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SFIS Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Sous-comité sur le déséquilibre fiscal du comité permanent des finances


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 18 avril 2005




· 1320
V         Le président (M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ))
V         M. Vic Schroeder (à titre personnel)

· 1325

· 1330
V         Le président
V         Mme Joy Smith (Kildonan—St. Paul)

· 1335
V         M. Vic Schroeder
V         Le président

· 1340
V         M. Don Bell (North Vancouver, Lib.)
V         M. Vic Schroeder
V         M. Don Bell
V         M. Vic Schroeder
V         M. Don Bell
V         M. Vic Schroeder
V         M. Don Bell
V         M. Vic Schroeder
V         M. Don Bell
V         M. Vic Schroeder
V         M. Don Bell
V         M. Vic Schroeder

· 1345
V         M. Don Bell
V         M. Vic Schroeder
V         Le président
V         M. Guy Côté (Portneuf—Jacques-Cartier, BQ)
V         M. Vic Schroeder
V         M. Guy Côté
V         Le président
V         Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Nord, NPD)

· 1350
V         M. Vic Schroeder
V         Mme Judy Wasylycia-Leis
V         M. Vic Schroeder
V         Le président

· 1355
V         M. Vic Schroeder
V         Le président
V         Mme Joy Smith

¸ 1400
V         M. Vic Schroeder
V         Le président
V         M. Don Bell
V         M. Vic Schroeder

¸ 1405
V         M. Don Bell
V         Le président
V         M. Guy Côté
V         M. Vic Schroeder
V         Le président
V         Mme Judy Wasylycia-Leis
V         M. Vic Schroeder

¸ 1410
V         Le président
V         Mme Judy Wasylycia-Leis
V         M. Vic Schroeder
V         Le président
V         Le président
V         Professeur Paul Thomas (professeur Duff Roblin de Gouvernement, St. John's College, Université du Manitoba, à titre personnel)

¸ 1435

¸ 1440

¸ 1445

¸ 1450
V         Le président
V         Prof. Paul Thomas
V         Le président
V         M. Ronald Neumann (ACDI conseiller pour le ministère des Finances et pour la planification économique , Gouvernement du Ghana, à titre personnel)

¸ 1455

¹ 1500

¹ 1505

¹ 1510
V         Le président

¹ 1515
V         Mme Joy Smith
V         M. Ronald Neumann

¹ 1520
V         Prof. Paul Thomas
V         Le président
V         M. Don Bell

¹ 1525
V         M. Ronald Neumann
V         M. Don Bell
V         Prof. Paul Thomas
V         Le président
V         M. Guy Côté

¹ 1530
V         Prof. Paul Thomas
V         M. Ronald Neumann

¹ 1535
V         Prof. Paul Thomas
V         Le président
V         Mme Judy Wasylycia-Leis

¹ 1540
V         M. Ronald Neumann
V         Prof. Paul Thomas

¹ 1545
V         Le président

¹ 1550
V         M. Ronald Neumann

¹ 1555
V         Prof. Paul Thomas
V         Le président
V         Prof. Paul Thomas

º 1600
V         Le président










CANADA

Sous-comité sur le déséquilibre fiscal du comité permanent des finances


NUMÉRO 015 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 18 avril 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

·  +(1320)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ)): Bonjour tout le monde.

    Bienvenue au sous-comité sur le déséquilibre fiscal, monsieur Schroeder, et merci d'avoir accepté notre invitation à débattre de cette importante question. Vous aurez 15 minutes pour vos remarques liminaires, après quoi nous passerons aux questions des députés de tous les partis de la Chambre des communes, du moins je l'espère. Seul le Libéral est absent.

    C'est à vous, monsieur Schroeder.

+-

    M. Vic Schroeder (à titre personnel): Merci. Je vais m'en tenir à mon document.

    Merci de vous être déplacés à Winnipeg et merci de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole devant vous.

    Je préside la Régie de l'hydro-électricité du Manitoba qui, outre qu'il produit, achemine et distribue de l'électricité à l'ensemble de la province, possède également une installation de distribution de gaz qui sert la majorité des Manitobains. Je suis également vice-président de l'Hôpital général de St. Boniface, administré par la Catholic Health Corporation of Manitoba, et je suis avocat de pratique privée. J'ai été ministre des Finances du Manitoba de 1981 à 1987.

    Je vais vous parler de la question de la formule, vous dire qui devrait trancher au sujet des versements à effectuer et des formules à appliquer. Je vais vous donner un bref historique de la formule actuelle et des autres changements, comme les ressources non renouvelables et le transfert des points d'impôt, et vous faire part de quelques réflexions sur la nécessité d'appliquer de disposer d'une péréquation fiscale.

    Je suis heureux de voir que le Parlement a décidé de revenir sur la question de la péréquation à une époque où le gouvernement du Canada ne traverse pas de crise financière. D'ailleurs, d'après les prévisions dressées par notre cellule de réflexion, il est fort probable que, dans les décennies à venir, le gouvernement fédéral soit en meilleure posture financière que la plupart des provinces qui bénéficient du programme de péréquation fiscale. Il y a lieu se réjouir du fait que ce sont des députés et non le ministre des Finances qui entament cet examen.

    Vous savez que, dans bien d'autres pays, ce genre de modalités est appliqué de façon beaucoup plus impartiale par le biais de divers mécanismes autres que les décisions prises unilatéralement par un ministre fédéral des Finances qui se trouve dans un énorme conflit d'intérêt quand il doit décider des sommes à remettre à un tel ou une telle en vertu de ce programme, quand il doit faire la part entre la dotation du programme de péréquation et les autres priorités budgétaires pour alimenter les ministères fédéraux, les politiques financières et les politiques fiscales. Il est vrai que c'est le cabinet fédéral qui ratifie la décision du ministère des Finances, mais contrairement à ce qui se passe avec la plupart des dossiers, les destinataires des paiements de transfert n'ont pas de défenseurs qui pourraient protéger leurs intérêts, comme le font les ministres pour les ministères.

    Je n'ai pas de conseil précis à vous donner sur le mécanisme qu'il conviendrait d'appliquer, essentiellement parce que je n'ai pas vraiment eu le temps d'y réfléchir, mais je vous exhorte à envisager d'appliquer un système beaucoup plus impartial. Il n'est guère plus juste qu'un ministre fédéral, ayant un énorme intérêt dans la répartition ultime d'un budget, puisse unilatéralement imposer une formule aux provinces récipiendaires. Il serait beaucoup plus sérieux de mettre sur pied des commissions indépendantes comme celles que l'on retrouve en Australie, en Inde et en Afrique du Sud.

    Comme nous avons tous tendance à apprendre de nos expériences, je vais vous livrer un bref historique de la péréquation fiscale, du moins dans la période de 1981 à 1987. Tout d'abord, pour injecter un peu de positivisme dans tout cela, sachez que la péréquation a été constitutionnalisée en 1982. Vous connaissez sans doute tous par coeur la disposition qui la concerne : faire en sorte que les provinces soient en mesure de maintenir des niveaux de service comparables en fonction de niveaux d'imposition également comparables.

    Pourquoi nous sommes-nous écartés de cet objectif? À l'origine, la comparaison se faisait d'après une évaluation grossière de la capacité financière des provinces. Pourquoi? Eh bien parce qu'il est impossible de déterminer ce qu'il faut entendre par capacité financière comparable sans déterminer d'abord la capacité financière de chaque province.

    Puis, nous avons traversé la pire récession depuis la dépression des années 20, qui a été assortie de taux d'inflation très élevés, de taux d'intérêts qui se situaient dans les 15 p. 100 et plus et qui ont occasionné des déficits records pour les provinces et pour Ottawa, raison pour laquelle le ministère fédéral des Finances a adopté comme stratégie de refuser d'évaluer la capacité financière de toutes les provinces. Le ministre fédéral des finances, à l'encontre de l'avis unanime de l'opposition, a plutôt unilatéralement imposé une formule qui mesure la capacité financière de cinq provinces seulement. Celle-ci a donné lieu à une diminution des paiements et au fait que les provinces bénéficiaires ne fonctionnent plus suivant le principe de la capacité financière comparable énoncée dans la Constitution. Par définition, les paiements seraient désormais supérieurs—ce qui était peu probable—ou inférieurs, car c'était là tout l'objectif de cet exercice unilatéral.

    Pourquoi n'a-t-on pas, à cette époque, simplement conservé l'intégrité du programme en laissant la formule intacte et en réduisant les paiements, par exemple, en fonction d'un seuil par habitant? Ainsi, il aurait été évident que l'objectif du programme n'était pas atteint et l'électorat aurait pu tirer ses conclusions à partir d'un système comptable clair et précis.

    Non content des dommages occasionnés par cette distorsion, vers le milieu des années 80, le ministère fédéral des Finances est revenu à la charge en plafonnant les paiements déjà insuffisants à une époque où les provinces bénéficiaires étaient aux prises avec de grosses difficultés et ne pouvaient plus offrir les mêmes niveaux de services à partir de niveaux d'imposition comparables à ceux des provinces non bénéficiaires. Je dois ajouter que la réunion des ministres des Finances, au cours de laquelle ce nouvel assaut a été lancé unilatéralement par le ministre des Finances fédéral, s'est déroulée dans une atmosphère d'hostilité et de méfiance qui tranchait par rapport à toutes les autres réunions auxquelles j'avais assisté jusque-là, les réponses les plus amères et les plus cinglantes venant des ministres des Finances provinciaux qui appartenaient au même parti que le ministre fédéral parce qu'ils estimaient avoir été trahis.

    En revanche, ce dernier changement a été davantage transparent à celui dont je parlais plus tôt, parce qu'on reconnaissait, implicitement qu'on allait réduire les paiements à un niveau de toute évidence inférieur à celui qu'aurait imposé la formule en place jusqu'alors, dont l'objet était de respecter les objectifs du programme, plutôt que de recommencer à triturer la formule, comme on l'avait fait avant, pour parvenir au résultat souhaité.

    Cela a porté un rude coup au genre de services que les provinces démunies peuvent offrir à leurs citoyens les plus vulnérables. Quand les ministres des Finances fédéraux successifs, qui disposent pourtant d'un espace fiscal plus important que leurs homologues provinciaux, imposent ce genre de réductions, les responsables locaux ne peuvent que pester et faire tout leur possible pour atténuer les effets des coupures.

    La répercussion de ces changements, et de ceux qui ont suivi, changements apportés aux règles de calcul de la capacité fiscale moyenne, ont donné lieu à une réduction brutale des paiements en général, réduction exprimée en pourcentage du PIB, non pas parce que les besoins avaient considérablement diminué, mais parce que le fédéral refusait d'appliquer une méthode de calcul correcte pour déterminer les capacités fiscales comparables.

    Le ministère fédéral des Finances, sous diverses administrations, a refusé de calculer la véritable capacité fiscale des provinces parce qu'il avait peur de ce qu'il risquait de découvrir. Il faut remplacer ce ministère par un organisme qui examinera les faits et qui réinstaurera un système équitable. Le moment est venu de le faire, étant donné la situation financière actuelle et projetée du Canada.

    En ce qui concerne l'évaluation de la capacité financière, plus les mesures sont complètes et plus l'évaluation est précise. Plus elle est précise et plus le système est équitable.

    Cependant, les paiements de péréquation ne sont qu'une source de revenu et, en fin de compte, il ne faut pas perdre de vue la notion d'équité du financement des programmes entre les deux principaux ordres de gouvernement au Canada. Nous sommes tous rassurés par le fait que la question du financement direct des soins de santé semble avoir été réglée, mais comme ce règlement s'est accompagné de réductions dans les transferts, notamment au chapitre de l'enseignement postsecondaire, le résultat est le même. Ainsi, j'insiste sur le fait que le Parlement doit tenir compte de l'ensemble du programme de transfert pour s'assurer que le ministère des Finances ne redonne pas dans ses vieux tours de passe-passe. En outre, j'insiste pour que l'on adopte des mécanismes afin de réduire la volatilité des transferts en général et ainsi d'éviter les réductions faites en panique sur la foi d'éléments comme la révision à la baisse de la croissance démographique ou la manne instantanées due aux nouveaux calculs de capacité.

    En outre, il faut prévoir un coussin de sécurité sous les seuils de transfert pour certains postes comme l'aide sociale, advenant que le Canada traverse une autre récession, ce qui est inévitable. L'ancien Régime d'assistance publique du Canada, le RAPC, comportait de telles dispositions, mais je crois comprendre que les provinces devront assumer l'essentiel des augmentations que sa disparition risque d'occasionner.

    Certains se sont demandés s'il n’y avait pas lieu d’exclure les ressources non renouvelables du calcul de capacité. Pourquoi donc? Les recettes provenant de ces ressources ne contribuent-elles pas à la capacité fiscale des provinces productrices? Comme les réserves de sable bitumineux se calculent en centaines d'années, le dépérissement de cette ressource—par rapport à l'actuel niveau de production—est infinitésimal et les recettes actuelles dérivées du pétrole sont déjà réduites par les déductions pour épuisement. Combien de fois faudra-t-il déduire les provisions pour reconstitution des gisements?

    Pour ce qui est des transferts de points d'impôt, Hugh Segal a laissé entendre, à l'occasion d'une ligne ouverte à la radio de la CBC enregistrée hier et dont j'ai entendu la rediffusion ce matin, qu'on pourrait simplement régler le problème liée aux capacités fiscales des provinces en transférant des points d'impôt du fédéral. Eh bien, il a tort! Le transfert des points d'impôt ne fera qu'augmenter les disparités entre la capacité fiscale des provinces les plus riches et celle des provinces les plus pauvres destinataires de la péréquation, parce qu'un point d'impôt permet à l'Alberta, à l'Ontario, à la Colombie-Britannique et à la Saskatchewan de recevoir plus d'argent par habitant que les autres provinces étant donné que leur PIB par habitant est supérieur.

    Il serait beaucoup plus juste, afin de contribuer à rétablir le déséquilibre fiscal, de retirer les points d'impôt qui ont été concédés aux provinces dans le passé, de trouver une formule de compensation qui pourrait varier d'une province à l'autre, selon les conditions locales, et de refinancer les impôts ainsi repris aux provinces, selon un calcul par habitant. On se trouverait dès lors à renverser les pertes subies par les provinces bénéficiaires de la péréquation à cause des transferts de points d'impôt antérieurs, en plus des pertes qu'elles ont encaissé au chapitre de la péréquation à proprement parler et ce, pendant plusieurs décennies.

·  +-(1325)  

    Qui plus est, le transfert de toute l'enveloppe de l'impôt des sociétés à Ottawa et sa redistribution selon un calcul par habitant, serait beaucoup plus juste que l'actuel système étant donné qu'un point d'impôt des sociétés vaut beaucoup moins dans les Maritimes et au Manitoba qu'en Ontario où l'on retrouve la plupart des sièges d'entreprises manufacturières et financières.

    Enfin, je vais reprendre le point de vue de certains, selon lequel la péréquation est plus ou moins inutiles et qu'elle est peut-être même contre-productive aux yeux de quelques-uns. Oublions pour un instant le fait que la péréquation est prévue dans notre constitution, qu'elle est le ciment qui nous lie les uns aux autres.

    J'ai beaucoup de difficultés à comprendre pourquoi on inonde d'argent les particuliers et les provinces à faible revenu, tandis que les particuliers et les provinces les plus riches s'en sortent mieux quand on baisse les taxes et les impôts. Je n'ai jamais vu un seul gouvernement provincial, quelle que soit sa couleur, qui ait décidé de miser sur un développement fondé sur les pertes occasionnées au chapitre des transferts de péréquation et je doute qu'on le voie un jour.

    Notre gouvernement fédéral est souvent appelé à prendre des décisions économiques d'ordre stratégique, de faible ou de grande envergure. J'étais encore adolescent, vivant dans une exploitation agricole mixte qui produisait de la betterave sucrière, quand je me suis rendu compte que ce genre de décisions pouvait avoir des effets négatifs ou des effets positifs. La voie maritime du St-Laurent, qui est financée par le Canada et les États-Unis, a été le théâtre de l'une des plus importantes guerres du sucre importé, ce qui était l'un des effets positifs, mais les exploitations agricoles canadiennes et les ports maritimes ont été durement touchés par cette concurrence, ce qui a donc été l'effet négatif.

    Depuis toujours, l'Ontario est le centre industriel du Canada. Depuis la politique nationale de Sir John A., la politique fédérale continue de promouvoir cette réalité. Les Canadiens achètent des véhicules automobiles faits en Ontario—l'Ontario est le plus important territoire d'Amérique du Nord pour ce qui est de la production automobile. Cette réalité nous a amené à négocier le Pacte de l'auto, il y a bien des années de cela. Ce pacte a permis à l'industrie ontarienne d'accéder au marché américain et de bénéficier d'un tarif douanier qui l'a protégée et qui a fait en sorte que les Canadiens sont devenus captifs de cet accord canado-américain.

    Le Pacte de l'auto et les ententes concernant la voie maritime ont bien sûr été d'excellentes décisions politiques pour le Canada. La voie maritime a favorisé grandement le secteur manufacturier, celui des céréales et d'autres secteurs exportateurs, outre qu'elle a donné lieu à une diminution des prix à la consommation dans le cas des marchandises importées. Le Pacte de l'automobile aurait été encore meilleur s'il avait permis aux fabricants d'autobus manitobains d'avoir un libre accès au marché américain et si l'on avait pu s'affranchir des mesures protectionnistes américaines—encore en vigueur à ce jour—exigeant que les autobus soient construits en partie aux États-Unis, ce qui n'a fait qu'augmenter les coûts et réduire les rentrées pour le Manitoba. Certains sceptiques osent dire que si le Canada central avait été un noyau important dans le domaine de la fabrication d'autobus, ce genre de problème aurait été résolu. Quoi qu'il en soit, nous ne recevons pas les revenus dont nous pourrions autrement disposer et nos besoins découlant de la péréquation sont légèrement supérieurs.

