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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la défense nationale


NUMÉRO 045 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 7 juin 2012

[Enregistrement électronique]

(1135)

[Traduction]

    Bonjour, mesdames et messieurs. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous allons poursuivre notre étude du concept stratégique de l'OTAN et du rôle du Canada en matière de coopération de défense internationale.
    Le lieutenant-général à la retraite Charles Bouchard est avec nous aujourd'hui. Charles, c'est fantastique de vous avoir parmi nous. Nous le connaissons tous, bien sûr, en raison des divers rôles qu'il a joués au sein de l'Aviation canadienne partout au pays, mais plus récemment, avant sa retraite, comme commandant de l'OTAN et de l'Opération MOBILE.
    Sans plus tarder, je donne la parole au général pour qu'il fasse sa déclaration préliminaire.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
     Mesdames et messieurs, je vous remercie du privilège d'être ici aujourd'hui pour vous aider, peut-être, avec quelques mesures permettant de définir le chemin qui nous permettra d'aller vers l'avant.
    Comme vous pouvez le constater, j'ai laissé mon uniforme. Je suis maintenant un civil, et c'est à ce titre que je vais vous parler aujourd'hui.

[Traduction]

    Je ne représente pas les Forces canadiennes ni l'OTAN, mais si j'ai bien compris la mission que vous m'avez confiée ce matin — je parle encore comme un militaire —, je dois vous entretenir un peu de l'OTAN, de mon point de vue, par rapport à ce qui se passe en Libye peut-être et dans le sillage de la Libye et des leçons que nous en avons tirées. Je formulerai quelques observations sur l'approche du Canada concernant l'OTAN et sur l'avenir de cette organisation.
    Nous savons que l'OTAN a été fondée sur l'article 5 — une attaque contre l'un des Alliés est une attaque contre tous. J'affirmerai que si d'aucuns peuvent critiquer l'OTAN, celle-ci a réussi à s'adapter sous certains rapports, peut-être pas aussi rapidement que nous le souhaiterions, mais elle a certainement été...
    La nature même du conflit a changé, depuis la Guerre froide jusqu'aux génocides, aux épurations ethniques, aux conflits religieux, à la lutte contre le terrorisme, aux manifestations en faveur de la démocratie, qui étaient mon domaine.
    Nous sommes passés d'une organisation de combat à une organisation parfois chargée de chercher et détruire l'ennemi, ou le neutraliser, afin de protéger des civils. La protection des civils était tout à fait nouvelle et représentait une nouvelle mission pour nous, en Libye. Notre approche à l'égard de la Libye s'appuyait donc sur une stratégie mettant l'accent sur la légitimité de sa cible, de notre intervention. La protection des civils était notre préoccupation constante et principale, non seulement au sens de l'intervention comme telle, mais aussi de ses effets secondaires et tertiaires et de leur nature. Une opération de choc et de stupeur n'était pas indiquée comme stratégie, ni comme tactique en Libye. Il fallait plutôt user de finesse, et c'est ainsi que nous avons procédé.
    Si nous avons appris quoi que ce soit, ce sont trois grandes leçons et celles-ci s'appliquent je crois à l'OTAN d'aujourd'hui, alors que nous nous penchons sur l'OTAN d'aujourd'hui et de demain.
    Premièrement, c'est que si le sage se guide sur le processus et la doctrine, le fou y obéit aveuglément. Nous ne pouvons laisser les processus avoir le dessus sur nous. Je crois que les 28 nations réunies se laissent parfois beaucoup trop guider par le processus et la doctrine, mais à mon avis, cela va changer.
    La deuxième leçon concerne notre capacité à communiquer les uns avec les autres et à comprendre la culture de l'autre. L'OTAN est composée de 28 nations ayant des objectifs communs, mais ce sont 28 cultures différentes ou plus qui voient la vie très différemment. Si nous apprenons à travailler en prenant en compte des différentes cultures, je crois que nous apprendrons aussi à adapter et à modifier l'OTAN.
    La dernière leçon concerne l'agilité de l'esprit, l'élément le plus important, que nous utilisons d'un point de vue politique, stratégique et opérationnel.
    L'OTAN, du point de vue d'un commandant... J'ai eu la plus grande des chances, parce que j'avais la volonté politique de 28 nations et de 4 partenaires régionaux. Peu importe ce qui allait arriver, je savais que j'avais leur appui. Nous avions à notre disposition les moyens de quelque 18 nations sur 28. Cela ne pose pas de problème parce que la volonté était là —18 nations nous ont fourni des moyens de différentes natures, à différents niveaux.
    Nous avons employé le mot « réserves » dans le passé. J'ai cessé de l'utiliser publiquement dans mes rapports avec l'OTAN parce qu'il a une connotation négative. Pour moi, il s'agit de faire ce qu'on vous a dit de faire avec ce que vous avez, en rappelant sans cesse ce dont vous avez besoin, mais en utilisant au mieux ce que vous avez et en comprenant que les réserves sont normales... De fait, les intentions et les limitations nationales sont une réalité normale de la vie.
    L'agilité et la souplesse étaient les éléments clés de la mission de l'OTAN. Dans les faits, la situation nous rappelait à tous qu'une crise comme la crise libyenne nécessite assurément une approche globale, une approche qui s'applique aux plans politique, stratégique et opérationnel.
    Les différents aspects de l'approche globale comprennent les aspects politiques, c'est-à-dire comprendre les priorités nationales; les aspects militaires — tirer le meilleur parti des différentes cultures, les comprendre et composer avec elles; les aspects économiques — comprendre les effets du pétrole, du gaz et des échanges avec la Libye; les aspects sociaux et culturels — nous avons mené une campagne, nous nous sommes retirés puis nous y sommes retournés, puis nous avons traversé le Ramadan, en veillant à ce que notre intervention ne prenne pas une connotation religieuse, mais bien qu'elle reste ciblée sur la protection des civils et nous avons redoublé d'efforts à cet égard.
(1140)
    Enfin, par rapport à l'infrastructure, c'est ce que je voulais dire en parlant d'effets secondaires et tertiaires. Nous avons laissé toute l'infrastructure debout — pour le pétrole, le gaz, l'eau, l'électricité et les réseaux routiers. Pourquoi? Parce que nous nous sommes employés à protéger les civils et si nous avions endommagé l'infrastructure, ils en auraient subi les conséquences à long terme. C'est aussi pourquoi ce pays est capable de se remettre sur pied. Il a une source de revenu.
    Je pourrais résumer simplement ce que je viens de dire en disant que l'OTAN a fait son travail. Nous étions là pour protéger les civils et nous l'avons fait de notre mieux. Pour paraphraser le secrétaire général, je crois que c'était l'une des interventions les plus réussies et l'une des campagnes les plus précises dans l'histoire de l'OTAN.
    Je serai toutefois critique sur un point. Nous, la communauté internationale, n'avons ne sommes pas allés jusqu'au bout, en ce qui concerne la Libye. C'est une leçon que nous devons vraiment apprendre. Je ne crois pas que ce soit le rôle de l'OTAN, mais la Libye a besoin d'aide politique, de révision judiciaire, d'une meilleure compréhension de la sécurité interne et militaire, de la tenue d'élections, de la gouvernance et de la gestion financière. Essentiellement, l'édification de la nation doit se poursuivre. Ce n'est pas le rôle de l'OTAN, mais cela fait partie de ses stratégies: quelles sont les étapes suivantes et qui devrait s'en charger?
    Est-ce le rôle de l'Union africaine? La Ligue arabe, ou les Amis de la Libye devraient-ils s'en charger, ou est-ce vraiment du ressort de l'ONU?
    Les leçons tirées de la Libye s'appliquent-elles à l'avenir? Beaucoup de gens m'ont demandé si nous pouvons utiliser cette approche dans un autre contexte. Permettez-moi de vous faire part de quelques réflexions. Si nous tentions d'appliquer l'approche utilisée en Libye dans d'autres théâtres, telle quelle, ce serait difficile. Nous l'avons appris à la dure. Nous avons essayé d'adapter l'opération libyenne à l'Afghanistan, à la Bosnie et à l'Irak, et cela n'a pas fonctionné. Nous devons nous adapter et changer.
    Quand nous pensons aux conflits internationaux, à ce qui pourrait arriver et à la façon dont nous réagirions, je crois que nous devons penser à la légitimité internationale. Nous l'avions en vertu de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU.
    Qui devrait s'en charger? L'OTAN. Cependant, compte tenu de la situation économique, si ce n'est pas l'OTAN, alors qui? La géographie de la Libye elle-même, comparativement à d'autres endroits, est manifestement un élément important. Par rapport à l'appui régional, aux acteurs internes, Kadhafi avait essentiellement deux amis dans le monde, Mugabe et Chavez, mais sa base de pouvoir était très limitée. Ailleurs, qui sont les amis? Qui sont les acteurs?
    Enfin, lorsque l'OTAN a terminé son travail, qui prend le contrôle et qui exerce le contrôle? Je parle ici dans une perspective interne et externe. Nous avons tiré beaucoup de leçons de toute cette expérience, ou du moins nous en avons observé beaucoup. Permettez-moi d'en résumer quelques-unes.
    Pour l'OTAN, c'est un succès; pour la Libye, la victoire. J'ai parlé un peu de la Libye et ils ont encore besoin d'aide. Nous devons en tenir compte dans les conflits futurs, parce que cela s'applique de bien des façons à l'Afghanistan, aux Balkans et à l'Irak. En passant, j'ai dû analyser tous ces conflits dans le cadre de mon dernier emploi.
    Nous avons quelques nouveaux alliés. Comment allons-nous les aborder? Comment s'y prendre pour élargir l'OTAN, sans l'élargir au sens du Partenariat pour la paix ou de l'Initiative de coopération d'Istanbul ou du Dialogue méditerranéen? Les nations ne veulent pas toutes faire partie de l'OTAN, mais beaucoup veulent s'en rapprocher. En passant, plus nous nous rapprocherons de toutes les nations, mieux cela vaudra.
    Je crois que ce sont de grandes leçons à retenir. Nous avons retenu d'autres leçons sur la mise en commun du renseignement, sur l'établissement d'un réseau sophistiqué entre nous, sur la disponibilité d'une force déployable et interopérable. J'ai beaucoup d'autres leçons que je ne couvrirai pas ici, mais je pourrai élaborer plus tard, si vous le désirez, monsieur le président.
    Dans le passé, l'OTAN était nécessaire. Avec le recul, nous pouvons dire aujourd'hui que l'OTAN a joué un rôle capital, et je crois que l'OTAN est essentielle pour le Canada à l'avenir. Son importance dépasse la simple alliance militaire. Elle nous procure un environnement propice au dialogue, à la diplomatie.
    Surtout, si l'OTAN ne joue pas ce rôle, alors quoi? Avons-nous une meilleure option? Nous avons bâti l'Alliance sur 50 ans — 60 ans, de fait. Toutefois, l'OTAN devra s'adapter au changement et c'est là où nous pouvons jouer un rôle. Je crois que, comme Canadiens, nous pouvons jouer un grand rôle, mais nous devons être des partenaires. Nous ne pouvons pas changer l'Alliance de l'extérieur. Il faut la changer de l'intérieur.
(1145)
    Je dirais aussi que nous devrons peut-être tempérer nos attentes sous certains rapports parce que notre conception du changement, du temps qu'il faut pour réaliser les changements, peut être différente dans ces 28 nations, selon la culture avec laquelle vous traitez.
    Le concept stratégique de l'OTAN est solide, et j'y souscris. La défense intelligente, dont il a été question au Sommet de Chicago et que le secrétaire général a énoncée clairement, est une bonne idée, d'un point de vue idéaliste, mais une idée difficile à mettre en oeuvre, d'un point de vue pragmatique. Il s'agit de pondérer, de mettre en commun et d'échanger dans des activités communes, comme les AWACS, la capacité alliée de surveillance terrestre ou les initiatives prévues dans le projet de loi C-17 que nous avons dans nos cartons, en fonction des exigences relatives à la souveraineté nationale et également des dividendes industriels et économiques. Nous devons mettre le tout dans la balance et trouver le juste équilibre. Nous devons nous assurer que nous aurons ce dont nous avons besoin quand nous en aurons besoin; nous serons là, et lorsque d'autres auront besoin de nos capacités, nous serons là.
