:
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Français]
Je ferai ma présentation en français.
[Traduction]
Je serai heureux de répondre aux questions posées en anglais, si vous le souhaitez.
[Français]
C'est toute une tâche que celle que vous avez de définir le rôle du diffuseur public au XXIe siècle, dans un monde qui est totalement différent de ce qu'on a connu jusqu'à présent et, surtout, dans un monde où le diffuseur public a été conçu pour une période où nous ne vivions pas l'abondance que nous vivons maintenant.
Cette image illustre bien ce que je veux développer. On m'a dit qu'il fallait être bref et que vous préfériez poser des questions plutôt qu'entendre un long discours. D'ailleurs, c'est un peu ce que le monde devient, tant celui des professeurs que celui des journalistes. Les cours magistraux sont remplacés par des séminaires parce que les étudiants n'aiment plus les longs discours. Je ne dis pas que vous êtes des étudiants pour autant, mais cette image définit bien, à mon avis, ce que devrait être maintenant le diffuseur public. C'est le poisson bleu dans l'aquarium des poissons rouges. Le titre de ce livre — j'ai la version anglaise, mais il y a aussi une version française — est Making a difference: The blue fish among the red ones.
[Traduction]
C'est ce que devrait être un radiodiffuseur public au XXIe siècle: le poisson bleu, le télédiffuseur différent.
[Français]
Pourquoi? Parce qu'un très grand nombre des missions ou des rôles que se donnait le diffuseur public au XXe siècle, au siècle dernier, sont maintenant remplis par des diffuseurs spécialisés, parfois publics, parfois privés. Ainsi, certains concepts généraux qu'on a gardés autour du diffuseur public... C'est toujours dans la loi, d'ailleurs. Je ne dis pas qu'il faille changer cette loi. Toutefois, quand celle-ci dit, par exemple, que le diffuseur public doit contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales, le principe est sans doute toujours valable.
Cependant, lorsqu'un réseau a 5 ou 6 p. 100 de l'écoute, comme le réseau anglais de Radio-Canada, il lui est difficile de partager une conscience nationale, il lui est difficile d'être ce que certains chercheurs appellent le « lien social », il lui est difficile de construire la nation. On a dit longtemps que Radio-Canada devait être the nation builder. Mais 5 p. 100 de l'écoute — je parle surtout de la télévision aujourd'hui —, cela ne fait pas beaucoup de téléspectateurs pour construire la conscience nationale.
Au XXIe siècle, on doit voir le diffuseur public dans le contexte de la fragmentation. On a conçu le diffuseur public comme on a conçu notre système de diffusion à une époque où l'on parlait de broadcasting. J'utilise des termes anglais, parce que dans ce cas, l'anglais manifeste bien mieux ce qu'on veut dire. Broad signifie large. On parlait de broadcasting et on continue d'en parler. Mais maintenant, on vit dans un monde qui est celui du narrowcasting: narrow par opposition à broad.
Tout cela s'est fait sur une longue période de 20 ans. En 1985-1986, lorsque mon collègue Jerry Caplan et moi-même avons rédigé le rapport du Groupe de travail sur la politique de la radiodiffusion, le Task Force on Broadcasting Policy, c'était la naissance des canaux spécialisés. C'était le début de cette fragmentation. Il y avait à l'époque quelques canaux spécialisés, dont quelques-uns en anglais. Et c'était le début des canaux spécialisés de langue française. Maintenant, il y a une infinité de canaux.
Il est bien clair qu'on ne peut plus concevoir le rôle de la CBC et de Radio-Canada à la télévision de la même façon qu'on le concevait il y a 20 ans. Ce n'est pas possible. De la même façon que les chaînes privées généralistes ont des problèmes financiers parce qu'elles vivent du commerce — sur une base commerciale —, à cause de la fragmentation, le diffuseur public connaît aussi des problèmes et doit revoir son rôle dans ce contexte actuel et bien plus encore, parce qu'en raison d'Internet et des nouveaux médias, cette fragmentation va s'accroître davantage.
