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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 018 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 26 mars 2014

[Enregistrement électronique]

(1655)

[Traduction]

    Si les députés veulent bien prendre place, nous allons commencer. Nous n'avons pas beaucoup de temps. J'ai pensé que nous pourrions donner l'occasion aux témoins de faire leur exposé et ensuite faire un rapide tour de table pour les questions, car les cloches commenceront à sonner dans environ 20 minutes.
    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude sur la situation en Ukraine.
    J'aimerais remercier les témoins pour leur souplesse; il a fallu réaménager notre horaire et leur demander de comparaître ensemble. Et maintenant vous attendez. Comme je l'ai dit, nous aimerions entendre votre exposé afin qu'il soit consigné au compte rendu, et passer à un tour de table rapide de cinq minutes de questions pour chacun des partis et ensuite nous pourrons partir.
    J'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue à nos témoins, Lada Roslycky, conseillère des affaires étrangères à la Commission publique d'enquête et de prévention des abus des droits de la personne en Ukraine.
    Bienvenue, Lada, nous sommes ravis de vous compter parmi nous aujourd'hui.
    Aussi parmi nous Daniel Bilak, associé directeur au bureau de Kiev de CMS Cameron McKenna LLC. Je crois savoir, monsieur, que vous avez pu rencontrer la délégation lorsque vous étiez en Ukraine.
    Très bien.
    Commençons avec vous, Lada, si vous voulez bien faire votre exposé en premier et ensuite nous entendrons Daniel.
    Merci.
    J'aimerais rapidement mentionner que ce matin, nous avons eu accès en direct au signal de la première chaîne de télévision nationale en Ukraine, où l'on a discuté des abus des droits de la personne et de l'armée. La discussion sera accessible en ligne et elle a eu lieu en anglais. Je pourrai vous transmettre le lien, les intéressés pourront le consulter.
    Le point le plus important que j'ajouterai au mémoire que je vous ai fourni est un témoignage concernant les personnes qui ont été torturées et enlevées en Crimée. Un témoin oculaire affirme que: « L'ancien ministre de la foresterie en Crimée nous a parlé ce matin à propos de la manière dont il a été enlevé par des hommes en vert, aidés par des soldats russes. Ils ont été détenus pendant 11 jours, battus et torturés par électrochocs. Ils ont été interrogés chaque jour. Ils ont été privés de nourriture pendant un certain nombre de jours. »
    Les interrogateurs cherchaient surtout à savoir qui finance l'Euromaïdan à Kiev? C'était leur principale question, ils voulaient savoir qui les finance. Ils voulaient aussi savoir où sont les armes. Où l'Ukraine entrepose-t-elle ses armes?
    Maintenant j'aimerais aussi parler rapidement de la situation des réfugiés en Crimée.
    Le 20 mars, le Verkhovna Rada a tenu une réunion. Le conseil s'attendait à ce qu'environ 300 000 réfugiés fuient la Crimée. La situation est grave, non seulement pour l'Ukraine, mais aussi pour les États comme le Canada. Au Canada, il y a déjà un jeune homme à Ottawa qui pourrait se retrouver apatride. C'est un ressortissant ukrainien de Crimée. Les Russes forcent tout le monde à adopter la citoyenneté russe. Tous les comptes bancaires ont été bloqués. Les cartes de crédit ne sont pas utilisées. Ce ressortissant ukrainien s'est retrouvé ici, il n'a pas d'argent, il n'a plus rien. Il n'est pas le seul, mais lui, je le connais personnellement. Les actifs ont été détournés. Tous les biens et entreprises ont été saisis.
    Je vais maintenant commencer à suivre mes notes.
    Il importe de comprendre que ce dont nous sommes témoins en Ukraine à l'heure actuelle n'est pas un accident et ne constitue pas une réaction à un événement. Il s'agit d'un plan à long terme mis au point en 1994 lorsqu'il y a eu une division de la flotte russe dans la mer Noire. Il s'agissait de la flotte soviétique qu'on divisait pour en faire une flotte ukrainienne et une flotte russe.
    L'homme derrière le scénario actuel, à qui on doit porter une attention particulière, s'appelle Victor Medvedchuk. Il dirige un programme intitulé le projet de référendum ou le choix ukrainien. Il s'agit d'un plan organisé par le Kremlin.