    D'un point de vue pragmatique, je crois qu'il est important de mettre l'accent sur des forces interreliées, en ce sens que nous n'y sommes pas encore parvenus et que nous devons continuer dans cette voie. Croyez-le ou non, même après 60 ans d'alliance, nous avons encore de la difficulté à communiquer les uns avec les autres, parce que des impératifs nationaux ont pris le dessus sur la structure de l'Alliance, ou pas nécessairement sur la structure mais au moins sur les activités.
    Nous devons aussi envisager des interventions non cinétiques. Je crois que nous ciblons trop. Il y a trois domaines: nous examinons l'équipement; nous examinons les moyens, le matériel; nous examinons le personnel, le capital intellectuel, dont nous avons besoin. Le Canada peut jouer un grand rôle, mais nous devons aussi examiner l'aspect non cinétique. Les médias sociaux jouent un rôle essentiel concernant la légitimité et la sensibilisation, et ce n'est que le début. Nous devons en tenir compte. Nous devons envisager des opérations sur des réseaux informatiques pour pouvoir réunir des renseignements, diffuser l'information, modifier des comportements et, au besoin, mettre hors service des systèmes d'une façon non cinétique afin de pouvoir les remettre en marche plus tard. Si nous avons tiré une leçon des Balkans, c'est que si vous brisez des choses, vous allez devoir les réparer.
    J'approche la fin de mon exposé, monsieur le président.
    Je dirai simplement que la réponse à la crise, du point de vue de l'OTAN, est réalisable. Ce n'est pas l'OTAN d'il y a 10 ans, ni de l'an dernier. L'OTAN a changé. Premièrement, elle a besoin de la volonté politique qui se traduit par des capacités et des moyens et, enfin, nous devons aussi examiner la pérennité et maintenir notre agilité. D'un point de vue militaire, j'entrevois de nouvelles structures et l'élimination de certains chevauchements inutiles. Il ne faut pas confondre redondances et chevauchements inutiles, nous devons faire sagement la différence et l'appliquer de notre mieux.
    Le conseil que j'ai donné à mon ancien commandant au Commandement suprême des Forces alliées en Europe est le suivant: assurons-nous de bâtir... non pas une structure d'instauration de la paix qui nécessite la mise sur pied d'un effectif de guerre, mais à peu près comme nous l'avons montré au cours du conflit en Libye, créons des organisations de combat qui peuvent se mettre en branle dès le jour un. Nous avons eu trois semaines pour nous préparer, une semaine pour bâtir un quartier général et nous nous sommes mis à la tâche. Pour mettre les choses en perspective, je vous rappelle qu'il a fallu un an en Bosnie, à partir de la résolution du Conseil de sécurité jusqu'à ce que des bottes touchent le sol. Nous pouvons parler de bottes sur le sol, si vous voulez, ou de l'absence de bottes. Bien sûr, j'ai quelque chose à dire sur le sujet et je traiterai du point que vous avez soulevé, monsieur le président, si vous le désirez.
    Du point de vue du Canada — j'aimerais conclure là-dessus — premièrement, il y a la mesure dans laquelle le Canada soutient l'OTAN. J'étais à Washington et on m'a rappelé que les dépenses du Canada correspondent à environ 1,4 p. 100 du PIB alors que l'objectif est de 3 p. 100. J'ai répondu à mes collègues et aux politiciens que la quantité est un très mauvais étalon de nos efforts; il faut plutôt considérer la qualité et il y a aussi la volonté qui importe. Vous pouvez avoir toute la quantité que vous voulez, mais sans une volonté politique de l'utiliser et de la déployer, ou la qualité que le Canada vous offre — et je ne parle pas de moi, je parle des membres fantastiques des Forces canadiennes. J'aimerais aussi faire état du soutien que j'ai reçu du ministère des Affaires étrangères en matière d'avis politiques, du soutien de l'ensemble du gouvernement dont nous avons bénéficié.
(1150)
    Ces gens sont fantastiques. Évaluons donc le Canada non seulement en fonction des chiffres, mais en fonction de qui nous sommes et de qui nous envoyons. Notre bilan est éloquent.
    À mon avis, le Canada doit envisager de maintenir une force déployable, tant du point de vue politique que militaire, une force compétente et, surtout, une force équilibrée. Ne misons pas sur le passé, mais plutôt sur l'avenir. L'avenir est à l'agilité, à la capacité de faire face à l'imprévisible. Si j'ai appris une chose, c'est que l'avenir prévisible n'existe pas.
    Par conséquent, nous devons être prêts. Nous devons être là pour l'OTAN, non seulement pour lui fournir de l'équipement, mais aussi pour apporter cette agilité que les Canadiens peuvent apporter, si vous voulez mon avis. Nous devons donc répondre « présents ». Nous devons être présents avec le bon niveau de présence militaire et politique.
    Enfin, si la science de la guerre consiste à créer la capacité qui peut nous conduire au succès grâce à la technologie et aux communications, l'art de la guerre consiste à se débrouiller avec ce que vous avez. C'est la force des Canadiens.
    Monsieur le président, ainsi prend fin mon exposé. Je suis prêt à répondre à vos questions.
    Merci, général. J'ai bien aimé votre exposé.
    Je devrais mentionner que la première fois que j'ai rencontré le général Bouchard, il était commandant de la 1re Division aérienne du Canada dans la Région canadienne du NORAD basée à Winnipeg. J'ai appris à le connaître un peu à cette occasion. Il est ensuite devenu commandant adjoint du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, commandant adjoint de la Force interarmées interalliée à Naples puis, bien sûr, nous l'avons tous connu comme commandant de l'opération Protecteur unifié de l'OTAN.
    Je veux rappeler aux membres du comité que, même si le général Bouchard est maintenant un civil, nous le traitons comme un fonctionnaire, puisque qu'il a consacré toute sa carrière au service de l'État. Les règles du chapitre 20 d'O'Brien et Bosc s'appliquent. Nous ne pouvons le contraindre à divulguer des renseignements sur des sujets dont il a eu connaissance sous le secret ou dans l'exercice de ses fonctions. En outre, la Loi sur la protection de l'information de 2001 s'applique à tout renseignement très secret dont il pourrait avoir eu connaissance.
    Cela étant, monsieur Harris, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Bien sûr, nous sommes assez gentils avec tous nos témoins — du moins, jusqu'à présent.
    Général Bouchard, merci de votre présence et merci de votre longue et brillante carrière dans l'armée. C'est fantastique de vous accueillir pour que vous nous fassiez profiter de vos connaissances, de votre expérience et de votre point de vue dans le cadre de notre étude sur la participation du Canada au sein de l'OTAN et sur le nouveau concept de l'OTAN.
    Je vais procéder en me référant à la Libye, bien sûr. Votre expérience concrète dans ce conflit a été très précieuse pour la mission et pour son succès, et elle le sera pour nous aider à saisir quelques-uns des enjeux.
    D'aucuns disent que la mission en Libye a été un succès sur le plan de la protection des civils, mais je ne sais pas si on pourrait la voir comme un modèle, ou comme le modèle; elle était une réponse à une crise particulière qui a surgi assez rapidement. M. Kadhafi n'avait peut-être pas beaucoup d'amis quand le moment est venu, mais il s'est rapidement transformé en une personne à l'égard de laquelle la doctrine de la « responsabilité de protéger » est devenue le mécanisme d'intervention du Conseil de sécurité.
    Ce qui m'intéresse ici, en ce qui concerne la mission en Libye... et je ne sais pas de quelles façons cela a eu une incidence sur vos activités. Je me souviens d'une citation de vous, que j'ai utilisée parce qu'elle illustrait mes préoccupations. À un moment donné, certaines nations — et certains dirigeants de certaines nations, mais je n'entrerai pas dans les détails — et certains ministres des Affaires étrangères disaient que Kadhafi devait partir, et ils parlaient d'un changement de régime. Ils parlaient ainsi tandis que vous et l'armée meniez vos opérations suivant un ensemble différent d'instructions.
    Je me souviens d'une chose que vous avez dites — je vais paraphraser et vous me corrigerez. Vous décriviez votre travail: mon travail n'est pas de changer le régime, mon travail est fondé sur la résolution 1973 et c'est ce que je viens faire ici.
    Dans ce contexte, y avait-il des tensions concernant les opérations militaires et ce que vous faisiez? Je sais que nous avons eu des séances d'information ici sur le sujet, l'été précédent et l'été dernier, et je craignais que l'OTAN elle-même ait retenu des objectifs différents de ceux de la résolution 1973 et que cela nuise à la mission.
    Pouvez-vous commenter de façon générale? Il y avait deux choses en même temps, visiblement — la résolution 1973 très spécifique et ce que certaines nations disaient, et faisaient peut-être, alors que vous essayiez de faire autre chose.
(1155)
    Merci beaucoup, monsieur Harris. J'apprécie votre question.
    Permettez-moi d'être parfaitement clair, parce que vous l'avez dit, mais je vais le répéter: ma mission n'était pas de changer le régime. De fait, si vous avez suivi les tactiques que nous avons employées, si j'avais eu pour mandat de changer le régime, je m'y serais pris différemment. Je n'entrerai pas beaucoup plus loin dans les détails à cause de la classification de certains éléments de la mission, mais je peux vous en assurer.
    En réalité, Kadhafi avait le choix. Il aurait pu s'arrêter en tout temps. S'il s'était arrêté au mois de mai, ou juin ou juillet et s'il avait dit: « C'est bon, je mets fin à la violence », ma mission aurait pris fin.
    De fait, nous avons préparé beaucoup de scénarios en cours de route, parce qu'il nous fallait déterminer les critères selon lesquels nous aurions réalisé les objectifs qui nous avaient été donnés: la cessation des hostilités; le retrait de l'équipement dans son ensemble, parce que nous ne voulions pas que l'ennemi prenne une pause pour se réarmer et recharger, et le retrait devait être fait de sorte que nous puissions observer la situation; et enfin, l'élimination de toute entrave au mouvement des secours humanitaires. Ce sont les trois principaux critères, avec des sous-catégories, que nous avions dès le début de notre mission.
    Sauf que le régime a opté pour le combat jusqu'au dernier moment.
    Si vous me le permettez, je m'étendrai un peu sur le sujet, parce qu'il y a aussi eu des répercussions. Kadhafi avait très peu d'amis, mais nous nous sommes probablement compliqué la tâche. Je ne veux pas être critique, mais quand vous portez des accusations à l'échelle internationale contre une personne, vous lui laissez très peu de portes de sortie. Évidemment, c'étaient des choix que d'autres organes ont faits, et je les respecte — je sers. Toutefois, lorsque nous devons penser à une stratégie, je crois que nous devons penser à la porte de sortie. Laissons-nous à ces types une porte de sortie? Dans ce cas, il n'y en avait pas, alors on ne pouvait s'attendre à un changement de régime... mais nous utiliserons l'interprétation la plus large, parce que les instructions que nous avions reçues, c'était d'utiliser tous les moyens à notre disposition pour mettre un terme à la violence contre la population, et c'est ce que nous avons fait. Je suis convaincu que nous sommes restés bien à l'intérieur de ces limites; nous ne les avons jamais dépassées.
    En résumé, il ne s'agissait pas de changer le régime, mais c'est assurément ce qui s'est produit, parce que le régime a choisi de se battre jusqu'au dernier moment. Ensuite, nous ne leur avions laissé aucune porte de sortie, monsieur.
(1200)
