SMFJ Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le lundi 24 octobre 2005
¹ | 1535 |
La greffière du comité (Louise Hayes) |
M. Marc Lemay (Abitibi—Témiscamingue, BQ) |
La greffière |
M. Rob Moore (Fundy Royal, PCC) |
La greffière |
La greffière |
L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.) |
La greffière |
Le président suppléant (M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ)) |
M. William Trudell (président, Conseil canadien des avocats de la défense) |
¹ | 1540 |
Le président |
M. Peter McCormick (professeur et Président, Science politique, Université de Lethbridge, à titre personnel) |
¹ | 1545 |
¹ | 1550 |
Le président |
¹ | 1555 |
M. Peter McCormick |
Le président |
M. Vic Toews (Provencher, PCC) |
º | 1600 |
M. William Trudell |
M. Vic Toews |
M. William Trudell |
M. Vic Toews |
M. William Trudell |
Le président |
M. Peter McCormick |
º | 1605 |
Le président |
º | 1610 |
M. Marc Lemay |
M. William Trudell |
Le président |
M. Marc Lemay |
Le président |
M. Marc Lemay |
Le président |
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD) |
M. William Trudell |
º | 1615 |
M. Joe Comartin |
M. William Trudell |
M. Peter McCormick |
M. Joe Comartin |
M. William Trudell |
º | 1620 |
Le président |
M. Joe Comartin |
M. William Trudell |
M. Vic Toews |
Le président |
M. Peter McCormick |
º | 1625 |
Le président |
L'hon. Paul Harold Macklin |
M. William Trudell |
L'hon. Paul Harold Macklin |
M. Peter McCormick |
º | 1630 |
M. William Trudell |
L'hon. Paul Harold Macklin |
M. Peter McCormick |
L'hon. Paul Harold Macklin |
M. William Trudell |
º | 1635 |
L'hon. Paul Harold Macklin |
M. Peter McCormick |
Le président |
M. Vic Toews |
M. Peter McCormick |
M. Vic Toews |
M. Peter McCormick |
º | 1640 |
M. Vic Toews |
M. Peter McCormick |
M. William Trudell |
M. Peter McCormick |
Le président |
M. David McGuinty (Ottawa-Sud, Lib.) |
M. William Trudell |
º | 1645 |
M. David McGuinty |
M. William Trudell |
M. Peter McCormick |
M. David McGuinty |
º | 1650 |
M. William Trudell |
M. Peter McCormick |
Le président |
M. Marc Lemay |
º | 1655 |
M. William Trudell |
M. Marc Lemay |
M. William Trudell |
» | 1700 |
Le président |
M. Joe Comartin |
M. William Trudell |
» | 1705 |
M. Joe Comartin |
M. William Trudell |
M. Joe Comartin |
M. William Trudell |
M. Peter McCormick |
» | 1710 |
Le président |
M. Peter McCormick |
Le président |
M. William Trudell |
Le président |
L'hon. Paul Harold Macklin |
M. William Trudell |
L'hon. Paul Harold Macklin |
» | 1715 |
M. William Trudell |
M. Peter McCormick |
L'hon. Paul Harold Macklin |
M. William Trudell |
M. Marc Lemay |
» | 1720 |
Le président |
M. Vic Toews |
M. Peter McCormick |
M. Vic Toews |
M. Peter McCormick |
M. Vic Toews |
Le président |
CANADA
Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 24 octobre 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¹ (1535)
[Traduction]
La greffière du comité (Louise Hayes): Mesdames et messieurs les membres du sous-comité, je constate que nous avons le quorum.
[Français]
Nous pouvons donc passer à l'élection de la présidence.
[Traduction]
Conformément à la motion adoptée par le Comité de la justice le 16 juin 2005, le président sera un membre du Bloc québécois. Je suis prête à entendre vos propositions à cet égard.
[Français]
M. Marc Lemay (Abitibi—Témiscamingue, BQ): Je propose que M. Richard Marceau soit président du sous-comité.
La greffière: Y a-t-il d'autres propositions?
[Traduction]
Les mises en candidature sont maintenant terminées.
Plaît-il au sous-comité d'adopter la motion?
Des voix: D'accord.
La greffière: Je déclare la motion adoptée, et M. Marceau dûment élu président.
Avant d'inviter le président à occuper le fauteuil, nous pouvons maintenant procéder, si les membres du sous-comité le veulent bien, à l'élection des vice-présidents.
[Français]
Je suis prête à procéder à l'élection de la vice-présidence.
[Traduction]
M. Rob Moore (Fundy Royal, PCC): Je propose la candidature de M. Toews à titre de vice-président.
[Français]
La greffière: Y a-t-il d'autres propositions pour la première vice-présidence?
[Traduction]
Les mises en candidature sont maintenant terminées.
Plaît-il au sous-comité d'adopter la motion?
Des voix: D'accord.
La greffière: Je déclare la motion adoptée, et M. Toews dûment élu vice-président.
[Français]
La greffière: Je vais maintenant procéder à l'élection de la seconde vice-présidence.
[Traduction]
L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.): Je propose la candidature de David McGuinty à titre de vice-président.
La greffière: Y a-t-il d'autres propositions?
Les mises en candidature sont terminées.
Plaît-il au sous-comité d'adopter la motion?
Des voix: D'accord.
La greffière: Je déclare la motion adoptée, et M. McGuinty dûment élu vice-président.
[Français]
Le président suppléant (M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ)): Merci beaucoup et félicitations aux gagnants de cette campagne très difficile.
[Traduction]
J'invite MM. Trudell et McCormick à prendre la parole.
Le Comité vous souhaite la bienvenue. Comme vous le savez, nous vous accordons généralement 10 minutes pour présenter votre exposé, et ensuite, nous passerons aux questions.
[Français]
Nous allons commencer par entendre M. Trudell, du Conseil canadien des avocats de la défense.
Monsieur Trudell, vous disposez de 10 minutes.
[Traduction]
M. William Trudell (président, Conseil canadien des avocats de la défense): Merci, monsieur le président, et toutes mes félicitations pour vos nouvelles fonctions.
Je suis heureux d'être parmi vous à titre de porte-parole du Conseil canadien des avocats de la défense.
Comme vous le savez, le Conseil canadien des avocats de la défense est un conseil national qui représente les avocats de partout, y compris dans les territoires et dans le Nord. Nous vous remercions de nous avoir donné de nouveau l'occasion de vous entretenir de cette question importante.
J'aimerais tout d'abord signaler qu'on s'entend généralement pour dire que les juges de cour supérieure de partout au pays font de l'excellent travail. Ils sont parfois la cible de critiques des membres du public. Il serait bien mal vu pour eux d'essayer de se défendre, mais, de façon générale, je crois que nous pouvons être très fiers de la qualité de la justice et des juges dans notre pays.
Toutefois, s'il faut apporter des changements au système de sélection des juges, nous rejetons catégoriquement l'idée d'adopter un système ouvert au public analogue à celui des États-Unis. Nous croyons qu'il y a peut-être matière à amélioration; nous allons vous proposer de compléter le système actuel au moyen d'entrevues confidentielles. Avant que vous terminiez vos travaux, nous vous fournirons, par écrit, la position du Conseil canadien des avocats de la défense, afin de vous aider.
Avec tout le respect que je vous dois, le système public ou politique d'élection des juges des États-Unis ne convient pas aux aspirations de notre pays. Il y a une meilleure façon d'assurer la participation publique demandée par certaines personnes. C'est dans les suggestions que nous allons vous soumettre. Nous croyons également qu'il est important que les politiciens -- le ministre de la Justice -- jouent un rôle important au chapitre de la mise en candidature et de la sélection de juges aux instances supérieures. Nous suggérons cette position, car les politiciens sont à l'écoute et ont réellement une meilleure idée des besoins de la collectivité. On ne saurait confier la nomination des juges aux avocats de la défense, aux juges, aux avocats en droit de la famille ou aux chercheurs, mais tous ces intervenants peuvent y participer. Nous croyons qu'il est important pour les parlementaires de participer à la nomination des juges, par l'entremise du ministre.
Dans le cadre de nos recherches, nous avons récemment conclu qu'il y a, partout au pays, des comités de sélection qui recommandent des juges. Ce système, qui existe depuis un certain nombre d'années, est beaucoup plus efficace que celui qui était en place autrefois. Ce que nous vous proposons, c'est de compléter ce processus au moyen d'un autre comité -- je suggère un comité de sept personnes -- qui ferait des entrevues auprès de candidats éventuels.
Vous savez peut-être maintenant que, lorsque le Comité procède à la sélection initiale, il utilise des catégories : « sans recommandation », « fortement recommandé », et « recommandé ». Nous croyons que la catégorie « fortement recommandé » devrait être abolie. Nous suggérons que les candidats recommandés soient soumis à une entrevue confidentielle devant un comité, et que les résultats de ces entrevues soient transmis au ministre. Nous proposons que le ministre soit tenu de choisir parmi les candidats recommandés qui ont fait l'objet d'une entrevue.
Ce que nous suggérons, essentiellement, c'est qu'un comité d'entrevue soit créé à titre de processus complémentaire au comité de sélection actuel. La création d'un comité complémentaire créerait une autre étape. J'avancerais, avec tout le respect que je vous dois, qu'il serait très difficile pour un comité d'assumer toutes les activités de sélection et d'entrevue, à moins qu'il ne soit de taille importante. Dans les grandes provinces, je m'attendrais à ce que le bassin de candidats contienne généralement une centaine de personnes.
L'essentiel, c'est la protection de la vie privée. À mon avis, cela permet de défendre les intérêts relatifs à la vie privée des personnes dont la candidature n'a pas été retenue.
¹ (1540)
J'avance humblement que certains des processus provinciaux montrent qu'il est possible de protéger la vie privée. La formule que nous vous proposons offre une certaine responsabilisation, car les comités de sélection et d'entrevue qui exécuteront le processus seront constitués de membres de l'appareil judiciaire, de membres du public et de membres du milieu universitaire.
Je vous demande seulement de réfléchir à ceci : le Nord est la seule région au pays dont les juges ne sont pas tenus d'être membres du barreau de la région. Notre représentant du Nunavut demande au comité d'envisager la possibilité que les membres qui sont nommés juges du tribunal unifié et qui siègent dans le Nord soient tenus d'être membres du barreau du Nord. À notre humble avis, la collectivité est maintenant assez large pour que ses juges soient membres du barreau du Nord, qu'ils résident ou non sur le territoire.
J'ai terminé ma déclaration préliminaire. Je serai heureux de vous fournir des précisions sur la façon dont le système devrait fonctionner, selon nous. Nous suggérons essentiellement que le système demeure le même, mais qu'on établisse un comité d'entrevue confidentielle, et que le ministre soit tenu de choisir parmi les candidats retenus par ce comité.
Merci.
[Français]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Trudell.
Nous passons maintenant au professeur McCormick, qui dispose de 10 minutes.
[Traduction]
M. Peter McCormick (professeur et Président, Science politique, Université de Lethbridge, à titre personnel): Merci.
Je suis ici cet après-midi pour vous entretenir de la façon dont les juges sont nommés aux cours supérieures provinciales et aux tribunaux fédéraux de première instance et d'appel. Je ne me prononcerai pas sur les nominations à la Cour suprême, car c'est une tout autre affaire.
À l'ère de la Charte, nous avons tendance à comparer notre appareil judiciaire à celui des États-Unis, lequel s'assortit de droits garantis et de juges nommés qui appliquent l'examen judiciaire de façon finaliste et constructive. Mais quand nous nommons des juges, nous suivons encore le modèle anglais. Les juges sont nommés par des membres du Cabinet, c'est-à-dire qu'un choix discrétionnaire est effectué par des élus politiques. De façon générale, quand un élu jouit d'un tel pouvoir discrétionnaire, il l'utilise de deux façons : soit qu'il nomme des amis et des alliés, soit qu'il nomme des gens qui partagent ses valeurs et ses priorités. Il s'agit souvent des mêmes personnes, certes, mais pas toujours, et, puisque ces deux possibilités n'ont pas la même portée, je vais les analyser séparément.
La nomination d'amis est un phénomène bien connu qui a une longue histoire. C'est ce qu'on appelle le favoritisme. Parfois, le favoritisme peut tenir uniquement à des considérations personnelles, c'est-à-dire privilégier carrément ses amis. Mais, la plupart du temps, il s'agit plutôt de favoritisme de parti, c'est-à-dire nommer des personnes à des postes payés par le Trésor public en vue de les récompenser d'avoir rendu service à un parti politique. Pendant la majeure partie de notre histoire, un tel comportement était considéré comme tout à fait approprié. Il faut que les partis politiques fassent fonctionner la démocratie, et les partis doivent être en mesure d'encourager le dynamisme et la fidélité en laissant présager la possibilité d'une récompense. Le favoritisme a pendant longtemps été considéré comme le lubrifiant grâce auquel les rouages de la machine politique tournaient.
