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La séance est ouverte. Bienvenue à la 79
e réunion du Comité permanent des finances. Voici l'ordre du jour: conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous allons aujourd'hui poursuivre notre étude du financement du terrorisme au Canada et à l'étranger.
Trois témoins sont avec nous à Ottawa, et deux comparaissent par vidéoconférence. Nous accueillons Martin Rudner, de l'Université Carleton; Kevin Stephenson, du Egmont Group of Financial Intelligence Units; et Yaya Fanusie, de la Foundation for Defense of Democracies. Je vous souhaite la bienvenue à tous les trois.
Nous recevons également Patrick Johnston, de la RAND Corporation, qui comparaît par vidéoconférence à partir de Pittsburgh, en Pennsylvanie.
M'entendez-vous bien, monsieur Johnston?
C'est effectivement un honneur et un privilège de comparaître devant votre comité à propos de ce sujet fort important et pertinent. Je pourrais commencer par dire que le Canada a une triste histoire de participation au financement d'activités terroristes, qui remonte à l'époque du conflit au Sri Lanka. Le Canada était devenu le principal bailleur de fonds au monde de l'organisation terroriste Tigres tamouls, au Sri Lanka et à l'échelle mondiale. Ce groupe a notamment assassiné deux premiers ministres, soit celui de l'Inde et celui du Sri Lanka. Je trouve donc tout à fait opportun que le Parlement et le Comité permanent des finances étudient les enjeux contemporains relatifs au financement du terrorisme, justement pour éviter toute possibilité que l'histoire ne se répète au Canada.
Je vais concentrer mon intervention sur quatre domaines qui intéressent selon moi le comité. Je parlerai d'abord de la mobilisation et du transfert de fonds du Canada jusqu'aux organisations terroristes à l'échelle mondiale. Je m'attarderai en deuxième lieu à l'importation de fonds de l'étranger pour des activités terroristes au Canada. J'aborderai ensuite les nouveaux enjeux relatifs au financement du terrorisme, auxquels participent des Canadiens et des intérêts canadiens. Si vous me le permettez, je vais terminer en vous présentant quelques recommandations tirées d'une analyse qui pourrait, je l'espère, aider le comité dans sa démarche.
En ce qui a trait à la mobilisation et au transfert de fonds du Canada jusqu'aux organisations terroristes, j'ai trouvé sept domaines d'intérêt. Je vais les mentionner, et nous pourrons entrer dans les détails à la période de questions, si vous le souhaitez.
On pense par exemple à la collecte de fonds et au transfert de dons à des groupes terroristes au moyen d'organisations de façade. Les Canadiens donnent de l'argent aux organisations de façade, qui transfèrent ensuite les fonds à des groupes terroristes comme Al-Qaïda, le groupe armé État islamique ou Hezbollah.
La deuxième méthode est le détournement de fonds de charité que les Canadiens donnent aux organismes de bienfaisance. Or, il arrive que ces organismes soient infiltrés de sympathisants de groupes terroristes et que les fonds soient détournés.
Troisièmement, les profits de la contrebande sont une autre source de revenus. Des produits comme le tabac passent illégalement les frontières d'un État ou d'une province, d'un territoire à faible imposition à un territoire où les impôts sont élevés, et les bénéfices vont dans les poches des organisations terroristes.
Prenons ensuite la vente de souvenirs, de livres et d'autres produits que les gens achètent, et dont les profits reviennent aux groupes terroristes.
Il y a aussi les transactions fondées sur les échanges commerciaux de produits à grande valeur et facilement encaissables. Prenons l'exemple du groupe armé État islamique, qui fait l'acquisition de pétrole dans le nord de l'Irak ou de la Syrie, l'exporte par des voies clandestines, et empoche les bénéfices. Il y a d'ailleurs des exemples à ce chapitre en Amérique du Nord et au Canada.
On pense également au trafic de drogue, malheureusement, de même qu'à la fraude financière, notamment en ce qui a trait aux cartes de crédit.
Pour ce qui est de l'importation de fonds de l'étranger visant à financer des activités terroristes au Canada, j'ai un certain nombre d'exemples à vous donner. Nous savons par exemple que des cartes de crédit de voyage ou de débit prépayées ont permis à certains Canadiens d'aller à l'étranger en tant que combattants étrangers ou éléments terroristes.
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Mes excuses, je ferais mieux de me dépêcher.
On pense aussi au financement des membres extrémistes du clergé dans les mosquées et des prédicateurs radicaux itinérants; au financement de cellules dormantes au sein des réseaux terroristes; et au financement d'activités ciblant délibérément des intérêts canadiens, surtout dans le secteur pétrolier et gazier. Il y a également des problèmes émergents, comme le vol électronique, qui cible les banques; le versement d'aide sociale aux djihadistes; la production participative de fonds terroristes et la mobilisation; et les virements de fonds internationaux au moyen du système bancaire, ou le blanchiment d'argent.
Ma première recommandation serait de s'attarder en priorité au financement du terrorisme, au dépistage, à la prévention et aux poursuites. En deuxième lieu, il faut renforcer les pouvoirs d'enquête du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE, qui fait partie du groupe Egmont, pour lui permettre de mener des enquêtes donnant lieu comme il se doit à des poursuites et à des mesures de prévention. Enfin, le système bancaire doit participer davantage à la prévention du financement du terrorisme.
Merci beaucoup.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour à tous.
J'aimerais d'abord et avant tout profiter de l'occasion pour remercier le gouvernement du Canada. Si notre groupe a pu établir son bureau et son secrétariat à Toronto en 2007, c'est grâce au montant de 5 millions de dollars que nous a octroyé le gouvernement canadien en 2006. L'engagement du gouvernement du Canada ne s'est pas démenti depuis. Le CANAFE a assumé la présidence de l'un de nos groupes de travail sur la formation ainsi que la vice-présidence du comité d'Egmont.
Permettez-moi de vous brosser un bref historique du groupe Egmont. L'aventure a débuté en 1995 alors qu'une vingtaine de dirigeants d'unités du renseignement financier se demandaient comment mettre en commun les informations à leur disposition pour mieux lutter contre le blanchiment d'argent. C'était donc avant le 11 septembre et l'adoption de toutes ces lois sur le financement du terrorisme. Nous comptons actuellement 147 pays membres, et ce nombre ne cesse de croître. Nous prévoyons que plus de 140 membres participeront à notre séance plénière de juin prochain.
Les principaux objectifs du groupe Egmont sont d'accroître l'efficacité des échanges d'information entre les unités du renseignement financier (URF), qu'ils soient spontanés ou sur demande, et de favoriser le développement d'URF efficaces à l'échelle planétaire.
Nous sommes particulièrement fiers de notre réseau sécurisé (Egmont Secure Web) qui permet à nos 147 membres de mettre en commun en toute sécurité des renseignements financiers.
L'échange d'information et la coopération internationale sont des aspects primordiaux dans la lutte contre le financement du terrorisme. Aux yeux du groupe Egmont, il y a quelques éléments qui revêtent une importance capitale à cet effet. Il faut d'abord absolument que chacune des unités respecte tout au moins les normes internationales. Je crois que le Canada va se soumettre au processus d'évaluation mutuelle vers la fin de l'année. Je pense que c'est le FMI qui est en charge de cette évaluation.
Nous estimons en outre essentiel de pouvoir échanger rapidement de l'information pour contrer le financement du terrorisme, et nous allons amorcer des discussions au sein du groupe Egmont sur les moyens à prendre pour nous rapprocher de l'échange d'information en temps réel. Est-ce chose possible dans notre contexte? Quelles seraient les répercussions au chapitre des ressources? Pourrait-il y avoir des problèmes de capacité? Comment pourrons-nous arriver à un tel résultat?
