JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de la justice et des droits de la personne
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 30 mai 2002
¿ | 0935 |
M. Bob Mills (député de Red Deer, Alliance canadienne) |
¿ | 0940 |
¿ | 0945 |
¿ | 0950 |
¿ | 0955 |
Le président |
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne) |
M. Bob Mills |
M. Chuck Cadman |
M. Bob Mills |
À | 1000 |
M. Chuck Cadman |
M. Bob Mills |
M. Chuck Cadman |
M. Bob Mills |
M. Chuck Cadman |
Le président |
M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ) |
À | 1005 |
Le président |
M. Bob Mills |
À | 1010 |
Le président |
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.) |
M. Bob Mills |
M. John McKay |
M. Bob Mills |
M. John McKay |
M. Bob Mills |
M. John McKay |
M. Bob Mills |
M. John McKay |
M. Bob Mills |
M. John McKay |
M. Bob Mills |
M. John McKay |
À | 1015 |
M. Bob Mills |
M. John McKay |
À | 1020 |
M. Bob Mills |
À | 1025 |
Le président |
M. Sorenson |
M. Robert Lanctôt |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
À | 1030 |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.) |
M. Bob Mills |
À | 1035 |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
À | 1040 |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
M. Bob Mills |
Le président |
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.) |
M. Bob Mills |
À | 1045 |
Le président |
M. Chuck Cadman |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Bob Mills |
À | 1050 |
Le président |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Chuck Cadman |
Le président |
M. Bob Mills |
Le président |
M. John McKay |
M. Bob Mills |
M. John McKay |
M. Bob Mills |
À | 1055 |
M. John McKay |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC) |
M. Bob Mills |
M. Peter MacKay |
M. Bob Mills |
M. Peter MacKay |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
Le président |
M. Peter MacKay |
Le président |
M. Peter MacKay |
Le président |
Le commissaire adjoint William Lenton (Services fédéraux, Gendarmerie royale du Canada) |
Á | 1110 |
Á | 1115 |
Le président |
Á | 1120 |
Á | 1125 |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
Comm. adj. William Lenton |
Á | 1130 |
M. Kevin Sorenson |
Comm. adj. William Lenton |
M. Kevin Sorenson |
Á | 1135 |
Comm. adj. William Lenton |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
Á | 1140 |
Comm. adj. William Lenton |
M. Robert Lanctôt |
Comm. adj. William Lenton |
Á | 1145 |
M. Robert Lanctôt |
Comm. adj. William Lenton |
M. Robert Lanctôt |
Le président |
Comm. adj. William Lenton |
Le président |
M. Peter MacKay |
Comm. adj. William Lenton |
Á | 1150 |
M. Peter MacKay |
Comm. adj. William Lenton |
Le président |
M. Paul Harold Macklin |
Á | 1155 |
M. Gil Yaron |
M. Paul Harold Macklin |
M. Gil Yaron |
M. Paul Harold Macklin |
M. Gil Yaron |
 | 1200 |
M. Paul Harold Macklin |
M. Gil Yaron |
M. Paul Harold Macklin |
Le président |
M. Paul Harold Macklin |
M. Gil Yaron |
Le président |
M. Chuck Cadman |
Comm. adj. William Lenton |
 | 1205 |
Le président |
M. John Maloney |
M. Gil Yaron |
M. John Maloney |
M. Gil Yaron |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
 | 1210 |
M. Gil Yaron |
Le président |
M. Peter MacKay |
Comm. adj. William Lenton |
 | 1215 |
M. Peter MacKay |
Le président |
Comm. adj. William Lenton |
Le président |
M. Gil Yaron |
Le président |
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.) |
 | 1220 |
Comm. adj. William Lenton |
M. Derek Lee |
Comm. adj. William Lenton |
M. Derek Lee |
Le président |
Comm. adj. William Lenton |
 | 1225 |
Le président |
M. Chuck Cadman |
M. Gil Yaron |
M. Chuck Cadman |
M. Gil Yaron |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
M. Gil Yaron |
M. Robert Lanctôt |
M. Gil Yaron |
M. Robert Lanctôt |
 | 1230 |
M. Gil Yaron |
M. Robert Lanctôt |
M. Gil Yaron |
Le président |
M. Peter MacKay |
Comm. adj. William Lenton |
 | 1235 |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la justice et des droits de la personne |
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 30 mai 2002
[Enregistrement électronique]
¿ (0935)
[Traduction]
Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Je déclare ouverte la 94e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Aujourd'hui, nous examinons le projet de loi C-400, Loi modifiant la Loi sur le divorce (restriction des droits d'accès des délinquants sexuels).
Le projet de loi C-400 est un projet de loi d'initiative parlementaire qui a été présenté par M. Mills, député de Red Deer. Comme le veut notre coutume lorsqu'il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire, le premier témoin est le parrain du projet de loi.
Monsieur Mills, soyez le bienvenu à notre comité. Vous avez la parole.
M. Bob Mills (député de Red Deer, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président. C'est un privilège pour moi d'être ici et je suis heureux que le Comité de la justice ait bien voulu se pencher sur mon projet de loi.
J'aimerais d'abord vous présenter rapidement l'historique de cette mesure législative et le travail que j'ai fait depuis que la Chambre a décidé à l'unanimité, après une heure de débat, de renvoyer ce projet de loi au comité.
J'aimerais d'abord vous expliquer ce qui m'a motivé à déposer ce projet de loi. Tout tourne autour de deux petites filles, de cinq et six ans, qui ont été forcées par les tribunaux à aller dans une prison, à subir ce traumatisme de voir un homme qu'elles n'avaient pas vu depuis qu'elles avaient moins de deux ans. Après avoir lu sur leurs visages ce qu'elles ont ressenti, je me suis dit qu'aucun autre enfant canadien ne devrait subir une telle épreuve.
Bien sûr, ce n'est pas le début de l'histoire. Vous connaissez probablement M. Schneeberger et ce qu'il a fait pour se soustraire à la justice pendant cinq ans. Il a violé sa fille de 13 ans pendant une période de deux ans jusqu'à ce que sa femme découvre ce qu'il avait fait. Il a été reconnu coupable d'avoir drogué non seulement sa propre fille mais aussi une de ses patientes. Il purge pour cela une peine d'emprisonnement de six ans.
Pendant cette période, je crois pouvoir dire qu'il a harcelé la mère de ses enfants et s'est servi de ses enfants comme de pions. Après vérification, j'ai constaté que ce cas n'était pas unique.
Ce qui me motive m'apparaît donc évident. J'estime que la Loi sur le divorce est lacunaire, parce qu'un juge a estimé que cette loi n'était pas suffisamment claire pour lui permettre de refuser le droit de visite dans cette situation, même si cela pouvait être préjudiciable psychologiquement pour les enfants.
Les enfants n'ont été que des pions, comme c'est souvent le cas lors d'un divorce. La mère des enfants a témoigné contre son ex-mari en cour et il s'est servi des enfants pour se venger d'elle. Je ne crois pas qu'il souhaite véritablement voir ses enfants; il se sert d'eux, tout simplement.
Le statu quo juridique n'est pas la solution. M. Schneeberger a obtenu une ordonnance judiciaire et, même si leur mère avait la garde des enfants, ceux-ci ont été forcés de rendre visite à leur père le dernier dimanche de chaque mois et de lui téléphoner tous les lundis soir. Après ces appels, les fillettes ne cessaient de pleurer et ne parvenaient pas à dormir. Elles sont devenues des victimes psychologiques de cette situation. Elles sont suivies par un psychologue. N'oublions pas qu'il s'agit de petits enfants.
M. Schneeberger n'a pas réclamé de nouvelles visites de ses filles, mais qui sait quand il décidera de le faire.
La mère des enfants pouvait se conformer à l'ordonnance judiciaire, refuser de le faire et payer une amende ou interjeter appel, ce qu'elle a fait à un tribunal de Red Deer. Ce tribunal a déclaré ne pouvoir trancher, que l'appel devait être entendu en Saskatchewan, comme la décision de première instance. Cette mère célibataire a un emploi, elle tente de se débrouiller, mais il lui est impossible d'aller en Saskatchewan pour toute cette procédure d'appel. Voilà où elle en est actuellement.
En ce qui a trait au processus législatif comme tel, vous savez que la Chambre a été saisie du projet de loi le 7 mai et qu'elle a alors accepté, à l'unanimité, de renvoyer le projet de loi au comité. Depuis, j'ai eu de longs entretiens avec des représentants du ministère de la Justice qui m'ont fait quelques suggestions. On m'a notamment proposé d'étendre l'application de cette disposition législative aux meurtriers. Pourtant, des constitutionnalistes et d'autres conseillers juridiques—j'entrerai dans les détails dans un moment—m'ont recommandé au contraire de ne pas élargir la portée du projet de loi. De plus, le ministère de la Justice semble croire qu'il faut donner des directives aux juges quant à la définition de l'intérêt supérieur de l'enfant. Pour ma part, je ne tiens pas à tout prix à ce libellé-ci. Si le comité de la justice peut améliorer la formulation de ces dispositions, je n'y vois aucune objection.
¿ (0940)
J'ai consulté des attachés de recherche de la Bibliothèque du Parlement, un avocat et des conseillers juridiques dont je vous communiquerai les observations dans un moment. Ils appuient tous le projet de loi et estiment qu'il faut corriger cette lacune. J'ai un document à ce sujet.
J'ai aussi parlé à deux avocats du Sénat représentant chaque parti pour savoir ce qu'ils pensaient du projet de loi. Ils m'ont indiqué que cette mesure législative jouirait certainement de l'appui sans réserve du Sénat. Bien sûr, ils ne m'ont donné aucune garantie, mais ils ont été très encourageants.
Des députés de tous les partis sont venus me voir, m'ont envoyé des courriels; je me suis entretenu avec eux ainsi qu'avec les leaders à la Chambre et, encore une fois, tout le monde m'a donné son accord de principe au projet de loi et m'a dit qu'il fallait faire quelque chose.
J'ai parlé à des avocats, dont quatre professeurs de différentes régions du pays spécialisés en droit constitutionnel, et j'ai reçu des avis juridiques dont je vous reparlerai dans un moment. Je me suis entretenu avec des Canadiens. J'ai participé à plus de 40 tribunes téléphoniques et personne ne m'y a appelé pour me dire que j'avais tort de vouloir corriger cette lacune de la loi.
C'est une question qui va bien au-delà de l'idéologie politique. J'aimerais bien que le ministère de la Justice renvoie tout simplement ce projet de loi à la Chambre pour obtenir son accord unanime et lui donner force de loi. Le dossier serait alors clos. C'est ce que j'espère. Que l'on modifie le libellé du projet de loi s'il le faut, mais qu'on ne permette pas que d'autres fillettes ou garçons connaissent une telle épreuve.
Plusieurs points de nature juridique ont été soulevés lors des différentes discussions que j'ai eues. On s'est d'abord demandé si cette mesure législative ne pourrait pas être contestée aux termes de la Charte. En réponse à cette question, je dirai que bien des Canadiens estiment que c'est le Parlement, et non pas les tribunaux, qui doit légiférer et que cette opinion résume bien les observations qu'on m'a faites.
On a aussi souligné que c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit primer. J'ai lu la Constitution. Je ne suis pas avocat, mais à l'article premier, on dit bien que «la Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.»
Bien des avocats se sont attardés sur cet article et ont affirmé que, en l'occurrence, on pourrait démontrer qu'il est justifié de priver un parent pédophile du droit de voir ses enfants. Il ne s'agit pas ici de simples détenus, mais bien de pédophiles, de pédophiles qui ont été reconnus coupables et qui ne devraient pas avoir le droit d'obliger leurs enfants à leur rendre visite si le parent gardien n'y consent pas. Si le parent gardien juge que ces visites sont bonnes pour les enfants, c'est autre chose et mon projet de loi ne s'applique pas à ce genre de situation.
Par conséquent, pour ce qui est d'une éventuelle contestation aux termes de la Constitution, on m'a laissé entendre que mon projet de loi serait jugé constitutionnel. La majorité des juristes m'ont dit qu'il était peu probable qu'un parent condamné pour pédophilie puisse contester cette mesure législative et que si l'un d'entre eux parvenait à le faire, la Charte nous protégerait.
Je tente de m'exprimer en langage simple et clair, et non pas en jargon juridique que j'ai du mal à comprendre, je le reconnais. Les juristes estiment qu'empêcher les pédophiles d'avoir accès à leurs enfants serait justifié dans de telles conditions, puisqu'il s'agit de violation de ces enfants.
Si le projet de loi est contesté aux termes de la Charte, il devra être jugé constitutionnel en fonction du critère de l'arrêt Oaks. J'ai appris autre chose sur la loi, à savoir ce qu'est le critère de l'arrêt Oaks. Les juristes que j'ai consultés sont d'avis que la mesure législative est conforme au critère de l'arrêt Oaks et que si la Cour suprême devait se pencher sur sa constitutionnalité, ils trancheraient favorablement.
¿ (0945)
J'ai des remarques détaillées de certains avocats. Je ne les ai pas incluses dans la documentation. J'avais l'intention de lire une page à ce sujet et si quelqu'un souhaite que je le fasse, je le ferai.
Un autre juriste, le professeur de droit Nicholas Bala de l'Université Queen's, s'est dit disposé à venir témoigner devant votre comité. Il a étudié le projet de loi de façon approfondie. Selon lui, il faut s'assurer que l'intérêt supérieur de l'enfant prime. Il a aussi suggéré que l'on impose au détenu le fardeau de prouver que les visites sont dans l'intérêt de l'enfant. Cela devrait empêcher la plupart des contestations, sinon toutes. Autrement dit, si un homme reconnu coupable de pédophilie devait prouver à un juge qu'il est dans l'intérêt de ses enfants de lui rendre visite, il ne serait pratiquement plus possible de contester le projet de loi. Personne d'autre n'a fait cette suggestion et peut-être la jugerez-vous intéressante.
La plupart ont convenu qu'il était préférable de modifier la Loi sur le divorce et non pas le Code criminel. Selon eux, c'est la Loi sur le divorce qu'il faut modifier.
J'insiste aussi sur le fait qu'il s'agit simplement d'une modification, et non pas d'une nouvelle loi. Étant donné tous les détails que cela implique, c'est important.
Certains croient qu'on devrait envisager de refuser l'accès des pédophiles à leurs enfants, qu'ils soient ou non en prison. Ce projet de loi ne s'applique qu'aux cas de détenus, mais un juriste est d'avis qu'il pourrait aussi s'appliquer, implicitement, une fois que les pédophiles ont recouvré la liberté. Cela a peut-être des répercussions sur les relations fédérales-provinciales, je l'ignore, et ce n'est qu'une suggestion.
Il y a peut-être des détails de l'affaire Schneeberger-Dillman qui vous intéresseraient. En 2001, M. Schneeberger a demandé sa libération conditionnelle. On la lui a refusée. On lui a répondu qu'il ne pourrait obtenir une nouvelle audience qu'en 2003. Toutefois, cette semaine, il a demandé une nouvelle audition de libération conditionnelle qu'on lui a accordée parce qu'il aurait trouvé Dieu; cette audience se tiendra en juillet. Des personnes, à Saskatoon, ont pu convaincre...les autorités de lui accorder cette audience.
Cela m'inquiète, évidemment. N'oublions pas que cet homme s'était inséré du sang dans le bras pour contourner les tests d'ADN de la GRC; il est très manipulateur. Je crains pour Lisa Dillman. Je m'inquiète de ce qu'il arrivera à ces deux filles lorsque cet homme sera mis en liberté. Il a proféré des menaces, il a utilisé tous les moyens juridiques à sa disposition pour harceler cette mère célibataire. Cela m'inquiète beaucoup. Voilà pourquoi j'ai retenu cette suggestion selon laquelle l'accès des pédophiles à leurs enfants devrait aussi être restreint après leur sortie de prison. Peut-être ne voudrons-nous pas en traiter, mais je le mentionne néanmoins.
La plupart s'entendent pour dire que l'on ne devrait pas élargir la portée du projet de loi en y incluant d'autres crimes. Plutôt, on préconise d'en limiter la portée aux seules personnes reconnues coupables de pédophilie et aux cas ne mettant en cause que des enfants. Certains préconisent donc de resserrer le libellé pour qu'il soit plus restrictif, contrairement à ce qu'ont fait valoir les représentants du ministère de la Justice.
C'est le doyen de la Faculté de droit de l'Université de Windsor, M. Elman, qui a été le plus éloquent à ce sujet. Il l'a dit clairement dans son résumé. Le professeur Elman estime que la loi devrait avoir un objectif mieux ciblé et s'appliquer directement aux prédateurs sexuels s'attaquant aux enfants. Il a ensuite étoffé cette idée en se fondant sur l'affaire Dillman.
J'ai inclus aussi un résumé de l'avis juridique que j'ai obtenu. J'attire votre attention sur les remarques du professeur Gerald Gall, de la Faculté de droit de l'Université de l'Alberta qui vient d'être fait officier de l'Ordre du Canada.
J'ai aussi des avis juridiques du professeur Bruce Elman de l'Université de Windsor, du professeur Nicholas Bala, de la Faculté de droit de l'Université Queen's, que j'ai déjà mentionné, ainsi que du professeur Eugene Dais de la Faculté de droit de l'Université de Calgary et de maître Alison Dewer qui pratique le droit de la famille à Ottawa et qui m'a beaucoup aidé dans la rédaction de ce projet de loi.
Je vous renvoie aussi à la fin du résumé et aux observations des attachés de recherche de la Bibliothèque du Parlement.
¿ (0950)
J'ai parlé à plus de 30 avocats du pays pour obtenir leur avis. J'en conclus que nous devrions nous inquiéter moins des éventuelles contestations aux termes de la charte et davantage de la protection des droits des enfants. Cela, et non pas la possibilité que l'on conteste la constitutionnalité du projet de loi, devrait être notre priorité. Cette formulation n'est pas gravée dans le marbre; moi, ce qui m'intéresse, c'est le résultat. Quel que soit le libellé que vous adoptez, je ne m'y opposerais pas, à condition qu'il donne les résultats que j'escompte.