    Il arrive que le Canada prenne de mauvaises décisions en matière de politique publique, comme dans le cas du CF-18. Parfois, on ne sait pas vraiment, mais il y a lieu de s'interroger sérieusement sur les décisions prises, comme celle de déménager le siège d'Air Canada. Parfois, les décisions prises donnent lieu à d'autres décisions, comme ce fut le cas je crois dans le cas des CF-18. Dès qu'Ottawa a accepté une soumission inférieure venant d'ailleurs, notre gouvernement provincial a entamé d'intenses démarches pour essayer de convaincre le fédéral de bâtir son nouveau centre de lutte contre les maladies au Manitoba. Le gouvernement Filmon a finalement abouti dans cette démarche. Je pense que l'histoire va nous montrer que la décision de retirer le centre de maintenance des CF-18 au Manitoba aura eu, pour cette province, des retombées beaucoup plus intéressantes sur les plans humanitaire et économique.

    Chaque décision prise par Ottawa, qu'elle soit bonne, mauvaise ou sans effet, occasionne forcément des gagnants et des perdants. Le Québec a remporté Air Canada et le CF-18, et cela a donné lieu à une diminution de ses paiements de péréquation. Le Canada, quant à lui, n'a réalisé aucune économie à ce chapitre, parce qu'il doit payer davantage au Manitoba dont la capacité fiscale a été réduite et que celle-ci n'a pas été augmentée par les paiements effectués aux termes du contrat.

    D'un autre côté, le centre de lutte contre les maladies est intéressant pour tout le monde, c'est-à-dire pour le Canada et pour le Manitoba, à supposer, comme je le crois, que l'Ontario et la Colombie-Britannique étaient les deux seules provinces en lice. Nos paiements de péréquation sont réduits étant donné que nous bénéficions d'une capacité accrue grâce à la présence du laboratoire, et les deux autres provinces ne reçoivent aucun paiement de compensation, contrairement à ce qui se passe quand des provinces qui se font concurrence sont toutes deux bénéficiaires des paiements de péréquation.

·  +-(1330)  

    Le transfert du centre de traitement de la TPS à l'Île-du-Prince-Édouard semble, également, avoir donné d'excellents résultats, puisqu'il a permis de réduire les paiements de péréquation destinés à l'Île-du-Prince-Édouard et que la province a pu s'approcher de la capacité fiscale moyenne.

    Le Musée canadien des droits de la personne, à Winnipeg, en plus de son rôle principal d'éducation, est un investissement dans la capacité fiscale de la province.

    Si les négociations entre le Manitoba et Manitoba Hydro, d'un côté, et le Canada et l'Ontario, de l'autre, devaient aboutir au transfert d'énergie verte, le Canada aurait contribué de façon importante, même si ce n'est pas avec de grandes quantités, à la réalisation de ses engagements de Kyoto parce qu'on fermerait les centrales à charbon en Ontario, et le Manitoba aura fait un gros progrès sur le plan de la capacité fiscale et l'on réduirait d'autant les paiements de péréquation lui étant destinés.

    D'autres organismes ou ministères fédéraux pourraient être décentralisés dans des régions démunies, ce qui permettrait d'augmenter la capacité fiscale des provinces d'accueil, de réduire les paiements d'égalisation et sans doute même d'économiser de façon marquée sur les coûts associés à ce genre d'activité.

    Nous pourrions peut-être aussi adopter des objectifs de politique publique concertés et délibérés à l'échelon fédéral, objectifs qui consisteraient à réaliser de nouveaux investissements dans les régions bénéficiaires des paiements de péréquation, à moins que l'on démontre de façon objective à un organisme approprié qu'un autre emplacement serait clairement plus avantageux. Chaque réussite, quelle qu'elle soit, permettrait de réduire le déséquilibre fiscal.

    À un moment donné, comme on l'a vu par le passé, les bénéficiaires actuels n'auront plus besoin des paiements de péréquation, mais d'autres, qui n'en ont actuellement pas besoin, devront peut-être en bénéficier. Une chose est sûre, le système de péréquation est très important pour le tissu national. C'est un programme auquel les Canadiens et les Canadiennes tiennent beaucoup, de même que les députés fédéraux et les membres de votre comité, si je ne m'abuse.

[Français]

+-

    Le président: Merci, monsieur Schroeder.

    Madame Smith, vous avez cinq minutes.

[Traduction]

+-

    Mme Joy Smith (Kildonan—St. Paul): Merci.

    Je vous remercie pour votre exposé, monsieur Schroeder, qui était vraiment perspicace. Je l'ai beaucoup apprécié, notamment par son honnêteté et par ses nombreuses facettes intéressantes. On sent que c'est un homme d'affaires qui a réfléchi à tout cela, et je vous en remercie.

    On pourrait dire que 2 p. 100 seulement de nos ressources interviennent dans le déséquilibre fiscal. Dans nos provinces, nous avons l'hydro-électricité, qui est un peu notre pétrole à nous. Pourriez-vous expliquer davantage à ce comité en quoi cette ressource pourrait nous aider à corriger le déséquilibre fiscal?

    Au début de votre document, vous dites que certains éléments jouent un rôle stratégique et que certaines provinces ont beaucoup bénéficié du dilemme de la péréquation, parce qu'elles ont reçu des paiements en cadeau. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? On dit que nous sommes une province démunie et je commence à en avoir assez d'entendre ce genre de chose. J'adore notre province et j'ai vraiment l'impression qu'elle a beaucoup à offrir.

·  +-(1335)  

+-

    M. Vic Schroeder: Merci.

    Au stade où nous en sommes, le Manitoba a mis en valeur à peu près la moitié de son potentiel hydro-électrique. Bien sûr, nous venons juste de nous lancer dans l'énergie éolienne et dans d'autres formes d'énergie renouvelable, mais c'est l'hydro-électricité qui est le gros morceau. Ce n'est un secret pour personne que nous avons entamé des discussions avec l'Ontario au sujet du transfert d'énergie verte et que ces discussions vont conduire à la mise hors service des centrales au charbon.

    Quand on dit que l'hydro-électricité est un peu notre pétrole, il faut tout de même être réaliste avec ce genre de comparaison. C'est ce que j'ai dit il y a plusieurs années et vous venez de le répéter, et nous ne sommes pas les deux seuls à l'affirmer, mais il faut prendre soin de placer ce genre de propos en contexte. Cette année, le gouvernement de l'Alberta va tirer des recettes de l'exploitation pétrolière, sous la forme de taxes et de revenus directs, d'au moins 7 milliards de dollars. Je n'ai pas les chiffres exacts, mais on m'a même indiqué que ce pourrait être plus.

    Le Manitoba, quant à lui, espère réaliser un bénéfice de 150 millions de dollars grâce à l'hydro-électricité, ce qui va donc un tout petit peu nous rapprocher de l'Alberta. Le Manitoba vend son électricité à des abonnés, comme le Québec, ce qui lui rapporte environ 95 millions de dollars. Tout dépend de la quantité d'eau d'une année à l'autre, mais cette année nous avons de la chance. Ainsi, si les impôts payés par Manitoba Hydro augmentent, c'est que ses bénéfices ont augmenté.

    Par ailleurs, la province soutient financièrement la dette de Manitoba Hydro qui représente environ la moitié de la dette provinciale totale. Je ne suis pas de très près la situation des autres sociétés de la Couronne, mais leur dette globale se situe dans le 10 sur la gamme de 20 milliards de dollars. Nous payons notre dette à partir des tarifs que nous imposons à nos abonnés, mais la province nous impose un droit de garantie financière d'une centaine de millions de dollars par an. Tout cela apparaît également dans la comptabilité de la péréquation fiscale et, sans cela, il nous manquerait ces 100 millions de dollars, plus 100 millions en redevances d'utilisation de l'énergie hydro-électrique et 150 autres millions de dollars en bénéfices manquant.

    Si nous doublions notre production, nous serions en meilleure posture. Nous serions également mieux placés si nous avions des contrats signés d'avance, parce que nous ne serions pas limités à des ventes intérieures et que nous pourrions écouler notre électricité sur les marchés extérieurs. Cependant, il est impossible de faire une comparaison entre le Manitoba et l'Alberta ou même entre le Manitoba et la Saskatchewan. Cela ne revient pas à dire que nous ne devons pas lutter tous les jours pour tendre le plus possible vers un rapprochement avec les autres provinces sur le plan de la capacité fiscale. Je sais que l'Ontario et le Québec sont en train de discuter sur certains dossiers et j'espère que ces deux provinces aboutiront. Pour vous dire bien franchement, notre réseau est entièrement orienté nord-sud et nous devrions peut-être tendre vers des développements est-ouest au Canada. D'ailleurs, nous avons entamé des discussions préliminaires avec nos voisins de l'ouest.

+-

    Le président: Merci, madame Smith. Merci beaucoup.

    Monsieur Bell, pour cinq minutes.

·  +-(1340)  

+-

    M. Don Bell (North Vancouver, Lib.): Merci.

    À la page 3 de votre mémoire, vous dites que vous souhaitez que des mécanismes soient adoptés afin de réduire la volatilité des transferts et ainsi arrêter les réductions décrétées en panique sur la foi de certains éléments comme une révision à la baisse de la croissance démographique, et ainsi de suite.

    Sachant ce que vous savez, quel genre de mécanisme pourriez-vous nous recommander?

+-

    M. Vic Schroeder: Je ne vois pas. Le problème, c'est qu'un ministre provincial des Finances reçoit un appel téléphonique en septembre ou en octobre de chaque année qui lui apprend qu'il vient de perdre brutalement 3 ou 4 p. 100 de ses recettes, tandis qu'un autre recevra un appel lui apprenant qu'il va percevoir 3 ou 4 p. 100 de plus. J'ai l'impression qu'on ne peut pas se contenter de souffler ainsi le chaud et le froid. Si l'on dit qu'une erreur a été commise, comme c'est parfois le cas quand on fait un calcul, mais qu'elle est repérée, il faut pouvoir alors compter sur un mécanisme qui va permettre d'atténuer les fluctuations dans l'avenir, à la hausse comme à la baisse. En revanche, je ne sais pas comment on pourrait y parvenir.

+-

    M. Don Bell: Vous nous avez défini le problème, tel que vous l'avez vu.

+-

    M. Vic Schroeder: C'est effectivement ce que j'ai fait, j'ai simplement défini le problème.

+-

    M. Don Bell: En bas de la page suivante de votre mémoire, vous dites que vous avez « beaucoup de difficulté à comprendre pourquoi on inonde d'argent les particuliers et les provinces à faible revenu, tandis que les particuliers et les provinces les plus riches s'en sortent mieux quand on baisse les taxes et les impôts ».

    J'ai lu ce passage à deux reprises et je dois vous avouer que je ne le comprends pas très bien. Il est possible que je passe à côté de quelque chose.

+-

    M. Vic Schroeder: Je me suis peut-être trompé dans mon interprétation de l'avis de l'Institut CD Howe, mais j'ai l'impression que ces chercheurs voulaient dire qu'en donnant de l'argent aux provinces les plus pauvres, on se trouve à entraver leur progrès. J'ai pensé que M. Murray voulait dire que, ce faisant, on empêchait les provinces de passer de programmes médiocres à de bons programmes. Je voulais dire qu'il est difficile de dire à ceux qui ont moins que les autres qu'ils vont en fait se retrouver avec plus si on leur en donne moins, parce que cela va les stimuler. Et puis, on se tourne vers les provinces qui s'en sortent le mieux en leur disant qu'il en va de leur intérêt de réduire leurs impôts. Nous disons donc à un groupe qu'il va avoir plus avec moins et, à un autre, qu'il vaut mieux continuer à faire renter plus d'argent.

+-

    M. Don Bell: Vous avez parlé d'un mécanisme approprié pour faire en sorte que les transferts soient davantage impartiaux. Vous disiez que le ministère fédéral, qui a un énorme intérêt dans l'issue de toute cette distribution, n'est pas assez équitable pour qu'on lui permette d'établir unilatéralement la formule de répartition. Vous avez également parlé d'autres pays où il existe des commissions indépendantes. Vouliez-vous ajouter quelque chose à cela?

+-

    M. Vic Schroeder: Pas vraiment. De toute évidence, ce ne sont pas les provinces bénéficiaires qui devront prendre ce genre de décision.

+-

    M. Don Bell: Vous parliez du ministère fédéral. Mais à ce moment-là, qui va prendre la décision, le loup ou les moutons?

+-

    M. Vic Schroeder: Voilà une belle analogie.

+-

    M. Don Bell: Je ne préciserai pas qui est le loup et qui sont les montons.

+-

    M. Vic Schroeder: Le plus souvent, il y a toujours un ministre au cabinet fédéral qui représente les intérêts de quelqu'un. Le ministre des Finances peut dire « Écoutez, les gars de la Justice, vous avez touché beaucoup trop jusqu'ici et nous allons vous en retirer un peu », après quoi les fonctionnaires de Justice vont outiller leur ministre qui pourra ainsi revenir à la table pour débattre en profondeur du bien-fondé de la décision qui lui est imposée. Eh bien, il se trouve qu'en matière de péréquation et de programmes de transfert fédéraux, personne ne représente le point de vue des provinces. Si j'étais ministre fédéral des Finances, sous la pression, je pourrais très bien convoquer mes hauts fonctionnaires pour leur dire « Voilà la solution, faites-la passer vers le bas », en ajoutant, « Elle me semble très bonne ».

·  +-(1345)  

+-

    M. Don Bell: Dans une certaine mesure, le système fédéral règle ce genre de problème. J'ai participé à des discussions au sein du caucus libéral au sujet du transfert de la taxe sur l'essence. Comme je viens du milieu municipal, je peux vous dire que, même si nous sommes des politiciens travaillant à l'échelle fédérale, nous avons eu beaucoup d'échanges teintés de régionalisme et que plusieurs provinces étaient représentées. Des députés disaient « Ma province a des problèmes qu'il faut régler ».

+-

    M. Vic Schroeder: Merci.

+-

    Le président: Merci, monsieur Bell.

[Français]

    Monsieur Côté, vous disposez de cinq minutes.

+-

    M. Guy Côté (Portneuf—Jacques-Cartier, BQ): Merci, monsieur le président. Je ne pense pas prendre mes cinq minutes au complet.

    Merci, monsieur Schroeder, pour votre très intéressante présentation. Le déséquilibre fiscal est effectivement un problème structurel; vous l'expliquez bien. C'est aussi un problème décisionnel et un problème politique.

    Vous avez mentionné l'exemple du Pacte de l'automobile en Ontario. C'est un bel exemple d'un cas où, à la suite d'une série de décisions, l'Ontario a été favorisée pour la fabrication d'automobiles.

    Vous êtes président de la Manitoba Hydro-Electric Company. La question que je me pose porte sur un sujet qui revient quand même assez régulièrement au Québec. Si on prend l'exemple du pétrole en Alberta, on constate, puisque le fédéral a investi dans ce secteur, que les Manitobains et les Québécois y ont également investi de façon indirecte. Le développement de l'hydroélectricité au Québec a été fait par la province, sans l'aide du fédéral, ou vraiment très peu.

    La situation a-t-elle été la même au Manitoba, en matière de développement hydroélectrique?

[Traduction]

+-

    M. Vic Schroeder: Dans les premières phases du développement de Manitoba Hydro, le gouvernement fédéral nous a aidés. Nous n'avions pas encore l'électricité dont nous avions besoin. Nous avons 700 ou 800 milles de lignes de transmission qui viennent directement du nord. Avant, elles appartenaient à Énergie atomique du Canada Limitée, mais nous les avons achetées depuis. Au début, nous les louions.

    Le gouvernement du Canada a proposé avec nous le projet de dérivation du lac Winnipeg et celui du fleuve Churchill, qui ont donné lieu à la construction de barrages à partir des années 70. Nous ne pensons pas que le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle dans la transmission de l'électricité verte vers l'est et vers l'ouest, même si nous pensons qu'il est prêt à s'asseoir à la table. Je crois d'ailleurs qu'il est disposé à discuter aussi avec le Québec.

[Français]

+-

    M. Guy Côté: Merci.

+-

    Le président: Merci, monsieur Côté.

    Madame Wasylycia-Leis, vous avez cinq minutes, s'il vous plaît.

+-

    Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Nord, NPD): Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Merci de votre présence, Vic.

    Vous savez, monsieur le président, Vic et moi-même avons tous deux siégé au cabinet du gouvernement manitobain, en 1986-1988. J'ai beaucoup appris au contact de ce ministre des Finances qui a sans doute été l'un des meilleurs de ceux avec qui j'ai eu le privilège de travailler dans ce domaine, et j'apprécie beaucoup qu'il ait pris le temps de venir nous rencontrer.

    Je voudrais qu'il nous fasse part de la façon dont notre comité devrait s'attaquer au déséquilibre fiscal. J'aborde aujourd'hui toute cette question suivant un point de vue un peu plus ouvert qu'avant, parce que si nous reconnaissons l'existence d'un déséquilibre fiscal, nous risquons—selon la façon dont nous voudrons le régler—de favoriser la décentralisation complète du Canada et de transformer le gouvernement fédéral en simple organisme d'émission de chèques.