Mais au cours du dernier siècle, on a assisté au recul progressif de cette tolérance à l'égard du favoritisme. En ce qui concerne l'appareil judiciaire, le gros de la réforme a eu lieu pendant les années 70, quand l'appareil judiciaire a été transformé de fond en comble, y compris la façon dont les juges étaient nommés.
À l'échelon provincial, cela supposait la création de conseils de la magistrature. Leurs homologues fédéraux étaient les comités consultatifs de la justice. Ces organes ont deux fonctions importantes. La première consiste à élargir le bassin de candidats grâce à la création de réseaux de juges, d'enseignants du droit et de divers organismes professionnels. La deuxième consiste à permettre à des professionnels du droit d'évaluer objectivement les titres de compétence de ces personnes, de façon à éliminer les personnes qui ne sont pas qualifiées et à attirer l'attention de l'autorité de nomination sur un groupe réduit de personnes qualifiées, voire très qualifiées.
C'est toute une réalisation. Plus important encore, cela permettait de contrer la nomination de personnes dont la candidature tenait davantage à des relations politiques qu'à des réalisations professionnelles, et qui, lorsque mis à l'épreuve, ne se montraient pas toujours à la hauteur. Pour illustrer ma pensée, je vous propose un slogan qui est d'actualité : fini, les Michael Brown de ce monde. Si la préoccupation à l'égard du favoritisme concerne le fait que, parfois, des avocats libéraux médiocres étaient nommés juges à la place de bons avocats qui n'étaient pas des libéraux, alors les conseils de la magistrature et les comités consultatifs de la justice sont la solution. Mais ces mécanismes ne permettent pas de veiller à ce que le meilleur candidat décroche le poste, quelles que soient les considérations politiques.
On peut tout de même s'attendre à ce qu'un bon avocat libéral passe avant un bon avocat n'ayant pas les mêmes relations, peut-être même avant un avocat légèrement plus compétent, mais comment peut-on vraiment savoir? Le mérite et les relations politiques ont tendance à l'emporter sur le mérite seul. Cela tient au fait que le bassin de candidats générés par le processus actuel est encore beaucoup plus large que le nombre de postes à combler.
En règle générale, lorsque la personne qui fait un choix discrétionnaire exerce une charge en raison de son affiliation à un parti politique, on s'attend à ce que les intérêts politiques du parti influent parfois sur la nomination d'une personne -- et l'impact est proportionnel à l'ampleur du pouvoir discrétionnaire. Certes, on a élargi le bassin de candidats afin qu'il comprenne les bons avocats qui ne sont pas des libéraux -- et on l'a rétréci pour exclure les Libéraux qui ne sont pas de bons avocats --, mais il n'en demeure pas moins qu'il y a de nombreux libéraux sur la liste. Comme le confirment toutes les études empiriques sur le sujet, les libéraux continuent effectivement de décrocher la majorité des postes, tout comme les avocats conservateurs faisaient meilleure figure lorsque les conservateurs étaient au pouvoir, il y a 10 ou 15 ans. Si personne n'est particulièrement étonné de cette réalité, nous ne devons pas pour autant en faire abstraction.
La deuxième chose que font les élus, c'est nommer des gens qui partagent leurs valeurs et leurs priorités. À n'en point douter, cela les mène souvent aux mêmes personnes. Les partis politiques s'articulent autour d'un ensemble de valeurs et de priorités communes, de sorte qu'on est plus susceptible de trouver une personne aux vues similaires dans son propre parti que chez l'opposition. Mais les partis politiques sont souvent le fruit de vagues alliances entre des groupes quelque peu disparates, et il est parfois nécessaire de faire plaisir à vos amis et à vos adversaires au sein de votre parti. Il y a donc chevauchement entre les deux notions, mais elles ne sont pas identiques.
¹ (1545)
On pourrait faire valoir que la deuxième considération est plus honorable, plus morale, car on ne devrait certainement pas nommer une personne à un poste important lorsqu'on croit sincèrement que sa façon de voir les choses fondamentales est fautive. Bien sûr, cela dépend de la longueur de votre liste de choses importantes, et du genre de choses qui y figurent.
Mais, d'une façon bien réelle, c'est encore plus problématique, car c'est tourné vers l'avenir. Lorsqu'on nomme une personne par favoritisme, on la récompense pour ce qu'elle a fait -- dans le passé. Lorsqu'on nomme une personne en raison de ses valeurs et priorités, on la nomme parce qu'on s'attend à ce qu'elle agisse d'une certaine façon à l'avenir, et c'est une tout autre affaire.
Au cours des débats qui ont mené à ces audiences, on a laissé entendre qu'un gouvernement libéral ne nommerait jamais sciemment un séparatiste à la magistrature fédérale. Je soupçonne que cela pourrait bien être vrai; en fait, je dois admettre que je serais étonné du contraire. Mais ce que j'essaie de dire, c'est que le processus actuel rend un tel embargo à la fois possible et invisible car il ne vise qu'à prendre un bassin important de candidats théoriquement admissibles et à établir un bassin légèrement plus modeste de candidats qualifiés et admissibles.
¹ (1550)
L'autorité de nomination jouit d'une souplesse suffisante pour procéder à une vérification approfondie des valeurs et des priorités et dresser une liste encore plus réduite de candidats fiables. Une telle vérification a l'avantage de ne pas se laisser quantifier aussi facilement que l'affiliation à un parti politique. À moins qu'une personne ne recueille exactement les mêmes renseignements à ses propres fins, il serait difficile de même déterminer quelle sorte d'évaluation secondaire est appliquée, et quels éléments la constituent. À moins que les journalistes affectés à ce genre de chose en acceptent la pertinence et comprennent l'importance de cette évaluation secondaire, il ne servira pas à grand-chose aux collecteurs d'information d'en parler.
Tout ce que je dis découle d'une simple observation de ce qui se passe chez nos voisins du Sud. Au cours des 40 dernières années, ils sont allés au-delà des nominations fondées sur le favoritisme, et sont passés à des stratégies de nomination axées davantage sur les politiques, avec beaucoup de succès. Les sceptiques laissent entendre qu'une telle stratégie a des limites parce que le rendement des magistrats peut être imprévisible, mais la documentation américaine à cet égard est solide. Tous les experts s'entendent pour dire que la notion du président pris au dépourvu par des personnes nommées qui se lancent dans une direction tout à fait imprévue est, en grande partie, un mythe.
On défend généralement la stratégie de nomination axée sur les politiques en faisant valoir qu'elle permet de faire l'impossible en favorisant la responsabilisation de l'appareil judiciaire au sein d'une société démocratique. Les élections forcent les gouvernements à prêter attention à l'opinion publique, et les nominations axées sur les politiques permettent de veiller à ce que l'appareil judiciaire ne s'éloigne pas trop du gouvernement. Les Américains semblent généralement à l'aise de parler de la politisation de leur appareil judiciaire, surtout aux échelons supérieurs. Je ne crois pas que les Canadiens voient une telle perspective d'un aussi bon oeil.
Y a-t-il une solution à cette double tentation? Bien sûr, qu'il y en a une. Histoire de répéter mon mantra, quand la personne qui fait un choix discrétionnaire exerce une charge en raison de ses liens avec un parti politique, les intérêts du parti influeront parfois sur le choix effectué; et l'influence partisane sera proportionnelle à l'ampleur du pouvoir discrétionnaire. Mais l'énoncé du problème apporte également une solution : pour réduire l'incidence du favoritisme politique sur la sélection des juges, il faut que le responsable dont le poste découle d'une affiliation politique jouisse d'un pouvoir discrétionnaire beaucoup plus modeste, et le comité consultatif de la justice devrait se voir attribuer un rôle accru dans le cadre du processus consultatif. À l'heure actuelle, le comité envisage une longue liste d'avocats candidats, recueille des renseignements pertinents, et verse chaque nom dans l'une des trois listes suivantes : non qualifiés, qualifiés et très qualifiés.
Nous pourrions éloigner davantage le processus de la portée de l'influence politique et l'amener exclusivement vers l'évaluation professionnelle si on exigeait que le comité consultatif aille un peu plus loin en ramenant sa propre liste de candidats hautement qualifiés à une liste restreinte ne comptant, disons, que trois candidats pour un poste donné à la magistrature. Il n'y a, bien sûr, rien de magique au chiffre trois; on pourrait le faire passer à cinq, ou, si vous voulez aller jusqu'au bout, on pourrait le faire passer à un. Au bout du compte, plus la liste restreinte est restreinte, moins les considérations liées aux partis politiques ont de l'impact, tant au sens étroit de l'affiliation à un parti qu'au sens plus large des valeurs et des priorités. C'est là ma première recommandation.
Nous devrions également nous attaquer au problème plus important du passage de juges candidats à des tribunaux supérieurs. C'est ma deuxième recommandation de changement. Il y a, bien sûr, des préoccupations quant à l'idée de charger des comités officiels d'évaluer et de classer le rendement, mais une telle démarche serait plus facile à envisager si on considérait le comité comme un organe chargé non pas de rejeter certains juges candidats jugés non méritants, mais bien d'établir une liste restreinte de l'excellence.
Je crois qu'il importe de prendre cette mesure supplémentaire pour deux raisons : premièrement, les tribunaux d'appel, en plus de donner suite aux erreurs alléguées dans les décisions des tribunaux de première instance, assurent également un leadership et orientent les tribunaux de première instance à l'égard d'un large éventail d'enjeux juridiques, et ils contribuent considérablement à l'avancement de la doctrine. À moins qu'on interjette appel de leurs décisions, leur énoncé de droit demeure. Vu le nombre limité d'affaires que peut entendre la Cour suprême ces temps-ci, cela signifie que les décisions des tribunaux d'appel ne sont pas très souvent contestées.
Deuxièmement, et cet aspect est encore plus important, la présélection d'avocats candidats en fonction de leurs valeurs et de leurs priorités se fait un peu par tâtonnements, à moins que le responsable de la nomination ne connaisse personnellement le candidat. Je pense à un exemple survenu chez nos voisins du Sud quand je mentionne cela. Si on n'a pas accès aux antécédents de l'avocat, alors seul le responsable de la nomination connaissant personnellement l'avocat peut connaître ses compétences. Mais lorsqu'on fait passer un juge à une instance supérieure, une évaluation beaucoup plus rigoureuse, assortie d'une valeur prédictive considérable, est non seulement possible, mais assez facile à faire.
Le président: Il ne vous reste qu'environ une minute, alors je vous prierais de passer à votre conclusion.
¹ (1555)
M. Peter McCormick: D'accord.
Je passe donc au troisième changement que je suggérerais. À l'heure actuelle, la description des membres des comités consultatifs de la justice est curieusement opaque -- cette description m'inquiéterait si je ne soupçonnais pas qu'il s'agit seulement d'une formule abrégée qui prête à confusion. Sur sept membres du comité, quatre sont décrits tout simplement à titre de membres nommés par le ministre fédéral ou provincial de la Justice -- soit trois membres et un membre, respectivement. En pratique, bien sûr, ces gens sont aptes à exercer ces fonctions, grâce à une combinaison de titres de compétences, d'affiliations institutionnelles et d'expériences personnelles. Par souci de transparence -- et c'est la principale préoccupation qui devrait orienter tout changement -- et en vue d'accroître la crédibilité du comité, ces membres devraient être identifiés de façon plus spécifique.
Pendant les années 70, nous avons pris des mesures importantes en vue de prévoir la façon dont les juges étaient nommés dans notre pays, afin de remplacer la commodité des coulisses par un processus plus transparent et plus professionnel. Le temps est venu de pousser ces réformes un peu plus loin, tout d'abord, en exigeant que le comité consultatif de la justice aille au-delà de la sélection préliminaire et dresse des listes restreintes, et, ensuite, en étendant son examen aux juges candidats. Je crois que cela contribuerait énormément à résoudre le problème que votre Comité a été chargé d'examiner, et à faire en sorte que la sélection des juges soit purement une question de jugement professionnel, transparente et imperméable aux considérations partisanes directes.
Merci de m'avoir donné l'occasion de me prononcer sur ce sujet très important.
[Français]
Le président: Merci beaucoup, professeur.
Nous passons à la période de questions et réponses, en commençant par M. Toews.
[Traduction]
M. Vic Toews (Provencher, PCC): Merci.
Merci beaucoup. Je suis certain que vous aurez l'occasion d'intégrer le reste de votre exposé à l'audience d'aujourd'hui. Nous avons déjà entendu ces propos, mais c'était un exposé intéressant -- de la part des deux témoins. Nous vous remercions d'être venus ici.
J'aimerais m'attacher à mon expérience dans ma province. Au Manitoba, nous avons un comité constitué, essentiellement, de sept personnes. Je parle de nominations provinciales. Il y a un juge en chef et un autre juge, nommé ou recommandé par le juge en chef; ensuite, il y a des avocats, soit le dirigeant du barreau et le dirigeant de la Société du Barreau; enfin, trois profanes, nommés par le procureur général.