Il faut donc maintenant voir le diffuseur public dans ce contexte général de la fragmentation. Cela ne veut pas dire — je ne veux surtout pas être mal compris — que le diffuseur public n'a plus son importance. Le diffuseur public est tout aussi important qu'auparavant, mais à mon avis, le principe premier qui doit maintenant guider son activité... Le diffuseur public a été fondé, s'est construit au fil des ans sur un certain nombre de principes: l'universalité, c'est-à-dire servir toutes les régions, servir tous les groupes sociaux, etc., la diversité et l'indépendance. Au cours des années 1990, un nouveau principe s'est développé, celui de la différence, de la spécificité. C'est là-dessus qu'on doit tabler pour l'avenir du diffuseur public. La radio joue très bien ce rôle.
Que signifie concrètement la spécificité? Lorsque le spectateur ouvre son téléviseur et qu'il est à l'antenne du diffuseur public, il doit constater d'emblée et rapidement qu'il est à l'antenne de ce diffuseur public. Ce n'est pas toujours le cas. Parfois, ça l'est, mais c'est loin d'être toujours le cas pour la télévision, alors que pour la radio, ça l'est toujours.
Si vous ouvrez votre poste de radio et que vous êtes à l'antenne de Radio-Canada, vous savez tout de suite que vous n'êtes pas à l'antenne d'un poste privé. Il y a une différence. Making a difference, c'est cela. Il y a une spécificité. La télévision publique doit réussir à faire la même chose que ce qui a été fait pour la radio, soit de nous permettre de reconnaître la différence du secteur public. On pourra revenir sur le sujet, si vous voulez qu'on en parle plus longuement pendant la période de questions.
Quelle est la raison principale qui fait que, d'emblée, on reconnaît la radio comme distincte et que ce n'est pas le cas pour la télévision? C'est l'absence de publicité à la radio. C'est la publicité, à la télévision, qui fait la différence. Plus il y a de publicité, moins on reconnaît le caractère distinct de la télévision publique. Je sais bien que l'économie de la télévision, ce n'est pas l'économie de la radio. Il faut faire une distinction. On a peut-être besoin d'un peu de publicité dans le financement de la télévision. Toutefois, plus la part de la publicité dans le financement global de la télévision s'accroît, plus la différence de la télévision publique décroît ou diminue.
Je ne veux pas entrer dans le sujet des émissions, parce que je ne pense pas que c'est le rôle des analystes de la télévision publique que de se prendre pour des programmateurs de télévision. Alors, je ne veux pas entrer dans les émissions qui correspondent ou qui ne correspondent pas à ce que devrait être une télévision publique. Je vais quand même donner deux ou trois exemples d'émissions.
Une autre chose sur laquelle je voudrais insister, c'est que je ne veux surtout pas dire que la télévision publique doit être une télévision élitiste. Ce n'est pas le propos d'une télévision distincte. Une télévision distincte doit s'adresser à l'ensemble du public parce que l'ensemble des contribuables paient pour cette télévision. Donc, chacun doit y trouver son compte. Tous les genres doivent être présents dans la télévision publique: les émissions de variétés tout autant que les émissions d'information, les émissions dramatiques tout autant que les émissions de sport. Par contre, ce qui est important, c'est que chaque genre devrait être traité différemment lorsque c'est la télévision publique. On ne devrait pas faire des émissions de variétés de la même manière à la télévision publique qu'à la télévision privée. On ne devrait pas faire le sport à la télévision publique de la même façon qu'on faire le sport à la télévision privée. D'ailleurs, il est intéressant de constater qu'il y a une différence. Au réseau français, depuis que le sport, le hockey par exemple, est passé au Réseau des sports — le Réseau des sports est l'équivalent de The Sports Network —, la façon de décrire les parties de hockey n'est pas la même que lorsque les parties du Canadien étaient diffusées par Radio-Canada, par la télévision publique.
Il n'est pas vrai non plus que quand elle fait des choses plus difficiles, la télévision publique n'attire pas les spectateurs. Ces temps-ci, il y a un exemple en matière d'information. Une émission scientifique, qui s'appelle Découverte et qui est diffusée tous les dimanches soir à 18 h 30, attire plusieurs téléspectateurs ces temps-ci parce qu'elle présente en version française d'excellentes émissions de la BBC.