    Je vais vous en dire un peu plus sur Medvedchuk. Il est ce qu'on appelle le kum de Vladimir Poutine. Dans la culture ukrainienne le mot kum décrit une relation très sérieuse et formelle entre un parrain et l'enfant d'une autre famille. Victor Medvedchuk est l'ancien conseiller de Leonid Koutchma, le deuxième président de l'Ukraine, et l'actuel gendre de Leonid Koutchma est Victor Pintchouk, un oligarque majeur au sein du conseil.
    Maintenant, étant donné que nous avons très peu de temps, il est important de dire que l'actuel premier ministre intérimaire, Yatseniouk, a déclaré à la Maison-Blanche qu'une loi sera adoptée à l'égard de l'entrée en vigueur du projet Medvedchuk sur le référendum local. La loi constitutionnelle ukrainienne interdit les référendums locaux.
    Hier, et je pense que l'information est arrivée ce matin au Canada, nous avons appris que Yatseniouk a déclaré que, lors des prochaines élections présidentielles en mai, il y aura également des élections municipales. Il s'agit d'une information très importante étant donné que ces élections municipales auront lieu dans des régions actuellement menacées directement par les forces militaires de la fédération russe, c'est-à-dire Lugansk, Dnepropetrovsk et Donetsk. Odessa est peut-être aussi du nombre. Je ne peux le confirmer en ce moment, mais je pourrais le faire ultérieurement.
    Yatseniouk doit préciser sa position à cet égard. L'actuel gouvernement provisoire doit être traité comme tel. Il est infiltré par au moins trois puissants individus liés directement au projet de référendum de Medvedchuk. Il est nécessaire d'identifier ces individus. Gardez aussi à l'esprit que les communistes jouent un très grand rôle dans la politique ukrainienne, plus particulièrement en ce qui concerne les relations politico-criminelles de l'ère postsoviétique. Le Parti communiste a voté à 100 % en faveur du gouvernement provisoire actuel. Ceci devrait sonner l'alarme.
(1700)
    Le rôle de Ioulia Tymochenko est crucial. Elle agit à titre personnel. Toutefois, aux États-Unis elle est toujours une conspiratrice non accusée. Dans les années 1990, elle a obtenu de Poutine le monopole du gaz. Quand l'Ukraine s'est séparée de la Fédération russe, elle n'avait aucune dette dans le domaine du gaz. Dans le cadre de mes recherches, j'ai parlé avec de nombreux Ukrainiens, des représentants du gouvernement, qui affirment qu'elle n'a même pas... Une partie de la dette liée au gaz qui a été utilisée pour inciter la flotte russe à rester dans la mer Noire sur le territoire de la Crimée est en fait une dette qu'elle a créée avec Pavlo Lazarenko.
    L'apparente latence du gouvernement en ce qui a trait à la défense militaire de l'Ukraine crée des remous et de la méfiance à l'intérieur de l'Ukraine. On devrait porter attention aux récents changements apportés aux ministres de la Défense en Ukraine. Tout a commencé avec un homme qui se nomme Salamatin. Je pense que ça remonte à 2013. Il était citoyen russe et n'avait pas le droit de devenir ministre ukrainien de la Défense. Par la suite, après la révolution, Ianoukovitch a nommé un autre homme, qui est demeuré en fonction jusqu'à la prise de la Crimée.
    Le nettoyage de la place Maïdan a peut-être lieu en ce moment même. Il est important de garder à l'esprit que 83 % des manifestants de la place Maïdan ne sont membres d'aucun parti politique ou n'en appuient aucun. Ils font maintenant l'objet d'un nettoyage parce qu'on les identifie à tort comme des fascistes ou des néo-nazis.
    Hier, le leader de la droite, Mouzytchko, a été tué. Voici la question qu'il faut se poser. Le ministre des Affaires nationales dit que l'homme s'est lui-même enlevé la vie avec une arme à feu, alors qu'il était en détention. Les députés de l'opposition, mais en particulier Oles Doniy, qui est venu à Ottawa et qui a parlé au gouvernement, raconte que l'homme a été pourchassé et tué. À cet égard, il est important de noter que Mouzytchko avait diffusé une vidéo dans YouTube dans lequel il dit que le ministre des Affaires nationales de l'Ukraine le pourchassait et qu'il allait le tuer.