Le comité recommande de trois à cinq candidats pour un poste donné -- mais je peux me tromper. En général, on propose trois candidats au procureur général. De fait, le comité limite l'exercice du pouvoir discrétionnaire le plus possible, et dit, voici les trois candidats.
Je suis d'accord avec la déclaration de M. Trudell selon laquelle on respecte la vie privée dans ce genre de situation. Je n'ai eu connaissance d'aucune situation où la vie privée n'a pas été respectée.
Ce qui me préoccupe un peu, par contre--et j'ignore si l'un d'entre vous a déjà réfléchi à cela--c'est que, à vouloir éviter qu'il s'agisse d'une décision purement politique, nous concentrons le pouvoir de faire cela dans les mains de l'appareil judiciaire. Le juge en chef nomme un juge, et a tout le loisir de nommer qui il veut, et ensuite il y a les deux avocats de la société du Barreau et de l'association du Barreau, lesquelles, bien sûr, ne veulent pas déplaire aux juges, pour des raisons professionnelles, on pourrait dire--c'est du moins l'impression que cela donne quelquefois.
En fait, votre juge en chef contrôlera quatre des sept votes. On peut aisément prédire la concentration du pouvoir en ce qui concerne les noms; on pourrait avoir deux candidats clairement inacceptables, et un que le juge en chef veut nommer. Je me fais l'avocat du diable : je ne veux pas laisser entendre que cela se produit, mais je crois que cela pourrait se produire. L'influence passe donc du corps politique à l'appareil judiciaire.
Alors, je m'interroge sur le bien-fondé de remplacer les personnes élues démocratiquement chargées de prendre ces décisions, qui ont des comptes à rendre, par des personnes qui n'ont pas été élues. J'aimerais entendre vos commentaires sur cette question.
Ensuite, j'aimerais savoir si cela ne va pas à l'encontre de la répartition des compétences énoncée dans notre Constitution. Notre Constitution prévoit spécifiquement que les juges seront nommés par l'organe exécutif, et les juges jouissent de certains pouvoirs lorsqu'ils sont élus. La décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire relative à la rémunération des juges montre que nous devons veiller à ce que ces deux éléments soient totalement séparés.
Je me demande seulement ce que vous pensez de cela.
º (1600)
M. William Trudell: Monsieur Toews, j'ai, pendant cinq ans, fait partie du comité provincial de nomination dans la province de l'Ontario, et je puis vous affirmer que--
M. Vic Toews: Est-ce qu'il s'apparente à celui du Manitoba?
M. William Trudell: Oui. Ce comité compte 15 membres.
J'avancerais, avec tout le respect, à la lumière de conversations avec d'autres membres du CCAD, que ce comité est apolitique et équilibré. Les membres du comité sont si déterminés à veiller à ce que les meilleurs candidats passent à la prochaine étape que, j'en suis convaincu, tout juge qui siège au comité, ou toute personne mise en nomination par un juge du comité, n'a ni plus ni moins d'influence que tout autre membre du comité.
Partout au pays, où on a de tels comités, les gens prennent la nomination de juges très au sérieux. Les comités provinciaux -- comme ceux de l'Ontario et du Manitoba -- établissent des normes qui font l'envie d'autres territoires, alors les manoeuvres politiques dont vous parlez ne sauraient se réaliser sur le terrain.
M. Vic Toews: Parlez-vous de manoeuvres politiques de l'appareil judiciaire?
M. William Trudell: Oui, de l'appareil judiciaire. Il n'y en a même pas, selon mon expérience.
Cela nous procure un bon système de freins et contrepoids. Si un juge dit qu'il ne voudrait peut-être pas voir ce genre de personne à la magistrature, ou quelque chose du genre, il y a quatre profanes pour remettre en question le point de vue de ce juge, alors je ne crois pas que vous ayez à vous en faire, franchement.
La confidentialité est essentielle, mais, si des membres des comités provinciaux de partout au pays témoignaient devant vous, je crois qu'ils vous diraient tous qu'ils protègent jalousement la procédure, qu'ils respectent la vie privée, et qu'ils tiennent à ce que les meilleurs candidats aillent de l'avant. La politique n'entre pas en jeu. Dans le système provincial -- et, je suppose, dans le système fédéral, si vous adoptez ce que nous proposons -- du moment où une personne est recommandée par un comité, je ne suis vraiment pas intéressé à savoir si cette personne est un bon libéral, un bon conservateur, un bon membre du NPD, ou un bon membre du Bloc, car, à ce moment-là, elle a fait l'objet d'un examen par le comité, et la collectivité a parlé, pas seulement le milieu judiciaire, mais le grand public. Si vous êtes ministre de la Justice et qu'il y a un conservateur sur la liste, ou un membre du Parti réformiste -- comme on l'appelait à l'époque -- sur la liste, et que vous choisissez cette personne, il n'y a pas de problème, car cette personne a passé par le système de présélection. J'avancerais humblement que cet aspect n'a pas vraiment besoin d'être envisagé, car ces comités de partout au pays...
Selon moi, vous allez constater que les gens qui parlent de ces comités de présélection pour les cours supérieures protègent jalousement le processus et tentent de trouver les meilleurs candidats. On laisse entendre que certains sont nommés parce qu'ils connaissent des gens, et que nous pouvons peut-être faire mieux, mais les comités provinciaux -- surtout ceux qui font des entrevues par la suite -- sont vraiment équilibrés.
[Français]
Le président: On va vous permettre de répondre, monsieur McCormick.
[Traduction]
M. Peter McCormick: Je conviens qu'il faut établir le comité avec beaucoup de soin. Mon intention était de faire fond sur les comités consultatifs de la justice existants et de les mener plus loin, mais j'ai aussi laissé entendre qu'il faudrait percer l'opacité d'une phrase comme « membres nommés par le ministre » en précisant ce qu'on veut, quels genres de titres de compétence et quels genres d'affiliations.
J'espère que, dans notre pays, nous pouvons éviter l'acceptation désinvolte de la politisation totale de la Cour fédérale, au moins, comme le font les Américains. Le fait de trouver un mécanisme de nomination des juges axé davantage sur les compétences professionnelles nous permettra peut-être d'éviter d'aller dans cette voie, puisque les deux côtés le font, tout le monde regarde cela de près, tout le monde a des chiffres, et tout le monde a des listes. C'est juste que, lorsqu'un nom en particulier figure sur votre liste, vous vous retrouvez dans une bataille politique au moment même où le nom de famille du candidat est prononcé.
J'espère vraiment que nous n'allons pas nous aventurer dans cette voie. Je crois que la majorité des Canadiens aimeraient mieux ne pas percevoir leurs tribunaux comme politisés. Un mécanisme parfaitement transparent et axé sur les compétences professionnelles, ou, du moins, le plus proche possible, nous aiderait à éviter cet écueil, mais il importe de veiller à ce que le mécanisme de présélection autonome soit bien réel, à ce qu'il n'y ait pas quelque chose qui se passe en coulisse.
Parlons un moment de l'influence des juges. Lorsqu'on crée de tels comités, l'influence des membres de l'appareil judiciaire sur le reste du groupe -- en particulier les profanes -- est source de préoccupation. Je crois que, selon la formulation utilisée dans la loi fédérale, ils...
Dans un certain nombre de provinces, pendant un bout de temps, il s'agissait vraiment de profanes, et, à la lumière des entretiens que j'ai menés auprès de ces personnes, elles étaient totalement dépassées par ce qui se passe dans le cadre du processus. Il faudrait sélectionner des gens capables de tenir tête aux juges et de contribuer, des gens qui ne se contentent pas tout simplement d'adhérer aux propositions de quelqu'un d'autre. Ce serait extrêmement important.
º (1605)
[Français]
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Lemay, vous disposez de sept minutes.
º (1610)
M. Marc Lemay: Je vois deux problèmes à la nomination des juges de juridiction fédérale, et je vais vous en faire part.
La nomination des juges se fait à deux endroits très importants. Il y a les juges qui siègent à la Cour supérieure et ceux qui siègent à la Cour fédérale. Les juges qui siègent à la Cour fédérale peuvent siéger partout au Canada. J'y vois un problème plus complexe que celui des juges de la Cour d'appel du Québec, par exemple, et de la Cour supérieure du Québec.
J'ai siégé pendant quatre ans comme bâtonnier et premier conseiller pour les nominations des juges de juridiction provinciale au Québec. Toutes les fois qu'un poste se libérait, peu importait le district judiciaire, on créait un comité. Il y avait ce que vous appelez le screening committee, le comité de criblage. Ce n'est même pas un comité, c'est quelqu'un qui s'occupe de s'assurer que les candidats et candidates respectent les règles du poste de juge annoncé, c'est-à-dire qu'il y a les trois photos, son curriculum vitæ, etc. De plus, il y a le comité comme tel, qui interviewe chacun des candidats et des candidates.
Je me demande pourquoi on ne peut agir ainsi au fédéral, pourquoi c'est toujours plus compliqué au fédéral. Je ne parle pas de la Cour suprême. Ça, c'est un autre débat. Je parle de la Cour supérieure. Pourquoi ne le pourrait-on pas? Actuellement, il y a 111 candidats qui ont été désignés comme étant prêtes, aptes, etc. Or il y a à peine plus de 20 postes. Alors, c'est sûr que le ministre peut piger et s'assurer qu'il est du bon côté politique.
On le fait au Québec; on ne se cachera rien. Tout le monde le fait dans chacune des provinces, et on l'a fait, peu importe le parti politique.
Ce qui m'intéresse, c'est la manière de s'assurer que ne soient recommandés que les bons candidats et candidates, ceux et celles qui connaissent le Code civil, le Code criminel, le Martin's Annual Criminal Code, etc. parce qu'ils siègent à la cour criminelle.
Au comité de recommandation, je vois que vous êtes quinze ou sept ou cinq. Nous sommes trois: un représentant des magistrats, un représentant du public et un représentant du Barreau. That's it, that's all! Et ce comité siège pour chaque nomination.
Je me demande si vous avez étudié cette possibilité. Si on les défait morceau par morceau, est-il possible qu'on puisse faire cela à la Cour supérieure et à la Cour fédérale? Je comprends que c'est peut-être un peu plus compliqué à la Cour d'appel fédérale, mais on pourra s'attaquer à cela après. Passons d'abord par la première étape.
[Traduction]
M. William Trudell: Je crois que nous devons passer à un processus d'entrevue en ce qui concerne les nominations aux instances supérieures et les nominations à la Cour fédérale partout au pays. On pourrait établir pour la Cour fédérale un comité similaire au comité que nous recommandons pour les instances supérieures.
Je crois que la seule façon de trouver le meilleur candidat, c'est de vérifier les antécédents de ce candidat dans le domaine, de vérifier ses références, et d'amorcer ensuite un processus d'entrevue. Si vous suggérez que le processus que vous aviez au Québec soit mis en oeuvre, je serais d'accord, sauf que j'ai bien l'impression que le nombre de membres que vous mentionnez n'est pas suffisant. Ce serait un fardeau énorme pour trois personnes, et seulement trois personnes. Je crois qu'on devrait établir un tel processus. Ce devrait être la même chose partout au pays, et je suggère que le même processus soit appliqué aux fins de nomination à la Cour fédérale et aux tribunaux supérieurs.
La pression exercée sur les juges de la Cour fédérale, à l'ère de l'après-11 septembre et de l'ère des certificats d'immigration, est énorme. Par conséquent, j'avancerais humblement que le processus ne devrait pas -- et je ne crois pas que nous ayons suggéré cela ou que vous ayez suggéré cela -- faire l'objet d'un examen moins approfondi ou d'une participation moindre, de la part de la collectivité et du barreau et des juges, que toute autre nomination. J'avancerais que le genre de comité que vous aviez dans la province de Québec devrait être étendu au reste du pays, mais les principes sont les mêmes.
Ce qui arrive, c'est que, parfois, dans le système que nous avons actuellement, on a des candidats fortement recommandés, et, après l'entrevue, ces personnes tombent parfois dans la catégorie des personnes recommandées. Et, bien souvent, les personnes recommandées deviennent fortement recommandées. C'est parce que, dans le cadre d'une entrevue confidentielle, il est possible qu'une personne dise : « eh bien, vous savez, je ne croyais pas devoir faire du droit de la famille », ou « je ne croyais pas cela », et on a soudainement devant soi une personne qui répond à des questions, et on a la possibilité de se faire une idée sur cette personne. Sans processus d'entrevue--confidentiel--cela ne va tout simplement pas fonctionner.
Puis-je seulement ajouter quelque chose? Nous avons trouvé -- et je l'ai mentionné à votre greffière, très serviable, et vous l'avez peut-être déjà en main -- le Report of the Commissioners' Review of the High Court 2003 Competition from England, par une commission de Sa Majesté sur les nominations à la magistrature, paru en juillet 2004. Je vais vous le laisser, parce qu'il est très détaillé. Vos recherchistes voudront peut-être y avoir accès. Ce rapport aborde les enjeux dont nous parlons actuellement, et il pourrait se révéler très utile. Tous les enjeux dont vous allez entendre parler ont été abordés en Angleterre, ou sont actuellement abordés en Angleterre.
