INST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY, SCIENCE AND TECHNOLOGY
COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 17 octobre 2001
La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.
Nous sommes ici pour examiner le projet de loi C-23, la Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence.
Nos invités sont le premier vice-président de l'Alliance canadienne du camionnage, M. Graham Cooper, et le vice-président des Affaires régulatoires, M. Ron Lennox.
Il semble y avoir une longue file de témoins qui attendent de passer le poste de sécurité en bas, alors je suppose que nous allons devoir nous y faire pour ces prochains jours.
Si vous voulez bien faire vos observations préliminaires, nous ne vous retarderons pas plus longtemps.
M. Ron Lennox (vice-président, Affaires régulatoires, Alliance canadienne du camionnage): Je vous remercie.
Merci beaucoup de fournir à l'Alliance canadienne du camionnage cette occasion de parler devant vous cet après-midi. Je commencerai par un petit historique, pour vous expliquer exactement qui nous sommes et qui nous représentons.
L'Alliance canadienne du camionnage est une fédération des associations provinciales de camionnage du Canada. Notre administration centrale se trouve ici, à Ottawa, et nous avons des bureaux dans tout le pays. Nous représentons, par l'entremise des associations provinciales, quelque chose comme 4 000 transporteurs motorisés de toutes les tailles du Canada—tout le monde, des très petites compagnies aux grandes entreprises de camionnage multinationales.
L'industrie du camionnage, elle-même, est très compétitive. Il y a au pays quelque chose comme 13 700 compagnies de camionnage. En outre, il y a aussi quelque chose comme 40 000 propriétaires exploitants indépendants. La plupart de nos membres sont de la catégorie des transporteurs pour le compte d'autrui. Nous générons des revenus de l'ordre de 20 milliards de dollars par année, mais seulement 80 transporteurs environ, selon Statistique Canada, ont des revenus de plus de 25 millions de dollars par année.
Au cours de la période de 1991 à 1999, les niveaux de concentration, dans l'industrie du camionnage du Canada, ont en fait baissé. Les transporteurs qui gagnent plus de 25 millions de dollars ont récolté une portion plus faible des revenus totaux de l'industrie en 1999 qu'en 1991, tandis que ceux qui gagnent moins de 1 million de dollars sont devenus légèrement plus nombreux au cours de cette période de 10 ans.
Le projet de loi C-23 ayant été soumis au comité avant la deuxième lecture, nous croyons comprendre que le comité est libre de l'étudier et de le modifier à sa guise, et même d'y ajouter des dispositions qui ne s'y trouvent pas encore. À cette fin, l'ACC souhaite concentrer ses observations sur la question du droit privé d'accès au Tribunal de la concurrence, relativement à des dispositions qui portent essentiellement sur des problèmes privés entre les acheteurs et leurs fournisseurs, soit le refus de vendre, la vente liée, la limitation du marché et l'exclusivité.
• 1535
En vertu de loi actuellement en vigueur au Canada, seul le
Commissaire à la concurrence est habilité à présenter une demande
d'examen au civil au Tribunal de la concurrence. Il n'existe aucun
droit privé d'action. Cependant, à ce que nous comprenons, des
dispositions pour régler cela figurent dans un projet de loi
d'initiative parlementaire, le projet de loi C-472. C'est notamment
sur ce projet de loi qu'est fondé le projet de loi C-23. Cependant,
le projet de loi C-23 que le ministre de l'Industrie a présenté
plus tôt cette année ne renfermait aucune de ces dispositions
relatives au droit d'accès privé.
L'ACC est d'avis que les dispositions relatives au droit d'accès privé que contenait le projet de loi C-472 créent un équilibre approprié entre la promotion de la concurrence et les mesures de prévention de poursuites stratégiques ou sans fondement. Le droit d'accès privé réglerait principalement les situations, surtout privées, entre acheteurs et vendeurs qui, autrement, ne seraient probablement pas repérées au radar, ou ne constitueraient pas une utilisation efficace des ressources du Bureau de la concurrence. Nous pensons que ceci aiderait à égaliser les règles du jeu, particulièrement pour les petites entreprises.
Pour terminer, nous croyons comprendre que les lois de plusieurs autres pays relativement à la concurrence prévoient des dispositions en matière d'accès privé. De plus, nous avons appris que ce n'est qu'aux États-Unis qu'il y a eu des problèmes de poursuites stratégiques, tandis que dans d'autres pays, le droit d'accès privé semble avoir été une mesure efficace. Par conséquent, nous insistons pour que le comité envisage de modifier le projet de loi C-23 de façon à permettre l'accès privé au Tribunal canadien de la concurrence.
Je vous remercie.
La présidente: Merci, monsieur Lennox.
Nos autres témoins sont maintenant arrivés, alors nous poursuivrons avec leurs déclarations préliminaires. Ensuite, nous poserons toutes les questions.
Nous avons avec nous, de la Canadian Independent Petroleum Marketers Association, M. Bob MacMinn, vice-président exécutif et M. Dave Collins, président. Je ne sais pas exactement qui doit faire la présentation.
M. Bob MacMinn (vice-président exécutif, Canadian Independent Petroleum Marketers Association): Je lirai l'exposé.
Merci, madame la présidente et membres du comité.
Je m'appelle Bob MacMinn. Je suis le vice-président exécutif et le conseiller en politiques de la CIPMA, la Canadian Independent Petroleum Marketers Association. Je suis accompagné aujourd'hui de Dave Collins, qui est le président de la CIPMA, mais aussi le vice-président de Wilsons Fuels à Halifax, le plus grand détaillant indépendant d'essence du Canada Atlantique. Pour donner une précision au sujet de la CIPMA, je suis rémunéré; pas lui.
La CIPMA représente les marchands indépendants de pétrole de l'Industrie canadienne du pétrole. Nos membres sont tous du secteur d'aval de l'industrie. En deux mots, nous représentons les stations-services et certains distributeurs d'huile de chauffage. Tous nos membres représentent des petites et des moyennes entreprises du Canada. Il s'y trouve des noms que vous pouvez ou non reconnaître, comme Olco Petroleum, Acme Petroleum, M. Gas Limited, NOCO Energy et Wilson Fuels, pour ne donner que quelques exemples.
La raison d'être de notre organisation est de défendre les intérêts des commerçants du pétrole. Les marchands indépendants, de nos jours, composent de 12 à 13 p. 100 du marché des produits pétroliers au Canada. Il convient de souligner que c'est beaucoup moins qu'au début de 1990, lorsque les commerçants indépendants occupaient environ 25 p. 100 du marché.
Les marchands indépendants sont importants pour la concurrence, en ce sens qu'ils peuvent, si on leur permet de s'épanouir, stimuler la concurrence au niveau de la vente en gros dans le secteur du pétrole. Nous avons la possibilité de changer assez facilement de fournisseurs et, par conséquent, si nous pouvons être assez nombreux, les raffineries seront forcées de se faire concurrence entre elles au Canada, ce qui ferait baisser les prix de gros et, au bout du compte, les prix que paient les consommateurs au détail.
La CIPMA est bien convaincue que nous avons le droit d'acheter le produit dans un climat compétitif. Bien que ce soit souvent tenu pour acquis au niveau du consommateur, c'est souvent négligé au niveau de la vente en gros. L'absence de ce droit affaiblit la concurrence. Après tout, l'acheteur en gros n'est qu'un autre consommateur doté de plus de pouvoir.
La CIPMA a activement appuyé la modification de la Loi canadienne sur la concurrence. La CIPMA, qui s'appelait auparavant IRGMA, a appuyé les projets de loi 402 et 472. Nous avons participé aux audiences du Comité de l'industrie sur la Loi sur la concurrence et le Bureau de la concurrence, et nous avons été parmi les principaux intervenants qui ont été consultés dans le cadre de tribunes sur la politique publique dont les résultats ont formé, en partie, l'assise du projet de loi C-23.
Nous appuyons pleinement le projet de loi C-23, tel qu'il a été présenté à la première lecture, et nous appuyons l'amendement supplémentaire, tel que proposé, d'accorder des droits d'accès limités au Tribunal de la concurrence. Les membres de la CIPMA sont, par principe, opposés à la limitation de l'accès de quiconque à un tribunal ou à une autorité compétente, notamment au Tribunal de la concurrence.
• 1540
Nous pensons que les amendements proposés sont un premier pas
très timide vers la modernisation de la Loi canadienne sur la
concurrence. D'autres pays ont jugé approprié de ne pas limiter
l'accès aux tribunaux—l'Australie, la Grande-Bretagne, la France
et les États-Unis.
Aux États-Unis, les poursuites au titre des lois antitrust peuvent être intentées par les sociétés privées, la Federal Trade Commission, le ministère de la Justice et les procureurs généraux. Le mécanisme en vigueur au Canada, selon lequel le commissaire de la concurrence agit comme l'unique contrôleur de l'accès et doit entendre les plaintes, faire enquête, puis ensuite les transmettre au tribunal, doit être refondu.