    J'aimerais savoir ce que nous pourrions faire pour trouver une solution aux préoccupations des provinces. Nous sommes tous d'accord que le fédéral a déversé énormément de ses responsabilités financières sur les provinces, qu'il a apporté des changements arbitraires à la formule de péréquation et que les provinces font actuellement l'objet de pressions pour répondre aux besoins de leurs citoyens, tandis que le gouvernement fédéral est assis sur d'énormes excédents budgétaires. Quelle recommandation notre comité devrait-il formuler pour que l'on corrige ce déséquilibre fiscal?

·  +-(1350)  

+-

    M. Vic Schroeder: Tout d'abord, Judy, je tiens à vous remercier pour ce compliment. Je dois vous dire que c'est au ministère des Finances que j'ai trouvé les meilleurs employés de la fonction publique manitobaine, et c'était la même chose au Québec à l'époque. Grâce à eux, les ministres paraissaient mieux et je pense que notre ministère est encore l'un des meilleurs au sein de la fonction publique provinciale. D'ailleurs, j'ai débuté comme ministre du Travail avant de devenir ministre des Finances et, pour vous dire bien franchement, ces deux ministères n'avaient strictement rien à voir l'un avec l'autre. Je peux dire la même chose 25 ans plus tard.

    Pour ce qui est de la question du déséquilibre fiscal, je ne prétendrai pas être en mesure de m'attaquer à cette question. Quelqu'un du ministère des Finances m'a appelé pour venir parler de cette question de la péréquation. Vous avez entendu le résultat de mes cogitations, mais il ne s'agit que d'une seule des quatre roues du véhicule et vous aurez besoin des trois autres pour avancer. Je suis désolé, mais je ne pourrai pas vous aider sur ce plan.

+-

    Mme Judy Wasylycia-Leis: Je comprends.

    Après avoir passé toute la journée à parler de cela, j'en suis venue à me dire qu'il faut aborder la chose sous un angle différent.

    Il demeure que vous apportez une partie de la solution quand vous parlez du transfert des points d'impôt. Vous avez dit que le simple fait de transférer des points d'impôt pose problème pour ce qui est de l'unité nationale. Nous pourrions peut-être commencer par là. Comment, en effet, régler le genre de division qui existe entre les gouvernements fédéral et provinciaux, division qui augmente de jour en jour? J'ai l'impression qu'une crise est en train de se profiler à l'horizon et que nous allons renoncer à tout ce qui nous unit en tant que nation. Comment allons-nous pouvoir militer en faveur des transferts de liquidités et des programmes nationaux pour satisfaire le Québec tout en nous assurant que le gouvernement fédéral ne sera pas simplement un organisme qui fait passer les chèques d'une enveloppe à l'autre?

    À cet égard, le programme de péréquation est, comme vous l'avez dit, le ciment qui nous aide à maintenir le pays ensemble. Comment allons-nous protéger la péréquation étant donné que l'on est en train de s'écarter radicalement de cette façon de voir les choses? Que pourrait faire ce comité pour contribuer à la réflexion politique?

+-

    M. Vic Schroeder: Tout d'abord, pour ce qui est du transfert des points d'impôt, je voulais vous faire comprendre une chose : le simple fait de transférer des points d'impôt du fédéral aux provinces a pour résultat de réduire la capacité fiscale des provinces les mieux nanties. Si l'on ne considérait que la question de la capacité fiscale, il serait tout à fait logique de transférer davantage de points d'impôt, parce qu'on parviendrait ainsi à égaliser la donne à l'échelle du pays.

    Toutefois, il y a d'autres aspects à considérer. Ainsi, le Québec pourrait estimer que ce transfert d'impôt lui procure trop peu de souplesse, même si je ne comprends pas bien cet argument. C'est, par exemple, le genre de chose qui a été traité dans la dernière entente sur la santé. Cette entente conférait une certaine souplesse qui permettait de traiter une partie du pays de façon différente des autres... dans la mesure où l'on cherchait effectivement à régler le problème.

+-

    Le président: Merci, madame Wasylycia-Leis. Nous allons entamer une autre série de questions.

[Français]

    Avant de donner la parole à Mme Smith, j'aimerais vous poser une question. Vous m'avez fait sourire, tout à l'heure, lorsque vous avez dit que vous étiez entouré d'une excellente équipe au ministère des Finances et que cela faisait en sorte que vous paraissiez beaucoup mieux. Je vous écoute parler depuis tout à l'heure, et non seulement vous êtes très intéressant et très articulé, mais vous n'avez besoin de personne. Vous êtes seul. Alors, je crois, à l'instar de ce que disait Mme Wasylycia-Leis, que vous étiez un très bon ministre pour le Manitoba.

    Vous avez dit plus tôt qu'on devrait avoir un mécanisme, mais peut-être aussi un organisme indépendant du gouvernement fédéral et doté d'un processus clair pour déterminer les paiements de péréquation. Ce serait en quelque sorte une commission comme on peut en voir en Australie, en Inde, en Afrique du Sud.

    La semaine dernière, à Ottawa, nous avons reçu le professeur Watts de l'Université Queen, qui nous a signalé cet aspect. J'ai oublié de lui poser une question, que je vais vous poser.

    Puisque vous avez été député et ministre, ne croyez-vous pas que le fait de créer une telle commission — et on peut faire le même reproche aux fondations — enlèverait un droit de regard aux parlementaires, par exemple sur les montants qui sont alloués, que cela enlèverait au gouvernement la responsabilité de rendre des comptes sur des besoins que les provinces ne combleraient pas tout à fait à partir d'un montant de péréquation déterminé par cette commission? Ne croyez-vous pas qu'il pourrait y avoir un danger d'insatisfaction supplémentaire?

·  +-(1355)  

[Traduction]

+-

    M. Vic Schroeder: Je serais plutôt d'accord avec vous. La société est en train de retirer des dossiers du gouvernement pour les confier à des groupes experts, qu'il s'agisse de tribunaux chargés d'interpréter des questions comme notre constitution, ou de commissions du travail qui sont compétentes dans les questions de main-d'oeuvre et de gestion. Les exemples du genre ne manquent pas. Évidemment, il faudrait que tout le monde puisse réfléchir à la solution envisagée. Dans notre système fédéral, à la façon dont les choses fonctionnaient à mon époque, nous avions amplement la possibilité d'exprimer nos points de vue lors des réunions des ministres des Finances ou des premiers ministres mais, comme on dit, c'est celui qui payait l'impôt qui finissait par commander la musique, et je ne suis pas certain que ce fut la meilleure solution.

    Je comprends ce que vous dites et votre remarque est valable. Cependant, je ne suis pas spécialiste du domaine et, comme je l'ai dit dès le début, j'inviterai plutôt le comité à demander à quelqu'un d'examiner de très près les systèmes en vigueur dans ce pays pour voir comment aborder ce genre de chose. Il faut exiger une reddition de comptes sur le plan politique pour toutes les décisions que nous rendons.

[Français]

+-

    Le président: Merci, monsieur Schroeder.

    Madame Smith, vous disposez de trois minutes.

[Traduction]

+-

    Mme Joy Smith: Merci.

    S'agissant de reddition de comptes, il est indéniable que les paiements de péréquation ont été et continuent d'être très importants pour le Manitoba. C'est indéniable. Cependant, il est des choses qui échappent à notre contrôle, notamment un aspect qui m'a beaucoup préoccupée, je veux parler des excédents. Comme je le disais, l'écart entre les excédents annoncés et les excédents constatés est énorme, et cela a beaucoup d'importance pour les provinces, ce que d'autres témoins ont confirmé aujourd'hui.

    Par ailleurs, les changements de dernière minute dans les paiements de péréquation destinés font également problème. Tout gouvernement responsable sur le plan budgétaire veut pouvoir planifier. Pour cela, il faut se projeter dans l'avenir, il faut pouvoir compter sur une relative stabilité malgré les impondérables comme les inondations qui se sont produites dans cette province et le genre de problèmes que l'on ne peut prévoir.

    Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de ces changements de dernière minute effectués dans les paiements de péréquation qui semblent inévitables et pouvez-vous nous dire quels sont leurs effets? Que pourrions-nous faire que cela n'arrive pas? Avez-vous des idées dont vous voudriez nous faire part?

¸  +-(1400)  

+-

    M. Vic Schroeder: À bien des égards, la situation est pire aujourd'hui qu'à mon époque, parce que nous pouvions déclarer des déficits. Et puis, il y avait une autre façon de s'en sortir. Le Manitoba, comme bien d'autres provinces, avait une loi sur l'équilibre budgétaire et il était toujours possible, en situation d'urgence ou autre, d'en contourner les dispositions, mais cette loi était tout de même assez précise.

    Ainsi, la marge de manoeuvre s'est restreinte. Je dois reconnaître que je ne suis pas particulièrement favorable à la situation actuelle, mais le temps a passé et la population est d'accord avec cette nouvelle vision des choses, ce qui rend d'autant plus nécessaire de ne pas retirer de fonds aux provinces en cours d'exercice financier. C'est bien de se livrer à une prévision de quelques années, pour disposer d'une certaine marge de manoeuvre, mais une fois que le budget est établi pour l'année, cela veut dire que la politique fiscale et les autres politiques sont arrêtées et l'on se retrouve dans une position où tout changement a une incidence sur les programmes offerts, programmes qui touchent directement la vie des gens. Cela, nous le voyons déjà. C'est le cas dans les hôpitaux, à cause des décisions prises par l'administration parce que les budgets du gouvernement ont été réduits et qu'à cause de cela les régies régionales de la santé sont contraintes de réduire le personnel et donc de répercuter les compressions. Nous savons que les hôpitaux vont être touchés et nous serons aux prises avec cette réalité.

+-

    Le président: Merci, madame Smith.

    Monsieur Bell, pour trois minutes.

+-

    M. Don Bell: Merci, monsieur Schroeder.

    On vous a déjà posé la question que je voulais vous poser. Je voulais vous demander quelle approche vous pourriez nous recommander en vous fondant sur votre expérience. Dans votre exposé, vous nous avez donné des exemples de décisions qui ont eu des effets positifs sur l'économie, comme l'installation du centre de lutte contre les maladies au Manitoba, qui devrait rapporter plus d'argent à la province que le contrat des CF-18.

    Les attributions hors paiements de péréquation, en marge de ces paiements uniques, comme on l'a dit plus tôt, ou l'installation d'une institution fédérale à l'Île-du-Prince-Édouard, dont vous avez parlé, et à présent Tourisme Canada qui va déménager en Colombie-Britannique, ont eu ou auront des retombées économiques intéressantes pour les provinces d'accueil. Dans le cas de Tourisme Canada, on ne parle que de 80 employés, mais à cause de l'effet de grappe et de toutes les autres activités commerciales qui viennent se greffer à cette nouvelle installation, les répercussions seront excellentes.

    Sachant ce que vous savez, dans quelle mesure estimez-vous que cette formule est un instrument dont le gouvernement peut se prévaloir? Je pense personnellement que c'est un outil qui fait partie de toute la trousse.

+-

    M. Vic Schroeder: Je crois que le gouvernement peut et devrait se servir de ce genre d'instrument. Pour en revenir aux dossiers du CF-18 et d'Air Canada, le gouvernement a pris d'excellentes décisions parce qu'il avait une vision pour le Canada. Une partie de cette vision, c'est qu'il fallait concentrer toute l'industrie aéronautique dans la région de Montréal. Si c'est cela, c'est bien, mais encore faut-il le faire. Ensuite, on précisera la mission qui reviendra au Manitoba. Quelle vision entretient-on pour les autres régions du Canada? C'est comme cela qu'on avancera.

    La Colombie-Britannique est une merveilleuse province. Nous le savons. C'est peut-être l'un des meilleurs endroits où placer Tourisme Canada. Certaines provinces des Maritimes sont tout aussi belles et l'on aurait pu aussi situer cette installation à Québec. D'après ma théorie, cela aurait eu un effet positif sur la capacité fiscale du Québec, qui s'en serait trouvée améliorée et cela aurait permis de réduire les paiements de transfert. En revanche, l'effet ne sera pas le même en Colombie-Britannique.

¸  +-(1405)  

+-

    M. Don Bell: Merci.

+-

    Le président: Merci, monsieur Bell.

[Français]

    Monsieur Côté, pour trois minutes.

+-

    M. Guy Côté: La majorité des témoins que nous avons entendus ont parlé de décisions unilatérales de la part du gouvernement fédéral sur le plan des transferts. Ils nous ont dit aussi que la péréquation a été dénaturée au fil des ans, entre autres par le biais d'ententes particulières. Naturellement, il y a des décisions politiques dans cela, et vous en donnez de bons exemples.

    Si vous deviez faire une suggestion, une seule, afin de tenter de diminuer ce problème de déséquilibre fiscal, que serait-ce? Ce n'est pas facile, n'est-ce pas?

[Traduction]

+-

    M. Vic Schroeder: Eh bien je crois vraiment que... Pour régler le problème du déséquilibre fiscal entre le gouvernement fédéral et les provinces, il est vraiment important de ne pas s'enfermer dans des raisonnements sans issue et de s'attaquer à tel programme plutôt qu'à tel autre. En revanche, il faut envisager toutes les modalités possibles et imaginables pour contrôler ce que donnent les décisions, il faut s'en remettre à un organisme qui envisage tous les angles d'un même problème, plutôt que de s'en remettre à un ministère fédéral. Chaque fois qu'il y a une crise ici, le premier réflexe consiste à se décharger sur le palier inférieur.

    Voilà les deux domaines sur lesquels il faut intervenir. Au fait, il y en a deux et pas un.

[Français]

+-

    Le président: Merci, monsieur Côté.

    Madame Wasylycia-Leis, c'est à vous.

[Traduction]

+-

    Mme Judy Wasylycia-Leis: Merci, monsieur le président.

    Quand il a comparu devant notre comité, l'ancien président de l'Assemblée législative, M. Stuart Murray, du parti Conservateur, a dit que le Manitoba avait tort de ne pas miser sur ses ressources naturelles et de ne pas prendre de décision qui le mettrait sur un pied d'égalité avec l'Alberta, comme si les réserves de pétrole et de gaz de l'Alberta étaient la même chose que l'hydroélectricité du Manitoba. Là n'est pas vraiment le problème. La différence dans les économies des deux provinces tient au fait que le Manitoba n'est pas capable de se doter d'une économie compétitive. Je crois que M. Murray est passé à côté de la question de la péréquation et que son analogie n'était pas juste.

    Vous qui avez été ministre des Finances et qui travaillez maintenant dans le domaine de l'hydroélectricité, pourriez-vous nous résumer un peu le genre de problème qui nous attend au tournant sur le plan de la péréquation?

+-

    M. Vic Schroeder: Eh bien, pour un temps, j'ai été ministre de l'Énergie, à l'époque où nous avons construit notre dernière centrale hydroélectrique, celle de Limestone. Il s'agissait d'un projet de 1 250 mégawatts qui devait nous coûter 2,6 milliards de dollars et qui nous en a coûté 1,5.

    Cette différence de coût est en grande partie due à l'énorme diminution des taux d'intérêt, mais il demeure que nous n'avons pas lancé cette centrale hydroélectrique, qui allait ajouter 20 p. 100 à notre capacité, avant d'avoir conclu un contrat portant sur la vente d'énergie à long terme. Je pense qu'il serait irresponsable, pour qui que ce soit, de lancer un projet d'une telle envergure sans savoir si l'électricité va être achetée. Nous n'avions pas nous-même besoin d'une capacité additionnelle avant au moins 15 ans. Avant de commencer à concevoir le projet, nous avons voulu conclure une entente de fourniture d'énergie verte à long terme.

    D'un autre côté, je veux en revenir aux 7 milliards de dollars du pétrole albertain par rapport aux centaines de millions de dollars d'une année ordinaire pour préciser que Manitoba Hydro a subi une perte de 460 millions de dollars il y a un an. Nous n'avons pas les réserves hydroélectriques dont dispose le Québec à cause des réservoirs d'eau. Nous pouvons subir des baisses de niveau conséquentes et nous nous y attendrons d'ailleurs tous les 10 ans. Quand cela se produit, c'est très dur pour notre réseau.

    Dans une bonne année, notre chiffre d'affaires est de 150 à 200 millions de dollars et nous compensons alors pour les temps durs. Toutefois, il est malheureusement irréaliste de nous comparer à l'Alberta, comme certains le font.

¸  +-(1410)  

[Français]

+-

    Le président: Madame Wasylycia-Leis, vous pouvez poser une toute petite question de 15 secondes.

[Traduction]

+-

    Mme Judy Wasylycia-Leis: Ma question sera brève.

    Cela m'amène à la question de fond, qui est de savoir quelle recommandation notre comité pourrait faire afin que nous en arrivions à une bonne formule de péréquation. On s'entend sur le fait que la norme devrait concerner 10 provinces. Cela étant, de quel genre de recettes doit-on tenir compte?

    D'après ce que vous nous dites, j'ai l'impression qu'il faudrait englober toutes les recettes, même celles provenant des ressources non renouvelables. C'est ce que je crois vous avoir entendu dire très clairement. Dans le climat politique actuel, comment pensez-vous que nous puissions faire en sorte que cela devienne réalité?

    Cela aurait été possible il y a quelques années, mais on dirait que quelques provinces s'opposent à ce genre de formule. J'ai l'impression que nous avons perdu un peu de terrain avec toutes les ententes conclues sur le côté. Avez-vous un conseil à nous donner pour que nous sortions de ce mauvais pas et pouvez-vous nous dire ce qu'il faudrait faire, sur le plan politique, pour parvenir à une telle formule?