Nous croyons également que les différentes entités doivent pouvoir mettre en place un régime efficace, un objectif auquel a contribué le GAFI avec les changements apportés à la méthodologie depuis 2012. On ne peut plus se contenter de simplement observer les règles. Par exemple, il faut espérer que chaque unité puisse atteindre ce qu'on appelle le « résultat immédiat 6 » dans les recommandations du GAFI. On y décrit le cheminement du renseignement financier dans l'ensemble du régime, à partir des entités déclarantes — et M. Rudner y a fait allusion en parlant des déclarations des banques — jusqu'aux poursuites couronnées de succès. Il n'est plus suffisant qu'une seule entité travaille efficacement. Il faut que l'ensemble du régime fonctionne bien. Nous devons prendre des mesures en ce sens, car c'est un élément essentiel dans la lutte contre le financement du terrorisme.
Quelles sont les initiatives en cours du groupe Egmont pour contrer le financement du terrorisme? Un certain nombre d'URF participant à un projet visant le groupe État islamique sont actuellement réunies à Washington pour discuter de la situation des combattants terroristes étrangers qui rentrent au pays et du financement de leurs différentes activités. C'est un projet auquel le CANAFE contribue très activement. Je ne peux pas vous donner plus de détails à ce moment-ci, mais nous prévoyons que le travail de cette équipe de projet nous permettra d'en savoir plus long du point de vue opérationnel. Des renseignements à cet effet sont mis en commun et on s'emploie également à détecter les obstacles, tant juridiques qu'opérationnels, qui pourraient se dresser et qui doivent être pris en compte. Le rapport de l'équipe de projet devrait être soumis au GAFI cet été pour être ensuite intégré au rapport présenté au Groupe des 20.
Les unités du renseignement financier doivent surmonter différentes difficultés dans leur lutte contre le financement du terrorisme. Dans chaque pays, les agences qui s'emploient à contrer ce phénomène ont la mauvaise habitude de travailler en vase clos. On ne peut plus se permettre d'agir ainsi. À l'échelle internationale, nous devrons mettre en place des mécanismes améliorés qui permettront les échanges d'information de façon quasi-instantanée. C'est tout un défi à relever pour les URF, et ce, dans bien des pays du monde.
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Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Merci de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui pour discuter du financement du terrorisme.
Il ne faut pas beaucoup de capitaux pour se livrer à des activités terroristes. Dans la péninsule d'Arabie, Al-Qaïda s'est déjà vantée du fait que son complot raté de bombardement d'un avion au-dessus de l'Amérique du Nord en 2010 ne lui avait coûté que 4 200 $. Les déclarations semblables ne tiennent toutefois pas compte des coûts généraux de fonctionnement. Ces frais englobent les salaires, le transport terrestre, les maisons de passeurs et même les pots-de-vin. Cela fait partie des frais fixes que doivent assumer les organisations terroristes.
Nous avons dégagé quatre grands types d'activités auxquelles les groupes terroristes se livrent pour pouvoir régler ces frais. Il s'agit du contrôle de territoires et de frontières, de la participation à des activités criminelles et de contrebande, de l'obtention de contributions de donateurs privés fortunés, et du parrainage d'États.
Je vais vous donner quelques exemples de ces activités en faisant ressortir, pour chaque méthode utilisée, les faiblesses que nos gouvernements pourraient exploiter afin de perturber les activités des terroristes et de miner leur capacité de se financer.
Premièrement, les terroristes tirent parti du contrôle qu'ils exercent sur des frontières et des ports. Le groupe État islamique (EI) en est un exemple. Il amasse de un à deux millions de dollars par jour grâce à la vente du pétrole provenant de raffineries qu'il contrôle en Syrie et en Irak. Il prélève également des taxes sur la vente de marchandises dans les territoires sous son emprise, en plus de forcer les entreprises locales à lui verser des frais pour l'électricité.
Pour sa part, le groupe Boko Haram contrôle certaines portions du Nigéria et des pays avoisinants. Il accumule des fonds en taxant la pêche. Le groupe terroriste Al Shabaab prélève quant à lui des taxes sur le charbon de bois et d'autres produits qui doivent transiter sur les routes à destination et en provenance des grands ports de la Somalie. L'ONU estime qu'Al Shabaab recueillait à un certain moment entre 75 et 100 millions de dollars par année uniquement pour les ventes de charbon, bien que l'on ait interdit l'exportation de ce produit à partir de la Somalie.
Il y a une possibilité qui pourrait être exploitée à ce chapitre. Les agissements des extrémistes violents ont des répercussions négatives sur les entrepreneurs locaux qui pourraient devenir des alliés dans la lutte à l'influence terroriste.
Parlons maintenant de criminalité et de contrebande. Ainsi, l'enlèvement perpétré dans le but d'obtenir une rançon est la principale méthode de financement du terrorisme après le parrainage par l'État. À titre d'exemple, le groupe Al-Qaïda du Maghreb islamique a touché depuis 2008 plus de 90 millions de dollars de différents gouvernements pour la libération d'otages qu'il avait enlevés.
Il y a aussi bien sûr les conflits djihadistes en Syrie et en Irak. Ils ont ouvert les vannes du commerce illégal des objets antiques. Il n'est pas aisé de calculer les sommes exactes que l'EI tire de ce commerce, mais une source estime à 36 millions de dollars les montants accumulés grâce à la vente d'artefacts volés dans une seule région de la Syrie.
De son côté, Boko Haram vole des banques et subtilise de l'équipement militaire. Pour subvenir à ses besoins, il s'en prend aussi à de pauvres agriculteurs pour leur voler bétail et nourriture en enlevant des membres de leurs familles.
Il y a également un commerce illégal mondial des espèces en péril. À titre d'exemple, al Shabaab s'est servi des profits tirés du commerce illégal de l'ivoire pour financer des attaques terroristes au Kenya. Vous avez sans doute entendu parler de l'attentant commis au centre commercial Westgate où un ressortissant canadien a perdu la vie.
Parlons aussi de l'Armée de résistance du Seigneur qui se livre au braconnage des éléphants pour financer ses activités. Il y a une possibilité à exploiter à ce niveau du fait encore une fois que les extrémistes se livrant ainsi au crime et à l'extorsion s'aliènent les populations locales qui peuvent devenir des alliés potentiels pour nous.
En ce qui a trait à la prise d'otages, un représentant officiel du Trésor américain a observé qu'Al-Qaïda semblait avoir renoncé à enlever des Américains parce que le gouvernement des États-Unis refuse de payer une rançon. Cela peut être de bon augure pour le gouvernement canadien qui a adopté une position comparable.
Les donateurs fortunés sont une autre source de financement. C'est un problème particulièrement criant dans la région du Golfe. Des sommes considérables continuent d'échapper à la supervision financière. C'est une cible plutôt difficile à atteindre, car plusieurs des régimes qui collaborent avec nos gouvernements dans certaines zones militaires et diplomatiques n'empêchent pas pour autant les financiers du terrorisme de faire leurs affaires sans trop s'inquiéter.
C'est le cas notamment du Qatar et du Koweit. Divers combattants djihadistes en Syrie touchent des fonds du Koweit par l'entremise de collecteurs qui recueillent de l'argent via les médias sociaux. Il y a tout de même une possibilité d'intervention du fait de la dépendance des États du Golfe envers le soutien militaire de l'Amérique du Nord qui constitue un levier dont peut se servir le Canada pour exercer des pressions sur ces régimes afin qu'ils arrêtent les financiers du terrorisme.
Enfin, il y a le problème du parrainage étatique du terrorisme mondial. L'Iran est le plus actif des États parrains du terrorisme. Téhéran verse chaque année des millions de dollars à des organisations terroristes comme le Hezbollah et le Hamas. En dépit de différences idéologiques très marquées entre les dirigeants iraniens et Al-Qaïda, Téhéran a accueilli et protégé des hauts gradés d'Al-Qaïda au cours de la dernière décennie, et ce groupe a utilisé le territoire iranien pour faire passer des fonds et des recrues.
La décision prise l'an dernier par un tribunal canadien de saisir 7,1 millions de dollars d'actifs iraniens au Canada a marqué une étape clé pour les familles de victimes du terrorisme iranien et pourrait servir de précédent pour la saisie d'actifs détenus au moyen de sociétés prête-nom.
En conclusion, comme les terroristes varient leurs méthodes de financement, il devient essentiel pour les autorités de pouvoir contrer toute la gamme des stratégies qu'ils déploient.