J'espère que le comité de la justice et le ministre—je me suis entretenu avec le ministre et son secrétaire parlementaire—adhéreront à cette modification à la Loi sur le divorce et agiront rapidement. Il n'y aurait rien de pire pour moi que de voir ce projet de loi mourir au Feuilleton s'il y avait prorogation.
Ce projet de loi serait bon pour le Parlement, bon pour les parlementaires; il montrerait que nous sommes capables d'agir rapidement et effacement pour corriger les lacunes de la loi et faire en sorte que ce genre de situation ne se reproduise pas au Canada, que personne d'autre ne verra, dans les yeux de ces deux fillettes, ce que j'ai vu le 27 mai de l'année dernière, lorsqu'on les a forcées à aller dans une prison pour rendre visite à un homme qui avait violé leur soeur et qu'elles ne voulaient pas voir. Lorsque nous sommes arrivés à une dizaine de pieds de cet homme, la psychologue a jugé que les fillettes souffraient trop et que, peu importe ce que le juge avait dit, elle ne permettrait pas que la visite ait lieu, et nous avons quitté la prison. Mais le mal était fait. Cela ne devrait pas se reproduire. Cette conviction m'incitera à poursuivre ma lutte.
Je vous remercie de m'avoir écouté. J'espère que nous pourrons adopter ce projet de loi le plus rapidement possible. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Merci, monsieur le président.
¿ (0955)
Le président: Merci beaucoup, monsieur Mills.
Nous commençons la période de questions par M. Cadman, qui a sept minutes.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Je remercie M. Mills d'être venu témoigner et surtout, d'avoir déposé ce projet de loi. Je le félicite de son initiative. Étant membre du même groupe parlementaire que lui, je sais qu'il mène ce dossier avec passion. Je comprends pourquoi, car je peux comprendre ce qu'il a vécu, ayant été présent à l'incident lui-même.
Vous avez dit que le ministère de la Justice voudrait élargir la portée du projet de loi pour y inclure le meurtre et d'autres infractions. Vous a-t-on indiqué pourquoi? Pour ma part, cette idée m'inquiète, car plus la portée du projet de loi est large, plus il est vulnérable aux remises en question et aux contestations. Je me demandais si on vous avait donné une raison précise.
M. Bob Mills: On ne m'a pas donné de raisons précises, on m'a seulement indiqué cette possibilité. Le secrétaire parlementaire en a aussi parlé. J'ignore pourquoi. Tous les avis juridiques que j'ai obtenus préconisent plutôt qu'on limite la portée du projet de loi aux pédophiles, aux infractions de nature sexuelle mettant en cause des enfants. Une mesure législative dont la portée est grande est plus susceptible d'être contestée.
À mes yeux, empêcher un meurtrier de voir ses enfants lorsque le crime n'avait rien à voir avec ses enfants est tout autre chose que d'empêcher un pédophile de voir ses enfants. C'est tout à fait différent et ce ne sont pas là les cas que je vise. On sait d'ailleurs que le fait de voir leurs enfants contribue à la réinsertion sociale de certains de ces détenus. En l'occurrence, je crois qu'on mettrait les fillettes en danger si on les forçait à rendre visite à leur père. C'est une tout autre situation.
On ne m'a pas expliqué les raisons. Peut-être que les représentants du ministère de la Justice pourraient vous éclairer.
M. Chuck Cadman: De nombreux avis juridiques appuient votre initiative. Avez-vous obtenu l'opinion d'un psychiatre sur les effets de ce genre de situation sur les enfants? Dans le cas particulier qui nous occupe, quelle a été l'incidence psychologique sur les enfants?
M. Bob Mills: À ce sujet, je me suis entretenu avec les enseignantes des fillettes. Je leur ai demandé comment elles se comportaient à leur retour à l'école, après l'incident du 27 mai. L'une des filles était en première année et son enseignante m'a dit qu'elle était troublée et que cette expérience les avait changées.
J'ai aussi parlé à la psychologue qui s'est rendue à la prison avec nous. Lisa, les deux fillettes, le sous-directeur de la prison, une psychologue et moi nous y sommes rendus ce dimanche après-midi. La psychologue a été si perturbée par la réaction des enfants qu'elle s'est fait retirer du dossier. Elle a aussi abandonné ce dossier parce que Schneeberger s'est plaint auprès du patron de la psychologue que celle-ci avait outrepassé ses pouvoirs. Cet homme, qui a été condamné pour pédophilie, n'a pas aimé la décision de cette psychologue et, en conséquence, un nouveau psychologue a été affecté à ce dossier, ce qui donne une idée du genre d'homme qu'est M. Schneeberger.
Ce sont là les deux personnes à qui j'ai parlé à ce sujet, l'enseignante et le psychologue.
À (1000)
M. Chuck Cadman: Enfin, êtes-vous en mesure de nous donner une indication du nombre de gens à qui s'appliqueraient ces dispositions si elles avaient force de loi? Combien de fois sur une période donnée ou en un an ce genre de situation se produit-il?
M. Bob Mills: Tout ce que j'ai pu déterminer, c'est qu'habituellement, le juge refuse au détenu l'accès à ses enfants. Par conséquent, le nombre de cas serait très petit. En l'occurrence, le juge de première instance et le juge à Red Deer ont affirmé que la loi n'était pas suffisamment claire pour qu'ils puissent l'invoquer pour mettre fin au droit de visite. Voilà pourquoi j'ai choisi cette solution; si la loi n'est pas claire, modifions-la, précisons-la et donnons des indications claires aux juges, sans pour autant les paralyser. Ce n'est pas ce que je souhaite.
Ces cas sont rares, mais il y en a d'autres. Chaque avocat à qui j'ai parlé m'a parlé de cas de ce genre qu'il connaissait. Dans ces affaires, les enfants n'étaient pas aussi jeunes, ils avaient dix ou douze ans, avaient refusé de voir leur père et le juge s'en était remis à la décision des enfants. Dans le cas qui nous occupe, et j'imagine que le juge a estimé que des enfants de cinq et six ans—en fait, à l'époque, elles étaient beaucoup plus jeunes, la cadette n'avait que 18 mois—n'avaient pas la maturité voulue pour donner une opinion.
M. Chuck Cadman: Avez-vous parlé aux autorités provinciales? Ce projet de loi aura une certaine incidence sur les provinces, sur leurs décisions. Qu'en pensent-elles?
M. Bob Mills: L'Alberta m'a toujours soutenu. J'ai parlé à M. Axworthy, le ministre de la Justice de la Saskatchewan, qui m'a aussi accordé son appui sans réserve. Il m'a dit qu'une telle mesure était nécessaire et qu'il aurait aimé que ces dispositions existent lorsque Lisa s'est adressée au tribunal la première fois.
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur Mills.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Lanctôt, vous avez sept minutes.
[Français]
M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ): Merci, monsieur le président.
Monsieur Mills, c'est évident que c'est un projet de loi qui est très, très important. J'ai pratiqué longtemps le droit dans ce domaine.
La dernière question qui a été posée--et je la soulève encore une fois--créerait un régime très distinctif entre des personnes qui seraient régies par la Loi sur le divorce, autrement dit celles qui ont été mariées, et celles qui ne sont pas mariées. Vous allez créer une différence et une distinction très large entre les enfants qui proviennent d'un mariage et ceux qui proviennent d'une union de fait entre les parents.
Au Québec, tout cela n'existe plus depuis très longtemps. Nous considérons vraiment l'intérêt de l'enfant avant tout, non seulement à cause des conventions internationales, mais bien à cause de nos lois.
C'est peut-être prématuré, non pas d'en parler, mais de le proposer de la façon dont vous le faites. C'est évident qu'en principe, il faut regarder ce genre de dossier et protéger les enfants. Par contre, le faire séparément... Il faut que ce soit fait conjointement avec les provinces et avec Québec parce qu'il ne faut pas faire de distinction entre les enfants qui proviennent d'un mariage et ceux qui ne proviennent pas d'un mariage.
Pour ma part, je vous le dis immédiatement, c'est sûr qu'il y a des choses, en principe, qu'il faut améliorer dans votre projet de loi. J'en reparlerai; j'espère qu'on aura le temps. Par contre, seulement cela, c'est très, très, important. Si on le fait seulement ici, si ce n'est pas fait conjointement en tenant compte des opinions et même de «ce que Québec en pense et ce que les autres provinces en pensent» dans vos documents, le Bloc québécois ne pourra pas appuyer le projet de loi comme tel. C'est clair qu'il nous faut absolument cela.
Il y a autre chose aussi. Depuis toujours, en tout cas au Québec, non seulement à cause de la charte--et cela aussi serait probablement un problème de contestation à venir--, l'intérêt de l'enfant prime déjà sur tout. Les cas que vous voulez régler doivent être des cas d'exception. Ayant eu plusieurs dossiers de ce genre, je peux dire que les enfants pourraient très, très rarement le voir. Si vraiment il y contact, c'est sous supervision. Les juges ont la possibilité de rendre les ordonnances qu'ils veulent et même d'interdire d'aller le voir, non pas en se basant sur la loi, mais bien sur le dossier qui leur présenté. Plusieurs dossiers font en sorte que les enfants n'ont déjà pas de contacts avec ce parent. C'est surtout le cas si vous parlez de pédophiles ou de personnes qui sont les victimes sexuelles du père ou de pédophilie. Je ne connais pas un seul dossier où le juge permettrait à l'enfant de le voir.
Par contre, il y a des circonstances qui font que vous allez protéger l'enfant psychologiquement. Mais il y a aussi des cas où, parce que telle chose est arrivée, on ne pourra jamais trancher au couteau, dire que c'est blanc ou que c'est noir. C'est pour cela que la question d'avoir les avis d'un psychologue et d'un psychiatre est importante.
Il y a des enfants qui, au contraire, ne doivent pas voir cet agresseur, alors que d'autres enfants... Ça dépend aussi de l'âge de l'enfant. On ne parle pas d'âge. Empêcher un enfant de 17 ans d'aller voir un parent qui, ayant fait un contact, peut-être juste dans une foire, a pris de la drogue et à qui il est arrivé quelque chose, alors que l'enfant a pourtant peut-être aimé ce père pendant 17 ans, c'est très dangereux, non seulement parce que cela peut être contesté en vertu de la Charte, mais pour l'enfant aussi. On ne fait pas ces distinctions.
Votre cas est pathétique. Vous connaissez deux personnes à qui cela a nui psychologiquement. Je ne sais pas si cela a été bien présenté devant le tribunal: je ne connais pas la cause. Je ne connais pas non plus les experts qui étaient là. Est-ce qu'ils étaient de bons experts? Je ne le sais pas. Vous partez d'un cas. Je trouve cela dangereux de faire une loi avec autant de force. Cela pourrait créer un monstre. Cela pourrait nuire à d'autres enfants, alors que cela pourrait peut-être être utile dans ce cas. Comme je vous l'ai dit, je ne connais pas le dossier. Tout ce que je dis au comité, c'est juste de faire très, très attention.
Ce sont les commentaires que je voulais faire.
À (1005)
[Traduction]
Le président: Voulez-vous répondre, monsieur Mills?
M. Bob Mills: Tout d'abord, bien sûr, lorsque je pense au parent gardien, je ne pense pas au mari ou à la femme. Ma définition de la famille est plus large. Si les parents sont en union de fait, ils sont néanmoins les parents des enfants. Mon intention n'était pas d'exclure ces parents et si nous pouvons modifier le projet de loi pour les assujettir à la loi, nous devrions le faire.
J'ai communiqué avec l'Alberta et la Saskatchewan, car la poursuite judiciaire s'est faite en Saskatchewan. La dame et cet homme sont maintenant en Alberta et c'est pour cela que je suis entré en contact avec l'Alberta. Je suis entièrement d'accord avec vous pour dire qu'il faut tenir compte des intérêts des provinces, mais étant donné qu'il s'agit de modifier la Loi sur le divorce, qui est une loi fédérale, et que les personnes visées, les pédophiles, sont dans des établissements carcéraux fédéraux, j'ai jugé que c'était une question de compétence fédérale.
Je le répète, je suis prêt à modifier le libellé. Si on peut préciser le libellé de façon à dissiper toute incompatibilité avec les lois des provinces, nous devrions certainement le faire.
Vous dites que ce cas est exceptionnel, et c'est peut-être vrai, mais, à mon sens, il ne devrait jamais se répéter. Même s'il n'y a qu'un autre cas de ce genre qui se produit dans l'histoire du Canada, nous devrions faire l'impossible pour l'empêcher. Deux juges ont dit que la loi n'était pas suffisamment claire; cela a suffi pour m'inciter à agir en vue de préciser la loi. Modifions donc la loi pour qu'elle soit plus claire; peut-être voudrions-nous préciser qu'il s'agit de pédophiles qui ont agressé sexuellement des membres de leur famille. Peut-être voudrez-vous restreindre la portée de cette mesure législative à ce point. Ce qui compte, c'est que cette situation ne se reproduise pas.
Par ailleurs, si les deux parents conviennent que les visites sont dans l'intérêt des enfants, personne n'y fera obstacle. La loi ne s'applique que si les enfants ou le parent gardien refuse leur consentement. C'est dans ces circonstances que la loi s'applique, pas dans tous les cas. Elle s'applique s'il y a litige et permet aussi de guider les juges qui doivent déterminer ce qui est dans l'intérêt des enfants.
Je crois c'est ce que nous voulons tous. C'est ce que tous les partis veulent. C'est ce que tous les Canadiens veulent. Si nous n'agissons pas maintenant, si nous nous empêtrons dans des discussions constitutionnelles et des questions de relations fédérales-provinciales, nous aurons perdu cette chance d'agir. Les parlementaires paraîtront mal s'il s'empêtrent dans des discussions juridiques plutôt que de s'attaquer au problème. Cela nuirait à tous les politiciens. Cela me préoccupe, et vous aussi, je crois. L'institution du Parlement a subi de nombreuses attaques. Tâchons de ne pas essuyer le même genre de critique dans ce dossier.
À (1010)
Le président: Monsieur McKay, vous avez la parole.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci à M. Mills aussi d'avoir porté cette question à l'attention du comité. J'ai une idée de ce que représentent les initiatives émanant des députés, et je vous félicite d'avoir réussi à piloter votre projet jusqu'ici. C'est déjà très impressionnant, et par la même occasion, cela illustre probablement le besoin viscéral chez bon nombre de députés de réagir aux circonstances qui ont mené au dépôt du projet de loi.
En droit, on dit que «des faits erronés donnent des lois erronées». Eh bien, lorsqu'on lit le résumé des faits, on se demande comment un juge a pu arriver à un tel raisonnement. En premier lieu, je sais que vous vous êtes reporté à certains avis juridiques. Pourriez-vous les déposer auprès du comité ainsi que le texte du jugement lui-même et ceux des appels.
M. Bob Mills: Me permettez-vous d'interrompre mon collègue quelques instants? Je crois savoir que le jugement rendu en Saskatchewan n'a pas été rendu public et même pas mis par écrit.
M. John McKay: Il s'agit donc d'un jugement oral.
M. Bob Mills: Oui, c'est ce que m'a dit M. Axworthy.
M. John McKay: Je vois.
M. Bob Mills: Cependant, celui rendu à Red Deer semble avoir dit de retourner en Saskatchewan.
M. John McKay: Le premier jugement a-t-il fait l'objet d'un appel?
M. Bob Mills: Le jugement a été porté en appel mais, 20 000 $ plus tard, Mme Dillman a suspendu les procédures. Elle ne pouvait tout simplement pas aller en Saskatchewan et y demeurer pendant les trois semaines nécessaires, compte tenu des frais que cela représenterait. Il se peut qu'elle relance l'appel, mais pour le moment, les choses sont en suspens.
M. John McKay: Pour le moment donc, le jugement de première instance demeure en vigueur.
M. Bob Mills: Oui, avec la conséquence que le dernier dimanche du mois, l'ex-conjoint pourrait recommencer à exiger ces visites.
M. John McKay: Il y a eu appel, mais pour des raisons financières—
M. Bob Mills: L'appel a été déposé en Alberta et la cause a été renvoyée en Saskatchewan.
M. John McKay: Pourquoi y a-t-il changement de juridiction?
À (1015)
M. Bob Mills: Étant donné que le jugement de première instance a été rendu en Saskatchewan, on a jugé que la cause ne pouvait être entendue en Alberta. Certains avocats ont contesté cela aussi, mais comme je ne suis pas avocat moi-même, je n'ai pas étudié la question de façon plus approfondie.
M. John McKay: Ça ressemble plutôt à un fouillis de diverses—
M. Bob Mills: Pour cette femme, c'est un cauchemar.
M. John McKay: Oh, oui.
J'ai déjà pensé que j'aurais un parcours éblouissant en droit familial, mais je semblais le seul de cet avis, j'ai donc quitté ce domaine.
M. Chuck Cadman: Vous avez donc décidé de devenir député.
M. John McKay: Oui, à la place, je me suis lancé en politique. On ne sait pas encore si c'était une bonne chose.
M. Bob Mills: Eh bien, j'ai fait la même chose, parce que je voulais changer les choses.
M. John McKay: Dans la cause qui nous occupe, les faits sont confus, c'est le moins qu'on puisse dire. Par conséquent, si vous pouviez nous obtenir les avis juridiques pertinents, ils ne seraient utiles.
M. Bob Mills: Oui, je vais m'efforcer de les obtenir.
M. John McKay: J'ai remarqué que vous ne voulez pas que nous nous laissions impressionnés outre mesure par des considérations comme la conformité à la charte ou la dynamique entre le Parlement et les tribunaux, mais cela fait partie intégrante de notre mandat en tant que comité, de la même manière que les relations fédérales-provinciales. M. Lanctôt a raison d'attirer notre attention sur le fait que, dans le cas où on modifierait la Loi sur le divorce comme on le propose, un parent divorcé serait assujetti à ces nouvelles dispositions mais non celui qui n'a jamais été marié. C'est une anomalie assez étrange, mais tout à fait vraisemblable.