    Un fonds pour appuyer les forces militaires ukrainiennes en Crimée a été établi par l'amiral à la retraite Vladimir Bezkorovainiy. Ce fonds mérite qu'on y porte attention. Le fonds pour la garde nationale et l'armée ukrainienne demandent eux aussi de l'argent publiquement, mais le fonds de Bezkorovainiy est intéressant parce qu'il vise à aider directement les militaires ukrainiens qui ont été expulsés de la Crimée. Ils y ont vécu. Leurs familles y sont établies et leurs enfants y vont à l'école. Maintenant ces hommes sont recherchés et menacés.
    Il y a aussi la question de la lustration. On peut faire un parallèle avec le début de la lustration sous Saakachvili, l'ancien président de la Géorgie, avec l'aide du ministère des Affaires nationales et de la police.
    Me reste-t-il encore du temps?
(1705)
    Il vous reste quelques minutes.
    Alors ils ont entrepris un nettoyage et des changements majeurs à l'intérieur du système policier.
    Toutefois, il faut porter attention à Yehor Sobolev. Il pourrait être un bon ou un méchant. Néanmoins, la lustration fait partie des principales demandes des manifestants sur la place Maïdan. Ils ne veulent pas de gens liés au parti des régions, qui incarnent le lien politico-criminel de l'ère postsoviétique, ou qui sont liés au Parti communiste au gouvernement.
    On doit réfléchir au rôle joué par l'oligarque et président du Conseil européen des Communautés juives, Ihor Koilomoyskiy, gouverneur de la nouvelle Dnipropetrovsk. Il a financé l'armée et possède la banque PrivatBank. Alors qu'il utilisait sa fortune personnelle pour financer l'armée ukrainienne, sa banque a été la première à distribuer des roubles en Crimée. À l'heure actuelle, les banques ont de plus en plus de difficulté à fonctionner car elles doivent désormais adopter les lois russes. La PrivatBank n'a pas de problèmes, mais elle a été la première à utiliser le rouble.
    Comme je l'ai dit plus tôt, un nettoyage ethnique appuyé par la Russie est en train de se produire en Crimée. Des prêtres catholiques ont été enlevés et battus. Les politiciens et tous ceux qui appuient la démocratie sont persécutés. Les parents ukrainiens ont fait l'objet de coercition parce que les écoles primaires ont été attaquées par des hommes en vert et ils ont exercé des pressions sur les enfants afin qu'ils influencent le comportement de leurs parents. Ce n'est qu'un exemple.
    Le premier ministre autoproclamé de la Crimée, Sergey Aksionov, est directement lié à un groupe du crime organisé qu'on appelle Salem. Salem est appuyé par Semion Mogilevitch. Mogilevitch est, je crois, le deuxième ou le troisième homme sur la liste du FBI des criminels les plus recherchés dans le monde. Il est lié à Gazprom et au commerce clandestin d'armes, plus particulièrement en Transnistrie, qui pourrait potentiellement devenir un point chaud dans le conflit, et il a des liens directs avec Ianoukovitch. Firtash, l'oligarque arrêté en Autriche, a des liens financiers avec lui.
    La légalité du président Ianoukovitch est un atout potentiel important pour Poutine. Il n'existe aucune procédure de destitution en Ukraine. Lorsqu'on lit attentivement le discours de Poutine, on se rend compte qu'il affirme qu'il y a trois façons de destituer un président ukrainien et qu'on n'a eu recours à aucune de ces façons. Il a prononcé le mot destitution. Il n'existe pas de procédure de destitution, alors techniquement, le peuple attend toujours le retour de Ianoukovitch. Il demeure le seul président reconnu et Poutine y fait continuellement référence.
    En 2012 les services du renseignement russes avaient infiltré jusqu'à 75 % des services secrets ukrainiens. Ce facteur devrait être pris en compte dans les interventions avec Nalyvaitchenko, l'actuel dirigeant des services secrets ukrainiens, le SBU. Il a déployé beaucoup d'efforts dans le gouvernement orange pour se débarrasser de la flotte russe dans la mer Noire, pour provoquer le départ des militaires russes du territoire, mais il a échoué. La situation est semblable au sein de la haute direction du ministère de la Défense.
    La propagande médiatique est endémique en Ukraine. Le Canada peut contribuer en appuyant l'établissement d'une station de radiodiffusion publique nationale, qui diffuserait jusqu'en Crimée et dans l'est de l'Ukraine. Les gens dans ces régions n'ont accès à aucune information.
    Je viens de faire la synthèse d'une très longue histoire.
    Merci.
(1710)
    Merci beaucoup et merci de votre témoignage.
