rwanda qu'il faut aller régler le conflit rwandais et non au Congo.
Nous avons deux recommandations à adresser au gouvernement canadien. Le Canada devrait peser de toute son influence sur la communauté internationale afin que les armées du Rwanda, de l'Ouganda et du Burundi puissent libérer les territoires de la République démocratique du Congo qu'elles occupent au mépris du droit international. Il serait aussi souhaitable que le Canada, pays auquel les valeurs de la démocratie sont chères, puisse mobiliser la communauté internationale en vue de la démocratisation de la République démocratique du Congo et des pays de la sous-région des grands lacs africains.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Y a-t-il des questions? Monsieur Martin.
[Français]
M. Keith Martin: Merci beaucoup, madame la présidente.
[Traduction]
Je vous remercie tous d'être venus aujourd'hui pour discuter de cette grave question. Rien ne nous réjouirait davantage que de voir la paix s'installer dans votre pays, et je le dis très sincèrement.
J'ai trois questions à vous poser. D'abord, l'un d'entre vous pourrait-il nous décrire brièvement le rôle des intervenants dans la région et la complexité du conflit à l'intérieur du pays. Cela est très difficile pour nous à comprendre, vu l'existence d'acteurs internes et externes dans le conflit. Pourriez-vous nous dépeindre brièvement la situation?
Deuxièmement, même si les accords de Lusaka sont admirables, j'aimerais savoir ce que l'on peut faire de plus. J'ai besoin d'objectifs concrets et atteignables. Pourriez-vous nous proposer trois choses que l'on pourrait essayer d'accomplir ici et à l'étranger, peut-être avec l'ONU, et sur lesquelles la communauté internationale pourrait concentrer ses efforts? Donnez-moi des exemples.
Enfin, l'un d'entre vous pourrait-il déposer au comité la liste des sociétés canadiennes qui font des affaires au Congo et dont l'activité contribue d'une manière ou d'une autre au conflit?
Merci.
[Français]
M. Denis Tougas: L'implication régionale est assez importante. Je ne sais pas par quel point vous voulez que l'on commence. Actuellement, sur le terrain, les troupes engagées sont les suivantes: du côté de la rébellion, il y a l'Ouganda, le Rwanda et, dans une certaine mesure, le Burundi. Quand on dit qu'ils sont impliqués, c'est qu'ils ont des militaires sur le terrain et en même temps qu'ils occupent administrativement certaines régions.
[Traduction]
M. Keith Martin: Excusez-moi. Parlez-vous des Tutsis? Est-ce aux Tutsis que vous pensez?
[Français]
M. Denis Tougas: Non. Je ne pense pas qu'il faille entrer dans ces considérations ethniques. Au Rwanda, actuellement, à moins que vous vouliez absolument les qualifier de Tutsis, il y a deux ethnies qui ont quelquefois des intérêts tout à fait communs. Il ne faudrait pas simplifier et je vous recommande fortement de ne pas vous engager dans cette simplification-là. Nous allons nous attirer beaucoup d'ennuis pour voir les solutions à ça.
Je disais qu'une partie des troupes étrangères avaient non seulement des militaires engagés dans des combats, mais en même temps des activités administratives. Par exemple, il y a des accords de sécurité et des accords administratifs entre Kigali, au Rwanda, et le Sud-Kivu: les perceptions des impôts et des douanes sont maintenant faites conjointement, ce qui n'est pas rien.
De même, dans la nouvelle province d'Ituri, l'ancien gouverneur avait été nommé par l'Ouganda et, si on peut dire, les responsables de la sécurité de cette région du Nord-Kivu et de la province orientale sont sous la direction ougandaise.
Pour ce qui est du Burundi, il a des troupes, à notre connaissance, près de sa frontière, mais aussi près du Katanga. On n'entrera pas dans des considérations sur les raisons qui font qu'ils y sont.
Du côté des alliés du président Kabila, il y a, en force, des troupes zimbabwéennes qui contrôlent particulièrement la ville de Mbuji-Mayi, qui est la capitale du diamant au Congo. Et ce n'est pas pour rien. Comme allié, très près, il y a l'Angola qui avait des troupes et dont on ne sait trop où elles en sont actuellement. Mais ils sont prêts à intervenir, particulièrement pour aller combattre les rebelles de l'Unita qui vont fuir du côté du Congo.
Donc, il y en a au Zimbabwe, en Angola et en Namibie.
[Traduction]
M. Keith Martin: Je suis désolé. En Angola, vous ne parlez pas de l'APLS mais bien des soldats de M. Dos Santos, n'est-ce pas?
[Français]
M. Denis Tougas: Exactement. Dos Santos est maintenant un allié de M. Kabila. La Namibie a aussi des troupes qui sont présentes en moindre importance. On dit qu'il y a entre 1 000 et 2 000 militaires, mais c'est assez difficile à savoir.
Voilà pour ce qui est de la présence sur le terrain. Il y a maintenant tous les jeux des alliances plus larges au niveau régional, entre autres les pays membres de la SADEC qui est une association de coopération de l'Afrique australe. Il existe certaines divisions internes mais, jusqu'à présent, la majorité des pays de la SADEC soutiennent les accords de Lusaka. Cependant, au début de la rébellion, ils ont pris position pour le maintien du pouvoir, pour le maintien de l'autorité de Kinshasa. C'est la première partie de ma réponse par rapport à...
M. Keith Martin: Ma deuxième question est
[Traduction]
deux ou trois objectifs concrets que l'on peut poursuivre en faveur de la paix, des mesures que notre pays peut prendre.
[Français]
M. Denis Tougas: Certainement. L'idée que vous aviez d'envoyer une délégation sur place m'apparaît absolument intéressante. En Afrique, il y a trois pays d'importance à cause de leur population et à cause de leurs richesses économiques: le Nigeria, le Congo et l'Afrique du Sud. Le Congo est maintenant en guerre et déstabilise l'ensemble de la région. C'est très compliqué, et je vous engage fortement à envoyer une délégation pour qu'elle se rende compte, sur le terrain, de la problématique. Ce n'est pas, comme tel, une recommandation.
