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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 036 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 7 mai 2012

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Conformément à l'article 108 (2) du Règlement et au mandat du comité, qui est d'étudier le rôle du secteur privé dans la réalisation des intérêts du Canada en matière de développement international, la séance est ouverte.
    Je souhaite d'abord la bienvenue à nos deux témoins, en commençant par Stephen Brown, professeur agrégé, École d'études politiques, Université d'Ottawa. Bienvenue devant le comité, monsieur.
    Le deuxième témoin s'appelle Khalil Shariff. Il est directeur général de la Fondation Aga Khan Canada. Bienvenue à vous, monsieur.
    Nous allons commencer avec vous, monsieur Brown. Vous avez 10 minutes pour votre déclaration liminaire. Je donnerai ensuite la parole à M. Shariff, pour sa propre déclaration liminaire, puis nous passerons à la période des questions.
    Vous pouvez commencer, monsieur Brown.
    C'est un grand plaisir pour moi de vous rencontrer tous afin de partager ma pensée et mon analyse du thème de vos audiences. Comme vous l'avez dit, je suis professeur de sciences politiques à l'Université d'Ottawa. Je suis aussi membre du MacLeod Group, un organisme d'Ottawa dont les membres souhaitent favoriser un rôle plus proactif du Canada sur la scène internationale. Ma présence devant votre comité est donc particulièrement opportune.
    J'ai fait beaucoup de recherche sur l'aide étrangère, notamment canadienne, durant ma carrière universitaire, et je viens tout juste d'achever l'édition d’un ouvrage sur l'ACDI et l'aide canadienne étrangère, qui sera publié en septembre.
    J'aimerais vous entretenir aujourd'hui de l'ACDI et du secteur privé, ainsi que du rôle du secteur privé dans le développement international. Mon opinion à ce sujet est directement reliée à mon intérêt primordial, l'aide étrangère, c’est-à-dire l'utilisation des deniers publics pour le développement, et la relation avec le secteur privé.
     Le secteur privé joue depuis longtemps un rôle important dans le domaine de l'aide étrangère, notamment parce que les entrepreneurs sont des partenaires essentiels de l'ACDI. À l'heure actuelle, par exemple, une firme d'ingénieurs de Montréal procède à la reconstruction du barrage Dahla en Afghanistan, et c'est tout à fait le genre de projet qu'il convient de confier au secteur privé plutôt qu'à une ONG. Il est donc parfaitement clair à mes yeux que le secteur privé a un rôle important à jouer dans le domaine du développement.
    Je veux toutefois parler aussi des partenariats de l'ACDI avec les sociétés minières, chose à laquelle je réagis moins positivement. Comme vous le savez tous, le ministre de la Coopération internationale a annoncé l'an dernier quatre projets concernant des partenariats avec des ONG et des sociétés minières, d'une valeur totale de 27 millions de dollars. Trois de ces projets seront réalisés par CARE, Vision mondiale et l’EUMC en partenariat avec les sociétés d'extraction multinationales du Canada que sont IAMGOLD, Barrick Gold et Rio Tinto Alcan.
    Pourquoi l'ACDI passe-t-elle des accords de partenariat avec le secteur privé? Quand la ministre les a présentés — cela se trouve sur le site Web de l'ACDI —, elle l'a fait en évoquant la responsabilité sociale d'entreprise, la RSE. Toutefois, une bonne partie de ces fonds servira à obtenir et à conserver l'agrément des collectivités affectées par l'activité minière, c'est-à-dire pour permettre aux entreprises d'ouvrir et d'exploiter leurs mines.
     À mes yeux, cela devrait faire partie des obligations des sociétés minières. Si elles veulent construire une école, une clinique ou quelque chose de ce genre pour gagner et conserver l'appui d'une collectivité, cela doit faire partie de leur plan d'investissement et ne devrait en aucun cas être financé par les deniers publics.
    Les représentants de l'industrie minière défendent ces partenariats en disant qu'ils sont essentiels pour assurer la compétitivité des sociétés canadiennes, ce qui me force à conclure qu'il s'agit d'une forme de subventionnement indirect si elles disent qu'elles ne peuvent pas être compétitives sans ce genre de soutien.
    La ministre Oda a cependant répondu en disant lors d'une entrevue avec le journal Ottawa Citizen, en janvier, que « les deniers publics ne sont en aucun cas utilisés pour accroître la rentabilité (de ces sociétés) ».
    Quand je réfléchis au sens de ces partenariats, je ne les condamne pas de but en blanc. Les sociétés minières reconnaissent qu'elles manquent d'un certain savoir-faire et disent avoir besoin de l'ACDI pour faciliter les partenariats avec les ONG. Toutefois, elles peuvent fort bien établir elles-mêmes des partenariats avec des ONG si elles veulent, elles n'ont pas besoin de l'ACDI pour ce faire. Elles ont parfaitement le droit d'établir n'importe quelle forme de relations avec une organisation non gouvernementale, ou même une organisation privée.
    Ce que font les sociétés privées quand elles n'ont pas un certain savoir-faire, c'est qu'elles le cherchent à l'extérieur. Elles peuvent recruter des consultants, elles peuvent recruter un petit cabinet, elles peuvent sous-traiter avec quelqu'un d'autre, elles peuvent aussi engager du personnel. Elles n'ont pas besoin que l'ACDI le fasse pour elles.
    En réponse à ces critiques, l'Association minière du Canada et la Devonshire Initiative ont trouvé de nouveaux arguments pour justifier l'intervention de l'ACDI et sa nécessité au titre de la RSE. L'un de ces arguments est qu'elles ont besoin de l'ACDI pour assurer la reddition de comptes. Je dois dire que cela ne m'a pas convaincu du tout car c'est cette même industrie qui s'est opposée en mars au projet de loi C-300, la Loi sur la responsabilisation des sociétés à l'égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement. Donc, soutenir que les entreprises ont besoin de l'ACDI pour veiller à ce qu'elles restent honnêtes n'est pas un argument recevable.
(1535)
    Dans une entrevue du mois dernier, la ministre Oda a déclaré ceci: « Il n'y a rien de mal avec le secteur privé, surtout avec notre secteur privé canadien. Ce sont des gens responsables. Ce sont des gens bien. » Elle a dit cela en réponse à certaines critiques formulées au sujet des partenariats de l'ACDI avec des ONG et des sociétés minières canadiennes.
    Bon nombre de sociétés minières ont un comportement socialement responsable exemplaire, mais de telles affirmations ne sont pas difficiles à réfuter. Par exemple, elles ont été faites au moment même où éclatait le scandale de SNC-Lavalin, qui continue d'ailleurs son déploiement. Le PDG et d'autres cadres supérieurs ont démissionné par suite d'accusations de corruption. La GRC fait enquête et a perquisitionné au siège social de l'entreprise.
    Je ne veux pas dire ici que toutes les entreprises sont diaboliques, car ce n'est certainement pas ce que je pense, mais je ne crois pas non plus qu'il soit utile de prétendre qu'elles sont toutes irréprochables et responsables.
    On trouve d'ailleurs dans un rapport récent de l'organisation RepRisk intitulé Most Controversial Mining Companies of 2011, une liste des 10 entreprises ayant la réputation la plus controversée au monde, avec la recommandation de ne traiter avec elles qu'avec la plus grande prudence. Or, il y a dans cette liste deux des trois avec lesquelles l'ACDI a choisi de collaborer: Barrick Gold et Rio Tinto.
     L'une des questions qu'il est très important de poser est donc de savoir s'il s'agit là des bons partenaires pour l'ACDI. L'Agence soutient que ces partenariats rehausseront l'efficacité de l'aide, mais je n'ai encore vu aucun argument convaincant à cet effet. Les projets eux-mêmes n'ont pas été approuvés au moyen du processus de concurrence habituel auxquels sont assujettis les autres projets d'ONG, et très peu d'informations ont été divulguées sur le contenu des ententes. En qualité de députés, vous pouvez certainement obtenir ces informations beaucoup plus facilement que moi mais, jusqu'à présent, même après le dépôt d'une demande d'accès à l'information, je n'ai pas encore réussi à obtenir le texte même des ententes.
     L'un des arguments avancés par l'ACDI est aussi que son rôle a un effet de levier pour attirer des fonds supplémentaires, ce qui en fait une bonne utilisation de son argent. La question que je pose est celle-ci: Pourquoi ne solliciter d'argent qu'auprès de sociétés canadiennes? S'il s'agit simplement d'attirer plus d'argent, et non pas d’aider ces entreprises à être plus compétitives, pourquoi ne pas solliciter aussi de l'argent auprès d'entreprises chinoises, ou donner de l'argent à des entreprises chinoises pour qu'elles agissent en partenariat avec des ONG?
    Qu'est-ce que ces entreprises apportent au processus, à part de l'argent? Dans certains cas, les fonds qu'elles engagent ne représentent qu'une très petite proportion du total. Par exemple, pour le projet du Burkina Faso, IAMGOLD fournit 1 million de dollars, alors que l'ACDI en fournit 5,7 millions. C’est l'ACDI qui fournit la part du lion.
    À mon avis, cela montre que ce sont les entreprises qui mènent la barque. Leur contribution n'est qu'une petite partie de la dépense totale de l'ACDI, je suis le premier à en convenir. Toutefois, si on prétend qu'il s'agit là des partenariats du futur, approuver ce genre de projets à la va-vite simplement parce que les entreprises y contribuent une somme minime pervertit le principe même de l'efficacité de l'aide et d'un gouvernement fixant lui-même les objectifs de son programme d'aide.
    Cela risque aussi d'aller à l'encontre de la définition même de l'aide publique au développement qui, selon la définition de l'OCDE à laquelle souscrit le Canada et qui fait partie de la loi, la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle, doit servir avant tout à appuyer le développement économique et social des pays en développement. Cela semble exclure la prestation d'un appui à des sociétés privées canadiennes. Cela risque aussi de contrevenir aux dispositions de la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle. Si les sociétés minières canadiennes oeuvrant avec l'ACDI sont coupables de transgression des droits humains, comme elles en ont souvent été accusées, cela serait une infraction directe à cette loi.
(1540)
    En conclusion, le Canada devrait faire preuve d'une extrême prudence avant d'établir des partenariats avec l'industrie minière pour des activités de développement. Cela pose un certain nombre de questions d'ordre éthique et risque de nuire à notre réputation internationale. La ministre Oda admet qu'elle ne fait aucune différence entre les objectifs commerciaux canadiens et le développement économique, ce qui me semble poser un grave problème de la part de la ministre responsable d'une agence de développement international. L'aide étrangère devrait servir avant tout à lutter contre la pauvreté et l'inégalité à l'étranger, quels que soient les intérêts commerciaux ou corporatifs canadiens. C'est ce que dit la loi.
     Si le gouvernement souhaite appuyer les entreprises canadiennes à l'étranger, il a beaucoup d'autres moyens de le faire, comme Exportation et Développement Canada. Il n'a pas besoin d'utiliser l'aide étrangère pour cela.
    Merci de votre attention.
    Merci.
    Je donne maintenant la parole à M. Shariff.