En général, en la matière, le critère de toute mesure est qu'elle soit manifestement nécessaire, que son efficacité soit vérifiable, qu'elle soit proportionnelle, et qu'elle s'impose sans aucune autre solution de rechange. Comme le disait M. Cadman, il y a des problèmes ici en ce qui a trait à son caractère manifestement nécessaire. Y a-t-il d'autres cas d'abus flagrant exigeant impérativement des mesures de redressement? C'est vrai qu'à première vue, la situation paraît scandaleuse, surtout pour le public, mais on nous demande de prendre des mesures juridiques malgré des faits assez incertains. Nous n'avons pas entendu la partie adverse non plus. Si donc que vous avez des renseignements utiles sur des causes semblables, je crois qu'ils pourraient nous éclairer.
Par ailleurs, par rapport au projet de loi en tant que tel, j'aimerais aborder la question de l'incarcération. Encore une fois, vous êtes vous demandé si les dispositions portent exclusivement sur la détention. Parfois, une personne est en liberté conditionnelle, par conséquent les arguments militants pour limiter le droit d'accès aux enfants dans le cas d'un détenu peuvent-ils aussi s'appliquer à la situation d'une personne en liberté conditionnelle? En outre, il existe d'autres formes de peines, comme celles en milieu ouvert. J'aimerais donc savoir si les arguments qui ont mené aux dispositions du projet de loi devraient s'étendre aussi aux personnes en liberté conditionnelle.
Si on se reporte au texte du projet de loi, on peut y lire, «soit à une ou plusieurs dispositions du Code criminel lorsque l'enfant en a été victime». Je suis peut-être un vieil avocat pessimiste, mais pensons aux cas d'inceste; pourquoi voudrait-on qu'un enfant revoie jamais un parent qui s'est rendu coupable de ce genre d'abus? On peut aussi imaginer un cas où le parent n'a été condamné que 10 ou 15 ans après avoir quitté la famille. Cet homme est humilié et incarcéré. Jusqu'à son procès, sa vie familiale était relativement normale. Maintenant, son épouse est indignée, et elle ne veut certainement pas que ses filles ou ses fils rendent visite à leur père en prison. Tout cela mène à d'autres enjeux sociaux.
Quant à moi, cela me ramène à l'avis donné par le professeur Bala, et je me demande si la démarche qu'il préconise n'est pas préférable.
À (1020)
À mon avis, il vaudrait mieux concevoir une présomption de tort éventuel à l'enfant, compte tenu des circonstances connues. Ensuite, on inverserait le fardeau de la preuve, de telle manière que le père soit tenu de prouver que des relations suivies avec ses enfants sont dans leur intérêt.
Voilà ma réaction assez spontanée à des circonstances aussi graves. Je voulais parler d'éclaircissements sur les faits que vous évoquez, des avis juridiques que vous pouvez fournir et des définitions, soit élargies, soit restreintes de la notion d'incarcération. Je voulais parler aussi du danger de dépasser les bornes si l'on élargi la porté de la mesure, que l'enfant ait été une victime ou non, et de la nécessité de la disposition en entier, parce qu'elle se trouve à élargir l'esprit du projet de loi.
Voilà les remarques que je peux vous faire.
M. Bob Mills: Très bien. Permettez-moi donc de parler de la plupart de ces points. Encore une fois, je suis ici pour écouter vos avis, que vous développerez je l'espère, afin que nous puissions trouver les mots justes pour réaliser des choses justes.
D'abord, lorsque j'ai entendu parler de la démarche préconisée par le professeur Bala, j'y ai réfléchi, et elle m'a parue raisonnable. Selon cette démarche, un pédophile reconnu coupable doit démontrer pourquoi des visites seraient dans l'intérêt des enfants. Fort bien, mais ça me semble assez difficile à faire. C'est toutefois ce qui marcherait, selon la discussion que j'ai eue avec le psychologue, d'autres avocats et d'autres personnes encore. Le ou la pédophile n'aurait vraisemblablement plus jamais accès aux enfants. Cela faciliterait aussi le travail du juge. Je suis donc tout à fait disposé à me rallier à cette solution.
Par ailleurs, au sujet de l'enfant en tant que victime, et de la portée d'une telle désignation, si toutes ces catégories ont été inscrites dans le texte, c'est encore en raison des avis juridiques qu'on m'a donnés lors de l'élaboration du projet de loi. On me disait qu'il fallait se limiter aux infractions à caractère sexuel, mais bien les préciser. Cela dit, je peux imaginer qu'un délinquant de 35 ans, ayant commis ses abus sexuels à l'âge de 18 ans, puisse avoir une vie sans reproche depuis ce temps. Cela pourrait expliquer qu'un juge en conclue qu'il ou elle est un bon parent depuis cette époque lointaine.
Encore une fois, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Je me reporte à la situation d'enfants traumatisés. Le parent qui en a la garde estimera que les visites seront néfastes, et dans le cas où nous opterions pour la solution que je préconise, le parent fautif sera incapable de démontrer pourquoi il devrait avoir des droits de visite. Réunissez tout cela, et je crois qu'on aura trouvé la solution au problème; l'obligation de rendre visite disparaîtra.
Si je n'ai pas parlé de mesures régissant les parents non incarcérés, c'est que cela est lié à des questions de compétence provinciale. On peut toujours espérer cependant qu'une commission des libérations conditionnelles ne va pas libérer quelqu'un qui va faire du tort à des enfants. Cela dit, en l'occurrence, je n'en suis pas convaincu. Le simple fait que la Commission des libérations conditionnelles a changé d'avis depuis un an me rend sceptique quant au sérieux de... Les raisons qu'elle nous a données de sa volte-face me paraissent tout à fait inacceptables. Je ne devrais donc peut-être pas faire à ce point confiance au système de libération conditionnelle.
Pour ce qui est de savoir s'il y a d'autres cas semblables, tous ceux à qui j'en ai parlé m'ont dit qu'il en existe. On m'a donné le nom de quelqu'un à Montréal qui est passé par là. J'ai aussi entendu parler d'autres circonstances semblables en Ontario. Je n'ai pas étudié ces cas de façon poussée faute de temps, et aussi parce que je ne suis pas avocat. Je dois même avouer que lors de mes discussions avec les avocats, j'avais besoin qu'on me traduise leurs termes juridiques dans un langage plus simple. Je devais leur demander de simplifier tout cela pour que je puisse le comprendre et m'en servir. Bien entendu, plus que nous discutions, plus les questions devenaient complexes.
J'estime cependant qu'il existe effectivement d'autres cas. Si nous effectuions des recherches là-dessus, je pense que nous en trouverions. Si tel est le cas, cela justifie la modification.
Au sujet du fait que les parents non mariés échappent aux dispositions de la loi, évidemment il faudrait remédier à cela. Je tiens à ce que les dispositions de la loi s'appliquent aux parents, quel que soit leur état civil, qu'ils soient en union libre, mariés ou autrement. Des parents sont des parents. ll faudrait donc absolument préciser cela. Je n'ai pas l'intention d'exclure les non mariés, ni même d'en discuter. Ce n'est pas ce que je veux, ni ce qui me paraît souhaitable.
À (1025)
Je vais m'efforcer d'obtenir l'avis juridique de Red Deer. Je crois qu'il est disponible par écrit, auquel cas je pourrai vous le fournir. Toutefois, je sais d'avance qu'il conclura simplement à la nécessité de «retourner en Saskatchewan». J'ai déjà essayé, et je crois que M. Axworthy m'a répondu que le jugement était oral... J'ignore s'il fallait aussi en fournir une version écrite, mais je pense que non. Je ne réussirai peut-être pas à vous l'obtenir.
Je peux certainement vous fournir tous les documents que j'ai en main. La plupart des gens à qui j'en ai parlé tenaient à les voir et les ont trouvés utiles. Ils sont d'ailleurs disposés à venir ici en discuter, ainsi que des amendements et des autres questions connexes, et certainement dans un langage de juristes.
Le président: Je vais donner la parole à M. Sorenson. J'ai moi-même une question à poser, mais il nous reste du temps.
Monsieur Sorenson, la parole est à vous.
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier M. Mills.
[Français]
M. Robert Lanctôt: J'aimerais apporter une précision, monsieur le président. On dit que le jugement n'est pas écrit, mais au Québec, tout est enregistré et c'est possible d'obtenir l'enregistrement et de le faire transcrire. Je ne sais pas si c'est comme chez vous, mais il est possible d'entendre l'enregistrement du jugement, si ce dernier a été rendu verbalement. Bref, il est possible de l'obtenir.
[Traduction]
Le président: Merci.
Monsieur Sorenson, vous avez trois minutes.
M. Kevin Sorenson: Je n'ai pas de question précise à poser à M. Mills, mais je tiens à le remercier d'être parmi nous aujourd'hui. Lorsqu'on lit les témoignages et les discours prononcés par les députés au moment du dépôt de ce projet de loi en Chambre, on voit à quel point la mesure proposée soulève les passions, même si elle semble fondée sur le sens commun.
En 1997, on a mis sur pied un sous-comité sur la garde des enfants, et il a rédigé un rapport intitulé Pour l'amour des enfants. Je félicite même le premier ministre de l'avoir mentionné dans le discours du Trône, et d'avoir dit que nous devons à nos enfants non seulement des soins appropriés mais aussi notre protection. On a qu'à ouvrir nos quotidiens pour lire d'horribles faits divers, dont nos enfants peuvent être les victimes, et dans le cas qui nous occupe, le parent en question avait fait subir des sévices sexuels à sa belle-ville ou l'avait violée pendant cinq ans.
Après avoir lu les documents pertinents, j'en conclus que la victime avait peut-être huit ou neuf ans lorsqu'elle a subi son premier viol, et son agresseur a abusé d'elle pendant cinq ans. Elle avait 13 ans lorsque le cas a été porté devant... Cela indique clairement que la visite de cette personne compromettait la sécurité des enfants.
En tant que parent soucieuse d'obtenir la protection de son enfant, d'apprendre comment elle pouvait protéger une petite fille ou un petit garçon, Mme Lisa Dillman agissait certainement en parent responsable. Il est temps que nos tribunaux s'en inspirent et fassent preuve du même sens des réalités dans leur interprétation des lois.
Je tiens simplement à saluer votre initiative. Elle ne devrait rencontrer aucun problème. La seule question que j'aimerais poser porterait sur ce qu'évoquait M. McKay, à savoir les inculpations supplémentaires qui frapperaient le parent en cause. Dans le cas où on ne conclurait pas à une accusation de pédophilie, le texte permet quand même l'accusation d'agression sexuelle. Dans un tel cas, la mère pourrait refuser que l'enfant voie le père.
Des gens qui s'y connaissent mieux en droit que moi seraient probablement mieux placés pour en discuter, mais cela dit, je pense encore que le sens commun doit prévaloir ici.
Je vous félicite donc d'avoir présenté ce projet de loi à la Chambre.
À (1030)
M. Bob Mills: Je dirai simplement que lorsqu'on tient compte des faits de cette cause, c'est-à-dire deux petites filles, actuellement âgées de six et sept ans, qui pourraient être forcées de passer encore par un tel supplice tous les derniers dimanches du mois, et que cette personne a déjà fait du tort à l'une des enfants, on ne s'étonne plus de l'incrédulité de la mère face à notre système de justice, ni d'ailleurs de celle de la plupart des Canadiens qui en ont parlé.
C'est ici que nous devons agir, afin que cela ne se reproduise pas. Je me suis entretenu à ce sujet avec l'ex-ministre de la Justice, Mme McLellan. Elle m'avait donné des assurances qu'on modifierait la Loi sur le divorce en ce sens, mais elle n'a pas eu le temps de le faire.
J'ai parlé très brièvement à M. Cauchon, et il m'a paru beaucoup plus déterminé à corriger la situation. Je me suis donc senti beaucoup plus encouragé, tout comme par mes discussions avec M. Macklin. Ce dernier m'a semblé décidé à saisir le ministère de la Justice de la question. Tout cela, pour que ce genre de chose ne se reproduise plus. Je ne vous ai parlé que d'un cas, mais empêchons qu'un seul autre cas ne se produise.
Le président: Monsieur Mills, j'aurais besoin d'un éclaircissement. Je crois que dans vos remarques liminaires, vous avez parlé de vos conversations avec le ministre de la Justice puis avec le secrétaire d'État.
M. Bob Mills: Oh, je m'excuse, il s'agissait du secrétaire parlementaire.
Le président: Vous parliez du secrétaire parlementaire, bien, c'était pour le besoin du procès-verbal.
M. Bob Mills: Je l'avais promu.
Le président: Si seulement c'était aussi facile.
M. Bob Mills: Oui.
Le président: Monsieur Macklin, vous avez la parole pour trois minutes.
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Mills, il va sans dire que le projet de loi éveille beaucoup de sympathie. J'en sens moi-même en tant que parent, et aussi à titre de citoyen responsable et de parlementaire, face à ce genre d'abus. D'ailleurs, la situation qui nous a obligés d'examier ce problème, le cas concret de Lisa, nous a certainement atteints directement.
Cela dit, je demeure préoccupé, et j'ai d'ailleurs parlé de cela lors du discours que j'ai prononcé à la Chambre sur le sujet. Il me semble que nous devons limiter les infractions qui relèvent de ce projet de loi, car certaines d'entre elles pourraient être très générales et n'avoir aucun lien direct avec la situation de l'enfant. Ainsi par exemple, comment distinguons-nous ou devrions-nous distinguer entre un parent coupable d'une infraction à caractère sexuel, et celui qui est en prison pour autre chose?
Essayons de préciser notre intervention. Est-ce que l'on intervient seulement lorsque l'enfant est victime? Lorsque sa famille immédiate est victime? Comment pouvons-nous circonscrire la portée de la loi?
Examinons la situation dans sa perspective la plus vaste. Proposons par exemple que les enfants de détenus ne soient pas toujours obligés d'aller rendre visite à leur père en prison, parce que le lieu est très intimidant, à moins que le parent ayant la garde y consente. Voilà un principe général.
Si nous voulons limiter ce principe, et il y a de solides raisons de le faire, j'aimerais savoir en fonction de quoi nous pourrions le circonscrire, sans tenir compte des accusations portées contre le parent. Autrement dit, essayons de voir si nous pouvons vraiment nous concentrer sur la réalité des choses.
M. Bob Mills: D'abord, j'estime qu'il pourrait être très bon pour un détenu de voir ses enfants, cela pourrait même favoriser sa réinsertion sociale. Inclure autre chose à part les infractions à caractère sexuel me paraît inacceptable. Cela ouvrirait la porte à des domaines trop vastes et pourrait alimenter la polémique.
Faudrait-il se limiter aux infractions à caractère sexuel commises contre les membres de la famille? Cela limiterait sensiblement la disposition, mais c'est peut-être ce que nous souhaitons. Pour ma part, je pense que la disposition devrait s'appliquer également à un pédophile reconnu coupable d'agression d'un enfant autre que le sien. C'est mon avis. Rappelez-vous que si le parent ayant la garde de l'enfant est d'accord pour que le détenu voie cet enfant, alors c'est ainsi que les choses devraient se passer. Le projet de loi n'empêche pas cela. Il limite le droit de visite lorsque le parent qui a la garde de l'enfant estime qu'une telle visite n'est pas dans l'intérêt de l'enfant.
Le bien-être des enfants devrait l'absolue priorité du juge lorsqu'il envisage de restreindre le droit de visite. Les constitutionnaliste, les professeurs de droit et les spécialistes du droit familial avec lesquels j'en ai discuté, et dont vous pouvez trouver les noms sur une liste que j'ai préparée à votre intention, sont aussi du même avis. Ils estiment que le bien-être des enfants est tout à fait prioritaire, et qu'un tel principe n'entraînera presque jamais de contestation en vertu de la charte.
Par ailleurs, lorsque nous avons discuté avec le professeur qui préconisait de renverser le fardeau de la preuve afin que le pédophile condamné soit tenu de convaincre le juge que ses droits de visite sont dans l'intérêt des enfants, nous sommes allés encore plus loin. Si on donnait suite à ce genre de recommandation, à mon avis, un pédophile serait incapable de persuader un juge qu'il est dans l'intérêt d'enfants de cinq, six, sept ou huit ans, ou de n'importe quel enfant, de rendre visite à un pédophile en prison.
Cela devrait suffire pour préciser les conditions de la restriction. À mes yeux, un droit de visite limité est bien préférable à un droit trop vaste, et je ne pense pas vraiment que nous devrions prendre en compte des infractions comme le meurtre. Cela diluerait vraiment la mesure, et nous forcerait à faire face à toutes sortes de contestations et à toutes sortes de questions que nous ne voulons pas mêler à cela.
À (1035)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Lanctôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Merci, monsieur le président.
Vous aviez bien compris plus tôt la distinction entre les gens qui sont mariés et ceux qui ne le sont pas, mais ce que vous ne comprenez pas, présentement, c'est que je ne veux pas qu'il soit question dans cette loi de ce qu'on doit faire au Québec ou dans les autres provinces, loin de là. Ne pensez même pas à ajouter quelque chose du genre dans votre projet de loi, parce que je voterais certainement à 101 p. 100 contre votre projet de loi. Ce que je veux dire, c'est qu'il doit y avoir des rencontres entre les ministères des deux ordres de gouvernement, fédéral et provincial, afin de s'entendre pour que l'on ne fasse pas de distinction entre les enfants.
Autrement dit, anciennement, on parlait d'enfants légitimes et d'enfants illégitimes; c'était il y a plusieurs années. Il ne faut plus qu'il y ait de distinction comme celle-là. Il ne doit plus y avoir de distinction entre les enfants issus d'une union de fait et ceux issus d'un mariage. Mais, je ne dis pas de changer votre projet de loi ici sur le divorces et d'imposer cela au Québec, loin de là. Je vous le dis, ce n'est pas du tout ce que je vous ai mentionné tout à l'heure. Je voulais juste faire cette mise au point.