Le droit privé d'accès devrait, à notre avis, motiver les entreprises à renoncer aux activités anticoncurrentielles et libérer les ressources d'enquête du Bureau de la concurrence.
Nous entendons dire que les opposants à l'accès privé craignent le potentiel d'abus sous la forme de poursuites stratégiques. Très franchement, nous voyons là une tentative pour faire le comité renoncer à moderniser la Loi canadienne sur la concurrence. Les grandes entreprises qui se sont exprimées contre l'accès privé ont une vaste expérience et de vastes moyens pour faire face à toutes sortes de poursuites. De fait, nos membres ne connaissent que trop bien les grandes entreprises qui menacent d'intenter des poursuites, sous une forme quelconque. C'est un fait de la réalité canadienne, de nos jours. Ces changements n'ajouteront rien au fardeau.
De plus, des mesures pertinentes de protection sont prévues dans le projet de loi C-23 pour empêcher cette activité. Notamment, le tribunal n'a pas de pouvoir relativement aux dommages, il peut rendre des jugements sommaires, allouer les frais et faire des renvois.
J'ajouterais que, dans le secteur d'aval hautement concentré du pétrole au Canada, la décision d'intenter une poursuite contre un fournisseur serait soigneusement pesée. Les autres choix d'approvisionnement sont extrêmement limités, et seul un comportement des plus choquants serait vraiment considéré comme une raison suffisante de mettre en péril sa chaîne de ravitaillement.
En tant qu'organisation, nous applaudissons le ministre d'avoir présenté cette importante loi, et nous appuyons pleinement l'amendement visant le droit d'accès privé.
Je vous remercie.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur MacMinn.
Nous allons maintenant laisser la parole à l'
[Français]
Association québécoise des indépendants du pétrole. Monsieur Blouin.
M. René Blouin (président-directeur général, Association québécoise des indépendants du pétrole): Merci, madame la présidente.
Membres de la commission, permettez-moi d'abord de vous présenter M. Pierre Crevier, qui m'accompagne. M. Crevier est président de Pétroles Crevier et membre du Comité des affaires économiques de l'Association québécoise des indépendants du pétrole, c'est-à-dire l'AQUIP.
Nous tenons à vous remercier d'abord de nous permettre de présenter notre position relative à des amendements possibles à la Loi sur la concurrence. Nous le faisons au nom des membres de l'AQUIP, qui regroupe les entreprises pétrolières à intérêt québécois. Leur champ d'activité est lié à l'importation, la distribution, la vente au détail de carburants, d'huile de chauffage et de lubrifiants. Les ventes au détail des entreprises pétrolières québécoises totalisent annuellement plus d'un milliard de dollars.
La présentation que nous avions faite devant ce comité en mars 1999 demeure très actuelle. Nous éviterons donc de reprendre ce contenu afin d'alléger notre présentation, mais nous vous invitons à vous y référer afin de mieux saisir les diverses facettes du marché pétrolier, tel qu'il fonctionne au Québec. Nous réitérons que le projet de loi C-235 alors étudié demeure, à notre avis, une proposition législative nécessaire à l'interdiction de stratégies commerciales déloyales axées sur les ventes à perte qui détruisent la vraie concurrence, avantageuse pour les consommateurs.
Toutefois, nous tenons à préciser que la Loi québécoise sur la (Régie de l'énergie), qui interdit de fixer des prix de pompe en bas des coûts d'acquisition, a récemment ajouté à ce prix minimum la valeur des coûts d'exploitation d'un détaillant afin de mettre fin à une guerre de prix qui sévissait dans la région de Québec. La régie a en effet jugé ces guerres de prix socialement et économiquement nuisibles. Son jugement donne raison aux requêtes des indépendants, comme vous pourrez le constater en prenant connaissance du communiqué de presse qui est annexé à cette présentation.
Les remarques que nous vous présentons sur le sujet du jour se distanceront délibérément des aspects liés à la théorie juridique pour s'attacher davantage aux effets concrets de ces propositions législatives dans le secteur pétrolier.
Pour les entreprises pétrolières indépendantes du Québec, le projet de loi C-472, qui constitue un amendement au projet de loi C-23, est sans contredit un pas dans la bonne direction pour ceux et celles qui souhaitent que la concurrence puisse s'exercer dans de meilleures conditions.
M. Pierre Crevier (membre du Comité des affaires économiques, Association québécoise des indépendants du pétrole): Bien que nous accueillions généralement avec satisfaction le contenu du projet de loi C-472, nous tenons d'abord à vous manifester les inquiétudes que soulève le fait que le paragraphe 77.1(1) de ce projet de loi prévoit que l'accès au Tribunal de la concurrence ne pourrait se faire dans des «conditions de commerce normales». Nous vous soumettons que les fournisseurs de produits pétroliers n'auront qu'à illustrer qu'ils ne peuvent fournir les produits en raison de conditions de commerce anormales pour empêcher l'accès au tribunal.
• 1545
Nous suggérons plutôt que les nouvelles dispositions
d'accès au tribunal puissent aussi s'exercer dans un
marché dont les conditions de commerce ne sont pas
normales. À titre d'exemple, en cas de pénurie
relative, l'approvisionnement devrait être assuré à
toutes les entreprises dans une proportion identique,
qui reflète le fonctionnement habituel du marché. Si,
par exemple, le produit disponible ne permet que de
répondre à 80 p. 100 des besoins habituels, les majeurs
et les indépendants devraient pouvoir s'approvisionner
chacun à 80 p. 100 de leurs besoins réguliers. De la
sorte, chaque entreprise serait soumise aux mêmes
conditions et aucune ne serait acculée à la faillite
pour cause de rupture de stock.
On peut notamment imaginer que la conjoncture
internationale incertaine que nous traversons puisse
engendrer pareille situation.
Au surplus, une situation de rationnement ne devrait pas entraîner le non-renouvellement de contrats d'approvisionnement sous prétexte que la situation du marché est anormale. Il faut au contraire s'assurer que les situations de marché inhabituelles ne permettent pas l'élimination d'entreprises pétrolières efficaces qui seraient privées d'approvisionnement.
En conséquence, nous proposons que les mots «aux conditions de commerce normales» soient retirés du projet de loi. De la sorte, les nouvelles dispositions seraient aussi applicables dans des circonstances inhabituelles où elles pourraient s'avérer particulièrement utiles.
Nous pourrons profiter de la période d'échange pour étayer notre suggestion de situation concrète qui illustre la nécessité de recours efficaces en cas de situations anormales. Celles-ci risquent de déstabiliser le marché au seul profit des entreprises pétrolières intégrées, qui sont à la fois productrices, distributrices et engagées dans le commerce de détail.
M. René Blouin: Nous estimons enfin que toutes les initiatives qui permettent d'alléger le processus judiciaire doivent être vigoureusement appuyées, et c'est le cas du projet de loi C-23, avec l'amendement proposé par M. McTeague. Il faut sans cesse se rappeler que les petites et moyennes entreprises n'ont ni les moyens financiers ni les ressources techniques nécessaires pour livrer de trop longues batailles juridiques. L'accès à la justice doit demeurer une préoccupation centrale des élus. À n'en pas douter, ce projet de loi y contribuera, bien que nous soyons tous conscients que beaucoup de travail reste à faire.
Les propositions qui sont devant nous constituent un pas dans la bonne direction, et nous souhaitons que les législateurs y donnent suite en tenant compte de l'amendement que nous soumettons. Merci.
La présidente: Merci beaucoup.
[Traduction]
Passons aux questions, en commençant par M. Penson.
M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne): Oui, merci. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les experts qui sont ici aujourd'hui.
La question que j'aimerais poser à chaque groupe représenté ici, c'est: est-ce que vous avez demandé au commissaire à la concurrence d'entendre des cas spécifiques, qu'il a refusés? Autrement dit, vous a-t-il refusé l'accès?
M. Graham Cooper (premier vice-président, Alliance canadienne du camionnage): Pas à nous, non.
M. Dave Collins (président, Canadian Independent Petroleum Marketers Associations): Je peux en parler. Je m'appelle Dave Collins et je suis vice-président de la Wilson Fuel Company.
En 1994 et en 1995, nous avons présenté deux demandes au commissaire à la concurrence, et non pas à Konrad von Finckenstein. Nous avons démontré qu'une grande pétrolière avait entrepris de nous forcer à adhérer à certaines pratiques de fixation des prix, pour nos prix au détail. Nous fonctionnons à très faible prix de revient.
Ce que nous avons découvert, c'est que cette compagnie, Petro Canada, avait fixé le prix du produit à ce qui représentait à l'époque 10c. du litre de moins que le coût du pétrole brut, et l'avait maintenu à ce niveau-là. Ils ont chargé quelqu'un d'appeler mon revendeur, puis ils ont stationné l'un de leurs camions dans le stationnement du centre commercial où nous nous trouvions et ont dit «À moins que vous n'arrêtiez...». Bien entendu, vous n'en avez jamais entendu parler, mais le camion de Petro Canada était stationné dans le centre commercial devant ma station-service, et ils ont dit qu'il fallait arrêter, sinon cette pratique de vente à un prix inférieur au coût de revient se poursuivrait.