La semaine prochaine auront lieu les consultations aux Affaires étrangères sur la Commission des droits de l'homme de Genève. Quand il y a eu la rencontre du comité du Conseil de sécurité, la France, soutenue par le Canada, avait proposé qu'il y ait, à la suite de cette commission, un comité d'observation ou un comité d'enquête sur le pillage des ressources naturelles. Le président Kabila s'oppose à cela. Le Canada devrait insister là-dessus. S'il le fait là, il va le faire ailleurs, dans les zones de conflits en Afrique. Il me semble que c'est un enjeu tout à fait important.
Il y a un autre point majeur. Le Canada n'est pas une force militaire, mais une force diplomatique importante. Il devrait soutenir de tous ses efforts ce dialogue intercongolais, en appuyant M. Masire, l'ancien président du Botswana. On verra à l'expérience si M. Masire est à la hauteur, mais nous le souhaitons fortement, et a il a besoin de beaucoup d'appui: appui technique, diplomatique et financier.
À votre troisième question...
[Traduction]
M. Keith Martin: J'allais déposer la liste des sociétés canadiennes présentes en RDC et dont la conduite contribue au conflit. Mais cela peut être déposé, car je sais que d'autres veulent poser des questions. Si vous avez d'autres renseignements sur ce point, je vous invite à les communiquer à la présidente. Merci.
[Français]
M. Denis Tougas: J'ai une seule remarque pour finir. J'ai parlé des sociétés minières et des sociétés de sécurité—que je sache, il y en a une à Toronto—mais il y a aussi maintenant ces nouvelles sociétés de human resettlement, de déménagement des populations. Ce sont des sociétés canadiennes qui se spécialisent dans la relocalisation des gens délogés par les sociétés minières quand elles s'installent et qu'elles exproprient. Le Parlement devrait s'intéresser à cette question.
[Traduction]
La présidente: Madame Debien.
Oh, désolée.
M. Marc Kapenda: J'aimerais ajouter quelque chose à propos de la deuxième question en ce qui concerne ce que M. Tougas a dit.
Nous pensons que le Canada devrait se concentrer sur un certain nombre de points actuellement. Le respect du cessez-le-feu est très important. Comme vous le savez, celui-ci n'est pas respecté actuellement. Il a d'abord été violé par les forces gouvernementales puis les rebelles et l'agression a fait de même.
• 1645
Des efforts sont faits par certains en faveur du cessez-le-feu. M. Masire
a passé quelques jours à Kinshasa et a rencontré
presque toutes les forces en présence: les forces internes au
Congo. Mais il y a aussi Etienne Tshisekedi qui a réussi à sortir
de Kinshasa et qui est actuellement en Afrique du Sud. Il a pu
rencontrer quelques présidents, celui de l'Angola, du Mosambique,
de la Namibie. Il a aussi pu rencontrer M. Masire à son retour
d'Afrique du Sud. Il a reçu certains émissaires de l'Ouganda. Ses
efforts favorisent le respect du cessez-le-feu.
M. Tshisekedi, après son voyage en Afrique du Sud, a voulu venir au Canada pour être reçu par le premier ministre Chrétien pour pouvoir clarifier le dossier de la crise au Zaïre. Nous avons écrit une lettre, comme nous l'a demandé le secrétaire de M. Chrétien, pour que notre demande soit officielle. On nous a répondu que M. Chrétien n'était pas libre à la fin du mois, au moment où nous voulions le rencontrer.
Tshisekedi est prêt à rencontrer le premier ministre dès que celui-ci sera libre. Il pourra clarifier la question s'il est invité. C'est peut-être une autre façon de procéder par rapport à ce que M. Tougas a demandé. Si vous ne pouvez pas vous rendre au Zaïre, il y a au moins une personne à l'extérieur du pays qui peut clarifier la situation devant le Parlement ou ailleurs. Cela est peut-être plus efficace.
La présidente: Merci. Il faudra revenir sur la question.
Madame Debien.
[Français]
Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bonjour, messieurs, présidents, responsables et représentants d'organismes.
Étant donné que je suis de la région de Montréal, j'ai suivi d'assez près la conférence de Montréal et le suivi qui en a été fait dans le rapport de la mission en Afrique et par le Centre international des droits démocratiques de Montréal. Par la suite, la Commission indépendante du dialogue intercongolais a été mêlée à l'ensemble du processus.
J'aimerais savoir, et je vais vous poser la question bien directement, si vous tous, représentants d'organismes qui êtes ici, qui êtes préoccupés par la situation de ce qui se passe au Congo-Kinshasa, étiez présents à la conférence de Montréal. Est-ce que vous partagez tous les principes et les recommandations qui ont été avancés?
Pour moi, c'est important car, si on veut parler de dialogue intercongolais au Congo-Kinshasa—j'emploie toujours l'appellation Congo-Kinshasa, car je ne suis pas encore capable d'appeler ce pays la RDC—il faut aussi parler ici de dialogue entre les représentants des différents organismes préoccupés par la situation.
Alors, ma question est directe: est-ce que vous êtes tous sur la même longueur d'onde dans le cadre du suivi donné à la conférence de Montréal et de ses recommandations? C'est ma première question.
Ma deuxième question s'adresse à M. Tougas et concerne particulièrement les mines, parce que la présence des sociétés canadiennes en Afrique est un sujet qui me préoccupe aussi. Monsieur Tougas, vous savez qu'il y a eu tout dernièrement le rapport Harker concernant le Soudan et la société Talisman. Vous avez vu aussi la position canadienne concernant la mine Talisman, où le Canada avait décidé de ne pas intervenir.
Vous nous avez dit que le Canada n'avait pas non plus entériné la convention sur les mercenaires. Pensez-vous qu'à partir de votre recommandation, le Canada serait prêt à intervenir alors qu'il ne le fait pas dans le cas de la société Talisman? C'est ma deuxième question.