    Puis-je passer à un autre sujet? Il s'agit des communications avec le Conseil de sécurité après le début de la mission. Dans la résolution 1973, il est plusieurs fois question de rendre compte au Conseil de sécurité, de collaborer avec Kofi Annan, de travailler étroitement les uns avec les autres à la mise en application de l'embargo sur les armes, par exemple, et de fournir sans délai des rapports écrits au comité sur ce que l'ennemi fait, ainsi que sur la zone d'interdiction de vol.
    La zone d'interdiction de vol, la protection des civils et la mise en application de l'embargo sur les armes sont tous mentionnés parmi les éléments dont il fallait rendre compte dans les communications avec le Conseil de sécurité ou le secrétaire général. Quels mécanismes ont été mis sur pied à cette fin? Ont-ils été efficaces? Avez-vous eu un rôle à jouer sur ce plan, ou la tâche a-t-elle été confiée à quelqu'un d'autre?
    Visiblement, le Conseil de sécurité a établi la légitimité internationale dans les résolutions 1970 et 1973 sur lesquelles l'OTAN a fondé son intervention. L'OTAN n'a pas besoin d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU pour intervenir, parce qu'il s'agit d'un organe international, mais en l'occurrence, ces résolutions ont fourni la légitimité nécessaire. Je peux aussi vous dire que beaucoup de pays n'auraient pas joint nos rangs si l'ONU n'avait pas établi ce fondement légitime pour le faire.
    Ensuite, le Conseil de l'Atlantique Nord m'a confié une série de tâches. Vous en avez énoncé trois. Il s'agissait principalement de l'embargo aérien et maritime, et de la protection des civils.
    Le Conseil vous confie la tâche que vous devez accomplir. Il précise les règles d'engagement. Ces règles sont approuvées à l'échelon national, mais le Conseil me dicte les règles d'engagement que je devrais respecter. Il détermine aussi des ensembles de cibles, ce que je peux et ne peux pas toucher. Il n'énumère pas les cibles, seulement les catégories. Le Conseil de l'Atlantique Nord m'a communiqué ces instructions par l'intermédiaire du SACEUR, le Commandant suprême des Forces alliées en Europe. La chaîne de commandement est la suivante: le Conseil de l'Atlantique Nord, en passant par la structure militaire, sous les ordres du Commandant suprême des Forces alliées en Europe, l'amiral Stavridis et, sous lui, le Commandement de la force interarmées, dont j'étais le commandant adjoint. Un groupe de travail mixte a aussi été créé. C'était la hiérarchie dans laquelle j'évoluais.
    Je faisais quotidiennement rapport à mon supérieur immédiat. Nous présentions une évaluation hebdomadaire à l'échelon supérieur de la structure hiérarchique, pour ainsi dire. Puis chaque mois, un rapport était envoyé au Conseil de l'Atlantique Nord, mais la relation entre ce dernier et les Nations Unies est de nature politique et stratégique et ne relève pas de ma compétence. Je me contentais de fournir l'information, mais nous le faisions de façon quotidienne, hebdomadaire et mensuelle.
    J'ajouterai un point, si vous me le permettez, parce que nous devons aussi évaluer notre façon de procéder. Nous avions des mandats de 90 jours. Ces mandats de 90 jours peuvent engendrer beaucoup de problèmes pour la population sur le terrain. Les habitants étaient terrifiés à l'idée que nous allions les abandonner après 90 jours. Ce que je veux dire, monsieur, c'est ceci: comment pouvons-nous équilibrer la crainte que suscite un engagement à long terme et l'assurance que nous serons là aussi longtemps qu'il le faudra?
    C'est tout ce que j'ai à dire.
    Merci.
    Le temps est écoulé.
    Madame Gallant, vous avez sept minutes.
    Merci monsieur le président. J'aimerais que le général Bouchard nous fasse part des défis qu'il a dû relever en ce qui concerne l'interopérabilité avec les autres membres de l'OTAN qui ont participé à l'opération Protecteur unifié?
    Des problèmes se posent encore à ce jour pour que nous puissions communiquer et travailler ensemble. Ils vont de la mise en commun du renseignement à la mise en place de la bonne infrastructure, parce que l'interopérabilité est synonyme de mise en commun. Il s'agit de travailler ensemble.
    Nous avons eu des problèmes du côté du renseignement. Comment pouvions-nous transformer les renseignements nationaux obtenus par les Five Eyes — le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande — en des secrets de l'OTAN, et au-delà, parce qu'il y avait les partenaires arabes en plus de la Suède? Comment intégrer le tout? C'était le défi. Nous avons créé un centre de diffusion, administré par un Canadien — j'ajouterais —, parce que nous étions les mieux placés pour le faire. C'est la première partie.
    La deuxième partie, bien sûr, c'est qu'il faut que les gros éléments soient interopérables. La marine ne pose pas de problème, non plus que les forces aériennes comme telles. Deux aspects nous ont probablement posé le plus grand problème. L'un était la capacité de transférer l'information par l'intermédiaire du réseau de données classifiées des alliés de l'OTAN parce qu'ils ne se parlent pas forcément. Vous vous retrouvez avec plusieurs ordinateurs sur votre bureau pour que vous puissiez parler à... Madame, j'avais cinq ordinateurs sur mon bureau au NORAD, et c'était seulement pour deux pays. Vous devez donc vous débrouiller pour que ça fonctionne.
    Le dernier défi est manifestement l'aspect culturel: comment pouvons-nous travailler les uns avec les autres, et comment pouvons-nous communiquer, parce que l'interopérabilité ne se résume pas au matériel: l'humain entre aussi en jeu. C'est probablement le plus grand défi à mon avis. La bonne volonté, la compréhension et la communication permettent de surmonter les obstacles techniques. À mon avis, l'essence de l'interopérabilité, c'est de comprendre la culture de l'autre, de la respecter, de faire confiance à l'autre et de trouver des solutions.
(1205)
    Selon vous, quels types de changements seraient utiles à l'OTAN pour mettre en oeuvre les leçons tirées de l'opération Protecteur unifié?
    C'est une très bonne question. Je garde un oeil sur le président qui va probablement m'arrêter sous peu.
    Les transformations nécessaires sont vraiment — et je conclurai là-dessus — une question d'agilité et d'attitude. C'est probablement le point le plus important. Mais du point de vue du gouvernement, nous devons vraiment envisager la rationalisation de l'organisation. Je sais que nous avons fait une partie du travail. Je crois que nous sommes passés de 14 à un nombre beaucoup plus petit. Nous devons nous pencher là-dessus. Je crois qu'il reste peut-être encore certains chevauchements inutiles ou des domaines dans lesquels nous pouvons faire des économies dans notre approche.
    Par ailleurs, ce n'est pas aussi apparent au Canada, mais je l'ai certainement observé en vivant en Europe, où un changement structurel a une incidence sur la collectivité. Nous n'avons aucune présence de l'OTAN au Canada de façon courante, ni en France d'ailleurs, mais en ce qui concerne l'incidence régionale, un quartier général énorme où 200 millions d'euros sont dépensés aura sans doute une incidence sur l'économie locale et sur l'approche politique à cet égard. Nous devons y travailler, mais cela commence par une volonté soutenue. Le renforcement des capacités et des moyens est vraiment une question de mise en commun, mais l'aspect transformationnel demeure. Le problème consiste à déterminer comment aborder le problème. Comment abordons-nous cette défense commune, cette mise en commun et ce partage des ressources, et qu'est-ce que cela comporte vraiment? Devons-nous trouver un but et un objectif communs sur lesquels nous sommes tous d'accord? C'est un concept fantastique, mais nous devrons maintenant le mettre en oeuvre. C'est là où la transformation entre en jeu.
    Enfin, du point de vue de l'OTAN et du point de vue militaire, il s'agit de créer une organisation de combat. C'est quelque chose que nous n'avons pas à rebâtir chaque fois que nous participons à une opération, c'est une organisation qui demeure prête à le faire chaque jour. C'est ce que nous avons au NORAD. Cela existe; chaque jour, nous sommes sur un pied d'alerte. Nous pouvons le faire. L'OTAN a besoin de la même structure, à mon avis.
    Me reste-t-il du temps, monsieur le président?
    Il vous reste du temps.
    Quelles améliorations ont été apportées aux Forces canadiennes dans le sillage des connaissances acquises grâce à l'Opération MOBILE?
    Il m'est très difficile de répondre à cette question. Mes quelques derniers mois dans l'armée ont été consacrés à parler à des organes prestigieux comme celui-ci, et à d'autres, comme des universités, entre autres. Je n'ai eu aucun rôle à jouer dans les changements apportés aux Forces canadiennes. Il serait mal venu de ma part de commenter quelque chose que je ne connais pas à fond. Ce n'est pas approprié. Cependant, je sais que les leçons ont été communiquées et que beaucoup de... Je suis l'un des rares qui ont quitté les Forces; il en reste beaucoup dans les Forces. Je sais qu'ils changeront la structure au besoin. Je n'irai donc pas plus loin.
    Bon nombre des commandants en Europe jouent deux rôles. Ils assument le commandement de l'OTAN en plus du commandement des forces des États-Unis en Europe, la sécurité de la zone. Avez-vous éprouvé des difficultés du fait que ces commandants portent deux chapeaux?
(1210)
    À bien des égards, je portais aussi deux chapeaux. On s'y habitue. Je crois que le défi consiste à observer ce qui se passe et à remarquer qui essaie de passer en douce des objectifs ou des intérêts nationaux au coeur de ce qui devrait être un organe international basé sur la mission de l'OTAN. Je l'ai compris. C'était évident. Nous en avons simplement discuté.
    Pour ma part, les communications sont l'élément important. Il s'agit de se parler et de saisir en quoi consistent les priorités nationales, de recommander ce que je peux et ne peux pas faire d'un point de vue international et d'expliquer clairement ce qui est de mon ressort et ce qui relève des objectifs nationaux ou qui est du ressort de ceux qui portent deux chapeaux... qu'il s'agisse de l'Union européenne ou d'autres organes. C'était clair pour moi, mais ce l'était parce que nous avons travaillé fort pour que ce soit clair et pour comprendre. Ma crainte, c'était que si nous ne réalisions pas tous les objectifs qui étaient fixés... Je voulais éviter qu'une nation, ou deux ou trois ou cinq — le nombre importait peu — défendent des visées nationales. Cela aurait mis en danger l'Alliance elle-même, si certains membres avaient dit: « Si vous voulez faire ceci, nous quittons l'organisation ». C'était mon centre de gravité: de fait, le point le plus important était l'Alliance elle-même.
    Ce que vous soulevez est très valable, madame, c'est-à-dire comprendre l'autre partie et ces objectifs, préciser clairement ce qui est de mon ressort et ce qui ne l'est pas, puis composer avec cela. J'espère avoir répondu à votre question.
    Merci.
    Merci. Le chrono s'est arrêté à sept minutes pile.
    Monsieur McKay.
    Merci, monsieur le président. Merci général.
    Votre déclaration est probablement la déclaration la plus réfléchie et sage que j'ai entendue depuis toutes les années que je siège ici. Je l'avoue, j'ai l'impression que je devrais vous inviter à prendre une bière pour vous consulter pendant les trois prochaines heures. En sept minutes, j'ai bien peur de ne pas pouvoir accomplir grand-chose, mais la bière nous attend.
    Merci monsieur, j'accepte votre invitation.
    Je voudrais revenir, si vous voulez bien, à ce que vous avez dit au sujet de l'absence de suivi en Libye. Vous deviez savoir 30 jours, peut-être même 60 jours avant la fin officielle du conflit que la fin approchait. J'aimerais que vous nous parliez des discussions qui ont eu lieu au sein de l'OTAN et avec l'OTAN au sujet de l'après-conflit en Libye. Vous avez dit à juste titre qu'il s'agit essentiellement d'un problème de gouvernance politique ou judiciaire du processus électoral... et vous avez dit à juste titre que ce n'est pas le rôle de l'OTAN. Je vous renvoie la question en vous demandant: si ce n'est pas le rôle de l'OTAN, qui doit s'en occuper? Je suppose que la réponse, c'est que l'ONU est censée s'en charger.