+-

    M. Vic Schroeder: Eh bien, ne signez plus d'ententes parallèles; promettez de ne plus jamais signer d'ententes parallèles dans l'avenir et concentrez-vous sur la totalité des revenus. Cela concerne le Manitoba qui pourrait vous demander pourquoi compter 100 ¢ par dollar. Je suis d'ailleurs heureux de voir que le Manitoba et le Québec ont adopté la même position en la matière.

    Autrement, pour en revenir à ce que précise notre constitution relativement à la prestation de services à peu près comparables moyennant des niveaux d'imposition également à peu près comparables, je crois qu'il n'y a aucune raison logique de ne pas tout inclure dans ce genre de calcul. Nous n'avons jamais dit que nous n'allions pas injecter d'argent dans les provinces les plus riches. Dans les années 30, il y avait déjà eu le transfert des ressources naturelles, et il n'y a aucune raison de ne pas envisager la richesse totale des différents joueurs.

[Français]

+-

    Le président: Merci, madame Wasylycia-Leis.

[Traduction]

    Monsieur Schroeder, je tiens à vous remercier au nom des membres de notre sous-comité. Vous nous avez fait profiter de votre expérience et de votre intelligence. Merci beaucoup.

    Nous allons prendre une pause de 15 minutes.

¸  +-(1410)  


¸  +-(1430)  

+-

    Le président: Merci beaucoup d'être revenus à temps.

    Nous allons à présent accueillir M. Paul Thomas, professeur à l'Université du Manitoba, et M. Neumann, conseiller de l'ACDI auprès du ministère des Finances et de la planification économique du gouvernement du Ghana.

    Bienvenue, messieurs. Vous aurez 12 minutes chacun pour nous faire part de vos points de vue après quoi nous passerons aux questions des députés. Bienvenue au sous-comité.

    Monsieur Thomas.

+-

    Professeur Paul Thomas (professeur Duff Roblin de Gouvernement, St. John's College, Université du Manitoba, à titre personnel): Je serais d'accord pour commencer, bien que prendre la parole devant Ron Neumann pour parler des relations fiscales entre le fédéral et les provinces, c'est un peu comme parler d'inondations devant Noé. Il connaît personnellement ce sujet beaucoup mieux que moi. Au début de ma carrière, quand je n'étais qu'un jeune fonctionnaire au gouvernement du Manitoba, je me préoccupais de choses comme le partage des recettes fiscales, la péréquation et les programmes à frais partagés. Ainsi, je reviens à ces sujets après m'en être tenu loin pendant quelque temps.

    Permettez-moi, pour commencer, de vous souhaiter la bienvenue à Winnipeg et au Manitoba.

    Je me réjouis également de cette occasion parce que je vais pouvoir vous faire part de certaines opinions sur la question importante qui est celle du juste équilibre à réaliser entre les responsabilités constitutionnelles et les capacités fiscales des deux ordres de gouvernement au Canada. Je tiens à vous dire que, historiquement, les Manitobains et leur gouvernement, ont toujours entretenu un point de vue différent et relativement cohérent dans le temps à propos du système fédéral et de la façon dont il devrait fonctionner.

    Notre caractère distinctif vient sans doute du fait que le Manitoba est la province du milieu, et à plus d'un titre. Nous sommes au milieu géographiquement, parce que nous sommes exactement au centre du Canada. Nous sommes aussi au milieu économiquement, parce que nous ne sommes ni une province riche, ni une province désespérément pauvre, mais je crois que nous faisons davantage partie de la classe moyenne inférieure. Nous sommes également au milieu sur le plan social, parce que nous sommes une province bilingue qui compte une importante population autochtone et que le Manitoba est particulièrement multiculturel. Enfin, nous sommes au milieu sur le plan politique, parce que la plupart des gouvernements qui ont dirigé cette province ont été modérés et pragmatiques, tant en ce qui concernait la province que le système fédéral.

    À cause du contexte purement manitobain, les gouvernements provinciaux qui se sont succédé ici ont joué un rôle constructif dans les relations fédérales-provinciales. Les gouvernements du Manitoba n'ont jamais tenu à tout prix à protéger leurs responsabilités constitutionnelles. Ils ont admis que le leadership politique et le soutien financier du fédéral peuvent accroître la capacité du gouvernement provincial d'offrir des programmes de qualité susceptible d'améliorer le quotidien des Manitobaines et des Manitobains. Les gouvernements du Manitoba ont permis et même encouragé, pour certains, d'utiliser le pouvoir de dépenser du fédéral dans des domaines de compétence exclusivement provinciale. Même quand ils ont été courroucés par les décisions unilatérales prises par le fédéral de réduire son soutien financier à la province ou de modifier les programmes conjoints, les équipes dirigeantes de la province n'ont pas été tentées de jeter le bébé avec l'eau du bain, pour reprendre l'expression bien connue. Elles ont reconnu que les irritants des négociations fédérales-provinciales sont généralement un petit prix à payer pour des avantages palpables que sont l'amélioration des soins de santé, des services sociaux et des programmes d'enseignement, autant de programmes qui sont rendus plus abordables grâce aux paiements de transfert du fédéral.

    En règle générale, les commentateurs informés de l'heure reconnaissent l'existence d'un déséquilibre fiscal vertical entre le gouvernement national et les gouvernements provinciaux. Nous avons l'impression que les provinces n'ont pas accès à un espace fiscal ou à des transferts financiers du fédéral qui sont suffisants pour leur permettre d'équilibrer leur budget à long terme en fonction de leurs obligations de dépenser. Il convient, à cet égard, de mentionner plusieurs choses.

    D'abord, comme on considère que les gouvernements provinciaux sont un seul et même bloc, on ne peut voir les différences qui distinguent quant à leur capacité fiscale individuelle. Le Manitoba est une province « démunie » par rapport à l'Alberta dont la puissance économique et financière lui permet de faire cavalier seul dans de nombreux champs de programmes. Pour corriger ces déséquilibres fiscaux verticaux, il y aurait lieu de ne pas compliquer les problèmes découlant des déséquilibres fiscaux horizontaux ou des différences entre les gouvernements provinciaux quant à leurs besoins de dépenser qui peuvent varier d'un champ de programmes à l'autre et selon leur capacité fiscale, c'est-à-dire d'après leur capacité d'aller chercher des fonds auprès de différentes sources d'imposition.

    Deux possibilités s'offrent au gouvernement national s'il désire corriger le déséquilibre fiscal vertical qui existe selon certains.

    D'abord, il pourrait consentir un espace fiscal plus important aux gouvernements provinciaux, ce qui leur permettrait d'être mieux en mesure de financer leurs propres programmes. Selon moi, cette solution soulève deux problèmes : d'abord, elle donne lieu à un système fiscal davantage fragmenté et compétitif qui favorise les provinces les plus riches; deuxièmement, il aggrave les problèmes des disparités interprovinciales en matière de capacité financière et de programmes.

    Le second choix consiste à accroître les niveaux de transfert financiers par le fédéral afin de combler les écarts constatés. Cette option est délicate sur le plan politique. Après plusieurs décennies d'une croissance soutenue à l'échelon provincial et après moult discussions au sujet des droits des provinces, l'idée d'inciter les responsables politiques fédéraux à recourir à leur pouvoir de dépenser n'est pas bien vue dans la plupart des capitales provinciales.

¸  +-(1435)  

    Tous les changements unilatéraux ou soudains que le gouvernement national a apporté à des programmes conjoints, changements qui étaient souvent à court terme et obéissaient à de l'opportunisme politique, ont toujours énormément courroucé les responsables provinciaux, même dans une province comme le Manitoba qui est très attachée et depuis longtemps au principe de la planification, de la prestation et de l'évaluation conjointes des programmes.

    Soit dit en passant, je dois préciser qu'en 1994, le ministère des Affaires indiennes et du Nord a modifié sa politique en sorte de ne plus avoir à payer pour toute une série de services sociaux. Dans les faits, cela s'est traduit par une diminution de 25 millions de dollars du budget de l'aide sociale au Manitoba. Voilà un des exemples où Ottawa a modifié son appui financier sans avoir préalablement consulté le gouvernement provincial.

    Cette déconvenue a donné lieu à plusieurs tentatives visant à restreindre l'application du pouvoir de dépenser du fédéral par le truchement d'amendements constitutionnels. Le gouvernement du Canada a cependant hésité à imposer des limites strictes au pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral lors des négociations constitutionnelles du début des années 90, parce que la province craignait de perdre l'apport financier du gouvernement fédéral pour les programmes conjoints actuels et à venir.

    Quand la tentative visant à imposer des restrictions constitutionnelles au pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral a échouée, les gouvernements provinciaux ont proposé une autre solution, l'Entente-cadre sur l'union sociale de 1999, qui devait porter sur les principaux champs de programmes concernant des activités conjointes et sur l'établissement de règles destinées à régir l'application subséquente du pouvoir de dépenser du fédéral. Ce que le gouvernement national a finalement accepté pour limiter sa liberté de dépenser dans des champs de compétence provinciaux, n'a pas satisfait le gouvernement du Québec qui a donc refusé de signer l'entente.

    En pratique, l'ECUS, c'est-à-dire l'Entente-cadre sur l'union sociale, n'a pas été à la hauteur de tout le tambourinage qui a marqué son annonce. Elle a lamentablement échoué dans la production d'un mécanisme de gestion de la participation du gouvernement fédéral dans les champs de compétence provinciaux et cela pour trois raisons : d'abord, le refus des responsables fédéraux élus et nommés de respecter l'engagement à collaborer véritablement avec les provinces; deuxièmement, l'absence de dispositions, de la part de certains gouvernements provinciaux, à être tenus responsables de la prestation efficace des programmes financés par les transferts fédéraux; troisièmement, l'absence de participation du gouvernement du Québec qui voyait un problème dans le fonctionnement de l'ECUS.

    Historiquement, les gouvernements du Manitoba ont toujours appuyé un gouvernement national fort. En particulier, ils ont résisté à toute velléité de changer le système fiscal craignant un affaiblissement financier du gouvernement national au point où il n'aurait pas pu financer les programmes à frais partagés. Ils se sont également opposés à l'adoption de toute règle constitutionnelle qui aurait pu limiter indûment la liberté du gouvernement national de dépenser dans les champs de responsabilités provinciales. Le Manitoba estimait qu'il ne fallait pas constitutionnellement entraver la générosité du gouvernement fédéral envers les provinces, même si, à l'occasion, cette générosité était assortie de conditions. Bien sûr, il fallait alors que ces conditions puissent être négociées.

    Dans les années 90, cette orientation traditionnelle des différents gouvernements du Manitoba a quelque peu changé. Sous le règne des Conservateurs, qui ont gouverné la province de 1988 à 1999, le premier ministre et le ministre des Finances de l'époque ont beaucoup parlé de la nécessité qu'Ottawa concède un plus grand espace fiscal aux provinces et favorise la clarification des rôles dans le cas des activités auxquelles participent les deux ordres de gouvernement. Ce changement de position traduisait une accumulation de frustrations dues au fait que les gouvernements nationaux avaient souvent changé d'orientation et de priorité. Ainsi, la diminution très importante des paiements de transfert effectués dans le cadre du soi-disant exercice de revue des programmes nationaux, entre 1994 et 1996, a ajouté aux difficultés financières du gouvernement du Manitoba qui avait lui-même décrété une réduction des impôts et adopté une loi très stricte d'équilibre budgétaire.

    L'examen de tous ces événements nous permet de dégager deux grands constats. D'abord, il faut reconnaître que la confiance fondée sur un comportement cohérent, prévisible et juste est très importante. Il est important que les politiciens et les hauts fonctionnaires des deux ordres de gouvernement se fassent confiance si l'on veut réaliser les objectifs des politiques nationales et provinciales. Deuxièmement, les événements du milieu des années 90 illustrent en quoi la position financière des gouvernements provinciaux concernés a été perturbée à cause des décisions qu'ils avaient prises en matière de fiscalité et de dépenses, et pas uniquement à cause des mesures adoptées par le gouvernement national. Nous ne devons pas oublier que les gouvernements provinciaux ont toute la latitude voulue pour prélever à peu près n'importe quelle forme d'impôt et qu'ils peuvent, bien évidemment, fixer leurs propres priorités en matière de dépenses.

    À long terme, les réductions d'impôts présentent des avantages qui ne sont contestés par aucun économiste, mais à court terme, elles contraignent les gouvernements à renoncer à des recettes qui pourraient leur permettre de financer l'augmentation des dépenses, par exemple dans le domaine de la santé, quand toutes réclament davantage d'argent du fédéral. Si les dépenses de la santé augmentent au rythme de 8 p. 100 annuellement dans certaines provinces et que ce dossier représente maintenant plus de 40 p. 100 des dépenses totales dans bien des provinces, il y a tout lieu de se demander si l'on fait suffisamment pour contrôler les dépenses.

¸  +-(1440)  

    Les soins de santé sont la première préoccupation des Canadiennes et des Canadiens et nous sommes en présence de forces très importantes au sein de notre société ainsi que d'intérêts très organisés qui insistent pour que les dépenses augmentent sur ce chapitre. Toutefois, les dépenses en santé empiètent sur les autres types de dépense dans les programmes de compétence provinciale, comme l'éducation, les services sociaux, les municipalités et l'environnement. Cela donne la possibilité au gouvernement national de dépenser dans des domaines sous-financés, comme par le biais des bourses du millénaire, des subventions de garderie, des initiatives concernant les sans-abri et des transferts directs aux municipalités. Les interventions ponctuelles et de courte durée du fédéral dans l'espace politique provincial, en vue de profiter d'un avantage politique, ne servent pas vraiment la fédération. Nous devons nous doter de meilleures règles et procédures pour régir les interventions du fédéral et nous attaquer aux situations où l'on ne parvient pas à s'entendre sur le fait qu'il existe un désaccord—et je reviendrai sur cet aspect dans mes conclusions.

    L'autre indication de l'existence de contraintes financières au sein du système fédéral est le débat sur l'avenir de la péréquation. Depuis des débuts fort simples en 1957, ce programme national s'est transformé en une chose horriblement compliquée assortie de dispositions et de formules qui interviennent dans le calcul des transferts financiers entre les soi-disant provinces « nanties » et les provinces dites « démunies », par l'intermédiaire du gouvernement du Canada. Il convient de remarquer que ce programme relève du Parlement. Il ne fait pas intervenir la générosité des provinces envers celles qui ont moins de chance. De nombreux changements précis ont été apportés à la formule de péréquation à cause de la disposition prévoyant un renouvellement quinquennal. Chaque fois que de tels changements ont été apportés, les provinces n'ont pas été invitées à signifier leur accord.

    Quant à moi, les changements les plus importants ont été effectués lors du renouvellement de 1982. Sans entrer trop dans le détail, sachez que les principaux changements ont consisté à adopter la soi-disant norme des cinq provinces pour le calcul des droits aux paiements de péréquation et la décision d'inclure les recettes provenant de ressources non renouvelables dans les calculs. Plus simplement, ces changements étaient destinés à contrôler les coûts de la péréquation pour le gouvernement fédéral et à veiller à ce que la province de l'Ontario n'aie jamais droit aux paiements de péréquation. En tant que province de classe moyenne-inférieure, le Manitoba a été l'une des plus touchées sur le plan de la perte des fonds de péréquation inconditionnels.

    Dans le passé, les gouvernements du Manitoba ont toujours estimé que la péréquation n'était pas un programme comme les autres. Le principe de la redistribution des revenus, des provinces relativement riches aux provinces pauvres, était perçu comme une conception bien canadienne de l'égalité des chances pour tous, quel que soit le lieu de résidence. Le gouvernement national a peut-être le droit constitutionnel et légal de modifier les conditions de la péréquation, malgré les objections des gouvernements provinciaux, mais les actions unilatérales et l'absence de négociation de bonne foi sont contraire au droit fondamental à la négociation au sein du système fédéral.

    Il faut protéger la péréquation, dans son principe et dans son application. Une telle protection doit porter sur le fonds, c'est-à-dire sur l'interdiction de modifier unilatéralement la formule dans le dessein de réduire les versements aux provinces bénéficiaires d'un certain pourcentage. Elle doit aussi concerner la procédure, par exemple, prévoir l'imposition d'un avis de changement et d'une période de consultation des provinces au sujet des nouvelles propositions fédérales, de même que la mise en oeuvre d'un mécanisme de déblocage dans les cas d'impasse.

    Je vais sauter quelques paragraphes pour gagner du temps, monsieur le président.

    Les récentes ententes conclues avec les provinces de l'Atlantique au sujet des recettes provenant de l'exploitation pétrolière au large ont amené le gouvernement de la Saskatchewan à réclamer une protection semblable contre la l'éventuelle récupération, dans l'avenir, des paiements de péréquation. Plus récemment, l'Ontario s'est plainte d'un manque à gagner d'environ 23 milliards de dollars. Ces événements, combinés aux autres tendances décrites plus tôt, nous amènent à craindre que tous les gouvernements provinciaux n'abordent les négociations fédérales-provinciales en cherchant, avant tout, à défendre leurs seuls intérêts. Les deux provinces les plus riches, l'Alberta et l'Ontario, ont ouvertement déclaré qu'elles contestent les actuels accords financiers. Dans un passé relativement récent, un premier ministre québécois parlait d'un fédéralisme rentable, ce qui a donné l'impression ailleurs au Canada que la loyauté des Québécois envers le Canada dépendait, en fin de compte, de ce que la fédération pouvait leur apporter dans l'absolu.