• 1650
J'ai une troisième question. Il y a eu, tout
dernièrement, une résolution du Conseil de sécurité
des Nations Unies
concernant l'envoi de troupes en République
démocratique du Congo. Dans l'une des recommandations
du suivi de Montréal, on disait qu'il fallait au moins
12 000 personnes pour assumer la mission d'observation
internationale devant superviser le
retrait des forces d'occupation, ou des forces rebelles,
peu importe. Est-ce que vous pensez que cette
force-là est suffisante, actuellement, pour rétablir la
paix au Congo-Kinshasa? Notre propre gouvernement,
par l'intermédiaire de notre ambassadeur, a émis certaines
réserves sur le nombre de personnes que l'ONU envoyait.
M. Lucien Naki: Oui, madame Debien. Je peux commencer à répondre à cette question. D'abord, sans vouloir me vanter, je dirai que nous sommes les initiateurs de la conférence de Montréal. Cette conférence, après la Conférence nationale souveraine qui a eu lieu à Kinshasa, a réuni presque toutes les organisations congolaises, y compris la société civile et les partis politiques. C'était la première fois que je voyais un membre de l'UDPS assis à côté d'un membre de PDSC, lui-même assis à côté d'un membre de PALU, lui-même assis à côté d'un membre de FONUS.
Si je cite le cas de ce parti politique, madame, c'est pour vous faire savoir que le problème congolais est un problème politique. On ne peut pas se le cacher. On parle souvent des Rwandais. Quand je regarde la carte, madame, moi-même, Congolais d'origine, j'ai honte. Un petit pays, le Rwanda, qui est à côté, sème la terreur avec ses quelques militaires fous qui ne craignent pas de mourir.
Cela se fait avec la complicité des Congolais, parce que le problème congolais est un problème politique. Aujourd'hui, si le président Kabila peut s'asseoir avec M. Étienne Tshisekedi, M. Boboliko du PDSC, M. Olengankhoy du FONUS et le vieux Antoine Gizenga, un de ses aînés qui se dit lumumbiste et qu'il met souvent au cachot, s'il respecte le lumumbisme, s'il peut s'asseoir avec les quatre que je viens de citer, je crois que cette domination rwandaise sera résolue.
Les Rwandais, je les considère comme des mercenaires. Les gens viennent là-bas pour voler, piller, violer et tuer et ça, je le répète, c'est réellement un problème politique.
La conférence de Montréal a jeté des jalons pour réunir tout ce monde-là et nous continuons à tenter de maintenir cette plate-forme, car je suis sûr que le jour où M. Étienne Tshisekedi, M. Olengankhoy, M. Boboliko et M. Gizenga, que je respecte beaucoup, pourront venir et s'asseoir à notre place—parce que nous ne pouvons pas dire que nous savons tout sur le Congo—ils auront un autre discours et ils vous diront ce qui ne va pas au Congo. Je crois que ce sera même mieux pour un test sur le plan international, Avant même de penser à une mission, il faudrait inviter un peu ces politiciens qui sont en train d'être piétinés par M. Kabila. Il les néglige. Pour que M. Étienne Tshisekedi puisse avoir la parole, il a fallu qu'il aille en Afrique du Sud se faire soigner. Vous avez suivi ses pérégrinations. Ce n'est pas le seul. Le jeune Olengankhoy est souvent battu. Il a passé près d'une année en prison et...
[Traduction]
La présidente: Pardonnez-moi. Il y a une chose que j'aimerais expliquer.
Nous avons l'intention d'aller voir. L'objet de la rencontre d'aujourd'hui est de voir si le gouvernement canadien peut apporter son aide, si le comité peut faire des recommandations au gouvernement pour venir en aide à la population du Congo, et quelle région... C'est un territoire immense. Nous avons choisi de nous occuper de l'Afrique et en particulier du Congo et de la région avoisinante. Il faut donc que nous sachions exactement... Nous ne pouvons pas tout faire. Il faut que vous nous précisiez ce qu'il nous faut recommander au gouvernement.
M. Lucien Naki: Oui, madame la présidente. Comme Mme Debien l'a dit, le travail a été fait. La conférence de Montréal, tout le travail est fait. La recommandation... Nous allons vous remettre tous les documents, même si cela remonte à il y a plus d'un an.
Il y a un an, nous demandions l'intervention de l'ONU. Les gens riaient ici. Aujourd'hui, ce que nous demandions il y a un an... Nous allons vous remettre toutes les recommandations de la conférence de Montréal. Si vous pouvez voir ce qui a été fait il y a un mois et ce que M. Masire entend faire, tout ce travail a été fait par le centre international, qui collabore avec l'organisation congolaise.
La présidente: Monsieur Tougas.
[Français]
M. Denis Tougas: Je répondrai ainsi à vos trois questions: la majorité des groupes canadiens ou canado-congolais étaient tout à fait d'accord sur les recommandations de la conférence de Montréal, dans la perspective et dans les circonstances où ça se tenait. Cela faisait suite à une série de rencontres qui avaient eu lieu à Pretoria, Anvers, Montréal et ensuite New York. Cependant, la dynamique a beaucoup évolué. Depuis les accords de Lusaka, depuis l'intervention à partir de l'intérieur de la société civile et particulièrement des Églises, il y a, je pense, une toute nouvelle dynamique. Par exemple, il y a cette consultation organisée par les confessions religieuses à laquelle autant les membres de la société civile que les partis politiques sont invités. De même, il y a eu cette convocation de Kabila la semaine dernière, qui se continue et que l'on appelle la convocation des patriotes, où des membres des différents partis, pas les chefs, mais les membres des différents partis sont présents. Il me semble donc que la dynamique a beaucoup évolué.
