FINA Réunion de comité
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent des finances
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 29 avril 2003
¹ | 1530 |
La présidente (Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.)) |
M. David Dodge (gouverneur, Banque du Canada) |
¹ | 1535 |
¹ | 1540 |
La présidente (Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.)) |
M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne) |
M. David Dodge |
¹ | 1545 |
M. Charlie Penson |
M. David Dodge |
M. Charlie Penson |
M. David Dodge |
M. Paul Jenkins (premier sous-gouverneur, Banque du Canada) |
M. Charlie Penson |
¹ | 1550 |
M. David Dodge |
M. Charles Freedman (sous-gouverneur, Banque du Canada) |
M. Charlie Penson |
M. Charles Freedman |
M. Charlie Penson |
M. Charles Freedman |
La présidente |
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ) |
¹ | 1555 |
M. David Dodge |
M. Charles Freedman |
º | 1600 |
M. Pierre Paquette |
M. Charles Freedman |
Mr. Pierre Paquette |
M. Charles Freedman |
La présidente |
M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.) |
M. David Dodge |
º | 1605 |
M. Roy Cullen |
M. David Dodge |
º | 1610 |
M. Paul Jenkins |
La présidente |
M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.) |
M. David Dodge |
º | 1615 |
M. Bryon Wilfert |
M. David Dodge |
M. Bryon Wilfert |
º | 1620 |
M. David Dodge |
La présidente |
M. Paul Jenkins |
La présidente |
M. Charles Freedman |
La présidente |
Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Centre-Nord, NPD) |
M. David Dodge |
Mme Judy Wasylycia-Leis |
º | 1625 |
M. David Dodge |
º | 1630 |
M. Charles Freedman |
Mme Judy Wasylycia-Leis |
La présidente |
M. David Dodge |
º | 1635 |
La présidente |
M. Shawn Murphy (Hillsborough, Lib.) |
M. David Dodge |
M. Charles Freedman |
º | 1640 |
M. Shawn Murphy |
M. Charles Freedman |
La présidente |
M. Gary Pillitteri (Niagara Falls, Lib.) |
º | 1645 |
M. David Dodge |
M. Paul Jenkins |
M. David Dodge |
M. Paul Jenkins |
º | 1650 |
M. Gary Pillitteri |
M. David Dodge |
La présidente |
M. Charlie Penson |
M. David Dodge |
º | 1655 |
M. Charlie Penson |
M. David Dodge |
M. Charlie Penson |
M. David Dodge |
M. Charlie Penson |
M. David Dodge |
M. Charlie Penson |
M. David Dodge |
La présidente |
M. Tony Valeri (Stoney Creek, Lib.) |
» | 1700 |
M. David Dodge |
M. Tony Valeri |
M. David Dodge |
M. Tony Valeri |
M. David Dodge |
» | 1705 |
La présidente |
Mme Sophia Leung (Vancouver Kingsway, Lib.) |
M. David Dodge |
Mme Sophia Leung |
M. David Dodge |
» | 1710 |
La présidente |
Mme Judy Wasylycia-Leis |
M. David Dodge |
La présidente |
M. Paul Jenkins |
» | 1715 |
La présidente |
Mme Judy Wasylycia-Leis |
M. David Dodge |
La présidente |
Jim Peterson (Willowdale) |
M. David Dodge |
M. Jim Peterson |
M. Charles Freedman |
M. Jim Peterson |
M. Paul Jenkins |
» | 1720 |
M. Jim Peterson |
M. Paul Jenkins |
M. Charles Freedman |
M. Jim Peterson |
M. Paul Jenkins |
M. Jim Peterson |
La présidente |
M. Pierre Paquette |
» | 1725 |
M. Charles Freedman |
M. Pierre Paquette |
M. David Dodge |
» | 1730 |
La présidente |
CANADA
Comité permanent des finances |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 29 avril 2003
[Enregistrement électronique]
¹ (1530)
[Traduction]
La présidente (Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.)): Welcome everybody.
Notre ordre du jour, conformément à l'article 108(2) du Règlement, porte sur l'examen du rapport de la Banque du Canada sur la politique monétaire.
Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui le gouverneur de la Banque du Canada, David Dodge. Soyez le bienvenue, monsieur. Vous êtes accompagné de Paul Jenkins, premier sous-gouverneur—bienvenue à vous aussi—et de Charles Freedman, sous-gouverneur. Nous sommes toujours très heureux de vous accueillir tous les trois au comité.
Vous pourrez commencer dès que vous serez prêt, monsieur Dodge.
M. David Dodge (gouverneur, Banque du Canada): Bonjour et merci beaucoup, madame la présidente. Bonjour aussi aux membres du comité. Je tiens d'abord à vous dire à quel point, à la Banque du Canada, nous apprécions la possibilité que vous nous donnez, deux fois l'an, de venir vous rencontrer à la suite de la publication de ce rapport.
Nous sommes très conscients de la nécessité d'informer la Chambre et, de fait, tous les Canadiens de ce que nous faisons et des raisons pour lesquelles nous le faisons. Vous nous offrez une formidable occasion et nous sommes ravis d'être ici.
[Français]
Madame la présidente, je vais prendre quelques minutes pour vous résumer le contenu du dernier Rapport sur la politique monétaire. Mais auparavant, j'aimerais dire quelques mots au sujet de mes deux collègues qui sont ici avec moi cet après-midi.
[Traduction]
J'ai le grand plaisir de vous présenter M. Paul Jenkins, qui a récemment été nommé premier sous-gouverneur de la Banque du Canada. La plupart d'entre vous le connaissez. Paul travaille à la Banque depuis 1972 où il occupe le poste de sous-gouverneur depuis 11 ans. À ce titre, il est responsable de l'analyse des questions économiques et financières internationales et de la liaison avec les organismes internationaux, comme le FMI. Il a aussi la charge de l'orientation stratégique et de la supervision des communications publiques de la Banque. Paul possède une excellente compréhension non seulement des questions liées à l'économie et à la politique monétaire, mais aussi de la Banque du Canada et de ses employés. Je sais que, grâce à son leadership dynamique, il aidera la Banque à poursuivre sa tradition d'excellence dans la promotion du bien-être économique et financier du pays.
[Français]
Je suis également accompagné du sous-gouverneur, Charles Freedman. Chuck prendra sa retraite en septembre prochain, après avoir passé près de 30 ans à la Banque du Canada. Il est sous-gouverneur depuis 1988, et son leadership dans les domaines de la politique monétaire, des institutions financières et des systèmes de compensation et de règlement canadiens a été inestimable. L'une des plus importantes contributions de Chuck a été de promouvoir sans relâche le bilinguisme à la Banque du Canada. Il va tous nous manquer, non seulement pour son expertise, mais aussi pour son enthousiasme, son esprit et sa vive intelligence.
Aussi, je suis ravi de vous dire que la Banque du Canada a annoncé aujourd'hui la nomination de David Longworth et de Mark Carney à titre de sous-gouverneurs. Messieurs Longworth et Carney possèdent des compétences exceptionnelles en économie et en finances. C'est toujours difficile de remplacer Chuck; il faut en avoir deux pour le remplacer.
L'édition du printemps 2003 du Rapport sur la politique monétaire a paru la semaine dernière. Dans ce document, la Banque examine les tendances économiques et financières dans l'optique de sa stratégie de maîtrise de l'inflation au Canada. La dernière fois que je me suis adressé à votre comité, c'était en octobre, tout juste après la publication du rapport de l'automne.
Permettez-moi de remonter un peu plus loin dans le temps pour situer l'évolution récente dans son contexte. Après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la Banque du Canada a abaissé son taux directeur rapidement et de façon énergique, pour raviver la confiance et soutenir la demande intérieure. Au printemps 2002, on observait déjà des signes montrant que la croissance de la demande était plus rapide que celle de la capacité de production.
¹ (1535)
[Traduction]
Comme vous le savez, la politique monétaire doit toujours être axée sur l'avenir. Ainsi, même si les pressions de la demande ne se manifestaient pas encore dans les prix, nous avons augmenté notre taux directeur à trois reprises en 2002, entre avril et juillet, pour le majorer de trois quarts de point au total.
Cela étant, madame la présidente, quand je me suis présenté devant vous l'automne dernier, l'inflation au pays était en hausse, mais nous nous sommes abstenus de hausser les taux d'intérêt à cause du climat géopolitique et financier incertain, des écarts de rendement élevés et de l'accès restreint des sociétés moins bien cotées au crédit, et aussi parce que nous estimions que la faiblesse de l'économie mondiale limiterait la demande globale de biens canadiens.
Depuis, l'inflation est demeurée au-dessus de notre cible de 2 p. 100. Le taux d'augmentation total sur 12 mois de l'IPC a atteint un sommet de 4,6 p. 100 en février, puis est descendu un peu en bas, pour se situer à 4,3 p. 100. Les principaux facteurs qui expliquent le bond de l'inflation sont la vive remontée des prix du pétrole et du gaz naturel, la hausse des primes d'assurance et la forte demande intérieure. Cette dernière est à l'origine des tensions sur les prix dans certains secteurs, comme le logement et certains services.
Dans ce contexte, quelques mesures du taux d'inflation attendu à court terme affichent une certaine hausse. Ces mesures comprennent des données tirées d'une enquête réalisée auprès des entreprises par les bureaux régionaux de la Banque ainsi que la moyenne des prévisions du secteur privé. Toutefois, les attentes d'inflation à plus long terme se maintiennent autour de 2 p. 100.
Comme vous le savez, pour évaluer la tendance future de l'inflation, la Banque utilise un indice de référence qui exclut les huit composantes les plus volatiles du panier de provisions de l'IPC, ainsi que l'effet des modifications des impôts directs sur les autres composantes de l'IPC. L'inflation mesurée par cet indice de référence se situe autour de 3 p. 100. Elle devrait redescendre à environ 2,5 p. 100 au second trimestre de cette année et avoisiner les 2 p. 100 dès le début de 2004.
Le taux d'accroissement de l'IPC global continuera d'être influencé par les variations des cours du pétrole brut. Si les prix du pétrole s'établissent autour de 25 $ le baril d'ici le milieu de 2003, comme le donnent à penser les prix des contrats à terme, et si le dollar canadien se maintient près des niveaux actuels, l'inflation mesurée par l'IPC global devrait tomber provisoirement, au premier trimestre de 2004, en dessous de celui de l'indice de référence, avant de se stabiliser à un niveau proche de celui-ci.
[Français]
Étant donné la situation de l'inflation au pays et la vigueur sous-jacente de la demande intérieure, la Banque a relevé le taux cible de financement à un jour de 25 points de base à chacune des deux dernières dates préétablies, en mars et à la mi-avril, pour le porter à 3,25 p. 100.
Comme je l'ai mentionné, la scène économique mondiale était assombrie en octobre dernier par des incertitudes économiques, financières et géopolitiques. Les inquiétudes d'ordre géopolitique et financier se sont dissipées en partie ces derniers mois, et la Banque prévoit qu'elles continueront à disparaître. Toutefois, la faiblesse de la demande intérieure reste inquiétante dans certaines régions du globe. Le climat économique mondial demeure donc incertain à court terme.
¹ (1540)
[Traduction]
Même en tenant compte de cela, les risques auxquels fait face l'économie mondiale semblent mieux équilibrés maintenant que l'automne dernier, nous croyons que la confiance des consommateurs et des entreprises s'améliorera d'ici la fin de la présente année.
Au Canada, la demande intérieure est demeurée très forte. On ignore toutefois l'ampleur des répercussions que la pneumonie atypique pourrait avoir sur l'activité, surtout dans la région du Grand Toronto. Comme je le disais la semaine dernière, nous pensons que la croissance économique au deuxième trimestre sera un peu inférieure à ce qui a été prévu dans le Rapport sur la politique monétaire à cause de cette maladie. Il est toutefois encore trop tôt pour en évaluer l'incidence exacte sur l'économie.
L'économie canadienne devrait se renforcer vers la fin de l'année, en partie grâce à une reprise de l'activité aux États-Unis. On s'attend à ce que la croissance annuelle moyenne du Canada soit de l'ordre de 2,5 p. 100 en 2003. Pour 2004, la Banque prévoit que l'économie se renforcera encore davantage et progressera à un taux supérieur à celui de la production potentielle qui est de 3 p. 100, ce qui revient à dire que la faible marge de capacités excédentaires qui est susceptible d'apparaître en 2003 aura, en grande partie, disparu avant la fin de 2004.
Pour cette raison, la Banque continue de croire qu'il lui faudra réduire davantage le degré de détente monétaire à l'avenir pour ramener le taux d'inflation à la cible de 2 p. 100 et faire en sorte que la production demeure près des limites de la capacité. Le moment et l'ampleur des nouveaux relèvements du taux directeur dépendront de la robustesse de la demande intérieure, de l'évolution des attentes d'inflation et aussi du rythme de l'expansion économique aux États-Unis et dans les pays d'outremer.
Paul, Chuck et moi serons maintenant heureux de répondre à vos questions, madame la présidente.
La présidente (Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.)): Merci beaucoup.
Nous allons commencer avec une série de huit minutes par M. Penson.
M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne): Merci, madame la présidente.
Je tiens d'abord à souhaiter la bienvenue à M. Dodge et à ses collaborateurs. C'est toujours un plaisir de vous accueillir ici à l'occasion de votre point sur l'économie canadienne et sur les autres aspects géopolitiques que vous suivez régulièrement.