Bien que les types de financement du terrorisme que je viens de mentionner démontrent la capacité d'adaptation de nos ennemis, chacune de ces méthodes a ses faiblesses que le Canada peut exploiter.
Merci de m'avoir consacré une partie de votre temps et de m'avoir permis de comparaître devant vous aujourd'hui.
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Merci à vous, monsieur le président, ainsi qu'aux membres du comité de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui.
Comme les organisations terroristes semblent plus que jamais en mesure de trouver les fonds nécessaires à leurs activités, il apparaît essentiel de prendre les moyens pour contrer ce financement. Mes observations d'aujourd'hui vont porter principalement sur le groupe État islamique (EI) que j'étudie de près depuis 2012.
Au cours de la dernière année, l'EI a pris de l'ampleur pour devenir l'organisation terroriste la plus riche et la plus menaçante de la planète. En outre, le fait que l'EI ait pu recruter des centaines de citoyens canadiens et américains en fait une menace particulièrement préoccupante pour l'Amérique du Nord.
Mon intervention sera divisée en trois parties principales. Dans un premier temps, nous allons examiner la façon dont l'EI recueille des fonds et les dépense. En deuxième lieu, nous allons chercher à évaluer l'impact des efforts actuels de la coalition sur les ressources financières de l'EI. Troisièmement, je vais vous soumettre des mesures que le Canada, les États-Unis et les autres partenaires de la coalition pourraient envisager afin d'accroître l'efficacité de leurs actions.
Il est particulièrement difficile pour les pays occidentaux de miner la capacité de financement de l'EI du fait que ce groupe mise sur des sources de fonds qui sont différentes de celles de la plupart des autres groupes terroristes d'intérêt pour le Canada et les États-Unis depuis 2001. Contrairement à des groupes comme Al-Qaïda et le Hezbollah, par exemple, l'EI finance ses activités en tirant à l'interne la vaste majorité de ses revenus des territoires qu'il contrôle. Il ne se tourne pas vers des donateurs bien nantis, des organisations caritatives islamiques ou des parrains étatiques, autant de sources vulnérables aux mesures financières traditionnellement utilisées pour contrer le terrorisme, comme les sanctions ciblées. L'EI devient ainsi un adversaire financier à la fois unique et très résilient.
Comment l'EI s'y prend-il exactement pour accumuler des fonds? Il mise sur un éventail varié de sources de revenus qui comprend l'extorsion, la vente de pétrole, le pillage pour le vol d'artefacts et d'autres objets, et la perception de taxes. Il tire également des sommes moins importantes d'enlèvements en échange d'une rançon, de dons provenant de l'étranger et de l'introduction illégale d'argent en Syrie et en Irak par des combattants venant de l'étranger.
C'est surtout en s'en prenant aux revenus tirés du pétrole que la coalition a réussi jusqu'à maintenant à perturber le financement de l'EI. L'an dernier, le groupe tirait de cette source uniquement des revenus de 1 à 3 millions de dollars américains par jour, sans compter ses actifs accumulés d'environ 1,2 milliard de dollars.
Les frappes aériennes qui ont visé l'infrastructure pétrolière à l'amorce de la campagne antiterroriste de la coalition en septembre ont contribué à réduire les revenus tirés de cette source. À la suite de ces bombardements, l'EI n'a pu conserver que 5 % de sa capacité d'extraction pétrolière par rapport au sommet atteint l'été dernier. Cette baisse de la production a coïncidé avec la chute des prix du pétrole à l'échelle planétaire, si bien que l'on indique maintenant que les revenus pétroliers de l'EI sont passés d'environ 1 à 3 millions de dollars par jour à quelque 2 millions de dollars par semaine.
C'est donc une diminution importante de ce qui était auparavant la principale source de revenus de l'EI, mais ce n'est pas suffisant pour limiter de façon significative la capacité du groupe de poursuivre et de financer ses activités. La raison en est bien simple: l'EI n'est pas un État pétrolier. Il conserve à l'interne d'autres sources de revenus très lucratives qui lui permettent de continuer à générer un montant estimé à 2 ou 3 millions de dollars par jour.
L'économie de l'EI est de taille réduite si on la compare à celle des États-nations reconnus. Son PIB le classerait dans la tranche des 10 à 15 % des pays les plus pauvres, quelque part entre le Belize et la Gambie. L'EI demeure toutefois une organisation terroriste extrêmement riche.
L'État islamique autoproclamé nourrit de grandes ambitions, mais conserve malgré cela des frais de fonctionnement plutôt faibles. Il minimise ses investissements dans la prestation de services, les infrastructures et l'équipement. De fait, la plus grande partie de ses dépenses s'inscrivent dans un ou deux postes financiers, à savoir les salaires et les coûts de main-d'oeuvre, et l'administration, essentiellement à rabais, d'un État policier régi par la charia.
Quoi qu'il en soit, l'EI a réussi à grossir ses effectifs à peu de frais en attirant des recrues davantage intéressées par son idéologie extrémiste que par le montant de leur chèque de paie. Les indications sur les salaires versés par l'EI varient d'une source à l'autre, mais même si les estimations les plus généreuses étaient les bonnes — à savoir environ 500 $ par mois — les coûts de main-d'oeuvre de l'EI seraient encore inférieurs au quart de ses revenus estimatifs, ce qui lui laisserait amplement de ressources pour financer ses différentes activités religieuses, médiatiques et militaires.
J'aimerais terminer avec quelques recommandations. Premièrement, il convient d'appuyer les efforts nouveaux et continus qui sont déployés pour miner la capacité de génération de revenus à l'interne des organisations terroristes. La capacité financière de l'EI est indissociable du territoire qu'elle contrôle. La constitution d'une force de sécurité locale et régionale est incontournable si l'on veut reprendre le territoire utilisé par l'EI pour financer ses activités.
Deuxièmement, il faudrait repérer et saisir les réserves financières déjà accumulées par l'EI, car son trésor de guerre est si bien garni qu'il risque de permettre au groupe de tenir le coup malgré l'efficacité potentielle des efforts déployés par ailleurs pour restreindre sa capacité financière.
J'ai une troisième et dernière recommandation. Les opérations antiterroristes contre l'EI doivent viser non seulement les têtes dirigeantes du groupe, mais aussi ses administrateurs et ses agents financiers qui gèrent et distribuent l'argent en sa possession. Si l'on cible ces intervenants, en ayant recours ou non à la force, on pourra perturber les opérations financières du groupe et recueillir de précieux renseignements pour pouvoir mettre au jour ses réseaux de financement.
Merci beaucoup.
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Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Merci de m'avoir invitée à témoigner devant vous.
D'après ce que m'a dit votre greffière, vous vous intéressez tout particulièrement à l'expertise que j'ai acquise en étudiant le financement du mouvement environnemental, le fonctionnement du secteur caritatif et la manière dont des fonds ont pu entrer au Canada en provenance des États-Unis surtout, mais aussi d'autres pays.
Permettez-moi de préciser d'entrée de jeu que j'ai étudié au cours des 20 dernières années plus de 100 000 pages de déclarations de revenus soumises au fisc américain. J'ai suivi à la trace le financement d'une centaine de groupes environnementaux, et je n'ai jamais trouvé aucune preuve d'écoterrorisme, d'écosabotage ou de quoi que ce soit qui pourrait, de mon point de vue de non-spécialiste, constituer du terrorisme. Je tenais à le préciser, car à la lumière de ce qu'on peut entendre au Canada, j'estime important d'établir la distinction entre militantisme et terrorisme, et entre désobéissance civile et terrorisme.
Je n'ai donc vu aucune preuve de financement du terrorisme. Cela étant dit, je ne suis pas une experte en la matière et ce n'est pas non plus ce que je cherchais à trouver.