    Toutefois, on ne peut juger le système fédéral uniquement d'après les finances publiques ou un critère comptable. L'approche typiquement comptable qui consiste à déterminer si telle ou telle province bénéficie ou non de son appartenance au système fédéral est à la fois étroite et trompeuse. Elle passe à côté des interdépendances et des avantages communs qui caractérisent le fonctionnement du fédéralisme dans son ensemble. Même sur un plan analytique, il est impossible de prouver, sans émettre certaines hypothèses contestables, que telle ou telle province pourrait mieux s'en sortir en dehors de la confédération.

    Ainsi, je prétends que, si le fait de décrire la réalité de la confédération en termes de gagnants et de perdants se justifie sur le plan de la rhétorique, ce n'est en fait qu'une mauvaise analyse. Je pense que, dans l'ensemble, les Canadiens en ont assez du spectacle des gouvernements qui se battent au sujet d'un bilan purement financier et des altercations constantes entre les ordres de gouvernement. Ils veulent que les gouvernements collaborent pour parvenir à des résultats positifs. Cependant, ils ignorent presque tout de la répartition des responsabilités en matière de fiscalité et de prestation de services. Ils connaissent à peine la situation financière de leur propre gouvernement.

    Je conclus de tout cela que le gouvernement ne doit pas chercher à réaliser l'objectif illusoire qui consiste à atteindre un équilibre parfait entre les recettes et les dépenses pour chaque ordre de gouvernement. Il conviendrait davantage d'accepter la notion d'interdépendance ainsi que la nécessité d'appliquer des mécanismes pour atténuer les tensions intergouvernementales.

¸  +-(1445)  

    Dans le document que je vous ai fait remettre, j'ai indiqué qu'il existe de nombreuses tribunes politiques et administratives destinées à favoriser la communication, la négociation et l'harmonisation des mesures adoptées dans le domaine du fédéralisme fiscal. Toute une diversité de mécanismes ont été adoptés dans le temps afin de permettre aux deux ordres de gouvernement de sortir des impasses dans lesquelles ils peuvent se retrouver. On a fait preuve de beaucoup de créativité à cet égard, ce qui n'a fait qu'ajouter à la souplesse générale du système fédéral.

    Je conclurai en vous disant ceci. Il n'y a jamais eu d'âge d'or en matière d'équilibre entre les obligations de dépenser et le pouvoir d'imposer dont l'actuel système fédéral s'est beaucoup éloigné. Les calculs du déséquilibre fiscal vertical ne sont pas une science exacte. Ils sont fondés sur des hypothèses économiques et tendancielles et sur les dépenses de chaque ordre de gouvernement, et toutes ces hypothèses sont discutables.

    Depuis quelque temps déjà, les gouvernements fédéral et provinciaux se sont engagés à préciser leurs responsabilités réciproques, à éviter les dédoublements ou les recoupements et à clarifier leur rôle respectif afin de dépenser de façon plus judicieuse et plus efficace et de renforcer la reddition de comptes. Cependant, il y aura toujours des interdépendances et il sera toujours nécessaire de mener des entreprises conjointes, outre qu'il existera toujours un certain flou dans les responsabilités des uns et des autres. Même dans une démocratie, la reddition de comptes ne doit pas toujours prendre le pas sur les valeurs politiques et administratives, comme la rapidité d'intervention, la justice et l'équité du système fédéral en général.

    Il n'existe sans doute aucun appui politique pour revenir aux ententes des programmes à frais partagés d'avant 1977, selon la formule moitié-moitié. Ces programmes ont été les principaux instruments d'une ère de fédéralisme coopératif. La revendication des droits par les provinces est à présent trop forte pour permettre au gouvernement fédéral d'intervenir d'une façon ou d'une autre dans les affaires provinciales. Néanmoins, il faudrait prendre acte du droit légitime d'un gouvernement national de proposer de nouveaux programmes à frais partagés et de nouvelles règles visant à déterminer s'il y a consensus entre les provinces pour adopter tel ou tel programme. Du point de vue de l'équité et de l'efficacité, il s'agit-là d'une approche nettement préférable à celle qui consiste à combler l'écart fiscal par le biais de transferts de points d'impôt qui ne feraient en fait qu'accroître le déséquilibre fiscal horizontal entre les provinces.

    Je pourrais prétendre que la péréquation n'est pas un programme national comme les autres. Son statut constitutionnel et son caractère inconditionnel traduisent son importance fondamentale pour l'unité nationale et l'égalité des chances. Il y a lieu d'éviter toute modification unilatérale et brusque de la formule de péréquation. Les gouvernements provinciaux doivent directement participer à l'examen général de la péréquation que propose le ministre fédéral des Finances.

    Les questions de relations fiscales entre le fédéral et les provinces sont essentiellement politiques et non constitutionnelles ou légales. L'analyse financière publique peut contribuer à mieux comprendre ce dossier, mais elle ne se substituera jamais à la décision politique ni à la prise en compte d'intérêts divergents, de façon créative. Les négociations qui mènent à la collaboration peuvent s'avérer difficiles et nécessiter beaucoup de temps, mais elles sont une caractéristique fondamentale du fédéralisme canadien. Il n'existe aucun remède, ni sur le plan de la procédure ni sur le plan organisationnel, susceptible de garantir le règlement de tels désaccords, et seul le désir de persévérer est de faire preuve de créativité permettra de régler ce genre de problème.

    Il serait utile que tous les gouvernements cherchent à s'entendre sur les chiffres du déséquilibre fiscal. Ainsi, il serait temps d'associer le transfert de points d'impôt à une contribution fédérale, étant donné que les gouvernements provinciaux perçoivent des impôts depuis 1977. Ceux-ci doivent accepter, de façon plus tangible, leur obligation de rendre des comptes sur l'emploi des fonds fédéraux quant aux résultats obtenus dans les cas où les deux ordres de gouvernement participent à un même programme. Ce genre de reddition de comptes est nécessaire afin de garantir au Parlement et à la population canadienne que les fonds fédéraux sont dépensés comme prévu et qu'ils donnent effectivement des résultats.

    Enfin, toutes les questions de fédéralisme fiscal sont très compliquées, mais les aspects plus techniques sont affaire de jugement quant au genre de pays que veulent les Canadiens. En tant qu'institution la plus démocratique au Canada, le Parlement doit prendre part à l'examen et à l'approbation de toute nouvelle entente conclue dans le cadre du fédéralisme exécutif.

    Dans les années 80, un comité semblable au vôtre, le Comité Breault, avait été mis en place et avait produit l'un des meilleurs rapports qui nous ait été donné de voir sur les relations fiscales fédérales-provinciales. Ce comité, qui a sillonné le pays pour parler de ces questions, a permis à la population d'améliorer ses connaissances en la matière. Je le répète, c'est grâce aux paiements de transferts fédéraux que les Manitobains ont pu s'offrir un meilleur enseignement, de meilleurs services sociaux et de meilleurs soins de santé. Il peut arriver, à l'occasion, que le spectacle des gouvernements qui se disputent en public nous apparaisse frustrant ou perturbant. Mais le mieux est tout de même de pouvoir compter sur de meilleurs programmes.

    Merci beaucoup.

¸  +-(1450)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Thomas. Vous avez parlé pendant 19 minutes, mais je n'avais pas de problème parce que nous n'attendons pas d'autres témoins. Cependant, à cause de vous, nous devons maintenant accorder 19 minutes à M. Neumann.

+-

    Prof. Paul Thomas: Eh bien voilà, je viens de donner le mauvais exemple.

+-

    Le président: Allez-y, monsieur Neumann. Vous avez 19 minutes.

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    M. Ronald Neumann (ACDI conseiller pour le ministère des Finances et pour la planification économique , Gouvernement du Ghana, à titre personnel): Merci, monsieur le président.

    Je pourrais parler plus de 19 minutes, puisque je vous ai préparé un document de 20 pages qui a été envoyé à la traduction et que je vous ferai remettre en temps et lieux.

    Je vais survoler mon document pour illustrer le genre de problème que vous étudiez, dans sa réalité sur le terrain, parce qu'il arrive qu'on se perde dans des discussions purement théoriques et que l'on ne réfléchisse pas assez au côté pratique de tout cela.

    Le comité nous a invités à réagir à partir d'éléments concrets et je pense, personnellement, qu'il existe un déséquilibre fiscal structurel entre les provinces et les territoires—ce que vous pourriez appeler un déséquilibre horizontal—de même qu'entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, c'est-à-dire un déséquilibre vertical.

    J'ai fait remettre un graphique qui indique que les provinces et les territoires, à l'exception de l'Alberta, ont toujours été déficitaires ces dernières décennies, à l'exception d'une seule année. De son côté, le gouvernement fédéral a enregistré des excédents consécutifs et il prévoit des budgets également excédentaires pour les cinq prochaines années.

    Quant aux différences d'une province à l'autre, Richard Bird et François Vaillancourt ont produit un document à ce sujet—je crois que tous deux ont témoigné devant votre comité—baptisé « Reconciling Diversity with Equality: The Role of Intergovernmental Fiscal Arrangements in Maintaining an Effective State in Canada ». Ils y traitent des écarts de productivité et de revenu d'une province à l'autre et montrent, de façon intéressante, en quoi ces écarts ont convergé, selon un calcul par tête, après la mise en oeuvre du programme de péréquation et des autres programmes de transferts sociaux, dans les années 50 et 60, pour recommencer à diverger à la faveur de l'augmentation des prix de l'énergie.

    Les données de ces deux chercheurs nous prouvent à l'évidence que équité et croissance vont de pair et elles démolissent l'idée selon laquelle la péréquation ne fait que contribuer au cercle vicieux de l'aide sociale. Plus l'équité est grande et plus la croissance est importante.

    Les deux types de déséquilibre menacent les progrès sociaux et économiques du Canada parce qu'ils gênent la saine répartition des ressources entre les divers programmes sociaux et l'investissement dans les infrastructures municipales et provinciales.

    Le gouvernement fédéral soutient qu'il n'existe pas de déséquilibre parce que les provinces ont accès à la même assiette fiscale. Cependant, des dépenses publiques qui reposeraient uniquement sur des assiettes fiscales provinciales inégales seraient inférieures à celles qui pourraient être réalisées si ces assiettes étaient équitablement distribuées. On finit par se retrouver avec des taux d'imposition qui conviennent davantage aux provinces les plus riches et avec des services qui sont sous-financés dans toutes les régions qui ne bénéficient pas d'une assiette fiscale solide.

    Avant 1957, les programmes sociaux au Canada n'étaient pas très bons. Nous avons ensuite mis en place le filet de sécurité sociale obéissant à des normes internationales, filet qui a été financé par l'assiette fiscale fédérale et par la péréquation fiscale. Cependant, depuis 1992-1993, comme je l'indique dans mon document, les assiettes fiscales provinciales sont de nouveau redevenues inégales et nous avons opté pour la norme inéquitable des cinq provinces dans le cadre du programme de péréquation.

    Résultat : notre programme de dépenses publiques exprimées en pourcentage du PIB a diminué de 22 p. 100 et il est maintenant l'un des plus faibles des pays du G-7 et de la plupart des pays industrialisés. Le pourcentage de PIB que nous consacrons aux programmes publics est de 33 p. 100 inférieur à celui de la France, de 25 p. 100 inférieur à celui de l'Allemagne et de 20 p. 100 inférieur à celui du Royaume-Uni. En 2004, nous étions presque au même niveau que les États-Unis et le Japon et je ne serais pas surpris que nous passions derrière ces deux pays en 2005 au chapitre des dépenses publiques. Nous ne pouvons pas espérer,à partir d'un tel niveau de dépenses publiques, avoir un système de soins de santé public universel et solide, un système d'éducation élémentaire, secondaire et postsecondaire de première classe, des infrastructures municipales adaptées et bien entretenues, des aides pour la famille et un programme efficace de lutte contre la pauvreté des enfants.

    Par ailleurs, les disparités qui existent entre les provinces ont un effet négatif sur la croissance de la productivité et le développement économique des régions. Le Canada se porterait mieux si toutes les régions se portaient mieux.

    Nous disposons pourtant des outils nécessaires pour corriger cette situation au Canada. La constitution nous oblige à appliquer des dispositions relatives à la péréquation et nous disposons des ressources financières nécessaires pour régler le déséquilibre fiscal, étant donné les excédents budgétaires récemment dégagés par le palier fédéral.

¸  +-(1455)  

    Tout d'abord, nous devons relancer le débat sur le fédéralisme fiscal en nous appuyant sur les structures et les mécanismes qui favorisent la négociation des questions fiscales intergouvernementales. Cela s'entend de réunions régulières des premiers ministres et des ministres des Finances ainsi que des organismes qui les soutiennent.

    Quand je suis entré au ministère des Finances et que j'ai commencé à m'occuper des relations fédérales-provinciales, j'ai assisté à une réunion d'un comité des sous-ministres des Finances qui s'appelait le Comité permanent des fonctionnaires. C'était le plus vieux comité permanent de fonctionnaires. Il se réunissait régulièrement et fournissait de bons conseils aux ministres. Plusieurs sous-comités relevaient de lui. L'un d'eux était celui de la Direction générale de la politique fiscale et économique. S'il avait été maintenu au cours des 10 dernières années, il aurait permis de constater, d'entrée de jeu, que le palier fédéral réalisait des excédents budgétaires de plus en plus importants et que les budgets ne traduisaient pas tout à fait la situation économique et fiscale du pays. Ce sous-comité n'existe quasiment plus. Il se réunit généralement après le budget et prend note de ce qu'on lui communique, plutôt que de fournir lui-même des informations et de favoriser le dialogue. Il en va de même avec le Comité des arrangements fiscaux qui est loin d'être aussi actif que par le passé.

    Quoi qu'il en soit, malgré tout cela, les ententes récentes signées après les réunions des premiers ministres en 2004 pourraient signaler un retour attendu au fédéralisme coopératif et j'estime, pour ma part, qu'il y a lieu d'entretenir cet état d'esprit. Ce retour au fédéralisme coopératif intervient après une période, de 1961 à 2001, où les recettes transférées, exprimées en pourcentage des revenus provinciaux, ont décliné de 54 p. 100. Tout à l'heure, M. Murray, leader de l'opposition au Manitoba, vous a parlé du fait que le Manitoba dépend de plus en plus des paiements de péréquation. Pourtant, exprimés en pourcentage des recettes provinciales, les paiements de transferts ont été réduits de moitié dans la période de 40 ans allant de 1961 à 2001. Il demeure que les ententes de 2004, surtout celle relative au programme de péréquation, était très défaillantes et même les accords en question ont été entachées par les ententes de 2005 concernant l'exploitation du pétrole au large.

    Nous en sommes au point où le programme de péréquation pourrait même accroître plutôt que réduire les disparités entre certaines provinces. Cela, selon moi, va tout à fait à l'encontre de l'engagement constitutionnel à cet égard et pourrait ouvrir la porte à des litiges à ce sujet, ce qui serait une grande tragédie pour le Canada. J'estime que ces questions devraient être résolues par le biais de la discussion et non devant les tribunaux.

    Dans mon document, je propose certaines solutions. Nous pourrions, par exemple, envisager d'adopter un seul et même programme pour régler les deux types de déséquilibres fiscaux, comme c'est le cas en Australie. Ce programme consisterait à effectuer des versements aux provinces, notamment à l'Ontario et à l'Alberta. D'un autre côté, le maintien du régime canadien, qui consiste à administrer un programme de péréquation à part des autres transferts pour régler les déséquilibres fiscaux, exige que l'on tienne compte des efforts déployés pour régler les déséquilibres entre les provinces et territoires et les gouvernements locaux, de même que des efforts destinés à régler le déséquilibre vertical fédéral-provincial-territorial. On ne veille pas assez à maintenir cet équilibre entre les deux types de programme.

    Il faut respecter les dispositions constitutionnelles en matière de péréquation. Cela exige la pleine reconnaissance, dans la formule appliquée, de toutes les sources de recettes utilisées par les provinces pour financer leurs programmes publics, qu'il s'agisse du revenu des particuliers et des entreprises ou de la richesse provinciale. Je tiens à insister sur le fait qu'on ne peut, selon moi, respecter le paragraphe 36(2) de la constitution, si les recettes qu'utilisent les provinces pour financer les programmes publics et les recettes provenant de ressources non renouvelables sont exclues du calcul. Les raisons pour exclure ces rentrées de la formule de péréquation, dont certaines ont été fournies au sous-comité, ne sont pas valables et doivent être rejetées. J'explique pourquoi dans mon document.

    Il convient d'exclure une partie des recettes dérivées des ressources investies dans les fonds du patrimoine jusqu'à ce que ces recettes soient utilisées pour les programmes publics.

¹  +-(1500)  

    Il existe d'autres véhicules que la péréquation pour régler les problèmes de déséquilibres fiscaux. Si l'on envisage de transférer des points d'impôt aux provinces, le Canada devra alors se doter d'un système efficace de péréquation pour contrebalancer la répartition inégale des assiettes fiscales provinciales.

    D'un autre côté, notre pays pourrait davantage s'en remettre à la fiscalité fédérale à condition que celle-ci soit assortie de transferts supérieurs aux provinces. Par ailleurs, on pourrait passer d'assiettes fiscales réparties de façon particulièrement inéquitable à des assiettes mieux réparties. À cet égard, en particulier, si l'on envisage de transférer l'assiette fiscale fondée sur l'impôt des sociétés au gouvernement fédéral, moyennant une augmentation de la TPS et de la TVP, par exemple—deux taxes qui sont plus équitablement distribuées que l'impôt des sociétés—il serait possible de réduire les paiements de péréquation tout en répartissant de façon plus équitable l'espace fiscal.