    Merci, monsieur le président, membres du comité. C'est un honneur pour moi de m'adresser à vous pour partager l'expérience du Réseau Aga Khan de développement concernant le rôle du secteur privé à l'égard des objectifs du développement international.
    Je tiens d'abord à féliciter le comité de se pencher sur cette question, aussi importante que difficile. Je pense que les témoignages que vous avez déjà recueillis montrent qu'il y a aujourd'hui un très fort consensus sur le rôle crucial que joue la croissance économique dans la réduction de la pauvreté et, bien sûr, le rôle central que joue un secteur privé dynamique dans la croissance économique. Vous avez cependant pu constater aussi, à juste titre me semble-t-il, que toutes les formes de croissance économique ne sont pas les mêmes et ne débouchent pas nécessairement sur la réduction de la pauvreté.
    Votre étude nous permet donc d'examiner les différents aspects de la question de façon à déterminer exactement comment le secteur privé peut favoriser la croissance, laquelle favorisera à son tour les importants objectifs de développement de toute la gamme des acteurs du secteur privé englobant aussi bien de grosses multinationales que des PME, des banques commerciales et des compagnies d'assurances que des organismes de microcrédit touchant les villages les plus reculés, des entreprises employant des milliers de travailleurs que des petits agriculteurs entreprenants.
    Permettez-moi de dire d'abord quelques mots de nos institutions et de notre expérience.
    Le Réseau Aga Khan de développement, ou AKDN en anglais, est un ensemble d'agences de développement non gouvernementales mises sur pied par Son Altesse l'Aga Khan avec des mandats touchant des domaines tels que la santé, tout le secteur de l'éducation, du jardin d'enfants à l'enseignement supérieur, le microcrédit, le développement rural, la culture et la promotion de l'entreprise privée.
     Au Canada, la Fondation Aga Khan Canada est une agence de bienfaisance à but non lucratif pour le développement international qui oeuvre depuis plus de trois décennies avec des institutions et citoyens canadiens, dont l'ACDI, pour soutenir des initiatives à impact élevé en Afrique et en Asie dans le but d'améliorer durablement la qualité de vie de collectivités pauvres et marginalisées. Nous avons aussi contribué au Canada à l'établissement du Centre mondial du pluralisme, à Ottawa, ainsi qu'au Musée Aga Khan, à Toronto.
    Nous avons préparé un mémoire détaillé sur ce que nous faisons et je vais donc limiter mon exposé à la présentation de certains des éléments dominants, étant bien entendu que nous pourrons aller dans les détails durant la période des questions.
    Avant d'aborder les leçons précises que nous avons tirées au sujet du rôle du secteur privé dans le développement, j'aimerais faire une remarque d'ordre général qui est la conclusion que nous retenons de nos nombreuses décennies d'action en Afrique et en Asie. Cette conclusion est qu'il n'y a pas de baguette magique en matière de développement, et qu'il faut adopter une démarche polyvalente en essayant de lancer des initiatives et des interventions touchant simultanément les sphères sociales, économiques et culturelles. Nous pensons que c’est la méthode la plus prometteuse pour contribuer à un changement durable.
    L'action que nous menons dans le secteur privé, dont je vais vous parler aujourd'hui, n'est que l'un des aspects d'une activité qui englobe aussi un engagement substantiel dans les domaines à but non lucratif de la santé, de l'éducation, du microcrédit, etc., comme je l'ai dit.
    J'aimerais me concentrer aujourd'hui sur une agence de l'AKDN qui est particulièrement axée sur cette question, le Fonds Aga Khan pour le développement économique, ou AKFED, qui a la distinction d'être la seule institution à but lucratif du réseau, tout en se consacrant également au développement international. Ce fonds a pour mission de promouvoir l'entreprenariat en favorisant la création d'entreprises viables dans le monde en développement, notamment dans les régions fragiles ou complexes qui manquent d'investissement étranger direct.
    L'AKFED réinvestit ses profits dans d'autres activités de développement. Elle participe à plus de 90 sociétés de projets employant directement plus de 30 000 personnes et ayant un impact considérablement plus élevé sur l'emploi en aval. Elle a enregistré en 2010 un chiffre d'affaires de plus de 2 milliards de dollars couvrant un large éventail de secteurs faisant partie intégrante des économies en développement de l'Afrique et de l'Asie, comme la transformation alimentaire, les infrastructures, les services financiers, le tourisme, l'aviation, les télécommunications et la fabrication.
    L'expérience de l'AKFED pendant le dernier demi-siècle nous permet d'énoncer quelques principes importants pour maximiser l'impact du secteur privé sur le monde en développement, et je voudrais en aborder trois devant vous.
    La première leçon est que les acteurs du secteur privé doivent s'efforcer de maximiser les effets multiplicateurs de leurs investissements. La croissance est stimulée quand les investissements, publics ou privés, ont un effet multiplicateur. Les économies sont interdépendantes, ce qui signifie que la croissance d'un secteur donné dépend de l'accès à certains services ou produits venant d'autres secteurs. Cela veut dire aussi que certains investissements de grande échelle dans des secteurs-clés tels que la production d'électricité, les télécommunications et les grandes infrastructures peuvent aider les entreprises de nombreux secteurs à s'épanouir et à créer de nouvelles opportunités économiques. Il se trouve aussi, bien sûr, que certains des investissements dans ces grandes infrastructures sont aussi essentiels à la prestation des services publics et sociaux.
(1545)
    Permettez-moi de vous donner un exemple. En 2003, l'AKFED a créé une société de téléphonie mobile en Afghanistan, appelée Roshan. Il s'agissait d'un investissement destiné à déclencher la relance de l'économie afghane. Aujourd'hui, Roshan a près de 4 millions d'abonnés, la plupart dans des régions rurales isolées, emploie directement plus de 1 000 personnes, et contribue à plus de 30 000 emplois indirects par des activités telles que la vente d'abonnements. L'infrastructure d'un solide réseau national de téléphonie mobile a aussi permis à Roshan d'essayer de maximiser son effet multiplicateur dans l'économie. Par exemple, Roshan fournit aujourd'hui des services mobiles de transfert d'argent, ce qui lui permet d'offrir des services financiers aux 97 p. 100 d’Afghans qui n'ont pas accès aux banques. Nous utilisons aussi Roshan aujourd'hui dans le secteur à but non lucratif pour appuyer la télémédecine, ce qui permet aux Afghans de tirer parti des services médicaux de l'ensemble de leur pays, et même du monde entier. Un autre indicateur de l'effet multiplicateur de Roshan est que c'est actuellement l'un des plus gros contribuables du pays, fournissant à peu près 5 p. 100 de toutes les recettes fiscales du gouvernement.
    La première leçon est donc de maximiser les effets multiplicateurs.
    Le deuxième principe est que le secteur privé doit chercher à promouvoir de nouveaux modèles d'affaires conjuguant de manière novatrice des objectifs durables de commerce et de développement. Une bonne compréhension de toute la chaîne de valeur d'un secteur ciblé, comme le tourisme ou l'agroalimentaire, révélera de nombreuses opportunités pouvant être créées pour avoir un impact de développement local. Je vous donne à nouveau un exemple. Le service de promotion touristique de l'AKFED possède et gère une série d'hôtels de haut de gamme sous l'enseigne Serena dont la politique explicite est de minimiser les impacts environnementaux tout en maximisant les retombées socio-économiques régionales. Chaque hôtel s'efforce d'agir avec la collectivité locale de nombreuses manières différentes, par exemple en investissant massivement dans la formation professionnelle de résidents locaux en vue de leur offrir de l'emploi, en relançant l'artisanat local, en s'approvisionnant auprès des fournisseurs locaux de biens et de services, et en collaborant avec la collectivité pour recycler les déchets.
     La deuxième leçon est donc de chercher des modèles d'affaires conjuguant des rendements économiques durables à la stimulation d'un développement durable.
    Un dernier principe que je veux mentionner aujourd'hui est que le secteur privé doit chercher à cibler les secteurs marginalisés de la population de façon à amplifier l'impact de développement. Bon nombre de groupes marginalisés, comme les très pauvres, les femmes, les jeunes illettrés ou sous-éduqués, et les populations rurales et isolées, sont souvent exclus des activités du secteur privé parce que les obstacles à la stimulation de la croissance économique pour ces populations sont souvent mal compris ou mal pris en compte. Conjuguer l'énergie entreprenariale au souci de développement peut engendrer des gains réels. Je n'en donne pour exemple que Frigoken, une société de l'AKFED qui a délibérément cherché à créer un modèle d'affaires durable axé sur la production de revenus pour les petits agriculteurs au Kenya en identifiant et en réagissant aux principaux obstacles qu'ils rencontrent pour commercialiser leur production excédentaire. Dans cet exemple, Frigoken fournit toute une gamme de services aux producteurs kenyans de haricots verts: garanties de prix, semences, contrôle de la qualité, transformation, transport et marketing. Aujourd'hui, Frigoken est le plus gros exportateur de haricots verts transformés du Kenya, dont la plupart sont vendus sur les marchés européens. Ainsi, la société ne fournit pas seulement de l'emploi direct à 2 700 personnes, dont la plupart sont des femmes, elle soutient aussi plus de 45 000 petits agriculteurs du Kenya.
    Favoriser la maximisation des effets multiplicateurs, créer des modèles d'affaires novateurs conjuguant des objectifs de développement et des objectifs commerciaux, et chercher à cibler les populations marginalisées, avec la bonne combinaison d'énergie entreprenariale et de solide souci du développement sont les principes qui assurent à la fois des profits durables et un développement économique réel.
    Ces principes peuvent d'ailleurs être utiles au secteur privé du Canada, et j'ai pensé qu'il serait peut-être utile de vous communiquer certaines de nos premières réflexions à ce sujet.
    Premièrement, bien sûr, les entreprises canadiennes ont des possibilités d'investissement direct dans les opportunités commerciales du monde en développement, surtout si elles sont structurées selon les principes que je viens d'exposer.
(1550)
    Deuxièmement, il y a des possibilités de transfert des connaissances. Après tout, le secteur privé canadien est un chef de file dans un certain nombre de domaines qui sont des moteurs essentiels pour l'avenir du monde en développement: l'agriculture et la pêche, les services financiers, le commerce international, l'aviation, ainsi que la gestion durable des ressources naturelles, comprenant les mines, le pétrole et le gaz naturel, la foresterie et l'hydroélectricité. Il existe beaucoup de capacités dans le secteur privé canadien, comprenant des méthodes de gestion, des connaissances et de la technologie, que nous considérons peut-être ici comme des formes standard de pratique compétente mais qui n'existent tout simplement pas dans le monde en développement.
    Troisièmement, il y a les contributions financières. Par le truchement de la responsabilité sociale d'entreprise et des budgets de philanthropie, le secteur privé canadien est depuis longtemps un acteur essentiel de la société civile canadienne, appuyant des efforts importants dans toute une gamme d'activités sociales et culturelles. À mesure que les entreprises canadiennes deviennent plus intégrées mondialement, leur philanthropie aura l'occasion d'apporter une contribution réfléchie à la société civile d'autres régions du monde, et il convient de les y encourager.