Par rapport aux questions minières, voici ce que le Canada peut faire, me semble-t-il. Chacun des pays d'Afrique où les mines sont importantes est en train de réviser son code minier. C'est le cas actuellement au Congo. Le Canada a beaucoup aidé à la révision du code minier du Botswana et du Lesotho, à l'avantage du Canada, faut-il dire. Compte tenu de ses connaissances dans l'industrie minière, il pourrait améliorer sa performance et voir aux intérêts nationaux des pays où ça se fait. Ici même, au Canada, il y a énormément de réticences, du côté des compagnies minières, à adopter un code de conduite. Il faudrait pousser là-dessus au niveau international, particulièrement en zone de conflit. Malheureusement, je ne peux pas dire que la convention actuelle est efficace ou qu'elle est la meilleure. Au contraire, il y a un flou au niveau international, à savoir que l'on met peut-être cela de côté pour actualiser la situation de façon beaucoup plus précise et parler des compagnies de sécurité, ne plus parler des mercenaires. Le Canada sera obligé de se pencher là-dessus. Mieux vaut le faire en amont qu'en aval.
Donc, 5 000 personnes, tel que mentionné à la conférence de Montréal, c'est insuffisant. Tout le monde est d'accord là-dessus. C'est uniquement la deuxième phase de l'intervention de la mission d'observation. Douze mille personnes au total, pour un pays comme le Congo, c'est insignifiant. La volonté internationale ne semble pas vouloir aller plus loin que cela. Il faudra donc compter sur la bonne volonté, ou sur les pressions autres que militaires, pour que le cessez-le-feu soit établi.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Madame Augustine.
Mme Jean Augustine: Merci, madame la présidente.
Je tiens à vous dire également combien je suis heureuse d'avoir eu l'occasion de vous entendre. C'est une situation très complexe et nous essayons d'y voir clair pour être en mesure d'apporter une contribution utile.
• 1700
Y a-t-il un calendrier pour le dialogue inter-congolais? Quand
est-ce censé avoir lieu? Connaît-on les délais?
Le Canada a apporté son aide dans plusieurs domaines. Des éléments de financement ont été regroupés en programmes et il s'agit de sommes importantes dans certains cas. Nous voulons savoir ce que nous pouvons faire de plus et où concentrer nos efforts. Je repose la question posée par M. Martin et je vous demande quels objectifs doit-on poursuivre?
À l'issue de la rencontre d'aujourd'hui nous pouvons avoir des suggestions de gens qui, comme vous, seront sur le terrain et sont en contact quotidien grâce à vos travaux de recherche. Si vous pouviez nous proposer trois, quatre ou cinq choses. Voici ce que le Canada devrait faire, voici comment vous pourriez nous aider, voici ce que le comité pourrait faire. Cela nous aiderait.
M. Lucien Naki: Merci.
Tout d'abord, je vous recommanderais effectivement de rencontrer M. Masire parce que pour le moment nous parlons de l'accord de cessez-le-feu de Lusaka et c'est M. Masire qui est le principal acteur. La première chose que les Canadiens doivent faire dans leur collaboration avec les Congolais est de rencontrer... Comme le montre notre plan, nous avons une réunion dans une ou deux semaines. Notre ambassade à Gaborone au Botswana va nous aider à avoir un rendez-vous avec M. Massire. Nous connaîtrons alors le point de vue de la société civile parce que M. Massire a rencontré toutes les organisations politiques à Kinshasa. Il sait ce qu'il faut faire et il a besoin d'aide comme M. Tougas l'a dit. Pour le moment, je suis en communication avec son secrétaire. L'OUA, l'Organisation de l'unité africaine qui lui a confié cette tâche ne lui a pas fourni de personnel pour son secrétariat. Il attend toujours.
Appartenant au Commonwealth et à la Francophonie, le Canada peut aider Masire chez les Congolais. Les gens sont bilingues ici et peuvent aider Masire de cette façon. C'est la première chose à faire.
La deuxième, comme je l'ai dit, ce sera à vous de décider. Vous êtes les élus, les politiciens. Pourquoi ne pas rencontrer les politiciens congolais et leur demander ce que sont leurs projets et ce qu'ils comptent faire pour arrêter l'effusion de sang? Les gens sont en train de mourir.
La présidente: Nous allons rencontrer des politiciens dans le cadre de notre étude.
Monsieur Kasende.
[Français]
M. Jean-Christophe Kasende: Je vais insister sur un fait. Les autres intervenants insistent vraiment sur le dialogue intercongolais. Aujourd'hui, à Kinshasa, il y a ce qu'on appelle la consultation qui a été initiée par les chefs des confessions religieuses.
Je me demande si les représentants de ceux que l'on appelle les rebelles, qui vivent dans les territoires occupés, les Wamba Dia Wamba et Ondekane, qui sont les chefs des rebelles dans les parties occupées, peuvent participer à ce dialogue. C'est difficile, parce qu'ils dépendent des pays dont les forces occupent les territoires congolais. Donc, je crois qu'en initiant un dialogue entre les Congolais...
• 1705
Au niveau du gouvernement, le problème ne se
pose pas. En fait, on a essayé plusieurs fois,
mais les rebelles alléguaient le problème de leur
sécurité. Ils ne voulaient pas répondre à l'appel.
Je crois qu'au niveau de nos analyses, nous
trouvons qu'il s'agit là de la stratégie de l'Ouganda et
du Rwanda, qui veulent que la situation dans laquelle se
trouve le Congo perdure parce que c'est
tout à leur avantage.
Il y a ici un document dans lequel le Rwanda dit qu'il est capable de poursuivre la guerre pendant longtemps, parce qu'il a réussi à accumuler des richesses, des ressources naturelles exploitables parties du Congo.
Alors, la pression de l'opinion internationale, la pression du Canada devrait s'exercer sur ces pays afin qu'il permettent aux chefs rebelles, qui sont en réalité les alliés des pays occupants, de participer à ce dialogue.
La présidente: Monsieur Kapenda.