    J'aimerais donc connaître vos réflexions sur le sujet, parce que c'est un peu comme si on remportait la bataille, mais qu'on perdait la guerre. Il y a un risque très réel que la Libye dégénère en un autre État en déroute.
    Merci beaucoup, monsieur McKay.
    Je lis les actualités d'AlJazeera tous les matins, simplement pour savoir ce qui se passe en Libye, car cela me tient très à coeur, après avoir fait ce que nous avons fait. Au plan stratégique, la question qui se pose, comme vous l'avez dit, c'est que 60 ou 90 jours avant la fin, nous voyions déjà des signes, mais nous ne pouvions que faire des recommandations parce que c'est bien au-delà... cela devient une question de stratégie, de volonté des nations, à savoir qui sera responsable.
    Je ne critique aucune organisation en particulier; c'est simplement que, dans le jargon du hockey, quelqu'un doit être là pour recevoir la passe. Nous nous demandions à qui nous allions passer la rondelle. Nous avons établi des périmètres. Nous avons parlé à M. Martin, le représentant du secrétaire général de l'ONU pour la Libye, lorsqu'il a pris le relais. J'ai fait certaines recommandations, mais comme ma mission était très restrictive — et à juste titre, je devais m'en tenir à mon mandat — une fois que mon mandat a été accompli, nous avons passé en revue certains points que je viens de vous énoncer. Puis nous nous sommes demandés, comme je l'ai dit, à quel niveau et comment procédons-nous.
    À mon avis, le point le plus important n'est pas seulement ce qui se passe en Libye, mais le conflit suivant en fait partie. Une fois que nous avons déterminé si nous intervenons ou pas dans un conflit, la question suivante devrait automatiquement être de déterminer ce que nous allons faire une fois que nous aurons réglé ce conflit, et la réponse doit être fournie avant que nous nous soyons trop engagés.
    Nous devrions peut-être investir plus d'énergie sur ce plan.
(1215)
    On parle beaucoup de bottes sur le terrain. Dans les faits, ce sont des bottes et des souliers et des sandales et des pieds nus sur le terrain. Avait-il été question de prendre des mesures pour éviter que la Libye ne dégénère dans un état que nous pourrions sans doute qualifié de chaos?
    Ces sujets m'intéressent au plus haut point. Premièrement, la question des bottes sur le terrain... vous avez tout à fait raison. Il y avait des sandales et des souliers de course et ils appartenaient à beaucoup de gens, mais pas aux forces de l'OTAN sous mon commandement. C'était un élément. Il y a une stratégie intéressante à cet égard. Tous les jours, j'aurais aimé avoir des bottes sur le terrain parce que j'aurais pu intervenir d'une certaine façon, mais le fait de ne pas avoir de bottes sur le terrain a grandement facilité pour nous la stratégie de sortie. À minuit, j'ai dit « stop » et les navires ont fait demi-tour, les avions ont fait demi-tour et la partie était terminée pour nous. Nous étions hors circuit.
    Le deuxième élément, qui m'apparaît plus important, est une stratégie que nous devons examiner, à mon avis. Si les gens sur place peuvent prendre la situation en main, devrions-nous envoyer nos soldats sur place, ou imposer la responsabilité à ces gens? Si nous avions envoyé 150 000 soldats en Libye, j'ai l'impression que les Libyens seraient restés en retrait et ils auraient dit qu'ils attendraient que l'OTAN ait terminé, puis ils auraient commencé à prendre la situation en main. En l'occurrence, nous n'avons pas procédé ainsi. Sans leur dire quoi faire, l'essentiel pour nous était de déterminer comment nous allions faire en sorte de créer les conditions propices au succès, qui consistaient pour nous à assurer la protection des civils. Nous en sommes restés là. Je ne servais pas de force aérienne ou de marine privée du Conseil national de transition, mais essentiellement, en mettant fin à la violence, nous avons créé pour eux les conditions propices pour poursuivre leur lutte. Une fois encore, l'état ultime et le but ultime étaient la volonté de Kadhafi de commencer à négocier et de cesser de s'en prendre à son peuple, mais il a choisi d'agir différemment.
    Vous avez soulevé le point intéressant d'une porte de sortie pour Kadhafi. Je peux en débattre de plusieurs façons différentes et arriver à des réponses mutuellement contradictoires.
    Dans un conflit comme celui-là, je ne sais pas quel rapport entre l'OTAN et la personne qui est à l'origine du conflit serait approprié. Une fois que le bref a été émis, pour ainsi dire, Kadhafi était cuit. Il était pris au piège. Quel est le mécanisme qui permet cette conversation au sujet de ce que la Cour internationale à La Haye doit faire et de ce que l'OTAN doit faire?
    Je veux mettre une chose au clair: je n'essayais pas de critiquer la Cour internationale de justice...
    Vous êtes très prudent. Je ne suis pas aussi prudent.
    ... mais une action provoque une réaction. Dans ce cas-ci, la réaction n'était pas une stratégie de sortie pour le dictateur que nous essayions de convaincre de cesser de faire ce qu'il faisait. Il a fallu des activités cinétiques et non cinétiques soutenues pour le convaincre de cesser ce qu'il faisait.
    Or, comment pouvons-nous créer un environnement propice? Je me souviens avoir dit dans les premiers jours de notre mission que notre travail consistait à créer un environnement dans lequel nous pourrions établir un dialogue et la diplomatie pourrait prendre le relais, parce que c'est ce qui sauve beaucoup de vies. Cela appartient au domaine politique du Conseil de l'Atlantique Nord et des nations participantes.
    À mon avis cependant, au bout du compte, il s'agit que la justice prenne sa place et qu'on voie que la justice prend sa place, mais la justice doit aussi prendre place au bon moment, la priorité absolue étant de mettre fin à la violence contre les civils — cesser de voir des gens mourir — et nous réglerons ensuite la question de la légitimité puis la magistrature. Nous pourrions passer beaucoup d'heures et beaucoup de bières sur ce point.
    J'aimerais bien le faire. J'accepte l'invitation.
    Merci monsieur.
    Merci.
    Nous en sommes à huit minutes. Je donne la parole à M. Opitz, pour entamer la série à cinq minutes.
    Merci monsieur le président.
    Une fois encore, général, merci pour tout ce que vous avez fait. Vos actions en Libye ont fait grand honneur au Canada et nous vous en remercions.
    J'ai écouté attentivement tout ce que vous avez dit — au sujet de l'adaptation à l'environnement de combat, au contexte de ce que nous combattons et à l'endroit. Par rapport à ce dont vous avez parlé et à ce que nos soldats ont fait en Libye, en Afghanistan, en Bosnie et dans d'autres théâtres de guerre, la diplomatie est importante, de toute évidence. Même en descendant au grade de caporal et de caporal-chef...
    Lgén Charles Bouchard: J'en conviens.
    M. Ted Opitz: ... nous demandons à nos soldats sur le terrain de posséder ces compétences et d'être aptes à gérer et à régler des problèmes au plus bas niveau possible, ce qui pourrait avoir des répercussions stratégiques nationales particulières s'ils devaient faire fausse route.
    Quant à l'organisation et à la synchronisation de la planification des campagnes, cette défense intelligente dont vous avez dit qu'elle peut poser problème par rapport aux capacités dont un pays dispose et la possibilité de compter sur elles au moment où vous en avez besoin alors que vous concentrez vos forces ou peu importe ce que vous faites à ce moment — et le capital intellectuel, où je crois que les Forces canadiennes... Monsieur, je ne sais pas si vous serez d'accord avec moi, mais tout au long des années 1970 et 1980, bien sûr... Quand nous combattions encore dans la Deuxième Guerre mondiale, la planification se résumait encore à décider d'attaquer sur le flanc droit ou sur le flanc gauche et je crois que le fait de manquer de tout a eu une incidence plutôt positive à la fin des années 1990 et au cours des dernières décennies, parce que nos gens ont dû apprendre à être extrêmement innovateurs et à composer avec ce qui leur manquait.
    J'aimerais savoir si vous pensez que nous devrions réviser les principes de guerre pour que nous adoptions une approche nationale plus stratégique à la guerre, qui comprendrait les techniques diplomatiques. Elle mettrait aussi l'accent sur l'agilité et les capacités dont vous parliez plus tôt et, de fait, la stratégie de sortie pour un Kadhafi avant que la situation dégénère et que les conséquences deviennent si horribles que vous ne pouvez plus permettre à cette personne de partir.
    Pourriez-vous commenter, monsieur?
(1220)
    Merci beaucoup, monsieur. C'est très pertinent.
    À mon avis, il faut retenir en premier lieu que les Forces canadiennes sont très habiles à former leur personnel sous ce rapport, mais je crois aussi que nous avons besoin d'une définition claire de ce que nous entendons par « approche globale », au sens le plus large.
    J'ai observé une approche globale en Afghanistan, en Irak, en Bosnie et dans les Balkans, de même qu'en Libye, bien sûr. En qualité de commandant d'un théâtre militaire, j'avais mes entrées, mais où est le lien avec les entités politiques? Nous avons travaillé sur cet élément, comme je l'ai dit, de l'infrastructure politique, militaire, économique, sociale, culturelle et ainsi de suite.
    Nous devons continuer de former notre personnel, mais nous devons aussi conseiller nos dirigeants politiques, ceux qui nous donnent des ordres, sur la façon de travailler ensemble, et c'est là où l'armée échoue parfois.
    La rétroaction que j'ai fournie au SACEUR portait rarement sur mes activités militaires mais plutôt sur ce dont j'avais besoin dans le cadre de ces approches globales constructives, parce que c'est une approche réciproque, et j'ai souvent demandé en quoi consistait, par exemple, — et j'en arrive à votre dernière question, le dernier point — la stratégie face à Kadhafi, parce que nous étions le bras d'intervention de l'OTAN, chargé des activités cinétiques et des activités d'influence non cinétiques. En quoi consistaient les activités diplomatiques? Qui négociait avec lui? Je sais que le président Zuma et l'Union africaine ont fait de leur mieux. La Ligue arabe faisait une partie du travail, mais était-ce coordonné et qui coordonnait ces interventions à ce niveau? Une grande partie se faisait de façon bilatérale, qu'il s'agisse des États-Unis directement, ou de la France, ou du Royaume-Uni, ou même du Canada. Je sais que tous faisaient une part du travail sous ce rapport.
    Mon opinion, c'est que nous continuons de former. Nous formons des caporaux stratégiques. La façon dont nous nous y sommes pris est proprement remarquable. Monsieur, d'après mon expérience, les pays ne le font pas tous parce que les cultures ne le font pas toutes. Je vais y revenir: à bien des égards, notre contribution à l'OTAN, ce sont les compétences, les capacités et les connaissances que nous possédons et il est donc important d'y rester parce que nous apportons une valeur ajoutée.
    Je conclurai, monsieur, en disant qu'au cours de l'opération, j'ai dit à l'amiral: « Vous remarquez probablement qu'il y a passablement plus d'uniformes canadiens qui se promènent à l'intérieur de votre quartier général ». De fait, le drapeau canadien flottait à côté de mon quartier général et c'était à l'Opération MOBILE. Je l'avais installé à côté. Il m'a répondu: « J'aimerais en voir davantage, beaucoup plus souvent et beaucoup plus en permanence ».
    Nous avons fait sentir notre présence comme Canadiens, monsieur, nous faisons sentir notre présence à l'OTAN aujourd'hui et nous pouvons le faire à l'OTAN à l'avenir en continuant de faire ce que nous faisons, dans les domaines où nous excellons.
    Merci. Le temps est écoulé.
    Madame Moore.
(1225)