    Nous allons céder la parole à Daniel maintenant. Monsieur, vous avez 10 minutes.
    Merci beaucoup. Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité. Cela fait 23 ans que je vis et travaille à Kiev. Je suis actuellement associé directeur dans un cabinet de droit international, mais pendant 10 ans j'ai été conseiller auprès du gouvernement ukrainien, deux fois à titre de chef de cabinet du ministre de la Justice et j'ai été conseiller de la première ministre Tymochenko en matière de réforme de l'administration publique et auprès du président Iouchtchenko en matière de réforme de la gouvernance. Mais ne m'en voulez pas, j'ai tout essayé.
    C'est donc pour moi un grand honneur d'être ici et je suis venu de Kiev pour témoigner devant votre comité, car il y a un certain nombre de choses que j'aimerais vous faire savoir. Je suis actuellement conseiller auprès de Serhiy Taruta, gouverneur de la région du Donetsk, qui traverse une situation très difficile. C'est là-dessus que je baserai mon exposé.
    Edmund Burke, philosophe anglais, a déjà dit qu'il suffit que les hommes de bien ne fassent rien pour que le mal triomphe. L'agitation politique en Ukraine dans le contexte actuel, qui en est à son quatrième mois, ne pourra s'apaiser sans la détermination farouche des grands partenaires occidentaux que sont le Canada, l'Union européenne, et les États-Unis.
    Les manifestations sur la place du Maïdan ont donné le jour à une authentique société civile. Mais elles ont aussi donné lieu à une démonstration de frustrations réprimées envers le copinage et la corruption de la classe politique, caractérisée par une absence de confiance envers toutes les institutions. Le pays paye le pris fort de ce que le ministre de l'Économie a décrit comme un véritable racket de l'État sous Ianoukovitch. Le premier ministre a indiqué que le pays avait fait les frais d'un vol de près de 15 milliards de dollars du trésor public. De plus, des Ukrainiens de partout au pays exigent d'avoir davantage leur mot à dire sur la façon dont ils sont gouvernés, par le biais de la décentralisation de l'État.
    Des changements institutionnels de cette échelle constituent un véritable défi, même dans les circonstances les plus idéales; cependant, ceux-ci doivent se dérouler face à une menace extérieure à l'existence même du pays. Avec la devise nationale en chute libre, l'effondrement imminent de l'économie et la présence de 220 000 soldats russes sur le pied de guerre à ses frontières, l'Ukraine fait maintenant face à la réelle possibilité d'un démembrement.
    Avec l'amorce de réformes du gouvernement, la signature d'une partie de l'accord d'association avec l'Union européenne la semaine dernière et les négociations apparemment fructueuses avec le FMI, il semble que l'Ukraine obtiendra l'appui financier dont elle a besoin pour se remettre sur pied. Le principal défi consiste maintenant à protéger les régions de l'est et du sud d'une annexion imminente par la Russie.
    Ce ne sera pas tâche facile, mais ce n'est pas impossible. Bien que la plupart des Ukrainiens se considèrent comme Européens, il n'y a pas de consensus sur la façon d'aller de l'avant. Ce qui divise n'est pas la langue — selon un sondage effectué l'année dernière, la langue était au 134e rang des problèmes — mais les répercussions socioéconomiques de l'héritage soviétique dans l'est et l'ouest du pays. Les Ukrainiens de l'ouest et du centre sont très nationalistes, font de l'agriculture, du commerce, et constituent le coeur de la classe moyenne. Ces gens indépendants et autonomes se considèrent comme faisant partie de l'Europe. Leurs compatriotes de l'est et du sud restent embourbés dans un état d'esprit postsoviétique et un contexte très industriel et s'identifient davantage à leur région.
    Les villes qui se sont développées autour d'une seule entreprise et les autres villes industrielles qui se sont développées à l'issue de la Seconde Guerre mondiale a réduit cette région à une servitude de style soviétique qui se poursuit encore aujourd'hui. La propagande de l'époque soviétique concernant la grande guerre patriotique, l'impérialisme américain et le nationalisme de la classe bourgeoise fasciste de l'Ukraine de l'ouest est cyniquement véhiculée par l'élite politique et économique de cette région. Pendant que cette classe s'enrichissait grâce à l'acquisition à bas prix d'actifs industriels, elle a privé 20 millions de travailleurs, de prestataires de pensions de retraite, d'enseignants, de médecins, d'autres fonctionnaires et d'électeurs de leur liberté de pensée et de leur pouvoir d'achat. Par conséquent, les habitants de l'est et du sud sont restés figés dans la mythologie stérile du passé soviétique grâce à un contrôle absolu des médias et d'une propagande antioccidentale et antiukrainienne débridée. Pire encore, on les a obligés à rester dans la pauvreté en limitant leur salaire afin d'éviter d'avoir à assumer le coût de moderniser les installations industrielles décrépies.