Je vais vous poser deux ou trois questions. Quand le dollar canadien augmente, on peu penser que c'est bon, mais certains craignent que tel ne soit pas le cas, surtout s'il devait atteindre un certain niveau.
Jusqu'à quel niveau le dollar canadien peut-il monter avant qu'il ne commence à porter tort aux entreprises canadiennes, à moins que nous n'apportions de modifications fondamentales à notre régime fiscal et à d'autres aspects pour leur permettre de s'y retrouver un peu? À quel niveau de parité le dollar canadien va-t-il commencer à faire mal? Je sais que les résultats ne seront pas les mêmes pour tous les secteurs de l'économie, mais pouvez-vous, empiriquement, déterminer à quelle hauteur le dollar canadien commencera à faire mal à notre économie?
M. David Dodge: Non, nous n'appliquons pas de règle empirique pour savoir ce que donne la valeur du dollar canadien par rapport au billet vert.
Pour l'instant, il ne faut pas perdre de vue que nous assistons à un rajustement de la valeur du dollar américain sur les marchés internationaux, c'est-à-dire par rapport à la plupart des devises mondiales. Nous en avons déjà parlé dans cette enceinte—j'ai consulté les archives de l'automne 2001, parce que la même question nous avait été posée à l'époque—et nous avions alors indiqué que nous nous attendions à un rajustement de la valeur du dollar américain. Il faut dire que celle-ci avait été relativement élevée par rapport à la plupart des devises mondiales et nous nous attendions, à la faveur d'un rééquilibrage du compte courant américain, à ce que la devise américaine augmente. Nous ne savions pas exactement quand cela allait se produire ni à quelle rapidité. Nous venons d'assister à un rajustement plutôt rapide mais très ordonné du dollar américain.
Notre dollar est revenu à peu près au même niveau qui était le sien il y a trois ans environ par rapport au billet vert.
¹ (1545)
M. Charlie Penson: Quelle part de l'augmentation de la valeur relative du huard attribuez-vous à la dépréciation de la devise américaine à cause du déficit du compte courant de nos voisins; par ailleurs, quelle part de cette appréciation attribuez-vous au différentiel de taux d'intérêt entre le Canada et les États-Unis?
M. David Dodge: Tout d'abord, il convient de faire remarquer que la baisse du dollar américain par rapport aux autres grandes devises, comme l'euro et le dollar australien, correspond à une seule et même tendance. Contrairement à la situation des monnaies européennes, notre devise ne s'était pas vraiment dépréciée par rapport au dollar américain ou, si vous préférez, ce n'est pas tant le billet vert qui s'était apprécié par rapport au huard, en sorte que le changement en retour n'est pas très marqué.
Comme vous le savez, notre cadre analytique, qui tient compte de facteurs très importants en ce qui à trait au taux d'échange bilatéral avec le dollar américain, fait ressortir deux ou trois choses très importantes. Il y a les prix des produits non-énergétiques, les différenciels de taux d'intérêt et la performance relative de nos deux économies.
À l'évidence, le fait que les taux courts américains soient régulièrement bas pour l'instant a une incidence sur la valeur relative des monnaies, mais il n'est pas possible de vous donner une réponse définitive quant à l'importance relative de ce phénomène par rapport à tous les autres aspects entrant en jeu.
M. Charlie Penson: Est-ce que vous tenez compte de cet aspect, je veux parler de la différence de taux d'intérêt entre le Canada et les États-Unis? Dans quelle mesure ce facteur joue-t-il quand vous fixez les taux au Canada? Y a-t-il un point où le différenciel de taux d'intérêt est tellement important qu'il risque de nous poser problème?
M. David Dodge: Je vais laisser à Paul le soin de vous répondre à ce sujet. Il doit se faire la voix en sa qualité de premier sous-gouverneur récemment nommé.
Des voix : [rires]
M. David Doge : Le plus important, c'est que nous avons essayé de maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande pour maintenir l'inflation aux environs de 2 p. 100. Nous prenons plusieurs facteurs en compte pour ce faire. Le taux de change est bien sûr un des facteurs qui, à moyen terme, influence l'équation, mais il est loin d'être le seul.
Je vais donc céder la parole à Paul pour qu'il s'exerce un peu les poumons, puisque c'est sa première comparution devant le comité dans ses nouvelles fonctions.
M. Paul Jenkins (premier sous-gouverneur, Banque du Canada): Eh bien, je pense que le gouverneur vient de vous donner une bonne indication en partant, puisque le taux d'échange fait bien sûr partie de notre politique monétaire globale dont l'objectif est de maintenir l'inflation à 2 p. 100. Comme le gouverneur vous l'a dit, nous tenons compte d'un grand nombre de facteurs, comme les différentes sources de croissance de l'économie, les contributions intérieures par rapport aux contributions extérieures, mais notre objectif est de maintenir un taux d'inflation faible, stable et prévisible afin de contribuer à la bonne performance globale de l'économie.
Nous ne ciblons donc pas de différenciel de taux d'intérêt. Nous fixons la politique monétaire qui est appropriée pour atteindre nos cibles d'inflation et, par le fait même, contribuer à la saine performance de l'économie.
M. Charlie Penson: J'ai une autre question à poser. Tous ceux qui suivent l'économie américaine voient ce qui se passe, mais j'ai l'impression que celle-ci dépend beaucoup des ventes d'automobiles et des mises en chantier, tout comme l'économie canadienne depuis quelque temps. Gouverneur, vous avez parlé d'une possibilité d'amélioration de l'économie américaine, mais ne risque-t-on pas de faire les frais d'un décalage entre la reprise chez nous et la reprise chez nos voisins? J'ai l'impression qu'il est déjà arrivé que l'économie américaine accuse un certain repli avant la nôtre et reprenne du mieux avant nous aussi. Envisagez-vous un certain décalage dans les temps de réaction des deux économies?
¹ (1550)
M. David Dodge: J'aborderai cette question du décalage entre nos deux économies de façon un peu différente, après quoi je demanderai à Chuck de vous en parler, parce qu'il rentre juste de New York.
La grande question qui se pose dans le cas des États-Unis est toujours celle de la reprise de l'investissement. Les consommateurs américains n'ont absolument pas été découragés, notamment grâce aux fonds mis à leur disposition pour le refinancement des hypothèques. Les entreprises, surtout les grandes, se sont montrées très hésitantes à réaliser de nouveaux investissements, facette qui laisse donc plutôt à désirer.
Comme nous l'avons vu l'automne dernier, nous attendons tous impatiemment sur la touche que les investissements commerciaux aux États-Unis reprennent. Pour l'instant, nous pouvons tout au plus nous espérer une reprise à l'automne, une fois que les incertitudes économiques se seront dissipées et que les Américains auront réglé les problèmes de comptabilité et de gouvernance des sociétés. Cette reprise sans doute très rapide. C'est ce qui s'est généralement produit dans le passé.
Chuck, vous venez juste de rencontrer les gens à New York.
M. Charles Freedman (sous-gouverneur, Banque du Canada): Je vais dire deux choses à ce sujet. D'abord, j'ai présenté notre rapport sur la politique monétaire à plusieurs groupes d'entreprises et groupes financiers et je me suis surtout attardé à nos prévisions et à nos attentes en ce qui concerne l'économie mondiale et l'économie canadienne. Je voulais savoir comment les Américains réagissaient à notre évaluation de leur situation économique, c'est-à-dire au rebond que nous prévoyons vers la fin de l'année et à une croissance d'environ 4 p. 100 en 2004, et je voulais savoir s'il existait un certain consensus à ce sujet. Pour certains de mes interlocuteurs, cette reprise devrait être un peu moins importante, mais personne ne m'a dit que nous nous trompions, qu'il n'y aurait pas de reprise. On dirait qu'à New York au moins les points de vue rejoignent les nôtres.
L'un des membres du Bureau des gouverneurs de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, a donné un discours le 24 avril, il y a à peine cinq jours, dans lequel il s'est proposé de répondre à une question : Les investissements commerciaux vont-ils se ressaisir aux États-Unis? Il a, en bref, conclu qu'en se fondant sur une approche sectorielle, il y avait lieu de s'attendre raisonnablement à une reprise modérée des investissements.
Cela étant, il est toujours très difficile de se livrer à des prévisions à long terme. Les choses pourraient s'améliorer, mais elles pourraient aussi empirer et il faut en être bien conscient.
M. Charlie Penson: C'est pour cela que vous avez tous ces économistes chez vous.
M. Charles Freedman: La seule certitude que nous pouvons avoir, c'est que nous ne pouvons pas parvenir à des prévisions exactes, mais que nous pouvons annoncer des probabilités.
M. Charlie Penson: Les économistes trouvent toujours de bonnes excuses après coup, pour expliquer que telle ou telle chose n'est pas arrivée comme prévu.
M. Charles Freedman: Tout à fait.
Il semble qu'une majorité d'observateurs estime que les investissements devraient reprendre et Bernanke s'est d'ailleurs attardé sur ce que Keynes a appelé l'instinct animal. L'expérience nous a appris que, dès que les gens sont un peu déprimés ou négatifs quant aux perspectives d'avenir, on s'engage dans un cercle vicieux. En revanche, l'inverse est également vrai. Dès que les gens commencent à espérer, leur optimisme va en s'améliorant, ils dépensent davantage et donc ils alimentent en quelque sorte la reprise.
Ainsi, si les attentes s'améliorent, si la confiance du consommateur augmente, je pense que l'on pourra raisonnablement...
La présidente: Nous allons laisser cela de côté pour la seconde série de questions.
Je vais maintenant accorder à parole à M. Paquette pour huit minutes.
[Français]
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Merci, madame la présidente.
Merci beaucoup, Monsieur Dodge, pour votre présentation, malgré que votre conclusion m'inquiète énormément quand vous dites que vous croyez qu'avec les éléments que vous avez, il y a de fortes possibilités que la politique de réduction de la détente monétaire se poursuive dans l'avenir.
Moi, j'étais un de ceux qui, du côté syndical--parce que j'oeuvrais dans le mouvement syndical--, ont subi les effets extrêmement négatifs de la politique de la Banque du Canada au début des années 1990 où, au départ, on avait une récession très forte aux États-Unis et relativement faible au Canada, mais avec une politique de hausse des taux d'intérêts qui l'a prolongée au-delà des limites qu'elle aurait sûrement eues si on avait eu une politique moins dogmatique à l'époque.
Je comprends qu'on a affaire à une autre administration à la Banque du Canada, mais j'ai toujours peur des effets pervers d'une politique monétaire trop restrictive.
Dans votre présentation, ce qui m'a surpris--et Monsieur Jenkins l'a repris aussi--, c'est que vous ne parlez plus de la fourchette de 1 p. 100 à 3 p. 100 pour ce qui est de la cible du taux d'inflation, alors qu'on s'entendait, je croyais, pour que ce soit la fourchette jusqu'en fin 2006, si ma mémoire est bonne. Mais avez plutôt constamment parlé de 2 p. 100.
Alors, si j'ai une fourchette de 1 à 3 p. 100, que le taux d'inflation est de 3 p.100 et que je suis capable de me dire que les possibilités de croissance économique sont encore aux rendez-vous, je me contenterais d'une inflation de 3 p. 100. Si pour arriver à 2 p. 100 j'étais obligé d'augmenter les taux d'intérêts de telle manière que j'étouffe l'activité économique de façon durable, je pense que ce serait une politique néfaste.
Dans ce que vous nous avez présenté, je partage énormément d'éléments d'analyse. Par exemple, quand on dit qu'on approche de la limite de la capacité de production, oui, mais si on monte les taux d'intérêts, ça va diminuer les investissements. Par le fait même, on va limiter la capacité et la possibilité d'augmenter les capacités de production.
Deuxièmement, vous avez identifié au moins deux éléments très importants pour ce qui est de l'explication de la hausse actuelle du taux d'inflation: le prix du pétrole--et je pense qu'avec la situation géopolitique, on peut s'attendre à ce que le prix se rapproche à 25 $ ou de 24 $ du baril--et le logement.
Mais en ce qui a trait au logement, il y a un effet conjoncturel. C'est qu'une bonne partie des capitaux qui étaient dans les actions boursières ont quitté ce secteur-là pour être investis dans l'immobilier. Donc, il y a une hausse des prix du logement qui est due au fait qu'il y a un déplacement des actifs qui est peut-être conjoncturel. Mais si on augmente en plus les taux d'intérêts et qu'on réduit la possibilité d'augmenter le stock de logements, les prix vont augmenter. Donc, vous serez pris à augmenter les taux d'intérêt pour lutter contre l'inflation, qui sera causée, à ce moment-là, par l'augmentation.
Donc, j'espère que vous avez pris tous ces éléments-là en compte. Mais plus précisément, j'aimerais savoir pourquoi vous n'avez pas parlé de la fourchette de 1 à 3 p. 100 pour les objectifs de la Banque du Canada au cours des prochains mois?
¹ (1555)
M. David Dodge: Je vais commencer. C'est vraiment une fourchette, et on veut rester entre les deux extrêmes de la fourchette. C'est pour cette raison que nous disons toujours que pour une période de 18 à 24 mois, on essaie d'arriver à 2 p. 100. Si on est au-dessus de 2 p. 100, ça veut dire qu'on anticipe une politique un petit peu plus restrictive. D'un autre côté, si on a 1 p. 100 ou moins de 2 p. 100, c'est juste l'inverse.