Je ne crois pas qu'il y ait de différence entre la Cour fédérale et la cour supérieure d'une province, sauf le fait que les juges de la Cour fédérale peuvent, comme vous l'avez dit, siéger partout au pays. Il est d'autant plus justifié, donc, d'établir un comité chargé d'interroger les candidats en vue de se pencher non seulement sur les grands enjeux soumis à la Cour fédérale, comme la lutte contre le terrorisme et les certifications d'immigration, mais aussi sur les aspects communautaires liés à certaines affaires dont la cour serait saisie.
[Français]
Le président: Avez-vous une dernière question à poser rapidement?
M. Marc Lemay: Monsieur le président, est-ce qu'on pourra revenir plus tard?
Le président: Oui, vous aurez un autre tour.
M. Marc Lemay: J'aime mieux attendre que tout le monde soit passé.
Le président: Vous avez pris exactement sept minutes. Vous avez le sens du temps. Vous êtes bien discipliné; ça va avec votre parti.
Monsieur Comartin.
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Merci, monsieur le président.
[Traduction]
J'aimerais revenir à ce que vous avez dit, monsieur Trudel. Dans le cadre du processus en Ontario, le comité rencontre tous les candidats. N'est-ce pas?
M. William Trudell: Ce qui arrive, c'est qu'on annonce un lieu ou un poste particulier. Ce n'est pas comme dans le système fédéral. Les gens sont invités à poser leur candidature, et ensuite, toutes les candidatures seront examinées par les 15 membres du comité. Si nous étions tous deux membres du comité et que M. Lemay était membre du comité, et que chacun d'entre nous décidait que la candidature de M. Macklin devrait être envisagée, et qu'on devrait passer à l'étape suivante, alors on passerait à l'étape suivante, et on vérifierait les références de M. Macklin, et on mènerait discrètement une enquête au sein de la collectivité. Ensuite, les membres du comité se réuniraient, se pencheraient sur ces données brutes, et décideraient qui est convié à une entrevue. On peut tenir environ 15 entrevues pour un poste donné. Après le processus d'entrevue, les candidatures sont soumises au ministre, assorties de recommandations et de cotes.
º (1615)
M. Joe Comartin: Ce à quoi je veux en venir, c'est qu'il y a processus de présélection, si je comprends bien la façon dont ça fonctionne, un processus de présélection appliqué par le ministère de la Justice, au cours duquel il y a effectivement une sélection initiale de candidats. Je ne suis pas certain que ce soit le cas, mais si ça l'est, pourriez-vous commenter?
Monsieur McCormick, j'aimerais également entendre vos commentaires sur un processus dans le cadre duquel la sélection initiale serait effectuée par le ministère de la Justice ou par la Commission de la fonction publique, plutôt que par un comité consultatif ou un comité.
M. William Trudell: Pour ma part, je ne crois pas que le ministère de la Justice devrait approuver la liste au départ. Le ministère de la Justice peut suggérer que certaines personnes siègent au comité de sélection et au comité d'entrevue, et le ministre doit ensuite choisir parmi les candidats que lui propose le comité, mais, à mon humble avis, il ne doit pas être au début du processus.
M. Peter McCormick: Il y a 20 ans, je me suis penché sur les conseils de la magistrature de toutes les provinces au pays, de sorte que mon information est, d'une part, désuète, mais, d'autre part, encyclopédique. En général, la pratique ne prévoyait aucune présélection de ce genre; toute candidature à un poste de juge de la cour provinciale était soumise au comité, qui l'examinait. Dans ma province, les candidatures étaient censées être acheminées au président du comité, mais nombre d'entre elles étaient envoyées par erreur au ministre de la Justice, ce qui montre que la majorité des avocats ne comprenaient pas vraiment le fonctionnement de leur système provincial. Il est certain que ce genre de présélection n'avait pas lieu il y a 20 ans. J'ignore si elle a lieu aujourd'hui. Comme je l'ai dit, mes connaissances datent un peu.
Les pratiques provinciales à cet égard sont très variées. Si vos recherchistes se penchent sur la façon de faire dans toutes les provinces, je crois que vous serez stupéfaits par la diversité des pratiques au pays. On aurait tendance à croire que, si chaque province établissait un conseil de la magistrature, on se retrouverait, après une période d'environ 10 ans, avec un modèle unique où il n'y aurait que quelques variations mineures, et on aurait tout à fait tort. Il semble plutôt y avoir au moins trois modèles différents, et personne ne s'intéresse vraiment à ce que font les autres lorsqu'ils établissent le sien. Il y a d'énormes variations d'une province à l'autre, et vous devriez examiner cela plus en détail pour déterminer lesquelles fonctionnent et lesquelles ne fonctionnent pas.
Essentiellement, il y a trois modèles différents de conseil de la magistrature participant au processus de nomination. Le premier consiste à créer un bassin de candidats. Les gens posent leur candidature quand ils le veulent, un bassin de candidats admissibles est ainsi constitué, et lorsqu'on a besoin de nommer quelqu'un, on se tourne aussitôt vers le bassin de candidats déjà établi.
La deuxième méthode consiste à établir un conseil investi d'un droit de veto. Ainsi, lorsqu'un ministre de la Justice veut nommer telle ou telle personne juge, le conseil est convoqué. Il examine la nomination, et dit ensuite au ministre que cette personne n'est pas qualifiée pour être juge, ou acquiesce.
La troisième méthode consiste à établir un conseil chargé de dresser une liste restreinte; il prendrait une liste étendue de candidats ou de mises en candidature et établirait une liste restreinte à partir de laquelle on effectuerait un choix final.
Je suis certain que vous trouverez ces trois modèles au Canada à l'heure actuelle. Vous pourriez vous pencher sur le fonctionnement de ces trois modèles.
M. Joe Comartin: Dans le même ordre d'idées, en ce qui concerne l'influence politique, je suis également préoccupé par la façon dont le comité est constitué. Je crois que, de façon universelle, dans toutes les provinces ainsi qu'à l'échelon fédéral, les membres des comités sont choisis par le parti au pouvoir, de sorte qu'il peut y avoir une influence politique--ou une ingérence, si vous préférez--qui tiendrait tout simplement aux personnes que le gouvernement affecte au comité. Avez-vous des suggestions quant à la façon d'éviter un tel phénomène?
M. William Trudell: Je ne crois pas que les membres du comité nommés par le gouvernement vont nécessairement accéder aux demandes du gouvernement. Je crois que si on a un comité de sept personnes, par exemple, on pourrait faire en sorte que le gouvernement nomme trois membres du comité... et des profanes; la société du barreau de la province nommerait un avocat au comité, et l'Association du Barreau canadien pourrait peut-être nommer un autre avocat expert de certains domaines, comme le droit criminel et le droit de la famille; et enfin, le juge en chef de la province et le premier juge de la province ou leur représentant nomment un membre chacun.
Je suggère qu'il y ait un président, un seul président. Nous envisageons deux comités, soit un comité de présélection et un comité d'entrevue, constitués de 14 personnes au total. Je suggère qu'ils relèvent d'un président nommé par Ottawa. Cela ne va pas rompre l'équilibre car les comités sont constitués de membres du barreau, de membres des tribunaux, et de profanes.
Si nous craignons que la nomination de membres du comité par le gouvernement n'aille indirectement faire ce que nous tentons d'éviter, j'estime humblement, monsieur Comartin, que les membres de ces comités, une fois nommés, perdent toute allégeance avec les personnes qui les ont nommés. Je dirais que, de nos jours, le ministre de la Justice va prendre soin de veiller à ce que les nominations fédérales représentent bien la collectivité, parce que le public est au courant. Le public est attentif. Le comité sera un comité public. Le déroulement de ses activités sera ouvert et transparent.
L'expérience partout au pays montre que les gens qui sont membres des comités -- quelle que soit la façon dont ils ont été nommés -- cherchent à veiller à ce que les meilleurs juges soient nommés. Si l'équilibre règne au sein du comité, si la balance ne penche pas d'un côté ou de l'autre, je crois qu'on pourrait résoudre ce problème.
º (1620)
[Français]
Le président: Monsieur Comartin, avez-vous une question à poser?
[Traduction]
M. Joe Comartin: Oui, à vrai dire, j'ai une autre question.
En ce qui concerne le rôle du profane, c'est-à-dire du non-avocat, lorsqu'on examine la structure du comité, de quels domaines ces membres devraient-ils être issus? Ils représentent quelle proportion des membres du comité, en pourcentage? Y a-t-il déjà eu des problèmes à l'égard des profanes?
M. William Trudell: J'estime pour ma part que les profanes qui siègent au comité devraient refléter la composition de la collectivité. Il serait ridicule, à mon humble d'avis, d'être doté d'un comité multiculturel si les profanes qui y siègent ne reflètent pas la collectivité. Je crois qu'il n'y a aucun doute quant au fait que les membres de notre communauté autochtone doivent être représentés, que les membres de la communauté noire doivent être représentés au sein de ces comités, et ainsi de suite. Je crois que c'est pour cette raison que nous avions commencé en disant que les politiciens devraient jouer un rôle dans le cadre de ce processus, car vous êtes à l'écoute de ce qui se passe dans la collectivité.
Je crois que, dans certains comités provinciaux de partout au pays, vous verrez un multiculturalisme et une diversité qui sont absolument cruciaux. Si vous aviez deux comités, soit un comité de présélection et un comité d'examen, vous auriez six profanes. Ils doivent certainement refléter la collectivité.
M. Vic Toews: Pourrions-nous également entendre le point de vue de l'autre témoin?
[Français]
Le président: Professeur McCormick.
[Traduction]
M. Peter McCormick: Je dirais, premièrement, que, à l'époque où j'ai interrogé des membres des conseils de la magistrature, il y a 20 ans, ils étaient plutôt préoccupés par le fait que de nombreux membres profanes n'assuraient pas une participation active, et semblaient intimidés ou dépassés par les événements. Si on les choisissait avec un peu plus de soin, ce ne serait peut-être pas aussi problématique, mais il serait toujours difficile de s'attendre à ce qu'une personne conteste le point de vue d'un juge en chef ou d'un avocat chevronné en ce qui concerne une nomination de cette nature. Il sera difficile de trouver des gens qui peuvent vraiment apporter une contribution importante, la plupart du temps.
Deuxièmement, pour ce qui est de rompre l'équilibre au sein du comité, votre préoccupation concerne manifestement la nécessité de faire participer une diversité d'organismes à la nomination de personnes au comité. La diversité est votre protection contre la partialité, et plus le nombre d'intervenants prenant part à la sélection des membres est réduit, plus vous êtes préoccupé par la possibilité de partialité.
L'une des solutions préconisées par certaines provinces consiste à recourir à des nominations d'office. Alors, ce n'est pas seulement le juge en chef de la cour provinciale, c'est le juge en chef ou le juge de chaque tribunal de la province qui fait partie du conseil de la magistrature. Puisqu'il s'agit d'une personne qui exerce une fonction à des fins autres que la volonté de se plier constamment aux ordres du ministre, j'avancerais que cela vous procure une certaine protection. Cette fonction est beaucoup trop importante pour céder si facilement à de telles préoccupations.
Je ne veux pas sombrer dans la digression, mais, il y a deux ans, on m'a invité à participer à un projet relatif aux tribunaux provinciaux. J'ai rapidement constaté que je nageais dans l'inconnu, car les tribunaux provinciaux étaient en transformation depuis environ cinq ans. Un grand nombre de bureaux, de postes et de relations à l'intérieur des tribunaux provinciaux n'étaient plus comme autrefois, et même le juge en chef de la cour provinciale n'est plus tout simplement nommé par un gouvernement provincial pour une période indéterminée. C'est un modèle qui a été abandonné. Bien souvent, aujourd'hui, les juges en chef sont sélectionnés au moyen de mécanismes dans le cadre desquels des représentants de la magistrature, ou l'ensemble de la magistrature, ont un mandat d'une durée limitée, sans possibilité de renouvellement. On est bien loin de l'ancienne hypothèse selon laquelle les juges en chef ne procurent pas vraiment une protection convenable, car ils sont nommés par le gouvernement de toute façon.
Je crois que nous devrions reconnaître qu'il y a des façons d'organiser notre appareil judiciaire de fond en comble afin de s'éloigner de cette forme d'ingérence politique indirecte, et plusieurs provinces font des expériences très intéressantes à cet égard.
º (1625)
[Français]
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Macklin, vous disposez d'un peu plus de sept minutes.
[Traduction]
L'hon. Paul Harold Macklin: Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à vous, les témoins, d'être avec nous aujourd'hui.
Vous continuez de soulever des questions que de nombreuses personnes soulèvent à l'égard de ce processus, et l'un des mots qui ne cessent d'être mentionnés, c'est la « transparence ». Et vous, monsieur Trudel, vous nous avez rappelé, bien sûr, qu'il faut également se pencher sur la protection de la vie privée.
À quel point peut-on assurer la transparence de ce processus sans porter atteinte à la vie privée? Je vous pose la question à tous les deux.