• 1550
Nous avons dressé un dossier, que nous avons présenté au
commissaire. À l'époque, nous avons rencontré le chef de la
Direction de la surveillance, un type qui s'appelle John Bean, et
il a affirmé qu'il n'y avait rien à faire parce que notre
entreprise n'avait pas été éliminée. Il a aussi ajouté «Monsieur
Collins, la concurrence peut être dure». J'ai demandé ce qu'il
faudrait pour vous faire agir et l'un des enquêteurs a répondu, et
je cite: «Généralement, il nous faut une arme encore fumante et un
cadavre, et une confession en plus peut être utile».
M. Charlie Penson: Alors, monsieur Collins, ce serait le genre de situation que vous aimeriez pouvoir présenter s'il existait un mécanisme de poursuite privée?
M. Dave Collins: Oui, parce que c'est très localisé par nature et, je pense—je ne l'avais pas tout à fait compris à l'époque—un incident isolé à Halifax ne se rend pas jusqu'ici, à Ottawa.
M. Charlie Penson: Alors à votre avis, existe-t-il plusieurs de ces situations, qui seraient en suspens ou en attente, lesquelles seraient présentées devant le tribunal si l'accès privé était permis?
M. Dave Collins: Je pense que tout d'abord, le tribunal devrait probablement composer avec une tempête de plaintes mais à mon avis elle se calmerait. Très franchement, je me lève chaque jour avec l'idée de trouver de nouveaux clients, pas en me demandant qui je vais poursuivre. Cette histoire est loin derrière moi. Je ne ramènerai pas le passé à la surface mais, désormais, ce serait bon de savoir que je pourrais le faire.
M. Charlie Penson: J'ai une autre question. J'ai peu de temps, alors j'aimerais seulement demander à l'autre groupe s'il a aussi connu le même problème.
[Français]
M. René Blouin: Comme vous le savez, monsieur le député, nous représentons des entreprises dont le rayon d'action est local ou régional. La connaissance que nous avons du fonctionnement du Bureau de la concurrence est qu'il s'occupe davantage des causes qui ont un impact global sur le marché canadien. Je crois que ces prétentions ont été confirmées par le commissaire qui, devant vous, a précisé qu'il n'avait ni le temps ni les moyens de s'occuper de ce type de préoccupations et que c'était la raison pour laquelle il favorisait l'accès privé au Tribunal de la concurrence.
[Traduction]
M. Charlie Penson: Puisque plusieurs personnes ont affirmé que le projet de loi C-472 est un moyen d'instaurer ce droit d'accès privé, vous rendez-vous compte que ce projet de loi prévoit des pénalités comme des dommages, la possibilité d'octroyer des frais, dans les cas de poursuites frivoles, des cas où le plaignant peut perdre et aussi la possibilité de rejet par le tribunal? Est-ce que cela satisfait à vos préoccupations? Autrement dit, actuellement, le commissaire à la concurrence prend la décision d'entendre ou non une plainte, mais le tribunal aura aussi le pouvoir, en vertu des dispositions prévues au projet de loi C-472, de rendre un jugement sommaire ce qui, en fait, veut dire de rejeter une plainte. Est-ce que cela vous satisfait?
M. Dave Collins: Certainement. Je pense que cette disposition nous donne accès à une autorité compétente. Actuellement, on se présente à un bureaucrate et on lui expose notre affaire, et s'il le veut bien ou s'il est de bonne humeur ce jour-là, il va de l'avant. Ce n'est pas aussi rigoureux qu'un mécanisme judiciaire, selon lequel le rejet ou l'acceptation d'une plainte doit être justifié. Je pense que j'ai beaucoup plus foi dans le système judiciaire que dans un bureaucrate. Pour ce qui est de mon expérience avec eux, j'ai parlé de l'affaire de Petro-Canada, et j'ai eu un autre problème avec Irving Oil Limited, et celui-là n'est pas allé bien loin non plus.
Je pense que ce serait un progrès que de pouvoir être entendu par une autorité judiciaire, oui.
M. Charlie Penson: Avec le nombre de plaintes qui pourraient être déposées en tempête—je pense que c'est votre expression—il pourrait être assez long de parvenir devant le tribunal. Dans le cas d'Air Canada, au sujet de leur solde de places, je pense que c'est WestJet Airlines qui avait demandé au commissaire à la concurrence d'entendre l'affaire. Elle s'est rendue jusqu'au tribunal, et maintenant vous savez peut-être qu'elle a été reportée de six mois encore, et la raison invoquée est cette période de turbulences que nous vivons.
Là où je veux en venir, c'est que le monde idéal n'existe pas et que les gens comme ceux de WestJet Airlines s'en rendent bien compte, même s'ils ont eu accès au tribunal.
M. Dave Collins: Je suis d'accord. Au moins, ils y ont eu accès. Au moins ils y ont eu accès, monsieur.
[Français]
M. René Blouin: Monsieur le député, si vous me le permettez, je peux vous donner l'exemple de ce qui se passe au Québec. Il y a une loi qui protège la concurrence dans le secteur pétrolier, comme vous le savez, et nous avons accès à un tribunal administratif qui s'appelle la Régie de l'énergie du Québec. Il est évidemment coûteux de se rendre à la Régie de l'énergie et il y a de longs délais. Cependant, c'est une option que nous avons.
• 1555
S'il est vrai que des entreprises régionales
ou locales n'ont pas nécessairement les
moyens financiers de s'adresser à ce type de recours,
quand nous nous rassemblons et que nous faisons en
sorte que les coûts soient divisés entre les membres
d'une association, ce sont des
recours qu'il est très possible d'utiliser. À
titre d'exemple, je vous dis que, malgré les coûts que
cela représente, nous le faisons actuellement pour la
deuxième fois au Québec.
[Traduction]
M. Charlie Penson: Je vous remercie.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Penson.
Je laisserai maintenant la parole à M. McTeague.
M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Merci, madame la présidente. J'ai deux ou trois questions à poser.
Je tiens à vous remercier, tous, d'être ici aujourd'hui. J'aurais voulu avoir l'occasion de parler un peu de la sécurité sur la Colline, ici.
Dans le contexte des observations de M. Penson, au sujet de WestJet, j'ai pensé qu'il était plutôt intéressant qu'il ait fallu un an avant que WestJet puisse, en fait, présenter sa plainte devant le tribunal. Ce n'est que l'incident de force majeure du 11 septembre qui a fait que le tribunal reporte, seulement, ses conclusions.
J'aimerais m'adresser à vous, spécifiquement, si vous permettez,
[Français]
à chacune des personnes qui sont ici, non seulement de l'expérience de la situation qu'elles ont eue, mais aussi des questions ou des remèdes qui sont actuellement envisagés dans le projet de loi C-23, avec l'amendement que j'ai proposé. Ce sont effectivement les mots qui étaient utilisés dans mon ancien projet de loi C-472.
[Traduction]
Actuellement, les types de remèdes proposés sont en fait de nature restrictive. Si quelqu'un souhaite obtenir une espèce d'indemnité, il lui faut obtenir l'aval du tribunal et, bien entendu, aller plus haut pour l'obtenir, en vertu de la proposition.
Je me demande si l'un de vous a pensé le moindrement à la possibilité des dommages, puisque le tribunal pourrait faire des découvertes qui, autrement, n'auraient pas lieu, comme M. Collins l'a signalé, peut-être, relativement à son cas.
Nous avons un point de mire très étroit, sur seulement quatre domaines: la restriction du marché, l'exclusivité, la vente liée et le refus de vendre. Ce que j'aimerais vous demander à tous, c'est ceci: est-ce assez? Devrait-ce être plus? Devrions-nous pouvoir donner des exemples de situations où vous avez pu subir les effets d'actes potentiellement anticoncurrentiels qui s'insèrent dans l'une de ces quatre catégories? Croyez-vous que nous devrions aussi, en tant que comité, examiner un concept de dommages allant plus loin que ce qui est ici, aujourd'hui, devant nous?
M. Dave Collins: Personnellement, et aussi au nom du Conseil d'administration de la CIPMA, que nous avons consulté avant de venir ici, je pense, comme l'a dit Bob tout à l'heure, que ce qui nous exaspère par principe, c'est qu'il y ait cet aspect du système judiciaire dont on nous refuse l'accès. Alors je pense que ce que nous aimerions avoir, c'est le plein droit d'accès privé à tous les aspects de la Loi sur la concurrence. Ainsi, au moins, si nous avons tort, nous aurons tort et nous devrons l'accepter. La réalité, cependant, c'est que je n'ai pas l'impression qu'aucun de nous prévoie de s'empresser de poursuivre nos fournisseurs rien que parce que nous n'aimons pas la couleur de leurs yeux. C'est une démarche coûteuse. En plus des frais d'avocat, cela coûte du temps à nos entreprises. C'est vraiment ce que les gens ont le plus de mal à comprendre. Je ne me lève pas tous les matins en me demandant: qui allons nous poursuivre aujourd'hui?