Donc, nous avons une politique assez simple, mais symétrique, et ça, c'est extrêmement important. Ce n'est pas un plafond. On a une politique symétrique d'arriver à 2 p. 100 au cours des 18 à 24 mois.
Donc, à ce moment-ci, nous avons une politique qui n'est pas très accommodante, pas aussi accommodante qu'il y a 12 mois, mais certainement pas restrictive. C'est une politique qui encourage la croissance encore, mais on ne l'encourage pas au même niveau qu'il y a 12 mois.
Je crois bien, comme vous l'avez dit vous-même, que dans l'avenir, il nous faudra hausser un peu le taux d'intérêt, parce qu'à ce moment-ci, il y a assez de stimulus dans l'économie.
C'est important que tous les Canadiens sachent que nous suivons une politique d'abord symétrique, mais une politique dans laquelle ils peuvent avoir confiance que dans le futur, le taux d'inflation sera d'environ 2 p. 100.
Chuck, veux-tu ajouter quelque chose?
M. Charles Freedman: Quelque chose qui était très important dans ce que nous avons dit dans les années 1990, c'est qu'avoir un taux d'inflation bas et prévisible va entraîner une économie qui sera beaucoup mieux que ce que nous avons vu dans les deux décennies précédentes. Bien sûr, les taux d'intérêts au commencement des années 1990, comme vous l'avez dit, étaient très, très élevés, et ils étaient même encore plus élevés au commencement des années 1980. Mais ça, c'était un résultat vraiment d'un taux d'inflation qui était très élevé, et c'était cette inflation et la distorsion qui a résulté de cette inflation qui ont causé les problèmes, les récessions assez aiguës que nous avons vues il y a 10 ans, il y a 20 ans.
Ce que nous avons vu dans la dernière décennie, c'est une situation qui est beaucoup plus stable. Il y a eu un article dans notre revue il y a quelques mois qui démontrait qu'au Canada--et c'est la même chose à travers le monde--, l'économie est devenue beaucoup plus stable quand le taux d'inflation était plus bas et prévisible. Ça, c'est très important. C'est la raison pour laquelle nous avons comme cible un taux d'inflation bas et prévisible.
º (1600)
M. Pierre Paquette: Ce qui est important, comme vous venez de le dire, c'est que le taux d'inflation soit prévisible.
M. Charles Freedman: Oui.
Mr. Pierre Paquette: Mais en 1990, le taux d'inflation canadien était inférieur au taux d'inflation américain, et la Banque du Canada a poursuivi une politique restrictive, à tel point d'ailleurs que les anticipations étaient à l'augmentation des taux d'intérêts. Vous baissiez les taux d'intérêts à court terme; le marché ne suivait même pas.
Alors, il y a des effets pervers à une politique restrictive annoncée de cette manière-là. Moi, je souhaite tout simplement que la direction de la Banque du Canada actuelle soit attentive à l'évolution de l'économie réelle et ne s'assoit pas sur une religion trop intégriste, dirais-je--on est contre les intégristes, actuellement--, très monétariste, comme celle qu'on a connue au début des années 1990.
M. Charles Freedman: Mais un des grands atouts du système que nous suivons maintenant, c'est que le taux d'inflation lui-même est le résultat de la balance entre l'offre et la demande de l'économie, et si on peut éviter et les demandes excédentaires et l'offre excédentaire, ça peut éviter les problèmes que nous avons eus dans le passé. Vraiment, en suivant un cadre comme nous l'avons fait depuis 10 ans, par la même approche, on évite les grandes fluctuations de la demande et de l'économie. Selon moi, cela a été un grand succès dans le monde. On avait beaucoup de chocs récemment, mais l'économie a continué de fonctionner pas mal.
[Traduction]
La présidente: Merci pour ces excellentes réponses.
Monsieur Cullen, à présent, pour huit minutes.
M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, madame la présidente. Merci, gouverneur Dodge et merci aussi à MM. Jenkins et Freedman.
Monsieur Freedman, profitez de votre retraite. Nous ne nous rencontrerons peut-être plus et je tiens à vous remercier pour votre contribution jusqu'ici.
Je voudrais que nous revenions à la question de l'inflation. Gouverneur, vous avez parlé de pressions inflationnistes, comme l'augmentation des prix du pétrole, des prix du gaz naturel et des primes d'assurance, de même qu'une demande intérieure forte, ainsi que de facteurs qui sont sources de pressions sur le logement et certains services.
Constatez-vous l'existence de pressions à la signature de conventions collectives? C'est une préoccupation que nous avons toujours eue, ou du moins que j'ai toujours eue moi, à cause de son effet inflationniste. Certes, le dollar canadien est en train de se renforcer, si bien qu'il n'y a peut-être pas lieu de s'inquiéter autant, mais on peut craindre qu'un jour nous ne commencions à importer une certaine valeur inflationniste. Assistons-nous à l'apparition de signes qui pourraient annoncer l'un ou l'autre de ces deux facteurs?
M. David Dodge: Je vais commencer par le marché du travail. Au cours des 12 derniers mois, nous avons assisté à une augmentation très marquée du taux de participation de la main-d'oeuvre active canadienne. Nous n'avons jamais connu un taux d'emploi aussi élevé au Canada, ce qui est particulièrement encourageant, non seulement d'un point de vue économique mais bien évidemment d'un point de vue strictement social. Les salaires et autres formes de rémunération se comportent remarquablement bien et continuent de progresser au rythme de 2-3 p. 100.
Pour répondre très brièvement à votre question, à deux ou trois petites exceptions près, je dois vous dire que nous n'assistons à aucune pression liée aux coûts de la main-d'oeuvre. À l'évidence, dans certains métiers de la construction, la demande de main-d'oeuvre est très tendue, mais nous n'assistons généralement pas au genre de pressions auxquelles vous faites allusion.
Nous avons simplement assisté à un renforcement de la demande des consommateurs qui a donné lieu à un contexte dans lequel les détaillants et les vendeurs peuvent augmenter légèrement leur marge, ce qui a donné lieu à une reprise plutôt rapide des bénéfices au Canada, par rapport à la situation américaine, par exemple. C'est là une bonne chose, parce que cela a donné lieu, au Canada, à une performance légèrement supérieure à la performance américaine en matière d'investissement.
D'un autre côté, certains marchés sont très tendus. M. Paquette vous a parlé du marché du logement. Le prix des logements depuis quelques mois maintenant progresse à un rythme légèrement supérieur à 5 p. 100, ce qui exerce une certaine pression sur l'économie. Les autres pressions sur ces marchés proviennent des prix des services qui ont augmenté de bien plus que de 3 p. 100. Nous craignons évidemment, si les prix du pétrole et du gaz demeuraient élevés, que ces coûts n'exercent des pressions inflationnistes.
Nous avons cependant assisté à l'inverse, ce qui est un bon signe, raison pour laquelle nous pensons que toutes les conditions sont actuellement réunies pour parvenir à un taux d'inflation mesuré selon l'indice de référence de 2 p. 100 au début de l'année prochaine. C'est ce que nous prévoyons parce que, à la façon dont nous mesurons ce genre de phénomène d'une année sur l'autre, l'inflation totale, sous l'influence d'une stabilisation des prix du pétrole et du gaz, disons à 25 $ le baril ou l'équivalent au cours du premier trimestre de l'année prochaine, devrait entraîner un repli des taux qui passeront, pendant un temps, en dessous de l'indice de référence.
º (1605)
M. Roy Cullen: Merci.
S'agissant de la parité du dollar canadien et du dollar américain, force est de constater que notre monnaie est en train de se renforcer. Au Québec, un nouveau gouvernement vient d'être élu. Si l'idée voulant que ce changement de gouvernement améliorera la force du dollar canadien, grâce à une amélioration du climat des investissements et à un allègement des préoccupations économiques à cause de la nouvelle situation du Québec, le dollar canadien pourrait se renforcer davantage.
Des représentants de secteurs comme celui du bois d'oeuvre de résineux sont venus nous dire que plusieurs problèmes les désavantagent, notamment et surtout le renforcement de notre devise. Certes, nous parlons depuis toujours du fait que la dépréciation de notre devise par rapport au billet vert a, en quelque sorte, masqué nos déficits de productivité ou permis à l'industrie de se laisser aller. Je ne pense pas que, dans beaucoup de secteurs d'activités, les gens se laissent aller volontairement, mais je suppose que ce genre de chose peut arriver.
Certains signes indiquent-ils que nos secteurs industriels traînent de l'arrière sur les plans de l'innovation et de la productivité et que cela pourrait nous porter tort à l'heure où le dollar canadien reprend du mieux? Existe-t-il des politiques publiques en vue d'atténuer ce genre de problème?
M. David Dodge: Paul vous répondra en détail, mais je crois important de vous faire remarquer que, pendant une longue période dans les années 90, pendant que nous ajustions notre politique financière au fédéral et dans les provinces afin d'assainir nos finances, nous étions en train d'apporter une touche finale à trois accords de libre-échange signés à la fin des années 80. Cette période a été difficile et elle a été marquée par une série de relâchements dans les niveaux d'emploi.
Le plus important, ici, c'est que les mécanismes de régulation des prix fonctionnent. D'ailleurs, les salaires réels au Canada sont en grande partie limités par rapport à ce qui se fait aux États-Unis, si bien qu'il n'est pas très surprenant—et, en fait, c'est exactement comme cela que les marchés sont censés fonctionner—que nous avons utilisé au Canada un peu plus de main-d'oeuvre que de capital par rapport aux Américains durant la même période. Notre régime des prix nous indiquait que nous pouvions agir de la sorte.
Nous avons commencé à absorber l'excès d'offres de main-d'oeuvre, ce qui est absolument extraordinaire. L'industrie a subi d'importantes pressions pour investir et chercher à améliorer la productivité. C'est ce qu'elle a de plus raisonnable à faire. Si vous voulez savoir si je jette un regard optimiste ou pessimiste sur les possibilités de productivité canadienne dans la décennie à venir, je vous répondrai que je suis relativement optimiste pour les raisons que je viens d'énoncer.
Deuxièmement, nos analyses nous indiquent que nous nous engageons dans une longue période qui sera marquée par l'innovation technologique. Elle s'installe tranquillement et nous prenons le temps de nous adapter aux nouvelles technologies et de les apprendre. Je suis relativement optimiste quand à nos gains de productivité et à la croissance des revenus réels au Canada dans les dix prochaines années.
Paul, c'est vous qui travaillez sur ces modèles au quotidien.
º (1610)
M. Paul Jenkins: J'estime que nous commençons à toucher les dividendes du cadre de politique économique que nous avons mis en place au Canada. C'est une des raisons pour laquelle notre économie se porte aussi bien depuis trois ou quatre ans, par rapport à celle de n'importe quel autre pays du G-7.
J'estime que cela traduit tout à fait ce que le gouverneur vient de dire, à savoir que nous avons instauré un contexte où l'inflation est faible et prévisible, que nous disposons d'un cadre financier, que nous nous sommes ajustés en fonction des accords de libre-échange et que nous avons apporté des ajustements structuraux. Certes, à l'analyse des différents indicateurs, comme l'investissement exprimé en pourcentage du PIB, on se rend compte que tout au long de la deuxième moitié des années 90—mouvement qui se poursuivra dans la présente décennie—on a assisté à une augmentation marquée de la part des investissements, exprimée en pourcentage du PIB, surtout dans la machinerie et dans l'équipement, augmentation qui a presque atteint les niveaux constatés aux États-Unis tout au long des années 90.
Pour ce qui est de l'avenir, j'estime que nous avons de bonnes raisons de penser que l'investissement dans les nouvelles technologies et dans le capital humain se poursuivra et que nous continuerons de réaliser des gains de productivité qui seront sensiblement supérieurs à ceux que nous avons connus dans les années 70 et 80.
Quand on ajoute à tout cela notre surplus du compte courant, nous sommes en train d'accumuler des richesses et nous consacrons ces économies intérieures à des investissements en capital, humain et physique. Je crois pouvoir dire que ces tendances sont indicatives de ce qui nous attend et qu'elles augurent bien de ce qu'il adviendra de l'économie canadienne.
La présidente: Merci.
Nous allons maintenant passer à M. Wilfert, pour huit minutes.
M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Merci beaucoup, gouverneur et merci messieurs. C'est toujours un plaisir de vous accueillir.
Je me propose d'aborder deux ou trois choses avec vous. Gouverneur, la semaine dernière encore vous avez mentionné que, dans certains secteurs de l'économie, nous ressentions toujours certains effets du 11 septembre et de la guerre en Irak, et bien sûr à présent les conséquences du SRAS. Cette maladie a eu un effet négatif non seulement sur la région du Grand Toronto, mais aussi dans le reste du pays. Je suis bien évidemment ravi d'apprendre que l'OMS a retiré son avertissement de voyage à Toronto, mais des dommages ont été occasionnés la semaine dernière et je doute que ce renversement de tendance aujourd'hui fasse la une de tous les journaux.