M. Marc Kapenda: L'intervention de M. Naki nous satisfait. Pour une meilleure clarification de la situation, il propose qu'avant toute intervention, dans la mesure du possible, vous rencontriez M. Masire, qui vient d'aller faire un voyage au Congo. Il propose que vous rencontriez aussi, dans la mesure du possible, des politiciens congolais et Étienne Tshisekedi, ce qui est facile puisqu'on parle d'un leader de l'opposition démocratique au Congo qui est à l'extérieur du pays. Ce dernier a un plan de paix qui date de deux ans, qu'il cherche à faire connaître à l'Occident. Peut-être pourrait-il être reçu par vous. Il vous éclairerait autant que le ferait Boboliko ou que le ferait Olengankhoy du FONUS. Si vous ne pouvez pas recevoir Gizenga et tout le monde, il vous brossera un tableau de la situation. Ils ont un seul discours, et c'est celui d'une crise politique qu'il faut absolument arrêter pour pacifier le pays.
Nous pensons aussi, mesdames et messieurs, que les forces d'interposition de 5 000 personnes, comme M. Tougas vient de le dire, c'est insignifiant au Congo. Notre gouvernement canadien peut jouer un rôle d'influence pour que les forces d'intervention soient augmentées. Qu'elles viennent de l'Europe ou de l'Afrique, une chose est certaine: il faut qu'il y ait une augmentation sensible des forces d'interposition. Nous pensons que tout cela doit tendre vers une table ronde nationale.
La conférence des confessions religieuses, dont certains parlent ici, ne fait pas partie du travail que nous avons conçu à Montréal et dont la philosophie est véhiculée par M. Naki, ici. Imaginez-vous que les confessions religieuses sont une société civile. C'est une partie de la société civile. Lorsque, dans un pays où la dictature sévit, comme le Congo, quelques confessions religieuses, qui sont d'ailleurs des confessions religieuses protestantes, parce que les catholiques ce sont désolidarisés, convoquent une assemblée nationale à laquelle elles demandent aux institutions politiques, aux partis politiques et à la société civile de participer, il y a quelque chose d'anormal. Cette tâche revient à l'État et non pas à une partie de la société civile. Et si la société civile le fait sans se faire rappeler à l'ordre par l'État, on peut supposer que l'État est derrière et utilise cette partie de la société civile comme instrument.
Nombre de Congolais ne croient pas en ces consultations de confessions religieuses. Si les rebelles ou les partis politiques n'y participent pas, ce n'est pas parce qu'ils sont bloqués par les uns ou les autres, mais tout simplement parce qu'ils n'y croient pas. Effectivement, il n'y a pas un parti politique sérieux qui y participe. Les rebelles n'y participent pas. Nous croyons que c'est autant de temps et d'efforts de perdus.
La présidente: Merci. C'est...
[Français]
[Note de la rédaction: Inaudible]
Une voix: ...
Des voix: Non.
[Traduction]
La présidente: Non, désolée. Est-ce que...
Mme Jean Augustine: Je voulais faire une observation. Pour le dialogue inter-congolais, le Canada a promis un million de dollars à son excellence M. Masire pour le travail qu'il va faire. Nous apporterons notre aide au dialogue. Quelqu'un connaît-il l'échéancier? C'est la question que j'ai posée.
M. Lucien Naki: En réponse a ce qu'a dit Mme Augustine, je dirais qu'effectivement le Canada a versé un million de dollars mais vous devez savoir que cela a été une grosse surprise. Par contre, je suis toujours déçu. L'argent est là, mais demain, madame Augustine, si vous téléphonez à l'ACDI, ils vous diront qu'ils sont à la recherche de quelqu'un pour leur dire comment dépenser l'argent. Depuis que l'argent a été mis sur la table, ils ne savent même pas quoi en faire et à qui l'envoyer. Je vous répète que nous voudrions aider M. Masire à régler ce problème parce que les gens sont en train de mourir. Je vous en conjure, ce sont nos frères et nos soeurs qui sont en train de mourir. Si je gagnais à la loterie demain, je prendrais le premier avion pour y aller mais pour le moment ce n'est pas possible.
À propos de cet argent, le comité pourrait-il demander quels sont les plans? Il n'y a rien de prévu. C'est pour cela que nous travaillons et nous leur avons demandé de nous permettre d'aller au Botswana mais ils ont refusé.
La présidente: Nous allons rencontrer des représentants du ministère dans trois semaines. La somme d'un million de dollars était destinée au dialogue inter-congolais, toutefois...
Vous nous demandez comment nous pouvons faciliter un accord de paix et un cessez-le-feu. Ce n'est pas notre mandat. Le ministère de la Défense nationale s'occupe du maintien de la paix et c'est aux ministres et à leurs conseillers de manifester la volonté politique dans le dialogue entre les parties. Ce n'est pas le mandat du comité.
Nous reconnaissons tous que la population congolaise souffre de ce conflit qui dure, mais nous voulons savoir comment nous pouvons apporter de l'aide pendant cette période difficile. Une fois que la paix aura été négociée, nous devons voir quels sont les éléments de la société civile qui pourront la faire durer et favoriser le développement de la démocratie. Tel est notre mandat. Nous pouvons examiner la question de l'aide humanitaire ou de stabilisation du système démocratique une fois que la paix aura été instaurée. Il y a un million de dollars pour les enfants soldats, je crois. Il faut éliminer cela. Mais nous savons que tant que la paix ne sera pas revenue, il continuera d'y avoir des enfants soldats. Ce que nous voulons savoir, c'est comment pouvons-nous apporter de l'aide humanitaire et bâtir l'infrastructure propice à la démocratie quand la paix sera revenue.
M. Lucien Naki: Oui, pour y arriver il faut d'abord mettre fin à la guerre. Comme je l'ai dit, c'est une chose très facile parce que le problème congolais est un problème politique. Comme je l'ai dit, si Tchisekedi, Gizenga, Olengankhoy et les autres peuvent rencontrer le président Kabila, je vous assure que la guerre sera terminée en deux semaines. À partir de ce moment-là, vous pourrez nous aider à rebâtir le système démocratique.