J'aurais une suggestion à faire au comité. C'est quelque chose que j'ai déjà mentionné il y a quatre ans lors de ma première comparution devant un Comité permanent des finances. Je veux juste souligner que nous n'avons pas au Canada les mêmes exigences en matière de divulgation que celles qu'on retrouve dans d'autres pays. De fait, nous sommes beaucoup moins exigeants à l'endroit de nos organisations caritatives. Je le mentionne parce que le premier intervenant a parlé de l'utilisation des organismes de charité pour le blanchiment d'argent. J'ai fait une suggestion à ce sujet il y a quatre ans et bien d'autres personnes au Canada ont fait la même. Il nous faut en arriver à une plus grande transparence du secteur caritatif pour assurer sa crédibilité et veiller à ce qu'il ne soit pas utilisé à mauvais escient pour blanchir de l'argent au Canada.
Vous savez, ce n'est pas bien sorcier. Aux États-Unis, l'IRS a déjà imposé des exigences assez simples. Par exemple, les organismes caritatifs doivent dresser la liste de leurs cinq employés les mieux rémunérés et des cinq entrepreneurs les mieux payés avec lesquels ils font affaire. Ils doivent également, et c'est davantage par tradition qu'autre chose, indiquer non seulement les bénéficiaires et les montants des subventions versées, mais aussi les fins pour lesquelles les fonds ont été accordés. On doit aussi inclure des précisions sur les investissements de l'organisme caritatif et sur l'identité de ses donateurs.
Il y a assurément des gens qui ont plus d'expertise que moi en la matière, mais il me semble simplement, de mon point de vue de profane, que la taille du secteur caritatif au Canada justifie une plus grande transparence, et ce, pour plusieurs raisons. Il faut notamment bien sûr s'assurer que ces organisations ne deviennent pas des véhicules pour le blanchiment d'argent.
Avant de répondre à vos questions, je voudrais juste mentionner une autre constatation que j'ai faite dans le cadre de mes recherches. Il y a plusieurs façons de faire entrer de l'argent dans le secteur caritatif sans que cela n'apparaisse sur les déclarations fiscales. Différents groupes ont trouvé des moyens variés d'y parvenir en faisant appel à des intermédiaires et à des prête-noms. Même si je ne suis pas une spécialiste de la question, j'ai l'impression que certaines mesures pourraient être prises pour entraver les stratagèmes semblables.
Je vous remercie du temps que vous m'avez consacré et je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins. Veuillez excuser mon retard.
Monsieur Stephenson, je vais commencer par vous, mais la question pourrait aussi s'adresser à M. Fanusie. Quelles que soient les mesures législatives qu'adoptera le gouvernement pour lutter contre le terrorisme, quelles que soient les mesures qui seront prises, d'autres lois ont été adoptées antérieurement, comme la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, etc. La constitutionnalité de ces mesures est un aspect important, et les soumettre à un examen judiciaire le serait tout autant, étant donné l'objectif d'enrayer le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
Est-il juste de dire qu'elles doivent être défendables devant un tribunal?
Oui? Très bien.
Par rapport à la première tentative du gouvernement à cet égard, plusieurs articles de sa loi contre le blanchiment d'argent et le recyclage des produits de la criminalité ont été annulés par la cour, dont celui sur les perquisitions sans mandat dans les bureaux d'avocats. Un autre article qui visait à contourner le secret professionnel liant un avocat et son client — c'était l'objet de cette loi — a été déclaré inconstitutionnel par les tribunaux.
Donc, tous ces efforts ont été vains. Nous sommes maintenant saisis d'un projet de loi, le projet de loi , qui franchit les diverses étapes au Parlement et qui vise à lutter davantage contre le financement du terrorisme, mais peut-être par des mesures qui ne résisteront pas à une contestation constitutionnelle.
En ce qui concerne l'utilisation de n'importe laquelle de ces mesures, ne serait-il pas essentiel, avant de les adopter au Parlement, de s'assurer qu'elles sont conformes à la Constitution canadienne afin qu'elles puissent un jour être utilisées efficacement aux fins pour lesquelles elles ont été conçues, soit d'empêcher les terroristes d'obtenir des fonds?
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Stephenson — ou tout autre expert qui est ici aujourd'hui —, si vous n'avez pas de connaissances sur ce sujet, veuillez nous le faire savoir dès maintenant. Des gens qui ont travaillé au sein de la division de la GRC chargée de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme nous ont parlé des lacunes relatives à notre capacité à cet égard au Canada. Lorsque les agents de la GRC suivent une formation et acquièrent des connaissances sur les mécanismes extrêmement complexes du suivi du financement, selon la façon dont notre système fonctionne actuellement — comme l'ont indiqué des gens qui ont travaillé à la GRC —, dès qu'ils atteignent un certain niveau d'expertise, ils sont promus et mutés dans une autre division. C'est ainsi que cela fonctionne à la GRC.
On nous a parlé d'une personne qui a acquis une grande compétence dans ce domaine et qui est actuellement commandant de détachement d'un poste quelconque parce que c'était la prochaine étape du processus de promotion.
Est-ce un phénomène que vous avez observé, selon votre expérience? Comme M. Rudner acquiesce, je vais lui permettre de répondre.
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Je vais faire de mon mieux. Votre question comporte deux volets.
Comment utilise-t-on les organismes caritatifs à des fins illicites? Je ne pense pas nécessairement que c'est le cas. Je n'ai certainement rien vu d'illégal ou de criminel. Quant à savoir si les organismes caritatifs enfreignent certaines des règles sur les activités qu'ils ont le droit de financer, c'est possible.
Pourquoi cette affirmation? Ce que je trouve préoccupant, ce sont des activités comme celles que j'ai observées, où des groupes environnementaux ont été financés afin de militer pour le renouvellement de l'engagement des partis d'opposition à l'égard d'une interdiction de la circulation des pétroliers. Les organismes caritatifs ne sont pas autorisés à mener ce genre d'activités politiques. Je serais aussi préoccupée par des mesures visant à cultiver l'opposition des Autochtones à l'égard de l'établissement de relations avec des collectivités situées le long du tracé d'un pipeline. S'agit-il d'une activité caritative? Évidemment, il revient à l'ARC d'en décider.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre question sur l'entrée des fonds au Canada, il y a d'abord les voies habituelles et acceptables, évidemment. Au Canada, les organismes caritatifs peuvent recevoir des fonds de donateurs de partout dans le monde, et ils sont tenus de déclarer ces fonds dans leur déclaration de revenus. La plupart des organismes le font. J'ai vu des cas où, par exemple, on avait indiqué dans une déclaration de revenus aux États-Unis qu'un paiement avait été fait à un organisme caritatif canadien qui, de son côté, ne l'avait pas déclaré. J'ai communiqué avec certains de ces organismes. Ils ont indiqué avoir présenté une déclaration erronée et qu'ils enverraient une nouvelle déclaration à l'ARC. C'est un des mécanismes, mais il s'agit simplement de la voie habituelle d'acheminement des fonds.
Il arrive aussi parfois qu'un donateur verse des fonds à une société à but non lucratif qui finance ensuite un organisme caritatif canadien. Donc, lorsque les fonds étrangers parviennent à l'organisme caritatif, ils ont été pour ainsi dire « canadianisés » par l'intermédiaire de la société à but non lucratif. Des millions de dollars entrent ainsi au Canada sans qu'ils soient considérés comme des fonds de source étrangère.
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Vous soulevez une question très importante. Je crois que l’Egmont Group voudrait probablement participer à la réponse et à la solution.
Il ne fait aucun doute que des sources, pour ainsi dire, privées ou des individus en Arabie saoudite, au Koweït, au Qatar et aux Émirats arabes unis financent et continueront de financer des activités liées à la violence politique. En passant, les gouvernements de ces pays sont très au fait de cette réalité et ont d’ailleurs commencé à resserrer leurs mesures sous le règne du nouveau roi. Ils ont serré rigoureusement la vis, mais je ne crois pas qu’ils aient la capacité de le faire efficacement contre tous les donateurs potentiels. Ils essaient, mais ils ont encore du chemin à faire.
Un des rôles que l’on pourrait jouer, en collaboration avec nos homologues d’Egmont Group, serait de bâtir la capacité de ces gouvernements à relever le défi auquel ils sont confrontés en matière de financement du terrorisme et à prévenir, à dépister et à poursuivre en justice.