M. William Trudell: Je crois qu'il est très important que les membres susceptibles de devenir juges aient la possibilité de parler librement et d'exprimer leurs vues personnelles, dans un contexte confidentiel, sur les raisons qui les poussent à vouloir devenir juges, à parler de leur histoire, à dire ce qu'ils pensent des tendances dans la société, et que le public puisse se fier à un comité diversifié qui serait, à mon humble avis, transparent.
Je crois que la protection de la vie privée est un enjeu qui a été soulevé en Angleterre, et qui est abordé dans le rapport que je vous ai mentionné. Alors, j'avancerais humblement qu'il faut assurer l'équilibre.
Mais il faut pouvoir poser des questions très difficiles à ces gens, et il faut leur donner l'occasion de parler ouvertement et de prendre position à l'égard des enjeux, afin qu'on puisse évaluer les candidats et formuler des recommandations au ministre. Cependant, s'il s'agissait d'un processus ouvert, cela soulèverait des problèmes à l'égard du droit à la vie privée, en particulier celui de personnes dont la candidature n'est pas retenue en raison de problèmes de santé qui les ont forcés à se retirer de la pratique, ou de choses comme des problèmes de santé dans leur famille; le public n'a pas besoin de ce genre d'information.
Ainsi, la représentation du public au sein des comités de présélection, où les divers segments de la société sont représentés, permettrait à mon humble avis, d'assurer la transparence, et de protéger la vie privée, ce qui est très important.
Par exemple : supposons que, dans le cadre d'un processus d'entrevue public, un candidat répond à une question relative à un enjeu donné. Si jamais il est saisi d'une affaire relative à cet enjeu, les groupes d'intérêt spéciaux et les médias lui remettront sa réponse sur le nez. Pour ma part, je ne veux pas savoir de quel côté le candidat va trancher. Je veux seulement savoir s'il est passionné par son travail, et c'est ce que l'entrevue permet de déterminer. Bien souvent, une présélection fondée sur la documentation écrite ne permet pas de voir cela.
L'hon. Paul Harold Macklin: Monsieur McCormick.
M. Peter McCormick: Je suis certainement d'accord sur le fait qu'il y a un danger, dans le cadre de ce processus, qu'on commence à utiliser le mot « transparence » comme une arme pour attaquer les gens. Nos voisins du Sud nous montrent qu'une trop grande transparence mène au désordre, et c'est ce que nous verrons de nouveau, quand le témoignage de Harriet Miers devant le comité sénatorial tournera au cirque. C'est ce que ça promet d'être : un cirque. Ça va trop loin.
Alors, je vais cesser de vanter les mérites de la « transparence ». Je me contenterai tout simplement de dire que, selon moi, le système serait mieux servi si on précisait clairement à tout le monde que l'essentiel du processus d'élimination relèvera d'un groupe de professionnels qui n'ont aucun lien direct avec un parti politique, que de générer un important bassin de candidats, de ne décrire que vaguement les critères permettant d'arrêter son choix sur l'un des 35 candidats, et de dire à tout le monde de « nous faire confiance ».
La faiblesse du système, c'est l'absence total de transparence -- encore ce mot-là. Le simple fait que nous soyons ici illustre le problème actuel. Personne ne sait vraiment, mais beaucoup de gens se doutent de ce qui se passe lorsque la liste devient plus courte et que, enfin, on effectue une nomination en vertu de l'article 96, ou une nomination à la Cour fédérale.
Si on accordait un pouvoir accru à un comité de professionnels dont les titres de compétence sont connus, dont l'appartenance au comité découle de ce qu'ils ont accompli, ou de quelque affiliation que ce soit, alors il serait plus facile pour le tribunal de se défendre contre le genre d'accusations inhérentes à la tenue de vos audiences.
C'est dans ce sens, et seulement dans cette mesure, que je plaide en faveur de la transparence. Je n'essaie pas de dire que c'est une fin en soi, et que nous devrions tenir des audiences publiques du Sénat.
º (1630)
M. William Trudell: Monsieur Macklin, je peux également ajouter que les critères de sélection des juges devraient être rendus publics, afin que le public sache quel genre de candidats on propose. Il n'y a rien de mal à décrire, de façon générale, le processus d'entrevue qui aurait lieu, si on ne précise pas la nature des questions. Ainsi, c'est en diffusant davantage d'information au public, en ce qui concerne les critères de sélection des juges et le fonctionnement du système, qu'on assurera une plus grande transparence.
L'hon. Paul Harold Macklin: J'ai une autre question, dans un tout autre domaine, et je l'adresse en quelque sorte à vous, monsieur McCormick.
Croyez-vous que nous devrions chercher à nommer des membres du milieu universitaire à la magistrature? Dans l'affirmative, comment pourrions-nous y arriver, selon vous? Évidemment, nous semblons quelque peu... Eh bien, il y manifestement un parti pris en faveur des personnes qui plaident quotidiennement devant nos tribunaux. Avez-vous quelque chose à dire à cet égard?
M. Peter McCormick: J'aurais cru que le changement avait commencé il y a environ 35 ans. Certainement, pour ce qui est des instances d'appel, les universitaires, c'est-à-dire les gens dont la contribution dans le domaine du droit est liée à l'enseignement universitaire ou le fait d'être doyens d'une université -- j'aurais cru que cela faisait partie de la première vague de réforme à l'échelon fédéral, pendant les années 70, la façon dont Trudeau et Turner ont transformé le processus, et ensuite on a commencé à voir un plus grand nombre de juges issus du milieu universitaire, certains pour qui l'expérience a été bonne, et d'autres pour qui elle ne l'a pas été, mais cela arrive dans n'importe quel groupe. J'aurais cru... au cours des 30 dernières années, les avocats issus du milieu universitaire, les avocats professionnellement liés à une université, n'ont jamais été si bien représentés au sein de l'appareil judiciaire que depuis 1970.
Alors, je crois que nous avons fait du chemin à cet égard. Je ne dis pas nécessairement que nous devons aller beaucoup plus loin. À titre de simple politicologue, je ne me sens pas concerné par cette préoccupation.
L'hon. Paul Harold Macklin: Je suis heureux de constater que vous vous sentez à l'aise avec le fait que le milieu universitaire est convenablement représenté, et que nous n'avons pas besoin d'apporter des changements à cet égard, pour maintenir ce niveau de représentation.
Dans un autre ordre d'idées, j'aimerais revenir à M. Trudel. Dans notre milieu, les règles sont essentiellement toujours les mêmes, et, pourtant, les parlements ont tendance à fonctionner de diverses façons avec le même ensemble de règles. Je me demande si elle est aussi importante, ce que nous appelons la culture du parlement.
Croyez-vous que la culture organisationnelle du comité est un aspect important de tout comité consultatif ou comité d'évaluation, et comment peut-on veiller à ce que cette culture soit positive, tel que vous avez décrit votre expérience de travail au sein de ces comités?
M. William Trudell: Je crois que, dans notre pays, nous partons avec une longueur d'avance, car je crois que le grand public voue un respect bien réel à l'administration de la justice par les tribunaux. Je crois que nous respectons vraiment les tribunaux et la primauté du droit dans notre pays.
Voilà pourquoi j'ai dit que les politiciens ont un rôle à jouer au chapitre de la nomination de certains membres de comité. Le comité refléterait la culture de la collectivité. Par exemple, je soupçonne qu'un comité du Nord serait très différent d'un comité en Ontario, en raison de la composition de la collectivité, en raison des profanes qui font partie du comité. Supposons que l'un des profanes réside à Rankin Inlet. Cette personne apportera au processus de sélection une culture qui, je suppose, serait différente de la culture d'une personne issue du centre-ville de Toronto.
Lorsqu'un vent de changement souffle sur la colline du Parlement, vous faites de votre mieux pour vous adapter à ces changements; je crois que la même chose se produirait au sein des comités, car ils seront également diversifiés.
J'ignore si cela répond à votre question, mais je crois vraiment que les profanes au sein des comités et les juges au sein des comités doivent être très sensibles aux changements culturels sur leurs territoires.
J'ignore si cela vous aide.
º (1635)
L'hon. Paul Harold Macklin: Oui, cela m'aide.
M. Peter McCormick: Je n'ai pas interprété votre question tout à fait de la même façon que M. Trudel. Nous parlons d'une sorte de comportement en petit groupe, lequel découle des gens qui sont là et de la durée de leur mandat.
L'une des caractéristiques qui me plaisent au sujet du système actuel, c'est qu'il ne s'agit pas tout simplement d'un comité spécial établi à court terme à une fin précise. Il s'agit plutôt de gens nommés pour un mandat plus long, et ce mandat, je suppose, même si je n'ai pas vérifié, est parfois renouvelé. La recherche de l'équilibre entre la continuité et le renouvellement d'un comité fait partie de ce qui crée l'ethos.
Je suppose que ce comité aurait tendance à être dominé par le juge ou les juges qui en sont membres -- et j'aime le fait que, dans les provinces, c'est non pas au singulier, mais bien au pluriel --, et que le comité serait renforcé par le maintien en fonction de la plupart de ses membres. Je crois que cela créerait le genre de culture locale de groupes spécifiques dont vous parlez, ce qui orienterait le comité vers le professionnalisme et un certain ensemble d'attentes, un certain niveau de courtoisie, un certain style de questions, et ainsi de suite.
Il est facile de décrire cela et de le souhaiter. Si cela s'effondrait, nous pourrions tous deux le regretter grandement. Mais je crois qu'il y aurait une tendance naturelle vers un tel comportement, générée par le comportement en petit groupe de cet ensemble particulier d'intervenants, dans la mesure où il y a un noyau de professionnels insistant sur un ensemble de préoccupations particulier.
[Français]
Le président: Monsieur Toews, c'est à vous.
[Traduction]
M. Vic Toews: Merci.
En ce qui concerne la question de la protection de la vie privée, je ne suis toujours pas convaincu que le processus ne doit pas être transparent. Tout ce que je dis, c'est que j'avais des problèmes avec le processus manitobain. Si la protection de la vie privée est une bonne chose, quelque chose à accomplir, alors, selon mon expérience, ce genre de comités -- celui du Manitoba, celui de la province -- fait très bonne figure à ce chapitre.
Ensuite, je regarde des choses comme les commentaires récents du juge Major. Il n'a aucunement peur d'un processus totalement ouvert. Je sais que, devant un autre de nos comités, nous avons entendu le témoignage, je crois, de Peter Russell, qui a parlé, essentiellement, de ce cirque dont parle les Canadiens... de fait, si vous regardez les statistiques, ces choses sont, en réalité, généralement approuvées par une majorité écrasante du sénat américain. Certaines d'entre elles, comme celles de Bork et de Thomas, ont donné lieu à des échanges assez musclés.
Ma question est la suivante : quand nous nommons ces personnes, disons par décret du conseil plutôt que provisoirement, comment le gouvernement peut-il exprimer des préoccupations légitimes en vue de satisfaire à certains besoins au chapitre de la magistrature, que ce soit au chapitre de la diversité -- disons de l'équilibre des sexes ou, au Manitoba, le fait d'être francophone ou d'avoir l'expérience du droit criminel?
Je peux vous dire ce que j'ai fait, pour ma part. Je me suis assis avec mes profanes, et je leur ai dit : « notre magistrature provinciale a besoin de gens qui ont de solides antécédents en droit criminel. Nous avons besoin d'un juge bilingue ». De fait, cette discussion avec les profanes était bien mal vue du juge, qui avait une idée différente du genre de candidats que nous devrions avoir. De fait, dans un cas en particulier, on ne m'a proposé absolument aucun candidat bilingue. Pour moi, ce n'était simplement pas acceptable.
Alors, comment un gouvernement peut-il faire connaître ses préoccupations légitimes à l'égard de besoins auxquels on doit satisfaire au moment de prendre les décisions?
M. Peter McCormick: Pour faire changement, je répondrai en premier.
À ce que je sache, dans le cadre du processus actuel, le juge en chef du tribunal où un juge doit être nommé est invité à s'exprimer au sujet des besoins spéciaux du tribunal.
M. Vic Toews: Ma question concerne les besoins particuliers du gouvernement, le genre de candidats dont il a besoin.
M. Peter McCormick: Je crois savoir que, dans le cas des tribunaux provinciaux, dans chaque province, que je sache, le juge en chef et le ministre tiennent des rencontres régulières, planifiées à l'avance, avec un ordre du jour.
Si on fait preuve d'une telle délicatesse à cet égard, si on laisse le juge en chef du tribunal s'exprimer, et si on planifie une interaction régulière entre le juge en chef ou le premier juge et le gouvernement, c'est à ce moment-là que le gouvernement a l'occasion de fournir au juge en chef ou au premier juge des suggestions à l'égard de la recommandation, du bagage, ou des énoncés de priorités que le juge en chef est déjà habilité à soumettre au comité.