     La dernière leçon est que nous pourrions tous prendre une part plus active à l'analyse et à l'expérimentation mondiales de cette problématique. Des expériences innombrables sont en cours dans de nombreuses régions du monde: nouveaux mécanismes de financement pour stimuler ce genre d'entreprises, nouveaux modèles d'affaires, et partenariats publics-privés intéressants. Lancer nous-mêmes des expériences de cette nature et tirer rigoureusement les leçons des expériences des autres pourrait stimuler puissamment les efforts canadiens.
     Avant de terminer, je voudrais vous adresser, à vous-mêmes et à vos collègues, l'invitation de venir visiter certaines de ces initiatives dans le monde en développement. Ce serait un honneur pour nous de pouvoir partager avec vous l'expérience des gens sur le terrain qui gèrent ces efforts et qui en bénéficient, par le travail du Fonds Aga Khan de développement économique et par certaines autres activités à but non lucratif qui sont importantes à nos yeux.
    Je vous remercie à nouveau de m'avoir donné l'occasion de partager avec vous le fruit de notre expérience, et j'attendrai avec grand intérêt les résultats de votre étude.
    Merci, monsieur le président.
    Merci.
    Nous commençons avec l'opposition, pour le premier tour.
    Monsieur Saganash, vous avez sept minutes.
(1555)
    Merci, monsieur le président.
    Je veux d'abord remercier nos deux témoins de leur contribution au comité.
    Je m'adresse au professeur Brown. Nous savons que vous avez beaucoup publié sur l'ACDI et avez vigoureusement critiqué le gouvernement et le ministère pour la manière dont ils dépensent l'argent de l'Agence. En janvier, vous avez été largement cité dans l'article d'Elisabeth Payne du Ottawa Citizen. Selon cet article, vous disiez que l'utilisation des budgets d'aide pour appuyer les intérêts miniers canadiens à l'étranger représentait un effort pour « contrer les effets négatifs de leur extraction des ressources ».
    Cette démarche préoccupe notre parti. Je crois que les Canadiens sont également très préoccupés par cette nouvelle orientation. Nous semblons nous associer à des multinationales à but lucratif et à des ONG à but non lucratif pour promouvoir des projets qui semblent contribuer plus à la promotion de sociétés minières dites propres qu'à la réduction de la pauvreté, ce qui est le mandat de l'ACDI.
    Pourriez-vous préciser votre pensée? Vos commentaires à ce sujet seraient très utiles au comité.
    Merci de la question.
     Il ne fait aucun doute que l'extraction minière peut engendrer des revenus pouvant être bien utilisés par un pays en développement. C'est ce que proclame l'ACDI, et aussi le premier ministre, en laissant entendre qu'il est sage de se fier à l'extraction des ressources comme modèle de développement. Lors du tout récent Sommet des Amériques, le premier ministre a présenté le Canada comme grand exemple de ce phénomène.
     Nous savons cependant aussi que l'extraction des ressources peut causer beaucoup de destruction. Au Canada, nous avons des lois, même si elles sont imparfaites, qui nous prémunissent dans une certaine mesure, ce qui n'est pas le cas de beaucoup de pays en développement. Nous savons aussi que beaucoup de dommages sont associés au développement fondé sur l'extraction des ressources. Je n'en donne pour exemples que la corruption, les conflits, le VIH-sida, la toxicomanie, l'alcoolisme, les conflits à l'intérieur des collectivités, et la liste continue. Nous avons d'ailleurs constaté la même chose au Canada dans bon nombre de collectivités autochtones.
    Ce dont nous avons besoin, c'est d'une meilleure compréhension des deux aspects de l'extraction des ressources comme stratégie de développement, et de méthodes efficaces pour minimiser les dommages tout en maximisant les bienfaits. Une manière de maximiser les bienfaits pourrait être d'améliorer la réglementation dans le pays en développement de façon à réglementer les sociétés minières étrangères autant que nationales. L'ACDI y a participé dans le passé, par exemple en Colombie. Toutefois, les nouveaux règlements étaient alors extrêmement favorables à l'industrie minière, notamment canadienne. De fait, le taux des redevances versées au gouvernement local avait baissé. On a aussi entendu de nombreuses critiques sur la collusion de l'ACDI avec des sociétés minières canadiennes à l'encontre des intérêts de la population des pays en développement.
    On avance aussi souvent cet argument facile qu'accroître les revenus permet de lutter contre la pauvreté, ce qui n'est souvent pas le cas. J'ai mentionné la corruption comme effet secondaire possible. Le simple fait qu'un gouvernement engrange plus de recettes ne signifie pas qu'il s'en servira pour atténuer la pauvreté, et tout argument en ce sens procède d'une logique assez bizarre.
    L'une des questions que vous avez soulevées dans votre exposé est le financement de quatre projets, pour un total de près de 27 millions de dollars, je crois, qui, selon le ministère — et je le cite — « aideront les pays en développement en Afrique et en Amérique du Sud à gérer leurs ressources naturelles de façon à générer des effets positifs durables à long terme pour la population ». Il se trouve, comme vous l'avez dit, que l'ACDI viendra en aide à des entreprises canadiennes comme Rio Tinto Alcan, IAMGOLD et Barrick Gold. Bon nombre de ces entreprises que nous trouvons en Amérique du Sud ou en Afrique oeuvrent également dans ma circonscription. On peut légitimement se demander ce qui les pousse à bien se comporter dans notre pays tout en faisant le contraire ailleurs.
    Selon la presse, vous auriez déclaré que cet appui consenti à des sociétés éminemment rentables est « scandaleux ». Je dois dire que je partage votre point de vue. Puisque nous parlons du rôle du secteur privé pour contribuer aux intérêts du Canada en matière de développement international, est-ce dans cette voie que notre pays devrait s'engager?
(1600)
    J'ai la ferme conviction que ce n'est pas la bonne voie. J'ai d'ailleurs écouté avec beaucoup d'intérêt ce que disait mon collègue, M. Shariff. À moins que je ne me trompe, rien de ce qu'il a dit n'exige le recours aux deniers publics. Je souligne également que le soutien dont il a parlé était un soutien aux entreprises locales, notamment aux jeunes pousses. Les débats concernant les partenariats publics-privés et le rôle du secteur privé ont souvent tendance à confondre les jeunes entreprises locales et les grandes multinationales canadiennes, alors qu'il y a là une très importante distinction à faire.
    Je persiste à dire qu'il est scandaleux que de si grandes entreprises reçoivent des millions de dollars de l'ACDI pour entreprendre des activités qu'elles pourraient fort bien financer elles-mêmes. Barrick Gold fait des profits incroyables et n'a pas besoin de l'argent de l'ACDI pour faire du reboisement en Amérique du Sud.
    Merci, monsieur Brown.
     Nous passons maintenant au parti gouvernemental.
     Madame Brown, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
     Merci beaucoup de votre présence, messieurs. Votre contribution à notre étude nous est vraiment très utile.
    Monsieur Brown, j'ai eu l'occasion de lire votre communication intitulée « CIDA Under the Gun », que vous avez présentée à la conférence annuelle de juin 2008 de l'Association canadienne de science politique. J'aimerais discuter avec vous de certaines des remarques que vous y avez faites.
    Tout d'abord, je pense que personne ici ne contesterait votre affirmation qu'il faut mettre en oeuvre des processus de réglementation dans les pays. Je sais, d'après mes nombreuses visites en Afrique, que c'est ce que nous faisons. Nous aidons ces pays à développer leurs capacités. Il ne nous appartient pas de leur dire comment faire. Notre rôle est d'oeuvrer avec les gouvernements et de veiller à ce qu'ils aident à instaurer leurs propres processus et leurs propres plans. Le Canada est cependant très impliqué dans un processus de consultation avec beaucoup de ces pays.
    Êtes-vous déjà allé au Burkina Faso?
    Non.
    Êtes-vous déjà allé au Botswana?
    Non.
    Vous n'avez donc pas vu les projets que réalise l’EUMC là-bas?
    M. Stephen Brown: Non.
    Mme Lois Brown: Dans ces deux pays, que j'ai visités, l’EUMC est on ne peut plus ravie de ce que fait le Canada pour forger ce genre de partenariats.
    Au Burkina Faso, j'ai eu l'occasion de visiter la mine d’Essakane que construit IAMGOLD. Elle y a fait un travail phénoménal sans aucun deniers publics. Ce qu'elle fait là-bas est phénoménal. Les gens sont très heureux que leurs enfants aient maintenant la possibilité d'aller à l'école. Il y a aussi une clinique médicale adéquate, avec du personnel médical ayant reçu une formation professionnelle en services de santé. Il y a donc des choses extraordinaires qui se font dans ces pays.
     Quand je vois ça, je me dis qu'il est bien que le Canada veuille être un partenaire pour faire ces choses. Ça ne veut pas dire que toute l'aide que nous dispensons est détournée au profit de l'industrie minière, mais simplement que nous avons établi un partenariat pour faire une chose parmi une multitude d'autres choses que nous faisons pour assurer la croissance et le développement de l'économie.
    Ce que nous savons, c'est que nous — pas le Canada seul mais la société occidentale — avons mis 1,23 billion de dollars en Afrique au cours des 60 dernières années et que ça n'a pas porté ses fruits, dans bien des cas. Il est temps de faire autre chose.
    Notre objectif est d'engendrer une croissance économique durable dans les pays en développement, ce qui est la clé de la lutte contre la pauvreté. Nous voulons agir pour dispenser de l'éducation et, ce qui est très important, de la formation professionnelle pour de l'emploi.
    Prenons l'exemple du Pérou où il y a un projet de Barrick Gold avec Vision mondiale. Nous donnons à des familles la possibilité d'obtenir un nouveau revenu d'emploi et d'améliorer réellement leur propre revenu familial. Évidemment, renforcer la capacité du gouvernement à aider en mettant ces règlements en place est une chose très importante.
    Je veux faire un dernier commentaire au sujet de votre communication, où vous parlez de lier l'aide du Canada. Le Canada a délié toute son aide à l'Afrique. Nous avons doublé notre aide à l'Afrique. Nous avons délié notre aide. Nous ne mettons pas notre argent dans ce que vous appelez ici des pays à revenu intermédiaire dans notre propre intérêt commercial. Nous envoyons de l'argent en Afghanistan, en Haïti, en Zambie, en Indonésie, au Vietnam, en RDC, en Tanzanie. Ce ne sont pas là des pays à revenu intermédiaire. Le Canada se concentre avant tout sur des pays où il peut contribuer à développer les capacités locales, des pays qui ont besoin d'argent, et des pays où nous pouvons faire une différence.
     Je m'adresse maintenant à M. Shariff.
    Vous avez mentionné trois choses concernant le ciblage des secteurs marginalisés de la population: l'investissement direct, le transfert de connaissances, et les contributions financières.