Nous avons donc subi un impact psychologique. Nos entreprises se remettaient des lendemains du 11 septembre, tandis que les particuliers s'inquiétaient des conséquences de la guerre en Irak, de nos relations commerciales avec les États-Unis—préoccupations qui, selon moi, n'étaient pas fondées mais qui existaient malgré tout —et voilà maintenant que nous devons composer avec les lendemains de la pneumonie atypique. Par rapport à ce qui s'est passé récemment—je sais qu'il vous est difficile de nous fournir des chiffres précis—que pourriez-vous nous conseiller pour faire face à la situation, c'est-à-dire face à un mouvement de foule de gens ayant perdu de l'argent ou une certaine capacité financière à cause d'événements imprévisibles?
Ces événements n'ont, quant à moi, rien de comparable avec la tempête de verglas ou avec les inondations de la rivière Rouge, en 1997, puisqu'il existait des dispositions légales prévoyant le versement d'indemnités. Dans le cas présent, comment réagissez-vous à l'idée que le gouvernement entreprenne de vastes opérations de sauvetage financier et quelles conséquences cela pourrait-il avoir?
M. David Dodge: Je laisserai au gouvernement le soin de répondre à cette question. Vous avez vous-même employé une notion très importante, celle de « perception ». La perception face à l'irruption de SRAS à Toronto, c'est que nous devrions cesser de nous rendre dans cette ville ou y aller moins souvent, que nous ne devrions pas passer autant de temps dans le métro ou dans les restaurants de la ville reine et ainsi de suite, autant de perceptions qui entravent l'activité économique. C'est cela qui fait mal.
Certains effets ne se feront pas sentir tout de suite et au fur et à mesure que cette perception s'évanouira, nous assisterons à un mieux parce que les gens recommenceront à sortir et ainsi de suite. Nous ne savons pas ce qui va se passer et, à la Banque, nous ne prétendons certainement pas le savoir. À l'analyse d'autres événements, on sait bien toutefois que ce genre de chose peut se produire.
Il ne fait aucun doute que nous aurons encaissé de véritables pertes, en avril et mai, certaines que nous n'arriverons pas à compenser dans l'avenir. Nous ne savons pas quelles seront les répercussions globales du SRAS, et personne ne peut vous le dire.
Il est évident que les répercussions seront négatives au deuxième trimestre et pas uniquement à Toronto. Nous espérons tous que, d'ici la fin du deuxième trimestre, tout sera terminé et il est même possible que, avant le début du troisième trimestre, nous ne constations une correction d'une partie des pertes enregistrées sur le plan de la consommation.
Il demeure que, pour ce qui est de l'emploi, il y aura un impact en avril et en mai, et peut-être aussi en juin, et nous assisterons à une diminution du nombre des emplois.
º (1615)
M. Bryon Wilfert: S'agissant de votre prévision, pour ce qui est de l'inflation et de l'emploi, ce que vous nous dites en fait c'est que vous espérez que les effets négatifs de tout cela seront à très court terme et que nous devrions assister à une amélioration vers la fin de l'année, peut-être à la faveur d'une reprise de la consommation qui a été décalée dans le temps.
M. David Dodge: Soyons prudents. C'est ce que nous estimons à la façon dont les choses se présentent actuellement, mais sans tenir compte des répercussions éventuelles du SRAS. Nous nous attendons à ce que, d'ici le quatrième trimestre, nous connaissions une croissance fondamentale plus forte. Même si nous ne pouvons le savoir avec certitude, je crois que certains des effets négatifs, qui se refléteront dans les données du second trimestre, seront compensés par les chiffres du troisième trimestre.
Compte tenu de la taille de l'économie, il s'agit de chiffres relativement peu importants et nous pouvons espérer que les spécialistes de la santé parviendront à contenir la maladie et qu'ils ne s'épuiseront pas eux-mêmes à la tâche.
M. Bryon Wilfert: Gouverneur, je me propose de changer un peu de sujet. Je suis récemment rentré du Japon où je me suis entretenu avec des responsables du secteur financier et des observateurs du milieu économique qui m'ont confirmé que le grand problème de ce pays est bien sûr celui de la déflation. Celui-ci est dû à une augmentation du ratio au PIB de 150 p. 100. Il convient par ailleurs de remarquer que toute la dette est intérieure ou qu'elle est contrôlée par le Japon, ce qui n'occasionne aucun sentiment d'urgence dans ce pays. Les Japonais n'ont pas l'impression d'être en crise, pourtant la deuxième économie mondiale, en taille, supérieure à celle de tous les autres pays asiatiques réunis, nous sert d'exemple. Nous avons tendance à beaucoup nous concentrer sur ce qui se passe en Chine, mais le Japon est aussi très important, particulièrement à cause des répercussions d'ordre structurel et bien sûr de la nature du régime bancaire nipon.
Je sais que les Américains se sont intéressés à la situation japonaise et que la Réserve fédérale a entrepris une étude à ce sujet. Je me demande si la Banque a, elle aussi, eu l'occasion d'examiner cela. Que pensez-vous de cette situation? Pour oublier un instant ce que vous avez déjà dit, pensez-vous que cette situation pourrait se produire aux États-Unis et, dans l'affirmative, quelles pourraient en être les conséquences?
Après deux années de Koizumi, les Japonais ne sont pas encore parvenus à apporter les changements structurels qui paraissaient nécessaires. Nous en sommes presque revenus à une situation du type Alice au pays des merveilles, puisque les Japonais nient complètement l'existence du problème mais qu'à un moment donné, le château de carte risque de s'écrouler.
º (1620)
M. David Dodge: Je vais demander à Paul, qui suit cette question de très près, de commencer par vous répondre et j'inviterai ensuite Chuck à vous parler de la stabilité financière du Japon.
La présidente: Monsieur Jenkins.
M. Paul Jenkins: Vous venez de soulever des points très importants, dont le premier est le risque de déflation en Amérique du Nord, aux États-Unis, ce qui nous permet de craindre certaines répercussions ici.
Nous suivons bien sûr la situation mondiale de près, à commencer par la situation en Amérique du Nord, et nous n'avons pas constaté de risque de déflation. D'ailleurs, à l'analyse des données d'inflation de la plupart des grands pays industrialisés, on constate l'existence de pressions à la baisse sur le prix des denrées, ce qui était prévisible puisque, dans certains cas, ce phénomène est dû à des gains de productivité. Les prix des services sont à la hausse et nous estimons que, en moyenne, les pays industrialisés ne présentent pas de risque de déflation. Voilà pour la première chose.
Deuxièmement, et Chuck voudra peut-être vous en parler après moi, il y a la question de ce qui se passe au Japon et des banques centrales qui ont prévenu ce pays du risque qu'il courait. Comme vous l'avez fort bien indiqué, la Réserve fédérale suit la situation japonaise de très près. Elle a notamment conclu qu'en présence de telles tendances...
Je crois d'ailleurs que cela nous rappelle l'importance qu'il y a de disposer d'objectifs très clairs en matière de politique monétaire. Cela nous rappelle ce que le gouverneur a dit plus tôt, quant à la nécessité d'adopter une approche symétrique consistant à réagir de façon opportune à l'apparition de pressions déflationnistes. Dans son étude, la Réserve fédérale a conclu qu'à condition d'agir de façon opportune, les banques centrales disposent des moyens voulus pour réagir aux pressions de l'heure.
Pour en revenir à la situation du Japon, je crois que vous avez tout à fait raison. Ce pays doit encore régler un certain nombre de problèmes de nature structurelle, surtout dans le secteur bancaire, mais il a mis sur pied un organisme qui est chargé de travailler dans ce sens. Par ailleurs, des restructurations dans le secteur non financier s'imposent également.
Il est vrai que le niveau d'endettement du Japon est très élevé, ce qui soulève des problèmes à moyen terme, problèmes dont nous sommes tout à fait au courant et dont le règlement prendra un certain temps.
La présidente: Monsieur Freedman, pouvez-vous répondre brièvement?
M. Charles Freedman: Je vais revenir sur deux choses mentionnées par Paul.
Quand les gens me demandent comment on peut sortir d'une situation du genre de celle que traversent les Japonais, je répond qu'il faut d'abord et avant tout ne pas se mettre dans une telle situation. Paul nous a bien indiqué pourquoi il était important d'agir ainsi. Dès que l'on voit apparaître certaines pressions, il faut réagir, et c'est d'ailleurs tout à fait le sens des discours du président Greenspan et de M. Bernanke.
Je crois que nous disposons d'un certain avantage au Canada. Certains pays visent des cibles d'inflation, mais celles-ci oscillent toujours plus ou moins autour des attentes en la matière. Au Canada, nous avons constaté, même au milieu des années 90 quand notre économie était relativement faible et que l'inflation subissait des pressions à la baisse, que les objectifs retenus nous avaient permis de compenser le phénomène. Nous sommes descendus jusqu'à 1 p. 100 d'inflation et même un peu moins, mais nous sommes parvenus à ne pas descendre plus bas.
Ce qui différencie le système japonais du système américain, comme vous le disiez, c'est aussi la faiblesse des institutions financières nipponnes. La Banque du Japon a augmenté son passif de quelque 30 p. 100, le concept d'offre monétaire a augmenté de 3 p. 100 et les prêts ont reculé de 3 p. 100 l'an dernier. Cette situation traduit le fait que les banques éprouvent énormément de difficultés.
Les banques américaines et très certainement les banques canadiennes présentent une santé financière nettement meilleure, si bien qu'une situation du genre de celle que connaît le Japon ne contribuerait pas à instaurer ni à aggraver une macrosituation.
La présidente: Merci à vous deux.
Madame Wasylycia-Leis.
Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Centre-Nord, NPD): Merci, madame la présidente.
Je tiens, moi aussi, à remercier MM. Dodge, Freedman et Jenkins de s'être rendus à notre invitation. Cette séance est chargée d'enseignements pour moi. Je viens juste de prendre le dossier des finances et je trouve votre intervention très utile.
M. David Dodge: Merci, madame Wasylycia-Leis.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Je suis heureuse de revoir M. Dodge, après son passage à la santé, en qualité de sous-ministre. J'ai beaucoup apprécié nos échanges à l'époque et j'envisage positivement la discussion d'aujourd'hui.
Je vais revenir sur ce qui s'est dit au début de la discussion ce qui semble être la grande préoccupation de la Banque du Canada, c'est-à-dire le contrôle d'inflation par le jeu des taux d'intérêt, seul instrument dont nous semblions disposer pour intervenir dans la situation économique au Canada. J'espère ne pas faire fausse route avec cette déclaration. D'après votre rapport et ce qui s'est dit jusqu'ici, il semble que la seule façon de contrer les pressions inflationnistes consiste, pour la Banque, à jouer sur le taux d'intérêt directeur.
Je reconnais qu'il y a des pressions inflationnistes et j'accepte ce que vous avez indiqué dans votre rapport. J'ai toutefois l'impression, comme M. Cullen l'a laissé entendre dans sa question, que vous avez recensé un certain nombre de facteurs qui contribuent aux pressions inflationnistes. Vous avez mentionné les principaux, comme les coûts plus élevés des principaux intrants, la solidité de la demande intérieure et ainsi de suite.
S'il existe des facteurs bien précis qui causent l'inflation et que nous ne sommes en présence d'un phénomène ou d'un problème généralisé, pourquoi appliquez-vous une approche systémique consistant à jouer sur les taux d'intérêt pour combattre les pressions inflationnistes? L'évolution à la hausse des prix du pétrole et du gaz et le monopole qui existe dans ce domaine, de même que l'absence de réglementation ou plus exactement la déréglementation dans le domaine des primes d'assurance en Ontario sont autant de facteurs qui contribuent à l'inflation. Ne serait-il pas mieux de s'attaquer à ces problèmes par le truchement de mécanismes réglementaires, d'autres processus auxquels ce comité peut recourir, plutôt que de jouer sur l'augmentation du taux directeur, ce qui pourrait poser problème pour l'économie?
º (1625)
M. David Dodge: Revenons-en au problème de fond. Vous nous reprochez de nous focaliser sur l'inflation. En fait, ce que nous cherchons surtout à faire, c'est à permettre à la croissance de continuer à progresser selon son potentiel. C'est notre objectif. La raison pour laquelle nous nous intéressons d'abord et avant tout à l'inflation, c'est que l'inflation est l'instrument sur lequel nous pouvons agir et, plus important encore, elle est la jauge qui nous permet de savoir à quelle distance nous nous trouvons de notre pleine capacité économique. Nous souhaitons tutoyer une croissance de 3 p. 100, sans demande ni offre excédentaire.
Nous avons constaté, d'après nos objectifs inflationnistes, que nous avons atteint de bien meilleurs résultats que par le passé et que nous avons mieux fait que d'autres pays grâce. Les cibles d'inflation sont un instrument destiné à nous permettre d'atteindre nos objectifs économiques, soit de tendre vers notre pleine capacité, et il est très important que nous en soyons conscients.
La Banque ne peut qu'influencer cet instrument par le biais de la politique monétaire. Il n'y a pas que le taux directeur qui importe, les conditions générales de crédit sont, elles aussi, très importantes. Pour bien vous expliquer le rôle fondamental que nous remplissons, je vous dirai que nous essayons de jouer sur les leviers monétaires dès que l'économie ralentit en dessous d'un certain seuil ou, au contraire, qu'elle a tendance à surchauffer.
Nous avons beaucoup craint, à l'automne 2001, dans le sillage des événements aux États-Unis, de passer en dessous de notre capacité normale, ce qui nous a incité à réduire considérablement le taux directeur. Depuis, nous avons essayé de stimuler l'économie. Notre politique consiste à continuer de faire la même chose, mais pas dans la même mesure qu'au lendemain du 11 septembre.