º (1640)
M. Vic Toews: Ne serait-il pas approprié pour la personne responsable, qu'il s'agisse du procureur général ou du lieutenant gouverneur en conseil, de faire état des besoins dans un document public, afin de ne pas donner l'impression que le procureur général essaie de faire passer quelque chose à l'insu du public? On pourrait préparer un document qui dirait que nous avons besoin d'un juge bilingue, que nous avons spécifiquement besoin d'un juge bilingue. Est-ce que cela serait inapproprié? Est-ce quelque chose qui pourrait être fait?
M. Peter McCormick: Le moins qu'on puisse dire, c'est que nous osons espérer qu'un niveau de priorité élevé soit accordé à cette question.
Encore une fois, pour reprendre notre expression préférée, cela accroîtrait la transparence. Je crois qu'il est préférable de faire cela publiquement, dans un document qui peut être consulté par tout le monde, et examiné par tout le monde. À l'ère d'Internet, nous avons tendance à nous réunir sur le site Web du ministre. Il serait donc possible de commenter cette interaction, et les gens auraient également l'occasion d'y réagir plus publiquement.
Si le comité était assez grand, et était constitué de représentants de diverses sources afin que les préoccupations à l'égard de la subjectivité soient plus faibles, je ne crois pas qu'une telle communication publique du ministre à l'intention du comité poserait problème.
M. William Trudell: Je n'ai rien à redire à cela.
Si le ministre dit que nous avons besoin d'envisager d'accroître le nombre de nominations de candidats autochtones dans certaines provinces, ce message se rend aux comités. Les comités seraient ouverts à une diversité de candidats. Ainsi, si le ministre reçoit cinq noms, et que l'un d'entre eux est un Autochtone, alors tout le monde gagne, bien sûr, car il vaut mieux procéder de cette façon que d'inviter le ministre à choisir une personne autochtone juste parce qu'elle est autochtone. J'avancerais humblement qu'une telle façon de procéder serait clairement inadmissible.
Je ne vois rien de mal à ça. Je crois qu'il incombe au ministre de dire qu'il n'y a pas assez de femmes au sein de la magistrature; c'est ce qui est arrivé, alors faisons quelque chose. Le message se rend à la collectivité. Je suis certain que le ministre dit cela afin que la magistrature reflète la composition de la collectivité. Ça revient au comité.
Quand le comité accueille des gens, s'il se trouve que je suis membre d'une certaine minorité et que j'entends le message du ministre, cela va peut-être m'inciter à poser ma candidature. Je crois que c'est un message ouvert et transparent qui est entendu de tous.
M. Peter McCormick: Une déclaration publique par le ministre procure un avantage bien réel, car le meilleur moyen de combler ces besoins, c'est de faire comprendre aux membres d'un groupe donné qu'ils ne sont pas représentés au sein de la magistrature, et, par conséquent, d'inciter ce genre de personnes à poser leur candidature.
Il faut toutefois veiller à ne pas transmettre le message en disant carrément de ne pas tenir compte du mérite cette fois-ci, qu'il faut tout simplement trouver un X. C'est exactement ce que nous devons prévenir. Je sais que vous ne vouliez pas laisser entendre une telle chose, et je ne dis pas que la situation irait bien souvent à cet extrême. Mais, encore une fois, si on ne fait pas attention, c'est de cette façon que la démarche pourrait être interprétée.
La meilleure façon de procéder est la suivante : lorsqu'on dit qu'on a besoin d'un plus grand nombre de femmes à la magistrature, 25 femmes se disent qu'elles devraient peut-être envisager la possibilité de se porter candidates, et plusieurs d'entre elles seraient certainement assez qualifiées pour se retrouver sur une liste restreinte de toute façon. C'est la façon idéale de fonctionner.
[Français]
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur McGuinty, c'est à vous.
[Traduction]
M. David McGuinty (Ottawa-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci d'être venus cet après-midi.
J'aimerais poser quelques questions pointues au sujet d'un enjeu qui, selon moi, va à l'essentiel de ce que nous faisons ici, c'est-à-dire la politique. Dans les entrevues qui ont lieu à l'échelon provincial, est-ce qu'on demande aux candidats s'ils participent activement à l'activité politique, s'ils ont déjà eu des liens avec un parti politique, s'ils ont déjà travaillé dans le cadre d'une campagne électorale, ou s'ils ont versé des contributions à cette fin?
M. William Trudell: Je tiens à apporter la précision suivante : sans pour autant violer la confidentialité du travail des comités, je peux tout de même dire que les antécédents d'une personne et ce qu'elle fait au sein de la collectivité, c'est quelque chose qu'elle indiquerait probablement dans son formulaire de candidature. Selon mon expérience, le processus d'entrevue ratisse large, de sorte que ça se saurait, mais pas de façon précise. On ne pose pas de questions spécifiques, comme «Avez-vous déjà fait du lobbyisme pour l'association libérale locale?» Mais nous encourageons à poser leur candidature les gens qui jouent un rôle actif au sein de leur collectivité, et l'un des meilleurs moyens d'être actif au sein de sa collectivité, c'est de travailler dans la sphère politique locale; ou quelque chose comme cela. Alors, cela fait seulement partie de leur participation à l'activité communautaire. Il n'y a, en soi, rien de mal à cela. Dans un grand nombre de cas, c'est la principale contribution de ces gens à la collectivité. Et lorsqu'ils en parlent de façon franche et ouverte... de toute façon, les enquêtes discrètes que nous menons au sein de la collectivité nous permettront de l'apprendre.
Que je sache, cela n'a jamais spécifiquement fait l'objet d'une question, mais c'est quelque chose qui n'a jamais été caché non plus.
º (1645)
M. David McGuinty: En ce qui concerne les critères utilisés, nous pourrions peut-être entendre la position des deux témoins sur cette question du mérite. Si une personne est active ou a été active pendant longtemps à titre de bénévole, d'agent de financement, d'organisateur, de personne qui fait du porte à porte pour distribuer des dépliants--si ce n'était de ce genre d'efforts, aucun d'entre nous ne serait ici, vu le contrôle rigoureux du financement de nos jours, en ce qui concerne les nouveaux changements touchant les dépenses électorales, vu le coût croissant du matériel; honnêtement, je crois que nous ne pourrions jamais en arriver où nous en sommes, sans de bons bénévoles et beaucoup d'aide. Est-ce que je vous ai entendu dire, tous les deux, que l'activité politique s'inscrit dans le mérite?
M. William Trudell: Je crois que c'est le cas. Si vous participez à l'activité politique, vous apportez une contribution à notre démocratie.
J'ai assisté au souper de la Tribune de la presse parlementaire. Nous sommes tous des êtres humains; nous avons un travail à faire. Nous avons peut-être des points de vue divergents, mais, en toute franchise, nous savons tous comment nous amuser, et nous savons tous comment prendre les choses au sérieux. Alors, je crois que c'est un élément très important de la contribution à la vie communautaire. Certains choisissent de le faire, et d'autres pas. On ne devrait pas être pénalisé parce qu'on a travaillé pour un parti donné; on exerce un droit démocratique. Certains vous diront: « J'ai rencontré tant de gens au moment où je faisais du porte à porte pendant la campagne, que j'ai vraiment pu prendre le pouls de la collectivité; je crois que cela pourrait m'être utile en tant que juge ». Alors, je crois que c'est un aspect positif.
Toutes ces histoires de liens secrets avec un parti politique, de sacs d'argent qui entrent par la porte arrière, c'est de la foutaise. Nous parlons de gens qui jouent un rôle dans leur collectivité. Quels meilleurs juges pourrait-on avoir?
M. Peter McCormick: Certainement. Il serait regrettable que les gens se disent qu'on n'a aucune chance, à moins d'appartenir au bon parti politique. Mais ce serait tout aussi regrettable qu'on se dise qu'on n'a aucune chance lorsqu'on a déjà eu des liens avec un parti politique. Ce serait encore pire. Tous les juges auxquels je parle me disent toujours que le plus grand danger de leurs fonctions est celui d'être isolé du monde ordinaire, car on doit renoncer à une foule de choses lorsqu'on devient juge. C'est ça, le danger. On ne peut parler qu'à d'autres juges, et il faut vraiment résister à cette tendance.
Une personne qui a déjà participé activement à l'activité communautaire, à un échelon ou à un autre, possède déjà, d'une certaine façon, l'antidote contre cette préoccupation. On ne voudrait certainement pas commencer en étant déjà isolé, car ce serait vraiment difficile.
Alors, je suis également convaincu que c'est un atout. Il faut veiller à ce qu'on n'accorde aucune importance au fait que le service à la collectivité passait par un parti politique, ou à se demander de quel parti il s'agissait. Ce serait idéal. Mais je ne veux certainement pas donner l'impression que les partis politiques sont atteints d'une maladie contagieuse et devraient être éliminés complètement.
M. David McGuinty: Dans le document que nous a transmis M. Ziegel pour son témoignage de demain, que vous n'avez pas eu l'occasion de consulter, il parle de tenir compte des partis pris. Il explique, par exemple, que si une personne n'est pas particulièrement favorable au capitalisme ou au marché libre, ou s'il s'agit d'un misogyne notoire, cette personne n'est peut-être pas le candidat idéal pour un tribunal commercial ou un tribunal de la famille.
Dans le contexte des commentaires émis par le juge Robert au Québec, qui, selon moi, font partie des arguments qui ont mené à la création de ce sous-comité -- même si je n'ai ni vu, lu ou entendu les commentaires émis par le juge --, c'est vraiment une question épineuse. Mais si on était au courant du parti pris d'un candidat à la magistrature au Québec, par exemple... Non, je vais reformuler. Si une personne posait sa candidature, et qu'un comité devait tenir compte d'un parti pris connu, par exemple, avoir participé activement aux activités d'un parti dont le principal objectif est la promotion de la division du pays, que le candidat soit de l'Alberta ou de la Nouvelle-Écosse, est-ce que cela pourrait être considéré comme parti pris, vu le genre d'expérience sur le terrain dont vous jouissez tous les deux?
º (1650)
M. William Trudell: Pour ma part, en soi, non. Mais c'est à ce moment-là que le processus d'entrevue devient extrêmement important, car cette personne peut mettre en contexte ses intentions, et nous permettre de déterminer si cela minerait sa capacité de se prononcer à la lumière des preuves qui lui sont présentées.
Je ne suis pas politicien, mais, on ne peut pas avancer que les partis du Québec, ou le Bloc, n'apportent pas une contribution fantastique à l'égard d'enjeux d'une importance nationale simplement parce qu'ils ne veulent pas faire partie du pays. Les entrevues font ressortir de nombreux partis pris que l'on n'aurait jamais imaginés d'une personne donnée, où on se dirait initialement : « Mon Dieu, mais qu'est-ce que cette personne raconte? » Et ensuite, cette personne met son point de vue en contexte. C'est pourquoi j'accorde tant d'importance au processus d'entrevue, car la perception d'un parti pris ne signifie pas nécessairement qu'il y a un parti pris, et l'entrevue peut parfois faire ressortir des intentions cachées.
Mais, non, c'est le secret de notre pays, et c'est ça, la démocratie. C'est un problème, mais c'est un problème qui, selon moi, ne peut être résolu que si on laisse la personne en parler, et c'est ce que permet de faire le processus d'entrevue.
Peut-être bien que, à la lumière de ce qu'ils ont dit, ce comité, dont les membres offrent une vaste expérience dans divers domaines de la société, dirait : « Non, non, non, nous ne pouvons pas recommander cette personne. ». Mais s'ils le font, la possibilité qu'on repère un parti pris caché à l'occasion d'une entrevue est beaucoup plus grande que dans le cadre d'un processus où il n'y a pas d'entrevue. On ne voudrait pas l'apprendre lorsque cette personne siège.
M. Peter McCormick: J'aimerais dire, tout d'abord, que les juges sont toujours des êtres humains; par conséquent, tous les juges ont des tendances et des penchants personnels. On présente cela sous un mauvais jour en parlant de « parti pris ». Un bon juge apprend à connaître ses partis pris et à les écarter lorsqu'ils ne sont pas appropriés, et nous ne pouvons que nous en remettre au jugement de chaque personne, et on doit déterminer si la personne qu'on nomme est capable d'exercer un tel jugement. Un juge qui n'a aucun parti pris et aucun préjugé, c'est comme Hercule décrit par Dworkin : vous n'en trouverez jamais un.
Le deuxième point que j'aimerais soulever, c'est qu'il y a une distinction entre ce que l'on veut, ce que l'on aime ou ce que l'on préfère personnellement, et ce qui est exigé par la loi ou par la Constitution. Les deux n'ont pas besoin d'être toujours parfaitement en accord. Une personne peut dire : « Eh bien, personnellement, je préférerais... » et je vous laisse finir la phrase, car je ne me risquerai pas à citer un exemple. Personnellement, je préférerais que les choses soient autrement, mais je reconnais que la loi ou la Constitution prévoit ceci -- et, en ma qualité de juge, je respecte la loi. Aux États-Unis, c'est toujours Roe c. Wade ou le thème de l'avortement, et c'est toujours de cette façon qu'ils abordent le sujet --, mais c'est une distinction très importante à faire.