    J'aimerais que vous me disiez si, selon vous, cet investissement direct pourrait provenir aussi en partie de la diaspora, en partenariat avec l'ACDI. Chaque pays étranger a une partie de sa population qui vit au Canada, et ce sont des gens qui sont très préoccupés par l'avenir de leur pays d'origine et qui aimeraient lui venir en aide. Y a-t-il quelque chose qui pourrait se faire à ce sujet avec les contributions financières?
    Pour ce qui est du transfert des connaissances, j'en ai déjà parlé ici. Mon beau-fils vient du Ghana. C'est un jeune homme brillant. Il vient juste d'obtenir son doctorat en génie électrique. Comment pouvons-nous aider ce transfert de connaissances vers les pays d'origine?
    J'ai beaucoup parlé et je ne vous ai pas laissé beaucoup de temps pour répondre. Veuillez m'en excuser.
(1605)
    Vous avez une minute et demie à vous partager, messieurs.
    Allez y, monsieur Shariff.
    Merci, monsieur le président.
     Je pense que la question de la diaspora comme instrument de développement national est importante. Je crois que vous avez raison de dire que c'est un atout auquel nous devrions réfléchir attentivement, à cause de la démographie particulière du Canada.
    L'une des grandes opportunités qui s'offrent à nous est de trouver le moyen d'aider les membres de la diaspora qui ont fait des études et qui ont acquis certaines compétences dans notre pays à retourner dans leur pays d'origine pour y exercer des fonctions de leadership dans des institutions publiques ou privées, et créer en quelque sorte des passerelles humaines entre les deux pays.
    Je crois que nous devrions aider les gens à considérer qu'ils n'ont pas à faire un choix entre être Canadiens et retourner au Ghana pendant une partie de leur vie. Nous cherchons le moyen, dans les professions de la santé par exemple, de faire en sorte que les gens n'aient pas le sentiment d'abandonner leur profession au Canada s'ils retournent pendant une certaine période dans leur pays d'origine pour l'y exercer.
    Que pourrions-nous faire avec les universités, par exemple, pour veiller à ce que des crédits professionnels adéquats soient accordés quand la personne retourne dans son pays d'origine pour contribuer à son développement, de façon à ne pas avoir le sentiment de sacrifier sa carrière professionnelle au Canada? C'est un terrible dilemme pour les personnes concernées.
    Monsieur le président, je dirais simplement que l'atout que nous possédons au Canada pour contribuer au potentiel de ressources humaines du monde en développement par le truchement de la diaspora est très, très important. Je pense que nous devrions commencer à expérimenter le plus largement possible pour voir ce qui pourrait marcher.
    Merci.
    Monsieur Brown, nous allons vous donner la parole au tour suivant. C'est tout le temps que nous avions.
    C'est maintenant au tour de M. Eyking.
    Vous avez sept minutes, monsieur.
    Merci, monsieur le président.
     Il est vraiment dommage que M. Brown n'ait pas eu le temps de répondre.
    Vous avez mis le gouvernement sens dessus dessous, monsieur Brown. Nous verrons bien comment il réagira.
    Je pense qu'il ne fait aucun doute que l'ACDI fait du bon travail, et que les entreprises font aussi du bon travail, comme vous l'avez dit. Je me souviens d'avoir vu ce que fait Nexen, de l'Alberta au Yémen. Il n'y avait pas d'argent public. Il y avait simplement de bonnes sociétés bienveillantes avec de bons actionnaires qui voulaient faire de bonnes choses.
    Le problème dont nous sommes saisis aujourd'hui est celui des sociétés minières, et le fait qu'on donne de l'argent public à des entreprises pour distribuer de l'aide. C'est une pente très glissante. Si l'on commence avec une entreprise, que diront les autres? J'ai un peu l'impression que nous renonçons à notre responsabilité en laissant ces entreprises faire ça.
    On ne voit pas cela dans les pays scandinaves ou les pays européens. Même les États-Unis et le Japon n'utilisent pas leurs sociétés minières, pétrolières ou autres pour dispenser leur aide au développement. Nous avons vu ce qui est arrivé avec SNC-Lavalin.
     Monsieur Brown, vous avez dit que les règles d'engagement sont très différentes dans ces pays.
    On se demande même pourquoi une entreprise voudrait s'embarquer là-dedans, parce que c'est mettre la main dans un nid de guêpes. Comme cela les oblige à rendre des comptes non seulement à leurs actionnaires mais aussi à la population canadienne, on peut se demander si ça vaut vraiment la peine pour elles de participer à des projets d'aide.
     J'aimerais que vous me parliez un peu plus de ce que ne font pas les autres pays, et de la raison pour laquelle ils ne le font pas, ainsi que des problèmes auxquels nous nous exposons si nous continuons de plus en plus à faire transiter l'aide par ces sociétés minières.
(1610)
    Je ne peux pas vraiment parler de ce que font ou ne font pas les autres pays, mais je peux vous dire ce qui arrivera au Canada si nous continuons à faire ce que nous faisons.
    Comme je l'ai dit, nous exposons notre réputation à un risque énorme. Ces entreprises ont été accusées de toutes sortes d'abus environnementaux et d'infractions aux droits humains. Tout ça a été documenté, récemment encore dans le Globe and Mail, mais ailleurs aussi.
    En devenant les partenaires… Il y a un risque pour la réputation des ONG mais aussi pour celle du gouvernement du Canada, car c'est un signe d'approbation. C'est l'approbation non seulement de ce que ces entreprises font pour former des gens au Botswana, au Burkina Faso et ailleurs, mais aussi de tout ce qu'elles font d'autre.
    Le Canada est actuellement perçu comme un pays impérialiste. Je suis sûr que la plupart des Canadiens seraient surpris d'apprendre que nous sommes considérés comme un pays impérialiste dans le monde en développement, mais, étant donné la manière dont les ambassades canadiennes et l'ACDI poussent les intérêts des sociétés minières privées, et la manière dont ces sociétés minières agissent souvent à l'encontre des intérêts des collectivités locales ou de nombreux membres des collectivités locales, il est vrai que…
    À ce sujet, monsieur Brown, j'ai presque l'impression que nous nous écartons de la plupart des pays du G20 pour nous rapprocher un peu d'un modèle chinois. Nous allons là-bas pour mesurer le bénéfice commercial et c'est comme ça que nous distribuons notre aide.
     Est-ce bien ça?
    En fait, l'Association minière du Canada a déclaré que c'est ce que nous devons faire pour être compétitifs.
    La conséquence est exactement ce que vous venez de dire, je crois. Les autres pays associent l'aide à l'investissement de manières que nous ne pensons pas bonnes. Nous avons signé des ententes disant que ce n'est pas bien. La définition de l’APD — dans notre propre législation — est que l'aide sert à promouvoir le développement dans les pays en développement. Nous avons reproché à d'autres pays de faire ça. C'est une pente glissante sur laquelle nous sommes maintenant engagés, comme vous venez de le dire.
    Monsieur Shariff, nous avions l'autre jour un témoin qui nous a parlé de l'excellent travail que vous faites en agriculture au Soudan, par exemple pour la culture du maïs. Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur ce projet au Kenya — juste quelques chiffres et comment c'est arrivé. J'ai l'impression que c'est un exemple tout à fait remarquable de la manière dont les sociétés privées aident une région par l'investissement et l'expertise.
    Merci, monsieur le président.
    On voit apparaître aujourd'hui une série d'innovations dans la manière dont de petits agriculteurs peuvent se regrouper pour rehausser la qualité de leur production excédentaire. Au départ, la plupart de ces petits agriculteurs produisent juste ce dont ils ont besoin pour nourrir leur famille. Ensuite, s'ils dépassent ce seuil, la question qui se pose est de savoir quoi faire de l'excédent. Y a-t-il moyen pour eux d'extraire le maximum de valeur de leur production excédentaire? C'est ce que leur offre le projet que j'ai mentionné, Frigoken, pour les haricots verts.
    Ça s'appelle Frigoken?
    Oui, Frigoken. C'est le plus gros vendeur de haricots verts transformés du Kenya en Europe. La clé du succès a consisté à regrouper des dizaines de milliers de petits agriculteurs et à investir dans leurs capacités.
    Ont-ils un système de commercialisation, là-bas?
    C'est exactement ça.
    Ils ont un système de prix qui les aide à avoir la stabilité des prix, comme un office de commercialisation? Ont-ils dû construire des installations d'entreposage?
    Ce n'est pas vraiment un office de commercialisation. Ce que c'est plutôt, c'est une entreprise qui dit aux agriculteurs: « Nous allons vous donner du microcrédit pour vous permettre d'accroître votre capacité de production et améliorer la qualité de votre production. Vous ne pourrez pas exporter en Europe si vous n'avez pas une production de grande qualité. Nous allons investir dans votre capacité pour améliorer la qualité de votre production. Nous allons vous aider à transporter vos marchandises sur le marché. Nous allons vous donner une garantie de prix avec une certaine bonification si les prix augmentent, mais nous vous donnerons toujours un prix plancher… »
(1615)
    Une base.
    «… qui vous permettra de planifier pour l'avenir ».
    Ensuite, Frigoken investit dans une usine de transformation centrale. Elle rassemble toute la production puis en assure la transformation conformément aux critères que lui communiquent ses spécialistes du marketing pour pouvoir vendre en Europe. De cette manière, les agriculteurs ont la possibilité d'obtenir des prix européens pour leurs marchandises, ce qu’ils ne pourraient pas obtenir autrement.
    Il y a beaucoup d'autres exemples. Ainsi, on a appliqué la même politique avec succès à la production de miel en Afrique de l'Est.
    C'est ça le principe: regrouper des milliers de petits agriculteurs pour leur permettre de produire un excédent de grande qualité, et leur fournir ensuite le soutien nécessaire en marketing et en transport pour exporter leur production.
    Merci beaucoup.
    Je suppose que c'est tout pour moi, monsieur le président? Merci.
    Merci.
    Nous entamons maintenant le deuxième tour. Je crois que nous aurons assez de temps pour un tour complet.
    C'est M. Williamson qui commence, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai besoin d'un bref éclaircissement, monsieur Shariff. M. Brown a déclaré que votre société de portefeuille est partenaire du gouvernement et reçoit des fonds. Je vois ici dans les notes que vous avez travaillé avec le gouvernement et avez utilisé des deniers publics dans votre portefeuille.
    Permettez-moi de faire une distinction, monsieur le président. Le Fonds Aga Khan pour le développement économique, qui possède ces sociétés, prend très peu de subventions des gouvernements. Nous avons des activités à but non lucratif très importantes dans les domaines de la santé, de l'éducation, du développement rural, du microcrédit, etc., à l'occasion desquelles nous avons travaillé avec l'ACDI et avec beaucoup d'autres donateurs pendant de très nombreuses années.
    Le seul domaine dans lequel le Fonds Aga Khan pour le développement économique — l'entité du secteur privé — prend de l'argent public est… Il y a beaucoup de donateurs occidentaux qui ont des agences du secteur privé offrant du crédit de faveur ou de l'investissement de faveur pour stimuler ce genre de travail.