La loi et tout l'esprit du système canadien de télévision insistent d'abord et avant tout sur la canadianisation. Il ne faut pas diaboliser les émissions étrangères. Il y a des émissions étrangères qui peuvent être de très grande qualité. Il y a même des émissions américaines qui peuvent être de très grande qualité. Cette émission de la BBC revue par l'équipe de Découverte a attiré, me dit-on, au cours du mois d'avril, jusqu'à un million de téléspectateurs. C'est une émission aride, c'est une émission difficile.
Je donnerai un autre exemple. Ce sera le dernier, parce que je ne veux pas faire de moi un programmateur. Il y a une émission qui s'appelle L'épicerie et qui est une parfaite illustration de ce que j'essaie d'expliquer: faire les choses différemment. Il y a des émissions sur l'alimentation à toutes les chaînes. Sur les chaînes privées, quelles sont les émissions sur l'alimentation? Elles sont intéressantes, mais ce sont des émissions de cuisine.
[Traduction]
C'est donc une explication de la différence qu'on constate à la télévision française dans les émissions touchant l'alimentation. Dans un cas, on a du vrai journalisme sur l'alimentation, et on ne trouve rien de tel dans les réseaux privés. Dans les réseaux privés, il y a des émissions de cuisine, ce qui illustre bien, selon moi, ce que je dis. Il devrait y avoir à la télévision publique toutes sortes d'émissions, mais différentes du secteur privé. Faire du journalisme sur l'alimentation n'est pas la même chose que de réaliser une émission de cuisine. C'est le même domaine, mais le traitement journalistique de la télévision publique crée la différence.
[Français]
D'après les données, l'émission L'épicerie a réuni au cours du mois de mars plus de 700 000 personnes, à 19 h 30 le mercredi soir.
Ce ne sont pas 3 millions ou 2 millions de personnes. On n'a plus 3 millions de personnes. L'époque où 3 millions de personnes écoutaient la même chaîne est terminée. La télévision de langue française, qui est exceptionnelle, a parfois des auditoires de 2 millions de personnes. Sept cent mille personnes, ce n'est pas 2 millions, mais pour une émission informative comme celle-là, qui fait un travail d'excellente qualité sur un sujet précis, c'est très, très bien.
Qu'est-ce que fait différemment la télévision publique? L'information internationale.
[Traduction]
Ce matin, dans le Ottawa Citizen, figure un éditorial comparant Justin Trudeau et René Mailhot. René Mailhot est mort en fin de semaine. Il s'occupait des affaires étrangères pour le réseau français, tant à la radio qu'à la télévision, depuis 30 ans, je crois.
[Français]
René Mailhot expliquait les affaires internationales simplement. Il rendait les choses compréhensibles aux auditeurs. C'est exactement un autre exemple de ce que doit faire la télévision publique et de ce qu'on n'a pas à la radio privée et à la télévision privée. À la radio privée, une personne ne viendra pas pendant 10 minutes faire la carte géographique d'un problème international. C'est ça, le rôle de la télévision publique.
Le diffuseur public doit être présent, comme il l'est, d'ailleurs, et CBC et Radio-Canada font un bon travail sur Internet. Certains analystes voudraient, dans le contexte actuel et vue la montée d'Internet, qu'il n'y ait plus de réseau traditionnel et que le diffuseur public devienne une agence qui produit ou fait produire des émissions ou d'autres contenus diffusés sur différentes plateformes en choisissant la meilleure plateforme compte tenu de l'émission ou du contenu. Il n'y aurait donc plus de réseaux. Des émissions seraient produites par le diffuseur public et diffusées un peu partout, dont beaucoup sur Internet.
C'est intéressant, mais je pense que c'est une solution à moyen terme. Le danger qui guette actuellement non seulement le monde de la diffusion publique mais les médias en général est de préparer l'avenir à long terme en oubliant l'avenir à court terme, en oubliant demain matin.