Pour ce qui est des rencontres, si rencontres il y a, et sûrement qu'il y en a, même si c'est peu fréquent dans les cas que vous mentionnez, c'est évident qu'il y a des endroits prévus pour ces rencontres lorsque les droits d'accès existent. Il y a aussi des endroits spécifiques, même dans les prisons, où on peut demander à se rencontrer, pour qu'un jeune enfant ne voie pas son père derrière les barreaux ou dans une cellule. Il y a des endroits pour ça. En tout cas, au Québec, ça se fait. Ça se fait sûrement ailleurs aussi. Donc, il faut faire attention. Il ne faut pas non plus tomber dans... Quand vous me dites, monsieur McCallum, que ça doit s'appliquer à tous les détenus, il ne faut pas exagérer: les détenus aussi ont des droits. Le but de votre projet de loi, j'y reviens, c'est qu'il a un principe dont on doit tenir compte, celui de l'intérêt de l'enfant. Les tribunaux voient déjà à l'intérêt de l'enfant. Quant au cas spécifique dont vous parlez, je ne connais pas le dossier, mais je trouve surprenant, d'après ce que vous nous dites, que cette décision soit là. Mais ce qu'on apprend de votre part, c'est qu'ils ne sont pas allés en appel, qu'ils ne sont pas allés jusqu'au bout par manque d'argent. Encore là, on parle encore du manque de ressources. Il y a un problème, mais est-ce que le problème est vraiment dans les lois actuelles?
Je vous dis qu'au Québec, et sûrement ailleurs, lorsqu'on parle de problèmes d'inceste, de problèmes de pédophilie et que cette personne-là veut voir les enfants... Vous parlez de présomption ou de renversement du fardeau de la preuve, mais ce n'est pas un droit automatique. Les juges examinent les circonstances et chaque avocat fait la preuve de chaque circonstance. Chaque dossier est différent. Et, si c'est contre l'intérêt de l'enfant, le juge ou le tribunal ne permettra pas que cet enfant aille voir son père en prison si ce dernier est un pédophile ou qu'il est incestueux.
Un jugement qui a été rendu; on ne le connaît pas. Je ne veux pas que votre cas fasse en sorte qu'on généralise pour tous les dossiers. Les dossiers sont tous différents, c'est ce que je veux dire. Faites attention à ce genre de dossier, qui est peut-être pathétique dans ce cas-là. Le jugement est peut-être un jugement complètement erroné; je ne sais pas. Mais on est même pas allé jusqu'au bout pour voir si ce jugement pouvait être cassé en appel ou en Cour suprême, s'il le faut. Ça ne s'est pas rendu. Donc, on prend un dossier de première instance où deux jugements bizarres ont peut-être été rendus sans qu'on connaisse les faits. Il est bon de parler du but de votre projet de loi: on doit protéger enfants. Mais de quelle façon doit-on le faire? Si on n'a pas d'avis de psychiatres, de psychologues, de travailleurs sociaux, de gens qui sont détenus...
À (1040)
[Traduction]
Le président: Monsieur Lanctôt, posez votre question, car nous avons une longue liste d'intervenants.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Je veux entendre ses commentaires sur mes commentaires.
[Traduction]
M. Bob Mills: Très brièvement, je le répète, je ne veux pas me lancer dans des discussions sur les compétences respectives du fédéral et des provinces.
Vous savez, on m'a dit que la visite devait avoir lieu dans la prison, parce que l 'homme en question était trop dangereux pour avoir le droit d'aller à l'hôtel ou ailleurs à l'extérieur de la prison. Déjà, c'est assez intimidant pour un adulte d'avoir à pénéter dans une prison, étant donné la sécurité, les gardes et ce genre de choses. Je suppose que vous avez des enfants. Les enfants de cinq et six ans sont très impressionnables. Même moi, je trouvais assez étrange d'entendre le claquement des portes. Oui, nous étions dans une partie isolée, mais la situation donnait quand même la frousse.
Je ne serais pas ici, si deux juges n'avaient pas dit qu'à leurs yeux, la loi n'est pas assez claire, et qu'il fallait donc que la visite ait lieu. Je ne serais pas parmi vous si moi-même je n'avais entendu deux juges me dire que la loi était insatisfaisante par son manque de clarté. C'est cela qui m'a poussé à agir. Ils ont dit qu'il fallait corriger le problème. Or comment s'y prend-on? Eh bien, on nous élit pour légiférer, et me voici donc.
Le président: Monsieur Maloney.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): J'ai quelques questions à poser au sujet de la disposition déterminative. Est-ce qu'elle s'appliquerait aux ordonnances en vigueur d'accès aux enfants? Que se passe-t-il aussi à la fin de la peine? Que se passe-t-il en situation de liberté sous condition? Enfin, y a-t-il conflit entre la disposition déterminative et le bien-être de l'enfant, surtout dans le cas où le parent ayant la garde se montre récalcitrant?
M. Bob Mills: Encore une fois, j'ai déjà abordé cette question. Elle a d'ailleurs été soulevée par bon nombre des professeurs de droit avec lesquels j'ai discuté; ils sont d'avis que la disposition devrait peut-être aller plus loin et englober les pédophiles en liberté sous condition. J'estimais pour ma part que cela dépassait de beaucoup mon intention, et je ne connais d'ailleurs pas les répercussions juridiques de tout cela. Je ne pourrais même pas en parler.
En l'occurrence, ce qui me préoccupe, c'est la sécurité de la mère et des deux enfants. En toute sincérité, je ne veux qu'un jour ces deux fillettes défraient les manchettes. Je suis inquiet à ce point.
Je ne vois pas comment on pourrait accorder le droit de visite dans ce cas, parce que la mère a la garde pleine et entière des enfants, que son ex-conjoint soit en prison ou en liberté. Cependant, en juillet dernier, lorsque la Commission des libérations conditionnelles a décidé qu'il ne serait pas libéré sous condition avant 2003, je pensais que c'était irrévocable. Or voilà maintenant que le détenu va de nouveau être entendu par la Commission des libérations conditionnelles au mois de juillet, parce qu'un groupe de gens estime qu'il a trouvé Dieu, et qu'il est donc sans danger maintenant. À mon avis, il est tout à fait absurde d'invoquer ce genre de raison pour accorder une libération conditionnelle.
Je suis donc très inquiet, vraiment inquiet.
À (1045)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.
Monsieur Mills, vous avez affirmé avoir participé à nombre d'émissions-débats, et vous être entretenu avec beaucoup de gens, sans avoir jamais rencontré la moindre opposition. Je peux certainement comprendre pourquoi.
J'aimerais simplement savoir si vous avez aussi discuté avec les groupes de défense des droits des détenus, ou avec d'autres groupes de ce genre. Les avez-vous rencontrés vous-même? Si oui, est-ce qu'ils se sont opposés à vos idées, et qui sont-ils?
M. Bob Mills: J'ai parlé avec des représentants des sociétés John Howard et Elizabeth Fry. Ils m'ont dit craindre que ce projet de loi porte atteinte aux droits des prisonniers. Lorsque je leur ai fait remarquer qu'il s'agissait d'un projet de loi qui vise les pédophiles et les coupables d'infractions à caractère sexuel, leurs réserves à son sujet se sont dissipées. Ils ont dit qu'une telle situation ne devrait jamais se produire. Ils ont alors dit appuyer le projet de loi.
En fait, un membre de la Société John Howard faisait partie du groupe qui manifestait contre la visite à la prison. Je vous rappelle que nous avons appris que cette visite aurait lieu à 18 h un samedi lorsque le délinquant a invoqué son droit juridique à voir ses enfants. Le lendemain, des centaines de personnes manifestaient à la prison. Ces gens voulaient faire connaître leur opposition à cette visite.
Le public s'est donc manifesté clairement dans cette affaire, mais il y en a d'autres et il faudrait éviter qu'il y en ait encore davantage. Voilà pourquoi je propose ce projet de loi. Il n'aidera pas Lisa Dillman et ses filles. Il s'agit de faire en sorte qu'un autre juge ne puisse pas invoquer le manque de clarté de la loi pour accorder ce genre de droit. Les députés n'ont pas fait leur travail en ne veillant pas à ce que la loi soit tout à fait claire à ce sujet. Le Parlement n'a pas dit aux tribunaux comment ils devaient traiter ce genre de cas.
Le défi consiste donc à trouver un libellé indiquant clairement aux tribunaux qu'ils doivent tenir compte de l'intérêt de l'enfant.
Le président: Si vous ne vous y opposez pas, j'aimerais moi-même poser quelques questions. Je les poserai que M. McKay s'y oppose ou non.
M. Bob Mills: C'est la façon dont ça se passe au sein de notre comité également. Charles agit toujours de la sorte.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Monsieur Mills, vous avez dit que vous avez constaté que les juges rendaient la plupart du temps une décision contraire.
M. Bob Mills: Oui.
Le président: Vous avez dit qu'il s'agissait d'une importante exception.
M. Bob Mills: Oui.
Le président: Il existe peut-être des infractions autres que celles que nous mentionnons et qui amènent les juges actuellement à refuser le droit de visite. Si nous précisons dans la loi que ce droit doit être refusé lorsque ces infractions ont été commises, les juges vont-ils s'en tenir simplement à cette liste? Le Parlement ne signalerait-il pas dans ce cas aux juges qu'ils devraient s'en tenir à cette liste? Je crains que cette disposition ait des conséquences inattendues. Les juges pourraient peut-être interpréter cela comme voulant dire qu'il s'agit des seules infractions pour lesquelles nous pensons que le droit de visite devrait être refusé.
M. Bob Mills: J'ai cependant l'impression que la disposition ne vise que les personnes reconnues coupables d'infractions sexuelles.
Le président: Si la loi précise une infraction, les juges pourraient avoir tendance à penser que seule cette infraction est visée. Vous me dites maintenant—
M. Bob Mills: Il faut préciser qu'il faut tenir compte de l'intérêt de l'enfant. Il se peut qu'il soit dans l'intérêt de l'enfant de rendre visite à son père ou à sa mère même si cete personne a commis un meurtre. Cette décision appartiendra au juge. Aucune exception n'est cependant prévue dans le cas d'une infraction sexuelle. C'est ce que j'essaie d'expliquer.
À (1050)
Le président: Je pense que les membres du comité ont compris.
M. Bob Mills: Je vois où vous voulez en venir.
Le président: Lorsqu'on établit une liste, c'est comme si on disait que tout ce qui ne se trouve pas sur cette liste—
M. Bob Mills: Peut-être qu'il ne faudrait pas qu'il y ait de liste. On pourrait simplement parler d'infractions sexuelles.
Le président: Je pense que vous avez dit plus tôt que vous seriez favorable à un processus d'appel fondé sur le renversement de la preuve.
M. Bob Mills: Oui. C'est ce qu'un avocat a suggéré. À vrai dire, je n'y avais pas pensé.
Le président: Je crois que vous avez aussi dit que vous seriez favorable à des consultations provinciales.
M. Bob Mills: Certainement. Les ministres provinciaux que j'ai consultés ont dit qu'ils étaient favorables au projet. Je crois que tous les ministres provinciaux y seraient favorables. J'en suis même convaincu.
Le président: J'aimerais aussi demander à notre personnel--et je le fais publiquement pour que le compte rendu en témoigne--d'étudier quelles sont les options qui s'offrent à nous sur le plan procédural à cette époque-ci de l'année et à ce stade du processus. Vous avez dit que vous ne vouliez pas que nous allions au-delà de notre mandat. Vous êtes favorable à un processus d'appel qui exigerait la modification de la loi. J'aimerais simplement préciser qu'il ne sera sans doute pas possible de faire vite et de mener aussi des consultations. Vous devrez accepter le fait qu'il nous faut prendre un peu de temps pour éviter les erreurs et aussi pour apporter certaines modifications à la loi.
Je crois que c'est le tour de M. Cadman.
M. Chuck Cadman: J'aimerais faire une observation au sujet de la question que vous posiez, monsieur le président. Ne pourrait-on pas énumérer les infractions visées et ajouter «et toute autre infraction qui semble indiquée au tribunal»? Ou quelque chose de la sorte? Je fais simplement une suggestion.
Le président: Le libellé exact serait laissé au rédacteur juridique. Je voulais simplement proposer le principe.
M. Bob Mills: Je suis tout à fait favorable à ce qu'on nous propose un libellé. Je suis vraiment heureux que nous débattions la question. Je pense qu'il est vraiment dans notre intérêt comme parlementaires que le ministère de la Justice donne son accord. Nous avons tous intérêt à ce que ce soit le cas. J'aimerais que votre comité en ait le mérite. Je n'y vois aucun inconvénient.
Le président: Monsieur McKay.
M. John McKay:
J'aimerais revenir sur le fait que deux juges ont dit que la loi n'était pas assez claire. Notre attaché de recherche, M. Rosen, vient de me donner un exemplaire de la Loi sur le divorce. L'article 16(9) énonce ceci:
En rendant une ordonnance conformément au présent article, le tribunal ne tient pas compte de la conduite antérieure d'une personne, sauf si cette conduite est liée à l'aptitude de la personne à agir à titre de père ou de mère. |
Il est donc question du fait que le tribunal ne doit pas tenir compte de la conduite antérieure. Il est aussi fait mention dans cet article du maximum de communication:
En rendant une ordonnance conformément au présent article, le tribunal applique le principe selon lequel l'enfant à charge doit avoir avec chaque époux le plus de contact compatible avec son propre intérêt et, à cette fin, tient compte du fait que la personne pour qui la garde est demandée est disposée ou non à faciliter ce contact. |
C'est assez général.
M. Bob Mills: C'est ce qu'ont dit les juges.
M. John McKay: Je ne vois pas comment un juge impartial ne tiendrait pas compte des faits. Je ne comprends pas qu'on dise que la loi n'est pas assez claire. La Loi sur le divorce accorde un pouvoir discrétionnaire étendu au juge. Je ne vois pas ce qu'on trouve à redire à la loi. Je pense plutôt que c'est la façon dont elle est appliquée ou l'interprétation qui en est faite qui laisse à désirer.
M. Bob Mills: J'aimerais bien que vous ayez raison parce que dans ce cas je n'aurais pas eu à consacrer toute une année à cette question. Je ne serais pas ici aujourd'hui et ce qui s'est produit le 27 mai de l'an dernier ne se serait pas produit. Un juge a cependant estimé que la loi n'était pas suffisamment claire parce qu'il n'y était pas question d'infraction sexuelle. Il ne s'agit que d'une modification. Tout le reste demeure tel quel. Cette modification vise simplement à préciser que les infractions sexuelles ne sont pas des infractions comme les autres.
À (1055)
M. John McKay: Mais rien n'empêche un juge de prendre en compte actuellement le fait que la personne a été reconnue coupable de pédophilie et qu'elle a agressé sexuellement l'un de ses propres enfants.
M. Bob Mills: Je le sais, mais cela s'est produit et deux juges ont interprété la loi de cette façon. Si ça s'est déjà produit, ça peut se reproduire de nouveau. Voilà pourquoi je pense qu'il faut que la loi soit plus claire.
Le président: Je vous remercie, monsieur McKay.
J'accorde maintenant la parole à Peter MacKay.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Je pense qu'on peut dire, monsieur Mills, qu'il s'agit de donner des indications claires aux juges. La modification vise à faire en sorte que les juges tiennent compte de certaines infractions lorsqu'ils rendent une ordonnance. Le Code criminel ainsi que la Loi sur le Tribunal de la famille donnent déjà des indications semblables lorsque le comportement d'une personne risque de nuire à un enfant, n'est-ce pas?
M. Bob Mills: Je répète que l'intention visée est de protéger l'enfant. Il faudrait que la loi soit très claire dans le cas d'un pédophile et lorsque le parent qui a la garde des enfants ou que les enfants eux-mêmes s'opposent à la visite. C'est l'intention visée par cette modification.
M. Peter MacKay: Comme quelqu'un m'a posé cette question, j'aimerais m'assurer d'y avoir bien répondu. Il ne s'agit pas que l'interdiction s'applique seulement si les enfants issus du mariage ont eux-mêmes été victimes de l'agression sexuelle ou d'attouchement sexuel.
M. Bob Mills: Pas de la façon dont le libellé se présente. Nous en avons déjà parlé. Vous voudrez peut-être que le libellé soit encore plus restrictif. Je suis tout à fait prêt à accepter des amendements. Je veux simplement que ce genre de situation ne se reproduise jamais. Voilà la réponse honnête que je peux vous donner.
M. Peter MacKay: Je suis d'accord avec vous.
Je vous remercie beaucoup de vos efforts.
Le président: Je vous remercie, monsieur Mills.
Je vous dispense de l'obligation de rester parmi nous. Avant que nous ne prenions cependant une pause pour permettre à nos témoins suivants de s'installer, j'aimerais profiter du fait qu'il y a quorum. Nous avons adopté une motion, proposée par M. Sorenson, visant à demander aux fonctionnaires du ministère du Solliciteur général, y compris le commissaire des Services correctionnels, et aux représentants de la Commission nationale de libération conditionnelle, de comparaître devant le comité et nous avons pris les dispositions voulues pour organiser cette réunion. Il se trouve que cette réunion a lieu au même moment que celle du comité qui étudie la consommation non médicale des drogues ou des médicaments et qui doit se rendre à New York.
L'objet de la motion demeure le même, mais la motion prévoit que la réunion ait lieu avant que la Chambre ne s'ajourne et il est possible que nous ne puissions pas la reporter. Le comité doit donc donner son accord pour que nous puissions le faire.
Il s'agit de la motion de M. Sorenson. M. Sorenson a proposé que la réunion soit reportée même si cela signifiait qu'elle doive avoir lieu à l'automne.
Quelqu'un a-t-il des objections?
M. Kevin Sorenson: Non, parce que nous ne serons pas ici et je sais que Mme Fry, M. Lee et moi-même aimerions participer à cette réunion.
Le président: Je suis certain que le ministère ne fera pas d'objection.
M. MacKay désire soulever une autre question.
M. Peter MacKay: Je voudrais seulement que le président et la greffière me disent quand nous pourrons réexaminer la motion Hearn que j'ai proposée. Je crois que vous avez reçu les documents que vous attendiez.
Le président: Nous les avons reçus et nous comptons les examiner jeudi prochain en comité. Je m'en excuse, mais cela n'a pas encore été distribué au comité.
M. Peter MacKay: Et nous examinerons ma motion à ce moment-là?
Le président: Nous le ferons à ce moment-là. Comme vous vous en souviendrez, nous n'avions pas décidé ce que nous ferions après avoir reçu et examiné ces documents. Je laisse donc le motionnaire décider de ce qu'il souhaitera faire alors... après mûre réflexion, je suppose.