     Le Fonds Aga Khan pour le développement économique travaille avec les gouvernements. Le Canada n'a pas ce genre de mécanisme, mais les gouvernements qui travaillent souvent avec…
    Je suppose que cela s'explique par le fait que vous avez une certaine expertise sur le terrain que ne possèdent pas les gouvernements. Ils n'ont pas l'infrastructure et c'est plus efficient. Il est plus rentable pour les contribuables de travailler par le truchement de votre…
    Je pense qu'il y a certains objectifs qu'ils essayent d'atteindre, et qu'ils peuvent les atteindre par le truchement de ces sociétés.
    Professeur Brown, nous allons nous entendre. D'abord, j'ai été heureux de vous entendre dire que plus d'argent ne produit pas nécessairement de meilleurs résultats sur le terrain. Moi aussi, je suis un peu préoccupé quand les gouvernements acceptent de l'argent du gouvernement.
    J'ai une question à vous poser. Au sens international, vous avez dit, et cela vaut peut-être aussi nationalement... Diriez-vous qu'il n'est pas sage que les gouvernements donnent des deniers publics à des entreprises?
    Je pense que c'est une bonne politique dans des circonstances exceptionnelles pour assurer des choses telles que l'accès. Par exemple, s'il s'agit de subventionner l'accès à la radiodiffusion ou à l'Internet dans les régions du Nord, ou aux services postaux et à des choses de ce genre, je pense que le gouvernement peut…
    Et pour sauver des constructeurs d'automobiles?
    Je ne peux répondre que cas par cas mais…
    Vous savez qu'il y a eu une grosse opération de sauvetage dans ce pays. Pour une entreprise comme GM, quelle est votre opinion?
    Oui, je suis pour l'assistance.
    Très bien.
    Il me semble que, pour vous, c'est plus une question de processus. En dernière analyse, je ne crois pas à l'assistanat des entreprises. Je n'aime pas que le gouvernement consacre des deniers publics à une entreprise, quelle qu'elle soit. Je pense que les entreprises doivent lever de l'argent sur les marchés et faire ce qu'elles ont à faire sur les marchés.
    Dans le cas présent, cependant, ne craignez-vous pas… Vous n'aimez tout simplement pas le fait que c'est une entreprise qui assurera la prestation de ces programmes, plutôt qu'une ONG ou une autre entité non reliée à une entreprise. Est-ce bien votre position, comme point de départ?
    Ma principale réserve est que des deniers publics sont consacrés inutilement à des activités qui pourraient être financées autrement, et que ces sommes seraient mieux dépensées ailleurs. Je ne dis pas que les activités elles-mêmes sont nécessairement mauvaises, mais que ce n'est pas le meilleur mécanisme ou nécessairement le meilleur usage de deniers publics limités.
    C'est une bonne remarque. Vous parlez de construire des écoles et de faire des choses à l'étranger, mais je dirais qu'il y a énormément de contribuables canadiens qui pensent que l'argent serait — et est — en réalité mieux dépensé ici même, au Canada. À mon avis, si nous devons avoir des budgets d'aide au développement — et je pense que nous le devons —, nous avons le devoir, comme législateurs, de veiller à ce que ces sommes produisent vraiment des résultats.
     Si l'on peut prouver — je pense qu'on l'on peut, et je crois que le portefeuille de M. Shariff et les exemples qu’ils nous a donnés aujourd'hui le montrent clairement — que dans bien des cas des entreprises privées non seulement auront l'expertise nécessaire mais seront aussi capables de produire des résultats à un coût moindre pour les contribuables… Mais vous contestez cela, et vous vous y opposez, simplement parce que vous n'aimez pas qu'on donne de l'argent à des entreprises.
(1620)
    Non, ce n'est pas exact. Vous faites en ce moment ce que je disais tout à l'heure qu'il ne faut pas faire: confondre des types différents d'entreprises.
    Je suis spécialement en faveur de choses telles que le microcrédit et l'appui aux entreprises naissantes dans les pays en développement. Je suis moins en faveur de l'octroi de deniers publics à de grandes multinationales canadiennes éminemment rentables…
    Mais, attendez…
    Veuillez me laisser terminer, s'il vous plaît.
    M. John Williamson: Veuillez m'excuser.
    M. Stephen Brown: Je suis moins en faveur de deniers publics versés à de grandes multinationales canadiennes éminemment rentables pour entreprendre des activités dans lesquelles elles disent elles-mêmes qu'elles n'ont aucune expertise.
    M. John Williamson: Mais…
    M. Stephen Brown: C'est pour ça qu’elles disent avoir besoin des fonds de l'ACDI et avoir besoin de travailler avec les ONG.
    M. John Williamson: Je comprends.
    M. Stephen Brown: Parce qu'elles ne possèdent pas cette expertise.
    Très bien. Je peux accepter ça, mais, quand vous parlez de microcrédit, c'est dans bien des cas de l'argent qui va aux banques, qui sont certaines des entités les plus rentables de la planète aujourd'hui. Mais, dans ce cas-là, ça vous convient.
     Vous maquillez la chose pour faire croire que le microcrédit, c'est simplement quelque chose qui se fait au niveau local, sans profit. En réalité, c'est une activité dans laquelle nous donnons de l'argent à des sociétés extrêmement rentables qui réussissent à la fois sur le marché et, en période de crise, en se faisant sauver la mise par le gouvernement. Vous dites que c'est acceptable, mais, pour d'autres entreprises, non.
    À ma connaissance, l'ACDI ne donne pas d'argent à…
    Non, je parle de manière générale.
    C'est tout le temps que vous aviez, monsieur Williamson, mais je laisse monsieur Brown vous répondre.
    D'accord. À ma connaissance, la majeure partie de l'argent destiné au microcrédit passe par les ONG et par des organismes à but non lucratif comme la Grameen Bank, pas la Citibank ou CIBC.
    Mais si c'était le cas, cela vous poserait-il un problème?
    Des voix: Oh!
    Un rappel au Règlement, monsieur le président.
    C'est une question appelant un oui ou un non et j'apprécierais donc une réponse.
    Voulez-vous faire un rappel au Règlement?
    Oui, pour dire que la Grameen Bank est une société à but lucratif du Bangladesh, qui fait d'énormes profits.
    Très bien. Merci.
     Nous passons maintenant à Mme Laverdière.
    Vous avez cinq minutes, madame.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vous remercie beaucoup toutes les deux de vos présentations très intéressantes.
    Professeur Brown, on a constaté qu'il semblait y avoir un déplacement de l'aide de l'ACDI aux pays africains très pauvres vers des pays latino-américains à revenu plus moyen. Il s'agit souvent de pays avec qui on a conclu un traité de libre-échange. Comprenez-vous la logique derrière ce transfert? Cela ne risque-t-il pas d'être en contradiction avec les responsabilités de l'ACDI en vertu de la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement, qui stipule que la coopération doit être axée sur la réduction de la pauvreté?
    Merci beaucoup de la question. Cela me permet de répondre à certains commentaires de Mme Brown, qui a affirmé que la majorité de l'aide du Canada allait à des pays à revenu moyen, ce qui est vrai. Vous mentionnez ce que j'avais également souligné dans le document qu'elle a cité, c'est-à-dire les changements de politique, la tendance de plus en plus manifeste à aller vers des pays à revenu moyen. En 2009, par exemple, quand le Canada a changé ses pays de concentration et est passé d'une liste de 25 à une liste de 20, il a laissé tomber huit pays pauvres africains pour ajouter des pays à revenu moyen d'Amérique latine. C'est un schéma qui se répète. Les compressions annoncées récemment par l'ACDI touchent les pays pauvres. Dans plusieurs cas, on maintient l'aide au développement aux pays à revenu moyen.
    Comme vous l'avez dit, il y a un déplacement de l'aide vers des pays à revenu moyen et avec lesquels le Canada a des liens commerciaux très importants. C'est une distorsion du but fondamental de l'aide au développement, qui est de combattre la pauvreté et l'inégalité. Il y a aussi un risque de contrevenir à la loi qui définit l'aide au développement du Canada et ses objectifs, comme vous l'avez mentionné.
    Merci beaucoup de votre réponse. En fait, cela risquerait même de contrevenir à certains de nos engagements internationaux.
(1625)
    Absolument. Par exemple, il y a la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide au développement et d'autres accords internationaux qui ont été signés par la suite. Nous devons respecter notre engagement à l'égard des stratégies de développement telles que définies par les partenaires dans les pays en développement.
    J'en profite pour répondre aux commentaires de Mme Brown, selon laquelle nous devons faire ce que disent nos partenaires gouvernementaux. Ce n'est là qu'une partie de la vérité. Nous nous sommes engagés à respecter le concept de prise en charge, d'appropriation, ou ownership en anglais. Il ne s'agit pas de n'importe quelle prise en charge; c'est la prise en charge démocratique. Plusieurs de ces partenaires ne sont pas des pays démocratiques. Ce sont des pays autoritaires ou semi-autoritaires. Ce n'est pas parce qu'un gouvernement dit qu'il est en faveur de tel ou tel modèle de développement que le Canada doit y voir le choix de ce pays. Le gouvernement n'est pas nécessairement représentatif de la situation. C'est pour cette raison que le Canada doit, en vertu de Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement, consulter les partenaires de la société civile et les autres acteurs dans le pays récipiendaire.
    Merci.
    Ma question va peut-être vous sembler un peu différente. J'ai aussi une question à poser à M. Shariff, qui n'est pas centrale à la question discutée aujourd'hui, mais je ne voudrais pas me priver de votre expertise dans tout ce qui concerne l'ACDI. J'espère que j'aurai assez de temps.
    Comment décririez-vous le moral des troupes à l'ACDI ces temps-ci?
    En ce moment, le moral est par terre. C'était déjà le cas il y a deux ans, mais avec les dernières compressions, de plus en plus de personnes ayant énormément d'expertise partent. Ce sont vraiment des ressources importantes que l'ACDI est en train de perdre. De plus en plus de technocrates ont été transférés à l'ACDI dans des postes de gestion, souvent de gestion supérieure. Ces gens n'ont pas d'expertise dans le développement et croient qu'on gère le développement comme on gère Industrie Canada ou le Conseil du Trésor, etc. Or le développement international a une vocation particulière. Il y a aussi le fait que c'est le seul organisme canadien ayant pour but principal de promouvoir l'intérêt des autres pays. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international fait la promotion des intérêts du Canada, mais l'ACDI travaille dans l'intérêt des pays en développement. C'est ce qui est souvent mal compris. Il y a un personnel très qualifié et très engagé à l'ACDI et il voudrait pouvoir faire son devoir.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
     C'est maintenant au tour de M. Dechert, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie d'être venus témoigner aujourd'hui, messieurs.
    J'aimerais vous poser quelques questions, monsieur Brown.
    Je vais vous lire une liste des pays que l'ACDI juge prioritaires depuis 2009. Dites-moi lesquels, selon vous, sont des pays à revenu intermédiaire: Afghanistan, Cambodge, Ghana, Honduras, Haïti, Indonésie, Malaisie, Mozambique, Sud-Soudan, Sénégal, Tanzanie, Vietnam, Zambie. Est-ce que l'un de ces pays…
    C'est la liste complète?
    C'est à peu près les deux tiers de la liste.