    Dans mon document, j'explique pourquoi, selon moi, une formule de péréquation meilleure devrait être fondée sur un système fiscal représentatif plutôt que sur une formule macro-économique. On engloberait ainsi toutes les recettes et l'on miserait sur une norme adéquate, abordable, fondée sur la situation des 10 provinces. Certaines formules macro-économiques excluent en totalité ou en partie les recettes provenant des ressources. Ces formules ne peuvent pas tenir compte d'éléments comme un système progressif fondé sur l'impôt sur le revenu. Elles ne peuvent tenir compte de l'exportation des taxes et des impôts et ainsi de suite. Voilà pourquoi j'estime qu'il faudrait adopter un système fiscal représentatif, tenant compte de toutes les recettes, et appliquer une norme abordable qui soit fonction de la situation des 10 provinces.

    Enfin, il faudrait que cette formule soit adaptée aux situations nouvelles et qu'elle ne porte pas sur une somme globale fixe. Je ne pense pas que ce genre de formule soit satisfaisante pour la péréquation.

    D'autres transferts peuvent également permettre de régler les déséquilibres, outre qu'ils permettront de corriger d'autres défauts importants dans le domaine de la politique publique. Je crois que le mieux, à cet égard, serait de respecter la division des pouvoirs prévue dans la constitution. Les programmes devraient respecter les principes et les pratiques prévus dans l'Entente-cadre sur l'union sociale. Ils pourraient comporter des éléments asymétriques et être assortis de dispositions de désengagement.

    Enfin, des changements apportés à la façon dont on répartit actuellement les recettes, par le biais de mesures fiscales, devraient être réalisés de façon coordonnée entre les provinces et le gouvernement fédéral. L'harmonisation des taux d'imposition des sociétés par les provinces, selon une fourchette relativement étroite, ou le transfert de points d'impôt des sociétés au gouvernement fédéral permettrait d'atténuer l'une des principales préoccupations, celle des distorsions économiques provoquées par l'actuel déséquilibre fiscal. Dans l'ensemble, si les provinces comptaient moins sur une assiette d'imposition mal distribuée, on parviendrait à réduire les paiements de péréquation et les autres transferts nécessaires.

    Dans mon document, je conclus que ces propositions, et d'autres, devraient être reprises par le sous-comité et recommandées dans son rapport.

    Dans le National Post de samedi, Michael Ignatieff tire la sonnette d'alarme dans un article où il laisse entendre que nous devrions mettre sur pied une commission royale sur les relations fiscales intergouvernementales au Canada. Il prétend que l'approche ponctuelle en vigueur au Canada depuis plusieurs années ne répond pas aux besoins. Je ne sais pas si j'irais jusqu'à soutenir la création d'une commission royale, comme il le fait, mais je conviens avec lui qu'il faut renoncer aux changements ponctuels qui ont constitué la norme ces dernières années.

    Je vous ai soumis un mémoire rédigé dans ma plus belle langue bureaucratique que j'ai apprise durant mes 33 années de service à la fonction publique du Manitoba. Toutefois, je ne suis plus fonctionnaire au gouvernement du Manitoba et je vais donc prendre quelques licences, si vous me le permettez, pour consacrer deux ou trois minutes à vous présenter un scénario susceptible d'illustrer les enjeux et la gravité des problèmes auxquels nous pourrions faire face sous peu.

    Avant toute chose, je tiens à vous garantir que je ne veux absolument pas dénigré le gouvernement de l'Alberta. Je pense que ce gouvernement agit très bien pour protéger la richesse de la province. Jusqu'ici, il n'a pas été tenté de devenir un paradis fiscal. Je ne crois pas qu'il a proposé des incitatifs par trop alléchants aux entreprises pour les attirer dans la province. Je ne pense pas qu'il se soit entouré d'une cloison pare-feu, même si l'on parle effectivement de pare-feu en Alberta.

¹  +-(1505)  

    Voici le scénario que je veux vous proposer.

    En 2005, les prix du pétrole atteignent le prix record de 100 $ le baril sous l'effet de la demande qui explose en Chine et en Inde et d'événements graves au Nigeria, au Venezuela, en Russie et dans certains pays arabes. En 2006, les prix du gaz naturel emboîtent le pas et doublent. En 2007, l'Alberta dépose son budget et se rend compte qu'elle n'a plus à prélever d'impôt sur le revenu des particuliers ni sur les sociétés pour équilibrer son budget, pour mettre de l'argent de côté en vue de périodes plus difficiles et pour assurer toutes ses dépenses. Il déclare un congé fiscal temporaire sur ses ressources naturelles, congé qui est repris d'année en année, un peu à la façon dont les impôts personnels sur le revenu, temporaires au départ, ont été confirmés d'une année à l'autre, tout cela parce que les prix du pétrole et du gaz ne reviennent jamais à leurs niveaux antérieurs.

    Jusqu'à la fin de cette décennie, les économies de l'Ontario et des autres provinces, qui ne bénéficient pas de telles ressources, souffrent des effets d'un dollar canadien élevé. Les entreprises manufacturières parviennent à extraire une série de concessions de leurs travailleurs pour garder les usines ouvertes. Les entreprises financières, surtout en Ontario et à Winnipeg, au Manitoba, envisagent de déménager en Alberta sous l'impulsion des cadres supérieurs dont les salaires se chiffrent désormais en centaines de milliers de dollars, pour ne pas dire en millions, et qui verraient un gros avantage à ne plus avoir à payer d'impôt sur le revenu des particuliers. D'ailleurs, il leur est relativement facile de faire accepter cette idée par leur conseil d'administration parce qu'après tout l'Alberta n'impose pas non plus les sociétés.

    De 2010 à 2015, Calgary jouit d'un essor fantastique, sa population doublant pour atteindre 2 millions d'habitants. Les banlieusards mettent plus d'une heure et demi pour se rendre au travail. L'économie canadienne se porte assez bien mais l'essentiel de la croissance est concentré dans les trois provinces de l'Ouest. L'Ontario et le Manitoba connaissent une croissance très lente, sous l'effet d'un dollar canadien stimulé par un afflux important de liquidités dû aux industries pétrolières et gazières, de salaires relativement bas et de la migration de certaines industries.

    Malheureusement, derrière les baies encrassées des immeubles déserts de Winnipeg, des dizaines de milliers d'enfants, tous pauvres et presque tous autochtones, grandissent dans la colère. Aucun ordre de gouvernement, pas plus le fédéral que le provincial, ne leur vient en aide parce que le premier a décidé depuis longtemps que les Autochtones résidant dans les villes ne relèvent plus de sa compétence et que le second a décrété qu'il ne pouvait plus augmenter les impôts de crainte d'accroître le fossé fiscal qui le sépare de l'Alberta.

    C'est ainsi que les enfants se regroupent en bandes spécialisées dans la vente de drogue et dans la prostitution, dans l'espoir d'échapper à la pauvreté. Les riches de ces secteurs ont fuit sans même s'arrêter dans les banlieues de Winnipeg, puisqu'ils sont allés directement à Calgary pour gonfler la population d'un autre demi-million d'âmes, tandis que les bandes de voyous commercent à l'échelle du Canada, partout où il peut y avoir un client.

    Dans le Winnipeg de 2019, le jour même du 100e anniversaire de la grande grève de la ville, survient le premier soulèvement urbain. Trois édifices sont rasés.

    En 2020, les troubles reprennent et s'étendent à d'autres centres urbains. Même Toronto, pendant une période de coupure générale d'électricité vit son « jour noir de juillet ». Les casques bleus canadiens sont appelés à la rescousse pour restaurer l'ordre et éviter le genre de dérives survenues à Détroit 50 ans plus tôt.

    En 2025, la production des champs pétrolifères de l'Alberta est tellement réduite que la province doit désormais puiser dans son Fonds du patrimoine. Le gaz qui devait le remplacer n'est pas compétitif par rapport à un autre mode de production d'électricité qui combine énergie éolienne et d'hydroélectricité. En 2035, le Fonds du patrimoine est presque à sec et plusieurs millions d'Albertains doivent de nouveau payer l'impôt sur le revenu des particuliers et l'impôt des sociétés.

    Personnellement, je pense que nous pourrions beaucoup mieux faire au Canada que ce qu'envisage ce genre de scénario, que nous pourrions ne pas avoir à vivre toutes les perturbations et les difficultés auxquelles seraient confrontés beaucoup trop de Canadiennes et de Canadiens, et je crois que votre sous-comité peut apporter une partie des réponses.

    Merci.

¹  +-(1510)  

+-

    Le président: Madame Smith, pour cinq minutes.

[Français]

    Nous allons passer à une période de questions, mais j'aimerais d'abord ajouter quelque chose à votre scénario jusqu'en 2020. En avril 2005, quelqu'un a suggéré au gouvernement fédéral de créer une commission royale d'enquête sur la fiscalité. Le gouvernement a refusé et a ainsi évité de dépenser 50 millions de dollars. Or, un simple sous-comité, qui coûte 100 fois moins cher, a réussi à proposer des solutions pour éviter votre scénario jusqu'en 2020. Cela pourrait peut-être compléter votre histoire qui, soit dit en passant, est très intéressante. Je suis un amateur d'Isaac Asimove et j'avais l'impression de l'entendre expliquer un scénario futuriste, mais pas tout à fait joyeux.

    Madame Smith, you have five minutes.

¹  +-(1515)  

[Traduction]

+-

    Mme Joy Smith: Merci.

    Que d'information dans vos deux exposés, messieurs Thomas et Neumann. Je les ai trouvés particulièrement fouillés et très axés sur les problèmes à résoudre. Ils sont aussi très honnêtes. En outre, ils n'étaient pas entachés de partisanerie politique, comme il nous arrive souvent d'en voir. J'ai trouvé ces exposés extrêmement intéressants parce que je pense que vous avez beaucoup réfléchi à la façon de régler le dilemme auquel nous sommes confrontés.

    J'ai également l'impression que, dans vos deux exposés, un même thème sous-jacent se dégage, thème qui est ressorti durant tout l'après-midi. D'abord, quand, à la veille d'effectuer des paiements de transfert, le gouvernement fédéral annonce des excédents—et je l'ai dit tout à l'heure—et qu'on a la surprise de découvrir que les excédents annoncés sont bien supérieurs à ce qui avait été projeté, et puis que le gouvernement fédéral fait des annonces ponctuelles—et le mot de ponctuelle est également ressorti dans votre exposé, monsieur Neumann—il n'y a plus rien qui marche.

    Vous nous avez dit tous les deux que les paiements de péréquation sont une manne pour le Manitoba qui est une province moins bien nantie que les autres, comme vous l'avez précisé. Je déteste quand les gens parlent de province démunie. Je ne pense pas que nous répondions à cette définition. Nous avons fait beaucoup de choses merveilleuses ici.

    S'agissant des besoins des gens, il faut trouver une façon de régler le problème de la péréquation pour qu'elle fonctionne vraiment et qu'il n'y ait plus de surprise.

    Je me demandais—et n'importe lequel de vous deux pourra me répondre, parce que vous nous avez fourni des documents très complets—quand vous parliez du lien entre les provinces et le gouvernement fédéral, je me demandais si vous aviez pensé à la question de la logistique pour faire en sorte que les provinces parviennent à s'entendre sur une formule d'accord et à dégager une vision propre à l'ensemble du Canada plutôt qu'à une province en particulier?

    Je reconnais que nous sommes tous très territoriaux, puisque je viens moi-même du Manitoba. Pour moi, aucune autre province n'est aussi belle que le Manitoba. Cependant, pour les travaux de notre comité, il nous incombe d'envisager la question sous l'angle national et de régler le problème du déséquilibre fiscal dans son ensemble. C'est ce que nous devons faire.

    De toute évidence, vous êtes tous les deux très bien outillés pour nous conseiller un peu à ce sujet. Pourriez-vous, à tour de rôle, nous en dire un peu plus long à ce sujet. J'en serais ravie.

    Merci.

+-

    M. Ronald Neumann: Je pourrais dire plusieurs choses à cet égard. D'abord, au cours de la dernière décennie, on a assisté à un renforcement du dialogue interprovincial. Dans le passé, cela a permis d'en arriver à un certain nombre de positions consensuelles sur la question du déséquilibre fiscal, positions qui ont été appuyées par l'ensemble des provinces, l'Alberta et l'Ontario, les provinces les plus riches, et également le Québec et d'autres. Cela a porté sur l'injection de fonds supplémentaires dans les soins de santé, en plus de l'application de la norme des 10 provinces pour la péréquation et la prise en compte de toutes les recettes provinciales.

    C'était l'accord. Les provinces peuvent conclure ce genre d'ententes. Parfois, c'est plus difficile, mais parfois, elles y arrivent. Malheureusement, même si les provinces en arrivaient à formuler une des positions consensuelles—il est possible qu'elles pourraient faire davantage par le truchement du conseil de la fédération qui vient d'être mis sur pied—il faudrait que le gouvernement fédéral se joigne à elles et soit d'accord avec leur position.

    Une autre façon, meilleure ou du moins tout aussi bonne, consisterait à remettre en vigueur les mécanismes qui nous ont si bien servi dans les 50 années précédentes et qui ont peu à peu abandonnés dans les années 90 et au début de ce siècle. Ces mécanismes consistaient en des réunions régulières des premiers ministres, des ministres des Finances et en la mobilisation de toutes les structures de soutien associées à de telles réunions. Le dialogue était bon et il était toujours possible de tomber d'accord ou, au contraire, d'être en désaccord autour de la table, d'après les données et les analyses préparées conjointement en prévision de ces rencontres.

¹  +-(1520)  

+-

    Prof. Paul Thomas: J'aurais une brève remarque à faire.

    Ron a une expérience plus récente que la mienne de ce genre de tribune intergouvernementale. J'ai dit de façon un peu frivole, dans mon document, que si les comités pouvaient, à eux seuls, régler ce genre de problèmes, nous atteindrions l'harmonie parfaite. Les hôtels et les compagnies aériennes ne seraient jamais déficitaires, parce que ces rencontres intergouvernementales sont synonymes d'énormément de déplacements. Tous les systèmes fédéraux sont assortis d'un vaste dispositif de comités et de tribunes qui sont autant de lieux à débat.

    En qualité d'observateur, j'ai assisté aux réunions des provinces de l'Ouest. Ces rencontres sont passées d'occasions purement sociales à de véritables réunions de travail. C'est à peu près le cas partout à présent et les provinces ont adopté des positions davantage communes. Je pense d'ailleurs que le conseil de la fédération est le point culminant de tout ce processus.

    J'ajouterais une chose. Dans mon exposé, j'ai indiqué que le Parlement devrait participer à tout renouvellement d'envergure des ententes fiscales au Canada. Les gouvernements provinciaux ne sont pas censés oublier les intérêts fondamentaux de ceux et de celles qu'ils représentent. Ils sont censés être présents, faire des pressions, mais ils sont également censés parler au nom d'une entité gouvernementale—c'est-à-dire, dans ce cas, le gouvernement du Manitoba—qui représente les citoyens pour la formulation des politiques nationales. Il s'agit donc d'un mandat de représentation différent de celui dont est investi le gouvernement provincial.

    Vous n'avez peut-être pas le profil d'un premier ministre quand il prend la parole en public, mais vous avez un rôle à jouer. Je crois que ce genre d'ententes, avant qu'elles ne soit finalisées, doivent être soumises au Parlement, sous la forme d'une loi, et faire l'objet d'audiences parlementaires afin que les groupes concernés par les domaines de la politique sociale, de l'environnement et autres, aient la chance d'exprimer leurs points de vue.

    Si notre Sénat était plus légitime, ce qui est un sujet entièrement différent de celui dont nous traitons, la chambre haute pourrait jouer un rôle en matière de protection des intérêts, rôle qui ne serait pas forcément assumé par les gouvernements provinciaux, puisqu'ils doivent veiller à leur propre budget. Le Sénat pourrait tenir compte du point de vue des différentes régions géographiques et des communautés politiques. Je crois que cela permettrait de stimuler les différents joueurs du fédéralisme exécutif à conclure une entente.

    Et puis, il y a tous les mécanismes permettant de sortir des impasses éventuelles. Nous avons fait preuve de beaucoup de créativité à cet égard, beaucoup plus que la plupart des systèmes fédéraux. Je ne pense pas que nous manquions de mécanismes du genre. En revanche, il faut une volonté politique. Il serait utile que le Parlement fasse pression sur les politiciens qui prennent part aux négociations intergouvernementales.

+-

    Le président: Merci, madame Smith.

    Monsieur Bell.

+-

    M. Don Bell: Merci.

    Que d'information!

    Il aurait également été très bien d'avoir un résumé, monsieur Neumann. Il y a une question qui m'intéresse et à propos de laquelle nous avons recueilli certaines réactions aujourd'hui, je veux parler de la prise en compte des ressources naturelles non renouvelables dans une formule quelconque. À la page 11 de votre document, vous proposez des questions et des réponses, autrement dit vous formulez un point de vue et vous donnez ensuite une réponse. À première vue, on dirait que selon vous il faudrait tenir compte de ces ressources non renouvelables. Est-ce fondamental?