[Français]

     Monsieur Bouchard, c'est un grand plaisir de vous parler
    J'ai deux questions. La première porte sur un article qui traite de la mission en Libye. Cet article s'intitule « NATO Sees Flaws in Air Campaign Against Qaddafi ». L'auteur écrit ceci:

[Traduction]

[Traduction] « Les nations n'ont pas communiqué de façon efficace et efficiente les renseignements nationaux, ni ciblé l'information entre les alliés et avec les partenaires. L'incapacité de mettre en commun l'information a grandement nui aux nations qui devaient décider si une cible pouvait être attaquée » d'après les renseignements provenant d'un autre pays.

[Français]

    J'aimerais connaître votre opinion. Selon vous, quelle était l'origine de ce manque de partage d'information, quelles sont les conséquences de ces problèmes et comment y remédier lors d'éventuelles opérations?
    De plus, lors de votre discours d'introduction vous avez dit que ce qu'on allait détruire, il faudrait le reconstruire. J'aimerais aborder un peu ce sujet.
    J'aimerais faire un parallèle avec ce que j'ai vu, bien que ça ne concerne pas le Canada. Je parle de ce qui s'est passé en Irak. À ce moment-là, j'étais militaire et ça m'avait touché énormément. Lorsque M. Hussein est tombé, on a vu — du moins dans les médias, car ça ne se passait peut-être pas exactement comme ça sur le terrain — des militaires protéger le ministère du Pétrole pendant que les hôpitaux et les écoles étaient pillés. Certaines personnes volaient des appareils radiographiques. Dans le fond, le pays a dû reconstruire des choses qu'il aurait peut-être pu protéger.
    J'aimerais savoir si, dans des opérations comme celle qui a eu lieu en Libye, il y avait un plan d'action précis pour protéger rapidement les institutions civiles. Aviez-vous un plan? Saviez-vous, à mesure que Kadhafi tombait, combien vous aviez de militaires à envoyer dans tel hôpital, par exemple? Y avait-il un plan précis de ce genre? Connaissiez-vous les institutions civiles à protéger? Est-ce une chose intégrée, si on peut dire, de manière générale dans les missions où plusieurs pays sont impliqués? Les commandants ont-ils cette vision et pensent-ils tout de suite aux institutions qui doivent être protégées, pour éviter qu'elles soient détruites et pour qu'elles soient en mesure d'être fonctionnelles le plus rapidement possible?
    Merci, madame. Ce sont de très bonnes questions.
    Premièrement, en ce qui a trait à l'échange d'information, le défi est que l'OTAN n'a pas de source d'information proprement dite. L'échange de renseignements au sein de l'OTAN se produit de la sorte: chacune des nations donne de l'information, aussi peu ou autant qu'elle le souhaite.
     Il y a de l'information au sein des différents pays, que ce soit le niveau « NOFORN » aux États-Unis, le niveau « Confidentiel-Défense » en France, ce peut être le niveau « réservé à », peu importe. Imaginez en plus qu'il s'agisse d'une mission avec des pays arabes qui travaillent avec nous pour la première fois et avec d'autres pays qui ne sont pas membres de l'OTAN! C'est un défi parce qu'on n'a aucune architecture existante.
    La transmission de l'information est une question non seulement de technologie, mais surtout de procédure et de politique nationale. Quand on commence une opération en disant qu'on est ensemble pour trouver une solution, il faut partager les renseignements.
    Je vous dirais, madame, que ma perspective est double. Le premier est qu'en tant que Canadien, j'avais eu l'occasion de servir au sein de l'OTAN et avec les États-Unis. Très tôt dans le conflit, j'ai eu le plaisir d'obtenir la confiance des autres pays qui me donnaient l'information. Le problème était de partager cette information. Je suis donc devenu le centre de fusion. On a créé notre propre architecture qui était fondée sur un principe qui me guidait en toute circonstance. Je me suis dit que mon centre de gravité était l'OTAN et que si je perdais une de mes forces, une seule personne, un navire ou un avion, parce que quelqu'un dans ce groupe savait quelque chose qu'il n'avait pas partagé, ce serait un échec majeur. On s'est alors donné cela pour principe de base: c'est à ce moment qu'on a partagé l'information, et on a appris. C'est là aussi que j'ai mis beaucoup de pression sur les pays.
    Dans le futur, on devrait créer d'avance une politique établissant que si ces pays se mettaient ensemble pour faire cela, il faudrait rendre disponible l'information le plus tôt possible et la partager. Il y a donc un aspect politique et un aspect procédural. Au niveau opérationnel, il faut avoir une bonne entente et mettre l'accent sur la mission afin de la réaliser. C'était mon premier point, madame.
     Aussi, j'avais toute l'information dont j'avais besoin pour le ciblage. C'était une question de bien partager l'information.
    Que fait-on dans le cas où l'information ne peut pas être partagée? Dans ce cas, on choisit qui va accomplir la mission. Au début, c'était comme cela, mais vers la fin, tout le monde avait l'information puisqu'on avait créé une atmosphère qui favorisait le partage d'information. Cependant, je n'ai jamais ressenti le manque d'information dont j'avais besoin pour accomplir les tâches. Je ne suis pas d'accord sur les allégations, même si on aurait pu faire beaucoup mieux.
    Deuxièmement, en ce qui a trait à la reconstruction et la construction, deux tiers des cibles de la Libye n'ont pas été attaquées pour cette raison. Pour revenir au ciblage, il était fait par équipe, ce qui n'était peut-être pas facile pour certains collègues ayant une autre culture militaire. J'avais des conseillers politiques, culturels, pour les affaires publiques, pour les options cinétiques et non cinétiques, pour les affaires juridiques, en plus des opérations, mais j'étais la personne responsable. Je prenais les décision à la fin, mais nous étions tous ensemble pour discuter.
    Dans le cas de beaucoup de questions, je me demandais quel serait l'impact du choix d'une cible donnée sur la vie civile, par exemple, s'il s'agissait d'un hôpital, d'un centre de communication ou d'une raffinerie. Je me demandais combien de temps cela prendrait pour reconstruire, d'où l'importance de faire preuve d'un bon jugement. Si je n'étais pas certain qu'une action arrêterait la violence contre la population, on ne la faisait pas. On se demandait combien de temps il faudrait pour reconstruire. C'est pour cela que vous avez peut-être remarqué qu'aucune raffinerie ou qu'aucun hôpital n'a été touché par l'OTAN. Bien sûr, certains édifices qui servaient à de mauvaises fins contre les civils ont été touchés, mais on se demandait toujours si on allait faire du bien ou du mal à la population.
(1230)
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Monsieur Chisu, à vous la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci beaucoup, général Bouchard.
    Général Bouchard, l'opération en Libye, l'Opération MOBILE, était unique du fait que la force aérienne était en charge et qu'il n'y avait pas de bottes sur le terrain. C'était également la première opération dans laquelle les États-Unis étaient à l'arrière-scène et où le Royaume-Uni, la France et le Canada — avec quelques autres pays — étaient aux commandes.
    Pouvez-vous élaborer sur la contribution des 18 pays que vous avez mentionnés et sur la souplesse? Dans quelle mesure les forces de ces nations se sont-elles intégrées rapidement?
    Merci, monsieur.
    Il n'y avait pas de bottes sur le terrain. Par conséquent, il devenait essentiel de faire une démonstration de puissance aérienne et maritime. Beaucoup de gens ont mis l'accent sur l'intervention aérienne parce qu'elle est probablement la plus visible et la plus spectaculaire mais je veux mentionner mes collègues de la marine, qui ont consacré beaucoup de temps et fait une grande partie du boulot et, plus important encore, qui ont gardé le port de Misrata ouvert malgré les mines et les bombardements. Pour vous donner une idée, la dernière fois où un navire canadien avait essuyé des tirs, c'était au cours de la guerre de Corée. Ils ont fait preuve de beaucoup de courage, monsieur, donc si vous me le permettez, je ne passerai pas sous silence les capacités et les efforts de notre marine... Ils ont été vraiment importants.
    Le deuxième élément, toutefois, est le travail d'équipe. Je n'étais pas du tout d'accord avec l'expression que les États-Unis employaient, « commander de l'arrière », parce que ce n'était pas le cas. Mon supérieur venait des États-Unis. Son supérieur à lui venait des États-Unis. Il y avait beaucoup d'activité sur la scène internationale de la part des États-Unis également. Ils ont peut-être opté pour répartir également le fardeau d'un point de vue militaire. Les États-Unis ont fourni des capacités et des moyens qui n'étaient pas disponibles ailleurs.
    Chaque jour, j'avais en moyenne plus de 30 aéronefs de ravitaillement dans les airs. L'un d'eux était canadien, quelques-uns étaient britanniques, mais la plupart d'entre eux venaient des États-Unis. Ils ont établi un pont aérien et nous n'aurions pas pu y arriver sans lui. C'est la capacité et le moyen essentiels.
    Quant aux moyens, il y avait aussi l'appui des services du renseignement, et je n'irai pas plus loin. Ils ont apporté une grande contribution, mais une fois encore, le truc consistait non seulement à prendre ce qu'ils pouvaient fournir, mais à combiner tous ces renseignements et à les traiter. De fait, voilà le sens de « mettre en commun et partager »; c'est l'avenir de l'OTAN. Ce n'est pas qu'une question d'équipement, mais aussi de renseignement et de tout le reste. Ils ont joué un rôle essentiel.
    Pour ma part, chaque semaine, je m'entretenais avec mes collègues à Paris, au Royaume-Uni et évidemment, aux États-Unis et au Canada. Pour ma part, il y avait un dialogue continuel. Ils ne m'ont pas dit quoi faire; je les ai informés de ce que je faisais. Je voulais m'assurer d'être au fait des préoccupations nationales qui avaient cours pour déterminer l'incidence qu'elles avaient sur la campagne, ou si la campagne devait être modifiée en conséquence. Ce n'était pas parce que j'étais sous les ordres de ces pays, mais davantage pour m'assurer que je n'avais pas à composer avec un mouvement national qui briserait l'Alliance.
    Les États-Unis ont joué un rôle essentiel. À l'avenir, je sens que le message des États-Unis sera: « Nous n'irons pas, mais quelle partie de l'opération le reste de l'Europe peut-elle prendre en charge et que nous n'aurons pas à fournir?» C'est le rééquilibrage du fardeau commun.
(1235)
    Merci beaucoup.
    Pouvez-vous élaborer sur la cybersécurité et la sécurité spatiale, qui demeurent des priorités pour l'OTAN? Il y avait probablement quelqu'un d'autre à l'écoute et c'est ainsi que le conflit en Libye est né. Je ne me prononce pas sur qui était à l'écoute, mais tout le monde sait qui était à l'écoute et qui suivait l'opération, que celle-ci soit couronnée de succès ou non.
    Comment pourrons-nous régler les préoccupations éventuelles en cernant la cybersécurité et la sécurité spatiale et garantir qu'elle ne sera pas compromise?
    Je suis d'accord avec vous. Beaucoup de gens écoutaient tout ce que nous faisions et tout ce que nous préparions. C'est correct, parce que c'est un couteau à deux tranchants. Vous pouvez l'exploiter à votre avantage au besoin. Nous devons en être conscients.
    Plus important encore, dans le cas de la Libye, tout se faisait par iPhones, iPads, YouTube, Skype, courriel et Facebook. Nos éclaireurs se rendaient sur place avec leur iPhone et prenaient des photos puis faisaient un compte rendu à leurs supérieurs à Benghazi sur Skype et versaient la vidéo sur YouTube. Facebook pouvait nous fournir des indications sur les intentions du Conseil national de transition.
    Nous devons nous mettre nous aussi au diapason. J'avais affecté trois personnes à cette tâche, des locuteurs arabes, et ce n'était pas suffisant à cause de la somme d'information.