    Je pense que vous avez oublié l'Ukraine, qui est un pays européen à revenu intermédiaire.
    C'est juste.
    L'Indonésie.
    J'ai dit l'Indonésie.
    D'accord, mais c'est un pays intermédiaire.
    La Colombie.
    Oui, la Colombie est sur la liste.
    Le Pérou.
    D'accord, mais vous conviendrez que la plupart n'en sont pas.
    Oui. J'ai d'ailleurs dit en réponse à Mme Laverdière que ces pays sont en majeure partie des pays à faible revenu.
    D'accord. Il est donc acceptable, selon vous, que l'ACDI participe à des projets dans ces pays.
    Connaissez-vous le projet auquel Rio Tinto et l'Entraide universitaire mondiale du Canada participent, au Ghana?
    Oui, dans la mesure où j'ai pu obtenir certaines informations.
    Bien. Vous êtes professeur d'université et je suppose que vous connaissez bien l'Entraide universitaire mondiale du Canada.
    Oui.
    Dans votre déclaration liminaire, vous disiez qu'il y a à votre avis des problèmes d'éthique et que la réputation du Canada est en jeu. Pensez-vous que l'Entraide universitaire mondiale met également sa réputation en jeu en participant à ces projets?
(1630)
    Oui.
    L'avez-vous dit à l'Entraide universitaire mondiale?
    Oui.
    Quelle a été sa réponse?
    Qu’elle en est consciente. D'ailleurs, Rosemary McCarney, la directrice de Plan Canada, l'une des autres ONG recevant de l'argent pour travailler avec les sociétés minières, en a discuté publiquement. Elle a dit qu'il y a un risque, que l'organisation en est consciente, et que c'est une expérience.
    Si je comprends bien, l'ACDI fournit des fonds à l'Entraide universitaire mondiale, à Plan Canada, à Vision mondiale. Il s'agit là d'ONG qui jouissent d'une excellente réputation, qui appliquent des normes d'éthique élevées, et qui font du très bon travail dans le monde entier. Si elles estiment que traiter avec ces entreprises pour ces projets particuliers est bénéfique aux populations de ces pays, en respectant le mandat de ces ONG, en quoi le Canada mettrait-il sa réputation en danger en établissant des partenariats avec Vision mondiale Canada ou Plan Canada ou l'Entraide universitaire mondiale Canada?
    Le danger n'est pas d'établir des partenariats avec ces organisations mais d'en établir aussi avec les sociétés minières.
    Mais ces organisations aussi établissent des partenariats avec ces sociétés.
    Oui, c'est leur décision et elles connaissent les risques, mais…
    L'ACDI aussi, je suppose, n'est-ce pas? Mon argument est que le Canada ne s'adresse pas directement à ces entreprises. Il travaille dans chaque cas avec une ONG partenaire qui est respectée.
    Au Ghana, selon mes informations, le projet de Rio Tinto fournit aux 134 000 habitants de 12 collectivités des services éducatifs, d'adduction d'eau et d'hygiène. C'est plus que ce qu'aurait fait directement une entreprise agissant seule.
    Au Burkina Faso, 10 000 jeunes de 13 collectivités reçoivent une formation qui leur donnera des compétences pour obtenir de l'emploi, dans le cadre d'un partenariat entre Plan Canada et IAMGOLD. Dans ce cas, l'argent du Canada est versé à Plan Canada, pas directement à IAMGOLD. D'après ce que je sais, dispenser une formation à 10 000 jeunes, c'est largement plus que ce que n'importe quelle entreprise du secteur privé aurait fait d'elle-même pour un projet de cette taille. Quel problème y a-t-il donc à oeuvrer en partenariat pour accroître le nombre de personnes recevant une formation?
    Comme je l'ai dit, bon nombre de ces activités sont en fait de bonnes choses. Plus d'écoles, plus de gens formés, plus de cliniques, tout cela est excellent. La vraie question est de savoir si c'est là que le Canada devrait dépenser son argent.
     Pour revenir à votre question précédente, quand vous me demandez quel est le problème, la présence d'une ONG réputée ne protégera par le gouvernement canadien contre des retombées négatives. Supposons qu'il y ait une terrible catastrophe, comme du mercure empoisonnant la nappe phréatique, par exemple. Ce n'est pas parce que l'ACDI aura donné techniquement l'argent à Plan Canada et non pas directement à IAMGOLD que le Canada ne sera pas éclaboussé.
    En outre, nous savons qu'il y a eu des catastrophes de relations publiques. Par exemple, le PDG de Barrick Gold — veuillez m'excuser, je ne suis pas totalement sûr que c'était lui … Si, à la réflexion, c'était bien lui. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, où il y avait eu des cas de viol collectif à l'intérieur du complexe d'une société minière, le PDG a dit que ça faisait partie de la culture locale. Ce genre de choses éclabousserait n'importe quelle ONG ou pays donateur partenaire.
    Vision mondiale réalise en partenariat avec Barrick Gold au Pérou un projet dans lequel l'ACDI est impliquée pour fournir des possibilités d'entrepreneuriat à 1 000 familles, probablement pour fournir des biens et services.
    Il y a un risque dans tout ce que nous faisons dans le monde entier, mais, si nous en obtenons un plus grand bénéfice — je parle ici de 1 000 familles faisant du commerce, ce qui leur assure non seulement un revenu immédiat mais aussi l'acquisition de compétences qui leur serviront à exploiter une affaire durable à long terme. Nous sommes les partenaires d’une organisation comme Vision mondiale dont les normes d'éthique sont exemplaires.
    Ce risque ne vaut-il pas la peine d'être pris s'il permet à ces gens de se lancer en affaires et d'acquérir des compétences qui leur seront utiles toute leur vie?
    Monsieur Brown, c'est tout le temps dont disposait M. Dechert, mais je vous laisse répondre à la question.
    Je comprends votre argument, mais je tiens à souligner que la question n'est pas de savoir s'il vaut la peine de former 1 000 personnes ou non. Notre position est que, si l'argent disponible est limité, quel est le meilleur usage qu'on puisse en faire? Dans ce contexte, il n'est pas évident que l'argent devrait être dépensé avec Vision mondiale et Barrick Gold dans des collectivités touchées par l'exploitation minière.
(1635)
    Si l'on peut former 1 000 personnes plutôt que 100, en agissant de cette manière…
    C'est tout le temps que nous avons. Ce tour est terminé.
     Le comité a des questions internes à régler après ceci. S'il y a des questions complémentaires… Nous avons une tonne de décisions à prendre. Je voudrais bien prolonger… Si les témoins sont d'accord, nous pourrions peut-être accepter quelques questions supplémentaires.
    M. Dechert et M. Dewar ont levé la main, et si des Conservateurs veulent ensuite…
    J'aimerais continuer sur ce sujet, car nous abordons certaines questions intéressantes qu'il vaudrait la peine de creuser un peu, je crois.
    Selon M. Dechert, il vaut la peine d'établir ce « partenariat » parce qu'on en tire les retombées mentionnées. Ce que je trouve intéressant, c'est que, si l'argent était dépensé ailleurs, on obtiendrait peut-être les mêmes retombées, voire de meilleures retombées. Je dis cela parce que l'argent qui est dépensé pour ces partenariats est fondé sur la réalisation de ces opérations.
     La question n'est pas de savoir où nous pouvons faire le plus de bien. Il se trouve qu'il y a là une société canadienne qui est présente et que c'est donc là qu'il y a de l'action, et là que va l'argent. Je pense que c'est un facteur important, car, sans un contexte, on discute apparemment seulement des retombées et des résultats.
    Monsieur Brown, vous avez fait quelques remarques importantes sur les points fondamentaux, et la mission, si vous voulez — appelons ça l'énoncé de mission de l'ACDI et ce qu'elle est censée faire. Je ne sais pas s'il y a d'autres pays qui sont engagés dans la même voie, à l'exception — M. Eyking, je pense, en a parlé. Nous empruntons la même voie que la Chine, parce que la Chine, c’est taille unique. Les sociétés minières arrivent, elles construisent la route, et d'aucuns pensent que c'est ce qu'il faut faire.
    Peut-être bien, mais, si nous avons décidé d'aller dans cette voie, j'ai raté le débat. Je pense que la frustration que beaucoup d'entre nous ressentons est de savoir où cela se situe dans le cadre de nos obligations internationales. Où cela se situe-t-il au sein d'une bonne politique solide de développement?
    Voilà pourquoi je pense qu'il est important que le gouvernement dise la vérité et dise que cela a été discuté, cela a été débattu, et la source était… remplir la case vide.
    Nous n'avons pas entendu ça. Tout ce que nous avons entendu, ce sont des annonces du gouvernement, et de belles photographies, en utilisant des ONG qui, soyons francs, ont été sabrées. Point n'est besoin de rappeler la liste. Kairos et d'autres ont été sabrées.
    Qu'est-ce qu'on fait à Ottawa? On va là où se trouve l'argent.
    Si nous continuons dans cette voie… Et vous aviez raison, n'allons pas trop loin, mais nous ne parlons pas de tout l'argent de l'ACDI, je l'admets, et vous avez fait cette distinction.
    Le problème de cette tendance — et si vous pouvez citer une politique quelconque de développement ou de cadres que vous connaissez en vertu desquels le gouvernement aurait pu trouver cette idée, je vous invite à nous les indiquer, car je n'en trouve pas.
    Je n'ai entendu aucun argument fondé sur des données probantes concernant l'amélioration de l'efficacité. Je n'ai entendu aucune justification, à part l'affirmation béate que c'est plus efficace. Je n'ai connaissance d'aucune étude que ce soit démontrant que c'est une manière plus efficace de faire du développement.
    Cette tendance est préoccupante, et je suis heureux que vous ayez soulevé la question des coupures budgétaires infligées aux ONG. Je pense que ces choses-là sont reliées. Je vois cela comme une tentative de bâillonnement de la dissidence au Canada. Je vois cela comme une réduction du rôle des ONG dans le développement, alors que le Canada a signé toutes sortes d'ententes internationales et a proclamé que les ONG sont des acteurs légitimes du développement.
    Si vous lisez les politiques du gouvernement, on y célèbre les ONG en disant qu'elles ont des connaissances que l'ACDI ne possède pas, et qu'elles sont capables d'agir là où l'ACDI ne peut pas ou ne veut pas le faire de manière aussi efficiente. Mais, quand on creuse un peu, on voit que la manière dont les fonds sont attribués ne reflète aucune valorisation des partenariats et des connaissances des ONG. Elle repose sur les priorités établies par le gouvernement, et ce processus est très opaque. Il n'existe aucun document de discussion à ce sujet.
    Il est difficile de faire des comparaisons et de dire que, si le secteur privé peut faire cela au Pérou et créer 1 000 emplois, c'est mieux que si une autre organisation n'en créait que 100. Mais quelle serait cette organisation qui n'en créerait que 100? Nous n'avons vu aucune confrontation des idées.