Les médias traditionnels comme les journaux déclinent, et Internet monte, mais lentement. Il n'y a jamais de révolution dans le domaine des médias. L'histoire montre qu'il n'y a pas de révolution, il y a une lente évolution. Le danger, c'est de préparer l'avenir à long terme en allant de l'avant uniquement avec des solutions comme celles que je viens d'évoquer, c'est-à-dire abandonner les réseaux et produire des émissions qu'on distribue un peu partout, et oublier le court terme. La télévision est encore un moyen important.
En terminant, je vais reprendre le court texte que je vous ai envoyé et en lire trois lignes :
Prenons garde de ne préparer que l'avenir à long terme en négligeant l'avenir immédiat. La télévision reste un média puissant. C'est toujours là que la grande majorité des gens s'informent et se divertissent. L'annonce de son déclin imminent est prématurée.
:
Bonjour. Je voudrais commencer par vous remercier de m'accueillir dans le cadre de votre enquête sur le rôle que pourrait jouer un diffuseur public au XXI
e siècle. Je considère que c'est un privilège.
Un mot d'abord pour vous dire, puisque je ne suis pas connu autant que mon illustre prédécesseur, que je suis originaire de Saint-Georges-de-Beauce, la patrie de Maxime Bernier. J'ai travaillé chez Radio-Canada pendant plus d'une trentaine d'années, d'abord comme reporter, mais surtout comme gestionnaire. Avant d'occuper le poste d'ombudsman, j'ai contribué à développer le projet de réseau d'information. Entre 1995 et 2000, j'ai dirigé le Réseau de l'information.
Il y a mille et une façons d'aborder la question qui fait l'objet de votre enquête. C'est un sujet inépuisable. Une des façons de la faire est d'essayer d'examiner quels sont les besoins des Canadiens en matière de radiodiffusion publique. À mon avis, le besoin d'une information de qualité va demeurer au cours du XXIe siècle.
J'aimerais vous parler d'un sujet plus pointu, soit celui du rôle que l'ombudsman peut jouer par rapport à la qualité de cette information. Je le ferai en deux temps. Je décrirai d'abord brièvement le poste d'ombudsman à Radio-Canada, puis j'exposerai comment la Loi sur la radiodiffusion pourrait soutenir ce rôle.
Le poste d'ombudsman à Radio-Canada a été créé en 1992 et visait deux objectifs spécifiques. Le premier était de maintenir la qualité de l'information élevée à Radio-Canada et le deuxième, de fournir aux citoyens la possibilité de référer ses plaintes à une instance impartiale et indépendante.
Que fait l'ombudsman exactement? L'ombudsman détermine si un comportement journalistique ou une information diffusée sur l'un des différents supports de Radio-Canada, soit la radio, la télévision ou Internet, respecte ou non la politique journalistique de Radio-Canada.
La politique journalistique de Radio-Canada est intitulée Normes et pratiques journalistiques. C'est ce petit livre que j'ai avec moi. En fait, c'est un ensemble de règles de déontologie qui sont proposées aux artisans de l'information de Radio-Canada, à partir desquelles Radio-Canada accepte d'être évaluée. Si vous voulez contester ou analyser l'information de Radio-Canada, vous pouvez vous fier à ce guide, qui est fondé sur trois grands principes: l'exactitude, l'intégrité et l'équité. Vous pouvez évaluer l'information de Radio-Canada. Radio-Canada, normalement, devrait accepter d'entendre les propositions ou les commentaires que vous faites.
L'ombudsman examine si votre plainte respecte ou non la politique journalistique. Il appartient toujours à la direction de répondre à une plainte en premier lieu. L'ombudsman n'intervient sur le fond que lorsque le plaignant n'est pas satisfait de la réponse de la direction. C'est donc une instance d'appel. Que fait-il? Il déterminera si la plainte est fondée ou non, en tout ou en partie. Le pouvoir de l'ombudsman est un pouvoir moral, un pouvoir d'influence, un pouvoir de recommandation. L'ombudsman peut recommander une modification à cette politique journalistique et peut aussi recommander un suivi à l'antenne ou, en d'autres mots, une mise au point ou un correctif, s'il estime que le comportement journalistique ou l'information diffusée ne respectait pas la politique journalistique.
