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SECU Rapport du Comité

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RAPPORT SUR LES ALLÉGATIONS DU DIRECTEUR DU SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ RICHARD FADDEN CONCERNANT L'INFLUENCE ÉTRANGÈRE EXERCÉE AUPRÈS DE POLITICIENS CANADIENS

1. INTRODUCTION

1.1 CONTEXTE DE L’ÉTUDE

En mars 2010, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Richard Fadden, a fait des déclarations publiques au sujet d’une présumée ingérence étrangère auprès de la classe politique canadienne. Au mois de juin 2010, les propos de M. Fadden, prononcés trois mois auparavant, ont été rapportés par la chaîne CBC à l’échelle nationale. Bon nombre de politiciens et de Canadiens ont vivement réagi à ces déclarations. Inquiet des répercussions possibles de ces remarques sur l’intégrité des membres élus, notre Comité a voulu obtenir des précisions et de l’information auprès de M. Fadden.

En conformité avec le paragraphe 108(2) du Règlement de la Chambre des communes, notre Comité a tenu deux séances d’information, le 5 juillet et le 8 décembre 2010, au cours desquelles nous avons entendu les témoignages de Richard Fadden et de Marie-Lucie Morin, ex-conseillère à la sécurité nationale auprès du premier ministre et secrétaire associée du Cabinet[1]. Nous résumons dans le présent rapport les propos entendus au cours de ces séances et nous y présentons nos propres observations et recommandations.

2. CHRONOLOGIE

M. Fadden a dit au Comité que vers la fin de l’année 2009, le SCRS l’avait informé de ses préoccupations au sujet d’une possible ingérence étrangère auprès de certains politiciens canadiens. Les enquêteurs, à ce moment, n’avaient pas encore déterminé si les cas précis avaient outrepassé les limites prévues par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité[2] (ci-après la Loi).

M. Fadden a aussi signalé au Comité qu’au début de l’année 2010, il avait informé, de manière générale, l’ex-conseillère à la sécurité nationale, Mme Morin, de dossiers touchant l’ingérence étrangère dans les milieux politiques canadiens, dans le but de déterminer la procédure à suivre lorsque les dossiers d’enquêtes du SCRS seraient complétés.

À la fin de mars 2010, à l’occasion d’une soirée organisée au Royal Canadian Military Institute (RCMI) de Toronto, M. Fadden a prononcé une allocution devant un auditoire de policiers, de spécialistes du renseignement et d’experts militaires. Son allocution a été filmée dans le cadre du 25e anniversaire du SCRS en vue d’une diffusion ultérieure à la chaîne CBC. En réponse à une question dans la salle, le directeur a donné des précisions sur des cas d’ingérence étrangère au Canada. Le discours et les réponses de M. Fadden ont été diffusées aux émissions « Inside CSIS » et « The National » de la chaîne CBC.

Les 21 et 22 juin 2010, à l’émission « The National », Peter Mansbridge souligne et questionne les déclarations de M. Fadden portant sur l’ingérence étrangère. À la suite de la diffusion de ces émissions, on a reproché au directeur d’avoir fait les allégations publiques suivantes à propos de politiciens canadiens :

  • Il y a plusieurs politiciens municipaux en Colombie-Britannique et dans au moins deux provinces où l’on retrouve des ministres de la Couronne qui sont soumis, selon nous, à tout le moins à l’influence générale d’un gouvernement étranger[3].
  • Ils n’ont pas vraiment caché leurs liens, mais ce qui nous a surpris, c’est l’ampleur que cela a pris au fil des ans. Nous voyons maintenant, dans deux ou trois cas, des signes qui indiquent qu’ils modifient réellement leurs politiques publiques en fonction de leurs liens avec ce pays en particulier[4].

Et de lobbyistes chinois :

  • Ils financent des instituts Confucius dans la plupart des campus au Canada. Ils les financent. Ils sont en sorte gérés à partir de l’ambassade ou des consulats. Personne n’est au courant que les autorités chinoises y sont mêlées. Ils organisent des manifestations contre […] ils organisent des manifestations contre certaines politiques du gouvernement canadien qui concernent la Chine. Ils ont organisé des manifestations pour dénoncer les cinq poisons, comme ils sont appelés, c’est-à-dire la Taïwan, le Falun Gong et d’autres[5].

Dans une lettre au Comité datée du 31 août 2010[6], M. Fadden a confirmé que des membres du cabinet du ministre avaient pris connaissance au préalable du contenu de son allocution au RCMI, mais pas du contenu des réponses données aux questions émanant de l’auditoire.