    Étant donné qu'au départ, les événements du Maïdan sont la manifestation d'un processus continu de désoviétisation de la société ukrainienne, il n'est pas surprenant que les régions de l'est n'aient pas pleinement appuyé ce mouvement. Bien que les jeunes se sentent interpellés par les événements de la place du Maïdan et leur promesse d'autonomie, de liberté, de respect, de justice et d'un avenir au sein de l'Europe, leurs parents et plus particulièrement leurs grands-parents y voient plutôt la possibilité du chaos, de l'incertitude et de l'instabilité, ce qui réveille les plaies du siècle passé.
    Le président Poutine exploite brillamment ces phobies afin de répéter sa réussite en Crimée pour annexer les oblasts de l'est et du sud. Aujourd'hui, bien que les manifestations violentes des dernières semaines aient été endiguées, le degré de mécontentement demeure élevé et une rhétorique séparatiste s'intensifie. Les gens de l'est sont en colère, confus, plein de ressentiment et ils ont peur. Ils pensent avoir été trompés, volés et abandonnés par le fils du pays, Ianoukovitch et son parti des régions tombé dans la disgrâce. La propagande russe qui vise à miner la légitimité du nouveau leadership ukrainien et à diffuser une rhétorique séductrice promettant salaires élevés et pensions de retraite canalise toute cette énergie négative contre le nouveau gouvernement de Kiev.
    Ainsi, c'est donc une lutte idéologique, dont le pivot central est l'oblast de l'est de Donetsk, le coeur de l'industrie et du secteur du charbon de l'Ukraine. Cette région représente plus de 10 % de la population et 30 % de ses exportations industrielles, et c'est là que se jouera le destin de l'intégrité territoriale du pays. À ce stade, la stratégie du président Poutine semble consister à tenter, tout comme en Crimée, d'annexer l'est sans invasion, mais en semant le chaos et la discorde afin de donner lieu à un référendum bidon. Le nouveau gouverneur de l'oblast du Donetsk, Serhiy Taruta, comprend que ce n'est qu'en améliorant le sort des habitants, en répondant à leur demande de longue date en matière sociale et économique et en les aidant à voir leur avenir dans une Ukraine unie et tournée vers l'Europe que les habitants de l'est et du sud pourront être contenus.
    Afin de limiter la fragmentation de l'est et d'apaiser les préoccupations de la population, l'administration du Donetsk s'est lancé dans un ambitieux plan d'action de gestion de crise de six mois dont j'ai fourni une copie au secrétaire. Cela suppose de lutter contre la pauvreté, d'améliorer l'environnement des affaires, de procéder à une réforme du gouvernement local et à la mise en oeuvre d'un plan d'action comprenant des mesures ciblées afin de régler les problèmes sociaux clés de la région, tout en favorisant l'unité en jumelant cette région avec les régions de l'ouest, et en assurant la tenue d'élections présidentielles libres et équitables. Étant donné son influence politique et économique démesurée, cette région va influencer le destin des autres oblasts de l'est et du sud.
    Il ne s'agit pas d'un affrontement entre l'Ukraine et la Russie, mais entre la Russie et l'Ouest. C'est un conflit de valeurs, de principes, et concernant le droit des gens à déterminer librement leur propre destinée sans influence externe. C'est dans l'intérêt de l'Occident d'appuyer le choix que l'Ukraine a fait d'avoir confiance dans la démocratie et la stabilité économique en s'intégrant fermement à l'Europe. Le prix ultime pour l'ouest n'est pas nécessairement la stabilité de l'Ukraine, mais plutôt une Russie démocratique. Une Ukraine pacifique, prospère et européenne détruirait les dernières velléités impérialistes de Poutine et donnerait à la Russie l'occasion de se transformer en partenaire démocratique, responsable et pacifique.