Je vais dire une dernière chose après quoi Chuck voudra sans doute intervenir lui aussi. Vous avez tout à fait raison, en ce sens que la structure des marchés a une influence. Dans la mesure où les marchés fonctionnent sans heurt, à la bonne vitesse, il y a autorégulation même en cas de légère augmentation ou de légère diminution des prix, si bien qu'il n'y a pas de véritable problème.
Pour l'instant, c'est le secteur du logement qui caracole en tête de l'économie, sous l'effet d'une politique monétaire stimulante; ce qui est plutôt bien. Non seulement nous avons ainsi construit beaucoup de maisons, ce qui est formidable pour les Canadiennes et les Canadiens, mais nous en sommes au point où nous avons tellement stimulé la demande que les prix des maisons augmentent. Nous assistons donc à l'apparition de certaines pressions généralisées de ce côté.
Enfin, nous avons essayé—et je ne sais si nous y avons réussi—d'expliquer un peu ce qui s'est produit, non pas pour nous déresponsabiliser, mais plutôt pour vraiment expliquer la situation. Cela se trouve dans l'encadré de la page 6.
º (1630)
M. Charles Freedman: Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter une chose. À la fin de l'automne, quand nous pensions que toutes les pressions qui s'exerçaient sur l'IPC provenaient de facteurs ponctuels, nous avons décidé de ne pas augmenter le taux directeur. Nous avons bien fait, parce que nous pensions que le taux d'inflation allait reculer.
Toutefois, deux événements se sont produits après cela. D'abord, nous avons assisté à une généralisation de l'augmentation des prix, phénomène qui était dû, comme le gouverneur vous l'a indiqué, au fait que la demande avait augmenté au point d'en arriver presque à notre limite de capacité dans certains secteurs. C'est là quelque chose de différent. D'ailleurs, même si nous étions en présence de facteurs ponctuels, comme ceux-ci ont commencé à agir sur les niveaux d'attente, nous avons vu apparaître des problèmes liés au comportement des consommateurs.
L'expérience des 10 dernières années m'a convaincu qu'un taux d'inflation faible et prévisible favorise la santé de l'économie. Notre économie au cours des 10 dernières années a été beaucoup plus stable que lors des 20 années précédentes. Une inflation fiable prévisible est un moyen de parvenir à cette fin, comme le gouverneur vous l'a dit, c'est-à-dire le fait de parvenir à une économie qui fonctionne bien.
Ce n'est qu'en janvier que nous avons commencé à interpréter les données d'inflation un peu différemment. Il est vrai qu'en grande partie, les facteurs inflationnistes sont ponctuels, mais nous assistons à l'apparition d'un phénomène beaucoup plus fondamental. C'est à ce moment-là que nous avons envisagé d'être un peu plus restrictifs, faute de quoi nous aurions risqué de nous retrouver dans une situation où les pressions inflationnistes auraient pris le dessus, ce qui nous inquiétait.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Je comprends ce que vous dites. Je suppose qu'on peut dire que l'économie est stable quand il n'y a pas de fluctuations, quand elle n'évolue pas en dents de scie, quand elle ne connaît pas de grands chambardements. Il demeure qu'une grande majorité de Canadiens est en quête de débouchés d'emploi et de façons de mettre leurs familles à l'abris des pressions croissantes qui pèsent sur elles.
Vous avez dit que l'économie est saine et que le marché du travail est porteur. Cependant, je ne pense pas vous avoir entendu parlé du chômage, qui est stable à 7 p. 100, ce qui est tout de même relativement élevé. Les revenus des ménages continuent de diminuer. Le taux de participation au marché du travail a augmenté, mais c'est parce que beaucoup de personnes âgées reviennent sur le marché du travail et occupent des emplois peu rémunérateurs et qu'un grand nombre de travailleurs combinent plusieurs emplois à temps partiel pour boucler leurs fins de mois.
Ce ne sont pas que les néo-démocrates qui tiennent ces discours et je crois même que Judith Maxwell a récemment déclaré que nous avons encore une économie de bas salaires au Canada. Dans ce contexte, est-ce qu'il ne serait pas plus logique de faire jouer d'autres leviers que les taux d'intérêt afin de stimuler l'économie et de parvenir à un nouveau niveau de stabilité? J'en reviens à ma question, votre boîte à outil ne contient-elle pas d'autres instruments que ceux dont vous vous servez exclusivement pour juguler l'inflation par le truchement des taux d'intérêt, ce qui, comme je le prétends ainsi que d'autres, a peut-être un effet négatif sur la croissance de l'emploi et pourrait être source de déflation?
La présidente: M. Dodge voudrait répondre.
M. David Dodge: Il existe effectivement d'autres instruments. Nous disposons de quatre jeux d'instruments. Le premier est celui de la politique financière, appliquée par les gouvernements provinciaux et fédéral. Il existe aussi tout un éventail de politiques structurelles qui relèvent de ces deux ordres de gouvernement. Il y a en outre la politique commerciale et la politique monétaire. En quelque sorte, il s'agit d'un tabouret à quatre pattes.
Nous sommes responsables d'une des pattes. Si nous agissons comme il se doit—c'est-à-dire en fonction d'une inflation cible—si les autorités financières maintiennent l'équilibre à cet égard, les autorités chargées des aspects microéconomiques et celles responsables du commerce parviendront alors à faire évoluer les choses de leur côté et c'est agissant tous ensemble que nous réaliserons le plus de progrès.
Aucune de ces politiques n'est facile à appliquer, mais je crois pouvoir dire que les difficiles décisions prises dans les quatre secteurs occupés par la Banque, par le gouvernement fédéral et par les gouvernements provinciaux au cours des 10 ou 12 dernières années ont donné des résultats tels que nous allons améliorer la performance de l'économie. Nous devons veiller à ce que l'inflation ne nous joue pas de mauvais tours, mais ce n'est pas facile.
º (1635)
La présidente: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à M. Murphy.
M. Shawn Murphy (Hillsborough, Lib.): Merci, madame la présidente. Merci au gouverneur et merci à MM. Freedman et Jenkins.
Gouverneur, je veux parler d'un aspect qui ne fait normalement pas partie de la politique monétaire au sens traditionnel du terme, mais qui y touche tout de même, c'est-à-dire les marché des titres participatifs en Amérique du Nord. L'économie semble se porter assez bien, les bénéfices des sociétés sont assez bons et, en pourcentage du PIB, ils sont même plutôt élevés. Cela dit, il semble y avoir ce décalage entre la sensibilité de l'économie et celle des marchés boursiers. Comme vous le savez, toutes sortes de facteurs interviennent sur ce dernier plan, et personne ne peut prévoir de quoi l'avenir sera fait, mais j'ai l'impression que cette situation délicate dure depuis deux ans ou deux ans et demi maintenant et j'ai l'impression qu'il existe un lien avec la politique monétaire.
Dans votre rapport, vous dites que l'augmentation des primes d'assurance a été provoquée par les pertes des compagnies d'assurance. Nous sommes aussi en présence d'un facteur richesse qui, cette fois, affecte négativement la confiance des consommateurs, parce qu'ils ont perdu une grande partie de leurs gains boursiers.
Dans un autre domaine, sur lequel je veux revenir plus tard, il y a toute la question des régimes de retraite publics et privés qui sont sous-financés. Là aussi, j'ai l'impression que la politique monétaire a son importance et je sais que vous allez résister à la tentation de vous livrer à une quelconque prédiction quant à l'orientation du marché boursier.
Le décalage entre l'économie et le marché boursier—il y en a toujours un—semble perdurer ces temps-ci. Ce que je voudrais savoir de la Banque, c'est si elle n'estime pas avoir une responsabilité dans tout cela à cause de sa politique monétaire et, à supposer que cette situation se prolonge une autre année ou une autre année et demi, par exemple, si elle ne croit pas que sa position risque d'avoir un effet négatif sur toute la situation?
M. David Dodge: Je commencerai par vous dire que s'il y a eu décalage entre les deux réalités, celui-ci s'est produit en 1998, 1999 et 2000. Nous assisterions plutôt aujourd'hui à un renversement de situation pour tendre vers la convergence. De toute évidence, une certaine partie de la richesse sur papier a disparu après 2000, aussi simplement qu'elle était apparue après 1997 ou 1998.
D'après nous, et du point de vue de l'économie réelle, la vraie question est de savoir dans quelle mesure les entreprises ont accès au capital et s'il s'agit de capitaux propres, de capitaux empruntés ou de prêts bancaires. Dans quelle mesure les conditions globales de crédit les limitent-elles dans leurs projets?
Pour l'instant, par rapport à ce qui s'est passé à l'automne dernier, les prêteurs commencent à consentir des capitaux de risque à certaines entreprises qui n'ont pas accès à des prêts consentis à des taux préférentiels. Pour l'instant, nous n'estimons donc pas que l'accès au capital est un obstacle majeur à la croissance, pas plus pour les petites ou moyennes entreprises que pour les grandes, hormis dans certains secteurs où les risques sont à qualifier d'extraordinaires.
Je vais céder la parole à Chuck parce qu'il a pour fonction de surveiller tout cela.
M. Charles Freedman: Je veux simplement ajouter une chose. Vous avez posé deux questions qui portent sur la cause et sur les effets. Les effets sont intéressants pour ce qui s'annonce. Quand nous décidons de fixer le taux directeurs à tel ou tel niveau, dans le contexte de notre politique monétaire, nous tenons compte de l'ensemble des facteurs qui influent sur la demande. Il est évident que la bourse est du nombre. C'est elle qui est à la base de l'effet richesse, de l'effet du coût des capitaux, du niveau de confiance et ainsi de suite, autant de facteurs dont nous devons tenir compte.
Tout cela est plus marqué dans certains pays que d'autres. Ça l'est peut-être beaucoup plus aux États-Unis à cause de la forte proportion d'Américains ayant des placements sous la forme d'actions. Il y a aussi des effets indirects comme ceux que vous avez mentionnés, par exemple ce qui se passe au niveau des compagnies d'assurance qui accusent une baisse de rendement de leurs portefeuilles.
Tout cela alimente la décision que nous devons prendre. Comme vous l'avez dit, c'est là un des facteurs qui intervient dans les décisions en matière de politique monétaire, par le truchement de tous les éléments qui ont une influence sur la demande globale et, indirectement, sur l'inflation.
º (1640)
M. Shawn Murphy: Le mot « décalage » est peut-être inapproprié mais tout de même, quand l'économie va bien, on pourrait s'attendre à ce que la bourse... il est possible que le décalage dans le temps a commencé il y a cinq ans déjà. C'est la réalité.
Formulons une hypothèse : supposons que les marchés boursiers chutent de dix autres pour cent dans les 12 prochains mois. Quelle répercussion cela aurait-il sur la politique monétaire? Je veux parler ici des primes d'assurance et des régimes de pension. S'agit-il de choses qui vous préoccupe?
M. Charles Freedman: Comme je le disais, nous en tenons compte, par les différents canaux dont nous avons parlé. Et il y en a beaucoup, qui ont un effet sur la consommation et, par rebond, sur l'investissement. Les entreprises peuvent accéder à des capitaux et puis, il y a la question de leur gouvernance. Tout cela intervient dans nos décisions et ce que vous avez mentionné est un facteur—important—parmi bien d'autres.
Je vais vous donner un autre exemple. Supposons, à l'inverse, que le marché des valeurs soit nettement plus élevé qu'à l'heure actuelle, ce qui veut dire que les ménages dépenseraient plus, constat qui nous inciterait à resserrer notre politique monétaire parce que la demande serait beaucoup plus élevée et qu'il y aurait risque de surchauffe. D'un autre côté, si la bourse était plutôt déprimée, que la consommation soit inférieure aux attentes, nous déciderions de fixer le taux directeur différemment.
Quand nous formulons nos scénarios dans notre rapport sur la politique monétaire, nous formulons des hypothèses quant aux résultats éventuels d'une intervention monétaire. Nous estimons que telle ou telle chose va se produire, mais si nous sommes en présence d'un phénomène du genre de celui que vous avez décrit, nous revenons sur nos décisions de fixation du taux directeur afin d'essayer de rééquilibrer l'offre et la demande et, dès lors, de faire en sorte que l'inflation s'approche le plus possible des 2 p. 100.
Vous avez fait une remarque importante, mais il ne s'agit que d'un facteur parmi tant d'autres, facteur qui intervient dans l'équation de l'offre et de la demande. Tout à l'heure, nous avons parlé de taux de change, eh bien le taux de change est un autre facteur. Le marché boursier en est un autre et la prédisposition ainsi que la capacité des banques à charte à consentir du crédit en est un autre aussi. La plus-value immobilière est un autre facteur.
Je vais vous donner un exemple. Au début des années 90, aux États-Unis, les banques étaient particulièrement disposées à consentir des prêts. Elles ont connu une forme de crise du crédit avec des taux d'intérêt considérablement inférieurs à ce qu'ils auraient dû être en temps normal. La même chose s'est reproduite en 1997-1998, avec la crise est-asiatique. À la sortie de cette période, la situation avait changé, de même que les taux d'intérêt.