¹  +-(1525)  

+-

    M. Ronald Neumann: Tout à fait.

+-

    M. Don Bell: Bien. Je vais simplifier la réponse. J'aurai plus tard l'occasion de mieux lire votre document. J'ai bien essayé de le survoler, mais le cours de lecture rapide que j'ai pris ne donne pas encore de résultat.

    Mon autre question s'adresse à M. Thomas.

    Durant votre exposé, j'ai constaté que vous aviez sauté le paragraphe du haut de la page 5 où il est dit que la nouvelle formule de péréquation comporte un plancher de financement de 10 milliards de dollars et que le taux de croissance prévu est de 3,5 p. 100. Or, un témoin précédent, nous a dit que, comme ces 3,5 p. 100 ne correspondent pas au PIB, les paiements diminuent d'une année à l'autre, et qu'il faudrait se rapprocher de 4,5 p. 100.

    Vous dites d'ailleurs ici qu'il faudrait améliorer les prédictions. C'est ailleurs là un des aspects dont il a été question, parce qu'on veut en arriver à une perspective à plus long terme pour le financement et ne plus subir d'annonces ponctuelles, surprises. Vous avez pris acte que le ministre des Finances a promis de conduire un examen indépendant et vous suggérez que les gouvernements provinciaux devraient également... vous voudriez aussi qu'un comité parlementaire conduise un tel examen.

    Ce que je veux dire, c'est que j'ai l'impression que vous voyez certains avantages au plan d'action proposé par le gouvernement fédéral.

+-

    Prof. Paul Thomas: Oui. Comme je ne m'intéresse plus à ce dossier depuis longtemps et que je viens tout juste de m'y replonger dedans, je n'ai pas eu la chance d'examiner l'impact de tous ces calculs au cours des dernières années.

    J'ai l'impression que toutes ces formules sont un véritable casse-tête, qu'elles nous posent un dilemme. Si l'on veut imposer une certaine discipline fiscale et miser sur la prévisibilité, il faut pouvoir dire, avec quelque certitude, que les recettes vont continuer de rentrer pendant un certain nombre d'années. Pourtant, comme Ron Neumann l'a dit, on veut aussi que le système puisse réagir aux changements économiques et à la situation financière du gouvernement. C'est un peu comme le repas de bébé : il ne faut pas qu'il soit ni trop chaud, ni trop froid, mais à la bonne température. Ainsi, quelle formule concocter pour tenir compte de la situation économique de l'heure et de la situation financière du gouvernement? Nous avons décidé de renouveler la formule tous les cinq ans, sinon elle demeure essentiellement inchangée.

    Si le gouvernement fédéral veut modifier quelque chose de façon unilatérale, il peut le faire, et il l'a d'ailleurs déjà fait dans le passé, à l'encontre de l'avis des gouvernements provinciaux qui étaient remontés à bloc. Dans le cadre des réductions décrétées après l'examen des programmes, Ottawa a beaucoup plus limité les budgets de ses propres programmes que ceux des programmes conjoints. À l'époque, notre gouvernement provincial se plaignait haut et fort d'avoir perdu quelque 18 milliards de dollars à l'occasion de l'examen des programmes. Ottawa avait également énormément réduit ses propres dépenses.

    Si j'étais député, j'aurais deux choses à dire. D'abord, je ne voudrais pas avoir, comme seule responsabilité en matière de politiques nationales, à me préoccuper de la défense nationale, de la poste et de la GRC, autant d'aspects qui concernent à peine les Canadiens dans leur vie de tous les jours. Vous devriez vous intéresser davantage à des domaines plus importants. Deuxièmement, en qualité de député fédéral, je voudrais avoir une certaine garantie que l'argent que je transfère aux gouvernements provinciaux est en fait dépensé pour les fins prévues. J'aimerais également être relativement certain—étant donné toutes les difficultés qui se rattachent à cela—que l'argent est bien investi et que je gagne quelque chose au chapitre de l'amélioration de la santé, de l'éducation ou de la politique sociale.

    J'estime que le Parlement a un rôle très sérieux à jouer dans tout cela. Il se déroule toutes sortes de conférences ministérielles à ce sujet, mais le Parlement est relativement tenu à l'écart, dans un domaine où il devrait pourtant... Il est important, pour la vie du pays, que le Parlement ne soit pas appelé à intervenir à la 25e heure, que ce soit pour encenser ou pour vilipender un processus intergouvernemental quelconque. Le Parlement doit avoir davantage la chance d'influencer les décisions, pas véritablement de les contrôler, mais de les influencer.

[Français]

+-

    Le président: Thank you, Mr. Bell.

    Monsieur Côté, vous disposez de cinq minutes.

+-

    M. Guy Côté: Merci, monsieur le président.

    Merci, messieurs Neumann et Thomas pour votre présentation. Vous me permettrez d'ajouter, moi aussi, à votre scénario, en disant qu'au fil des ans, le Québec devient un pays. Mais ça, c'est une autre histoire!

    Monsieur Thomas, je suis convaincu que vous ne serez guère surpris que je vous dise que, si je suis d'accord sur un certain nombre d'affirmations que vous nous avez présentées aujourd'hui, il y en a d'autres sur lesquelles je suis profondément en désaccord. C'est un ramassis d'idées. En effet, vous nous avez donné beaucoup matière à réflexion.

    Je suis un peu étonné que vous ayez mentionné qu'il n'y aurait probablement pas aujourd'hui un appui politique pour retourner à une formule de partage 50-50. Je ne veux pas trop m'avancer à parler pour le gouvernement du Québec, mais si on lui offrait de ramener les transferts dans les domaines de la santé et de l'éducation à 50 p. 100, je pense qu'un tel geste aurait un appui politique au Québec. Je ne doute pas que le gouvernement fédéral libéral à Ottawa ne serait pas d'accord, mais je pense qu'il y aurait un appui politique du côté des provinces.

    Cela étant dit, vous réunissez jusqu'à un certain point les dépenses fédérales dans des domaines de compétence du Québec avec la nécessité d'augmenter la reddition de comptes des provinces face au gouvernement fédéral.

    Deux questions me viennent à l'esprit.

    Dans un premier temps, cela ne met-il pas les provinces à l'abri des décisions unilatérales dont vous parlez? En effet, rien n'empêche le gouvernement de se retirer du financement presque selon son bon désir.

    Deuxièmement, ne serait-il pas, au contraire, beaucoup plus efficace, en termes de transparence et de reddition de comptes, si le payeur de taxes, qui est le même partout, savait directement qu'en matière de santé, un montant donné provient de la province? Cela permettrait d'éviter des situations... Au milieu des années 1990, le fédéral s'est retiré du financement, mais ce sont les gouvernements provinciaux qui en ont payé le prix politique, alors qu'ils avaient peu de marge de manoeuvre. Je ne doute pas que la même chose se soit produite au Manitoba qu'au Québec ou dans d'autres provinces.

    Contrairement à ce que vous nous présentez, ne serait-il pas plus efficace que le fédéral se retire des champs de compétence des provinces? Cela ne permettrait-il pas qu'il y ait plus de transparence et une meilleure reddition de comptes?

¹  +-(1530)  

[Traduction]

+-

    Prof. Paul Thomas: Je vais vous donner deux ou trois réponses brèves.

    Je pense effectivement que, dans le domaine de la santé, les gouvernements provinciaux courent désespérément après des fonds supplémentaires pour les destiner aux soins de santé—qui est la principale priorité aux yeux des Canadiens—au point qu'ils pourraient accepter n'importe quelle condition du gouvernement fédéral pour bénéficier d'un transfert de fonds. Cependant, si vous leur demandiez de concéder la même chose dans tout un éventail de domaines de politiques, ils réagiraient sans doute différemment. Je ne suis pas certain que les gouvernements provinciaux se réjouiraient, dans le domaine de l'enseignement, qu'Ottawa verse des subventions directes ou indirectes aux université et aux collèges.

    Leur réaction varierait donc. Vous devez également ne pas perdre de vue que tout dépendra de la volonté du gouvernement national de recourir à ce genre de mécanisme de subvention.

    Pour ce qui est de la transparence et de la reddition de comptes, il s'agit de deux vertus qui ont la faveur de tout le monde. En revanche, la vraie question consiste à savoir comment parvenir à une véritable reddition de comptes. De plus en plus, dans le monde intégré dans lequel nous évoluons, les actions des deux ordres de gouvernement se conjuguent pour produire des résultats. Si vous dites qu'en dépensant dans ces domaines de responsabilité, le gouvernement fédéral a un effet sur ce qui se passe dans les champs de compétence provinciaux, vous devrez trouver une autre façon de parvenir à l'harmonisation.

    Grâce aux rapports annuels sur les indicateurs de santé, du Conseil de santé du Canada, on peut maintenant se faire une rapide idée de l'état de santé de la population du Manitoba, savoir si elle s'améliore ou si elle décline en fonction d'un ensemble de repères et on peut aussi avoir une idée des services de santé offerts. Ce qui est triste, c'est que très peu de Canadiens sont au courant de ces rapports. Très peu les utilisent et, quand on leur demande dans quelle mesure ils savent ce que fait tel ou tel ordre de gouvernement au sein du système fédéral, on s'aperçoit qu'ils ignorent tout. Ils ne savent pas et, pour tout dire, ils ne s'y intéressent pas. Ce n'est pas leur travail à eux de débrouiller l'écheveau des relations fédérales-provinciales. C'est votre travail à vous. Ils voient bien que vous devriez le faire—que c'est le travail des politiciens—et ils veulent qu'on les laisse tranquille.

    Je ne pense pas que l'objectif consistant à renforcer la reddition de comptes—que Tom Courchene et d'autres ont réclamé sous la forme d'une clarification des rôles des deux ordres de gouvernement—va nous permettre d'atteindre le nirvana où tout le monde disposera du niveau voulu d'autorité en matière de prélèvement d'impôt et d'obligations de dépenser. Tel ou tel ordre de gouvernement ferait ceci ou cela ici, et tel autre agirait différemment ailleurs... nous pourrions dire à l'un ou à l'autre : « Vous avez agi seul et vous allez donc en prendre tout le crédit ou, au contraire, tout le blâme ». En revanche, je ne pense pas que cela devienne un jour réalité.

    Très honnêtement, si je devais céder un peu sur la question de la reddition de comptes pour avoir accès à de meilleurs services de soins de santé, je n'hésiterais pas à choisir les services de santé.

+-

    M. Ronald Neumann: J'aimerais ajouter une toute petite chose à cela.

    Je suis personnellement un peu plus optimiste au sujet du niveau de connaissance des Canadiens. Regardez ce qui s'est produit à l'occasion des importantes réductions effectuées par le gouvernement fédéral en 1995. C'est vrai que ce sont les provinces qui ont d'abord encaissé le coup, mais les Canadiens ont fini par se rendre compte que deux ordres de gouvernement étaient favorables à ces réductions, que l'un d'eux avait retiré beaucoup plus d'argent que l'autre et que le deuxième maintenait ses engagements. Peu à peu, ce message a fait son chemin et le gouvernement fédéral a commencé à s'attaquer au problème. Il s'est senti responsable. Il a senti que la population canadienne mettait la pression et c'est ce qui a finalement abouti aux ententes de 2000 et de 2004.

    La population canadienne peut ne pas tout connaître en détail, mais moyennant un peu de temps et suffisamment d'information, je pense qu'elle pourrait finir par savoir ce que fait le gouvernement, même dans les domaines de compétence partagés.

¹  +-(1535)  

+-

    Prof. Paul Thomas: J'aimerais ajouter brièvement quelque chose.

    L'Australie a pris des devants sur le Canada pour ce qui est des mécanismes de collaboration entre les paliers de gouvernement, qui sont tous tenus de rendre des comptes. Pour ce qui est des politiques concernant la santé, les services sociaux, l'éducation, le logement et le handicap, le gouvernement du Commonwealth, c'est-à-dire le gouvernement national, a transféré de l'argent aux gouvernements des États mais à la condition que ceux-ci lui rendent compte des progrès accomplis.

    J'ai ici un extrait du Australian Journal of Public Administration de mars 2003 où l'on peut lire que les Australiens ne sont ni empressés ni aptes à exploiter ces données et à tenir leurs gouvernements davantage responsables; pis encore, selon moi, ils ne sont pas prêts à exploiter les informations relatives aux programmes en vue de les améliorer.

    On ne rend pas des comptes pour le simple plaisir de rendre des comptes; on le fait parce qu'on espère détecter d'éventuels problèmes dans les domaines de programme et que le gouvernement débiteur, c'est-à-dire le gouvernement national, pourra ainsi dire aux États : « Vous êtes en retard dans vos programmes d'alphabétisation et nous aimerions que vous nous présentiez des plans d'amélioration avant que nous ne recommencions à traiter avec vous ». J'estime, personnellement, que cette approche est davantage constructive que celle consistant à jeter l'opprobre sur les paliers de gouvernement inférieurs ou à se retrouver dans une situation où tout le monde se blâme mutuellement.

[Français]

+-

    Le président: Merci, monsieur Côté.

    Madame Wasylycia-Leis.

[Traduction]

+-

    Mme Judy Wasylycia-Leis: Merci , monsieur le président.

    Merci beaucoup à Paul Thomas et à Ron Neumann pour ce qui a sans doute été l'un des exposés les plus complets qu'il nous a été donné d'entendre lors de ce voyage à travers le pays. Je remercie tout particulièrement Ron Neumann, qui est spécialement rentré d'Afrique où il travaille à un projet de l'ACDI pour cette audience.

    Vous avez avancé des idées à propos desquelles nous sommes tous d'accord. D'abord, vous avez mentionné le caractère fondamental de l'équilibre fiscal au Canada. Deuxièmement, vous avez assimilé la péréquation à du ciment parce qu'elle unit la fédération et qu'elle est essentielle pour la nation. En revanche, ce n'est pas quelque chose qui ressort à Ottawa, qui est présent. On ne ressent pas cela là-bas. Or, quand on se retrouve ici, on a l'impression très nette qu'il existe une crise. Toutefois, il n'y a rien de tel à Ottawa... rien ne transpire, on ne sait rien. Le gouvernement fédéral ne veut pas reconnaître l'existence d'un déséquilibre fiscal ou d'autres problèmes créés par les ententes parallèles. Si nous avons appris quelque chose à Ottawa aujourd'hui, c'est que les décisions ponctuelles posent un vrai danger.

    J'aimerais que vous nous fassiez tous les deux des recommandations, en vue de notre rapport, comme vous avez dit que beaucoup va dépendre du travail que nous faisons. Je vous propose de fractionner cela.

    D'abord, parlons du rôle du Parlement et de ce que nous pourrions recommander sur ce plan. Comment le Parlement pourrait-il faire davantage que donner son accord sans discussion à des ententes de péréquation inadaptées, comme celle que nous venons de signer, ou à des ententes parallèles sur lesquelles il est difficile de se prononcer étant donné la façon dont elles sont présentées? J'aimerais recueillir vos points de vue sur ce que nous pourrions faire afin de changer l'institution du Parlement et de la rendre plus efficace sur ce plan.

    Deuxièmement, j'ai l'impression que l'autre grand domaine est celui de la coopération fédérale-provinciale dont vous avez dit tous les deux qu'elle était plutôt lamentable étant donné le peu de réunions régulières des ministres des Finances. Nous sommes à une époque de disputes incessantes dont on ne semble pas pouvoir sortir.

    Troisièmement, il y a la question des politiques fiscales du gouvernement fédéral. Ron, vous avez parlé de la réduction du financement des programmes en termes de pourcentage du PIB et de la nécessité de s'attaquer à cette question dans le cadre de ce que nous faisons vis-à-vis de la péréquation, des transferts et de toute la question du déséquilibre fiscal. Nous nous retrouvons encore avec un énorme excédent budgétaire fédéral qui servira essentiellement à réduire les impôts ou la dette, seule une infime partie devant servir à augmenter la part du PIB consacrée aux programmes.

    Qu'avez-vous à recommander à cet égard? Comment réagissez-vous aux questions qui se posent au sujet des solutions proposées : le Conseil de la fédération, la création d'un groupe d'experts, la mise sur pied d'une commission royale? Quelles autres solutions pourrait-on appliquer pour nous sortir de ce dédale de problèmes?

¹  +-(1540)  

+-

    M. Ronald Neumann: Si le Conseil de la fédération peut inciter le gouvernement fédéral à dialoguer avec lui et si ce conseil est soudé, il peut alors être la solution.

    Personnellement, j'ai beaucoup plus confiance dans le genre de mécanismes que nous avions dans le passé où le gouvernement fédéral et tous les gouvernements provinciaux et territoriaux s'asseyaient autour de la table. Je pense qu'il faudrait revitaliser ces mécanismes qui nous ont si bien servis. Cela veut dire qu'il faudrait convoquer des réunions régulières des premiers ministres et des ministres des Finances, avant le budget, disons en milieu d'année, pour tenir compte de la situation et que l'on planifie la réunion suivante. Les comités feraient circuler l'information et leurs analyses, ils serviraient de tribune où l'on analyserait les différentes options politiques et les conséquences qu'elles comportent, pour que toutes les parties en comprennent bien les tenants et les aboutissants. On réunirait autant de cerveaux que possible autour de ces questions pour bénéficier du maximum de points de vue différents des régions et des provinces. C'est ainsi que nous augmenterions nos chances de dégager un consensus raisonnable.