À savoir si le personnel du cabinet du ministre de la Sécurité publique connaissait préalablement le contenu de mon allocution au Royal Canadian Military Institute (RCMI) et de l’entrevue que j’ai accordée à la Canadian Broadcast Corporation (CBC), je confirme que j’avais préalablement discuté de ces deux événements, de manière générale, avec le ministre, et que j’avais reçu son aval à cet égard. Le discours prononcé au RCMI avait été examiné par le personnel du cabinet du ministre ainsi que par celui du bureau de la conseillère à la sécurité nationale (CSN). Je souligne que, bien entendu, aucune des paroles que j’ai prononcées pendant la période de questions n’avait fait l’objet d’un tel examen[7].

M. Fadden a informé le Comité qu’il avait communiqué un ou deux jours après les entrevues à la CBC avec le ministre de la Sécurité publique, et avec l’ex-conseillère à la sécurité nationale, afin de les informer de l’existence de deux ou trois dossiers inquiétants d’ingérence étrangère dans la classe politique, que l’analyse des dossiers serait bientôt terminée et qu’ils allaient en être informés de manière officielle « très bientôt[8] ».

Suite aux entrevues avec M. Mansbridge, M. Fadden a apporté des précisions à ses déclarations. Dans sa lettre au Comité en date du 31 août, M. Fadden a aussi fait savoir que les précisions apportées à sa déclaration, suite aux entrevues avec M. Mansbridge, avaient été apportées en consultation avec les membres du personnel du SCRS, le cabinet du ministre et le bureau de l’ex-conseillère à la sécurité nationale[9].

Le 8 décembre 2010, Mme Morin a confirmé que le rapport du SCRS portant sur les cas précis d’ingérence étrangère a été présenté au gouvernement. Elle a aussi confirmé que son bureau avait pris connaissance au préalable du contenu de l’allocution de M. Fadden au RCMI, mais a pris soin d’ajouter ceci : « Ce n’est probablement pas moi qui l’aie examiné personnellement; c’est plutôt mon personnel qui l’a fait[10]. »

3. PRÉCISIONS APPORTÉES PAR RICHARD FADDEN DEVANT LE COMITÉ LE 5 JUILLET 2010

D’entrée de jeu, il importe de souligner ce que M. Fadden a dit au Comité :

Monsieur le président, je ne pense pas avoir manqué à mes responsabilités. Comme je l'ai dit, je regrette d'avoir donné les détails. La sécurité nationale n'a pas été mise en danger et des individus n'ont pas été identifiés. C'était vraiment un manque d'attention de ma part. Je commençais à répondre aux questions. Je n'ai pas autant d'expérience que vous dans ce genre de choses. Je n'ai simplement pas porté suffisamment attention, mais la sécurité nationale n'a pas été violée. Je n'ai rien dit qui m'aurait rendu susceptible d'avoir violé la loi sur la sécurité de l'information.

Lorsqu’on lui a demandé s’il estimait qu’il devait présenter des excuses à la communauté chinoise canadienne du pays, et en particulier aux politiciens canadiens d’origine chinoise, pour avoir insinué que leurs allégeances étaient suspectes, voici ce que M. Fadden a répondu :

Non, monsieur le président, je ne le pense pas. Je pense qu'en ces rares occasions où ils pourraient se sentir concernés par leurs préoccupations, ce sont des victimes. Je ne pense pas qu'ils soient le problème. Je pense que le problème, c'est la puissance étrangère. Et la raison principale pour laquelle nous œuvrons dans ce domaine, c'est pour protéger les Canadiens contre une puissance étrangère. Donc, je ne pense pas que des excuses soient nécessaires[11].

M. Fadden a de plus été invité à reconnaître les répercussions néfastes de ses déclarations sur les politiciens, mais il a omis de le faire.

Il faut noter que M. Fadden a aussi soutenu que le fait d’avoir parlé d’ingérence étrangère ainsi que les précisions qu’il a pu donner à cet égard n’ont pas menacé la sécurité du Canada. Selon lui, aucun nom ni de détail précis n’a été révélé et les informations étaient de nature très générale. Il s’agit par ailleurs d’un phénomène qui existe depuis longtemps, selon M. Fadden. Tel qu’il l’a expliqué au Comité, le SCRS doit compléter des analyses de cas spécifiques avant d’en faire rapport au gouvernement. Ce n’est qu’à ce moment que le SCRS en informe le ministre de la Sécurité publique.