    Je suis fier de dire que le Canada n'est pas demeuré passif devant ces événements. Notre gouvernement et notre Parlement font preuve de leur appui indéfectible envers le peuple ukrainien, et ce, depuis le début des événements du Maïdan. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour reconstruire l'Ukraine. Le Canada a investi au fil des années des millions de dollars des contribuables pour venir en aide au pays. Nos programmes sont bien placés pour favoriser la restauration de l'Ukraine, plus particulièrement dans l'est, et pour mettre sur pied les institutions nécessaires à la création d'une société moderne fondée sur les valeurs que nous chérissons, l'État de droit et la gouvernance démocratique.
    Je serais ravi de répondre à vos questions.
    Merci beaucoup de votre attention.
(1715)
    Merci beaucoup.
    Chers collègues, puis-je obtenir votre consentement unanime pour faire durer la séance jusqu'à 5 h 30?
    D'accord.
    Je vais demander à chaque parti de poser une question et de tenter de s'en tenir à deux ou trois minutes afin que nous puissions retourner en Chambre pour voter à 5 h 30.
    Monsieur Dewar, allez-y.
    J'irai droit au but. Merci beaucoup à nos deux invités. Nous apprécions énormément leurs témoignages.
    J'ai des questions pour vous deux, tout d'abord sur l'aide, et plus particulièrement la façon dont on peut l'acheminer à ceux qui en ont besoin. Pouvez-vous nous en donner un bref aperçu chacun à votre tour? Comment s'intègre-t-elle dans le cadre du financement du FMI? Y a-t-il quoi que ce soit que le Canada puisse faire pour aider à acheminer cette aide aux bons endroits?
    Pour ce qui est des droits de la personne, c'est un sujet très complexe, mais il s'agit de s'assurer que nous appuyions, si vous voulez... De toute évidence, il revient aux Ukrainiens de décider de leur avenir, mais nous tenons aussi à nous assurer que nous n'empirerons pas les choses. Comment peut-on s'assurer que des élections libres et équitables auront lieu pour appuyer les aspirations des manifestants de la place du Maïdan qui, comme vous l'avez indiqué, ne sont en faveur d'aucune des options politiques proposées?
    En outre, devrions-nous, comme on l'a demandé au gouvernement de le faire, envoyer des observateurs préélectoraux le plus tôt possible pour s'assurer que l'on comprenne bien ce qui se passe sur le terrain avant les élections?
    Je m'en tiendrai à cela.
(1720)
    Pour ce qui est de la question sur le FMI, je m'en remettrais à M. Bilak.
    Je pense que c'est une erreur de tenter de lier notre aide à celle du FMI. L'aide du FMI est un fonds de stabilisation destiné au budget. Le gouvernement s'en servira pour payer les pensions, payer les arriérés de salaire, les arriérés de paiement de Gazprom — bien que je ne sache pas si on va payer cela ou non, ou trouver un moyen de les compenser — mais nous avons, en Ukraine, un programme d'aide relativement solide. Je pense que l'aspect le plus important pour le moment est de collaborer avec d'autres agences donatrices pour s'assurer que cette aide soit coordonnée efficacement.
    La coordination des donateurs, à la lumière de mes 10 années d'expérience au gouvernement, est l'une des grandes contradictions de la vie. Je pense qu'à l'heure actuelle, avec le gouvernement en place, le processus est principalement orienté par la demande. On espère qu'il sera beaucoup plus facile de le cibler.
    Par exemple, je sais que dans le Donetsk, nous avons établi une liste des secteurs pour lesquels l'aide est impérative, plus particulièrement l'aide humanitaire et économique, étant donné les conditions socio-économiques désastreuses dans lesquelles vivent ces gens. Nous nous efforçons d'obtenir un financement ciblé et des programmes prêts à être mis en application pour montrer aux gens qu'il y a de l'espoir.
    Afin d'y parvenir, allez-vous fournir ces renseignements, que vous avez donnés dans votre mémoire, au comité?
    J'ai une liste de cinq points que je n'ai pas mentionnés, parce que j'attendais de me faire poser des questions, et je ne voulais pas dépasser mon temps. J'ai aussi eu une réunion aujourd'hui aux Affaires étrangères au cours de laquelle nous avons discuté de cette question.
    Si vous pouviez nous donner ces renseignements pour notre rapport, ce serait...
    Ils figurent dans les documents que je vous ai donnés.
    Nous allons maintenant passer à M. Anderson, très rapidement.
    Je tiens à vous remercier de votre présence.
    Et je voudrais remercier le président d'avoir insisté pour que nous venions entendre vos témoignages. Vu ce qui se passe à la Chambre, c'était difficile, mais je suis très heureux d'avoir entendu ce que vous aviez à dire.