Si vous n'y voyez pas d'objection, ce sera pour une autre fois.
Nous allons suspendre la séance pour permettre à nos prochains témoins de s'avancer jusqu'à la table.
Á (1100)
Á (1108)
Le commissaire adjoint William Lenton (Services fédéraux, Gendarmerie royale du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président. Je voudrais d'abord vous remercier de nous avoir invités à comparaître ce matin.
Je m'appelle Bill Lenton et je suis le commissionnaire adjoint des services fédéraux de la GRC. Je suis accompagné du surintendant Dave Jeggo, le directeur de notre programme de la Police économique rattaché à notre quartier général d'Ottawa.
D'après ce que nous avons compris, le projet de loi en question a été retiré et c'est donc sur son sujet que portent votre étude et vos discussions. Notre comparution d'aujourd'hui vise donc davantage à participer au débat sur ce sujet de politique publique. C'est ce que nous avons cru comprendre.
Le ministère de la Justice a présenté un excellent document de discussion qui délimite bien les grandes questions de politique à examiner. Je crois que ce document résume, à la page 19, du moins sur l'exemplaire que j'ai en ma possession, le but de ces discussions en disant que: «de nombreuses autres lois fédérales et provinciales établissent des infractions de cette nature dans certains domaines de la réglementation.»
Il s'agit de voir s'il y a lieu d'insérer dans le Code criminel une disposition générale couvrant la responsabilité des administrateurs ou si la loi devrait décrire les situations dans lesquelles seulement certains administrateurs sont responsables. Néanmoins, de façon générale, il s'agit de se demander quelle est la meilleure façon de servir la justice.
Je voudrais d'abord préciser la différence entre ce que nous appelons habituellement le programme de la Police économique ou le programme des infractions commerciales de la GRC et le sujet de cette discussion.
Selon certains témoignages antérieurs, nous disposons d'un ensemble de ressources contre la criminalité des entreprises. C'est seulement vrai dans le contexte des activités criminelles financières et commerciales, et les ressources de la GRC se retrouvent au sein de notre programme de la Police économique.
Du point de vue des enquêtes, ce programme emploie 319 enquêteurs fédéraux répartis dans 34 villes des diverses provinces. Cet effectif est complété par 73 enquêteurs payés par la province ainsi que du personnel de soutien, ce qui donne au total environ 450 employés et un budget de fonctionnement annuel de l'ordre de 50 millions de dollars.
La GRC a l'obligation d'enquêter sur les crimes économiques lorsque les intérêts du gouvernement du Canada et des Canadiens sont en jeu. En raison de sa présence nationale et internationale, du rôle qu'elle joue dans la préservation des intérêts nationaux, de sa capacité à coordonner la collecte et la diffusion des renseignements et du fait que les parties prenantes ont collectivement fait appel à sa participation, la GRC est l'organisme d'exécution de la loi le mieux placé pour mener certains types d'enquêtes.
Je ne prétends aucunement que la GRC est le seul corps policier qui enquête sur les crimes économiques. Il y a également une contribution importante de la Sûreté du Québec, de l'OPP—la Police provinciale de l'Ontario—et des autres services de police municipaux, surtout des grandes villes, qui sont suffisamment importants pour avoir des divisions spécialisées.
Notre programme couvre la fraude commerciale, les fraudes concernant les valeurs mobilières et le télémarketing—pour lequel nous avons lancé le projet «Phonebusters», un centre d'appel national, en collaboration avec l'OPP—, les vols d'identité, le faux-monnayage, la contrefaçon de cartes de paiement et l'utilisation frauduleuse de cartes de crédit. La Sûreté du Québec vient d'enquêter sur une affaire importante de ce genre dont les médias ont parlé cette semaine. Nous n'avons donc certainement pas le monopole, mais nous jouons un rôle important.
Nous nous occupons également des affaires de corruption et d'abus de confiance, de fraudes reliées aux lois et programmes fédéraux et notamment les fraudes concernant l'assurance-emploi, les fraudes fiscales, les faillites frauduleuses ainsi que les cas de corruption ou de vol dont la victime est le gouvernement du Canada.
Le programme de la Police économique constitue la pierre angulaire des activités de la GRC en ce qui concerne la criminalité des entreprises.
Á (1110)
En ce qui concerne la criminalité des entreprises au sens dans lequel nous en discutons ici, certaines questions touchant le Code du travail et la sécurité des travailleurs sont surtout incluses dans la réglementation. Toutefois, lorsque c'est justifié, cas par cas, la GRC est chargée d'enquêter sur certaines irrégularités.
La plupart du temps, cela fait partie de notre mandat provincial et les ressources sont réparties selon les besoins et selon l'entente conclue avec la province. Cette entente nous permet de faire appel à des ressources de l'extérieur, selon les besoins et selon la procédure prévue.
Pour vous donner un exemple récent, après le 11 septembre, nous avons dû réaffecter nos ressources dans le cas de Swissair. Un autre exemple est celui des meurtres en série commis en Colombie-Britannique sur lesquels nous enquêtons en faisant appel aux experts et aux types d'enquêteurs nécessaires pour s'acquitter de cette tâche.
Comme c'est au niveau provincial, d'autres services de police interviennent, surtout en Ontario et au Québec ainsi qu'au niveau municipal. Cela dépend de la gravité de l'infraction. C'est un domaine qui relève dans une large mesure de la compétence policière principale.
Je voudrais maintenant parler du rôle que joue la police dans le maintien de l'ordre et les enquêtes. Tout d'abord, la police doit fonctionner en respectant l'état de droit. Il n'y a aucune exception à cette règle. Notre commissaire l'a déjà dit très clairement et c'est un principe auquel nous devons toujours adhérer. Cela vaut autant pour la GRC que les autres forces policières. La police doit connaître la loi ainsi que les instruments à sa disposition pour mener ses enquêtes.
Ensuite, nous examinons les faits, nous nous servons des instruments à notre disposition pour recueillir des preuves, dans le but de réunir suffisamment de preuves et de les présenter de façon à ce qu'elles soient acceptées par le tribunal. En consultant le procureur de la Couronne, nous déterminons si les allégations sont justifiées ou non. Si elles le sont, avec l'aide du procureur de la Couronne, nous présentons l'affaire au tribunal avec les preuves dont nous disposons et le tribunal détermine quelles sont les preuves qu'il juge acceptables. Le tribunal déterminera ensuite si l'accusé est coupable ou non et la peine à infliger, s'il y a lieu.
En ce qui concerne les questions législatives, la police a pour rôle d'indiquer si elle dispose des instruments voulus pour appliquer la loi telle que les législateurs l'avaient prévue. En cas de changement à la loi, nous devons voir si, en pratique, nous disposons ou non des instruments voulus pour faire notre travail, ce que l'on attend de nous et si la loi en tient compte.
Nous donnons notre opinion sur les grandes questions de l'heure et les problèmes que les rédacteurs législatifs n'ont peut-être pas vus. Il s'agit généralement de questions d'application pratique. Nous mettons également en lumière les ressources qui deviendront nécessaires suite à une nouvelle loi ou à une modification à la loi et nous les faisons connaître aux législateurs.
Les modèles présentés dans le document de discussion du ministère de la Justice offrent des options intéressantes et soulèvent certaines questions. Par exemple, la Charte sera probablement invoquée si la responsabilité criminelle ou les sanctions ne se fondent pas sur un lien direct entre l'acte commis et le tort causé.
Voilà qui termine ma déclaration liminaire, monsieur le président. Je suis à votre disposition, ainsi que le surintendant Jeggo, pour répondre à vos questions.
Á (1115)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Yaron.
M. Gil Yaron (directeur, Droit et politique, Shareholder Association for Research and Education): Bonjour. Au nom de la Shareholder Association for Research and Education, je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à participer à ces audiences. Le projet de loi C-284 répond en partie au besoin longtemps négligé d'assurer une meilleure reddition de comptes de la part des entreprises.
Je suis Gil Yaron, directeur de la législation et de la politique de la Shareholder Association for Research and Education, et j'exerce également le droit en Colombie-Britannique.
La Shareholder Association for Research and Education est un organisme national sans but lucratif né du mouvement syndical qui travaille auprès des investisseurs institutionnels pour promouvoir des méthodes de placement acceptables sur le plan social, économique et environnemental. Notre organisme représente des investisseurs affiliés dont l'actif total dépasse 1,5 milliard de dollars et plus particulièrement les fonds de pension des travailleurs canadiens.
Les fonds de pension et les régimes de prévoyance cherchent surtout à faire des placements qui répondront aux besoins des travailleurs et de leur famille pendant toute leur vie active et lorsqu'ils seront à la retraite. Pour s'acquitter de cette responsabilité, il faut éviter les risques qui diminuent le rendement des investissements et des gains réalisés par l'actionnaire, par exemple les placements dans des entreprises qui ont de lourdes dépenses attribuables aux accidents du travail ou à leurs responsabilités environnementales.
Votre comité a entendu des témoignages sur les questions juridiques et stratégiques entourant le projet de loi C-284 de même que sur les questions de procédure et de compétence.
SHARE appuie la norme énoncée dans le projet de loi en ce qui concerne la responsabilité des entreprises et les dispositions concernant la responsabilité de la société mère. Il faut que les régimes juridiques puissent transcender la fiction juridique de la personne morale afin d'assigner des responsabilités au personnel des entreprises pour les torts causés aux personnes et à l'environnement suite à des actes délibérés ou de la négligence.
Nous voudrions profiter du temps mis à notre disposition aujourd'hui pour présenter plusieurs arguments économiques en faveur de la responsabilité pénale des entreprises et parler des effets négatifs de certains comportements sur les régimes de pension et les caisses de prévoyance des travailleurs. Nous voulons répondre ainsi aux questions posées antérieurement par M. Macklin et d'autres membres du comité quant à la façon de remédier à des situations comme celle de Westray, une entreprise établie dans une région où l'économie est en perte de vitesse et dont la direction a pris des raccourcis sans que les travailleurs se plaignent des conditions de travail dangereuses de crainte de perdre leur emploi.
Nous faisons surtout valoir que les travailleurs et leurs familles sont non seulement touchés physiquement et émotivement par des tragédies comme celle de Westray, mais aussi par les conséquences économiques négatives que les irrégularités commises par l'entreprise ont pour leurs caisses de prévoyance et leurs régimes de retraite.
Nous faisons simplement valoir que, premièrement, les irrégularités commises par les entreprises diminuent les gains réalisés par les actionnaires et que, deuxièmement, le marché ne fonctionne bien qu'avec une réglementation rigoureuse qui favorise la transparence et la reddition de comptes et punit sérieusement les comportements illégaux des sociétés. Je voudrais simplement parler un peu de ces deux aspects.
Premièrement, les études faites sur le sujet depuis 25 ans démontrent une corrélation très nette entre la performance sociale des entreprises et leur performance financière. Plus précisément, elles montrent que les comportements illégaux ont des répercussions négatives sur les gains des actionnaires. Les entreprises qui ne se conforment pas aux normes prescrites assument des frais supplémentaires sous la forme d'amendes et de dépenses visant à remédier aux infractions, de pertes résultant des poursuites, de retards dans la production et d'autres coûts qui sont transmis aux actionnaires.
Dans le cas des infractions aux normes de santé et de sécurité, une étude américaine a démontré une «baisse immédiate et marquée» de la valeur des entreprises à la date à laquelle l'infraction était annoncée et pendant les trois années suivantes. Toujours dans la même étude on peut lire que les citations de: l'«OSHA (Occupational Safety and Health Administration) sont certainement considérées comme des nouvelles défavorables par les marchés et que l'OSHA semble avoir des pouvoirs suffisants pour influer sur la valeur de l'entreprise.»
Les données historiques sur Curragh Inc., la société propriétaire de Westray Mine, correspondent parfaitement à ces conclusions. Curragh était une société cotée à la Bourse de Toronto, de Montréal et de New York. Les jours qui ont suivi la catastrophe, le prix de ses actions est tombé de près du tiers, l'une des baisses les plus importantes de l'histoire de l'entreprise. J'ai joint à mon mémoire quelques diagrammes qui illustrent ce changement. Lorsque ces documents seront traduits, j'espère qu'ils seront mis à la disposition des membres du comité.
Á (1120)
En plus de leurs effets négatifs sur le rendement de l'investissement, ces agissements se répercutent également sur les avantages sociaux des travailleurs. Les accidents du travail et les décès augmentent le montant des prestations et des pensions payées aux travailleurs et à leurs bénéficiaires, ce qui finit par accroître le coût des primes et des contributions de l'employeur.
Dans le cas des régimes interentreprises, les autres entreprises doivent assumer les coûts résultant de la négligence d'un employeur.
Selon les chiffres de DRHC, en 1997, il y avait au Canada 12,3 millions d'employés. Sur ce nombre, il y a eu 818 décès et près de 400 000 blessures entraînant des congés de maladie.
Dans son rapport sur la catastrophe de Westray, le juge Richard précise que la valeur actuarielle totale des paiements faits aux travailleurs et à leurs familles se chiffrait entre 13,3 millions de dollars et 15 millions de dollars selon les estimations de la Commission des accidents du travail de Nouvelle-Écosse.
Ces études et ces données démontrent les effets négatifs des agissements illégaux des entreprises sur la valeur pour l'actionnaire. Les entreprises n'ont aucun intérêt à prendre des raccourcis, même dans des conditions économiques défavorables comme celles de Westray, étant donné que cela a des répercussions négatives à long terme sur le résultat financier.
Deuxièmement, le marché a besoin d'une réglementation rigoureuse pour réussir à dissuader les entreprises de mal se comporter. Malgré les incitatifs que je viens de décrire, l'augmentation continue des accidents du travail causant blessures et décès montre que le marché ne peut pas, à lui seul, faire en sorte que les entreprises ne mettent pas en danger la santé, la sécurité et l'environnement. Pourquoi?
Premièrement, le marché ne réagit que lorsque le non-respect des règles est sévèrement puni et lorsque la probabilité de se faire attraper est forte. Deuxièmement, le marché se contente de réagir. La valeur des actions dégringole une fois que le tort a été commis et non pas avant. Troisièmement, certaines personnes ont tendance à prendre des risques excessifs quel qu'en soit le coût pour l'entreprise. Il faut des sanctions pénales pour les dissuader. Quatrièmement, la réaction du marché et des médias ne suffit pas à empêcher la récidive. Des études ont démontré que malgré les réactions négatives du marché vis-à-vis d'agissements illégaux, les entreprises qui enfreignent la loi et causent des torts ont tendance à récidiver.
Pour faire en sorte que tous ceux qui interviennent se partagent la responsabilité des agissements de l'entreprise, il faut un vaste éventail d'instruments de réglementation. Il faut notamment reconnaître la responsabilité criminelle des personnes responsables et de la société, protéger efficacement les dénonciateurs, faire appliquer énergiquement la loi et la réglementation et éliminer les échappatoires fiscales qui permettent aux sociétés de déduire les amendes.
Par ailleurs, pour assurer la reddition de comptes et mettre en place des moyens de dissuasion efficaces, il faut que les sociétés soient tenues de divulguer entièrement leurs pratiques financières, sociales et environnementales. La divulgation de renseignements tels que les lignes de conduite et les dossiers de conformité permettra d'informer les investisseurs et le public et de prendre des mesures proactives pour remédier aux problèmes.
La Securities Exchange Commission des États-Unis se penche actuellement sur ce genre d'exigences et SHARE exhorte le comité à demander que les sociétés divulguent davantage leurs pratiques sociales et environnementales.
La divulgation est facile à obtenir au Canada. Toutes les sociétés cotées en bourse doivent déjà divulguer leurs documents financiers sur le SEDAR, un service central Internet établi par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières. Nous recommandons que les sociétés affichent leurs rapports de conformité sur le SEDAR.
De plus, nous exhortons les membres du comité à convaincre le gouvernement d'adopter la teneur d'un projet de loi d'initiative parlementaire antérieur, le projet de loi C-394, de façon à ce que tous les régimes de pension et les fonds mutuels révèlent dans quelle mesure ils tiennent compte des critères sociaux et environnementaux lorsqu'ils prennent des décisions d'investissement. Cette exigence a été imposée en Angleterre, en Australie et dans quatre pays de l'Union européenne, et cinq autres pays membres de l'UE envisagent d'en faire autant.
Cette exigence donne aux bénéficiaires la garantie que l'on tiendra compte des questions sociales lorsqu'on investira en leur nom. De leur côté, les investisseurs institutionnels presseront les sociétés de veiller à respecter ces critères.
Merci beaucoup.
Á (1125)
Le président: Merci.
Monsieur Sorenson, vous avez sept minutes.
M. Kevin Sorenson: Merci, monsieur le président.
Encore une fois, je vous remercie d'être venus.
Depuis un mois, nous examinons le projet de loi C-284 et j'en ai beaucoup appris.
Avant de venir à Ottawa, j'avais entendu parler de la tragédie de Westray. Lorsque nous avons amorcé cette étude, je croyais que ce serait de longues séances de dénigrement des sociétés. Westray est un bon exemple d'atrocité terrible.
J'ai deux ou trois questions à vous poser. Dans quelle mesure la GRC a-t-elle participé à cette enquête? Combien de policiers ont été affectés spécialement à l'enquête qui a été menée en Nouvelle-Écosse?
Monsieur Lenton, vous avez parlé de crime économique. Combien d'agents de la GRC s'occupent précisément de ce genre de délit? Le chiffre que vous nous avez donné de 319, est-ce pour tout le Canada?
Comm. adj. William Lenton: C'est exact. Le programme de la Police économique, qui se concentre surtout sur les infractions liées au marché, aux finances et à la fraude, regroupe environ 450 agents de la GRC. Les effectifs provinciaux sont constitués d'agents de la GRC qui sont toutefois rémunérés par les provinces aux termes d'une entente des services de police provinciaux. Bon nombre des fraudes relèvent du Code criminel et des compétences des provinces. Le programme de la Police économique de la GRC cible les infractions aux lois fédérales qui sont surtout des fraudes.