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J’ai soumis un document aux fins de publication sur la question, mais, en bref, c’est une question complexe. Vous avez mis le doigt dessus; d’un côté, l’Arabie saoudite a clairement dit qu’un des objectifs du système de gestion de l’offre de l’OPEP visant à baisser le prix du pétrole était de réduire les revenus de l’EIIL.
Mais, le problème, comme vous l’avez souligné, c’est que le coût de production est si faible, que même si le baril se vend à, disons, 50 $, l’EIIL fait encore des profits, mais beaucoup moins qu’auparavant, comme l’ont dit mes collègues. Bien entendu, la contrebande du pétrole a une importance criminelle, si je puis m’exprimer ainsi. Les criminels qui participent à cette contrebande de pétrole veulent aussi faire des profits. Alors, cela n’incite pas l’EIIL à participer à des activités de contrebande.
Mais, ses revenus sont tout de même considérables, vous avez raison de le souligner.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci aux témoins d’avoir accepté notre invitation. Je vous remercie beaucoup pour le temps que vous nous consacrez et les renseignements que vous nous transmettez.
Vous êtes plusieurs à avoir souligné que des organisations sont utilisées efficacement pour financer les organisations terroristes, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’une organisation caritative ou même d’une institution financière. Quel genre de formation pourrait-on offrir, quel genre de principes de comptabilité pourrait-on utiliser ou quel genre de sensibilisation pourrait-on faire pour venir en aide à ces entreprises, organisations caritatives et institutions financières innocentes et éviter qu’elles soient utilisées à des fins préjudiciables, soit pour financer le terrorisme?
Peut-être que M. Fanusie pourrait répondre d'abord.
Concernant les organisations et entreprises… Je vais d’abord parler des organisations caritatives. Il y a deux choses à souligner. D’abord, les organisations sont-elles utilisées involontairement ou en connaissance de cause? Dans la majorité des cas, leur participation est volontaire. C’est un des principaux problèmes. N’importe qui peut fonder une entreprise et avoir un représentant qui sait, habituellement, à qui appartient l’entreprise ou qui en est le bénéficiaire.
Une autre question qui se pose, c’est que peut-on faire pour mieux identifier ces entreprises? Prenons, par exemple, les États-Unis. Il a été beaucoup question dans la presse des entreprises de façade qui possèdent des biens immobiliers. D’ailleurs, le New York Times a consacré une série d’articles sur le nombre de biens immobiliers d’une valeur de 1 million de dollars dans la ville de New York dont un certain pourcentage appartient à des entreprises de façade. Donc, si vous cherchez dans les archives publiques pour savoir à qui appartiennent ces biens immobiliers, vous ne le trouverez pas ou il vous faudra faire beaucoup de recherches.
Des discussions sont en cours afin de définir quels renseignements devraient être publics concernant les propriétaires de biens immobiliers. Il existe certaines mesures de protection et il y a des raisons pour lesquelles les gens les utilisent. Beaucoup de biens immobiliers en Amérique du Nord appartiennent à des étrangers.
À mon avis, il est nécessaire de lancer un débat législatif sur la façon de surveiller ou de rendre les archives publiques plus transparentes. Ce serait très…
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Merci, monsieur le président. Il est agréable de siéger au Comité des finances.
J’aimerais d’abord m’adresser à Mme Krause. Si je ne m’abuse, vous avez passé beaucoup de temps à analyser les organisations caritatives et avez dit être préoccupée par les influences étrangères, ce qui cadre très bien avec l’étude du comité.
Toutefois, je crois que vous avez réorienté vos efforts sur les pipelines et l’énergie, ou le pétrole et le gaz, en 2011 et 2012 si ma mémoire est bonne, au même moment où un ministre conservateur a dit publiquement que des environnementalistes et autres radicaux opposés à la construction de pipelines sont financés par des groupes d’intérêt spéciaux étrangers.
Partagez-vous cette opinion? Vous êtes-vous penchée sur cette question à l’époque?
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Je vais vous donner un exemple.
L'initiative De Yellowstone au Yukon est un organisme de bienfaisance canadien enregistré. Il n'a déclaré aucun financement sur plusieurs années. En fait, si je ne me trompe pas, son financement — des millions de dollars — vient essentiellement d'une fondation caritative américaine. Cet argent, premièrement, est versé à une société sans but lucratif située à Canmore, en Alberta, puis cette organisation finance l'organisme de bienfaisance canadien enregistré. L'argent est canadianisé par l'intermédiaire d'un organisme sans but lucratif de sorte que dans les déclarations de revenus, il n'y a pas de financement étranger sur des années alors qu'en fait, les fonds utilisés par l'organisme de bienfaisance viennent effectivement de l'extérieur du Canada.
Voilà. Vous vouliez un exemple.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie nos témoins.
Je tiens à présenter des excuses à notre témoin de la Colombie-Britannique. Je suis moi-même un Britanno-Colombien et c'est moi qui ai amené M. Rankin ici. Il ne fait pas normalement partie du comité. Je trouve très inapproprié de vous attaquer.
Nous ne traitons pas de cet aspect. Comme vous l'avez dit, nous ne parlons pas du financement des groupes environnementaux. Ils sont légitimes, en ce sens que vous estimez qu'ils n'ont rien à voir avec le terrorisme. Vous le dites bien clairement. Je veux axer mes questions sur l'étude sur le terrorisme que nous menons.
Ma première question s'adresse à M. Rudner. Dans votre déclaration liminaire, vous avez dit avoir des exemples d'organisations canadiennes qui détournent des fonds et les transfèrent à des organisations terroristes. Pourriez-vous nous donner des exemples de cela?
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Oui, c'était un éloge funèbre prononcé pour le prince héritier Sultan qui est décédé il y a plusieurs années. On mentionnait qu'il était un fervent défenseur de l'environnementalisme, en particulier de l'activisme environnemental à l'étranger, et surtout dans les pays producteurs de pétrole et de gaz faisant concurrence à l'Arabie saoudite. Le discours portait principalement sur l'exploitation du pétrole et du gaz en Alberta, ce que l'Arabie saoudite percevait à l'époque — il y a trois ou quatre ans — comme une menace à leur part du marché américain. On disait dans ce discours que l'Arabie saoudite utilisait des « organisations de façade » en guise d'intermédiaires financiers entre l'Arabie saoudite et les groupes d'activistes canadiens pour essayer d'empêcher que la concurrence venant de l'Alberta ou d'ailleurs au Canada fasse obstacle aux exportations saoudiennes vers les États-Unis. C'est un exemple classique.
Je pourrais aussi donner l'Iran comme exemple. Le numéro un iranien, Ali Khameini, le chef suprême, a récemment mis en place ce qu'il appelle l'économie de résistance, et cela s'accompagne d'une stratégie axée directement sur l'Asie qui prévoit des mesures actives pour empêcher d'autres pays, en particulier le Canada, d'accéder au marché de l'Asie et de rivaliser avec l'Iran. En ce moment, les Iraniens déploient un effort majeur pour percer sur les marchés asiatiques: la Chine, l'Inde et d'autres pays. Ils estiment que l'effort canadien visant à exporter du pétrole et du gaz à partir de la Colombie-Britannique comme de la concurrence pour conquérir une part du marché. Je crois que nous savons que les Iraniens ont de très solides services de renseignement leur permettant de faire du sabotage grâce au Hezbollah, directement sous l'égide de l'Iran, aux Gardiens de la révolution islamique et à son groupe Al-Quds, et de recourir à la violence politique et l'encourager afin de prévenir la concurrence. C'est l'économie de résistance, comme Ali Khameini...
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Merci, monsieur le président.
Messieurs, je vous remercie beaucoup de vos présentations. C'était très intéressant.
J'aimerais me concentrer davantage sur le Canada contrairement à ce qui a été fait jusqu'à maintenant.
Le comité a entendu plusieurs témoins qui ont parlé de l'inefficacité du Canada pour ce qui est d'entamer des poursuites pour lutter contre le financement du terrorisme. Par exemple, le CANAFE reçoit énormément d'informations, mais très peu de cas se rendent devant les tribunaux.