    Vous travaillez avec le maire de Donetsk. Est-ce que sa vie est en danger? Est-ce que votre vie à vous est en danger? Est-ce là une question qui vous préoccupe? Nous avons vu d'autres personnes payer un prix et je me demande si vous pouvez nous donner votre point de vue sur la question.
    Deuxièmement, parlez-moi de gestion des médias. Jusqu'à quel point êtes-vous en mesure de gérer le message?
    Troisièmement, parlez-moi un peu de l'économie russe, si possible, du ralentissement, de la fuite des devises ou de l'investissement et de leurs conséquences possibles sur la menace globale d'annexion et sur ce type de choses.
    Je vais en rester là. Si nous avons le temps, j'aurai d'autres questions.
    Je pense que j'aimerais aussi donner à Lada l'occasion de répondre.
    La situation est très tendue, que l'on soit à Kiev ou à Donetsk. Ça chauffe un peu plus en fin de semaine à Donetsk.
    L'une des premières choses qu'a faites le gouverneur a été de s'attaquer au problème de la sécurité. L'Ukraine a fonctionné essentiellement sans gouvernement pendant une semaine. Durant cette période, des milliers de personnes ont été en mesure de franchir des frontières. Ils ont vidé les prisons de la Russie de l'Ouest pour que ces gens aillent dans les villes d'Ukraine de l'Est et y sèment le désordre. Mais on a renvoyé ces gens chez eux, sous escorte. Une bonne part des gens du coin qui sont des fauteurs de trouble sont maintenant sous les verrous. Lors des deux dernières fins de semaine, il y a eu des manifestations vociférantes et agressives à Donetsk, mais elles ont été pacifiques.
    Les gens commencent à se le tenir pour dit. Je pense que la situation en matière de sécurité, avec l'aide de Dieu, commence à être maîtrisée.
    Le frère du gouverneur Taruta est propriétaire d'une société de construction. Elle a creusé une tranchée à la frontière, non seulement pour empêcher le passage d'autocars, mais assez conséquente pour la remplir de chars d'assaut. Nous nous aidons nous-mêmes pour protéger la frontière de l'Est, en quelque sorte.
    Votre deuxième question portait sur les médias. Nous avons réuni une très bonne équipe, dont nous sommes vraiment fiers: des gens vraiment branchés en matière de stratégie des communications. Nous nous sommes attachés à transmettre aux interlocuteurs internationaux et aux partenaires un message vraiment ciblé.
    L'un des éléments essentiels de notre stratégie anticorruption est qu'il existe des médias libres et ouverts. Le gouverneur s'est entretenu avec les médias et a mis à disposition les stations et les réseaux de télévision. La meilleure façon de contrer la propagande russe est de dire la vérité.
    Votre troisième question portait sur...?
(1725)
    Elle portait sur l'économie russe.
    Je ne suis pas un spécialiste de l'économie russe, mais, à partir du moment où vous perdez 70 milliards de dollars en l'espace d'un trimestre, vous avez du souci à vous faire.
    Avez-vous une réponse rapide sur ce point?
    En ce qui concerne l'économie, nous avons entendu dire ce matin que la déclaration des États-Unis quant au pétrole avait eu des répercussions importantes pour l'économie russe, qui est très fragile à l'heure actuelle.
    Puis-je répondre à la question à laquelle j'étais censée répondre?
    Oui, mais faites vite s'il vous plaît.
    En ce qui concerne les élections en Ukraine, je me demande vraiment s'il est possible de les tenir en mai.
    Pour ce qui est des surveillants, il faut qu'ils soient formés par des observateurs électoraux. J'ai souvent travaillé à la surveillance des élections dans des États de l'ancien bloc soviétique. Et je regrette de le dire, mais ce sont vraiment des minables. Ils arrivent et ne savent pas ce qu'ils font; ils ne parlent pas la langue; ils ne connaissent pas la loi; ils se pointent et roulent des mécaniques. Alors il faut les former, c'est ce que je recommande.
    Merci beaucoup.
    Nous allons conclure, avec M. Garneau.
    Bien sûr la réussite et le futur de l'Ukraine dépendront au bout du compte de la mise en place d'un gouvernement élu, au-delà de la simple élection du président.