En ce qui a trait aux crimes commis par les entreprises que vise le projet de loi C-284, il s'agirait plutôt à mon sens de violations du devoir des dirigeants à l'égard de leurs employés, ce genre de choses, et cela relèverait plutôt de la police provinciale. Nos enquêteurs ou une équipe complémentaire aux enquêteurs réguliers qui n'ont pas suffisamment de pouvoirs et ont besoin d'information additionnelle mèneraient alors l'enquête en vertu du Code criminel.
En ce qui a trait à l'affaire Westray, je n'ai pas de chiffres précis, mais le nombre d'enquêteurs affectés à un dossier varie avec le temps. Au départ, on affecte un petit groupe d'agents qui tentent de déterminer ce qu'est le problème, de comprendre la dynamique et de voir dans quelle mesure on a dévié de la norme. Ils établissent les besoins et dressent ensuite un plan opérationnel.
Mais il faut d'abord nous assurer que nous avons compétence et s'il y a suffisamment d'indications justifiant le recours à tous nos outils d'enquête criminelle. Puis, on fait appel à des experts qui peuvent provenir de la GRC ou d'un ministère fédéral ou provincial qui disposent des connaissances dont nous avons besoin. Nous constituons alors une équipe assez nombreuse d'enquêteurs pour faire progresser l'enquête. À mesure que l'enquête se focalise, on peut réduire le nombre d'agents qui mettront la touche finale à l'enquête et présenteront le dossier.
N'oublions pas que le processus d'enquête criminelle ne se déroule pas nécessairement mieux s'il y a davantage de ressources. Tout doit se faire progressivement. On ne peut passer à la quatrième étape sans avoir d'abord franchi les étapes un, deux et trois. Voilà pourquoi on change le nombre d'agents affectés à une enquête au fur et à mesure qu'elle progresse, comme cela a été le cas dans l'affaire Westray.
Á (1130)
M. Kevin Sorenson: La GRC enquête surtout après le fait, comme dans le cas de la tragédie de Westray. Fait-on parfois appel à la GRC pour enquêter sur des plaintes relativement à des conditions de travail dangereuses? Cela aurait-il pu se produire dans le cas de Westray, par exemple? Je sais qu'on a fait venir des inspecteurs de la province.
Comm. adj. William Lenton: Je ne connais pas de cas où nous soyons intervenus de la sorte, mais cela ne veut pas dire que nous ne le faisons jamais. Nous sommes toujours prêts à recevoir des plaintes, qu'elles proviennent du syndicat ou de quiconque nous signale des irrégularités.
Alors, comme je l'ai dit, nous rassemblons une petite équipe pour évaluer le bien-fondé de la plainte et déterminer si elle est de notre ressort ou si nous pouvons en faire une affaire de notre compétence et ainsi recourir aux outils du droit criminel. Souvent, dans le domaine des crimes économiques et commerciaux, il s'agit plutôt d'affaires relevant du processus réglementaire civil que d'affaires criminelles.
Pour l'instant, je ne pourrais vous donner d'exemple où nous avons dû mener ce genre d'évaluation. Ce n'est quand même pas impossible que nous le fassions.
M. Kevin Sorenson: Je vois.
Quand on se penche sur l'histoire de la GRC et sur l'affectation des ressources au fil des ans, non pas ces dernières années—nous avons tendance à remonter seulement à 1993, mais même avant cela—, on constate que le service des crimes commerciaux est l'un de ceux qui a subi les plus grandes compressions budgétaires. Depuis un an, surtout depuis le 11 septembre, nous avons rétabli nos priorités et les enquêtes sur les fraudes...ces enquêtes sont d'une nature bien particulière et nécessitent des enquêteurs spécialisés. Ça me rappelle un livre que j'ai lu il y a environ un an intitulé «The Last Guardians» de Paul Palango. Il y souligne que pendant que le commissaire Inkster était à la tête de la GRC, c'est dans ce domaine qu'on a réduit le plus les ressources.
Ma question n'est peut-être pas liée directement au projet de loi C-284, mais sommes-nous vraiment efficaces? Il y a de plus en plus d'agences de sécurité privées au pays. Souvent, ces agences recrutent des agents de la GRC à la retraite, ou même des agents en poste au SCRS. Quelle est l'efficacité de votre service de police dans la lutte contre la criminalité économique et commerciale?
Á (1135)
Comm. adj. William Lenton: Il ne fait aucun doute que nous aimerions avoir davantage de ressources dans ce domaine. De même, tout le monde sait que les ressources qu'on peut mettre à la disposition de la police ne sont pas illimitées.
Nous établissons les priorités en fonction d'un certain système axé sur le renseignement—vous en avez certainement déjà entendu parler—et nous tentons de nous attaquer en priorité aux problèmes dont les incidences sont les plus grandes. Généralement, nous privilégions les dossiers où le crime organisé est impliqué parce que c'est un domaine où nous avons les outils, les capacités et le temps d'agir. Lorsqu'on consacre beaucoup de temps à un dossier de ce genre, les répercussions peuvent être grandes.
Pour ma part, j'estime qu'il y a une zone grise qui s'agrandit et que nous avons de plus en plus de mal à cerner. Voici ce que j'entends par cette zone grise: d'une part, il y a toute la série des infractions réglementaires de nature économique et commerciale; il y a déjà tout un système pour enquêter sur ces affaires et en traiter. Ceux qui sont chargés de ces dossiers s'acquittent très bien de leur rôle.
Toute une série de protocoles d'entente signés par la GRC et divers ministères stipulent que, au-delà d'un certain point, quand les choses se compliquent, quand il devient nécessaire de mener, par exemple, des opérations d'infiltration ou de faire de l'écoute électronique, quand l'enquête devient plus difficile, c'est la GRC qui prend la relève. Dès lors, nous dirigeons l'enquête, souvent en partenariat avec le ministère qui nous a saisis de l'affaire.
Quand on se voit obligé de restructurer et de restreindre les ressources, la GRC a tendance à se concentrer sur les priorités les plus importantes, les dossiers les plus difficiles et les plus complexes. Les organismes de réglementation, eux, s'occupent de leurs dossiers et, de plus en plus, la GRC se limite aux enquêtes les plus complexes, parce qu'elle n'a pas les ressources pour en faire plus. Lorsque certaines enquêtes outrepassent le mandat des organismes réglementaires, elles se retrouvent dans ce que j'appelle cette zone grise. C'est alors que d'autres groupes viennent prendre la relève et assument ces dossiers.
Le financement est donc un problème. La GRC a fait l'objet d'une injection importante de fonds, mais une bonne part de ces sommes étaient nécessaires simplement pour maintenir nos systèmes d'enquête. Pour mener des enquêtes, il faut faire des investissements considérables dans l'infrastructure et la technologie. Une bonne part du financement est prévue par la loi. Il nous est accordé à des fins précises et nous ne pouvons pas réaffecter ces sommes ailleurs. Nous devons les affecter là où le Conseil du Trésor nous l'indique.
Même si nous venons de recevoir des sommes importantes, nous serions heureux de plaider notre cause encore une fois et de souligner la nécessité d'investir davantage dans le domaine de la criminalité économique.
Le président: Merci beaucoup.
Je cède la parole à M. Lanctôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Merci, monsieur le président.
Les questions que je vais poser s'adressent surtout à la GRC.
Vous nous dites que c'est surtout après les faits que vous êtes appelés lorsqu'il y a un problème concernant les crimes qui portent sur la responsabilité criminelle des administrateurs des entreprises. Avez-vous des chiffres à nous donner?
Suite aux témoignages rendus, on a du blanc et du noir présentement. Plusieurs syndicats, dont les métallos entre autres, exigent que l'on modifie le Code criminel. Par contre, plusieurs juristes nous disent que le Code criminel a déjà les éléments nécessaires pour apporter agir en vertu de la négligence criminelle ou autrement.
Combien d'enquêtes sont faites? Est-ce qu'il y a vraiment des réussites? Les avocats viennent nous dire qu'il n'y a pas de problèmes. Mais il y a certainement un problème sinon Westray ne serait pas là. Il y a eu d'autres témoignages qui ont explicité des faits assez dramatiques. Cela fait en sorte que des catastrophes se produisent.
On parle beaucoup d'un manque de ressources pour faire respecter la Loi sur la santé et la sécurité du travail du Québec. Cela crée un énorme problème. Si vous aviez le financement nécessaire, est-ce que les éléments du Code criminel vous permettraient de faire enquête suite à des plaintes? À votre avis, est-ce que cela semble être le cas? On me dit que les plaintes de syndicats ou d'employeurs ne vous sont jamais parvenues, mais si vraiment on informe les gens en leur disant que cela existe et qu'on peut l'utiliser, est-ce vraiment simplement un problème de ressources ou doit-on changer le Code criminel?
Á (1140)
Comm. adj. William Lenton: Vous avez raison de dire que nous sommes plutôt réactifs lorsqu'il s'agit de crimes dont il est question ici aujourd'hui. Lorsqu'une plainte est reçue, nous pouvons enquêter. Dans le cas de Westray, si vous vous rappelez, des plaintes criminelles ont été déposées. Les causes criminelles n'ont pas porté fruit pour des raisons autres que purement législatives.
C'est sûr que si la législation était plus claire, ce serait plus facile pour nous de discerner une juridiction criminelle pour enquêter plus rapidement. Si une telle loi était prévue, c'est à ce moment-là que nous identifierions l'ensemble des ressources nécessaires afin de pouvoir nous acquitter des tâches additionnelles qui nous sont confiées. À ce jour et à ma connaissance, le rôle de la police n'est pas d'aller enquêter à l'intérieur des corporations afin de déterminer comment on fait certaines choses. Si on est là et qu'on nous demande d'y aller, on va y aller et on va enquêter. Cela s'applique à la GRC en raison de son contrat provincial. Cela peut aussi s'appliquer à la Sûreté du Québec ou à la Police Provinciale de l'Ontario ou à un autre service. Mais pour agir, la police a besoin d'une juridiction. Je crois qu'il y a juridiction pour enquêter dans le Code criminel tel qu'il est écrit présentement. C'est une question de recevoir la plainte et d'enquêter.
Est-ce que le fait d'avoir la juridiction pour enquêter rend l'enquête facile en soi? Non, loin de là. À mon avis, le problème, c'est surtout de savoir comment on peut imputer la responsabilité criminelle qui peut aller jusqu'à l'emprisonnement des responsables dans un scénario où on ne peut pas lier facilement le geste d'un individu à l'impact du geste. Quand plusieurs personnes sont assises autour d'une table de direction d'une compagnie et qu'elles prennent une décision, est-ce que l'une d'entre elles est plus responsable que les autres? À quel moment peut-on tirer la ligne entre l'employé, le chef d'équipe sur le plancher dans les usines et la direction de la compagnie?
L'approche que nous avons adoptée, compte tenu des outils que nous avons présentement, c'est d'y aller cas par cas. On examine ce qui est fait et comment cela se fait au sein de la compagnie. On regarde s'il y a moyen d'imputer la responsabilité à quelqu'un. Cela ne se fait pas uniquement par la police qui travaille seule dans son coin; on le fait en consultation avec les experts dans le domaine et les procureurs de la Couronne qui auront à plaider la cause ultimement. On en arrive finalement à décider si l'on a suffisamment de preuves pour justifier une poursuite criminelle.
M. Robert Lanctôt: Avez-vous les chiffres? Combien de fois les procureurs de la Couronne ont-ils trouvé qu'ils avaient assez d'éléments en vertu du Code actuel? Combien d'enquêtes pouvez-vous faire à cet effet-là? Suite aux enquêtes que vous faites, combien de cas aboutissent à une accusation en raison de la preuve qui peut être suffisante à la demande de la Couronne?
Comm. adj. William Lenton: Si vous parlez des plaintes concernant les manquements au Code du travail envers les employés des compagnies, comme dans le cas de Westray, je n'ai pas les chiffres exacts. Je doute fort qu'ils soient élevés, parce que la plupart de ces choses, surtout quand elles sont faites du côté préventif, sont faites par ceux qui ont le mandat de s'en occuper. Alors, c'est rare. Normalement, lorsqu'on constate qu'une compagnie a mal agi ou qu'elle n'a pas agi, ce sont les régulateurs qui sont chargés de l'aviser. Dans la plupart des cas, les compagnies vont modifier leur conduite. C'est pour cette raison que nous n'avons pas de ressources consacrées spécifiquement à ce genre d'enquête.
Á (1145)
M. Robert Lanctôt: Parce qu'il n'y en a pas beaucoup.
Comm. adj. William Lenton: Parce qu'il n'y a pas beaucoup d'enquêtes et parce qu'on est rarement appelés à faire ce genre d'enquête, c'est-à-dire intervenir au niveau criminel dans ce genre de cause.
M. Robert Lanctôt: D'après votre expérience, est-ce que c'est dû, justement, au manque de précisions dans le code? Ça existe avec la négligence criminelle, quand même. Donc, on n'utilise même pas la négligence criminelle pour se rendre aussi loin.
Est-ce que c'est dû au manque de plaintes ou au manque de ressources?
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Lanctôt.
Monsieur Lenton, allez-y.
[Français]
Comm. adj. William Lenton: L'un va avec l'autre. Si on n'a pas de plaintes, on ne va pas mettre beaucoup de ressources pour enquêter, étant donné qu'il y a plein de plaintes pour lesquelles on n'a pas les ressources adéquates pour enquêter. Jusqu'à maintenant du moins, c'est un domaine où la société canadienne a laissé le contrôle des choses à la régulation. Oui, il y a moyen de nous impliquer, nous ou un autre service de police, si on le juge nécessaire, mais à ma connaissance, ça n'arrive pas trop souvent.
[Traduction]
Le président: Merci.
C'est maintenant au tour de M. Peter MacKay.
M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins d'être venus.
La première des questions qui me vient à l'esprit est celle des ressources qui revient constamment, surtout relativement aux tragédies comme celle de Swissair, qu'on a déjà mentionnée, les meurtres en série qui ont été commis en Colombie-Britannique, les catastrophes minières qui se sont produites dans les Territoires et bien sûr, la tragédie de Westray, le sujet de ce projet de loi. À mon avis, le manque de ressources mène à un autre problème, à des retards. Lorsque des tragédies se produisent, il est tout à fait normal qu'on s'occupe d'abord de secourir les survivants et les victimes.
Dans le cas de Westray, cela a influé sur la préservation des éléments de preuve, surtout qu'il a ensuite été décidé d'inonder la mine.
Vous avez lu le projet de loi. Voici donc ma question: je comprends que votre rôle n'est pas de rédiger des lois pour nous, mais, avec cette mesure législative, la police aurait-elle été en mesure de déposer des accusations plus tôt? Une période assez longue s'est écoulée entre le moment où on a recueilli les éléments de preuve et les pièces à conviction et le dépôt des accusations après consultation de la Couronne.
Ce projet de loi, à sa face, ou plutôt la teneur du projet de loi, comme le dit M. Lanctôt, qui tente d'établir la responsabilité des personnes morales, vous aurait-il servi à la toute première étape, au moment d'établir s'il y avait des motifs raisonnables de déposer des accusations?
Comm. adj. William Lenton: Il est certain que lorsque la loi est plus claire, on peut déterminer plus rapidement si on a suffisamment de preuves pour étayer les allégations. Toutefois, ce n'est pas nécessairement le libellé de la loi qui détermine la complexité des enquêtes qu'on doit mener pour prouver les allégations. Il y a bien sûr toujours des questions de formulation qui se posent, notamment en ce qui concerne la Charte.
Mais même si le libellé de la loi était modifié, cela ne réglerait pas le problème de l'accès aux documents, le problème de savoir où sont les documents, comment les obtenir et qui constituent l'âme dirigeante d'une entreprise. Je ne connais pas tous les détails, je n'ai pas enquêté sur l'affaire Westray et je n'en connais pas tous les détails.
Mais lorsqu'on tente d'identifier l'âme dirigeante d'une entreprise, on doit se demander si certains des dirigeants ne sont pas à l'étranger, si des directives ne sont pas venues d'ailleurs, peut-être justement de l'étranger, si des décisions n'auraient pas été prises dans un autre pays. Il y a toute une série de questions auxquelles il faut trouver réponse. Pour ce faire, il faut passer en revue les dossiers de l'entreprise et, surtout dans un cas comme celui-ci, établir si la compagnie a fait preuve de toute la diligence raisonnable pour éviter la catastrophe.
Il s'agit alors de voir si l'absence de diligence est évidente. Pour ce qui est d'établir le coupable, dans le cas d'un meurtre, ça peut être très simple: si vous trouvez sur la scène d'un meurtre un cadavre et une personne en possession d'une arme à feu et que les tests balistiques prouvent que le crime a été commis avec cette arme, vous pouvez prouver avec une assez grande certitude ce qui s'est produit. Mais il peut être moins facile de prouver pourquoi le meurtre a été commis et de réfuter les défenses invoquées. La police doit enquêter non seulement sur ce qui est évident, mais sur ce qui l'est moins. Notre rôle est de brosser pour les tribunaux le tableau le plus clair et précis de ce qui s'est passé. Voilà pourquoi je dis que l'enquête se complexifie, parce que les règles de la preuve s'appliquent alors.
Peu importe alors si le texte de loi est très clair; les règles de la preuve doivent être respectées, les règles de la communication de la preuve doivent être respectées. Tout cela peut compliquer et prolonger l'enquête et rendre difficile ce qui, à première vue, aurait semblé simple en fonction du texte de loi.
Á (1150)
M. Peter MacKay: Je suis d'accord, et je vous remercie de cette réponse très détaillée. Il est vrai que bon nombre de ces facteurs ont joué. Vous avez aussi dit que vous ne connaissez pas tous les détails de l'affaire Westray. Moi, je travaillais au bureau des procureurs de la Couronne qui s'est occupé de cette affaire, et je sais que tous ces facteurs ont joué. Il a été très difficile d'établir la chaîne de commandement à l'aide des documents de l'entreprise et aussi de communiquer toute la preuve à l'étape du procès.