Et ce n'est que si aucune de ces réponses ne vous satisfait que le parti pris devient un problème crucial, et peut-être un aspect qui empêcherait une personne d'accéder à la magistrature.
[Français]
Le président: Merci, monsieur McGuinty.
Monsieur Lemay, vous avez la parole.
M. Marc Lemay: Je trouve que vous avez très bien circonscrit le débat. C'est très intéressant.
Les entrevues m'apparaissent essentielles. Je crois que ce sera l'opinion générale au sein du comité. En fait, la position du Bloc est claire: il faut tenir des entrevues avant de recommander quelqu'un à un poste de juge.
Dans une région comme la mienne — je viens du Nord, de l'Abitibi-Témiscamingue —, lorsqu'on recevait des candidats en entrevue, on connaissait leur couleur politique. On connaît la couleur politique de quelqu'un qui a été impliqué dans la société, que ce soit au Québec, en Ontario ou ailleurs. Il est impossible qu'une personne n'ait ni couleur ni saveur. Une personne qui n'a jamais été impliquée dans la société ou qui n'a jamais pris position ne peut pas siéger, selon moi.
On connaît donc les opinions politiques de la personne qu'on va interviewer, d'où l'importance des entrevues. On cherche à savoir non pas quelle est sa couleur politique, mais si elle est en mesure d'occuper le poste de juge à la Cour supérieure, à la Cour d'appel ou à la Cour fédérale du Canada.
À mon avis, le processus doit être transparent, et on doit avoir recours à des appels de candidatures. Par exemple, si un poste est disponible à Montréal ou à Toronto, à la chambre criminelle ou à la Cour supérieure, ceux qui sont intéressés peuvent poser leur candidature. Par la suite, on va procéder aux entrevues confidentielles. Il m'apparaît beaucoup plus important, lors des entrevues, que l'on aille vérifier les connaissances de la personne. On parle d'un poste de juge à la Cour d'appel ou de la Cour fédérale du Canada. Si elle risque de devoir prendre des décisions relatives aux certificats d'immigration, la personne qui voudrait poser sa candidature doit connaître l'immigration. Sinon, elle ne sera même pas recommandée. C'est ce que je veux essayer de comprendre.
Selon le processus actuel, le nom d'une personne qualifiée est inscrit dans une liste, et le ministre pige dans cette liste, sans faire d'entrevues. Cela n'est pas correct. Je ne sais pas si vous me suivez, mais il y aurait beaucoup moins d'ingérence politique si on désignait ou recommandait trois, quatre ou cinq candidats pour, par exemple, un poste de juge à la Cour supérieure, en matière criminelle, à Toronto, et qu'on disait au ministre qu'il peut piger dans la liste s'il le veut. On veut s'assurer que la personne possède les connaissances pertinentes.
Si, par exemple, une personne misogyne posait sa candidature à un poste de juge à la Cour supérieure, il faudrait que le comité ait cette information. Imaginez-vous les répercussions que cela pourrait avoir dans les médias. À la Cour du Québec, j'ai vu une personne poser sa candidature à un poste de juge alors qu'elle n'avait pas consulté le Code criminel depuis 20 ans. Elle avait beau être libérale, elle n'a pas été retenue.
Je ne crois pas que mettre le processus de transparence et l'assurance de la confidentialité dans la balance de la justice constitue un problème.
Je ne sais pas si je vous ai perdu, mais je voudrais connaître votre opinion à cet égard.
º (1655)
[Traduction]
M. William Trudell: Concernant votre dernier point, vous ne suggérez tout de même pas que les entrevues soient publiques?
[Français]
M. Marc Lemay: Non, je dis que l'appel des candidatures doit constituer un processus transparent, mais les entrevues doivent demeurer confidentielles. Selon moi, cela est essentiel. Toutefois, au cours d'une entrevue confidentielle, il faut aller... On dispose d'une heure d'entrevue.
[Traduction]
M. William Trudell: Je comprends. C'est essentiellement ce que nous proposons, que le processus soit équilibré et transparent.
L'un des enjeux plus terre à terre concerne le fait que, contrairement aux nominations ou aux tribunaux provinciaux, où il y a un poste à pourvoir et les gens postulent, dans le cas de la Cour supérieure, ce qui peut arriver, c'est qu'une personne prend sa retraite. J'ai entendu des gens critiquer le fait que le gouvernement fédéral sait, par exemple, qu'une personne va prendre sa retraite dans six mois, et que, six mois s'écoulent avant qu'on fasse quoi que ce soit. Je crois que si on a un bassin de candidats qui ont été soumis au processus d'entrevue, le ministre pourrait choisir parmi ces candidats, et si ce bassin de candidats dure quelques années, on pourrait pourvoir des postes beaucoup plus rapidement. Si on soumet cinq noms après le processus d'entrevue, il y a fort à parier que ces cinq candidats accéderont à la magistrature à un moment donné.
La seule chose qui me dérange, c'est l'annonce du poste vacant. Si le ministre décide qu'il y aura d'autres postes vacants ou d'autres postes à pourvoir à l'égard d'un tribunal donné, je suppose qu'il les annonce. Mais c'est dans l'ordre des choses que des juges vont prendre leur retraite, et le comité peut se préparer en conséquence : au lieu d'attendre qu'il y ait une annonce, il pourrait établir un bassin de candidats prêts à entrer en fonction.
» (1700)
[Français]
Le président: Merci, monsieur Lemay.
Monsieur Comartin.
[Traduction]
M. Joe Comartin: Merci encore.
J'aimerais également vous ramener sur la question des entrevues, en raison d'une expérience assez négative que nous avons connue à Windsor, il y a de cela un mois et demi. Un candidat local avait été interrogé par l'un des membres du comité, au nom du reste du comité, et ce membre lui a posé des questions précises au sujet d'une affaire de meurtre où il avait assuré la défense. La personne qui posait les questions au nom du comité connaissait la famille de la victime. L'avocat avait adopté une position plutôt inhabituelle à l'égard de la déclaration de la victime, et son argument avait été rejeté par la cour. Cette situation lui a été présentée de façon négative. Quelqu'un d'autre a décroché le poste, et cet avocat local très respecté a déposé une plainte à cet égard.
Dans cette situation, il y a deux enjeux : le genre de questions que l'on considère comme appropriées, et, ce qui est encore plus préoccupant, ce qui semble être, du moins en surface, un évident parti pris négatif de la personne qui pose les questions au candidat? Qu'est-ce qu'on fait dans une telle situation?
Je m'adresse à M. Trudell en particulier : vous estimez que l'entrevue devrait être confidentielle, mais il serait très difficile, dans ce cas, d'éviter que ce genre de questions, si vous les percevez comme négatives, soient posées.
M. William Trudell: Je suis à la fois déçu et ravi de vous entendre soulever cette question. On m'a justement interrogé à l'égard de ce problème.
La démarche du Comité consultatif sur les nominations à la magistrature est confidentielle. Je suis très déçu que ce candidat ait traîné cette histoire sur la place publique, car les personnes qui l'ont interrogé ne peuvent pas faire cela. Ils ne peuvent parler de la façon dont la question a été soulevée. S'il a des doléances, il peut se plaindre du processus, mais, en toute franchise, à mon humble avis, il a été à l'encontre du principe sous-jacent de la confidentialité. Le profane mêlé à cette histoire ne peut parler de la façon dont les choses se sont déroulées.
J'ai parlé à cet avocat, et j'ai énormément de respect pour lui, mais, à mon humble avis, il entache inutilement le processus. J'ai du respect pour lui. Je ne sais pas pourquoi il a fait cela. Mais, en toute franchise, je crois que c'est du cas par cas. C'est comme si je critiquais un juge. Les juges ne peuvent se défendre. En toute franchise, le fait de savoir quelque chose et de ne pas pouvoir en parler en détail est, selon moi, une aberration.
Un avocat interrogé par un comité peut dire : « Écoutez, je ne crois pas que nous devrions parler de cela. Je ne crois pas que vous devriez me poser ces questions. » Nous savons quand arrêter, et quand aller de l'avant. En toute franchise, je crois que, dans cette situation, on n'a pas perdu de vue le principe de la confidentialité et l'équité envers le candidat retenu; mais je crois que c'est du cas par cas. Vous savez comme il est facile de partir des rumeurs. Nous ne connaîtrons jamais le contexte dans lequel cela s'est produit, n'est-ce pas?
Mais si vous avancez qu'on devrait peut-être montrer un peu plus d'ouverture en ce qui concerne le type de questions posées, je n'ai pas grand-chose à redire. C'est déjà plutôt public dans la province. Mais on ne voudrait pas établir un scénario, car cela permettrait aux gens de préparer leur réponse. On veut que le répondant soit capable de dire au comité : « C'était une affaire très difficile pour moi. Certains ne seront peut-être pas d'accord avec la façon dont j'ai procédé, mais c'était une affaire très difficile. ». Ou on veut que cette personne soit en mesure de dire : « Je ne crois pas que je devrais parler de cela. Je ne crois pas que vous devriez me poser cette question. » C'est grâce au caractère confidentiel et à l'étendue des discussions que le processus d'entrevue est si efficace.
Alors, je n'étais pas là, et je ne sais pas exactement comment cela s'est déroulé, mais j'ai peu de sympathie à l'égard de ce genre de critique sur la place publique.
» (1705)
M. Joe Comartin: Mais, cela dit, en ce qui concerne l'expression d'un parti pris, comment pourrions-nous améliorer le processus en vue de protéger le candidat? Parce que, si nous suivons votre modèle, il n'est pas possible de faire cela dans la sphère publique, alors comment protège-t-on une personne contre ce genre de parti pris?
M. William Trudell: Comment protège-t-on une personne accusée d'être attaquée par un juge atteint de « jugite »?
M. Joe Comartin: Mais ça, c'est en public.
M. William Trudell: Eh bien, ce qui arrive, c'est que les collègues du juge exerceront une certaine pression sur cette personne, du moins, on l'espère. Si un membre du comité affiche un parti pris, il incombe au président du comité et aux autres membres du comité de dire : « Cela est inacceptable. Il n'y a pas lieu de parler de cela. » J'ai déjà vu cela arriver, car, comme l'a dit M. Macklin, il y a une culture organisationnelle qui a pris forme au sein du comité.
Rien n'est parfait. Nous ne pouvons pas prévoir tous les problèmes, car il y a des partis pris, et ils vont se manifester de temps à autre. Si vous avez un comité constitué de deux personnes, elles peuvent contrôler le processus. Mais s'il y a un comité de sept ou de 14 membres, il y aura une mise en contexte. Je ne crois pas qu'on puisse légiférer à l'égard de ce genre de problèmes qui vont se produire. Je crois que tous les gens ont leurs propres partis pris, mais qu'ils doivent les mettre en perspective, et on doit les corriger. Si je dis quelque chose de tout à fait inapproprié ici, je vous invite à me corriger. Je crois que la même chose peut se produire ici.
Avec le respect que je vous dois, monsieur Comartin, je ne crois pas que ce soit un enjeu important. Je ne crois pas qu'il y aura de nombreuses plaintes au pays en ce qui concerne les questions posées à l'occasion d'entrevues confidentielles.
M. Peter McCormick: Tant que ce n'est pas un système fondé sur l'unanimité; certains conseils de la justice travaillent de cette façon. Un seul vote résolument négatif au sein d'un conseil de la magistrature élimine un candidat, et les ministres diront qu'ils n'oseraient jamais nommer une personne qui n'a pas fait l'unanimité. Alors, dans ce cas, notre candidat n'a aucune chance si le système fonctionne de cette façon.
Normalement, on s'attendrait à ce que les autres membres du comité réagissent à ce qui se passe à l'interne -- un peu comme vous le faites maintenant. Si le candidat se débrouille bien lorsqu'on lui pose des questions apparemment injustes, on aurait tendance à croire que cela sera en sa faveur.
Plusieurs échelons plus bas, au chapitre des nominations à une université, nous avions, dans le cadre d'une désormais célèbre série d'entrevues, vraiment attaqué un candidat à l'égard d'un aspect qu'on aurait cru être son point faible. On s'en est pris à lui, et il s'est très bien tiré d'affaire. Quand il a quitté le campus, il était convaincu que nous ne l'envisagerions jamais, et a tout simplement résolu d'oublier tout cela. Nous avons décidé de le choisir. Il s'était si bien tiré d'affaire que nous étions tout simplement convaincus qu'il avait réfléchi à cela, et qu'il était capable de composer avec la situation. Par contre, s'il avait répondu à la question d'une façon maladroite, cela nous aurait donné l'occasion de le démolir.
Alors, on ne peut jamais vraiment saisir la dynamique du groupe. On ose espérer que les autres membres du comité n'entretiendront pas le même parti pris, le même genre de préjugé, et cela donnerait au candidat l'occasion non pas de perdre, mais bien de gagner des points dans une telle situation.