La réalité, c'est qu'il nous arrive, à l'occasion, de craindre les poursuites. J'ai été poursuivi par à peu près toutes les grandes compagnies pétrolières pour une raison ou une autre, et je suis aussi heureux de dire qu'elles ont toujours perdu. Mais la réalité c'est que nous, en tant que petites entreprises, avons été la cible de poursuites stratégiques. C'est une arme que les grandes entreprises utilisent contre les petites entreprises, soit pour les forcer à se conformer ou pour les discipliner d'une manière ou d'une autre, ou encore pour ralentir leur progrès. Alors j'aimerais seulement avoir accès aux tribunaux pour les activités anticoncurrentielles.
M. Dan McTeague: À ce propos justement, monsieur Collins, nous avons entendu des témoins qui sont venus ici, particulièrement ceux qui représentent, de façon générale, la Chambre de commerce du Canada et le Barreau canadien—et nous en verrons certainement d'autres—qui ont laissé entendre qu'au lieu d'être une opportunité pour les petites entreprises d'accéder à quelque chose qui pourrait constituer les dommages concurrentiels, ce serait utilisé contre elles et elles n'auraient pas les ressources suffisantes pour se défendre, sans compter, bien sûr, l'existence de la disposition relative au jugement sommaire. Est-ce que cela ne vous fait pas peur? Y a-t-il du vrai dans ce qu'ils disent, qu'en quelque sorte ils s'inquiètent de votre sécurité et de votre avenir?
M. Dave Collins: Non. Je suis sûr qu'Exxon peut très bien se défendre.
Je ne pense pas que nous ayons vu de cas d'acte anticoncurrentiel porté devant un tribunal par une plus grosse compagnie contre une petite entreprise. De par sa nature, c'est la petite entreprise qui a besoin de la protection qu'offre la Loi sur la concurrence.
• 1600
Je pense que la réalité, dans tout cela, et la raison d'être
de la loi, c'est que généralement, les petites entreprises sont des
intervenantes plus efficaces. Souvent, diverses stratégies sont
utilisées pour saper leur efficience, pour essayer de faire monter
leurs coûts et les rendre moins menaçantes pour leurs concurrents.
C'est ce que nous constatons dans notre milieu; c'est ce avec quoi
nous composons et c'est pourquoi nous aimerions de l'aide pour nous
en défaire.
J'ai l'impression que si vous introduisez le droit d'accès privé, une grande entreprise, en comprenant qu'il est fort possible, si son comportement est réellement anticoncurrentiel, qu'elle subisse un examen judiciaire, modifie ce comportement. Comme je l'ai dit, je pense que la tempête de plaintes se dissipera très vite, parce que je ne crois pas que les grandes entreprises continueront d'agir ainsi. Leur comportement changera immédiatement.
M. Dan McTeague: Dans quelle mesure avez-vous consulté les membres de votre organisation pour parler d'un droit d'accès privé qui, tout le monde s'entend pour le dire, est une forme très retreinte d'accès privé, que l'on suggère ici aujourd'hui? Est-ce que ce n'est qu'un petit groupe d'entre vous, de deux ou trois personnes, qui se réunit en appel conférence—comme nous l'avons entendu hier de certains témoins—qui constitue un moyen de sonder les dizaines de milliers de membres qu'ils ont, ou avez-vous parlé à certains de vos revendeurs, de vos amis, de vos représentants, de vos ennemis, quels qu'ils soient?
M. Dave Collins: Notre groupe est doté d'une structure plus ou moins hiérarchisée. Nous avons rencontré tous nos membres qui, à leur tour, avant de nous donner une réponse, ont discuté de la question avec leurs divers fournisseurs et les dirigeants d'entreprises. Tous ont dit: «David, c'est très simple. Tout ce que nous voulons, c'est avoir accès à un tribunal si des problèmes se posent.»
M. Dan McTeague: Monsieur Cooper.
M. Graham Cooper: Notre situation est à peu près la même. Nous représentons, comme l'a mentionné M. Lennox dans son exposé, environ 4 000 transporteurs à l'échelle nationale. Nous leur avons indiqué, il y a quelques semaines, que nous avions examiné les dispositions du projet de loi C-23, et celles du projet de loi antérieur, le C-472, et que nous les avions jugées valables pour diverses raisons, la plus importante étant peut-être la suivante—et j'abonde moi aussi dans le sens de M. Collins—soit que le droit d'accès privé peut décourager les agissements anticoncurrentiels, du moins nous l'espérons. Bien entendu, les petites entreprises représentent la majorité de nos membres. Elles considèrent donc cette soupape de sécurité comme un pas dans la bonne direction.
M. Dan McTeague: Dans ce contexte, madame la présidente, ma dernière question est la suivante: la Chambre de commerce du Canada a indiqué, aujourd'hui, que ce droit correspondait à une mesure disciplinaire qui ralentirait les investissements. La position qu'elle a adoptée sur la question n'étant pas très claire, ce droit d'accès privé peut-il, à votre avis, ralentir jusqu'à un certain point les investissements au Canada?
M. Graham Cooper: Franchement, non. Il y a peut-être d'autres facteurs, que je ne connais pas, qui l'ont poussée à tirer cette conclusion. Si de grandes entreprises qui cherchent à investir au Canada et qui ont l'intention de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles se rendent compte que leur marge de manoeuvre risque, dans une certaine mesure, d'être réduite, il se peut que cela ait un impact sur leurs investissements. De toute façon, nous ne voulons peut-être que des entreprises de ce genre investissent ici.
M. Dave Collins: Nous avons une société affiliée qui fabrique des chaudières au mazout. Nous en exportons beaucoup aux États-Unis. En tant que nouveau venu sur ce marché, nous bénéficions de toutes les protections qu'offre la loi américaine. Notre production ne cesse de croître. Les gens achètent nos produits. Nous n'avons pas à composer avec les pratiques de prix inférieurs au prix coûtant. Nous trouvons qu'il est avantageux de bénéficier de ces protections, d'avoir les mêmes lois... Appliquons les lois américaines et nous allons prendre de l'expansion. Nous allons investir au Canada. À l'heure actuelle, il est beaucoup plus intéressant, pour une petite entreprise, de lancer un nouveau produit sur le marché américain, non seulement parce que ce marché est plus grand et que les revenus sont plus élevés, mais aussi parce qu'il est plus facile de composer avec le problème que pose la vente à des prix inférieurs au prix coûtant.
• 1605
En tout cas, les compagnies qui s'implantent ici ne manquent
pas. Regardez ce qu'a fait Wal-Mart. Au Canada, c'est le plus fort
qui gagne sur le plan de la concurrence. Si vous êtes une
entreprise américaine, vous pouvez traverser la frontière, acculer
n'importe qui à la faillite en pratiquant une politique de bas
prix, et poursuivre votre chemin.
Donc, c'est plutôt l'inverse qui va se produire. Cette mesure va encourager les investissements à l'échelle nationale. Je sais que, de notre côté, elle va les encourager.
La présidente: Merci beaucoup.
Merci, monsieur McTeague.
[Français]
M. Bergeron, s'il vous plaît.
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Merci, madame la présidente.
Dans un premier temps, j'aimerais remercier les témoins d'abord d'avoir accepté notre invitation et d'être aujourd'hui avec nous pour pouvoir échanger sur cette proposition de réforme de la Loi sur la concurrence.
Je pense qu'il est heureux, en fait, que nous ayons l'occasion de discuter avec vous de cette question-là, d'autant plus que les hausses des prix de l'essence des derniers mois ont jeté un éclairage nouveau, je dirais, pour la population en général sur l'importance d'une loi comme la Loi sur la concurrence, dans un contexte comme celui-là.
J'écoutais les présentations, et je constatais que tant pour la Canadian Independent Petroleum Marketers Association que pour l'Association québécoise des indépendants du pétrole, un des aspects qui pose peut-être problème, quoique, d'une façon générale, vous semblez être d'accord sur la plupart des dispositions du projet de loi C-23, c'est celle qui limite l'accès au tribunal qu'en situation de conditions de commerce normales, et vous souhaiteriez qu'on puisse avoir accès au tribunal en toute circonstance, ce qui pourrait, dans votre cas, priver d'approvisionnement des entreprises pétrolières indépendantes. Jusque-là, ça va.
Mais je pense que vous avez pu constater, à la lumière des questions posées par nos collègues jusqu'à présent, qu'il y a peut-être une préoccupation de la part des parlementaires à l'effet qu'une telle modification du corpus présenté puisse avoir pour effet d'occasionner des abus et, possiblement, des engorgements au niveau de l'accès au Tribunal de la concurrence.
Alors, comment envisagez-vous la possibilité qu'il puisse y avoir abus et, éventuellement, engorgement, si on élargit l'accès au tribunal à toute circonstance qui pourrait avoir pour conséquence de vous priver d'approvisionnement au niveau pétrolier?