    Le problème tient au fait que nous entrons aussi dans des considérations juridiques, parce que vous pouvez diffuser de l'information et l'échanger. Le problème dans l'univers cybernétique, c'est qu'il n'y a pas de frontière ou sinon, comme nous le savons, qu'il est très difficile d'en avoir. Le serveur qui vous assure le service peut bien être à l'extérieur de cette région géographique. D'un point de vue militaire, les lignes tracées sur la carte sont importantes. Le problème, et vous êtes un ingénieur, c'est que lorsque vous entrez dans l'univers cybernétique, il n'y a pas de ligne sur la carte; il y a seulement le globe. Comment pouvons-nous prendre en compte cet élément? Nous pouvons agir militairement, ou dans l'univers cybernétique, tant de façon offensive que défensive, mais comment pouvez-vous exercer un contrôle afin de garantir que vous n'élargissez pas la mission au-delà du domaine dans lequel vous êtes censés opérer sans faire entrer quelqu'un que vous ne voulez pas voir dans ce domaine?
    Le dernier point, c'est que je n'avais pas l'autorisation légale de mener des opérations de cette nature et nous ne l'avons donc pas fait. Nous avons réuni les renseignements que nous avons pu réunir. Nous les avons recueillis de partout, mais nous ne pouvions pas agir, parce que je n'étais pas autorisé à le faire.
    Néanmoins, je dirais, monsieur, que nous devons nous pencher sur le sujet. Nous pourrions peut-être stopper une attaque dans le cyberespace sans intervention cinétique. La reconstruction que madame a mentionnée plus tôt n'en serait que plus rapide. Nous pouvons exercer une influence beaucoup plus rapidement et nous pouvons le faire sans mettre qui que ce soit en danger. C'est un domaine que nous devons continuer d'explorer mais nous avons aussi besoin de temps pour comprendre comment composer avec cet élément. C'est une très bonne question à l'égard de laquelle je ne peux que formuler quelques réflexions, sans pouvoir offrir de solution pour le moment.
    Merci.
    Le temps est écoulé. Nous passons à M. Kellway.
    Merci monsieur le président, et général Bouchard, c'est merveilleux de vous avoir parmi nous. La conversation a été très intéressante jusqu'à présent.
    L'un des avantages de votre présence parmi nous tient au fait que vous êtes probablement exceptionnellement bien placé pour commenter la doctrine du droit de protéger. Je pense que très peu d'autres personnes ont eu à prendre cette doctrine et à l'appliquer dans le contexte d'une intervention militaire.
    Je crois comprendre que la doctrine vise essentiellement la prévention du génocide et les gouvernements qui ne réussissent pas à s'acquitter de leur obligation de protéger leurs citoyens.
    Ma question est peut-être davantage de nature philosophique, mais grâce à vous, elle pourrait être éclairée par des expériences concrètes. La doctrine est-elle utile dans le contexte d'une intervention militaire? Est-ce une doctrine sensée qui mérite d'être conservée?
    Il y a une citation que je trouve assez amusante mais très pertinente. Je cite Simon Adams, le directeur exécutif du Centre mondial pour la responsabilité de protéger. Il disait que bien qu'il s'agisse essentiellement d'une doctrine préventive, le droit de protéger n'est pas un changement de régime sous un éclairage tamisé. Il dit qu'il y a là une certaine différence.
    Il semble y avoir une forme de contradiction interne, ou une sorte de terrain glissant sur le plan de la logique, qui vous fait passer du droit de protéger au changement de régime. Je me demandais si vous pouviez commenter pour nous la mesure dans laquelle cette doctrine est sensée dans le contexte de l'intervention militaire.
(1240)
    Merci, monsieur.
    Il est difficile de répondre à cette question, mais je vais essayer de vous donner mon point de vue. Pas un jour ne s'écoule sans que ce conflit me vienne à l'esprit à un moment donné. De fait, je m'y attaquerai également en matière d'éthique.
    Si la mission consiste à protéger la population de ceux qui usent de la violence et que je dois les neutraliser, et que mon intervention risque de mettre la population en danger en même temps, comment puis-je composer avec ce conflit? Dois-je accepter un nombre plus faible de pertes, disons cinq morts, pour protéger un hôpital abritant 2 000 personnes et comment puis-je faire face à ce problème? C'est ce que les commandants font. Ce sont les aspects éthiques et moraux.
    Je vous ai présenté un exemple tactique ou opérationnel que nous pouvons extrapoler, si vous le désirez, au plan stratégique, en ce qui concerne la responsabilité de protéger par rapport à la reconnaissance de la souveraineté nationale et à quel moment la communauté internationale dit-elle que c'en est assez et que nous devons intervenir; d'où le besoin de légitimité à l'échelon international comme fondement de l'intervention.
    Je crois que c'est la première partie, parce que si nous agissons d'un point de vue militaire, la Libye n'est pas un modèle pour nulle part ailleurs. La Libye était un modèle pour la Libye et c'est tout. La prochaine fois, quelqu'un devra examiner le prochain point, le prochain problème et départager tous ces aspects que j'espère avoir exposés pour votre examen, que ce soit l'appui régional, la géographie, les parties au conflit, et en faire un tout pour dire: quel genre de stratégie vais-je utiliser pour régler ce problème?
    Pourtant, à un moment donné, nous allons devoir mettre à contribution des bons lorsque les méchants ne saisissent pas le message. L'arme de choix devrait être la diplomatie, le dialogue et la création des conditions propices. En cas d'échec, à mon avis, de mon point de vue de militaire — et je ne parle que pour moi — le droit de protéger consiste à mettre fin à la violence puis à créer les conditions propices au dialogue.
    Ma solution, qui, soit dit en passant, aurait été la plus complexe, aurait consisté à arrêter quelque part en mai. Si le régime avait dit: nous arrêtons, c'est terminé, nous allons nous asseoir et négocier, cela aurait créé une situation très politique et intéressante, parce que ma mission aurait alors pris fin. J'aurais plié bagage. C'est donc un ensemble complexe... Puis que faisons-nous après coup? En quoi aurait consisté l'étape suivante? Nous avons disséqué le conflit et nous en avons discuté assez longuement.
    De mon point de vue, la responsabilité de protéger n'est qu'une expression. D'un point de vue militaire, lorsque votre mission consiste à protéger la population, comment vous y prenez-vous? Comment mettez-vous en phase l'activité cinétique, l'activité non cinétique et vos activités politico-stratégiques afin de les harmoniser? Je crois qu'il devient plus important d'assurer la concertation et la coordination entre militaires et civils, parce qu'une grande partie de la mission se déroulera à ce niveau.
    J'espère ne pas être naïf au point de dire que ce n'est pas ce qui se produit en Afghanistan et ailleurs, mais cela s'applique certainement à beaucoup de situations, parce que l'objectif est de mettre fin à la violence et de passer à autre chose.
(1245)
    Vous avez parlé du défaut d'offrir une porte de sortie au régime. Est-ce que vous laissez entendre, et compte tenu de votre point de vue sur ce que le droit de protéger veut dire...
    Très rapidement. Le temps est écoulé.
    Est-ce que cela laisse entendre qu'une certaine capacité manque à l'OTAN pour mettre en oeuvre cette doctrine?
    Non, monsieur, je ne le dirais pas de cette façon. Et « défaut » est probablement un peu dur. Je dirais probablement qu'il serait plus approprié de parler de conséquences imprévues et à mon avis, c'était le cas. Un événement est survenu, une réaction à cet événement était une conséquence imprévue et c'est un élément dont nous devrions tenir compte à l'avenir. Par contre, un organe ne peut légiférer ni régir l'autre organe. Il s'agit donc de coordonner et de communiquer et de la façon dont nous synchronisons les activités.
    Je m'arrêterai là.
    Merci.
    Monsieur Norlock.
    Merci beaucoup, monsieur le président et merci au témoin de comparaître aujourd'hui.
    Je ne vais pas tourner autour du pot en ce qui concerne le pays dont je parle; je vais simplement déclarer ouvertement qu'en mars dernier, la Russie a réclamé une enquête sur l'intervention en Libye.
    Je suis curieux de connaître, général, ce que vous pensez de la relation actuelle entre l'OTAN et la Russie et sur ce que l'avenir nous réserve à l'égard de cette relation? Si vous voulez extrapoler ou élaborer un peu plus, peut-être qu'une autre nation ou entité pose un défi analogue.
    Je suis bien conscient que la Russie ne partageait peut-être pas l'approche ou la croyance sur laquelle je me fondais à la minute près, mais mes ordres venaient de ma chaîne de commandement, qui comprenait le Conseil de l'Atlantique Nord, formé des nations membres de l'OTAN, dont le Canada. Mes ordres venaient de cette autorité et j'ai tout fait pour m'assurer de respecter les directives qui m'ont été données.
    Permettez-moi de dire dès le départ que si je n'étais pas contraint par mon mandat, j'ai réussi à travailler le plus possible dans les limites du mandat qui m'avait été confié et encore aujourd'hui, je crois avoir respecté ce mandat compte tenu des commentaires que j'ai reçus et des communications que nous avons eues.
    Nous avons peut-être pris la Russie par surprise par notre façon d'intervenir. Les Russes n'avaient peut-être pas prévu cette ligne de conduite. Tant pis.
    Quant à la relation de la Russie avec l'OTAN, elle doit se poursuivre. Nous n'avons pas à en faire un ennemi. Nous devons cohabiter. Nous devons partager une partie du globe. Comment? L'OTAN est bien équilibrée et elle peut continuer à faire participer la Russie.
    Il y aura toujours des points de friction. La Géorgie en est un bon exemple. La défense antimissile en est un autre, comme nous en sommes bien conscients et nous devons régler cette situation. Une grande partie se fait de façon bilatérale, mais aussi collectivement dans le cadre de l'effort que nous déployons au sein de l'OTAN. Dans les années 1990, une grande partie de l'effort était investi dans le cadre des initiatives du Partenariat pour la paix et le dialogue qui s'y déroulait. Je crois fermement que plus nous nous parlons, moins nous risquons de devoir recourir à d'autres lignes de conduite moins réjouissantes.
    Je terminerai en disant que si la Russie n'a peut-être pas apprécié l'intervention, elle peut nous aider à trouver des solutions. Je crois fermement que la Russie pourrait nous aider beaucoup à régler d'autres problèmes au Moyen-Orient. Nous pourrions tirer parti de son activité. De fait, la solution passe par Moscou, elle ne passe pas par l'OTAN. Donc, quand devons-nous intervenir sous l'égide de l'OTAN et quand devons-nous laisser d'autres intervenir? Une chance s'offre à la Russie et au président Poutine de faire preuve d'un leadership international pour pacifier d'autres régions du Moyen-Orient.
    Y a-t-il d'autres entités auxquelles l'OTAN pourrait ou devrait peut-être accorder un peu d'attention? Ou à l'égard desquelles il serait peut-être sage d'élargir le dialogue?
    Absolument, et cela devrait se faire à différents niveaux.
    Y a-t-il des entités en particulier?
    De mon point de vue, parce que nous avons travaillé à partir de Naples... nous avons travaillé dans le cadre du Partenariat pour la paix avec certaines nations, surtout dans les Balkans. Nous avons travaillé avec le Dialogue méditerranéen, en parlant à l'Égypte. Nous parlions à la Libye sur certains plans avant, il y a l'Initiative d'Istanbul, qui englobe quelques pays du CCG.
    Le point le plus important que je ne cesserai pas de soulever était que nous devions sortir de ces cadres et convenir d'élargir le dialogue avec quiconque veut nous parler, puis définir une relation afin de déterminer quelle relation nous voulons avoir avec l'OTAN. Est-ce une relation de coopération? Une relation plus étroite ou simplement un certain échange d'information?
    Je crois évidemment que nous devrions continuer. La difficulté consiste à définir cette relation et à demander s'il s'agit d'une relation acceptable pour les 28 nations. Nous pouvons y arriver, grâce à la diplomatie et au dialogue. Il était important de parler à l'Égypte et à la Tunisie pendant que tout cela se produisait, et le dialogue que nous avons établi pour mener à bien la mission en Libye servira, à mon avis, l'intérêt commun en ce qui concerne le mouvement d'armes illégales, de drogues et de migrants dans l'ensemble de la région méditerranéenne. Nous avons mis ce mécanisme en place.
    Quand je suis parti, je leur ai dit qu'ils avaient créé un dialogue avec des gens à qui ils ne parlaient pas avant et qu'ils devraient continuer dans cette voie. J'espère qu'ils auront la sagesse de poursuivre ce dialogue.
(1250)
    Merci. Le temps vient de s'écouler.
     M. Brahmi, pour cinq minutes, s'il vous plaît.