    Il y a un processus de concurrence pour les ONG, mais il est aussi très opaque. D'ailleurs, ces partenariats avec les sociétés minières n'ont fait l'objet d'aucune forme de concurrence. Ils ont été approuvés à la va-vite par la ministre. On leur a attribué plus d'argent qu'on en a attribué aux ONG qui ont suivi le processus officiel, avec les critères officiels. C'est très inquiétant.
(1640)
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous retournons maintenant à M. Williamson.
    Professeur Brown, vous avez fait une comparaison avec la Chine continentale. Êtes-vous d'accord avec ça?
    Avec quoi? Avec le fait d'associer l'aide à l'investissement?
    La politique canadienne… et les entreprises canadiennes, c'est implicite, agissent un peu différemment des entreprises chinoises quand elles oeuvrent à l'étranger.
    Le gouvernement canadien agit incontestablement différemment. Maintenant, cependant, avec ce genre de projets, il fait le genre d'association...
    Disons les choses comme ceci: croyez-vous que l'objectif stratégique du Canada est le même que celui de la Chine continentale?
    Je regrette, je ne crois pas que les pays n'ont qu'un seul objectif stratégique.
    Un seul objectif de politique est similaire dans les deux pays.
    J'aimerais continuer un peu là-dessus. Vous mentionnez la Chine continentale, ce qui soulève des questions de transgression des droits humains, à l'intérieur et à l'étranger — des questions d'exploitation. Je pense qu'il est exagéré de dire que le Canada se trouve le moindrement dans le même sac. Je veux donc savoir si vous sous-entendez que les entreprises canadiennes vont commencer à se comporter comme les entreprises chinoises à l'étranger quant à la manière dont elles traitent les travailleurs et transgressent les droits humains.
    Ce n'est pas du tout ce que j'ai voulu dire ou laisser entendre. Le Canada a signé et mis en oeuvre une législation disant que l'aide étrangère est différente des objectifs commerciaux. Elle est différente de l'investissement, du commerce et de ce qui n'est pas de l'aide au développement. Autrement dit, nous devons séparer l'aide au développement du reste. Il y a certaines définitions qui permettent de savoir quand l'aide fournie par un pays constitue de l’APD, de l'aide publique au développement.
    La Chine ne fait pas la différence. Comme l'a dit M. Eyking, elle fournit de l'infrastructure et des prêts. Elle investit et signe un accord commercial. Elle achète des ressources naturelles, signe un contrat de 20 ans, et elle met tout ça dans le même sac.
    Officiellement, le Canada ne fait pas ça actuellement. Officiellement, il conteste ce genre d'activité, mais, avec ce genre de partenariat avec les activités minières, avec cette focalisation sur les pays où les intérêts commerciaux — pas les besoins — sont les plus grands, nous avançons vers cela.
    Je vois. Donc, comme l'a dit M. Eyking, c'est plus une pente glissante, mais j'estime que c'est vrai de n'importe quelle politique publique.
    J'ai plus l'impression que c'est une tactique de peur que n'importe quoi d'autre. Vous semblez dire que, si ça dérape terriblement, ça pourrait échouer. Mais je pense que c'est une question que mon collègue, M. Dechert, avait posée… C'est-à-dire qu'il y a toujours un risque avec n'importe quelle politique publique quand on essaye d'obtenir de meilleurs résultats.
    Voici ma dernière question. S'il est acceptable que des ONG réputées agissent en partenariat avec des sociétés canadiennes, pourquoi est-il si répréhensible que le gouvernement canadien fasse de même? Je ne comprends pas ça. Vous semblez dire qu'elles peuvent le faire, mais nous n'avons pas les compétences, le savoir-faire ou, très franchement, nous ne sommes pas intéressés par la même optimisation des ressources qu’elles.
    J'ai dit dans ma conclusion que le gouvernement canadien dispose de nombreux instruments lui permettant d'agir en partenariat avec les entreprises canadiennes, et j'ai ajouté en réponse à vos questions précédentes que c'est ce qu'il devrait faire.
    Mon principal message est que l'utilisation des deniers publics par des sociétés privées dans un but de développement — et, par développement, j'entends atténuation de la pauvreté et de l’inégalité — ne doit se faire qu'avec la plus extrême prudence, et que ma préoccupation est que les partenariats actuels avec ces sociétés minières et ces ONG ne sont pas conformes à la norme d'un usage efficace de l'aide publique au développement.
(1645)
    Donc, si nous pouvions vous le démontrer, vous n'auriez aucun problème avec cette politique?
    Me démontrer quoi?
    Que c'est fait avec la prudence que vous réclamez. Si nous pouvions démontrer cette prudence extrême que vous réclamez, vous accepteriez la politique?
    La prudence, mais aussi que c'est la manière plus efficace d'utiliser l'aide au développement, qu'elle est utilisée là où elle est le plus nécessaire, qu'elle est fondée sur les besoins du destinataire et non pas sur le besoin, par exemple, des sociétés minières canadiennes d'obtenir et de conserver le consentement des personnes affectées négativement par leurs activités...
    Je comprends. Nous avons eu des décennies de ce que j'appellerais des stratégies de lutte contre la pauvreté qui ont échoué ou, comme vous venez tout juste de le dire, on a dépensé l'argent et on a pensé qu'on produirait peut-être de meilleurs résultats en en dépensant encore plus. Ça n'a pas été le cas. Maintenant, nous essayons de tirer avantage des marchés, ce qui est un changement.
    Je suppose qu'une autre question… Je suis un peu curieux…
    En fait, c'est tout le temps dont vous disposiez.
     Je donne la parole à Mme Brown pour cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je suis heureuse que les universités soient des centres de confrontation des idées, pour que les gens puissent examiner beaucoup d'idées différentes.
     Nous avons accueilli ici Carlo Dade, agrégé supérieur, École de développement international et mondialisation, de la même université que vous. Il nous a dit que le Canada est largement en retard dans ce genre d'activité, et que l'USAID et le Royaume-Uni agissent de cette manière depuis pas mal de temps déjà. Le Canada arrive très en retard dans ce domaine. Il est donc intéressant d'avoir cette diversité de discussions.
    Monsieur Shariff, vos remarques sur la maximisation des effets multiplicateurs m'ont particulièrement intéressée. On parle souvent de l'effet goutte-à-goutte, et je pense que c'est ce que vous recherchiez avec certaines des initiatives prises par votre organisation. Vous avez dit que les économies sont interdépendantes, qu'une initiative peut créer une multitude de retombées. Vous avez parlé de la société de téléphonie mobile et vous avez parlé de Roshan.
    J'aimerais beaucoup en savoir plus sur l'agroalimentaire et le tourisme, dont vous avez parlé au sujet de vos nouveaux modèles d'affaires. Comment ceux-ci créent-ils ces effets en chaîne dans l'économie qui permettent à d'autres gens de lancer leur propre entreprise, par exemple? Pourriez-vous en parler un peu?
    Merci, monsieur le président.
    Je pense qu'une des conséquences d'une activité intelligente et réfléchie du secteur privé dans le monde en développement est qu'elle a de tels effets en chaîne.
    Je dois dire cependant que je ne crois pas que ce résultat soit automatique. Je pense qu'il faut avoir conçu le projet dans ce but. Il faut l'avoir conçu en songeant au développement. Si c'est le cas, les possibilités sont énormes.
    Prenons l'exemple du tourisme, le secteur qui emploie le plus de gens dans le monde. C'est un secteur très important dans le monde en développement. Il permet aussi de gagner des devises. Vous pouvez cependant avoir un secteur touristique qui attire des touristes à faible valeur ajoutée ou des touristes à forte valeur ajoutée.
     La chaîne hôtelière Serena a déployé beaucoup d'efforts pour établir des investissements de référence afin de démontrer que, dans le monde en développement, avec le talent du monde en développement, on peut créer des établissements de qualité mondiale et attirer des touristes de niveau mondial, des gens d'affaires, des conférences, etc. Toutefois, pour ce faire, il faut agir d'une manière qui crée aussi une solide collectivité d'appui locale. Il faut consacrer beaucoup d'efforts à la formation professionnelle, à l'établissement de liens en arrière-plan avec toutes les chaînes d'approvisionnement qui permettent à un hôtel de fonctionner, que ce soit dans l'alimentation ou dans tous les autres services dont un hôtel a besoin. Et tout cela, si c'est conçu intelligemment, peut être obtenu en s'adressant aux marchés locaux.
    Puis-je vous interrompre un instant?
    Certainement.
    Avez-vous un hôtel à Nairobi, au Kenya?
    Oui, l'hôtel Serena de Nairobi.
    J'y ai logé. C'est un hôtel absolument merveilleux.
    L'autre, en Afghanistan, l'hôtel Serena de Kaboul, fut l'un des premiers investissements, en partie aussi dans le but d'essayer de stimuler toute une série d'autres investisseurs du secteur privé de ce pays dans une période de fragilité.
    Je pense que l'autre exigence est d'investir pour le long terme. Je ne pense pas qu'on puisse gérer ce genre d'entreprise privée en ne s'intéressant qu'aux résultats trimestriels. Il faut considérer qu'on investit pour le long terme et qu'on crée vraiment une capacité permanente dans le pays. Il faut aussi admettre qu'il s'agit d'environnements fragiles, ce qui produira certaines fluctuations.
    La bonne combinaison de patience et de persistance peut payer, je crois, si l'on pense à long terme et qu'on se fixe les bons objectifs. Le profit est essentiel. On ne peut pas faire de travail économique durable si l’on n'arrive pas à couvrir ses dépenses et à dégager un profit. Mais il faut aussi identifier délibérément les autres objectifs qu'on souhaite atteindre, et les mesurer. Il faut que ce soit mesurable. Là où nous avons créé des entreprises capables de faire les deux, je pense que nous avons obtenu ce genre d'impact.
     La chaîne hôtelière Serena est aujourd'hui cotée en bourse en Afrique de l'Est, évidemment. C'est une société cotée du Kenya. Voilà donc un autre effet multiplicateur car, maintenant, la propriété des actions d'une entreprise comme celle-là est démocratisée.
(1650)
    Donc, les repas que vous servez dans vos restaurants sont préparés avec des produits achetés aux agriculteurs locaux. Durant mon séjour là-bas, j'ai cru comprendre que l'hôtel Serena achetait son café et ses mangues — mon péché mignon — aux agriculteurs locaux. Cela permet à ces agriculteurs d'obtenir un revenu, ce qui les rend indépendants et autonomes.
    Pourriez-vous parler un peu de l'agroalimentaire et de l'impact de vos activités sur ce secteur?
    C'est tout le temps que vous aviez, mais je vous laisse répondre.
    Il est évident que le secteur agroalimentaire est très vaste. Toutefois, ça ne veut pas nécessairement dire qu'il s'agit d'énormes fermes constituées en grosses sociétés. Je crois que ce dont nous parlons ici, c'est de la manière dont on peut aider le petit agriculteur à regrouper sa production avec d'autres de manière intelligente pour en tirer plus de valeur. On fait beaucoup d'expérience dans ce domaine, comme avec les haricots verts français. J'ai aussi parlé du miel, mais on fait également la même chose avec le coton en Afrique de l'Ouest, en Côte d'Ivoire. On fait la même chose avec le riz et avec les graines de sésame. Ce qu'il faut, c'est trouver un entrepreneur motivé et capable d'apporter un savoir-faire mondial, ce qui nous ramène à la question du transfert des connaissances.