Chaque année, l'ombudsman présente au conseil d'administration un rapport annuel. Ce rapport est disponible dans le site Internet de Radio-Canada. Le président-directeur général indique aux membres du conseil d'administration quelle sorte de suivi il apportera aux recommandations de l'ombudsman ou quelle sorte de suivi a été apporté durant l'année qui précède.
Pendant les sept années où j'ai occupé ce poste, j'ai fait environ une trentaine de recommandations, et la plupart ont eu le suivi que j'espérais. À des fins de statistiques, chaque année, il y a plus ou moins 1 500 plaintes, 1 500 interventions du public auprès de mon bureau. Environ 50 p. 100 des plaintes qui concernent l'information en particulier portent sur des questions d'équité dans le traitement de l'information.
Comment la Loi sur la radiodiffusion pourrait-elle soutenir le rôle de l'ombudsman? D'abord, la loi pourrait indiquer que Radio-Canada peut créer un poste d'ombudsman. Je ne crois pas qu'il soit souhaitable de dire « doit créer un poste d'ombudsman », parce que Radio-Canada est une entreprise de presse. La liberté de presse existe, celle de Radio-Canada également. Je crois qu'il n'est pas bon d'avoir une démarche coercitive, mais le fait d'indiquer dans la loi que Radio-Canada peut créer un tel poste est nécessairement incitatif.
Deuxièmement, et plus important encore, il y a les conditions d'exercice de ce rôle. D'une part, la loi pourrait accorder l'immunité à l'ombudsman. Qu'est-ce que j'entends par immunité? Au fond, l'immunité est une règle qui permettrait à l'ombudsman d'exprimer son opinion pleine et entière sur chaque cas qui lui est soumis, sans que l'éventualité d'une poursuite le suive comme une épée de Damoclès. Si vous lisez la Loi sur les langues officielles ou la Loi sur l'accès à l'information, vous verrez que les commissaires qui relèvent du Parlement bénéficient d'une immunité dans l'exercice de leurs fonctions.
Une deuxième condition d'exercice qui m'apparaît importante concerne l'application de la Loi sur l'accès à l'information. Comme vous le savez, la Société Radio-Canada sera soumise à la Loi sur l'accès à l'information à compter du 1er septembre prochain. La loi prévoit des exceptions explicites, entre autres, aux « [...] activités de journalisme, de création ou de programmation, à l’exception des renseignements qui ont trait à son administration ».
Il y a donc trois piliers à l'exercice de la fonction d'ombudsman, quel qu'il soit: l'impartialité, l'indépendance et la confidentialité. Un ombudsman n'est pas une cour de justice et n'a pas de pouvoir contraignant. Il n'y a pas de procureur de la Couronne ni d'avocat de la poursuite. Ce n'est pas une démarche contradictoire. L'ombudsman a besoin de susciter la confiance des gens avec lesquels il communique. Pour susciter cette confiance, la confidentialité est un élément important.
Lorsque vous rencontrez les gens, s'ils savent que l'information qu'ils vous donnent risque de devenir publique d'une manière ou d'une autre parce que des gens demanderont, en vertu de la Loi sur accès à l'information, toute la documentation à la disposition de l'ombudsman, que ce soit les comptes rendus, les avis ou autres, le rôle de l'ombudsman pourrait être remis en question, si cet exercice était poussé à son extrême.
Étant donné que les activités de l'ombudsman sont dans le prolongement direct de l'exercice du journalisme à Radio-Canada, on pourrait estimer logiquement que les activités de l'ombudsman sont exclues de la Loi sur l'accès à l'information, mais ça vaudrait mieux si la loi le disait. Cela éviterait que tôt ou tard, les tribunaux soient appelés à trancher cette question.
Je ne voudrais pas parler plus longtemps. Je vais simplement terminer en disant que je continue de croire que Radio-Canada, en tant que diffuseur public, peut jouer un rôle significatif sur le plan de la qualité de la vie démocratique dans le secteur de l'information en aidant les gens à comprendre le monde qui les entoure, en aidant les citoyens à se comprendre entre eux et à vivre ensemble.
Je suis disposé à répondre à vos questions.