[Français]

    Merci, monsieur le président. Je veux remercier le général de sa présence ici.
    J'aimerais revenir à une conversation qu'on a eue précédemment avec le colonel Brian Irwin, qui est directeur de la Politique de l'OTAN au ministère de la Défense nationale. On avait abordé la question du retrait du Canada de deux programmes de l'OTAN, les AWACS et les UAV. Étant donné que vous avez été très bien placé pour évaluer l'efficacité de ces deux programmes dans le cadre de la détermination des cibles et de la collecte d'information en Libye, j'aimerais que vous nous fassiez part de vos commentaires sur les conséquences que ce retrait pourrait avoir ou a déjà eues. Quelles sont vos observations personnelles?
     Je vais commencer par les avions AWACS, parce que je ne crois pas que la capacité alliée de surveillance terrestre ou les UAV ou les avions de reconnaissance soient dans la même catégorie. On peut continuer cela. Je vous fais quelques commentaires.
    Tout d'abord, les AWACS étaient importants. Nous sommes là depuis plusieurs années, et leur présence est vraiment importante. Comme Canadiens, nous avions une présence non seulement sur le plan quantitatif, mais aussi sur le plan qualitatif. C'est encore là qu'on exerçait une influence. En effet, on pouvait influencer les décisions en étant partie prenante de ce programme. C'est un programme, selon moi, qui en valait la peine.
    Toutefois, je comprends aussi, car je connaissais bien toutes les considérations, pourquoi le Canada a fait le choix qu'il a fait. Je vois les deux côtés de la médaille, mais je souligne qu'il est plus facile d'influencer un système de l'intérieur que de l'extérieur.
    La deuxième chose porte sur ces produits ou ces capacités en commun. Cela demande aussi l'approbation commune de leurs utilisations. Comment sommes-nous capables d'évaluer les besoins nationaux et ceux de l'OTAN? Imaginons un petit pays d'Europe qui n'a pas beaucoup de moyens, et dont la géographie lui permet de partager certaines choses. Prenons, par exemple, l'Albanie et la Croatie. Ces pays ont-ils besoin de tout cela? Peuvent-ils créer une capacité et partager la capacité des autres? Ce serait fort sensé.
    Notre géographie et la distance donnent, bien sûr, un aspect différent. C'est pourquoi on se demande, dans le cas des avions de reconnaissance, quel est le meilleur. Je ne suis pas convaincu, encore aujourd'hui, que le choix proposé est nécessairement le meilleur pour le Canada. La décision du Canada a été de dire non. Il affirme qu'il va développer sa propre capacité et l'offrir quand d'autres en auront besoin. Il doit aussi tenir compte de sa capacité à répondre à ses besoins dans le Grand Nord et au-dessus de ses trois océans. Il faut un équilibre entre les deux, et ça devient difficile. On doit prendre des décisions judicieuses, j'en suis bien conscient.
    D'un côté, on doit être présent et on doit trouver le bon niveau de présence si on veut avoir de l'influence. D'un autre côté, que fait-on avec le reste des besoins nationaux? Dans le cas des capacités alliées de surveillance terrestre, je penche surtout du côté des besoins nationaux qui ne peuvent pas être comblés nécessairement par ce qui répond aux besoins communautaires. En ce qui a trait aux AWACS, ma pendule va peut-être de l'autre côté. C'est peut-être parce qu'il s'agit d'une raison historique et que les systèmes sont déjà en place.
    Je vous offre les deux côtés, car les problèmes sont différents. Y a-t-il autre chose à trouver, une complémentarité qui pourrait nous aider? Les soins médicaux pourraient peut-être être mis en commun, au besoin. En effet, on pourrait élaborer des protocoles, mais ça prend aussi une garantie. J'ai parlé des soins médicaux, mais ça peut être autre chose, le passage d'information, par exemple.
    Selon moi le plus important est de créer la volonté et l'architecture politiques. Une fois que cette architecture est créée, on peut la développer et aller de l'avant, sans trop de problème. On peut répondre à un besoin communautaire, ou développer une capacité communautaire ou une capacité nationale, en l'ajoutant à la composante, au besoin, au moment approprié.
    J'espère que ça répond à votre question.
(1255)
    C'est bien.
    Merci, monsieur le président.