    Je crois que ce dont a besoin le monde en développement, c'est de l'accès au meilleur savoir au monde. L'une des formes les plus graves de marginalisation est l'exclusion de la société mondiale du savoir, lorsque votre bassin de connaissances se limite au savoir que vous avez hérité, pas à ce qu’on sait dans le reste du monde. Que doit-on donc faire pour pouvoir introduire les meilleures connaissances en techniques de gestion dans le secteur agroalimentaire du monde en développement? Voilà le défi qu'il faut relever, à mon avis. Si nous ne sommes pas prêts à appliquer les normes d'excellence mondiale à ces domaines, c'est comme si nous disions « c'est bien assez bon pour l'Afrique » ou « c'est bien assez bon pour l'Asie », ce qui n'est pas tolérable.
    Notre position est que, là où existent au Canada des pratiques exemplaires qui pourraient être transférées, elles devraient l'être en songeant à l'aide au développement.
    C'est ce que nous a dit notre invité du Soudan quand il a dit qu'un des problèmes de son pays est d'aider les agriculteurs à produire plus grâce à la technologie que nous comprenons en Occident mais qui n'existe pas là-bas. Vous venez juste de renforcer cet argument.
    Je donne la parole à Mme Péclet, pour cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais obtenir des précisions. Tout ce que vous êtes en train de prôner, monsieur Shariff, à savoir aider les fermes, les petits agriculteurs et les petites entreprises, ce n'est pas le sujet principal de la discussion. On n'a rien contre le microcrédit; c'est une initiative qu'on encourage. Ça développe une expertise et ça crée de la richesse, comme vous l'avez dit. Ce dont il est question ici, c'est de donner de l'argent qui appartient aux contribuables canadiens. Chaque Canadien donne de l'argent à de grandes entreprises qui sont déjà bien installées dans certains pays et qui font probablement déjà des millions de dollars de profits. C'est ce dont on parle. Il faut faire la différence entre donner de l'argent à une entreprise déjà installée et qui a déjà des employés, et donner à un organisme à but non lucratif.
    Ma question concerne la redistribution de la richesse, et les deux témoins peuvent y répondre. Si l'on donne de l'argent destiné à l'aide internationale à une compagnie qui est déjà très rentable, qui a déjà engagé des travailleurs et qui exploite les richesses naturelles d'un pays, pensez-vous vraiment que ça permettra une redistribution de la richesse? Ce serait une bonne façon ici de créer de la richesse autour d'une entreprise, de redistribuer les profits.
    Les ressources naturelles exploitées par la compagnie minière profitent-elles à la population? Soyons honnêtes et parlons des vraies affaires. Cela profite-t-il réellement à la population locale ou à la compagnie? On parle ici de compagnies qui veulent faire des profits, à but lucratif, et non de votre organisation qui est très respectable et à but non lucratif. Il faut donc faire la différence entre une compagnie minière et un organisme à but non lucratif.
(1655)

[Traduction]

    Monsieur le président, permettez-moi d'abord de préciser la prémisse de la question, que j'apprécie.
     Si je comprends bien, le comité étudie la question globale du rôle du secteur privé pour atteindre les objectifs de développement international. Je pense que le professeur Brown et moi-même avons adopté une démarche différente pour répondre à la question. Notre réponse à cette question repose sur notre expérience du rôle du secteur privé dans le développement. Nous avons simplement décidé de partager avec vous le fruit de l'expérience que nous avons acquise pendant un demi-siècle dans ce domaine.
     Pour répondre à la question très précise que vous avez posée, il nous semble que le problème important est de savoir comment on peut contribuer à créer une dynamique économique même parmi les populations les plus marginalisées du monde en développement. Si l'on ne crée pas une forme de dynamique économique pour les collectivités marginalisées, elles n'obtiendront jamais les ressources nécessaires pour pouvoir investir dans leur propre avenir. Je ne pense pas qu'on puisse laisser cette question de côté. Je ne crois pas que ce soit la seule question à prendre en considération mais elle est centrale.
     Il y a de nombreuses manières différentes de l'envisager. On peut le faire de manière très micro-économique. On peut le faire aussi du point de vue des grandes institutions financières. On peut le faire du point de vue des grandes entreprises. Dans tous les cas, si on le fait en ayant en tête un vrai souci de développement, on peut avoir un impact sur les populations marginalisées.
    La majeure partie du débat d'aujourd'hui devant le comité a porté, je pense, sur une question très précise de gestion des ressources naturelles et d'exploitation minière. Je dois dire qu'il est à mes yeux incontournable que la richesse minière du monde en développement sera un moteur essentiel de l'avenir de ces pays. Cela n'est cependant pas la fin de la réponse, c'est seulement le début de la question. Le problème est maintenant de savoir quel soutien nous somme prêts à fournir au monde en développement pour l'aider à bien gérer ses ressources naturelles de manière à ce qu'elles soient une force et un moteur de développement national. Voilà la vraie question, et je ne pense pas qu'il y ait encore de réponses claires.
     Il y a une expérience très particulière que l'ACDI…
    J'aimerais juste souligner qu'un des aspects les plus importants de l'aide internationale est la création de stabilité politique dans un pays qui est généralement en crise. Croyez-vous vraiment que n'importe quelle société du secteur privé serait capable de créer une démocratie politique ou de la stabilité politique dans un pays en crise? Pensez-vous vraiment qu'une entreprise, comme un hôtel ou une société minière, serait capable d'apporter de la stabilité à la population d'un pays en crise, qui n'est pas une démocratie et qui n'a pas de système judiciaire?
     Nous, Canadiens, donnons des fonds à notre gouvernement au titre de l'aide internationale pour qu'il l'investisse dans des pays afin d'en assurer la stabilité. Croyez-vous vraiment que ce résultat peut être atteint par des sociétés du secteur privé dont le but est de faire des profits? Voilà ma question.
    C'est encore une fois tout le temps dont vous disposiez, mais je laisse le témoin répondre.
    Me permettrez-vous de répondre aussi?
    Monsieur le président, je pense que l'appui que nous donnons aux différents pays varie selon leur situation. Je pense que vous avez raison de dire qu'il y a certaines choses qui deviennent prioritaires en période de crise humanitaire. À d'autres étapes du développement du pays, on commence à inclure d'autres types de soutiens.
    Je pense que notre point de vue est qu'il faut des gouvernements solides, mais aussi un solide appareil d'institutions à l'extérieur des gouvernements, c'est-à-dire totalement dans le secteur privé, très franchement. Je précise que, dans notre système, le secteur privé désigne à la fois le secteur privé commercial et la société civile. Ce sont les entités extérieures au gouvernement.
    Nous estimons qu'une société saine, une société capable de résister aux crises, est une société qui possède des institutions robustes dans tous les secteurs de la société. C'est ce que l'expérience nous a appris, et c'est ce que nous constatons au Canada.
    Pouvons-nous avoir un petit peu de…
    Monsieur Brown, voulez-vous aussi répondre brièvement à la question?

[Français]

    Vous posez une question sur l'exploitation. Vous demandez à qui va profiter ce genre d'appui. Sur le site Web, en ce qui a trait au projet d'IAMGOLD, au Burkina Faso, on le voit clairement: il est indiqué que la formation des travailleurs profitera, en partie, aux compagnies minières.
    Quand j'ai rencontré le vice-président d'IAMGOLD, il m'a dit que c'était faux. Il m'a dit que l'industrie n'allait pas bénéficier directement de cette formation. Cependant, par la suite, j'ai lu dans le Globe and Mail que 500 stagiaires allaient être embauchés par IAMGOLD. On voit donc qu'il y a un lien direct. J'en conclus donc que si IAMGOLD ou toute autre compagnie minière avait besoin de travailleurs, la compagnie aurait payé pour la formation de ces travailleurs.
    Maintenant, l'ACDI — et le contribuable canadien — va payer pour cette formation, pour une compagnie privée. Par ailleurs, les gens d'IAMGOLD m'ont confirmé que si lors de l'exploitation de mines, on détruit une forêt, la compagnie a l'obligation de reboiser cette même zone. Ça fait partie du calcul, avant même de signer les accords de réinvestissement.
    Dans ce cas, pourquoi l'ACDI devrait-elle subventionner ce reboisement, puisqu'il s'agit de l'obligation de la compagnie privée? N'est-ce pas une forme de subvention?
(1700)

[Traduction]

    Merci beaucoup. Nous sommes arrivés au bout. Monsieur Eyking, avez-vous une dernière courte question à poser?
    Oui, monsieur le président. Il y a un phénomène surréaliste qui s'est produit dans notre secteur de l'aide internationale. Au cours des six derniers mois, une centaine d'ONG ont été jetées par-dessus bord parce qu'elles ne partageaient pas l'idéologie des conservateurs. Ce qui se passe maintenant, c'est que nous avons un nombre limité de gagnants, une poignée de gagnants… Que ce soit parce qu'ils connaissent les arcanes du système ou qu'ils ont l'idéologie voulue pour obtenir ce qu'ils veulent — et beaucoup sont du Québec. Toutes ces ONG discutent avec ces gens qui leur font des dons, avec tous les bénévoles, et vous avez tous les bénéficiaires, les villages dans des pays qui ont besoin de leur aide. Que font-ils? Est-ce qu'ils se disent: « Pour monter dans ce train conservateur, nous allons devoir trouver une entreprise qui se joigne à nous afin d'avoir la crédibilité qui nous permettra d'être approuvés par le BCP? »
    Pensez-vous que ces ONG vont devoir changer la manière dont elles travaillent ou qu'elles vont tout simplement devoir mettre la clé sous la porte?
    Je suis d'accord avec vous. On pousse les ONG dans les bras des sociétés minières si l'ACDI leur coupe les vivres. On leur coupe les vivres si elles critiquent les mines ou l'exploitation des ressources naturelles au Canada et à l'étranger. Nous avons pu voir que ce sont très souvent celles-là qu'on prive de ressources financières. Nous avons vu qu'elles ont été réduites au silence au sujet des récentes coupures budgétaires. Seules Oxfam et le CCCI ont protesté publiquement — et c'est très surprenant — quand le budget du développement a été réduit.
    Donc, oui, on les prive de fonds publics, et le message qu'elles reçoivent — même s'il ne figure pas sur le site Web de l'ACDI —, c'est qu'elles ont intérêt à cesser de critiquer le gouvernement si elles veulent recevoir de l'argent, et qu'elles auraient aussi intérêt à s'associer à de grandes multinationales canadiennes.
    Merci beaucoup à tous.
    C'est tout le temps que nous avions. Je tiens à remercier M. Brown et M. Shariff qui nous ont permis d'avoir un débat extrêmement intéressant.
    Merci beaucoup à tous. Je vais suspendre la séance afin de permettre à tous les observateurs de quitter la salle, après quoi nous continuerons à huis clos. Merci.
     [La séance se poursuit à huis clos.]
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