    La collecte et la diffusion d'informations n'est certainement plus aussi bonne que par le passé. Paul vous a parlé de certains nouveaux indicateurs concernant les résultats des politiques. Cependant, nos gouvernements ne font pas grand chose en commun sur le plan macroéconomique, ce qui aurait un effet sur le fisc fédéral et sur les provinces. Ainsi, nous comprenons assez mal ce que donnerait cette situation. Personne n'a réfléchi aux conséquences d'un pétrole se vendant 100 $ le baril. J'ai inventé le scénario que je vous ai lu tout à l'heure, mais personne n'y a réfléchi. Pourtant, il pourrait se réaliser d'ici un an et personne n'a envisagé les conséquences d'une telle situation.

    Nous devons donc revitaliser les mécanismes du passé si nous voulons administrer ce pays de façon efficace et parvenir à dégager un consensus quelconque pour aller de l'avant.

+-

    Prof. Paul Thomas: J'ai deux ou trois remarques à faire.

    Je n'aime pas l'idée d'une commission royale. Ce pourrait être bien pour un politologue comme moi, parce que j'obtiendrais sans doute un contrat de recherche ou deux, mais ce n'est pas l'objet de tout cet exercice.

    Si je devais conseiller le ministre des Finances, je demanderais à quelqu'un du ministère des Finances de préparer un document de travail énonçant le pour et le contre des différentes options. Je soumettrais ensuite ce document au Parlement, je le confierais à un petit comité qui sillonnerait le pays, j'inviterais des représentants provinciaux à venir nous faire part de leurs points de vue et je rédigerais un rapport qui, si possible, représenterait l'avis consensuel des membres du comité—tous partis confondus. C'est ainsi qu'il faut s'y prendre. De plus, je me doterais d'une solide équipe de recherchistes pour que le comité puisse travailler en toute indépendance. J'inviterais des experts universitaires, spécialisés dans le domaine, et des experts membres de cellules de réflexion, ainsi que des fonctionnaires à la retraite comme Ron Neumann qui connaissent beaucoup de choses. C'est ainsi que l'on parvient à mobiliser l'appui de tout le monde.

    Ce serait un peu comme l'exercice des consultations prébudgétaires. Les décisions à prendre dans ce dossier sont cruciales pour le pays et elles ne se limitent pas à de simples calculs internes pour établir une formule. Comme je le disais, il est question de définir la politique du pays.

    Pour ce qui est de la collaboration fédérale-provinciale, il serait utile que nous dégagions une interprétation commune de ce que représentent les données disponibles. La plupart des données sont muettes. Elles ne disent rien a priori. Il faut les interpréter et tout le monde ne le fait pas de la même façon, mais ce serait utile de se livrer à ce genre d'exercice. Nous pourrions au moins nous appuyer sur les mêmes chiffres. Statistiques Canada fait un excellent travail dans bien des dossiers de la scène intergouvernementale, mais les fonctionnaires qui travaillent pour les politiciens ont un rôle important à jouer pour dégager une interprétation commune de toute cette information et pour communiquer les résultats aux ministres.

    Ron ne vous a pas donné son avis—mais je pense qu'il l'a fait plus tôt—au sujet de la taille actuelle du gouvernement du Canada par rapport à la taille des administrations publiques ailleurs dans le monde. Toutes ces mesures sont certes discutables, mais je dirais, de façon générale, que les chiffres qu'il cite confirment ma perception du rôle d'un gouvernement au Canada.

    Nous avons traversé des périodes plutôt difficiles dans les années 90. Ensemble, nous avons cependant fait beaucoup : nous avons réglé la question du déficit budgétaire mais, à l'occasion, nous avons créé un déficit social à bien des égards—involontaire, bien sûr, en ce sens que personne ne voulait limiter le nombre de places de garderie ou autres, mais à l'époque nous n'avions pas d'autres choix à cause de notre situation financière.

    Nous en sommes à présent sortis. Après 10 ans de ce régime, les Canadiens attendent moins de leurs gouvernements et le mot « déficit » est presque devenu un juron que l'on a peur de prononcer. Peu importe qu'il existe ou non une loi sur l'équilibre budgétaire, plus aucun gouvernement n'est prêt à dire à la population qu'il va investir dans l'avenir en créant un déficit, mais que durant son mandat—disons cinq ans—l'équilibre sera atteint.

    Voilà quelles sont les réalités politiques et les gens qui sont au coeur du gouvernement ont sans doute effectué ce genre de calculs. On nous signale de plus en plus que certaines choses sont laissées à l'abandon et que des gens ont souffert parce que nous n'avons pas suffisamment dépensé. Eh bien, nous devons dépenser intelligemment, ce qui revient à dire que les deux ordres de gouvernement ne peuvent plus se permettre de dédoublement ni de recoupement et de dysfonctionnement, et qu'ils doivent collaborer. C'est là où la mise en commun des risques politiques et financiers devient importante. Voilà ce que les gouvernements peuvent faire.

    Cela veut dire que les provinces les moins fortunées, comme le Manitoba, bénéficieront d'une plus grande égalité des chances. Il n'est pas question de mettre tout le monde sur un pied d'égalité, mais simplement d'offrir des services de base pour que tout le monde ait la même chance dans la vie. Quand on est en présence de minorités comme les Autochtones, ici, on à faire à un important défit en matière de politique publique et, pour vous dire bien franchement, le Manitoba ne parvient pas à faire face à ce genre de défi ni à profiter des occasions qui s'offrent à lui à partir de ses seules ressources financières.

¹  +-(1545)  

[Français]

+-

    Le président: Merci, madame Wasylycia-Leis.

    Avant de conclure, M. Neumann me donne l'occasion de parler de toute la question autochtone. Je pense que M. Thomas l'a aussi mentionnée dans sa conclusion.

    En 1982, j'ai eu l'occasion de venir à Winnipeg à plusieurs reprises. J'y ai passé cinq jours en hiver et je me suis rendu compte qu'il y faisait extrêmement froid en plein mois de janvier. J'y étais aussi venu à peu près à cette période-ci de l'année, alors qu'il y avait le débat sur la question du pas du Nid-de-Corbeau. À cette époque, j'étais à l'emploi d'Agriculture Canada. J'avais alors eu l'occasion de marcher beaucoup dans Winnipeg.

    Hier après-midi, j'ai refait l'exercice. J'ai marché dans toutes les rues que j'appréciais à cette époque et que j'apprécie toujours, d'ailleurs: Main Street, Portage, etc. Je me suis aperçu que la situation avait bien changé depuis 1982. J'ai surtout remarqué la présence de membres des premières nations de plus en plus jeunes dans les rues. J'avais eu l'occasion d'échanger avec mon ami Pat Martin, le collègue de Judy, à plusieurs occasions, puisque nous avons passé deux ans et demi ensemble aux Affaires autochtones.

    Je me suis dit hier soir que s'il y a des victimes d'une certaine forme de déséquilibre fiscal, ce sont bien les premières nations. On les a dépossédées de leurs terres et de ressources. Elles n'ont aucun droit de prélever des revenus fiscaux sur des ressources qui leur appartenaient. On les a souvent fait déménager de territoires qui étaient les leurs et où il y avait du pétrole et des ressources forestières importantes.

    Je me suis dit hier soir que nous devrions peut-être intégrer la question autochtone au débat sur le déséquilibre fiscal. Lorsque nous parlons d'autonomie, nous devrions faire en sorte qu'il y ait une cession territoriale aux premières nations afin qu'elles puissent se développer. Il faut parler aussi du partage des ressources fiscales.

    J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Ne serait-ce pas là une façon de donner le goût aux jeunes autochtones que j'ai vus hier soir, ainsi qu'aux plus vieux, de retourner avec les leurs sur un territoire où ils auraient la capacité de se développer, de retrouver leur dignité perdue? Bref, cela ne leur permettrait-il pas de panser leurs blessures et de penser à l'avenir?

¹  +-(1550)  

[Traduction]

+-

    M. Ronald Neumann: Merci pour votre question.

    Avant que je n'intègre le ministère des Finances, je travaillais sur le dossier des Autochtones et j'ai d'ailleurs passé beaucoup de temps dans le Nord de l'Alberta et dans le Nord du Manitoba.

    Je ne pense pas que le fait de renforcer le système des réserves puisse nous apporter des avantages à long terme. À cause des pressions du monde moderne, il y a plus d'avenir dans les centres urbains. Il reste peu de terres non utilisées qui pourraient servir à accroître la productivité des Autochtones.

    Quand je travaillais au Pas et au Lac La Biche, en Alberta, j'ai constaté qu'il n'y avait pas de violence, mais que les gens étaient pauvres. Nous nous sommes alors dit que nous étions en train de préparer une génération qui risquait de tomber dans la colère, et c'est d'ailleurs à ce moment-là que les jeunes Autochtones sont venus en ville et que les problèmes ont commencé. On voit bien ce genre de problèmes à Winnipeg de nos jours et on voit aussi l'augmentation des décès et tous les autres problèmes associés à cette jeunesse à la dérive. De plus, ces gens-là ne vont pas rester éternellement au sein de leur communauté autochtone, ils vont se répandre, ils vont aller ailleurs.

    Il est difficile d'appréhender la notion des dépenses nécessaires—comment l'intégrer dans une formule?—ce qui fait qu'on n'en parle pas, mais s'il est un domaine dans lequel il faut dépenser dans le cadre du programme de péréquation, c'est bien dans le dossier des peuples autochtones, parce qu'il faut ajouter un élément au programme de péréquation afin de traiter de ces problèmes et de sauter sur les occasions qui s'offrent, comme Paul vous l'a d'ailleurs dit. L'avenir du Manitoba dépend en grande partie de l'avenir des peuples autochtones, raison pour laquelle nous devons renverser la situation actuelle. Je crois que c'est possible, mais pour cela il faudra investir en partant et adopter certains programmes, outre que nous ne pouvons pas nous permettre de les oublier.

    Ainsi, dans le cas d'une province comme le Manitoba, il est heureux qu'il y ait des possibilités sur le plan de l'éducation parce que nous pouvons faire beaucoup en agissant dans ce domaine pour permettre aux Autochtones d'intégrer le marché du travail. Il y a aussi les problèmes de santé, comme le diabète, qui est une véritable épidémie chez les Autochtones. Il faudrait également en tenir compte dans la formule.

    Malheureusement, il faut bien reconnaître que du côté de l'appareil judiciaire, les Autochtones sont surreprésentés, que ce soit dans les arrestations policières, dans les tribunaux ou encore dans les prisons. Cela, il faut le reconnaître. En matière d'aide sociale, il arrive que 60 p. 100 des cas concernent les Autochtones qui ne représentent pourtant que 15 p. 100 de la population.

    Il faudrait commencer à réfléchir à tous ces éléments et envisager de débloquer des ressources pour commencer à régler ces problèmes. Si nous ne le faisons pas, je crains que le scénario que je vous ai présenté tout à l'heure ne se réalise, que l'on soit confronté au genre de mécontentement de l'ampleur constatée dans le coeur de certaines villes américaines il y a quatre ans.

¹  +-(1555)  

+-

    Prof. Paul Thomas: Je voudrais juste faire deux ou trois remarques rapides.

    D'abord, je ne dirais pas que toute la population autochtone, dans les réserves et en ville, est désavantagée sur le plan social et qu'elle est dysfonctionnelle. Les Autochtones comportent une classe moyenne urbaine de plus en plus importante qui s'en sort bien. On dénombre de plus en plus d'Autochtones qui finissent leur secondaire, qui vont à l'université et au collège et qui contribuent de façon intéressante à la vie de la société. Nous ne devons pas laisser penser qu'il n'y a que des mauvaises nouvelles dans le cas des Autochtones.

    Les progrès qui ont été réalisés sont palpables, comme nous l'ont indiqué les chiffres année après année. On recense 55 000 à 75 000 Autochtones urbains à Winnipeg, selon la façon dont on les compte, et le gouvernement fédéral leur offre des programmes ciblés avec la participation de la province.

    J'ai rédigé un document, en tant que chercheur, pour la Commission de mise en oeuvre des recommandations sur la justice autochtone. J'ai étudié la façon dont les systèmes politiques fédéral et provincial réagissent aux besoins des Autochtones des régions urbaines et j'ose à dire que nous avons réalisé des progrès : par exemple, un guichet unique pour la prestation des services, si bien que, si vous vous adressez au bureau de la rue Principale, on vous dira instantanément où vous adresser au sein du gouvernement pour obtenir les services dont vous avez besoin.

    Malheureusement, il y a aussi les cas de dérapage, comme celui dont il a été question dans un article rédigé par un de mes étudiants du troisième cycle, l'autre soir, sur la situation et le statut des Autochtones handicapés. Hors des réserves, ces gens-là sont pris entre deux ordres de gouvernement et, à bien des égards, ils sont doublement voire triplement négligés par le système. En fait, il s'agit souvent de femmes qui ne relèvent ni de la compétence fédérale ni de la compétence provinciale ou qui deviennent un thème de dispute entre les deux ordres de gouvernement.

    En 1994-1995, dans le cadre de l'examen des programmes, Ottawa a changé la façon dont il calculait son appui aux Autochtones handicapés. Cela s'est traduit par un manque à gagner de 25 millions de dollars dans le budget des services sociaux de la province. Qui a perdu dans tout cela? La province a essayé de combler l'écart, mais elle n'avait pas les moyens financiers pour y parvenir. Il faut donc assurer une certaine régularité et une certaine prévisibilité relativement aux engagements à long terme à l'étape où ces programmes sont mis sur pied.

    Nous pourrions toujours parler de la place des peuples autochtones dans cette province et dans les autres provinces, mais nous ne voulons certainement pas mélanger les questions de fédéralisme fiscal avec celles de l'autonomie gouvernementale parce que, bien franchement, il va falloir se demander comment l'autonomie gouvernementale sera financée. Toute cette question dépendra de négociations avec des groupes et des organisations qui prétendent le plus souvent être en dehors du cadre constitutionnel du Canada et vouloir négocier de nation à nation. Ainsi, il est sans doute mieux de laisser cela de côté.

    Il convient de faire remarquer qu'il y a déjà eu des ententes de partage d'impôt entre la province et les administrations municipales, au Manitoba. Un petit pourcentage des recettes provenant de l'impôt des particuliers et de l'impôt des sociétés était remis, sans condition, à la ville de Winnipeg et à quelque 200 autres administrations municipales. Nous avons été la seule province au Canada à appliquer cette forme de partage fiscal. Si vous faites intervenir un autre ordre de gouvernement—par exemple un gouvernement autochtone—dans le partage fiscal, vous allez vous retrouver avec des assiettes fiscales différentes et avec des taux d'imposition et des transferts également différents. Les choses sont déjà assez compliquée pour ne pas les compliquer davantage.

[Français]

+-

    Le président: Ce n'est pas dans ce sens que je vous présentais la question. Vous venez de me nommer tous les problèmes qu'une partie de la communauté autochtone à Winnipeg pourrait avoir: des problèmes de santé — M. Neumann en a parlé lorsqu'il a mentionné le diabète —; la lutte à la criminalité et à la polytoxicomanie; plus d'argent pour l'éducation et la formation des jeunes.

    Ils sont partie prenante, par exemple, d'un transfert de fonds du gouvernement fédéral pour alimenter tous ces postes et d'un effort particulier des provinces qui doivent, justement, améliorer le sort d'une importante communauté autochtone urbaine. C'est dans ce sens que je vous disais que les premières nations sont partie prenante de tout ce qu'on pourrait proposer comme solutions au déséquilibre fiscal.

[Traduction]

+-

    Prof. Paul Thomas: Permettez-moi d'ajouter brièvement une chose.

    Quand j'ai rédigé ce document pour la Commission de mise en oeuvre des recommandations sur la justice autochtone, le comité a convoqué une réunion de tous les sous-ministres pour entendre mon exposé. Il est rare que les sous-ministres se déplacent pour m'entendre. Ce jour-là, ils sont tous venus. Pourquoi? Parce que le gouvernement provincial du premier ministre Doer était engagé envers la question autochtone, notamment parce qu'il comptait deux ministres d'origine autochtone et que le président de l'assemblée législative était aussi d'origine autochtone. Les sous-ministres ont donc bien compris qu'ils allaient devoir accorder une grande priorité à ce dossier politique. Des ententes concernant la formation, le logement et l'éducation ont été conclues avec le gouvernement fédéral.

    En revanche, on a toujours l'impression de subir la torture de la goutte d'eau quand on négocie avec Ottawa. En général, on se limite au court terme et l'on ne peut s'engager à longue échéance. Le plus souvent, les Autochtones sont représentés à la table des négociations par des organisations nouvelles, sous-financées et mal organisées. Quel avenir peuvent-elles entrevoir à cette table quand on leur annonce qu'elles n'auront de financement que pour un an ou deux? Les responsables autochtones sont déjà sollicités à l'extrême, parce qu'ils ont énormément d'engagements à respecter.

    Ne quittez pas cette province avec l'impression que nous n'avons pas essayé de collaborer. Notre gouvernement s'est montré très motivé à travailler avec la communauté autochtone.

    La diversité au sein de la fonction publique est un autre axe important de l'action de ce gouvernement. Il veut que son bulletin de notes montre que des progrès ont été réalisés sur les plans du recrutement, du maintien en poste et de la promotion des Autochtones au sein de la fonction publique.

º  -(1600)  

[Français]

-

    Le président: Loin de moi cette pensée, monsieur Thomas.

    Il me reste à vous remercier. Il est déjà 16 h 5.

[Traduction]

    Au nom des membres du sous-comité sur le déséquilibre fiscal du Comité permanent des finances, je tiens à vous remercier. Félicitations pour votre excellent exposé.

    Merci beaucoup.