Je vais citer les propos de Mme Vonn, qui est directrice des politiques de la British Columbia Civil Liberties Association. Elle disait ce qui suit:
[...] le peu de preuves dont nous disposons indique qu'il y a beaucoup moins de financement d'activités terroristes qu'on serait porté à le croire ou que le régime n'est pas très efficace pour détecter ce financement. Cependant, étant donné qu'on ne comprend pas la nécessité ni l'efficacité du régime, notre réaction se traduit par l'utilisation de pouvoirs envahissants; une divulgation plus large de renseignements sensibles et de renseignements personnels hautement préjudiciables; un lourd fardeau administratif imposé au secteur privé; et davantage de ressources pour CANAFE et ses partenaires.
Comment, selon vous, pourrait-on lutter plus efficacement contre le financement du terrorisme? Devrait-on, par exemple, établir des critères pour cibler les transactions plus à risque ou devrait-on travailler sur le seuil du montant de 10 000 $ que nous avons à l'heure actuelle?
J'adresse ma question à MM. Stephenson, Johnston ou Rudner.
Je pense que le CANAFE, la GRC et les autres autorités compétentes pourraient mieux répondre à ces questions touchant précisément le contexte canadien.
Mais je pense que selon le contexte des normes internationales, chaque pays est censé cerner et comprendre les risques qu'il court. Pour ce faire, il faut faire intervenir un partenariat des secteurs public et privé qui déterminera que les risques englobent le risque de financement du terrorisme. Puis vous êtes censés consacrer vos ressources à essayer de traiter ce risque en conséquence.
Vous avez mentionné la déclaration des opérations en espèces. Quand il est question de financement du terrorisme, il n'y a pas de modèle précis qui convient à tout. En gros, comme j'ai essayé de le dire précédemment, il faut que diverses agences travaillent plus étroitement ensemble et mettent à profit leur savoir-faire particulier, et c'est l'une des choses que le GAFI a essayé de faire en changeant les normes récemment, en 2012. J'ai mentionné cela précédemment dans mon exposé. Il s'agit essentiellement d'examiner la façon de traiter le renseignement financier tout le long de la chaîne.
Vous avez dit ne pas avoir beaucoup de condamnations. Eh bien, c'est le cas de bien des pays. Ils sont nombreux à ne pas avoir de confiscations, et il y a des difficultés. Nous devons faire bien mieux, mais pour cela il faut mieux comprendre le renseignement financier, mieux travailler avec le secteur privé pour qu'il fasse les déclarations au CANAFE, mieux travailler avec les enquêteurs de la GRC afin de suivre l'argent, et mieux perturber les finances des terroristes. C'est une chaîne. Ce n'est pas nécessairement une entité ou une chose en particulier que vous pouvez faire; c'est de façon générale qu'il faut le faire.
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Le CANAFE et le FinCEN, aux États-Unis, sont tous les deux membres de mon organisation, alors je ne veux pas me lancer dans un débat pour déterminer qui fait le meilleur travail. Je pense qu'ils font tout les deux de l'excellent travail dans l'ensemble. Bien entendu, on peut toujours faire mieux.
Il faudrait que vous demandiez aux gens du CANAFE s'ils pensent qu'il leur faut se comparer avec le FinCEN, mais dans l'ensemble, comme je l'ai dit, les entités déclarantes de presque tous les pays demandent toujours plus de renseignements. Cependant, ce n'est pas une science exacte. Vous pouvez leur envoyer des signaux d'alarme, mais ce n'est pas comme si une personne entre à la banque avec une affiche dans le front disant « Je blanchis de l'argent » ou « Je suis un terroriste et je déplace des fonds ». Ce n'est pas si simple; ce n'est pas si facile. Vous pouvez donner des renseignements aux entités déclarantes et leur dire « Regardez ce genre de choses. Vous devriez connaître vos clients. Cela devrait éveiller des soupçons, avoir l'air inhabituel, et vous devriez le signaler à votre URF». Je pense que bien des entités déclarantes veulent tout simplement pouvoir cocher la case.
Je pense que le CANAFE, ici, de même que le FinCEN, en tant qu'organisme de réglementation aux États-Unis, communiquent très bien avec le secteur privé pour dire aux gens « Voici les signaux d'alarme ». Cependant, de nombreuses entités déclarantes sont mal à l'aise à cause de la responsabilité qui leur incombe. Nous ne sommes ni enquêteurs ni spécialistes du renseignement, mais il y a une relation ou un partenariat qui contribue à stimuler la confiance et la communication qu'il faut. Je pense dans l'ensemble que le CANAFE et le FinCEN font de l'excellent travail en ce sens.
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Oui. Je pense qu'il y avait un exemple de...
Je dirais au sujet de la situation que c'est une succursale canadienne de la Banque Royale du Canada qui s'est retrouvée sous le contrôle d'intérêts libanais et qui a fait l'objet d'un recours à titre privé — il est important de préciser que c'était une poursuite privée — au motif que cette banque antérieurement canadienne, ou libano-canadienne, avait servi à canaliser des ressources vers le Hamas et le Hezbollah. Il y a eu une entente privée entre les particuliers et la banque, laquelle a effectivement admis sa culpabilité.
Je dois dire que je suis intervenu en tant qu'analyste pour les litigants, dans cette affaire. C'est ma déclaration d'intérêt. Permettez-moi seulement de vous dire que le problème, c'était l'analyse, qu'il y avait suffisamment de matériel à analyser convenablement pour faire ressortir des preuves qui auraient convaincu les tribunaux. La banque a donc constaté sa culpabilité et a opté pour un règlement privé.
J'aimerais revenir sur les sources et les méthodes. L'une des raisons pour lesquelles les poursuites sont si rares au Canada, je crois, c'est que les sources et les méthodes sont si délicates qu'on ne veut pas nécessairement qu'elles soient présentées en audience publique et qu'elles soient ainsi compromises. Par conséquent, on préfère la perturbation. Autrement dit, si nous ne pouvons pas entamer des poursuites, cernons l'effort de financement du terrorisme et perturbons-le.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Johnson, j'aimerais une réponse très brève à ma question.
La guerre que nous menons n'a rien de traditionnel. Nous savons que les djihadistes radicaux ont déclaré la guerre au Canada, mais ce n'est pas le genre de guerre pour laquelle nous revêtons des uniformes et allons nous battre contre un ennemi lui aussi en uniforme, après quoi quelqu'un demande la paix, à la fin. C'est une guerre très différente, et nous devons nous battre sur divers fronts. L'un est le financement, et il y a aussi l'action militaire, mais nous devons aussi avoir un volet humanitaire, pour les victimes qui sont déplacées dans cette partie du monde.
Pourriez-vous nous parler rapidement de cela, car je veux passer à d'autres sujets? Je vous remercie.
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Bon nombre des mosquées qu'on dit radicales ont initialement été financées par des sources saoudiennes, y compris par des organisations publiques saoudiennes comme la Ligue islamique mondiale et d'autres organisations du genre et ont cultivé une perspective wahhabite, laquelle s'est elle-même radicalisée au sein de la diaspora qui s'est mise à soutenir certaines des missions d'Al-Qaïda et d'autres groupes. Cependant, les Saoudiens ont subi les contrecoups de cela et le gouvernement saoudien lui-même, à l'instigation du roi Abdallah, maintenant décédé, a pris ces cinq ou six dernières années des mesures sévères pour enrayer ce syndrome au sein de l'Arabie saoudite et a essayé de prévenir la dissémination de ce genre de choses — de directives religieuses — à l'étranger. Cette période est maintenant révolue.
En tant que chercheur qui étudie le terrorisme et son financement, je m'inquiéterais de savoir si les mécanismes de financement de l'Arabie saoudite ont été remplacés par d'autres mécanismes, comme on pourrait s'y attendre, passant le Qatar, le Moyen-Orient comme tel, l'Égypte ou d'autres pays où l'on diffuse à profusion le radicalisme des Frères musulmans.