    Il y a des rumeurs — je ne sais pas d'où elles viennent, mais vu que vous avez tous les deux une grande familiarité avec l'Ukraine, j'aimerais avoir votre opinion — comme quoi il y aurait des radicaux... je crois que vous avez utilisé le terme de fasciste ou de néo-nazi; des éléments antisémites qui seraient présents dans le gouvernement intérimaire actuel. Jusqu'à quel point les rumeurs sont-elles dues à la propagande russe qui essaie de semer le trouble dans les esprits? Jusqu'à quel point sont-elles vraies? J'aimerais avoir votre avis sur la question.
    Curieusement, je vous renvoie encore à la communication que nous avons eue ce matin avec l'Ukraine. On nous a présenté des pourcentages sur le nombre d'activistes d'extrême droite présents en Autriche, en France, au Royaume-Uni, sauf erreur, et au Canada. Ils sont présents dans tous les pays, mais marginaux.
    En ce qui concerne les manifestants du Maïdan qui sont en fait des révolutionnaires, j'estime qu'il faut être radical quand on vit sous un régime autoritaire politiquement criminel. Suivez de près les déclarations de cet Ihor Kolomoyskiy; il occupe un poste très important. Le président du conseil juif dit que ce n'est pas vrai.
    La semaine dernière, des représentants d'Israël — des rabbins — invités à une émission de télévision appelée Shuster , ont reconnu qu'il s'agissait de mensonges. C'est à noter. Si Israël l'affirme, alors à quoi joue la Russie?
    Qui propagent ces rumeurs? La Russie?
    Oui, la Russie.
    Oui, c'est essentiellement... C'est la même propagande que celle d'autrefois à l'époque soviétique.
    Laissez-moi attirer l'attention du comité au National Post d'aujourd'hui, où figure une lettre ouverte des juifs ukrainiens au président de la Fédération russe, Vladimir Poutine. Je pense qu'il clarifiera bien les choses et répondra à toutes les questions que vous avez soulevées. On y retrouve la fine fleur de la communauté juive en Ukraine.
    Pour ce qui est des militants d'extrême droite etc., on s'interroge beaucoup sur les droits qu'il faut... Avec Svoboda, on a un bel exemple de ce qui se passe quand on laisse la population décider: la population a élu Svoboda. C'étaient des radicaux; ils ont dépassé toutes les attentes de l'Ukraine de l'Ouest. Ils étaient très anti-Ianoukovitch, ce qui leur attirait la sympathie des russophones du pays. La gestion de Lviv a été une catastrophe; leur gestion de Ternopil, aussi; et maintenant, ils sont à 2 % des suffrages, si bien qu'il est très peu probable de les voir représentés dans le prochain Parlement.
    Tout le monde parle du mystérieux Secteur droit. Il n'a jamais fait de déclaration antisémite. Tout ce qu'on leur reproche, c'est de ne pas vouloir de l'OTAN ni de l'Union européenne. Le chef du Secteur droit s'est entretenu avec l'ambassadeur israélien en Ukraine. Ils ont affirmé non seulement être contre l 'antisémitisme mais vouloir s'employer activement à l'éradiquer. Ils ont fait un excellent travail de relations publiques. S'il y a des gens dans le gouvernement — le gouvernement quant à lui a fait un travail catastrophique en matière de communication, soit dit au passage...
    En fait, le seul domaine dans lequel j'ai de graves critiques à l'égard du gouvernement, est son manque de dynamisme pour lutter contre cette machine. Il faut rendre à Poutine ce qui est à Poutine: cela fait longtemps, longtemps qu'il prépare son coup. Pour résumer, c'est une rumeur qui suinte; c'est le gros mensonge, dans la lignée de la gestion de l'information de Joseph Goebbels: plus le mensonge est gros et plus vous le répétez, plus les gens commencent à y croire.
    Mais lisez s'il vous plaît le National Post d'aujourd'hui.
(1730)
    Merci.
    Lada, à vous la dernière remarque, avant que nous concluions.
    Faites attention à la Syrie, d'un point de vue géopolitique. La première visite russe en Israël a eu lieu, sauf erreur, l'an dernier seulement ou l'année d'avant. Depuis l'indépendance. La Syrie est un détonateur. La flotte russe en mer Noire a un port là-bas dans le détroit de Tartous.
    C'est donc la Syrie.
    Merci.
    Merci à nos témoins, dont j'apprécie la disponibilité. Nous voulions entendre votre témoignage et sommes heureux d'y être parvenus. Merci encore.
    La séance est levée.
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