En un sens, vous devez considérer que notre approche à la fixation des taux d'intérêt se fonde sur les effets que nous constatons dans l'économie réelle, effets qui se font ressentir au niveau de la demande et de l'offre. Comme je le disais, la situation que vous avez soulignée, c'est-à-dire celle du marché des valeurs mobilières, est importante mais elle n'est qu'un des facteurs dont nous tenons compte.
La présidente: Merci beaucoup. Merci, monsieur Murphy.
Monsieur Pillitteri.
M. Gary Pillitteri (Niagara Falls, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.
C'est toujours un plaisir de vous recevoir pour vous entendre nous faire une lecture de votre boule de cristal, gouverneur Dodge, monsieur Freedman et monsieur Jenkins. Je vais vous poser quelques questions au nom des gens d'affaires ou du secteur du tourisme pour voir quels conseils vous pourriez leur donner.
Personnellement, je suis interpellé par l'approche uniforme appliquée par la Banque, surtout en ce qui concerne l'industrie touristique, au moment, par exemple, où le prix des carburants augmente. Il est très difficile de répercuter rapidement ce genre de coût. Ce n'est pas comme dans le secteur manufacturier parce que les forfaits voyage sont vendus à l'étranger un an d'avance et qu'il n'est plus question de les modifier à la dernière minute en fonction de l'augmentations du prix de l'essence.
Il y a aussi la question des changements survenus dans l'industrie touristique au cours de 20 dernières années puisque, avant cela, les emplois étaient davantage saisonniers. Aujourd'hui, ce sont des emplois annuels car pour obtenir l'argent du touriste, nous devons concurrencer les Européens et les Américains. Le Canada n'est plus une région touristique saisonnière; nous créons maintenant des emplois réguliers, à long terme. En période de repli économique, les entreprises du secteur touristique doivent assumer des masses salariales importantes, pour des effectifs qui ne sont pas productifs, afin de pouvoir disposer du personnel quand il sera nécessaire.
Que se passe-t-il à l'occasion d'événements comme la guerre de l'Irak, quand l'industrie touristique est durement touchée? Aujourd'hui, le problème ne se limite pas à Toronto, même si cette ville est le principal point d'entrée en Ontario. Comme je représente Niagara Falls, je sais que nous avons là-bas le troisième plus important groupe d'exploitants d'entreprises touristiques au Canada. Nous accueillons 18 millions de touristes à Niagara Falls et 3 million à Niagara-on-the-Lake. Les effets d'un problème comme la pneumonie atypique se font immédiatement sentir.
En réponse à une question, vous avez dit espérer une reprise au quatrième trimestre mais je dois vous expliquer que la saison touristique pour le marché japonais va de la fin avril à la fin mai. Les Japonais ont tout annulé et ils ne reviendront pas chez nous cette année. Nous avons été directement touchés par le SRAS, surtout à la suite de la décision de l'Organisation mondiale de la santé. Il est vrai qu'elle a retiré son avis, mais le marché chinois est perdu pour le Canada cette année.
Plutôt que d'intervenir rapidement pour augmenter le taux directeur, je me demande si vous ne pourriez pas reconsidérer votre décision pour vous aligner davantage sur ce qui se fait aux États-Unis. Les deux dernières fois, en mars et en avril, vous avez augmenté le taux de 0,25 p. 100 et de 0,5 p. 100, tandis que les États-Unis ne l'ont pas touché, en sorte que le nôtre est relativement plus élevé. Il y a eu une autre répercussion, puisque notre dollar a augmenté par rapport à la devise des États-Unis qui est l'un de nos principaux marchés concurrents.
Il y a donc un effet en cascade, mais quand nous sommes les premiers touchés, nous sommes aussi les derniers à nous remettre. C'est l'industrie touristique qui est la plus durement touchée, mais rien n'est prévu pour la dédommager ou considérer qu'il s'agit de la rançon des affaires.
º (1645)
M. David Dodge: Je vais laisser à un natif de St. Catharines le soin de répondre à cette question, mais...
M. Paul Jenkins: Je savais que vous alliez me faire ce coup-là.
Des voix : [rires]
M. David Dodge: ... mais je commencerai par vous dire que, le plus important, c'est que le Canada se dote de politiques appropriées à la situation canadienne. Il est vrai que le monde se porterait mieux si toutes les autorités monétaires nationales s'occupaient bien de leur situation, à leur niveau, c'est la formule qui fonctionne le mieux pour l'économie mondiale mais, en ce qui nous concerne, nous devons nous occuper de notre situation ici. Nous fixons des politiques qui sont adaptées à la situation globale.
Je vais maintenant céder la parole à Paul qui va vous parler de la situation dans la péninsule du Niagara.
M. Paul Jenkins: Je fois préciser, avant tout, que vous n'êtes pas le seul à dire cela, puisque je le tiens aussi d'amis très proches de la péninsule du Niagara, qui travaillent dans l'industrie du tourisme et avec qui j'entretiens des contacts réguliers pour suivre l'évolution de cette partie du pays.
Comme le gouverneur vous l'a dit, notre responsabilité consiste à administrer une politique monétaire nationale et à le faire en fonction d'un point de vue également national. Vous avez fait une comparaison avec les États-Unis. À bien des égards, la politique monétaire canadienne est fonction des excellents résultats économiques que nous avons connus, résultats nettement supérieurs à ceux des États-Unis, selon presque tous les indicateurs : niveau d'emploi dans la plupart des secteurs, croissance économique globale et amélioration de la rentabilité.
Nous devons prendre acte des sources de demande au sein de notre économie, de même que de la demande extérieure pour nos produits et services. Au cours de la dernière année ou des deux dernières années, la demande intérieure a été très forte au Canada. Il était donc question pour nous de réaliser un équilibre et de tenir compte de cette information dans notre analyse globale, pour l'ensemble des secteurs, ce qui s'entend du tourisme, pour toutes les régions. Nous devons veiller à réaliser un équilibre entre la demande globale et la capacité durable de production de l'économie pour maintenir le taux d'inflation aux environs de 2 p. 100 tout en instaurant un climat favorable à une croissance soutenue au Canada.
C'est ce que nous avons fait récemment et c'est ce que nous allons continuer de faire.
º (1650)
M. Gary Pillitteri: Pour enchaîner sur cette question des taux d'intérêt, je comprends que vous ayez à intervenir le biais d'une politique qui avantage les Canadiens, ce qui n'empêche qu'il faut aussi s'intéresser à ce qui se passe ailleurs.
Il y a un autre secteur d'activité dans la péninsule de Niagara, celui de l'alimentation et de la transformation des produits alimentaires et l'on sait très bien, comme cela a été dit, que si le dollar canadien augmente à 71 ou 72 ¢ américains, nous perdrons une grande partie de la transformation des produits alimentaires au profit des États-Unis.
Avez-vous suivi ce qui s'est produit très soudainement ces trois derniers mois, pendant que notre dollar grimpait de 63 ¢ à 69 ¢ américains. Pour ce qui est de l'avenir, il n'y a pas que l'industrie touristique qui me préoccupe; il y a aussi l'industrie de la transformation alimentaire ou du moins le peu qu'il en reste au Canada. Tenez-vous compte de cela, de la valeur potentielle du dollar et est-ce que cela va vous amener à modifier ou à reconsidérer votre taux directeur?
M. David Dodge: Revenons-en à ce qui s'est dit à ce comité il y a un an. Le problème, c'est que notre dollar était à 63 ¢.
Comme nous l'avons dit plus tôt, le taux d'échange bilatéral avec les États-Unis est un facteur dont nous tenons compte parce qu'il a une répercussion sur l'équilibre entre la demande et l'offre et que, dès lors, il intervient dans nos perspectives économiques. Donc, nous tenons effectivement compte de ce facteur et d'autres.
Je vais faire une simple remarque. Je reviens dans ce domaine après plusieurs années d'absence et je suis très surpris de constater que, ce que les économistes appellent la « loi du prix unique » ne semble pas se confirmer autant que nous l'aurions pensé. On assiste encore à ces écarts de prix très importants entre le Canada et les États-Unis, même s'il n'y a qu'une frontière à traverser et que l'on accède facilement à la plupart des produits par Internet. Il est vrai que le taux de change se fait directement sentir sur le prix des produits échangés à la bourse de Chicago, AMEX, ou ailleurs, ce mouvement est très rapide.
Pour la plupart des biens manufacturés et des services, les prix ont tendance à être fixés dans le contexte d'un marché intérieur. Quand notre marché intérieur est fort, les prix en dollar canadien tendent à augmenter un peu plus vite que nous aurions pu nous y attendre autrement. Quand le marché est faible, comme lors d'une période de dépréciation, le taux d'échange ne se reflète pas aussi vite dans l'inflation sous-jacente qu'il y a 20 ou 30 ans.
Ce qui est intéressant, c'est que ce constat n'est pas uniquement vrai pour le Canada, mais qu'il l'est pour l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. Les choses ont beaucoup changé en 30 ans dans la façon dont les marchés fonctionnent.
La présidente: Merci beaucoup à vous deux.
Nous allons entamer une seconde série de questions de cinq minutes chacun. Chers collègues, je vous invite à limiter la durée de vos questions et je vais demander à nos témoins de donner des réponses plus courtes. Il m'est toujours difficile d'interrompre les témoins, mais je peux toujours le faire pour mes collègues qui m'en excuseront.
Allez-y, monsieur Penson.
M. Charlie Penson: Merci.
Nous avons beaucoup parlé de politique monétaire, mais je crois savoir que vous administrez aussi la dette fédérale pour le gouvernement du Canada. Je voudrais savoir quel genre de conseils vous lui donnez à cet égard, par les temps qui courent. Essayez-vous de reporter l'échéance des taux d'intérêt? Qu'advient-il de la révision de la dette canadienne?
M. David Dodge: Je vais vous répondre très brièvement.
En même temps que le budget, le gouvernement présente un plan énonçant la façon dont il entend administrer ses finances. Comme vous le savez, nous avons agi avec vigueur au début des années 90, quand nous ne savions pas vraiment s'il allait nous être possible d'emprunter davantage. Nous avons alors décidé de négocier une dette à long terme, ce qui s'est traduit par des coûts additionnels pour le contribuable canadien, mais également par une réduction du risque parce qu'il ne nous serait plus nécessaire de réviser le taux d'emprunt.
Nous nous trouvons maintenant dans un contexte où la politique financière est stabilisée, de même que l'inflation, nous avons conseillé au gouvernement du Canada de jouer de prudence en épargnant un peu d'argent du contribuable par l'affectation d'une partie plus importante de la dette sous la forme d'emprunts publics à court terme. Nous pouvions le faire moyennant un risque très raisonnable et, dans le temps, nous pouvions espérer épargner un peu d'argent au contribuable. Voilà le véritable avantage que présentent un taux d'inflation faible, stable et prévisible, et la réduction progressive du ratio de la dette publique au PIB.
º (1655)
M. Charlie Penson: Monsieur Dodge, comme les taux d'intérêt que nous connaissons sont presque à leur niveau historiquement le plus bas, ne serait-il pas prudent de décider maintenant de lancer des emprunts portant des intérêts longs, à moins que le gouvernement n'envisage de rembourser sa dette beaucoup plus vite que je ne le pense personnellement?
M. David Dodge: Non, pas pour une institution de la taille du gouvernement du Canada. Le taux d'intérêt de la dette du Canada, qu'il se présente sous la forme d'obligations à trois mois ou d'emprunts publics à 30 ans, forme la base sur laquelle repose tout le marché de la dette canadien. Il ne faut pas essayer d'administrer notre dette public de façon à en modifier le solde par à-coups plus ou moins importants. Cette dette constitue une base très importante sur laquelle s'appuient les marchés financiers.
Nous n'essayons pas d'intervenir au plus serré sur ce plan. Nous essayons plutôt de jouer sur le moyen terme. Voilà pourquoi nous avons augmenté le ratio d'endettement long à moyen terme au début des années 90 quand nous avons eu des difficultés financières et voilà pourquoi nous sommes parvenus à le réduire récemment.
M. Charlie Penson: Est-ce parce qu'il s'agit d'une somme énorme, de quelque 500 milliards de dollars?
M. David Dodge: Effectivement, c'est un gros montant. Deuxièmement, comme je le disais, nous ne sommes pas en train de jouer un jeu qui consiste à bénéficier au maximum de l'évolution de la courbe de rendement, parce que ce sont nos actions même qui influent grandement sur l'évolution de cette courbe. Nous intervenons davantage à moyen terme.
M. Charlie Penson: Si je comprends ce que vous dites, c'est quand nous essayons d'obtenir des taux d'intérêt favorables à long terme pour l'État que nous provoquons une augmentation des taux d'intérêt commerciaux et à la consommation, qu'il se produit un phénomène de répercussion. C'est ce que vous dites?
M. David Dodge: Pas du tout. À l'expérience des cinq ou dix dernières années, nous avons plutôt constaté l'inverse. Comme nous avons réduit la dette du gouvernement fédéral et que plusieurs provinces ont réduit leur dette de leur côté, nous avons en fait exercé une pression à la baisse sur les taux d'intérêt et permis à des entreprises d'emprunter. C'est en fait l'inverse qui s'est produit.
M. Charlie Penson: Est-ce que vous conseillez le ministre des Finances sur la question de la fusion des banques?
M. David Dodge: Non.
La présidente: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à M. Valeri.
M. Tony Valeri (Stoney Creek, Lib.): Merci, madame la présidente.
J'ai deux questions à poser. Je ne sais si je le pourrai, mais je vais toujours commencer par la première.