• 1715
Pour le moment, il est inutile de dire «Merci beaucoup de nous
avoir aidés au Mozambique». Hier, j'ai lu que Mme Minna avait
promis un million de dollars pour aider les sinistrés des
inondations au Mozambique. Merci beaucoup au gouvernement du
Canada. Mais pour le moment, au Congo... je pense que même
un million de dollars, ce n'est rien au Mozambique. Merci, mais
concrètement ce n'est rien.
Comme M. Tougas et mon collègue l'ont dit, il y a un problème d'exploitation minière au Congo. Mais le vrai problème est un problème politique que le Canada peut contribuer à résoudre. Il faut que Kabila rencontre Tchisekedi et les autres politiciens pour résoudre le problème. Ilunga et le professeur Wambaugh appartiennent au camp de Kabila et ils se servent des Rwandais pour faire du Congo un champ de bataille.
[Français]
Je veux vous raconter une anecdote. L'ambassadeur du Mozambique a dit que le danger au Congo, c'est que le président Kabila en a fait une arène où les pays africains qui ont des problèmes viennent laver leur linge sale au lieu de se détruire chez eux.
[Traduction]
La présidente: Oui, monsieur Kasende.
[Français]
M. Jean-Christophe Kasende: Madame, je représente le Centre de recherche sur la démocratie pour le développement en Afrique. Je veux que nous soyons neutres dans les analyses que nous faisons ici, les uns et les autres.
J'ai des raisons de penser qu'il y a une sorte de plaidoirie de la part de certains en faveur des partis qu'ils représentent. Nous, nous analysons la situation. Comment avoir un dialogue intercongolais? Chercher à avoir la démocratie au Congo, c'est très important. Nous voulons tous cela. Mais l'influence des deux pays qui occupent le Congo est très forte. Je crois que la démocratie au Congo, c'est le souhait de tout le monde. Nous souhaitons cela. C'est pour cela que nous avons souhaité que Mobutu parte. Mais il faut aussi une conférence régionale sur la démocratisation. Le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda sont des pays où règnent des dictatures, en fait, parce que ce sont des pouvoirs militaires. Or, si nous instaurons la démocratie au Congo, il faudra qu'elle se répande partout.
La preuve, c'est que le Congo est maintenant occupé par ces pays. Tshisekedi à Kinshasa et Olengankhoy, qui a été arrêté à l'époque où les Rwandais s'y trouvaient, sont libérés. Je suis certain qu'on peut trouver la possibilité d'avoir un dialogue avec ceux qui sont de l'opposition non armée. Mais ceux qui sont soutenus par les pays qui occupent le Congo ne voudront pas participer à ces dialogues, parce que la situation actuelle est tout à l'avantage de ces pays-là.
Je crois que le rôle du Canada, c'est de tout faire pour qu'il y ait une conférence régionale sur la démocratisation de tous les pays de la région, en commençant, bien sûr, par le Congo. Mais il faut savoir que, tant qu'il n'y aura pas de démocratie dans ces pays qui nous entourent, il y aura toujours des personnes de ces pays qui vivront au Congo, et elles auront toujours le prétexte de rentrer chez elles pour attaquer leur régime. Je crois que c'est logique. Et là, je ne prends parti pour aucun parti politique. Je parle pour le bénéfice de la région et du Congo.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Monsieur Tougas.
[Français]
M. Denis Tougas: Je reviens à l'agenda du dialogue intercongolais et à ce que le Canada peut faire à cet effet. Il y a des problèmes actuellement. M. Masire, on le sait et personne ne s'en cache, a été imposé par les États-Unis, par le Rwanda, par l'Ouganda et par la rébellion. M. Kabila l'a accepté, tout en sachant très bien que c'était comme ça.
Les problèmes sont les suivants. D'après ce que nous savons, le comité technique de M. Masire n'est pas encore organisé. Je ne sais pas si le Canada peut jouer un rôle en ce sens, mais il serait bon qu'il y ait une orientation un peu plus claire.
M. Masire est intelligent. Il ne va pas convoquer le dialogue intercongolais tant qu'il ne sera pas certain de ses chances de succès. Pour que cela arrive, il faut en même temps que les gens de Kinshasa et les gens de la rébellion acceptent de participer, ce qui n'est pas encore le cas. Le Canada n'a pas de lien diplomatique avec la rébellion et n'a pas de voie de pression. Il en a cependant avec le Rwanda et avec l'Ouganda. C'est une façon très ferme, une façon importante de faire en sorte que le dialogue puisse débuter. Je m'arrête ici.
La présidente: Monsieur Kapenda.
M. Marc Kapenda: Je veux apporter une précision importante. La table ronde nationale est un principe accepté par tous les partis. Les pays dits agresseurs, le Rwanda et l'Ouganda, ont signé les accords de Lusaka, et il est inscrit dans ces accords qu'au terme du cessez-le-feu, il y a la palabre nationale. Donc, il y a la table ronde nationale, qui regroupe aussi bien les forces politiques rebelles que la société civile et les forces politiques non armées et le pouvoir actuel et, bien sûr, des observateurs.
C'est la philosophie du pouvoir actuel au Congo qui veut que, lorsque des pressions sont faites dans le sens de la démocratisation, on demande que le Rwanda et l'Ouganda soient d'abord démocratisés. Vous êtes en présence de groupes congolais qui réfléchissent aux problèmes internes du Congo. Bien sûr, nous croyons, comme le dit mon collègue Kasende, que la région doit être démocratisée. Il y a d'autres groupes, parallèlement à nous, des groupes rwandais et des groupes ougandais, qui ont les mêmes messages. Nous croyons que si un effort régional peut être fait, c'est tant mieux, mais dans l'immédiat, pour ce qui est de la crise congolaise, nous n'allons pas attendre qu'il y ait d'abord une démocratisation du Rwanda et de l'Ouganda pour que la démocratie se fasse au Congo.