De toute façon, il me semble exagéré de rejeter totalement l'idée de choisir un groupe de décideurs oeuvrant dans divers domaines et de les charger de faire des entrevues personnelles, juste parce que cela peut mal tourner de temps à autre. Franchement, tout peut mal tourner à l'occasion. Il faut décider quelle option est, dans l'ensemble, la meilleure.
» (1710)
[Français]
Le président: Merci, monsieur Comartin.
Avant de passer la parole à Paul Macklin, j'aimerais poser une question brève au professeur McCormick, si vous me le permettez, étant donné qu'on a déjà fait deux tours complets.
Professeur McCormick, le 3 octobre dernier, le commissaire à la magistrature fédérale, M. David Gourdeau, nous a dit que 111 personnes avaient été fortement recommandées et que 283 personnes avaient été recommandées, pour un total de 394 personnes. Il y avait 23 postes à pourvoir. Cela veut dire qu'il y avait 17 candidats pour chaque poste de juge disponible. Cette banque de noms est disponible pendant un certain temps.
Selon le processus que vous suggérez — celui de la courte liste —, formerait-on un comité chaque fois qu'il y aurait un poste vacant? On choisit trois ou cinq personnes et la liste est fermée. Un autre poste devient vacant ailleurs, un autre comité est formé et trois à cinq personnes sont retenues. Est-ce ainsi que vous le voyez, ou si la liste de trois à cinq personnes reste disponible pendant un temps assez long?
[Traduction]
M. Peter McCormick: Le problème, lorsqu'on ne penche sur un tel processus au Canada, c'est que nous avons affaire à des unités de tailles très variables.
J'arrive ici avec le point de vue d'un Albertain. J'ai en tête une idée du nombre de juges qui siègent à la cour supérieure de la province de l'Alberta, et de la fréquence à laquelle les postes se libèrent, alors, quand vient le temps de décrire un modèle de base, je me fie à ce que je connais. Je reconnais que, dans le cas de la Nouvelle-Écosse, c'est déjà trop lourd. Ils n'ont pas besoin de quelque chose d'aussi complexe. Et dans le cas du Québec, ou de l'Ontario, ou de la Cour fédérale dans son ensemble, c'est beaucoup plus complexe que cela. Il faut quelque chose de plus compliqué. Au lieu de perdre mon temps à faire des comparaisons, j'ai tout simplement extrapolé, à partir de ma connaissance de ma province et de la façon dont je croyais que le système fonctionnerait là-bas.
L'expérience de la cour supérieure d'une province n'est pas totalement pertinente, dans le cas qui nous occupe, car les cours supérieures sont beaucoup plus spécialisées. Ainsi, elles ne peuvent produire une seule liste et la conserver, car la plupart des cours provinciales s'appliquent à quatre ou cinq domaines différents. On ne peut embaucher à partir d'une seule liste, il faut établir des listes ciblées.
À l'échelon de la Cour fédérale, j'aurais cru qu'il était possible de conserver une liste de candidats pour plus tard. Je ne vois rien de mal à cela. On ne s'attache pas tant à un seul poste.
J'aimerais qu'on s'éloigne de l'idée de créer un bassin de candidats énorme, car cela fait pencher la balance de nouveau en faveur d'un vaste pouvoir discrétionnaire, ce qui, il me semble, est la raison même de l'incertitude qui nous pousse à être ici aujourd'hui.
[Français]
Le président: Merci beaucoup.
Nous passons à M.Trudell.
[Traduction]
M. William Trudell: Je crois qu'on devrait continuer d'accéder au bassin de candidats. Je crois que si on intègre le processus d'entrevue, il y aura moins de 394 personnes dans le bassin de candidats.
[Français]
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Macklin, vous disposez de sept minutes.
[Traduction]
L'hon. Paul Harold Macklin: Merci, merci d'avoir posé ma question au sujet du bassin de candidats.
La question que vous avez soulevée aussi concerne la représentativité des tribunaux. Êtes-vous d'avis que, outre les besoins fondamentaux, lorsque les causes doivent être entendues dans les deux langues officielles, ou lorsque le potentiel nécessaire est là, que la nature représentative d'un tribunal devrait donc être confiée complètement au milieu politique, ou est-ce que les comités devraient exercer une certaine influence à cet égard? Quand je parle de « représentativité », je fais allusion à ce que vous avez dit au sujet d'un représentant autochtone ou autre à la magistrature.
Je vois que vous êtes plongé dans vos réflexions.
M. William Trudell: Pourriez-vous répéter la question? Je suis désolé, je ne l'ai pas entendue.
L'hon. Paul Harold Macklin: On parlait, plus tôt, de la représentativité du tribunal, et s'interrogeait sur ce que le juge en chef pourrait dire qu'il veut ou ce dont il a besoin. Je vous demande donc, au delà des exigences de bilinguisme d'un tribunal donné, si tout le reste devrait être laissé au jugement de l'organe politique. Je suppose qu'on pourrait faire valoir l'argument selon lequel on voudrait que le juge soit représentatif de la collectivité.
J'aimerais seulement connaître votre opinion sur la source de représentativité du tribunal. Est-ce que le comité devrait exercer une certaine influence à cet égard? Devrions-nous simplement nous demander si cette personne est un candidat méritant, un point c'est tout?
» (1715)
M. William Trudell: Lorsque le comité propose cinq noms, chacun peut se distinguer à sa façon. L'un des candidats peut être une personne de couleur, par exemple, et le choix du comité--puisque le comité a proposé cette personne--, a manifestement tenu compte de la couleur de cette personne. Ainsi, si le ministre décide que le temps est venu de nommer une personne de couleur, il peut décider que cette personne de couleur est le bon choix. Le ministre peut décider que, sur les cinq personnes proposées, celle qui est née au sein de la collectivité n'est pas un bon choix, car il est peut-être moins important de choisir une personne qui connaît bien la collectivité que de choisir un candidat ayant d'autres caractéristiques. C'est un problème que pouvait résoudre la cour de circuit.
Je crois que, quand on fera savoir que tous les types de personnes, de divers milieux et de diverses cultures, devraient postuler, le comité comprendra qu'il vaut mieux ne pas proposer un certain nombre de personnes qui partagent les mêmes caractéristiques. Le ministre pourra donc faire un choix. C'est pourquoi j'ai dit, au début, que le choix des parlementaires est important, car vous savez ce qui se passe; vous savez ce dont nous avons besoin. Si nous avons un bassin de candidats et que le bassin de candidats est assez large, alors le ministre peut décider quel genre de candidats s'imposent.
M. Peter McCormick: C'est un point absolument essentiel. Le danger qui nous guette, avec un système axé purement sur le mérite, c'est que nous finissions avec un système plutôt hermétique. On finit par conclure qu'un bon juge doit ressembler aux bons juges que nous avons à l'heure actuelle. Si on ne fait pas attention, les critères peuvent devenir de plus en plus étroits avec le temps. C'est donc l'un des risques qui se posent.
Le risque, c'est qu'on ne veut certainement pas devenir esclave de la représentativité : autrement dit, il ne faut pas dire qu'il faut 10 p. 100 de membres de tel groupe, parce qu'ils représentent 10 p. 100 de la population. La tournure plus nuancée que nous utilisons, c'est que la magistrature doit refléter la diversité de la société canadienne. J'adore cette formule, car elle exprime la préoccupation, mais ne nous mène pas dans un dédale mathématique, ce qui n'est pas négligeable.
Pour ce qui est des compromis, je préfère que ce groupe s'attache au mérite. Je continuerai d'insister sur l'utilisation d'un organe purement professionnel chargé d'évaluer les titres de compétence et les capacités à la lumière de diverses sources, y compris des entrevues. Je préfère tendre vers cette façon de faire, et laisser le juge en chef écrire au comité pour lui faire part de critères dont il voudra peut-être tenir compte. Ou on pourrait peut-être recourir à la solution très maladroite que j'ai suggérée dans mon mémoire, mais que je n'ai pas eu la chance de mentionner de vive voix : vous pourriez adopter des dispositions législatives exigeant une certaine diversité, mais ce serait une démarche très maladroite, et, comme je l'ai écrit dans mon mémoire, je ne suis pas tout à fait satisfait de cette solution.
Je préfère qu'on s'en remette à ces méthodes maladroites ou à ces méthodes indirectes, et qu'on maintienne un processus davantage axé sur le professionnalisme et le mérite, et prendre le pari que nous ne verrons pas que des hommes blancs de 55 ans, mais c'est peut-être naïf de ma part.
L'hon. Paul Harold Macklin: Vous avez également parlé, monsieur Trudell, de l'importance de la confidentialité. Quand il y a divulgation de renseignements par un candidat, c'est très différent de la divulgation de renseignements personnels par un membre du comité. Croyez-vous qu'on devrait établir des règles ou prévoir des sanctions à l'égard de membres du comité qui choisissent, pour une raison ou une autre, de ne pas respecter le caractère confidentiel de la démarche?
M. William Trudell: Premièrement, je crois que le caractère confidentiel de la démarche du comité doit être protégé par la loi, afin qu'on ne puisse pas arracher des renseignements au comité, à des fins personnelles. Et, oui, la confidentialité telle que je la conçois actuellement, n'est visée par aucune loi, et je pourrais la violer, mais je crois qu'elle devrait être protégée par une loi.
[Français]
M. Marc Lemay: Par contre, cela est protégé au Québec. Je pense que c'est le cas aussi en Ontario. Ceux qui font partie du comité de sélection signent un document. C'est ainsi au Québec. En Ontario, vous ne pouvez pas briser cette promesse de confidentialité, sous peine de poursuites au criminel. Toutefois, cela ne s'applique pas aux participants, et là réside le problème.
» (1720)
Le président: Cela va-t-il? C'est bien.
Monsieur Toews, je vous demanderais d'être bref.
[Traduction]
M. Vic Toews: Merci.
J'aimerais seulement obtenir une précision. J'ai cru entendre un témoin dire qu'un seul vote négatif pouvait mener au rejet d'un candidat par le ministre. Si c'est vrai, alors cela me préoccupe énormément, car, essentiellement, le ministre jouit d'un droit de veto négatif.
Quand j'ai commencé ma carrière dans la fonction publique, il y a de cela de nombreuses années, je me souviens qu'un fonctionnaire m'avait dit : « Je ne peux aider une personne à obtenir de l'avancement, mais je peux certainement la couler. » C'est quelque chose que je n'ai jamais oublié, et je serais préoccupé, dans le cas qui nous intéresse, par le fait qu'une personne puisse en couler une autre -- très préoccupé.
M. Peter McCormick: Je faisais allusion à un ensemble d'entrevues que j'ai menées il y a 20 ans auprès de tous les membres des conseils de la magistrature provinciaux qui voulaient bien me parler, ou qui étaient autorisés par la loi provinciale à me parler. Et plusieurs provinces -- je reconnais que je n'ai pas consulté l'article dernièrement, et je ne saurais vous dire lesquelles -- étaient effectivement, à l'époque, dotées d'un système axé sur l'unanimité, et ce n'est pas une interprétation de ma part. C'est exactement ce que m'ont dit des présidents de conseil de la magistrature ou le ministre : en cas de vote avec dissidence, on refusait de nommer la personne.
Je n'avance pas que c'est une pratique universelle. Et je ne recommande certainement pas qu'on l'adopte. Tout ce que je dis, c'est que, dans le contexte de la question posée par M. Comartin, ce serait un problème énorme pour certaines administrations, et c'est là le danger d'un système fondé sur l'unanimité. Une personne, pour quelque raison que ce soit, peut tout bloquer.
Et je ne dis pas que cette pratique est généralisée. Je ne sais même pas dans quelle mesure cette pratique existe encore aujourd'hui, mais je sais qu'au moins trois provinces étaient dotées d'un tel système il y a 20 ans. C'est une affirmation assez fragile.
M. Vic Toews: Mais je crois tout de même que vous avez soulevé une préoccupation très légitime, et j'avancerais que nous sommes peut-être dotés d'un système où le ministre ne sait jamais qui a voté contre quelqu'un, ou même si le vote était partagé; si une recommandation est formulée, le ministre ne sait jamais s'il y a consensus ou si on a tenu un vote. Quand la recommandation est présentée, la recommandation est présentée. C'est ce que j'en pense.
Est-ce que les témoins ont des commentaires à cet égard?
M. Peter McCormick: Évidemment, il s'agit d'un système qui s'apparente à celui dont nous parlons actuellement, un système où on produit trois ensembles de noms, et le nom d'une personne ne finit sur la liste des candidats « qualifiés » ou « très qualifiés » que si tout le monde est d'accord. C'est dans ce contexte que le système existe. Dans les provinces où on se contente de soumettre une liste de noms plus courte, je ne crois pas que le système axé sur l'unanimité s'applique.
M. Vic Toews: Merci.
[Français]
Le président: Merci beaucoup.
Je remercie les témoins d'être venus nous faire part de leur point de vue. Ce fut très instructif et, croyez-moi, cela nous sera fort utile.
Je remercie les membres du comité.
La séance est levée.