M. Fadden a aussi mentionné que le phénomène de l’ingérence étrangère fait partie intégrante des rapports du SCRS et est prévu à la Loi depuis son adoption en 1984. Selon l’article 2, « constituent des menaces envers la sécurité du Canada : les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque ». Tel qu’expliqué au Comité, « l’ingérence étrangère est une tentative de la part d’agents d’un État étranger d’influencer les opinions  et les décisions des Canadiens dans le but d’en tirer un avantage sur le plan politique, stratégique ou économique.[12] »

Il convient de souligner ici que l’ingérence étrangère diffère de l’espionnage et du terrorisme. Ces derniers impliquent une menace immédiate pour la sécurité nationale et entraîne de graves conséquences. Le « degré de gravité » des activités d’ingérence étrangère varie, selon M. Fadden, de sorte que ce ne sont que les cas les plus sérieux qui menacent la sécurité nationale. Les cas d’ingérence étrangère dont il est question dans ce rapport et au sujet desquels le Comité n’a obtenu aucune précision ne répondaient pas, selon M. Fadden, à ces critères.

Le Comité n’a pas reçu de précisions ou de réponses aux questions suivantes[13] :

  • À quelles provinces faisiez-vous allusion, monsieur, lorsque vous avez parlé de deux ministres?
  • À quelle municipalité faisiez-vous allusion, monsieur, lorsque vous avez parlé de politiciens municipaux de la Colombie-Britannique influencés par des gouvernements étrangers?
  • [Q]ui sont les personnes dont vous parliez, monsieur Fadden?

M. Fadden a refusé de répondre à ces questions en faisant valoir qu’il s’agissait là d’information de nature opérationnelle.

4. OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS

Les observations et recommandations suivantes reflètent les conclusions tirées par le Comité à l’égard des déclarations publiques faites par M. Fadden, en tant que directeur du SCRS.

  • Les remarques de M. Fadden ont eu des répercussions néfastes et nuisibles sur les Canadiens d’origine chinoise et d’autres origines culturelles et leurs représentants élus.
  • Aucun témoin qui a comparu devant le comité n’a reconnu les dommages causés, entre autres à la communauté chinoise canadienne, par les allégations non fondées.
  • Personne n’a jugé bon ni nécessaire de présenter des excuses pour ces observations.
  • Aucune preuve ni donnée n’a été présentée au comité à l’appui des allégations de M. Fadden.
  • Aucun témoin n’a précisé quelles provinces étaient en cause ni quels étaient les motifs d’influence étrangère alléguée.
  • Les témoins ont toutefois confirmé qu’aucun premier ministre provincial n’avait été contacté par M. Fadden ou le conseiller national pour la sécurité au sujet de l’influence étrangère exercée par l’un de ses ministres.
  • Les témoins ont également confirmé que la GRC n’avait pas été appelée à enquêter sur l’influence étrangère.
  • Les membres du comité ont donné à M. Fadden toutes les chances voulues pour prouver ses allégations, mais il n’a pu le faire ni voulu le faire.
  • Les membres du comité ont donné à M. Fadden toutes les chances voulues pour se rétracter, mais il ne l’a pas fait.
  • Le ministre de la Sécurité publique n’a pas répondu à l’invitation du Comité pour répondre à des questions à ce sujet. 
  • Le gouvernement, n’ayant pas réussi à corroborer ni à réfuter les allégations publiques faites par M. Richard Fadden, avec l’approbation préalable d’un membre du Conseil exécutif, voulant que certains élus municipaux de la Colombie-Britannique et de deux ministres provinciaux soient à la solde de gouvernements étrangers, se trouve complice et responsable de ces affirmations non corroborées.

En conséquence, le Comité recommande :

Recommandation 1 :

Que le ministre de la Sécurité publique et le Premier ministre soient tenus responsables des propos inacceptables tenus par le directeur du SCRS lors de l’entrevue puisque toutes les lignes de communication dudit directeur doivent normalement être préautorisées par le ministre de la Sécurité publique ou le bureau du Premier ministre.

Recommandation 2 :

Que le gouvernement réfute catégoriquement les déclarations de M. Fadden et de présenter des excuses à la communauté chinoise ainsi qu’aux autres communautés culturelles du Canada visées et froissées par les allégations de M. Fadden à propos de l’ingérence étrangère grandissante dans la politique canadienne, pour avoir laissé M. Fadden formuler ces allégations sans fondement, et il demande au premier ministre de déposer ces excuses à la Chambre des communes dans les meilleurs délais.