La demande nationale pour la démocratisation au Congo est populaire. C'est depuis 1990 qu'il y a une mobilisation dans ce sens. Toutes les politiques qui ne vont pas dans le sens de la démocratie ont échoué et échoueront toujours. C'est le cas aujourd'hui, avec M. Kabila, qui, bien qu'accueilli favorablement avec sa politique nationaliste pour mobiliser les gens, est vite désavoué par le public, qui trouve que la démocratie traîne.
Donc, le Canada, comme on l'a dit précédemment, devrait aider concrètement et devrait se servir de son influence pour que les cessez-le-feu soient respectés et pour que la table ronde nationale se réalise. Si le Canada a besoin de plus d'éclairage, de plus d'information, nous lui avons donné des tuyaux quant aux personnes qui peuvent vous donner ces informations.
Un appui financier est important pour l'organisation du travail de M. Masire. Mais nous pensons aussi que les populations de l'est du Congo, mesdames et messieurs, ont besoin d'une assistance humanitaire. Les ONG sont là pour transférer toute aide humanitaire aux populations qui sont aujourd'hui dans la brousse ou dans des villages, mais qui ont été pillées, qui ont perdu toutes leurs richesses et qui vivent dans une situation de famine et de détresse.
Nous pensons que si vous pouvez intervenir pour leur fournir l'assistance humanitaire dont ils ont tant besoin, ce serait fort appréciable. Bien sûr, le gouvernement de cette rébellion risque de s'approprier cette aide humanitaire, et c'est pourquoi nous pensons que la bonne voie serait celle des ONG. C'est un essai à faire.
Une voix: Merci.
La présidente: Très bien, merci. Je vous accorde deux minutes chacun.
Monsieur Kasende.
[Français]
M. Jean-Christophe Kasende: Je suis d'accord sur l'intervention des conférenciers, mais j'insiste. On parle de la démocratie au Congo d'abord, parce que je veux que cela commence par là. Par exemple, comment cela pourrait-il se réaliser aujourd'hui si les populations qui vivent dans les régions occupées par les armées étrangères devaient participer aux élections? Par où faut-il commencer pour qu'il soit possible que toute la population congolaise s'exprime? J'ai entendu mon collègue dire que la démocratie retardait.
Kabila prend le pouvoir en 1997. En 1998, c'est la guerre, et la guerre se poursuit jusqu'à maintenant. Honnêtement, mesdames et messieurs, dans ce contexte de la guerre, y a-t-il possibilité de permettre à toute la population qui se trouve dans notre pays de s'exprimer librement? Si on pouvait organiser les élections, par où faudrait-il commencer? Je crois que la logique la plus simple serait de demander d'abord aux forces qui occupent le Congo de le quitter.
Le Canada pourrait peser de toute son influence pour faire comprendre à la communauté internationale que les forces d'interposition des Nations Unies doivent arriver en nombre suffisant pour obliger les forces non invitées qui occupent illégalement le territoire congolais à rentrer dans leur pays afin qu'on puisse assurer la sécurité de la partie dans laquelle les gens sont menacés. De cette manière, personne ne pourra plus attendre: il faudra qu'il y ait des élections et donc que la démocratie s'exprime au Congo. C'est la logique simple et élémentaire.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Mme Debien veut poser une question.
[Français]
Mme Maud Debien: C'est une question qui concerne les différents projets du gouvernement du Canada en République du Congo. Mes collègues ont parlé de millions de dollars qui avaient été versés pour soutenir certaines initiatives. Je vous lis un communiqué du ministère:
-
L'ACDI versera 1 million de dollars pour appuyer des
initiatives menées par des partenaires...
J'imagine qu'on entend par là des ONG.
-
...qui oeuvrent la promotion
du dialogue intercongolais.
-
...l'ACDI versera 1 million de dollars à la
RDC pour le désarmement,
la réhabilitation et la réintégration des
enfants-soldats dans la société congolaise.
D'après ce que je comprends, un million de dollars vont transiter par les ONG et il y aura un million de dollars d'aide bilatérale directe au régime en place. Qu'est-ce que vous en pensez? Je veux avoir votre avis là-dessus.
M. Lucien Naki: Je veux vous remercier, madame Debien.
Concernant cette question des enfants-soldats, madame, je peux vous dire que nous connaissons bien le président Kabila et que nous parlons en connaissance de cause.
Pour ma part, j'ai été réfugié en Tanzanie dans les années 1980. Avant de venir ici, j'ai connu M. Kabila en Tanzanie. Je peux vous dire que M. Kabila veut gagner cette guerre seul et a donc besoin des enfants-soldats.
Je ne parle pas de la rébellion, parce que dans le cas de la rébellion, on a vraiment affaire à des «monstres». Ils font tout ce qu'ils veulent et ils tuent. En tant que Congolais, je me fie au gouvernement en place. Aussi longtemps qu'il n'y aura pas un cessez-le-feu et qu'on ne résoudra pas cette problématique politique, les enfants-soldats seront là. On a l'exemple du Liberia et ainsi de suite.
Je dois dire à prime abord que même les fonctionnaires ne savent pas à qui ils vont donner cet argent. Cela, je vous l'ai dit, madame. Vérifiez vous-même et vous verrez.
Mme Maud Debien: Vous répondez à ma question. Normalement, il ne devrait pas y avoir d'aide bilatérale de gouvernement à gouvernement dans ce cas-ci.
M. Lucien Naki: Effectivement.
Mme Maud Debien: Tout devrait passer par les ONG.
M. Lucien Naki: C'est ça.
Mme Maud Debien: D'accord.
M. Lucien Naki: Vous avez une réponse.
Mme Maud Debien: Vous avez répondu à ma question.
M. Lucien Naki: Mon ami demandait par où il fallait commencer pour établir la démocratie. Je vais mettre ces dossiers ici, madame, et j'aimerais que vous en preniez connaissance.