M. René Blouin: D'abord, je vous dirai que je ne pense pas qu'on puisse craindre l'engorgement ou l'abus parce que, vous le savez, on ne peut pas se lancer dans ce genre d'initiative par fantaisie, ne serait-ce qu'à cause des coûts que cela implique et des efforts que cela requiert de la part de nos organisations. Nous n'avons pas les moyens de faire ça de façon futile. Donc, il faut que ce soit très sérieux. Il faut que ce soit supporté par les faits et il faut que les preuves soient telles que nous puissions, devant le tribunal, soutenir nos causes. Si l'initiative était prima facie futile, je pense que le tribunal ne l'accueillerait même pas. Mais c'est très important d'avoir ce genre de recours, et je vais demander à M. Crevier de vous expliquer concrètement pourquoi c'est si important.
Dans le passé, au Québec, il y a eu des occasions où on aurait pu se servir d'un outil comme celui-là. Ça n'a pas été possible, et ça a entraîné des situations qui sont inacceptables. Je vais demander à M. Crevier au moins d'évoquer pour vous des situations concrètes qui se sont produites.
M. Pierre Crevier: Ce n'est quand même pas d'hier, mais on se souvient quand même qu'après le premier choc pétrolier, en 1972, à la fin de nos renouvellements de contrats, on a eu, chez nous, trois fournisseurs sur quatre qui n'ont pas renouvelé de contrat en disant qu'ils n'avaient plus de produits disponibles. Pourtant, leur réseau de détail fonctionnait à plein pouvoir à ce moment-là. En fait, on a pu réussir à signer un contrat avec un quatrième, mais deux ou trois mois plus tard, on a été obligés de vendre cette société-là parce qu'on n'avait pas assez d'approvisionnement pour toute notre clientèle.
En 1979, il y a eu un deuxième choc pétrolier et la situation s'est répétée chez un fournisseur national. Il a décidé de se retirer du marché de gros au Québec et du jour au lendemain, il n'a pas renouvelé un seul contrat avec ses clients, qui ont dû se battre pour essayer de trouver des produits à gauche et à droite, à des coûts beaucoup plus élevés que la compétition. Ce sont des choses qui peuvent arriver. Il faut avoir un accès plus rapide et direct au tribunal pour permettre de régler ces situations-là.
M. Stéphane Bergeron: Je pense qu'il y a là, effectivement, matière à réflexion. Les cas que vous évoquez paraissent très éloquents. J'entendais, il y a quelques instants, mon ami M. Penson évoquer des dispositions qui étaient prévues au projet de loi C-472 pour l'imposition de mesures compensatoires dans le cas d'accès frivole ou abusif. Mais pour peut-être vaincre les réticences que pourraient avoir certains collègues, seriez-vous disposé, éventuellement, à ce que puisse être appliquée une telle garantie ou une telle disposition dans le projet de loi C-23, qui viserait, justement, à éviter des mesures frivoles ou abusives.
M. René Blouin: Si nous parlons en tenant compte de l'expérience que nous avons de ces choses-là au Québec—parce qu'il y a maintenant des mécanismes judiciaires que nous utilisons—, il n'est pas possible de poser des gestes frivoles de cette nature-là. Si vous saviez ce que cela implique comme démarche juridique, comme frais juridiques, comme recherche, comme énergie de la part d'une organisation, vous verriez qu'un conseil d'administration sérieux n'accepterait jamais de se lancer dans des causes frivoles parce que, premièrement, il dépenserait de l'énergie et de l'argent tout à fait inutilement et, deuxièmement, parce qu'il perdrait sa cause. Dans des cas comme ceux-là, ce qu'on essaie de bâtir, c'est de la jurisprudence afin d'essayer d'améliorer la situation. Se lancer dans des causes frivoles, ce serait presque suicidaire pour des entreprises comme les nôtres. Donc, non seulement cela ne fait pas partie de nos plans, mais ce serait une entrave à la productivité pour nous, et ce serait un peu stupide.
Alors, je ne vois pas qu'on puisse imaginer, en regardant les choses concrètement, que des dispositions comme celles-là puissent amener de la frivolité au point où les tribunaux seraient engorgés par des causes qui ne tiennent pas debout. Je pense qu'une hypothèse comme celle-là en est une qui ne tient pas debout parce que nous n'avons ni les moyens ni les intentions...
Nos organisations sont des organisations sérieuses. Nous sommes là depuis des décennies, depuis 40 ans dans notre cas. Les entreprises que nous représentons sont des entreprises sérieuses. Au Québec, nous représentons Couche-Tard, nous représentons Sonic, nous représentons Pétroles Crevier Inc., nous représentons Pétro-T. Enfin, j'en oublie. Je ne veux pas en oublier, mais je pourrais vous en nommer toute une série. Donc, nous ne sommes pas une organisation qui représente des entreprises frivoles. Nous n'agissons pas de façon frivole, et je pense qu'entretenir ce genre de perspective, ce n'est pas réaliste et ça ne mène pas loin.
M. Stéphane Bergeron: Vous aurez compris, monsieur Blouin, que je ne faisais pas nécessairement allusion aux entreprises que vous représentez et que votre association représente, mais, évidemment, si tant est qu'une disposition comme celle-là était introduite dans la loi...
M. René Blouin: Les autres entreprises n'auront pas les moyens d'aller là. Une petite entreprise seule n'aura pas les moyens de faire ça.
M. Stéphane Bergeron: Je pense que les arguments sont convaincants. Cela dit, j'aimerais revenir sur les cas qu'évoquait M. Crevier il y a quelques instants. Je sais que cela ne touche pas directement la Loi sur la concurrence, quoiqu'on puisse considérer que de telles situations peuvent avoir des effets déloyaux en termes de concurrence. On a évoqué également le fait qu'une des solutions probables ou possibles aux problèmes qu'on a connus ces derniers mois relativement à la hausse des prix de l'essence serait de scinder les opérations de raffinage et de distribution du pétrole. Est-ce que vous pensez que ce serait quelque chose qui devrait éventuellement être envisagé par les parlementaires?
M. René Blouin: Là, vous évoquez un type de loi qui est assez répandu aux États-Unis, qui s'appelle le divorcement law. Ce type de loi va jusqu'à interdire la présence des multinationales dans le marché de détail. C'est le cas du Connecticut, notamment, qui l'interdit depuis la fin des années 1970. Il y a des lois moins sévères que celles-là, mais de même nature, qui, elles, vont interdire à une multinationale qui a un poste d'essence à un endroit dans une ville d'en avoir un autre à moins de quatre ou cinq milles pour s'assurer qu'il y ait une diversité d'entreprise et de la concurrence.
Évidemment, c'est un type de loi qui est efficace, qui évite que des entreprises intégrées n'utilisent les profits qu'elles font au raffinage et dans le marché du brut pour, pendant un certain temps, annuler les marges de profit au détail, mettre dehors les compagnies qui n'ont pas de raffinerie et ensuite prendre le contrôle du marché, comme cela s'est réalisé en Californie. Et en Californie, aujourd'hui, que se passe-t-il? C'est l'endroit aux États-Unis où les prix sont les plus élevés pour les consommateurs, et le gouvernement californien vient de faire une grande enquête publique, et une de ses grandes conclusions, c'est qu'il faut ramener des indépendants dans le marché pour faire en sorte que la concurrence reprenne, parce que le contrôle est tel, par une poignée de raffineurs, que les prix sont maintenant les plus élevés aux États-Unis.
M. Stéphane Bergeron: Monsieur Blouin, vous avez évoqué tout à l'heure le fait qu'au Québec on fixait un prix plancher. D'autres observateurs ont évoqué la possibilité qu'on fixe éventuellement un prix plafond. Comment réagissez-vous à cette proposition?
M. René Blouin: D'abord, quand le Québec a fait ça, il s'est inspiré d'une vingtaine d'États américains qui ont des lois de cette nature, dont certaines sont plus sévères que celle du Québec.
Prenez la loi du Wisconsin, au sud de l'Ontario. C'est une loi qui interdit de vendre de l'essence en bas du prix à la rampe de chargement de la raffinerie, plus les taxes, plus le transport, plus 9,18 p. 100 de ce total dont je viens de vous parler: le prix à la rampe, plus les taxes, plus le transport. Les coûts d'exploitation du détaillant sont également inclus. Personne ne peut vendre en bas de ce prix.
Au Québec, la loi dit que personne ne peut vendre en bas du coût à la rampe de chargement de la raffinerie, plus les taxes, plus le coût de transport depuis la raffinerie jusqu'au poste d'essence. S'il y a une crise dans une région, c'est là que nous devons nous adresser à la Régie de l'énergie. Si elle estime que la situation est inacceptable et qu'il y a eu une guerre de prix injustifiée de la part des multinationales, elle peut ajouter la valeur des coûts d'exploitation de 3 ¢ qu'elle a fixée pour s'assurer que, dans cette région-là, les indépendants ne soient pas mis hors du marché et que la concurrence continue.