[Traduction]

     Merci beaucoup.
    Monsieur Strahl.
    Merci, monsieur le président.
    Général, merci d'être ici. La célébration en l'honneur de vos efforts et de ceux des membres de la marine, de l'aviation et de l'armée qui ont participé à la mission en Libye a sans doute été l'une des expériences les plus mémorables de ma courte carrière. Ce fut un honneur pour moi d'assister au Sénat à cette cérémonie avec vous et votre famille.
    J'espère que vous me pardonnerez si je m'écarte un peu de la mission en Libye. Dans votre exposé, vous avez effleuré le sujet de la défense intelligente. Tous ceux qui sont venus témoigner dans le cadre de notre étude du concept stratégique de l'OTAN avaient quelque chose à dire au sujet de la défense intelligente. C'est comme dans le cadre de notre étude antérieure sur l'état de préparation: tous avaient une définition différente de la défense intelligente, mais j'ai relevé votre observation, si je la paraphrase correctement, selon laquelle la défense intelligente se défend au plan théorique, tout en étant très difficile à mettre en oeuvre.
    J'espère que vous pouvez nous en dire plus et nous donner votre définition de la défense intelligente et de son application à l'OTAN — la Libye est peut-être un bon exemple d'une application de la défense intelligente — et, surtout, nous dire comment elle s'applique au contexte canadien.
    C'est une bonne question.
    Si vous me le permettez, j'étais en Suède la fin de semaine dernière pour assister à une conférence sur la puissance aérienne. Le chef de la défense de la Suède a présenté un point de vue intéressant.
    Il m'a dit ceci: la Norvège, la Suède, la Finlande et le Danemark, nous avons en commun un système d'armement — ou un système, n'importe lequel, ce n'est pas important. Nous avons tous le même système. Nous avons quatre centres de formation au même niveau, et nous sommes de petits pays. Je recommanderais d'avoir un centre de formation et tout le monde applaudirait, parce que nous éliminerions alors les chevauchements inutiles. Nous mettrions en commun nos ressources. Le problème, c'est que si je proposais n'importe quel autre endroit que Stockholm, je déclencherais également une controverse nationale.
    Je n'essaie pas du tout d'être désinvolte, monsieur, mais c'est vraiment l'équilibre que nous devons examiner. À quel moment les besoins et les objectifs nationaux l'emportent-ils sur la défense intelligente? Le concept fonctionne en Europe, surtout avec les petits pays. Je pense qu'une approche graduelle serait probablement sage.
    Quand j'analyse le cas des petites nations — la Croatie, la Bosnie, l'Albanie et, dans une certaine mesure, quelques autres nations — pourquoi ne pas le dire, qu'il n'est pas nécessaire que tous fassent la même chose? Nous avons besoin de quelques spécialistes de l'univers cybernétique. Nous avons besoin de quelques spécialistes des médias sociaux. Sans porter préjudice aux besoins de chacun en matière de défense de la souveraineté, dans quel domaine chacun est-il meilleur que les autres nations?
    Quant à la façon d'appliquer le concept au Canada, c'est intéressant. Premièrement, il y a la géographie comme telle, notre géographie, la distance qui nous sépare de l'Europe. Nous avons des besoins différents. Nous avons l'Arctique, qui nécessite une approche différente. Nous avons donc des besoins nationaux que nous ne pouvons pas compromettre.
    Mais alors, que pouvons-nous apporter à l'OTAN, à la communauté de l'OTAN? Je crois que nous pouvons offrir certains moyens. En grande partie, notre contribution passe par l'élément humain et les moyens que nous avons, mais nous pouvons aussi continuer de partager le fardeau de bien des façons.
    Je crois donc que les petites nations membres de l'OTAN verront différemment la défense intelligente de la façon dont nous, Canadiens, la verront. C'est normal, et c'est applicable; le truc consiste à déterminer comment tout le monde la voit, à saisir pourquoi ils la voient comme ils la voient puis de dire, d'accord, très bien, comme je connais désormais vos intérêts nationaux, comment pouvons-nous résoudre la situation, et qu'est-ce qui peut être consacré à la défense intelligente? Je crois que c'est là que résidera l'art de mettre ce concept en oeuvre.
    Je sais qu'il est très difficile de convertir ce que je dis en chiffres et de le mettre en perspective, mais je crois que le premier pas pour comprendre le problème consiste à le définir clairement, à déterminer comment d'autres le définissent, puis à trouver une solution. Je crois que c'est un élément important.
    Je le dis en m'appuyant sur mon expérience en Libye qui a consisté à comprendre toutes les nations autour de la table, à comprendre leur culture, à comprendre pourquoi une nation musulmane se comportait comme elle le faisait au cours du Ramadan. Après l'avoir saisi, j'ai pu les comprendre. J'ai pu les respecter, gagner leur confiance puis, après tout cela, réaliser mes objectifs. J'applique cela à la relation avec l'OTAN et à la définition du problème; je crois, monsieur, que ce sera un élément important.
(1300)
    Merci. Votre temps est écoulé.
    Le dernier intervenant est M. Alexander.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Général Bouchard, j'aimerais simplement réitérer ce que beaucoup d'autres ont dit, que pour le gouvernement, le Parlement du Canada et les députés ici présents, c'était pour nous une grande fierté de vous voir, un Canadien, commander cette mission de façon aussi compétente.
     À la lumière de tout ce que vous avez dit aujourd'hui, après avoir entendu cette discussion très stimulante qui a couvert beaucoup de terrain, je crois que nous comprenons tous beaucoup mieux pourquoi votre mission a été couronnée de succès: c'est grâce à l'approche que vous avez adoptée et aux efforts minutieux que vous avez déployés pour tisser des liens entre beaucoup d'intervenants au sein d'une équipe et veiller à l'exercice de la diligence raisonnable qui est la condition essentielle de toute intervention visant à protéger des civils par la force. Toutes nos félicitations.
    Vous avez dit qu'on cherchait à faire en sorte que le régime cesse de tuer ses propres citoyens en mai, et que la diplomatie prenne le relais. Nous sommes tous d'accord. Vous avez aussi dit très clairement que les décisions que Kadhafi a prises, le comportement de son régime, ont dicté une autre conduite. Ce n'est que le 20 octobre, je crois, qu'il a été arrêté et tué peu de temps après, bien malgré l'OTAN, mais sans doute à cause de la dynamique sur le terrain.
    Vous avez parlé des stratégies de sortie, à quel point elles sont importantes, et de l'importance de la volonté politique. La réussite de cette mission tient entre autres au fait que la volonté de poursuivre la mission s'est maintenue chez toutes les parties tout du long, jusqu'à la fin.
    Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions, car je crois qu'elles seront instructives pour nous, sur ce qui serait arrivé si la mission de l'OTAN avait été interrompue plus tôt? Disons que vous auriez perdu la volonté politique à la fin de septembre — le 26 septembre par exemple.
    Le 26, oui...
    Disons que les navires seraient revenus à la maison et que la puissance aérienne n'aurait plus été à votre disposition. Que se serait-il passé en Libye?
    Je comprends très bien votre question, monsieur, et j'essaierai d'y répondre même sans faire de conjectures sur ce qui se serait passé si... La raison pour laquelle la mission a pris le temps qu'elle a pris est que... Parce que je me souviens de discussions quelque part en mai et en juin au cours desquelles le mot « impasse » revenait tout le temps, et je peux vous assurer, monsieur, qu'il n'y avait pas d'impasse.
    Ce que nous devions comprendre, c'est que le régime utilisait ce mandat de 90 jours dans une forme de campagne contre l'OTAN en disant: « Dites donc les gars, ils pourraient être partis dans 90 jours et nous allons vous le faire payer ». Je décris la situation à un niveau très primaire, mais si je voulais la décrire en des termes mieux choisis, je dirais que ces mandats de 90 jours ont semé le doute dans l'esprit des Libyens qui n'allaient pas s'opposer au régime avant d'avoir la garantie qu'ils pouvaient réussir. La garantie de succès nécessitait la présence de l'OTAN — pour mettre fin à la violence et faire en sorte que le régime ne puisse plus s'en prendre à eux — et c'est donc pourquoi il a fallu autant de temps.
    Si vous regardez l'évolution du mouvement, cela s'est fait un village après l'autre. Il n'y a pas eu de soulèvement massif dans plusieurs endroits en même temps. Le mouvement a commencé dans l'ouest et il a fait son chemin de Misrata à Al-Khums et Zliten, et ainsi de suite. Il a donc fallu du temps mais il a pris de l'ampleur pour atteindre visiblement son point culminant avec la chute de Tripoli. Il a fallu du temps.
     Là où je veux en venir, monsieur, compte tenu des autres campagnes qui ont eu lieu, c'est que je comprends la crainte et la préoccupation des nations d'être vues comme si elles s'engageaient dans un endroit dont elles ne pourront plus sortir, où elles devront être présentes pendant des années... Par ailleurs, surtout sans bottes sur le terrain, que ce soit une question de confiance de la population qui voit que nous ne marchons pas à ses côtés, comment pouvons-nous équilibrer les deux pour garantir que nous n'allons pas laisser ces gens en plan, que nous allons rester?
    À un moment donné en septembre, j'en suis venu au point où je savais que les forces du régime n'étaient plus capables de procéder à une offensive majeure. Je le savais, mais la question suivante était: jusqu'à quel point? J'ai donc estimé qu'il fallait recommander la cessation, pour dire que nous avions réalisé la mission, c'est-à-dire à quel point le régime n'est-il plus capable d'infliger...? Mais surtout, dans quelle mesure les gens sur le terrain sont-ils capables d'assumer la responsabilité de leur propre sécurité? Nous l'avons vu également en Afghanistan, monsieur. Mon problème était moins complexe, mais pas moins présent, et il s'agissait de définir ces deux points. J'avais défini l'un des deux beaucoup plus tôt dans le conflit, mais pour le deuxième, il fallait attendre pour voir à quel moment ces gens pourraient s'en charger.
    Pour revenir à votre point, je dirais qu'il s'agirait de leur donner l'assurance que nous n'allons pas les laisser tomber à mi-chemin, monsieur.
(1305)
    Donc que serait-il arrivé si nous les avions laissés tomber et que le mandat n'avait pas été reconduit dans sa phase finale?
    Vous me demandez de faire des conjectures, et c'est très difficile pour moi.
    Je ne crois pas que cela aurait été la bonne chose à faire. Si nous nous engageons dans une intervention, nous devons vraiment nous y engager, monsieur, jusqu'au bout ou jusqu'à un point convenu après quoi nous arrêtons, et cela doit être bien compris, et avec 10 États avec lesquels il n'y a pas d'équivoque... Je crois que ce serait la façon de procéder. Il faut l'énoncer clairement. Autrement, c'est difficile pour moi de répondre, monsieur.
    Sur ce, notre temps est écoulé.
    Général Bouchard, merci beaucoup d'avoir pris du temps dans votre horaire chargé pour comparaître devant nous et nous aider dans notre étude du concept stratégique de l'OTAN et de notre rôle dans le monde en matière de coopération de défense internationale.
    De nouveau, je veux me faire l'écho des commentaires très positifs et des éloges qui ont fusé de toutes parts aujourd'hui. Vous nous avez servis avec honneur. Vous avez été une source de fierté pour le pays. Le Canada est fier de tout ce que vous avez accompli et de la façon dont vous avez dirigé nos jeunes hommes et femmes en uniforme.
    Merci beaucoup. Je vous offre mes meilleurs voeux pour votre retraite. Je suis sûr que beaucoup de possibilités différentes s'offrent à vous. Assurez-vous de réserver un peu de temps que vous pourrez passer avec votre famille. Je sais aussi que vous voulez probablement retourner à Chicoutimi, au Québec.
    Sur ce, je demanderai à quelqu'un de présenter une motion d'ajournement.
    Un député: Je présente la motion.
    Le président: C'est tout pour aujourd'hui.
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