Est-ce qu'ils sont actifs au Canada? C'est une chose que nous voudrions qu'une organisation d'enquête sur le financement du terrorisme — le CANAFE, le SCRS, la GRC — suive de près pour voir s'il y a une nouvelle source de financement de la radicalisation de l'islam dans les établissements canadiens.
Les agents du renseignement américains prétendent que c'est un fait connu que cette mosquée sert au recrutement, à l'encadrement et à la formation des membres d'Al-Qaïda, et en 2011, le chef actuel du Parti libéral, , a visité cette mosquée. La même année, il a aussi pris la parole à la conférence Reviving the Islamic Spirit, qui était financée par l'IRFAN, un groupe qui, comme nous le savons tous, a recueilli 14,5 millions de dollars pour soutenir le Hamas et qui a perdu son statut d'organisme de charité.
À l'époque, M. Garneau, qui était dans la course à la chefferie contre M. Trudeau, avait refusé de prendre part à cette conférence, en raison des idées radicales dont elle faisait la promotion.
Pourriez-vous nous dire — je m'adresse à vous deux, si vous voulez tous les deux répondre à la question — si la participation d'acteurs politiques canadiens à des événements comme ceux-là donne une quelconque légitimité aux activités de ce genre d'organisations?
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Je vais éviter de faire une déclaration à saveur politique, car je ne veux pas faire un enjeu partisan de la lutte au financement du terrorisme.
Il y a deux choses à souligner. Premièrement, à l'époque, l'Arabie saoudite n'avait pas encore porté de jugement sur ces mosquées, et deuxièmement, il y a ce courant idéologique voulant que l'islam soit devenu une menace pour l'islam. Les choses ont changé par la suite. De notre point de vue, c'était une menace pour le Canada à ce moment-là.
Ce qui pose problème, à mon avis, c'est que nous ne traitons pas l'enjeu du terrorisme et de la lutte antiterrorisme comme toutes les menaces de conflit au Canada, c'est-à-dire de manière non partisane. J'estime que le gouvernement de même que les chefs et membres des partis de l'opposition au Parlement devraient se consulter afin d'arriver à un consensus non partisan sur ce qui constitue une menace pour le Canada, et de s'entendre sur une façon de contenir et de prévenir la menace pour qu'elle ne se transforme pas en violence politique en sol canadien. Tout cela devrait se dérouler sans aucune intention partisane, comme nous l'avons fait en temps de guerre.
Je pense qu'il faut revenir à cela. J'espère que le Parlement — par l'entremise de l'étude de votre comité sur le financement du terrorisme — pourra arriver à un consensus métapolitique sur les menaces que pose le financement terroriste sur les intérêts canadiens.
Monsieur le président, j'ai quelques commentaires à formuler.
Je suis nouveau au comité, et je suis heureux d'être présent aujourd'hui. Je peux vous assurer que je ne suis pas ici pour attaquer un témoin en particulier. Je l'ai déjà vu, au Comité des ressources naturelles. Mme Krause a été attaquée personnellement en raison de l'information qu'elle avait présentée.
Il était intéressant d'entendre un témoignage indiquant clairement que le financement de l'activisme environnemental va bien plus loin que l'enquête qu'elle a menée. L'enjeu a une portée beaucoup plus internationale que la plupart d'entre nous le croyait dans le passé.
Monsieur Stephenson, je veux revenir sur certaines choses que vous avez dites. Vous avez parlé de l'importance — vous l'avez mentionné plus d'une fois, d'ailleurs — de l'échange de données en temps réel et des manières de gagner en efficacité. Je crois que tout le monde sera probablement d'accord pour dire que c'est essentiel, que les choses doivent être suivies beaucoup plus rapidement.
Avez-vous une idée de la façon dont on pourrait y arriver, tout en empêchant le gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des citoyens qui n'ont rien à se reprocher? Nous voulons être plus efficaces. Nous voulons aussi laisser les citoyens honnêtes vivre leur vie en paix. Avez-vous des solutions à proposer pour y arriver?
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Je l'ai mentionné tout à l'heure. Je pense que toute démocratie qui se respecte a du mal à trouver l'équilibre entre la sécurité de ses citoyens et leur droit à la vie privée. De ce que je connais du système canadien, vous avez un très bon équilibre de ce côté, surtout quand il est question du financement du terrorisme.
D'après ce que j'ai vu dans la foulée des attentats du 11 septembre, et ensuite dans mon travail avec Egmont, il est très rare que pas une des entités gouvernementales ne possède d'information sur certains terroristes, le financement terroriste, ou sur quelque autre sujet qui pourrait être d'intérêt pour d'autres organismes. Le problème semble venir du fait qu'il n'y a pas d'échange d'information à l'échelle du gouvernement. C'est ce que j'ai voulu faire passer comme message aujourd'hui, soit que toutes les autorités compétentes devraient s'échanger ces données financières, car ce sont des renseignements importants.
Vous connaissez le système canadien beaucoup mieux que moi. L'Egmont Group n'est pas un organisme d'évaluation; c'est la responsabilité du Groupe d’action financière (GAFI). Comme je l'indiquais plus tôt, l'exercice d'évaluation mutuelle aura lieu sous peu pour examiner le système.
Il est toujours difficile de trouver un juste équilibre, et je crois que la meilleure façon d'aller de l'avant est d'en parler ouvertement.
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En ce qui concerne l'EIIS, les services de renseignement des États-Unis avaient certainement sonné l'alarme à propos de ce groupe et de sa montée, notamment à la lumière des mesures de répression du gouvernement chiite à l'endroit des députés sunnites, des protestations qui ont suivi, et du mouvement du groupe encore appelé « État islamique d'Irak », qu'on connaît aujourd'hui comme l'EIIS en Syrie.
Je crois que si on a mal jugé la situation et hésité à intervenir, ce n'est pas nécessairement parce qu'on ignorait ce qui se passait, mais plutôt parce qu'on n'imaginait pas toute l'ampleur que cela allait prendre. C'est une organisation terroriste unique en ce sens qu'elle est devenue un État terroriste, et non un réseau de cellules dispersées. Il y a encore des cellules, mais il ne s'agit pas de son mode principal d'organisation.
Cepedant, la montée de l'EIIL est grandement attribuable aux facteurs historiques, de l'établissement de la démocratie irakienne à l'élection du président, si bien qu'il est difficile de revenir en arrière, même si on voit comment un groupe comme l'EIIS ou un autre groupe terroriste peut émerger d'un tel contexte.
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Rapidement, je suis d'accord avec M. Johnston.
Au Egmont Group, nous avons aussi beaucoup de mal à obtenir un échange de données financières en temps réel. Je ne veux pas avoir l'air de radoter, mais je crois aussi qu'il y a parfois un décalage dans certaines administrations entre les agences de renseignement et les unités du renseignement financier. Il peut arriver qu'une unité du renseignement financier ait des données sur des transferts de fonds, sans savoir que le particulier ou les entités en question sont surveillés pour leurs activités terroristes potentielles.
Il faut remédier à cela. C'est une des choses à faire, mais c'est difficile. Ce n'est pas évident, car il faut se rappeler que ces gens-là ne veulent pas être détectés. Il faut entre autres trouver comment assurer une meilleure communication entre les différentes administrations, mais aussi entre les entités d'une même administration.
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Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, je voudrais remercier les personnes qui sont venues témoigner devant nous et leur dire que je suis un peu désolé qu'elles aient entendu des choses qui sont un peu exagérées. En effet, on dit que le groupe État islamique a déclaré la guerre au Canada. J'espère que le jour où un État déclarera la guerre au Canada, la réponse sera supérieure à six avions et 70 membres des forces spéciales pour faire de la formation. Vous avez donc entendu certaines choses qui ne sont pas très sérieuses et nous nous en excusons.
J'aimerais adopter la perspective un peu plus large formulée par M. Fanusie. Vous avez parlé de financement et de la vente du pétrole qui génère pour le groupe État islamique de 1 à 2 millions de dollars par jour. Essayons de mettre en perspective la quantité d'argent qui est généré et les moyens qui sont utilisés. Ainsi, il y a eu deux attaques ici au Canada, à savoir une à Saint-Jean-sur-Richelieu — qui est circonscription que je représente — et une à Ottawa.