[Traduction]
J'essaierai de répondre à certaines questions en anglais, si possible.
:
Prenez la BBC. En un sens, l'absence de publicité en fait un modèle. Mais je n'ai pas dit qu'il ne devrait y avoir aucune publicité.
Au Canada, chacun a son mot à dire à propos de la CBC et de Radio-Canada, si bien que d'autres seraient peut-être aussi compétents que moi sur la question, mais procéder à des compressions dans les années 80 et 90, au lieu d'essayer de fonctionner avec moins d'argent, a été une mauvaise décision.
[Français]
Je vais continuer en français parce que c'est un sujet très délicat. Je ne voudrais pas me traduire moi-même et que ce soit une mauvaise traduction. Je fais davantage confiance aux interprètes pour ce qui est de rendre mes propos en anglais.
À ce moment-là, Radio-Canada avait une décision à prendre: travailler avec moins d'argent ou accroître la publicité pour garder des budgets à peu près semblables. Au cours des années 1980, on a augmenté la part de la publicité dans le budget total. Quand il s'agit de 20 p. 100, à mon avis, cette proportion n'est pas suffisante pour changer le contenu des émissions. Par contre, quand 30, 35 ou même 40 p. 100 du budget dépend de la publicité, les choses changent. Plus la part de publicité augmente, plus l'esprit de concurrence augmente également, de façon à attirer les spectateurs, qui eux-mêmes attirent les annonceurs, et plus la télévision publique se met à ressembler à la télévision privée.
La loi dit clairement, depuis 1991, que les problèmes et les solutions ne sont pas les mêmes pour la télévision anglaise que pour la télévision française. Le problème du réseau anglais de Radio-Canada est que le taux d'écoute est si faible que certains risquent de considérer, à un moment donné, qu'il s'agit d'un réseau marginal.
Je vous avais envoyé un texte, mais je ne sais pas si on vous l'a remis. En fait, j'avais envoyé deux versions de ce texte, du fait que le texte était incomplet la première fois. La deuxième version, qui comporte une citation, est meilleure.
Je cite donc deux auteurs européens, qui disent ceci:
[Traduction]
Si le radiodiffuseur public s'efforce de concurrencer plus directement ses rivaux commerciaux, il risque de perdre son créneau. C'est le problème du réseau français.
[Français]
La télévision de Radio-Canada est trop en concurrence avec la télévision privée. Dans bien des cas, TVA et Radio-Canada sont du pareil au même, même dans le domaine de l'information. Je m'excuse, monsieur l'ombudsman. C'est le problème du réseau français. Ce que je vais lire maintenant décrit le problème du réseau anglais:
[Traduction]
En s'abstenant d'essayer de toucher un auditoire plus large, on risque de perdre sa pertinence pour le grand public.
[Français]
Le problème n'est pas le même en anglais qu'en français. La part de CBC oscille autour de 5 p. 100. La part du réseau français est encore de 13 ou 14 p. 100. Les gens du réseau français, à mon avis, vivent avec la nostalgie de l'époque où leur auditoire se chiffrait à 20 ou 25 p. 100. Ils regrettent cette époque, mais elle ne va plus jamais revenir. C'est cette nostalgie, ajoutée à la concurrence avec le réseau privé en matière de revenus publicitaires, qui explique que le réseau français est si différent.
Je pourrais donner beaucoup d'autres exemples. Comme je l'ai dit, je m'intéresse à ces questions depuis 20 ans. J'ai toujours essayé de parler du cadre dans lequel doit évoluer le diffuseur public et de proposer des améliorations à ce cadre, et non aux émissions. Je pense qu'il en va de même pour le législateur. Je trouverais en effet regrettable qu'un législateur veuille programmer Radio-Canada. Ça n'aurait pas de sens.
Le législateur doit veiller à donner aux créateurs le meilleur cadre possible pour qu'ils puissent s'exprimer. Son rôle consiste à définir le cadre. Il revient ensuite aux programmateurs, et non au législateur ou aux analystes comme moi, de faire les émissions. S'ils ne réussissent pas, on les congédie et on embauche quelqu'un d'autre, mais on n'essaie pas de faire le travail à leur place.