Nous avons eu un cas comme celui-là l'an dernier. Nous sommes allés devant la Régie de l'énergie, et la Régie de l'énergie nous a donné raison. Elle a rendu un jugement qui incluait la valeur des coûts d'exploitation pour une période de trois mois et elle n'a pas retenu les arguments des multinationales qui s'opposaient à notre requête.
[Traduction]
La présidente: Merci.
[Français]
M. Stéphane Bergeron: Et quant à la possibilité d'établir éventuellement un prix plafond?
M. René Blouin: À mon point de vue, le prix plafond existe au Québec. Le prix plafond est prévu dans la loi. Cependant, c'est beaucoup plus difficile d'utiliser ça pour un gouvernement. Quand vous avez une loi comme celles dont je vous ai parlé, c'est-à-dire les lois américaines ou la loi du Québec, vous savez sur quoi vous vous basez pour déterminer le prix. Quand on parle d'un prix plafond, quel prix plafond allez-vous mettre? Est-ce que vous allez accorder une marge pour le détaillant? Quel prix plafond allez-vous fixer? C'est un jugement politique qui est beaucoup plus aléatoire et, à ce moment-là, c'est plus difficile d'application. Quand on a une loi qui interdit les ventes à perte, tous connaissent les règles du jeu à l'avance et savent à quoi ils s'exposent s'ils ne respectent pas la loi.
[Traduction]
La présidente: Merci beaucoup.
Monsieur Lastewka.
M. Walt Lastewka (St. Catherines, Lib.): Merci, madame la présidente.
Je voulais poser une question à l'Alliance canadienne du camionnage. Vous avez dit, si je ne m'abuse, que vous représentiez l'ensemble des associations provinciales de camionnage. Est-ce bien cela?
M. Ron Lennox: C'est exact. Nous représentons sept associations provinciales et régionales de camionnage dans l'Atlantique, au Québec, en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique. Les transporteurs individuels ne font pas directement partie de l'Alliance, mais plutôt d'une des associations provinciales. Nous défendons leurs intérêts à l'échelle nationale.
M. Walt Lastewka: C'est ce que je voulais savoir aux fins du compte rendu.
Vous avez dit que l'accès privé comporte, dans certains cas, des avantages et, dans d'autres, des inconvénients. J'aimerais savoir ce que vous entendez par cela.
M. Ron Lennox: Nous avons examiné ce qui se passait du côté des États-Unis. À notre avis, les choses ne fonctionnent pas comme elles le devraient. Ils ont adopté la règle des triples dommages-intérêts, une règle à laquelle nous ne souscrivons pas.
Si le problème se posait au Canada, en vertu des lois adoptées par le Parlement, le Tribunal de la concurrence recevrait une avalanche de demandes, mais pas pour les bonnes raisons. En matière de litiges, c'est le genre de situation stratégique que nous voulons, bien sûr, éviter.
M. Walt Lastewka: Monsieur Collins, êtes-vous membre de la Chambre de commerce?
M. Dave Collins: Non. Nous faisons partie de la Chambre de commerce de Truro qui, je pense, fait partie de la Chambre de commerce du Canada.
M. Walt Lastewka: Quand la Chambre de commerce de Truro a demandé à connaître votre opinion là-dessus, avez-vous répondu?
M. Dave Collins: Elle ne nous l'a jamais demandé.
M. Walt Lastewka: Et la Chambre de commerce du Canada?
M. Dave Collins: Non plus.
M. Walt Lastewka: Monsieur Blouin, vous avez fourni quelques exemples dans votre déclaration. Pourriez-vous déposer auprès du comité certains des exemples que vous alliez donner en réponse aux questions? J'aimerais en avoir quelques-uns.
[Français]
M. René Blouin: Des exemples de quoi?
[Traduction]
M. Walt Lastewka: J'ai cru comprendre que vous alliez nous fournir des exemples.
M. René Blouin: Nous l'avons fait.
M. Walt Lastewka: Vous l'avez fait.
M. René Blouin: M. Crevier a expliqué qu'il a dû vendre la société en 1972 parce qu'il n'y avait pas assez d'approvisionnement. Il a encore eu des problèmes en 1979.
M. Walt Lastewka: Y a-t-il d'autres exemples?
[Français]
M. René Blouin: D'autres exemples, Pierre?
M. Pierre Crevier: Il y a des exemples qui ne sont pas des exemples de non-renouvellement de contrat, mais plutôt des exemples d'allocation de produit pour certaines périodes, alors que le produit n'était pas accessible à Montréal à cause des froids de l'hiver. Il y a eu des pénuries de produit, et on a dû nous imposer un quota de 80 p. 100, disons. Nous sommes sûrs que durant ces périodes où nous avons été coupés à 80 p. 100, les secteurs du détail des compagnies majeures fonctionnaient encore à plein régime, sans avoir à subir ces coupures de produit.
Durant ces périodes, nous avons dû réduire les inventaires de nos clients. Nous avons été chanceux que ce soit des périodes courtes d'une semaine ou deux dans les deux cas dont on parle. Dans le premier cas, ce fut un problème de froid sur le fleuve Saint-Laurent. Dans le deuxième, ce fut la tempête de verglas de janvier 1997, au Québec. Je ne sais pas si vous le savez, mais en janvier 1997, il y a eu une tempête de verglas et il y a eu un rationnement au niveau de l'approvisionnement. Dans ces deux cas, notre approvisionnement en produit a été réduit, mais nous sommes certains que les multinationales fonctionnaient alors à plein régime dans leurs réseaux de détail d'huile à chauffage et de stations-service.
[Traduction]
M. Walt Lastewka: À votre avis, pourquoi les grandes entreprises sont-elles contre le droit d'accès?
[Français]
M. René Blouin: Nous en avons fait l'expérience au Québec, et il faut toujours que vous ayez cela à l'esprit. Les grandes compagnies pétrolières, surtout depuis quelques années, avec les profits qu'elles font depuis l'augmentation des prix du pétrole, essaient toujours d'étirer au maximum les procédures judiciaires, en espérant que nous allons nous essouffler pendant le trajet, parce que les procédures judiciaires coûtent extrêmement cher. À titre d'exemple, lors de notre première démarche à la Régie de l'énergie, la première audience a représenté, pour notre association, des coûts de 350 000 $. Pourquoi est-ce que cela a coûté aussi cher? Cela a coûté aussi cher parce que les avocats des multinationales se sont relayés, l'un après l'autre, pour faire un peu comme font parfois les parlementaires en fin de session, pour faire une forme de filibuster et s'assurer que les débats soient tellement longs que nous n'ayons pas les moyens de continuer aussi longtemps et que nous devions abandonner en cours de route.
Vous comprendrez que tant qu'elles ont des recours, ça fait leur affaire. Plus elles ont de recours, plus ça fait leur affaire. Et plus elles ont de moyens pour éviter que nous fassions valoir nos droits, plus elles vont les utiliser. Cela fait partie de cette logique, et je ne suis pas étonné qu'elles s'opposent à ce genre de recours. Au fond, qu'ont-elles à craindre?
[Traduction]
M. Walt Lastewka: Est-ce quelqu'un d'autre souhaite ajouter quelque chose?
La présidente: Y a-t-il d'autres commentaires?
M. Dave Collins: Ce qui les inquiètent, c'est qu'elles devront justifier encore davantage leurs actions.
M. Walt Lastewka: Est-ce qu'elles pensent qu'il pourrait y avoir beaucoup d'accusations frivoles?
M. Dave Collins: C'est ce qu'elles aimeraient faire croire au comité.
Le problème, c'est qu'elles vont être obligées de justifier davantage leurs actions.
• 1625
Pierre a parlé des restrictions au niveau de
l'approvisionnement. Celles-ci existent depuis longtemps. En fait,
cette année, Supérieur Propane a imposé plusieurs restrictions au
niveau du ravitaillement en carburant qui pouvait se faire à partir
de la rampe de chargement d'Imperial Oil.
Sans trop entrer dans les détails, Imperial Oil a vendu, il y a déjà un certain temps, la rampe de chargement située à Halifax à Supérieur Propane, à la condition que la compagnie Esso puisse s'y approvisionner et vendre son produit à d'autres clients, dont nous-mêmes. Tout s'est déroulé comme prévu cette année. Nous avons obtenu quelques gros contrats de Supérieur Propane, après quoi, elle a considérablement réduit notre temps de chargement à la rampe, ce qui fait que nous avons eu beaucoup de difficulté à avoir accès aux produits en question parce que nos camions ne pouvaient s'installer sous la rampe de chargement pour le ravitaillement. Nous devons maintenant nous rendre jusqu'à Québec pour nous approvisionner en propane.
Maintenant, est-ce le genre de chose qui attirerait l'attention du commissaire à la concurrence? Non. C'est un petit problème local, et c'est à nous de le régler. Nous aimerions bien bénéficier du droit d'accès privé. Supérieur Propane n'aurait pas agi de la sorte si on avait bénéficié d'un tel droit. Elle aurait agi différemment, et je ne serais pas en train d'en parler aujourd'hui.