• 1730
C'est écrit
par Collette Braeckman, et le document est daté
le 15 février. Elle dit
ceci:
-
Aujourd'hui plus que jamais, les enjeux doivent
être clarifiés, dissociés: la sécurité du Rwanda, la
protection de ses frontières peuvent—devraient—faire
l'objet d'une garantie internationale. Mais la
cohabitation entre toutes les communautés congolaises,
la démocratisation du pays, l'amélioration de sa
gouvernance constituent un enjeu intérieur qui doit
être négocié à l'abri de toute ingérence.
Si le président Kabila ne peut pas accepter de s'asseoir avec son frère Tshisekedi, il doit d'abord faire tout pour aller se faire soigner en Afrique du Sud pour avoir droit à la parole. Olengankhoy et les autres sont toujours arrêtés et martelés. Comment peut-on faire la démocratie? Le problème est politique. Le président Kabila doit s'asseoir avec les autres.
M. Jean-Christophe Kasende: Madame, je vais répondre à cette question.
M. Lucien Naki: Je dépose cela pour que vous puissiez en prendre connaissance.
[Traduction]
La présidente: De toute évidence, la situation au Congo est extrêmement complexe. Nous espérons sincèrement que l'accord de Lusaka mènera à la paix et nous avons hâte de prendre connaissance des recommandations de la conférence de Montréal.
Je vous remercie d'être venus nous informer. Le Sous-comité des droits de la personne et du développement international fera de son mieux pour faire progresser le dossier. N'hésitez pas à nous faire parvenir tout document que vous jugerez utile. Merci d'avoir comparu aujourd'hui.
Madame Debien.
[Français]
Mme Maud Debien: Madame la présidente, je pense que la dernière question que j'ai posée est assez importante. M. Naki a répondu très directement. J'aimerais savoir ce qu'en pense M. Tougas. Je ne veux pas prolonger indûment nos travaux, madame la présidente, mais accepteriez-vous de nous donner trois minutes pour qu'on puisse entendre une brève réponse de chacun des intervenants? Il faut savoir comment sont employés les fonds canadiens.
M. Denis Tougas: Il faut vérifier si ces montants vont transiter par le gouvernement congolais. Que je sache, l'organisation de cette conférence était faite avec la collaboration du gouvernement, mais aussi avec la collaboration du représentant spécial de la Commission des droits de l'homme sur le terrain et avec des agences multilatérales.
Que je sache, il y a très peu d'argent qui transite par le gouvernement congolais. La seule exception est ce qui avait trait à la banque centrale. L'aide internationale est beaucoup changée à l'ACDI pour que cela se fasse.
Mme Maud Debien: Merci.
[Traduction]
La présidente: Madame Debien, je ne crois pas que l'un ou l'autre des témoins puisse savoir où le gouvernement du Canada envoie ses fonds. Les fonctionnaires du ministère vont comparaître devant nous dans trois semaines et je pense qu'ils seront les mieux à même de...
[Français]
Mme Maud Debien: En tout cas, on a déjà des éléments de réponse.
[Traduction]
La présidente: Vous demandez où ils recommandent d'affecter les fonds, par opposition à ce que le gouvernement a annoncé? Désolée, j'ai mal compris.
Mme Maud Debien: Oui.
[Français]
M. Marc Kapenda: Nous pensons qu'à un moment où toutes les pressions sont utiles pour décourager les élans du pouvoir autocratique, l'aide bilatérale ne peut être perçue que comme un encouragement à la politique de dictature. Nous pensons que la coupure de l'aide devrait être un des moyens de pression pour arriver à la démocratisation du système au Congo.
M. Lucien Naki: Pour renchérir là-dessus, j'aimerais dire que nous combattons les compagnies canadiennes qui sont en train d'exploiter les mines. Également, comme contribuable, je ne peux pas admettre que cette aide aille dans les poches de M. Kabila et que ce dernier donne cet argent à ses sbires pour aller arrêter M. Tshisekedi, M. Olengankhoy et les autres, ainsi que les membres de la société civile. Je ne peux pas l'admettre.
M. Jean-Christophe Kasende: Madame, j'adopte toujours la neutralité qui caractérise notre centre et je dis tout simplement que, quand nous suivons l'évolution de la situation, M. Kabila, qui reçoit notre documentation parce que nous faisons des mémorandums que nous lui envoyons, fait beaucoup, beaucoup de concessions. M. Tougas vient de faire un témoignage éloquent. Il accepte tout pour que la guerre se termine, même des accords qui sont en sa défaveur. Les personnes que l'on a choisies, dictées par le Rwanda et le Burundi, il les accepte.
Mes collègues s'acharnent envers un pouvoir qui fait des concessions, ce qui est d'ailleurs l'expression de la démocratie, si nous cherchons cela, mais j'aurais souhaité, madame, que l'on soit sincère dans ce qu'on dit et qu'on dise ce qui existe.
J'ai rencontré M. Naki aujourd'hui pour la première fois.
[Traduction]
La présidente: Désolée, c'est irrégulier.
[Français]
M. Jean-Christophe Kasende: C'est pour vous dire tout simplement que dans ses écrits...
[Note de la rédaction: Inaudible]
M. Lucien Naki: ...
M. Jean-Christophe Kasende: Je vous connais par vos écrits. J'ai ici un document de M. Naki, qu'il signe en tant que... Il dit: «Le Zaïre n'existe plus. Vive la province du Katanga libre et indépendante!»
Voilà une personne qui...
M. Lucien Naki: Madame...
[Traduction]
La présidente: Merci...
[Français]
M. Jean-Christophe Kasende: C'est pour dire...
[Traduction]
La présidente: Merci. Non, désolée. Je vous en prie. Non, c'est irrégulier.
Nous avons maintenant dépassé le temps prévu.
Je remercie tout le monde d'être venu. Faites parvenir au comité tout document que vous jugerez utile et nous verrons à ce qu'il soit distribué. Merci.
La séance est levée.