Bien que l’ex-conseillère à la sécurité nationale ne partage pas l’opinion des membres du Comité à l’effet que les propos de M. Fadden ont jeté le discrédit sur la classe politique, le Comité estime que M. Fadden a semé consternation et anxiété par ses soupçons injustifiés. De l’avis du Comité, M. Fadden a sérieusement entaché la réputation des élus canadiens. Le Comité recommande donc :

Recommandation 3 :

Que le ministre de la Sécurité publique exige la démission de Richard Fadden pour avoir déclaré, dans un contexte qu’il contrôlait parfaitement, que notamment des ministres de deux provinces ainsi que des élus municipaux de la Colombie-Britannique étaient des agents d’influence de gouvernements étrangers, semant ainsi le doute sur la probité et l’intégrité de nombre d’élus et créant un climat de suspicion et de paranoïa.

Le Comité est préoccupé par les propos de M. Fadden à l’effet qu’il ne croit pas avoir manqué à ses responsabilités en tant que directeur du SCRS et que les précisions apportées dans une de ses réponses au RCMI étaient dues à un manque d’attention de sa part. Le Comité estime que les entrevues et les déclarations publiques du directeur du Service canadien du renseignement de sécurité Richard Fadden étaient tout à fait inopportunes et indignes du poste qu’il occupe.

À la lumière de ces considérations, le Comité recommande :

Recommandation 4 :

Que le Parlement blâme le ministre de la Sécurité publique et le Premier ministre pour avoir permis au directeur du SCRS d’aller au-delà de son mandat prévu par la loi en faisant, via les médias, des déclarations spectacles irresponsables semant le doute dans l’esprit de bon nombre de citoyens sur la probité et la loyauté d’élus municipaux et de ministres provinciaux.

Recommandation 5 :

Que le directeur du SCRS respecte un devoir de réserve et ne participe à aucune tribune publique autre que celle prévue dans le cadre des activités du Parlement.

Recommandation 6 :

Que le directeur du SCRS ne devienne pas un agent d’influence à la solde de l’agenda politique et idéologique du gouvernement et qu’il se consacre plutôt à la mission du SCRS prévue par la loi.

Recommandation 7 :

Qu’à l’avenir, les personnes occupant des postes élevés, comme le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, ne soient pas autorisées à faire des déclarations publiques critiquant de manière cavalière certains groupes et que si de telles déclarations devaient se produire, le gouvernement du Canada intervienne immédiatement pour les clarifier et demander des comptes aux responsables.

5. CONCLUSION

Les allégations du directeur du SCRS ont nui à l’image de la classe politique et à celle de la communauté chinoise canadienne. Le Comité estime que M. Fadden a plongé le monde politique dans un climat de suspicion et a semé le doute sur l’intégrité des politiciens et de la communauté chinoise canadienne. Le Comité exhorte le gouvernement de réagir le plus rapidement possible aux propos de M. Fadden par la mise en œuvre immédiate de nos recommandations. Cette action est nécessaire, croyons-nous, afin de renforcer la confiance de tous les Canadiens dans ses membres élus.



[1]            La liste complète des témoins invités à comparaître se trouve à l’annexe A et la liste des mémoires à l’annexe B.

[2]            1984, Chapitre C-23.

[3]            Déclaration de Richard Fadden, au Royal Canadian Military Institute (RCMI) au mois de mars 2010, diffusée dans le cadre de l’émission « The National » le 22 juin 2010. L’entrevue peut être consultée à l’adresse suivante : http://www.cbc.ca/video/#/Shows/1221254309/ID=1528200373.

[4]             Réponse donnée par Richard Fadden à une question de la part de Peter Mansbridge dans le cadre de l’émission« The National », le 22 juin 2010,  http://www.cbc.ca/video/#/Shows/1221254309/ID=1528200373.

[5]             Commentaire de Richard Fadden fait au RCMI, diffusé dans le cadre de l’émission « Inside CSIS » avec Brian Stewart, http://www.cbc.ca/thenational/indepthanalysis/story/2010/06/21/national-insidecsis.html#ID=1530660835.

[6]              La lettre de M. Fadden se trouve à l’annexe C.

[7]              Lettre au Comité en date du 31 août 2010 de la part de Richard Fadden.

[8]              Témoignages, 5 juillet 2010.

[9]              Lettre au Comité en date du 31 août 2010 de la part de Richard Fadden.

[10]           Témoignages, 8 décembre 2010.

[11]           Témoignages, 5 juillet 2010.

[12]           Richard Fadden, Témoignages, 5 juillet 2010.

[13]           Ces questions émanent du député Don Davies et ont été tirées des Témoignages du 5 juillet 2010.