M. Walt Lastewka: Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Lastewka.
Monsieur Strahl.
M. Chuck Strahl (Fraser Valley, PC/RD): Merci. Je trouve la discussion fort intéressante. Elle est différente de celle à laquelle on a eu droit l'autre jour.
Monsieur Collins, on vous a dit, essentiellement, que vous aviez besoin de preuves incontestables, entre autres, pour obtenir une réponse du Tribunal.
M. Dan McTeague: Du Bureau.
M. Chuck Strahl: D'accord, du Bureau.
Avez-vous obtenu une réponse écrite à la demande que vous avez présentée, quand elle a été rejetée?
M. Dave Collins: Oui. Après la rencontre, j'ai reçu une lettre plutôt sèche dans laquelle on m'avisait que le dossier ne serait pas examiné.
M. Chuck Strahl: On ne vous a pas donné de raisons?
M. Dave Collins: Non.
M. Chuck Strahl: Je pense connaître la réponse, mais peut-être que... L'ancien commissaire a laissé entendre qu'il était en faveur du droit d'accès privé, sauf qu'il fallait, à tout le moins, envisager d'autres solutions de rechange, comme, par exemple, exiger qu'une réponse écrite, avec motifs à l'appui, soit fournie à l'intérieur d'un certain délai. Est-ce que cela répondrait à vos inquiétudes? S'agit-il d'un pas dans la bonne direction, ou est-ce une autre façon de dire qu'on ne veut vraiment pas s'occuper de ce dossier?
M. Dave Collins: Je penche plutôt pour la deuxième hypothèse. Le problème, c'est qu'il y a quelqu'un qui contrôle actuellement l'accès au système juridique. Pour ce qui est de la Loi sur la concurrence, il existe un tribunal compétent, et c'est le Tribunal de la concurrence. Vous avez un contrôleur qui décide s'il va ou non examiner le dossier. Sauf que cela ne règle pas votre problème, puisqu'il va inventer une raison pour se désengager de l'affaire.
M. Chuck Strahl: Je comprends, mais c'est ce que fait un procureur de la Couronne dans le système juridique. Vous soumettez des preuves, vous portez une accusation contre quelqu'un, ils examinent les preuves fournies et vous disent qu'elles ne sont pas assez solides, et voici pourquoi. Il se peut qu'ils ne vous fournissent aucune explication, sauf qu'il arrive parfois que les demandes soient vexatoires ou frivoles.
Donc, si le commissaire, le contrôleur, fournissait une réponse écrite, avec motifs à l'appui, est-ce que cela permettrait, dans une certaine mesure, de régler le problème? Au lieu d'avoir une simple lettre type, vous auriez droit, du moins non pas à une décision, mais à une explication bien détaillée?
M. Dave Collins: Oui.
Je pense qu'ils confondent affaires criminelles et affaires civiles. La procédure dans le cas d'une affaire criminelle est assez claire; c'est le procureur qui s'en occupe. Mais il est question ici de la Loi sur la concurrence et d'affaires civiles qui opposent des entreprises. Je ne vois pas pourquoi nous avons ce bureaucrate qui dit oui, l'affaire est intéressante, non, elle ne l'est pas...
Nous ne voulons pas qu'ils renoncent à leur rôle pour ce qui est des affaires criminelles. Mais les droits d'accès privé dont il est question aujourd'hui dans le projet de loi C-23 relèvent tout simplement du droit civil. Je ne comprends pas pourquoi le comité veut empêcher deux entreprises de porter leur cause devant un tribunal qui s'occupe des affaires civiles.
M. Chuck Strahl: Je ne crois pas que ce soit l'objectif du comité. Peut-être qu'une permission...
M. Dave Collins: Oui. Ou pourquoi vous ne nous donnez pas la permission de le faire.
M. Chuck Strahl: On a parlé de l'efficacité de la loi du Québec, qui permet de livrer bataille aux raffineries de pétrole. On a dit que cette loi était très efficace. Elle s'applique de façon précise à l'industrie du pétrole, comme vous l'avez déjà mentionné. Elle aborde la question des prix, des taxes, des coûts de distribution, ainsi de suite.
Est-ce qu'il faudrait demander à tous les gouvernements provinciaux d'adopter une loi similaire? Est-ce que cette façon de procéder serait plus efficace? Plus raisonnable? Peut-être moins coûteuse?
On dit qu'il en coûte 1 million de dollars ou plus pour passer par la commission. Serait-il préférable d'avoir à cet égard des lois provinciales?
[Français]
M. René Blouin: Écoutez, nous ne sommes pas des constitutionnalistes; nous sommes ici pour défendre nos entreprises. Quand est venu le temps d'obtenir des dispositions législatives qui touchaient très spécifiquement les pouvoirs du Québec, nous sommes allés à Québec. Maintenant, puisqu'on discute de ces questions ici, j'imagine que ce sont des questions de compétence fédérale. Laissons aux constitutionnalistes le soin de déterminer quelle juridiction doit s'appliquer dans ce cas-là. Si ça doit être la juridiction fédérale, eh bien, je pense qu'elle doit s'appliquer.
N'oubliez pas une chose: la loi qui a été adoptée au Québec et celles qui ont été adoptées dans beaucoup d'États américains concernent les prix de vente et les coûts d'acquisition; on voulait s'assurer qu'il n'y ait pas de concurrence déloyale. Cependant, nous parlons aujourd'hui de l'approvisionnement, ce qui est différent.
Pourquoi, dans le secteur pétrolier, y a-t-il davantage d'intervention des États, aux États-Unis, que dans d'autres secteurs de l'économie, où on assiste davantage à une déréglementation? C'est simplement parce qu'il s'agit du seul secteur de l'économie où les mêmes entreprises vont chercher la matière première dans le sous-sol et la transforment au raffinage. Ce sont les fabricants qui, du moins au Québec, contrôlent 95 p. 100 du marché de gros et 80 p. 100 du marché de détail. Vous n'avez pas ça dans les autres industries.
À titre d'exemple, les quincailleries n'ont pas de mines de fer et ne fabriquent pas leurs têtes de marteau. Ce sont des distributeurs détaillants, comme nos membres. Nous, nous faisons face à ceux qui nous approvisionnent en même temps. C'est pour ça qu'il faut avoir un minimum de garantie, à la fois quant aux prix de vente, pour qu'il n'y ait pas d'interfinancement entre l'amont et l'aval, et sur le plan de l'approvisionnement, pour qu'elles ne nous ferment pas le robinet, ce qui mènerait nos entreprises à la faillite.
[Traduction]
M. Dave Collins: Bon nombre de nos membres sont présents dans d'autres provinces. Nous ne voulons pas être obligés d'avoir à composer avec une loi provinciale dans une province, et avec une autre loi provinciale dans une autre province, si la question—et on parle ici de la Loi sur la concurrence—relève logiquement de la compétence fédérale et intéresse diverses industries. On ne veut pas quelque chose qui soit unique à chaque province.
Quand on commence à voir surgir des lois qui sont propres à chaque province, c'est qu'il y a une crise au niveau de la concurrence dans cette province. Le fait que le Québec, Terre-Neuve ou l'Île-du-Prince-Édouard aient adopté des lois montre, de façon très claire, que la Loi sur la concurrence comporte de graves lacunes, que les provinces utilisent le pouvoir que leur confère la Constitution pour maintenir et encourager la concurrence dans leurs marchés.
La présidente: Je tiens à préciser que la Cour suprême a statué que la Loi sur la concurrence découle du pouvoir en matière de commerce, et qu'elle relève donc de la compétence fédérale. Voilà pourquoi nous sommes en train d'en discuter ici, aujourd'hui.
M. Chuck Strahl: Je ne conteste pas du tout ce fait.
La présidente: D'accord.
M. Chuck Strahl: Je me posais tout simplement des questions au sujet de l'efficacité de...
La présidente: Avant d'aller plus loin, je veux savoir si MM. Lennox ou Cooper veulent ajouter quelque chose. Non?
C'est votre dernière question, monsieur Strahl.
M. Chuck Strahl: D'accord. Merci.
Ma dernière question porte sur la loi elle-même.
Est-ce que tout le monde est satisfait des dispositions que contient la loi pour ce qui est de la confidentialité des renseignements qui sont transmis au Bureau de la concurrence ou au Tribunal? Êtes-vous convaincu que ces renseignements ne seront pas utilisés contre vous, si vous êtes partie à un litige?
M. Dave Collins: Oui.
M. Graham Cooper: Je pense qu'elles sont satisfaisantes.
[Français]
La présidente: Monsieur Blouin?
M. René Blouin: Il n'y a pas de problème.
[Traduction]
M. Chuck Strahl: Merci.
La présidente: Merci beaucoup.
Monsieur McTeague, aviez-vous une autre question?