J'aimerais toutefois revenir à l'idée de simplifier la loi de façon à ce que la culpabilité... En l'occurrence, les questions de preuve que vous avez soulevées se sont indéniablement posées, mais, avant de pouvoir porter des accusations, la police doit trouver un niveau minimal de preuve et, dans ce projet de loi, ce niveau minimal se traduit par une description précise de l'âme dirigeante, des administrateurs, des gestionnaires, de ceux qui sont en mesure d'exercer leur autorité et de prendre des décisions, qu'il s'agisse d'omission ou de commission. À mon sens, c'est ça qui est au coeur de nos travaux, l'inclusion d'une formulation de ce genre.
Que ce soit sous la forme actuelle du projet de loi ou non, croyez-vous qu'en incluant ce genre de directive précise sur ceux qui devraient faire l'objet d'accusations et qui seraient coupables d'actes de négligence criminelle dans son sens large, dans les cas de tragédies telles que celle de Westray et peut-être même de Swissair...? Plus une enquête est longue, plus de temps s'écoule avant que les accusations soient portées, plus il est difficile, par la suite, de produire des preuves, de préserver les preuves et de surmonter tous les obstacles liés à la preuve.
Croyez-vous qu'en fixant un critère simple et clair au départ, pour l'accusation comme telle, on simplifierait le processus dans son ensemble?
Comm. adj. William Lenton: Il est certain que, s'il y a un texte de loi précis qui s'applique à ce sur quoi nous enquêtons, c'est beaucoup plus facile. Vous n'avez pas à convaincre les gens qu'il s'agit de négligence criminelle, vous n'avez pas à expliquer ce que c'est et à tenter d'imputer la responsabilité. C'est très direct et très précis.
En tenant pour acquis qu'on peut libeller le texte de loi de façon à ce qu'il soit jugé constitutionnel, je répondrais que, oui, ce serait plus facile. La police aimerait avoir des outils plus simples—et pas seulement la police. Ce qui est encore plus important, c'est que les administrateurs des entreprises sauront eux aussi avec précision quelles sont leurs responsabilités et ils agiront en conséquence.
Et cela va au-delà des administrateurs, jusqu'aux membres des conseils d'administration qui prennent des décisions. Les conseils d'administration prennent des décisions importantes et, parfois, leurs membres n'ont pas toutes les connaissances qu'ils devraient avoir si nous voulons les tenir responsables des décisions de leur conseil d'administration.
Plus de clarté serait donc utile dans ce sens. Si c'est ainsi que le gouvernement souhaite exprimer sa politique dans ce domaine, la police examinera le texte précis qu'on lui présentera, le commentera et l'appliquera comme il se doit.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Macklin, vous avez la parole.
M. Paul Harold Macklin: Monsieur Yaron, j'aimerais que vous m'expliquiez comment, à votre avis, la direction d'une entreprise devrait fonctionner. Vous semblez dire qu'une structure organisationnelle qui permet le respect de toutes les règles est préférable.
Vous avez fait allusion à certaines remarques que j'ai faites sur Westray. J'aimerais savoir comment ce que vous préconisez aurait permis d'éviter ce désastre. Quels effets positifs plutôt que négatifs auraient eu vos suggestions dans un cas comme celui de Westray?
Á (1155)
M. Gil Yaron: Je ne connais pas intimement les décisions qui ont été prises par la direction en l'occurrence mais il est clair que si elle avait tenu compte des responsabilités potentielles qu'aurait pu entraîner un tel accident au départ et si elle avait pris des mesures pour former correctement les travailleurs et nettoyer la mine pour que les travailleurs puissent y travailler en sécurité, ce genre d'accident ne se serait pas produit. Et à notre avis, la société aurait été en meilleure situation financière après le 9 mai 1992. Elle n'aurait pas nécessairement subi le revers qu'elle a subi.
M. Paul Harold Macklin: En l'occurrence, le problème était véritablement d'ordre économique, c'est l'économie que tout le monde avait à l'esprit, mais la direction n'a jamais choisi l'option de la sécurité à cause de ces considérations économiques. Or, il me semble que vous avez dit que l'économie était le facteur qui guidait les entreprises vers des résultats positifs, mais cela n'a pas été le cas. En l'occurrence, c'est l'économie qui a été l'argument de base, mais cela n'a jamais débouché sur un résultat positif.
M. Gil Yaron: Mais cela va de pair avec un cadre de réglementation qui délimite le marché, c'est-à-dire qu'il y a des sanctions qui tiennent compte de ces facteurs extérieurs et qui font qu'il est imprudent de la part d'un conseil d'administration ou d'une direction d'agir d'une certaine façon. En l'occurrence, comme dans bien des cas aujourd'hui, je crois qu'on ne risque pas ce genre de sanction économique si l'on viole la loi ou la réglementation, et c'est pour cela que les entreprises n'intègrent pas ces effets externes dans leur comptabilité. Si elles le faisaient, je crois que la direction aurait agi différemment dans le cas dont nous parlons.
Les sociétés commencent à le faire dans le contexte du réchauffement de la planète. Vous connaissez sans doute des problèmes comme celui des ateliers clandestins. Il y a des entreprises qui essaient de régler ce genre de problèmes parce qu'elles se rendent compte des retombées financières que peuvent avoir les réactions négatives des consommateurs, les boycotts, les procès et toutes sortes d'autres conséquences économiques si elles n'interviennent pas. Mais c'est vrai que dans le cas de Westray, cela n'a pas été le cas.
M. Paul Harold Macklin: Allons un peu plus loin car nous parlons ici de quelque chose de très général. Nous parlons d'une loi qui s'appliquerait à tout un éventail d'entreprises, non seulement publiques mais aussi privées. De nombreuses sociétés privées continuent de mettre en danger l'existence de leurs employés parce qu'elles s'obstinent à ne pas respecter une bonne réglementation de la sécurité du travail.
Comment voyez-vous les choses dans le cas par exemple de Jim's Lawn Care, une société constituée en personne morale? Ce monsieur a de nombreux employés mais il ne respecte pas nécessairement les règlements sanitaires et de sécurité. En quoi votre argument économique le touche-t-il? Il est le seul actionnaire de sa société et s'il ne suit pas la voie que vous préconisez, pour une raison quelconque, en quoi votre argument peut-il le toucher?
M. Gil Yaron: C'est effectivement plus compliqué dans le cas des entreprises privées, mais je crois que les mêmes principes économiques entrent en jeu. La seule différence, c'est qu'au lieu d'avoir des actionnaires, ils traitent avec des consommateurs. Je vais prendre comme exemple les restaurants.
Les inspecteurs qui sont allés contrôler des restaurants à la suite d'incidents ont souvent constaté que les locaux étaient dans un état épouvantable. Les établissements violaient de nombreux règlements sanitaires et de sécurité. La conséquence, c'est que les clients ont cessé d'aller dans ces restaurants et que les affaires ont donc moins bien marché.
Dans la deuxième partie de mon exposé, j'ai parlé de divulgation. Si l'on met en lumière ce genre de situations à l'avance grâce à des dossiers de divulgation et d'observation, ou à d'autres types de documents, les actionnaires et les consommateurs peuvent prendre certaines décisions, ce qui fait que les entreprises sont obligées de tenir compte de ce genre de choses.
 (1200)
M. Paul Harold Macklin: Que devrions-nous faire dans le contexte de la loi que nous examinons ou des principes juridiques que nous examinons pour éviter, faute d'un meilleur terme, cette culture d'entreprise qui consiste à ne tenir aucun compte des questions de santé et de sécurité?
M. Gil Yaron: Je crois, par exemple, que cette norme de responsabilité pénale des entreprises est—
M. Paul Harold Macklin: Mais est-ce que nous parlons maintenant d'une norme de culture d'entreprise ou d'une norme pour la direction? Quelquefois, les choses deviennent assez nébuleuses. Je crois que nous essayons dans une certaine mesure de faire la distinction entre les deux, même si vous les regroupez dans le modèle actuel d'identification parce que vous parlez de l'esprit—de l'esprit d'entreprise—qui a désigné la ou les personnes qui ont effectivement tracé la ligne de conduite de la société.
Mais si vous essayez de séparer les deux en considérant qu'il s'agit d'une culture d'entreprise, d'une notion distincte, par opposition au modèle d'identification actuel...?
Le président: Merci, monsieur Macklin.
M. Gil Yaron: Excusez-moi, où voulez-vous en venir?
M. Paul Harold Macklin: La question est la suivante: pouvez-vous nous dire comment ou si vous pensez que nous pourrions nous appuyer sur la culture d'entreprise pour porter certaines accusations criminelles—autrement dit, porter des accusations qui reposeraient sur la notion globale de fonctionnement d'ensemble d'une entreprise, au lieu de nous en tenir simplement à l'esprit directeur de cette entreprise et de chercher à trouver cet esprit directeur?
Parfois, il est loin d'être facile de trouver cette âme dirigeante et pourtant on sait très bien qu'il y a quelque chose qui cloche dans le fonctionnement de l'entreprise, et dans l'esprit de la population, il y a quelque chose de criminel là-dedans.
M. Gil Yaron: Je crois en effet qu'il est important d'établir une norme de culture d'entreprise—cette notion de responsabilité de «l'entreprise globale» à l'égard des actes de ses agents et de ses représentants, quand on définit la notion de responsabilité pénale des entreprises.
En l'occurrence, je crois que nous avons affaire à des méfaits particulièrement flagrants. Dans ce cas précis, je crois qu'il faut absolument que l'on puisse attribuer la responsabilité à l'ensemble de l'organisation, parce qu'on va alors engendrer une culture de responsabilité au sein de toute l'institution. Les gens deviennent responsables des actions d'autrui et l'institution est responsable globalement, de sorte qu'à terme on assiste à une plus grande attitude de responsabilité dans l'ensemble de l'institution.
Si l'on s'en tient à rechercher l'âme dirigeante, non seulement on a des difficultés à établir les preuves, mais on permet fondamentalement à des individus de refiler les responsabilités à d'autres et de se dédouaner complètement pour leur participation aux activités de la société.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Cadman, vous avez trois minutes.
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.
Je voudrais poser ma question au commissaire adjoint Lenton. Vous avez parlé de la divulgation, un peu plus tôt. Cela nous éloigne peut-être un peu de la question dont nous traitons, ou peut-être pas, mais dans quelle mesure les règles de communication de la preuve à la partie défenderesse représentent-elles un obstacle au travail des policiers?
Il m'est certes déjà arrivé d'entendre des policiers et des procureurs du ministère public se plaindre, notamment lors d'un procès pour trafic de narcotiques, des deux millions de pages imprimées et des 34 000 cassettes d'enregistrement d'écoute électronique qui ont été exigées et de l'effet énorme que cela a eu sur leur capacité de poursuivre en justice. Nous avons entendu des choses semblables au sujet des procès pour pornographie infantile, lorsqu'il s'agit du traitement des images.
Je me pose donc la question. Dans le domaine des infractions commerciales, dans quelle mesure ces règles sur la divulgation de la preuve constituent-elles un obstacle?
Comm. adj. William Lenton: La divulgation de la preuve joue un rôle important dans toutes les enquêtes que nous entreprenons, qu'il s'agisse de grandes enquêtes ou d'enquêtes sur des infractions commerciales. Pour l'essentiel, c'en est au point où nous devons, dès le début ou tout près du début d'une enquête, affecter à l'enquête des spécialistes en divulgation de la preuve. En collaboration avec le service fédéral des poursuites, nous examinons divers modèles qui nous permettraient de respecter cette obligation de façon continue, et dès le début de l'enquête.
En matière de divulgation de la preuve, il y a, en réalité, deux éléments fondamentaux. Le premier, c'est l'étendue et l'importance de la divulgation après une enquête qui dure depuis deux ou trois ans et qui peut avoir compris des écoutes électroniques en vertu de la partie VI ainsi que, éventuellement, des opérations secrètes d'infiltration. Il y a donc tout l'aspect de la quantité de preuves à communiquer. Il faut s'assurer que la divulgation est complète, tout en protégeant ce qui doit être protégé. Je parle évidemment de la protection des informateurs et des techniques d'enquête qu'il ne convient pas de divulguer dans ce contexte. Voilà donc une première question qu'il faut régler.
L'autre question est celle de la production en temps utile. Si les accusés sont arrêtés et sous garde, une enquête sur leur cautionnement peut intervenir dans les huit jours après leur arrestation. Une bonne partie de la divulgation doit déjà être prête à ce moment. On peut parfois obtenir des délais de production, mais, en réalité, très peu de temps après que l'enquête est terminée, il faut être prêt à passer à l'étape suivante.
Cela peut représenter une difficulté considérable si vous avez beaucoup d'éléments de preuve à communiquer et si vous ne vous êtes pas préparé en conséquence auparavant. Nous n'avons pas toujours la maîtrise du moment où l'enquête se termine. Nous pouvons avoir prévu un moment où elle se terminerait, mais certains facteurs peuvent intervenir et, tout à coup, on se trouve contraint à mettre fin prématurément à des travaux qui devaient durer plus longtemps. On se trouve alors obligé de passer à la divulgation dans de très brefs délais.
Il s'agit donc d'une question très importante. Elle absorbe une part toujours croissante de nos ressources et elle a considérablement modifié notre façon de faire des enquêtes, parce que tout ce que les enquêteurs font va, en définitive, se retrouver entre les mains de la partie défenderesse. Les enquêteurs doivent donc respecter les règles et justifier tout par écrit, aussi clairement que possible.
M. Chuck Cadman: Merci. Et merci, monsieur le président.
 (1205)
Le président: Merci.
Monsieur Maloney, vous avez trois minutes.
M. John Maloney: Monsieur Yaron, un des thèmes de votre exposé est qu'il est rentable pour une entreprise d'instaurer un bon programme de santé et de sécurité au travail pour éviter ainsi les blessures qui pourraient se produire. D'après votre expérience des assemblées d'actionnaires et des assemblées annuelles, y présente-t-on des rapports comparant, d'une année à l'autre, le nombre de demandes d'indemnisation pour accidents du travail, ou des rapports sur le nombre de journées perdues et d'accidents? L'attitude généralisée consiste-t-elle plutôt à dire: «Tout ce qui m'intéresse, c'est le bilan»—autrement dit, combien de bénéfices a-t-on faits?
M. Gil Yaron: Dans le passé, vous avez raison, on n'accordait pas beaucoup d'attention à ce genre de choses. Par contre, ces dernières années, on a vu paraître des déclarations de responsabilité sociale. Les banques sont maintenant obligées de le faire. Toutes les grandes banques produisent annuellement des déclarations de responsabilité publique. Un bon nombre de sociétés, notamment dans le secteur des ressources naturelles, ont commencé à publier des rapports annuels qui font état de leurs pratiques sociales et environnementales pour l'année écoulée.
Ce n'est exigé par aucune loi et les renseignements fournis varient en quantité et en qualité. Il n'en demeure pas moins que les sociétés se rendent compte que les actionnaires se préoccupent de ces questions et qu'ils peuvent, à long terme, engager la responsabilité des sociétés en question.
M. John Maloney: Mais vous êtes un défenseur des actionnaires.
M. Gil Yaron: C'est exact.
M. John Maloney: L'association souligne-t-elle aux sociétés qu'elles devraient peut-être s'orienter vers ce type d'activité?
M. Gil Yaron: Absolument.
M. John Maloney: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci.
Monsieur Lanctôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Merci, monsieur le président.
Monsieur Yaron, vous nous dites que vous êtes favorable au principe du projet de loi. On voit que le projet de loi veut aller au-delà de la théorie de l'identification pour l'élargir, soit par le biais de la théorie de la culture organisationnelle, soit par celui du principe de responsabilité du fait d'autrui. On veut élargir le concept d'âme dirigeante.
Lorsque vous dites que vous êtes favorable au projet de loi, est-ce que vous croyez que ce dernier est assez précis pour amener les éléments de preuve nécessaires qui feraient que les enquêtes permettraient de trouver les responsables?
Est-ce qu'en mettant de l'avant la théorie de la culture organisationnelle, plutôt que celle de l'identification, on ne crée pas un problème? Trouver la preuve équivaudrait alors à avoir moins de possibilités de déclarer les administrateurs responsables.
 (1210)
[Traduction]
M. Gil Yaron: Permettez-moi d'abord de dire que nous sommes en faveur des principes et des normes imposés par le projet de loi, mais pas nécessairement en faveur du libellé actuel du projet de loi. Je crois qu'il existe en fait des moyens de l'améliorer en l'élargissant un peu et en le rendant plus explicite.
D'après mon interprétation du projet de loi, il peut y avoir une norme de responsabilité axée sur la culture organisationelle ainsi qu'une identification des personnes directement responsables. Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que l'un n'exclut pas l'autre.
Cela dit—et je devrais probablement céder la parole à mes collègues pour cette question—je ne considère pas que la norme de la culture organisationnelle impose un fardeau de la preuve beaucoup plus lourd que celui que prévoit la norme de l'âme dirigeante. Dans le projet de loi, les façons de cerner ce qu'est la culture organisationnelle...il y a trois ou quatre choses, telles que des politiques...
Désolé, je n'ai pas le projet de loi sous les yeux pour m'y reporter. Il y a cependant certains éléments qui définissent ce qui constitue l'acte de créer cette culture organisationnelle. Ces dispositions-là me semblent claires et faciles à prouver ou elles sont du moins aussi faciles à prouver que celles qui prévalent pour la norme actuelle, celle de l'âge dirigeante.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.
Je vais suivre sur la même lancée. Lorsqu'on parle de modifier le Code criminel, on parle en fait de la reddition de comptes a posteriori. J'imagine que ce que nous voulons tous, y compris vous-même, c'est de parvenir à une certaine prévention, un certain effet de dissuasion.
Je pose ma question aussi bien à M. Yaron qu'au commissaire adjoint. Pensez-vous que ces dispositions ont l'effet voulu, qu'elles définissent une ligne de démarcation pour les membres des conseils d'administration et les gestionnaires, ligne de démarcation qui aurait justement cet effet dissuasif. Je m'intéresse à vos réponses, à tous deux.