Un des problèmes de Radio-Canada, d'ailleurs, est qu'il y a trop de cuisiniers autour du four. Il y a trop de gens qui essaient de trouver la recette pour Radio-Canada. Donnons un cadre à ces gens et laissons-les chercher la recette.
:
En réponse à cela, je pourrais revenir sur ce que j'ai dit à madame un peu plus tôt quand j'ai commencé à parler de la BBC et que je me suis arrêté. La BBC reste un modèle de télévision publique parce qu'on n'y diffuse pas de publicité. Comparons la France et la Grande-Bretagne. Il y a de la publicité à la télévision publique en France. Les critiques faites fréquemment à la télévision publique française ressemblent aux critiques faites à la télévision canadienne, c'est-à-dire que la télévision publique française ressemble trop à la télévision privée française.
Par ailleurs, en Grande-Bretagne, la BBC est carrément différente. Outre la volonté de faire une télévision publique, une des raisons importantes de cette différence est l'absence de publicité. Il existe un document intéressant qui date de 2004, publié par la BBC, autour du concept de valeur publique, ou public value. On y explique comment, tout comme les télévisions privées doivent rapporter une valeur monétaire aux actionnaires, il faudrait définir le concept de valeur publique comme fondement de la télévision publique.
Bien sûr, si la télévision publique n'apporte pas quelque chose de différent ou quelque chose que n'a pas la télévision privée, à quoi sert d'avoir une télévision commerciale financée par l'État? Ça ne sert pas à grand-chose. On pourrait utiliser ces fonds à meilleur escient si cela nous donnait le même résultat. Il faut que cela donne quelque chose de différent.
Avant de passer à la partie politique de votre question, j'aimerais ajouter un mot sur ce qu'a dit Renaud au sujet de la publicité sur Internet. Il est vrai que la publicité se déplace vers Internet rapidement, ce qui risque de provoquer une crise importante dans les journaux. Ceux-ci sont les principaux fournisseurs d'information, pas seulement au Canada, mais aussi dans tous les pays du monde. Par conséquent, si un déclin rapide des journaux, provoqué par le passage rapide de la publicité vers Internet, se produisait — je ne sais pas; personne ne le sait —, les journaux ne pourraient plus continuer à jouer le rôle en information qu'ils jouent actuellement. La Presse canadienne ne pourrait plus jouer le rôle d'information qu'elle joue actuellement à l'échelle du Canada. Peut-être que Radio-Canada ou l'État devraient suppléer à cette carence, mais c'est là un autre problème.
On a longtemps dit qu'il fallait que le radiodiffuseur public soit présent sur Internet pour empêcher qu'Internet ne devienne strictement commercial. Cependant, si Radio-Canada a autant de publicité que les sites des médias privés sur Internet, c'est le même raisonnement. À quoi sert que Radio-Canada soit présente sur Internet si éventuellement cela nous conduit à quelque chose d'absolument semblable à ce que peuvent faire La Presse ou le Toronto Star ou je ne sais qui?
En ce qui a trait à l'aspect politique de ce que vous dites, nous, du Groupe de travail sur la politique de la radiodiffusion, avions suggéré en 1986 que le conseil d'administration nomme le président-directeur général de Radio-Canada, pour qu'au moins il y ait un rempart entre le pouvoir politique et celui qui gère la société au jour le jour. Ce n'est sûrement pas la panacée.
À quoi d'autre peut-on penser? À la BBC encore, il y a une charte qui est valide pour 10 ans. Renaud l'a dit aussi, quand vous êtes nommé pour cinq ans, vous vous sentez un peu plus libre. Je pense que le pouvoir politique quel qu'il soit n'aimerait pas cette solution, mais le Parlement ne devrait-il pas jouer un rôle plus important sur le plan de la désignation, comme c'est le cas de l'ombudsman à Québec, par exemple? Sa nomination doit être entérinée par tout le Parlement. En ce qui concerne le président de Radio-Canada, on peut imaginer que c'est un rôle tellement important qu'il pourrait ne pas s'agir uniquement d'une nomination du premier ministre, mais du Parlement aussi.