M. Dan McTeague: Oui, madame la présidente. Elle sera très brève puisqu'elle recoupe celle de M. Lastewka.
Monsieur Cooper, monsieur Lennox, monsieur Blouin et monsieur Crevier, est-ce que vous faites partie d'une chambre de commerce? Y a-t-il des membres au sein de votre association qui font partie d'une chambre de commerce?
M. Graham Cooper: En ce qui nous concerne, monsieur McTeague, notre association ne fait partie d'aucune chambre de commerce. Il est possible que certains de nos membres en fassent partie, puisque nous en comptons, comme je l'ai déjà indiqué, 4 000 au sein de l'association.
M. Dan McTeague: D'accord.
[Français]
Monsieur Blouin.
M. René Blouin: Je vous dirai que la plupart de nos membres sont membres de leur chambre de commerce locale et que les chambres de commerce locales défendent généralement les petites et moyennes entreprises. Nous ne sommes pas membres de la Chambre de commerce du Québec ni de celle du Canada parce que ce sont des organisations qui défendent d'abord et avant tout les grandes entreprises. Ça se comprend. Ce sont les membres qui leur fournissent le plus d'argent et qui sont les plus influents, et cela transparaît dans toutes leurs prises de position.
Au Québec, nous sommes régulièrement et fermement défendus par les chambres de commerce locales, toujours en opposition avec les grandes chambres de commerce qui, elles, adoptent systématiquement la position des grandes pétrolières.
M. Dan McTeague: Peut-on dire que la position prise hier par la Chambre de commerce du Canada et ses autres commentaires ne reflètent pas les inquiétudes de vos membres ou leur position sur l'accès privé?
M. René Blouin: C'est évident. Ça fait des années et des années que nous nous battons pour que les lois nous permettent de faire valoir nos droits. Chaque fois qu'il y en a une qui apparaît dans le paysage, nous l'appuyons. Nous tentons parfois même de la susciter. C'est évident que nos membres sont parfaitement d'accord sur ce type de loi.
[Traduction]
M. Dan McTeague: Enfin, je voudrais vous poser une question que vous allez entendre à maintes et maintes reprises, compte tenu du fait que représentez les petites et moyennes entreprises: est-il vrai que le droit d'accès privé, tel qu'il est défini dans le projet de loi C-472, constituera pour vous tous un fardeau financier extraordinaire et lourd, un fardeau qui vous empêchera même de l'exercer? S'agit-il là d'une hypothèse valable aux yeux de ceux qui ont évoqué cet argument et qui vont certainement se présenter devant le comité pour, encore une fois, semble-t-il, parler en votre nom?
M. Dave Collins: L'entreprise qui lutte pour sa survie va consacrer la plupart des ressources qui lui restent à cette lutte. Les petits entrepreneurs ont, pour la plupart, beaucoup de passion et de dynamisme. Ils vont certainement utiliser tous les moyens à leur disposition. S'ils manquent d'argent, ils ne seront pas les seuls à se retrouver dans cette situation; beaucoup d'autres se trouveront aux prises avec ce problème. Ils vont se regrouper. Nous l'avons constaté à maintes et maintes reprises. Prenons, par exemple, les associations professionnelles. Pourquoi se regroupent-elles? Pour réduire leurs coûts. La même chose va se passer du côté du Tribunal de la concurrence.
[Français]
M. René Blouin: Monsieur McTeague, notre association fait affaire directement avec des petites entreprises. Les petites entreprises ne fonctionnent pas comme les grandes entreprises. On fait affaire directement avec les dirigeants. Quand les dirigeants sentent qu'ils ont intérêt à porter l'affaire devant les tribunaux, mais ne sont pas capables de le faire eux-mêmes, ils demandent systématiquement à leur association de le faire pour eux. Ils veulent rassembler leur énergie et leur argent pour pouvoir soumettre ces questions aux tribunaux. C'est ce que nous faisons.
La question financière doit toujours être prise en considération. Cela évite la frivolité. Nous sommes capables de nous organiser pour utiliser les moyens juridiques qui sont à notre disposition lorsque les situations sont sérieuses.
[Traduction]
M. Dan McTeague: Merci.
La présidente: Monsieur Cooper.
M. Graham Cooper: Je voudrais tout simplement ajouter un commentaire, les autres intervenants ayant déjà soulevé des points intéressants. Le facteur temps et argent est manifestement important. Si une crise du genre de celle qu'a mentionnée M. Collins devait éclater, les entreprises vont indubitablement mettre leurs ressources en commun. Cela dit, si nous partons du principe qu'il n'y aura pas des centaines d'entreprises et d'organismes qui vont inonder le Tribunal de requêtes, alors l'existence même de ce droit d'accès privé constitue, en soi, un facteur important. En tant que représentants de petites entreprises, nous sommes en faveur de ce droit.
La présidente: Merci.
Monsieur Rajotte.
M. James Rajotte (Edmonton-Sud-Ouest, Alliance canadienne): Merci, madame la présidente.
Je vais essayer d'être bref, étant donné qu'on a déjà répondu à la plupart de mes préoccupations et questions.
Il y a un commentaire en particulier qui m'a frappé—et je ne sais plus quel témoin en a parlé. Le commissaire de la concurrence aurait déclaré, quand il a été saisi d'une requête il y a plusieurs années de cela, qu'il n'avait ni le temps ni les moyens d'examiner les cas de ce genre. Est-ce que le Tribunal de la concurrence craint de se retrouver avec un arriéré qu'il n'aura ni le temps ni les moyens d'éliminer?
Évidemment, il faut être en mesure de rejeter les requêtes frivoles, sauf qu'il y aura beaucoup de cas authentiques qui vont être soumis au Tribunal. Est-ce une question qui préoccupe vos associations?
[Français]
M. René Blouin: Je dirai que les tribunaux existent pour que les gens puissent s'en servir. À partir du moment où les causes sont sérieuses, le devoir du tribunal est de les entendre. Si le Tribunal de la concurrence a besoin d'un peu plus de moyens, il va s'en donner pour répondre aux exigences de la loi.
D'autre part, je vous dirai qu'il ne faut pas s'imaginer que le tribunal va être inondé de requêtes de cette nature. Les requêtes sérieuses de cette nature ne seront pas nécessairement légion, et ce sera au tribunal de décider si elles sont frivoles ou pas.
[Traduction]
M. Bob MacMinn: Nous réglerons ce problème quand il se posera. Nous croyons comprendre que neuf affaires ont été jugées depuis la création du Tribunal, ce qui veut dire que les ressources sont peut-être sous-utilisées.
La présidente: Monsieur Lennox ou monsieur Cooper?
M. Graham Cooper: Nous ne sommes pas des experts en la matière. Si le commissaire lui-même pense que le droit d'accès privé peut être la solution au problème, et comme il est beaucoup mieux placé que moi pour en parler, il faudrait peut-être l'écouter.
M. James Rajotte: Un autre point a été soulevé hier, comme par ironie du sort, par une association qui représente essentiellement de grandes entreprises. Elle a laissé entendre que le droit d'accès privé peut, en fait, favoriser les grandes entreprises parce qu'elles peuvent s'en servir pour essayer d'éliminer la concurrence.
Vous avez dit, monsieur Blouin, que les entreprises se servent du processus juridique pour supprimer la concurrence. Vous avez parlé d'un procès qui a coûté 350 000 $. Or, c'est un argument qu'utilise également l'autre partie, et je veux tout simplement vous donner l'occasion d'y répondre. Est-ce que les grandes entreprises vont utiliser le droit d'accès privé pour supprimer les concurrents plus petits?
[Français]
M. René Blouin: Non, ce que vous dites n'est pas possible. Le projet de loi actuel simplifie la procédure. Il ne sera plus nécessaire d'aller devant le Bureau de la concurrence et ensuite devant le Tribunal de la concurrence. Il y a une étape qui saute. Dans les cas sérieux, qui ne sont pas frivoles, cela représentera pour nous une étape de moins, une étape très coûteuse. Quand on va devant le Bureau de la concurrence, il faut faire appel à des avocats et préparer les dossiers, et c'est une étape additionnelle. Donc, ce que le projet de loi propose, à mon sens, c'est d'alléger la procédure, de la rendre plus simple et moins coûteuse.
[Traduction]
M. James Rajotte: Elle sera moins coûteuse qu'à l'heure actuelle?
[Français]
M. René Blouin: Oui.
[Traduction]
M. James Rajotte: J'ai terminé. Merci.
La présidente: Merci, monsieur Rajotte.
Je tiens à remercier les témoins d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd'hui. Si vous avez eu de la difficulté à entrer dans l'immeuble, nous nous en excusons, mais nous allons devoir endurer cette situation pendant un certain temps.
Nous espérons avoir l'occasion de vous rencontrer à nouveau. Si vous avez d'autres commentaires à faire sur le projet de loi C-23, n'hésitez pas à les transmettre au comité, par l'entremise du greffier.
Nous allons vous permettre de quitter la salle. Nous allons poursuivre nos travaux, puisque nous avons d'autres questions à régler.
[La séance se poursuit à huis clos]