Je pose toujours une question sur les relations Canada-États-Unis quand j'en ai la possibilité. De nombreux analystes, appartenant à des cellules de réflexion et travaillant à l'extérieur du gouvernement, mais aussi à Industrie Canada, nous ont parlé des mérites d'une plus grande intégration économique avec les États-Unis. Je parle ici de marché commun et de choses du genre, ce qui consisterait à porter l'ALENA à un autre niveau de même que des possibilités offertes par la Zone de libre-échange des Amériques. Je me demande quelle incidence tout cela pourrait avoir sur notre économie.
La Banque du Canada s'est-elle interrogée à ce sujet? Avez-vous réalisé une analyse coûts-bénéfices dans le cas d'une éventuelle union douanière ou d'un type quelconque de marché commun? Voilà ma première question.
Ma deuxième question est la suivante. Si nous allions dans le sens d'une intégration économique, faudra-t-il en appliquer toutes les étapes, notamment celle de l'union monétaire? Je ne suis pas fanatique de cette formule et dès qu'on se lance dans ce genre de débat, on se rend compte qu'on descend le long d'une pente glissante parce qu'on nous dit que, au bout du compte, il faudra instaurer une union monétaire. Ce faisant, nous n'aurons plus la possibilité d'exercer notre propre politique monétaire. Qu'en pensez-vous?
» (1700)
M. David Dodge: Tout d'abord, il est évident que nous sommes tous des économistes à la Banque et que c'est avec le regard de l'économiste que nous nous effectuons nos analyses. Toutes nos analyses économiques confirment qu'il est très important d'ouvrir les marchés, c'est-à-dire d'éliminer les obstacles au commerce afin d'améliorer notre capacité de production de richesses de notre économie. Notre préférence va bien sûr à l'élimination multilatérale des barrières au commerce, mais si nous n'y parvenons pas, nous pourrons toujours continuer à éliminer les barrières au commerce interprovincial, de même que les barrières entre le Canada et les États-Unis et entre le Canada et le Mexique... en fait toutes les barrières dans les Amériques. Nous favorisons donc l'élimination des barrières au commerce parce qu'à longue échéance c'est cette formule qui va favoriser l'efficacité de l'économie et l'augmentation des revenus des Canadiennes et des Canadiens.
Il y a un an, nous nous sommes posé la question du bien-fondé d'une union monétaire. En fin de compte, celle-ci ne se présentera pas dans un avenir prévisible à cause de deux grandes réalités. D'abord, nous sommes encore très loin de parvenir à l'intégration du marché des biens et encore plus loin de l'intégration du marché de la main-d'oeuvre. Il demeure de véritables barrières qui exigeraient que nous apportions des changements.
Deuxièmement, la structure de l'économie canadienne est très différente de celle de l'économie américaine. Nous ne savons pas si, dans l'avenir, nous tendrons vers une plus grande convergence sur le plan des structures, ce qui est toujours possible, ou si le Canada et les États-Unis ne vont pas plutôt se spécialiser et miser chacun sur des gammes limitées de produits.
Pour l'instant, nos structures sont différentes et les prix relatifs entre les biens et les services devront changer. Il est dès lors particulièrement utile que le Canada dispose d'un système de prix multiples parce que cela lui permet d'apporter des ajustements en cours de route et d'éviter d'importer une inflation importante des États-Unis, dans certaines périodes, ou d'importer une déflation quand nous nous ajustons.
Nous avons l'impression, en fait ce n'est pas une impression mais le résultat de notre analyse... Les banquiers n'ont pas d'impressions, n'ont pas de sentiments.
Des voix : [rires]
M. David Dodge : D'après les analyses que nous avons effectuées, il est évident que, pour ce qui est du proche avenir, c'est le régime actuel qui nous est le plus favorable.
M. Tony Valeri: Quand vous dites cela et que vous parlez d'un régime, parlez-vous de la politique monétaire ou de l'union douanière, de ce qui se ramène essentiellement à l'harmonisation d'un tarif extérieur?
M. David Dodge: Excusez-moi. Je pensais que votre question portait sur l'union monétaire. C'est de cela dont je parlais.
M. Tony Valeri: Non, et je suis plutôt d'accord ce que vous avez dit au sujet de l'union monétaire. Je pense qu'il existe actuellement plusieurs barrières et que nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour y arriver.
Ma question était différente. Estimez-vous qu'il y a des barrières qui nous empêchent de parvenir à l'harmonisation d'un tarif externe avec les États-Unis, à une union de type douanier, avec tous les coûts et les avantages qu'elle représente? Deuxièmement, si nous allions dans ce sens, est-ce que nous nous dirigerions automatiquement vers une union monétaire? Je ne le pense pas, mais j'aimerais savoir ce qu'en pensent nos témoins experts.
M. David Dodge: La réponse est non. Vous avez raison, l'un n'entraîne pas forcément l'autre. J'ai analysé un peu la question à l'occasion du rapport du sénateur van Roggen, en 1980, quand nous avons étudié cela pour la première fois. Je pense avoir un penchant très marqué pour l'élimination des barrières au commerce entre nos deux pays. J'estime que c'est la bonne chose à faire mais cela ne revient pas à dire que nous en viendrons automatiquement à une union monétaire.
Enfin, il y a une chose qui est très importante, une chose dont je m'en voudrais de ne pas parler, c'est qu'il est extrêmement important de collaborer avec les Américains pour éliminer tous les obstacles non tarifaires au commerce transfrontalier, obstacles liés à la sécurité et à d'autres problèmes. C'est très important, non seulement pour la sécurité mais aussi pour le transport, pour le franchissement de la frontière par les biens et les personnes. Il faut, en quelque sorte, essayer de supprimer tous les obstacles bureaucratiques au mouvement transfrontaliers de biens et de services, de même que des personnes.
» (1705)
La présidente: Merci.
Nous allons passer à Mme Leung.
Mme Sophia Leung (Vancouver Kingsway, Lib.): Merci, madame la présidente. Merci gouverneur et merci MM. Jenkins et Freedman.
Ce matin, j'ai eu la chance de visiter la Compagnie canadienne des billets de banque où l'on imprime des billets de banque et des passeports. Malheureusement, on ne m'en a pas remis d'échantillons.
Des voix : [rires]
Mme Sophia Leung : Ma question va essentiellement porter sur le dollar. À la suite de l'augmentation récente du dollar canadien, qui valait avant 69 ¢, je crois savoir que nos exportations sont touchées. À quel moment la valeur relative du dollar canadien porte-t-elle tort à la croissance de nos exportations et ralentit-elle la croissance économique globale? Voilà pour ma première question.
M. David Dodge: Il n'existe pas vraiment de seuil. Il n'existe pas de chiffre magique que je pourrais vous citer. Deuxièmement, il faut savoir exactement pourquoi les taux de change varient dans le temps. Si ces variations tiennent essentiellement à de véritables facteurs économiques, cela veut dire que la valeur du dollar canadien se situe exactement là où elle doit être et que les marchés contribuent au processus d'ajustement.
La question, qui est une question de jugement, consiste à savoir si les mouvements sont dus à des changements exogènes ou exogènes aux portefeuilles ou à de véritables facteurs. Si tel était le cas, il faudrait alors analyser la situation un peu plus près.
Si vous voulez en savoir un peu plus à ce sujet, voici le spécialiste à qui parler, mais comme je le disais plus tôt, notre taux de change par rapport à la devise américaine est revenu à son niveau d'il y a trois ans, la valeur de la devise canadienne ayant remonté après avoir perdu du terrain. C'est tout à fait normal étant donné les ajustements qu'a connus notre économie.
Mme Sophia Leung: Quand le dollar canadien est faible, les entreprises ont plutôt tendance à bénéficier directement de cette faiblesse plutôt que d'investir pour améliorer la productivité et de se doter d'équipements de pointe. Le dollar canadien vaut maintenant plus, même si ce n'est que quelques cents, mais est-ce que cette situation stimule la productivité et la croissance?
J'ai une autre question. Est-ce que la Banque du Canada estime que la valeur actuelle du dollar canadien est justifiée?
M. David Dodge: La valeur du dollar est toujours justifié à son niveau de l'heure...
Des voix : [rires]
M. David Dodge : ... c'est toujours le cas. C'est un peu comme la question du salaire équitable. La réponse, c'est qu'un salaire équitable est systématiquement de 25 p. 100 supérieur à ce que vous percevez. En vérité, à un moment donné, le marché vous dit quelle est la juste valeur du dollar.
Pour ce qui est de la première partie de votre question, je vais reprendre la réponse que j'ai donnée un peu plus tôt. Nous avons subi plusieurs ajustements au Canada et notamment les effets d'une dépréciation bien réelle par rapport à l'économie américaine dans la dernière partie des années 90, après la crise asiatique. Pendant cette période, nous nous sommes adaptés, puisque les prix de ce que nous vendions à l'étranger étaient relativement plus bas tandis que nous courrions le risque de répercussions négatives sur notre croissance.
Notre économie est aujourd'hui plus forte. De véritables facteurs donnent à penser qu'il n'était pas normal que notre dollar vale 63 ¢. C'est d'ailleurs que ce que j'ai dit en février 2002, quand j'ai indiqué que nous étions à un point du cycle où le processus d'ajustement ne justifiait pas un taux de change bilatéral aussi faible que celui de l'époque.
Si vous voulez maintenant tout savoir sur ce sujet très important, vous avez ici l'homme qu'il vous faut.
» (1710)
La présidente: Merci.
Madame Wasylycia-Leis, pour cinq minutes.
Mme Judy Wasylycia-Leis: Je vais enchaîner sur certaines questions qui sont ressorties tout au cours de ce débat à propos de l'intégration des économies canadiennes et américaines. Aujourd'hui, monsieur Dodge, vous nous avez dit que vous étiez d'accord avec une plus grande intégration ou une dollarisation ou encore une harmonisation de notre politique monétaire avec les États-Unis, mais que vous préfériez l'instauration de relations économiques plus étroites par une élimination des barrières au commerce.
Il semble, aujourd'hui, que l'économie canadienne est relativement forte, comme vous l'avez signalé. C'est une des plus solides des pays du G-7, mais celle de notre voisin du Sud est aujourd'hui en difficulté. Elle subit un très net ralentissement. À quoi servirait-il de lier notre économie d'une façon ou d'une autre avec l'économie américaine dans un tel contexte? L'autre question que je veux vous poser porte sur le rôle de la Banque du Canada. Quel rôle jouez-vous pour éviter que notre pays ne soit absorbé dans la spirale descendante de l'économie américaine?
M. David Dodge: Je commencerai par répondre à votre première question. Les barrières au commerce ne nous aident en rien, pas plus entre le Canada et les États-Unis qu'entre le Canada et l'Europe ou encore entre le Canada et l'Asie. À bien des égards, nous bénéficions grandement du fait que nous sommes une économie ouverte.
Une économie tout à fait opposée à la nôtre, qui se situe à l'autre extrême du spectre, est celle de l'Argentine, puisqu'elle ressemble un peu à l'économie canadienne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui nous diffère beaucoup de ce pays c'est que nous avons progressivement ouvert nos relations commerciales tandis que lui les a limitées. C'est peut-être ce qui explique en très grande partie le fait que notre revenu par habitant soit à peu près trois ou quatre fois supérieur à celui des Argentins. Nous le devons au fait que nous nous sommes ouverts au reste du monde.
Il n'est pas tant question de viser l'intégration que d'éliminer les obstacles, internes et externes, à la circulation des biens et des services et je dirais même des personnes. Nous sommes parvenus à éliminer les barrières qui ont fait obstacle à la circulation des capitaux et nous en bénéficions beaucoup.
Deuxièmement, vous avez répondu dans la façon même dont vous avez formulé votre question. Nous estimons qu'il existe de grands avantages à disposer d'une politique monétaire indépendante parce qu'elle permet au Canada de faire face à des situations qui sont différentes de celles des États-Unis. C'est un énorme avantage.
On ne renonce pas à la légère à un tel avantage, à une telle souplesse. Il y a toujours un coût à cela, parce qu'il en coûte plus cher d'effectuer des transactions avec l'autre côté de la frontière. Nos analyses nous ont amené à conclure que les avantages d'une politique monétaire indépendante compensent de très loin les coûts d'une telle formule, du moins pour un avenir prévisible.
La présidente: Allez-y.
M. Paul Jenkins: Madame la présidente, je voudrais brièvement réagir à la façon dont on vient de caractériser l'économie américaine. Comme le gouverneur l'a expliqué plus tôt, nous estimons que l'économie américaine commencera à prendre du mieux d'ici la fin de l'année et au début de l'année prochaine. Quand on songe aux remous qu'elle a dû affronter ces deux ou trois dernières années, il faut reconnaître que la performance globale est relativement bonne, du moins quand on la compare à ce qui se passe de l'autre côté du Pacifique et dans certains pays européens. Les Américains sont en train de régler certains problèmes mais quand on tient compte des perturbations économiques que les États-Unis ont dû affronter, force est de constater que cette économie fait preuve d'une très grande souplesse, ce dont nous bénéficions sans doute.
» (1715)
La présidente: Merci.
Vous avez 20 secondes.