Cela ne va évidemment pas se produire du jour au lendemain. Du point de vue de la police, je soupçonne que, dans un premier temps, cela pourrait entraîner plus d'enquêtes. Mais on peut espérer qu'au fil du temps, à mesure que changent les attitudes et que les gens se conscientisent, cette modification de la culture organisationnelle, ce changement des comportements, finiront par se concrétiser. Pensez-vous que cette modification du Code criminel permettrait éventuellement d'obtenir les résultats souhaités?
Comm. adj. William Lenton: Je répondrai le premier. Je vous remercie pour cette question puisque je n'ai pas eu le temps d'aborder le sujet lors de mes remarques antérieures.
En ce qui a trait à la méthode interventionniste, du côté du maintien de l'ordre, tout gravite autour des droits d'accès. Serait-il souhaitable que les services de police pénètrent dans l'usine au gré de leurs envies, n'importe quel jour de l'année, pour évaluer le bon fonctionnement de cette usine?
Cela touche les aspects de la vie privée. Comment permettre aux services de police d'avoir accès aux salles de réunion du conseil d'administration pour qu'ils puissent déterminer si ce conseil prend les bonnes décisions, s'il prend tous les aspects d'une question en compte tout en respectant le droit à la vie privée et la protection contre des perquisitions et saisies injustifiées, le genre de choses comprises dans la Charte?
Vous parlez d'être interventionniste, et c'est une notion compliquée. Je crois que c'est la raison pour laquelle jusqu'à présent ce genre de question a été traitée sous l'angle des dispositions réglementaires et leur lien avec le permis—si vous me passez cette expression—d'exploiter une entreprise de quelque nature que ce soit. La possibilité pour cette entreprise de poursuivre ses activités, sa survie en quelque sorte, dépend de ce permis. Et ce permis est lié au consentement de cette entreprise à s'assujettir à l'examen jugé nécessaire par les autorités compétentes.
À l'heure actuelle, on tente de définir le juste milieu entre les services de l'ordre qui pénètrent dans un établissement au gré de leurs envies et une liberté totale de l'entreprise sur laquelle aucun contrôle n'est exercé.
 (1215)
M. Peter MacKay: À cet égard, savez-vous si dans certains cas, sinon couramment, des inspecteurs de ce cadre réglementaire habilités à être plus interventionnistes sont étroitement liés aux services de police? Arrive-t-il que des inspecteurs demandent l'assistance des services de police lorsqu'ils jugent qu'un lieu de travail est dangereux, qu'ils ont essayé au préalable d'exercer leur autorité, mais sans succès?
Je n'ai pas l'impression que ce soit le cas à l'heure actuelle.
Le président: Commissaire Lenton.
Comm. adj. William Lenton: Effectivement, je ne crois pas que ce soit le cas, du moins ce n'est pas la norme. Toutefois, il n'est pas impossible que cela se produise.
Dans pareil cas, nous travaillerions avec les organes de réglementation pour tenter d'établir les paramètres de la discussion. Nous tenterions de déterminer si nous avons les motifs nécessaires pour procéder à une enquête, et souvent cela se traduit par la détermination des motifs nécessaires ou la possibilité de réunir les motifs nécessaires pour obtenir un mandat de perquisition.
C'est dans cette mesure que des lois plus précises nous faciliteraient la tâche de la rédaction d'un mandat de perquisition qui nous donnerait accès au lieu, tout en respectant les droits de la protection des renseignements personnels garantis par ces lois. Toutefois, cela nous donnerait les outils nécessaires pour procéder à l'enquête sur l'infraction en question. Plus l'infraction est manifeste, plus il est facile de respecter le cadre des liens qu'il faut établir entre le comportement et l'infraction qui nous permettent par la suite de mettre en branle nos pouvoirs d'enquête pour résoudre ou examiner la situation plus en profondeur.
Le président: Je crois que M. Yaron souhaite faire une observation, puis ce sera M. Lee.
M. Gil Yaron: Pour répondre brièvement à votre première question, monsieur MacKay, notre expérience à titre d'investisseurs dans d'autres pays dont les entreprises sont tenues de respecter ce genre de normes ou d'exigences, nous a démontré qu'une réaction manifeste s'est produite et a donné lieu à un changement de culture organisationnelle au profit, à mon avis, des actionnaires à tout le moins. Je pense plus précisément à la Grande-Bretagne, où de nouvelles exigences pour les caisses de retraite obligent celles-ci à révéler dans quelle mesure elles tiennent compte des pratiques sociales et environnementales des entreprises dans lesquelles elles investissent. Cela a donné lieu à des réactions en chaîne, puisque ces caisses de retraite font pression auprès des entreprises dans lesquelles elles investissent pour que celles-ci définissent plus clairement leurs politiques sociales et environnementales. Les entreprises y consentant, cela donne lieu à une surveillance continue de ces pratiques et de leur incidence sur la valeur pour l'actionnaire.
À la longue, je crois effectivement que l'on assiste à ce genre de résultats dans ce contexte. À savoir si cette disposition particulière de responsabilité criminelle des entreprises aura le même effet, je crois que l'avenir nous le dira puisqu'elle n'a été introduite que tout récemment dans bien d'autres pays.
Le président: Je vous remercie beaucoup.
Monsieur Lee.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci.
Je destine mes observations à la Gendarmerie royale du Canada. À la lecture du projet de loi, il m'a semblé que les services de police étaient convertis en inspecteurs de sécurité au travail. En raison du libellé actuel de cet avant-projet de loi—ou dans sa structure actuelle—si l'on déposait une plainte de conditions de travail dangereuses, la police devrait se rendre sur les lieux et vérifier la situation. Ainsi, si un syndicat, un citoyen ou qui que ce soit croyait que les conditions de travail étaient dangereuses dans une entreprise, il pourrait téléphoner à la police et dire «Je crois que je suis témoin d'une infraction». La police devrait donc se rendre sur les lieux et vérifier si, par exemple, la scie circulaire est bien protégée. Il n'est pas seulement question de conditions de travail dans les mines, mais de toute une kyrielle de situations. Si ce changement était adopté, il aurait donc des conséquences énormes.
Pour en revenir à la négligence criminelle, le vecteur de choix... Je comprends que la police tente d'éviter de critiquer la position du législateur, mais pour en venir à ce qui s'est produit à Westray, votre section des délits commerciaux est-elle au courant des éléments négatifs du régime actuel en vertu desquels s'il y avait présomption de négligence criminelle, la GRC aurait un problème structurel à recueillir les preuves auprès des dirigeants ou des ouvriers? Avez-vous des réactions à ce sujet? Je fais référence à la loi en vigueur par opposition à la loi proposée.
 (1220)
Comm. adj. William Lenton: Comme je l'ai dit un peu plus tôt, nous évaluons chaque cas différemment, selon son contexte. En d'autres termes, de quels faits sommes-nous au courant ou quels faits nous présente-t-on, quel travail a déjà été entrepris par d'autres entités, que ce soit les organes de réglementation ou autres? Puis, il nous faut suffisamment d'indices pour enclencher, si vous voulez, l'enquête criminelle.
Tout dépend de ce que l'on souhaite faire. Si, à notre avis, l'étape suivante consiste à rencontrer les ouvriers, nous pouvons nous présenter à l'usine et être invités à discuter avec eux. D'un autre côté, si notre objectif est de fermer l'usine et de procéder aux fouilles nécessaires, cela nécessitera un mandat de perquisition. La perspective est bien différente.
Dans l'hypothèse où, par exemple, nous aurions les preuves et les motifs suffisants pour défendre un scénario factuel qui nécessiterait l'emploi d'autres techniques d'enquête—pour déterminer exactement ce qui s'est produit avant la tragédie—nous évaluerions le cas.
La loi en vigueur le permet. Nous pouvons y avoir recours. On nous demande très peu souvent d'agir dans ce contexte. On ne fait pas appel à nos services très fréquemment dans de tels cas. Une nouvelle loi changerait-elle cela? Oui, sans doute. Notre organisation souhaiterait-elle, dans le cadre de ses ressources actuelles, être appelée à vérifier si la scie circulaire est bien recouverte et ce genre de chose? Nous ne le souhaiterions sans doute pas et nous ne prendrions pas notre participation à ce genre d'activité à la légère. Nos policiers sont très bien formés. Il est très coûteux de déployer nos effectifs. Nous voulons donc nous assurer qu'ils sont employés à bon escient et pour les infractions criminelles les plus graves.
S'il y a d'autres façons pour la société de régler ces problèmes, elles devraient être employées d'abord. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, si cette proposition faisait partie de la nouvelle loi, nous devrions d'abord tenter de déterminer ce que cela représenterait en fait d'utilisation de nos ressources, si cette loi exerce effectivement ce genre d'influence sur nos activités.
M. Derek Lee: À votre connaissance, y a-t-il eu enquête, par votre unité, pour négligence criminelle causant des lésions corporelles ou la mort?
Comm. adj. William Lenton: Qui soit en cours? Pas que je sache. Je ne sais pas si le surintendant Jeggo le saurait?
M. Derek Lee: Ce que j'entends par là, c'est que si la loi est si dysfonctionnelle qu'on n'a jamais à en traiter, on pourrait avoir un problème de politiques. Mais si vous pouvez nous dire que oui, nous avons fait quelques enquêtes, par exemple, dans une fabrique de chaussures où les clous volaient partout, si bien qu'un pauvre employé a perdu un oeil, et que nous avons enquêté...
Dites-nous si, en vertu de la loi actuelle, la négligence criminelle causant des lésions corporelles existe vraiment en milieu de travail. Avez-vous enquêté, ou avez-vous connaissance d'enquêtes de ce genre?
Le président: Merci, monsieur Lee.
Comm. adj. William Lenton: Il y en a une dont je peux vous parler. Mon collègue dit que la négligence criminelle est au coeur du dossier du sang contaminé, mais c'est rare. Et il ne s'agit pas de la responsabilité d'une société, mais plutôt d'un conseil d'administration. Est-ce que les décideurs à un moment donné agissaient comme il faut? Voilà le genre d'enquête que nous ferions en pareil cas.
Donc, cela peut se faire. Est-ce facile? Non, ce n'est pas facile, et il faut évidemment respecter tous les autres paramètres.
 (1225)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: Monsieur le président, j'aimerais poser une question à M. Yaron.
Pardonnez-moi si vous en avez déjà parlé, mais je n'ai pas pu tout entendre. Nous avons entendu des témoins qui ont fait des recommandations à propos des administrateurs qui sont reconnus coupables d'une infraction... et nous ne nous limitons pas aux affaires graves, comme l'affaire Westray. Il s'agit de toute une gamme d'infractions dont nous pourrions tenir compte.
Certains ont dit qu'un administrateur qui est reconnu coupable d'une infraction ne devrait plus jamais avoir le droit d'exercer cette fonction. J'aimerais savoir si vous êtes d'accord. Si oui, comment est-ce que cela cadre avec l'autre situation, où un employé qui a été reconnu coupable d'une infraction contre une société, telle qu'un vol, se voit réintégré dans ses fonctions suite à une ordonnance? S'agit-il de deux poids, deux mesures? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Gil Yaron: En ce qui concerne seulement les administrateurs, à mon avis, si un administrateur est reconnu coupable au criminel d'un geste lié à ses responsabilités d'administrateur, il ne devrait plus avoir le droit d'occuper de telles fonctions tant qu'il purge sa peine.
M. Chuck Cadman: D'accord.
M. Gil Yaron: Ce n'est pas une interdiction à vie, mais certainement pendant qu'il purge sa peine au moins.
J'aimerais mentionner l'affaire Enron, où les actionnaires ont très bruyamment insisté pour que les administrateurs d'Enron ne fassent pas partie des conseils d'administration des autres sociétés dont ils sont actionnaires. Ils ont lutté très fort pour purger les autres conseils d'administration de ces administrateurs-là.
M. Chuck Cadman: Je ne m'oppose pas à cela. Je veux tout simplement m'assurer qu'il ne s'agit pas d'interdire pour toujours à quelqu'un d'être administrateur.
M. Gil Yaron: Non, il me semble logique qu'une fois que quelqu'un a purgé sa peine on l'autorise à se réinsérer dans la société.
Pour ce qui est de la double norme auprès des employés, les administrateurs ont une relation fiduciaire. Ils ont une très lourde responsabilité. Ils ont des responsabilités supplémentaires vis-à-vis de l'ensemble de la société—les actionnaires, la collectivité—et je ne pense pas nécessairement qu'ils doivent être considérés de la même façon que les employés, mais à ce stade j'hésiterais à dire qu'il y a eu une double norme. Il est certain que les administrateurs doivent respecter une norme de très haut niveau, de beaucoup plus haut niveau, à mon avis, que celle des employés.
M. Chuck Cadman: Merci.
Le président: Merci, monsieur Cadman.
Monsieur Lanctôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Merci, monsieur le président. J'ai juste une petite question.
À ce moment-là, est-ce que les syndicats ne devraient pas eux aussi faire partie de ce principe, s'ils créent eux-mêmes une responsabilité criminelle? Il ne faut pas non plus qu'il y ait deux poids, deux mesures.
[Traduction]
M. Gil Yaron: Quand vous parlez de syndicats, vous parlez des dirigeants des syndicats ou du syndicat en tant qu'institution ou...?
[Français]
M. Robert Lanctôt: C'est évident que si le syndicat fait partie du conseil d'administration, cela va de soi. Si le syndicat propose un plan et que les administrateurs l'adoptent ou s'il fait des erreurs tellement graves que ça peut être considéré comme de la négligence criminelle, est-ce que le syndicat pourrait lui aussi être tenu responsable?
[Traduction]
M. Gil Yaron: Si le représentant syndical agit en tant que membre du conseil d'administration de la société, je pense que oui. Je veux simplement que les choses soient bien claires car—
[Français]
M. Robert Lanctôt: Je ne dis pas comme agent, mais bien lorsque le syndicat propose, fait une proposition. Je vous donne un exemple. Vous n'avez pas une entreprise où le syndicat fait partie du conseil d'administration. On prend plutôt le cas d'une plus petite entreprise qui a des difficultés financières. Le syndicat propose de faire des choses. L'administration n'a pas d'experts pour vérifier ce qui se passe. Elle accepte la proposition du syndicat et l'applique. Quelque chose de grave se produit: un crime ou une explosion se produit. Est-ce que ce sont seulement les administrateurs qui ont adopté le plan que leur avait soumis le syndicat qui sont responsables, ou est-ce que le syndicat pourrait lui aussi être tenu responsable?
 (1230)
[Traduction]
M. Gil Yaron: Je ne vois pas comment on pourrait rendre le syndicat responsable de cette proposition, mais les membres du syndicat présents au conseil d'administration partageraient certainement la responsabilité avec les autres membres du conseil d'administration.
Si le syndicat donnait un mauvais conseil, comme n'importe quel autre agent—comptable, actuaire ou n'importe qui—il y aurait un recours contre les gens sur un plan personnel.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Présentement, on nous dit que ni la GRC ni les forces de l'ordre ne reçoivent de plaintes. Or, je me demande s'ils peuvent eux-mêmes faire partie de ce nouveau projet de loi. Est-ce que le but du projet de loi est de protéger les employés et les travailleurs? Dans cette situation, on sait que les problèmes peuvent venir des inspecteurs, mais dans un tel cas, si la non-divulgation n'est pas respectée et que les plaintes ne sont pas soumises à la GRC ou aux autres corps policier, pourrait-il y avoir un problème? Est-ce que le but de cette loi est de protéger les employeurs ou de protéger les employés et les travailleurs? Comprenez-vous?
[Traduction]
M. Gil Yaron: Oui, je comprends.
Elle doit manifestement protéger les employés, il faut l'espérer. Toutefois, du point de vue politique, ce sont les décideurs qui sont responsables. Je crois qu'on ne peut pas mettre sur le même pied ceux qui donnent des conseils et ceux qui prennent vraiment la décision. C'est cela, la distinction, pour moi.
Le président: Monsieur MacKay, une brève question.
M. Peter MacKay: En ce qui concerne les mandats, compte tenu des problèmes de divulgation et de préparation des mandats, si l'on élargit cette notion de responsabilité, quels genres de problèmes pensez-vous que les policiers qui vont enquêter auront à obtenir ces mandats des juges de paix et des juges? Va-t-on avoir une sorte de directive connexe ou d'amendement au Code criminel?
J'ai l'impression qu'on est en train de permettre à la police d'aller rechercher très loin des éléments de preuve si l'on tient les sociétés, les dirigeants et les administrateurs responsables, parce que ce que l'on va chercher, ce sont des indications sur la sécurité du milieu de travail, et j'imagine que tout cela sera une question de connaissance. Ce sera l'élément indispensable pour établir ce lien.
Quels genres de problèmes pensez-vous que les policiers risquent d'avoir si on leur donne cette capacité de porter des accusations?
Comm. adj. William Lenton: Porter des accusations, ce n'est pas la même chose qu'avoir un mandat. Tout d'abord, avec un mandat, évidemment, il faut avoir des motifs raisonnables et probables. C'est un des critères. Il faut pouvoir convaincre l'autorité qui délivre le mandat que vous allez pouvoir trouver dans un endroit bien précis des preuves d'une infraction, et il faut pouvoir expliquer de quelle infraction on parle.
Le problème dans l'élaboration du mandat, c'est que, compte tenu de l'ambiguïté de la loi, on peut se demander ce que signifient exactement certains termes et avec quel degré de précision on peut formuler l'infraction. Il est difficile de savoir à quel degré de précision on peut définir ce que l'on recherche dans le contexte de cette infraction. Est-ce qu'on va élargir la portée des recherches de la police? Il ne s'agit pas de savoir ce que l'on peut chercher, mais ce que l'on va devoir chercher.
Si l'on doit rendre quelqu'un responsable sur la base d'un dispositif énoncé dans la loi, il faut l'examiner—et cela nous renvoie aux éléments fondamentaux nécessaires qu'on peut peut-être définir en discutant avec le procureur, si c'est un domaine qu'on ne connaît pas très bien—et dire que si l'on veut pouvoir prouver telle infraction, on a besoin de tel et tel éléments. À ce moment-là, on commence les recherches et l'enquête pour établir ces éléments et progresser vers le but recherché.
 (1235)
Le président: Merci aux témoins et aux membres du comité.
La séance est levée.