Mme Judy Wasylycia-Leis: On nous a parlé de taux d'intérêt et des options dont la Banque du Canada pourrait se prévaloir. Nous pourrions passer un peu plus de temps à parler de tout cela, mais l'une de vos options consiste à ne pas augmenter les taux d'intérêt car vous savez l'effet négatif que cela pourrait avoir sur la croissance et la création de l'emploi.
Voici ma question. Prenez-vous acte de l'existence d'un lien avec cela, d'un effet négatif sur ce plan? Dès lors, n'est-ce qu'avec beaucoup de réticence que vous augmenteriez les taux d'intérêt ou seriez-vous prêt à accepter une augmentation des niveaux de chômage ou une absence de croissance de l'emploi afin d'appliquer une réponse appropriée à une éventuelle poussée inflationniste?
M. David Dodge: La politique monétaire est importante. Soyons clairs à ce sujet. Nous essayons de l'administrer de manière à pouvoir continuer de fonctionner le plus près possible de notre pleine capacité tout en jugulant toute pression excessive sur les prix. Nous ne voulons pas, non plus, fonctionner à un niveau nettement inférieur à notre pleine capacité. Nous voulons rester là où nous sommes. C'est évidemment une question de jugement, jugement que nous devons exercer chaque fois que nous sommes appelés à rendre une décision, à dates fixes.
Notre expérience et l'expérience d'autres pays qui ont adopté des cibles d'inflation montre qu'un tel régime permet de s'approcher du point de capacité maximale et nous met à l'abri des cycles d'expansion et de ralentissement. Tout indique, au Canada et à l'étranger, que c'est la bonne façon de faire.
Cela dit, il est clair, qu'on décide d'appliquer une politique monétaire restrictive—et je tiens à signaler ici que nous appliquons pour l'instant une politique plutôt stimulante—quand on estime que l'économie fonctionne au-delà de son seuil de capacité maximale. En revanche, on relâche la politique monétaire quand on estime que ne pas le faire risquerait de creuser un fossé entre la production effective et la capacité de production.
La présidente: Merci beaucoup.
Monsieur Peterson.
Jim Peterson (Willowdale): Merci.
En plus des taux d'intérêt, dans quelle mesure la Banque a-t-elle aujourd'hui recours à la masse monétaire comme instrument économique?
M. David Dodge: Nous suivons ces chiffres parce qu'ils nous donnent beaucoup d'informations, mais il ne s'agit pas d'un instrument, c'est juste une source d'informations.
M. Jim Peterson: La Banque peut-elle influer sur la masse monétaire et le fait-elle? Il y a plusieurs façons de le faire.
M. Charles Freedman: Elle ne le fait que par la variation des taux d'intérêt. Les taux ont un effet direct sur la masse monétaire globale et indirect parce que, quand les taux d'intérêt sont bas, certains agrégats monétaires progressent mais aussi parce que la demande est stimulée ou freinée. Nous n'agissons pas de façon directe, mécanique, sur la masse volontaire.
M. Jim Peterson: Absolument pas? Bien.
Le risque de crise financière internationale s'est-il quelque peu dissipé depuis 1997, à la suite de mesures comme la création du G-20 et d'autres groupes?
M. Paul Jenkins: Je pense pouvoir vous répondre par l'affirmative. Plusieurs initiatives semblent le prouver. Nous avons été très actifs au niveau des institutions financières internationales pour promouvoir certaines mesures destinées à éviter des crises, notamment par la mise en oeuvre de pratiques exemplaires.
C'est pour cela que votre allusion au G-20 est importante. Par le biais du G-20, nous pouvons promouvoir l'application de pratiques exemplaires en matière de réglementation, de supervision et d'administration de la politique monétaire, non seulement auprès des membres du G-20, mais aussi d'autres pays. Bien des pays ont adopté un cadre qui se rapproche du nôtre. Par ailleurs, nous nous efforçons de perfectionner les instruments qui permettent de résoudre des crises dès qu'elles apparaissent, pour mettre en place des incitatifs afin qu'on ait envie de les régler plus vite.
Je pense donc pouvoir vous répondre par l'affirmative. Nombre de progrès ont été réalisés dans plusieurs domaines dans le sens de la prévention des crises et de leur règlement.
» (1720)
M. Jim Peterson: Aimeriez-vous que d'autres mesures soient adoptées sur ce plan?
M. Paul Jenkins: À bien des égards, la mesure la plus importante pour nous a consisté à mettre en oeuvre un plan d'action qui avait été arrêté à l'occasion de la dernière réunion du G-7, plan qui est axé sur les méthodes de prévention et de résolution. J'estime que nous disposons maintenant d'un cadre, qu'il nous reste à appliquer. Nous devons aussi veiller, par le truchement du Fonds monétaire international, et d'autres organisations qui ont été mises sur pied au lendemain de la crise asiatique, que de nouvelles pratiques soient mises en oeuvre.
M. Charles Freedman: Je vais ajouter une chose. Nous pouvons toujours élaborer d'autres mécanismes au niveau du G-20. Bien des choses se sont passées et bien des progrès ont été réalisés dans le sens d'une atténuation du risque de crise financière. Par exemple, la plupart des crises des années 90 se sont produites dans des pays où le taux de change était fixe. La plupart de ces pays ont maintenant adopté un taux de change flottant qui, en soi, leur évite de se retrouver dans le genre de situation où une devise est mise en difficulté à cause de la spéculation et où il y a des distorsions du marché et d'autres problèmes qui sont donc associés à l'existence de taux de change fixes.
Les organismes de réglementation, les trésors publics et les banques centrales des pays du G-7 et d'autres pays, c'est-à-dire les normalisateurs, se réunissent deux fois par an pour parler de ces questions et essayer de trouver des solutions susceptibles de nous permettre de demeurer maîtres de la situation. Paul vous a parlé des normalisateurs qui sont très, très importants.
Un peu partout dans le monde, des gens s'efforcent d'améliorer leurs systèmes financiers nationaux. Nombre de ces pays essaient de se doter de marchés obligataires à long terme, ce qui leur sera utile dans le temps. Dans bien des cas, rien ne sera réglé du jour au lendemain, mais le fait que ces pays s'efforcent d'améliorer leurs systèmes financiers suffira pour atténuer le risque que des requins fondent sur eux et provoquent d'importantes perturbations qui seraient ressenties chez eux et ailleurs.
Il y a place à l'amélioration, mais nous avons réalisé de grands progrès au cours des cinq ou six dernières années.
M. Jim Peterson: Qu'en est-il des dispositions relatives au statu quo pour régler le problème de la dette et ainsi éviter les crises financières internationales?
M. Paul Jenkins: Cela fait partie du plan d'action dont je vous ai parlé il y a un instant. Les éléments de la résolution de crise favorisent l'application de dispositions axées sur une action collective en tant que mécanisme de coordination pour faire face aux problèmes auxquels nous avons assisté dans le passé. Le Mexique s'est à présent doté de tels mécanismes. Aujourd'hui même, le Brésil vient de lancer une nouvelle émission d'obligations qui est assortie de dispositions d'action collective de ce genre.
Nous assistons donc à des progrès sur plusieurs fronts et je pense que tout cela va continuer d'exiger notre attention dans l'avenir, si nous voulons aller de l'avant. Encore une fois, le cadre a été nettement amélioré et les éléments d'intervention sont en place.
M. Jim Peterson: Madame la présidente, je pense que le Canada joue un rôle de premier plan dans ces domaines très importants, depuis 1997. La Banque, elle aussi, a joué un rôle majeur à cet égard.
Merci.
[Français]
La présidente: Monsieur Paquette, s'il vous plaît.
M. Pierre Paquette: Merci, madame la présidente.
Je voudrais revenir sur la fourchette de 1 à 3 p. 100, au moins pour qu'on ait une petite poignée pour empêcher les folies qu'on a connues au début des années 1990.
Vous dites dans votre document que vous prévoyez justement qu'elle va être à 3 p. 100 au milieu de cette année. Donc, vous dites que vers juin et juillet, l'inflation devrait être à 3 p. 100. M. Jenkins nous dit qu'à 3 p. 100, on maintient quand même une pression restrictive pour se rapprocher vers le 2 p. 100. A l'inverse, si on était à 1 p. 100, on aurait une politique plutôt...
Je vous pose cette question. Quelle est la différence entre avoir un taux d'inflation à 3 p. 100, alors qu'on est supposé avoir une fourchette de 1 à 3 p. 100, et avoir un taux d'inflation à 3,1 p. 100? Quelle va être l'attitude de la Banque du Canada? Est-ce qu'il n'y a pas de différence, ou il y a effectivement une différence et cette fourchette-là n'a pas vraiment une signification? Ou serait-ce qu'on n'a pas changé de cible pour véritablement établir 2 p. 100 comme étant la cible ad vitam aeternam, peu importe ce qui arrive?
» (1725)
M. Charles Freedman: Ce qui est très important, c'est que nous avons une cible qui--je ne sais pas exactement comment on dirait ça en français--est soft-edge au lieu de hard-edge, c'est-à-dire que la différence entre 3 et 3,1 pour un mois ou deux, ce n'est pas grand-chose.
Il y a eu, par le passé, des pays qui ont fait beaucoup de bruit à ce sujet, mais je ne crois pas que c'est l'approche qu'il faut prendre. Dès le début de notre approche de cible inflationniste, on a toujours dit que même si le taux d'inflation était un peu plus élevé que notre fourchette, on allait retourner à la cible, mais d'une façon graduelle. Ça, c'est très important. C'est exactement ce que nous faisons maintenant.
Ce que nous faisons maintenant, c'est de retourner à 2 p. 100 d'une façon graduelle. Nous espérons, nous nous attendons à ce que le taux d'inflation diminue, parce que les facteurs one-off vont disparaître. Mais d'autre part, on ne veut pas que les pressions sur les capacités soient plus que ce qu'elles sont maintenant, parce que si ça commence à être plus, ça peut créer des pressions à la hausse sur le taux d'inflation.
Une chose que je voulais aussi dire auparavant qui est très important, c'est que le fait que nous ayons une politique plus restrictive n'est pas moins stimulatif. C'est très important, car si on fait une comparaison avec les États-Unis, bien sûr, ils sont à 1,25 p. 100; nous sommes à 3,25 p. 100. Mais l'Australie, l'Angleterre et la Nouvelle-Zélande, qui sont des pays où l'économie est assez forte, ont des taux d'intérêts beaucoup plus élevés que nous. La Nouvelle-Zélande a abaissé son taux, si je me rappelle bien, à 5,5 p. 100 ou à 5,25 p. 100, et nous avons eu une baisse beaucoup plus marquée que ces pays-là à la fin de 2001, et maintenant, on en tire un peu une stimulation. Mais comme Gordon Thiessen disait quand il était gouverneur:
[Traduction]
Nous ne sommes pas en train de freiner, nous levons simplement le pied.
[Français]
C'est une distinction quand même assez importante.
M. Pierre Paquette: Est-ce que j'ai encore un petit peu de temps?
Une autre chose qui m'a surpris, c'est que je me rappelle que dans les rapports de la Banque du Canada sur la politique monétaire, on avait autrefois énormément de considérations sur les finances publiques; on comprend très bien pourquoi, avec les déficits et la dette qui augmentaient.
Cela dit, il y a quand même actuellement une situation dans les provinces qui est préoccupante. Il y a déjà des provinces qui sont en déficit. Le Québec est dans une situation extrêmement fragile, et à part l'Alberta, on peut dire que grosso modo, c'est fragile partout et qu'advenant une récession, on pourrait replonger dans des déficits, alors qu'on sait que le gouvernement fédéral a des surplus, ce qu'on appelle le déséquilibre fiscal.
Je voudrais savoir si la Banque du Canada a fait des études, des simulations sur la situation des finances publiques, incluant les provinces.
M. David Dodge: Le secteur gouvernemental, y compris les provinces, c'est là... L'effet des politiques fiscales, c'est l'ensemble des influences des gouvernements et aussi les fonds de retraite. Donc, à ce moment-ci, au Canada, on a un surplus au compte national sur les trois choses: provinces, fédéral et fonds de retraite, d'à peu près 1,5 p. 100, je crois. Ça, c'était en 2002.
On anticipe, en 2003, une réduction de ces surplus, ce qui aidera l'économie à ne pas desserrer aussi vite. De plus, il ne faut pas changer les taxes et les dépenses comme aux États-Unis, parce qu'on a eu cette marge de manoeuvre.
Donc, je crois bien que la politique interne du gouvernement fédéral et des provinces, c'est de continuer à réduire d'une façon modeste mais importante la dette publique, et cela aidera beaucoup l'économie canadienne à moyen terme et permettra au Canada d'être prêt pour le milieu de la prochaine décennie, quand les gens comme moi prendront leur retraite.
» (1730)
[Traduction]
La présidente: Merci beaucoup.
Tout d'abord, monsieur Freedman, au nom de mes collègues ici présents, je vous adresse tous nos voeux et vous remercie pour le travail très valable que vous avez accompli pendant de très nombreuses années.
Monsieur Dodge et monsieur Jenkins, encore une fois merci et au plaisir de vous revoir.
Chers collègues, je vais suspendre la séance pour une minute afin que vous puissiez brièvement remercier nos invités après quoi nous irons voter à l'appel du timbre.
J'invite les médias à réaliser leurs entrevues à l'extérieur de la salle afin que nous puissions brièvement passer à huis clos avant d'aller voter.
La séance est suspendue pour deux minutes environ.