En ce qui concerne le matériel utilisé à Ottawa, on constate qu'une carabine Winchester a été utilisée. C'était probablement une carabine de collection. Je ne connais pas son prix puisque je ne suis pas un expert en carabines de collection, mais j'imagine que c'est plutôt de l'ordre d'une centaine de dollars.
Pour ce qui est de l'attaque à Saint-Jean-sur-Richelieu, un couteau de cuisine a été utilisé et celui-ci valait environ une dizaine de dollars chez Walmart ou chez Canadian Tire. L'auteur de l'attentat a utilisé une voiture Nissan Altima de l'année 2000 — une voiture qui a donc 14 ans —, de couleur beige, pour être très précis.
Lorsqu'on met en perspective les millions de dollars qui sont générés par la vente du pétrole par le groupe État islamique et l'investissement qui a été fait par les deux personnes qui ont perpétré les attaques ici au Canada, peut-on vraiment dire que ce sont des attaques terroristes? Comment voyez-vous le déséquilibre à cet égard?
Le fait d'entretenir de la confusion entre ce qui est vraiment du terrorisme international et ce qui constitue plutôt des problèmes de santé mentale d'individus qui n'ont aucune connexion avec des organisations internationales ne risque-t-il pas de decrédibiliser et de diminuer le travail que vous faites en vue d'alerter les autorités sur le financement d'organisations terroristes internationales? Le fait d'entretenir et de nourrir cette confusion pour effrayer les gens et soutenir un programme politique ne risque-t-il pas de diminuer votre travail?
Je vais commencer par M. Fanusie.
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Selon moi, il faut surtout mettre l'accent sur les intentions de l'État islamique. Permettez-moi de préciser que les lois islamiques demandent que des avertissements soient donnés aux cibles du djihad, de la guerre religieuse islamique. En passant, il y a toujours des avertissements. Ils ne sont pas nécessairement envoyés en anglais ou en français à des adresses courriel précises, mais il y a toujours des avertissements. Une des tâches des agences de renseignement et des spécialistes du terrorisme est de surveiller le discours de l'État islamique et des autres groupes terroristes.
Pour répondre à votre question, il ne fait aucun doute, absolument aucun, que l'État islamique a menacé les intérêts canadiens explicitement et directement. Ce n'est que lorsque nos services de renseignement et de sécurité auront publié les données qu'ils ont pu recueillir et échanger que nous saurons si les deux personnes que vous avez mentionnées étaient des agents contrôlés par l'EIIS ou non.
Ils ne le feront pas pour protéger leurs sources et leurs méthodes. Les Canadiens ne veulent pas que l'État islamique le sache si nous avons réussi à l'infiltrer et comment nous l'avons fait, parce que nous avons encore besoin de cette source de renseignement.
Il n'y a pas de réponse simple à cette question, à part qu'il y a une menace directe et explicite envers le Canada.
[Français]
Je vous remercie, monsieur Brahmi.
[Traduction]
Je vais m'accorder les prochaines questions.
Monsieur Fanusie, je tenais à vous questionner sur votre exposé, que j'ai trouvé très intéressant.
Comme un certain nombre de nos témoins, vous avez dit qu'une opération, en elle-même, coûte très peu. C'est le maintien de l'organisation qui est en soi le problème.
Vous avez dit que l'État islamique empoche, en tant qu'organisation, entre un et deux millions de dollars par jour grâce au pétrole, mais aussi que les enlèvements, pour en tirer des rançons, sont la principale méthode de financement du terrorisme après le parrainage par l'État, ce qui, je pense, en étonnera plus d'un. Les gens sont au courant, pour ce qui est des enlèvements, mais j'ignore s'ils savent combien ils rapportent.
Je tenais aussi à vous questionner sur le commerce illégal d'antiquités. Nous en avons entendu très peu parler. Je voulais donc vous entendre plus longuement à ce sujet.
Coïncidence intéressante, j'ai lu un livre, dernièrement, par un membre de l'équipe montée par le FBI pour lutter contre la criminalité dans le monde de l'art. Je pense que le titre était Inestimable. Je pense que le comité n'a pas beaucoup étudié les montants que rapporte le vol des objets d'art et des antiquités, dont vous venez de parler, ni la participation du crime organisé dans cette activité.
Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails?
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Bien sûr. En ce qui concerne particulièrement l'État islamique, il est probablement important de dire comment les choses se passent. Ce ne sont pas nécessairement ses agents qui font les fouilles et qui pillent les objets et les sculptures qu'ils trouvent. En fait, il contrôle une région, le territoire, il autorise les fouilles par la population locale et il taxe les revenus qu'elle en tire. Revenir à l'idée de simplement taxer tout ce qui se vend, cela permet à peu près n'importe quoi. Ils ne sont pas nécessairement les auteurs des pillages, mais leurs territoires se trouvent dans des régions où, pendant des millénaires, se sont accumulés des objets qu'il suffit de trouver. Ils autorisent simplement les gens à le faire ou à les apporter et à les vendre. Ils prélèvent une part du produit de la vente.
C'est ainsi que ça se passe.
Vous avez parlé d'économie souterraine, que, d'après moi, nous ne comprenons pas vraiment. Nous ne portons pas la même sorte d'attention à cette économie.
En fait, il y a quelques semaines, j'ai lu un article, non pas au sujet de l'État islamique, mais au sujet d'une trouvaille récente, un livre, je pense de la Renaissance italienne. Il a été vendu par un marchand d'art. Le ministère de la Sécurité intérieure des États-Unis a envoyé une équipe qui s'est occupée de la recherche et a récupéré le livre. Il se trouve dans une bibliothèque de l'Université Johns Hopkins.
D'après les porte-parole de l'université à qui j'ai parlé, il n'y a pas vraiment, pour les antiquités, de processus de certification rigoureuse comme celui de Kimberley pour les diamants de sang, qui permet de vérifier qu'ils ne proviennent pas d'un commerce illicite.
Les garanties ne sont pas si rigoureuses. C'est une lacune.
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Merci beaucoup. Je commence, puis M. Rankin poursuivra.
J'ai une question concernant le coût pas si important des attaques individuelles. Si, en fait, le coût du financement des actes terroristes a tellement diminué, cela semblerait présager leur prolifération. D'une certaine manière, le suivi de si petits montants devient beaucoup plus difficile pour nous. Des témoins nous ont parlé de la possibilité, par exemple, d'un appui par mégarde aux activités terroristes, par l'aide étrangère. D'autres nous ont dit que l'une des causes premières du terrorisme est l'extrême pauvreté de ces pays, d'où l'importance de l'aide étrangère.
Comment trouver un compromis? Il est important d'investir dans les communautés et l'infrastructure locale, pour que les États en perdition ne deviennent pas un terreau pour le terrorisme. En même temps, il importe de s'assurer que l'argent destiné à la construction dans les communautés et à la création d'institutions, dans certains de ces pays, y servira effectivement.
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Oui. Vous touchez là une question très importante, celle de l'aide. Je pense que la réponse dépend de la destination de l'aide et de la solidité des institutions dans lesquelles on investit ou qu'on aide.
Un exemple peut-être intéressant est le Mali, dont beaucoup, pendant assez longtemps, ont dit qu'il allait bien et où, il y a plusieurs années, le problème djihadiste semblait minime. Mais, dans un certain sens, il y avait un vide politique et institutionnel dans lequel des extrémistes et des ressortissants de pays voisins se sont engouffrés.
C'est seulement un exemple. J'ignore si cela répond à toutes les questions que vous pouvez vous poser.
Mais il faut vraiment se demander quelles institutions on renforcera grâce au financement. Je n'ai pas dit que l'aide étrangère était l'une des principales sources de financement du terrorisme, mais l'existence d'institutions fortes, sur place, est peut-être le meilleur garant de l'efficacité de l'aide étrangère par rapport aux objectifs visés.
L'exemple le plus notable qui me vient à l'esprit est Oak Foundation. J'ai trouvé que cette fondation avait donné 20,2 millions de dollars, je pense, à des groupes écologistes. Mais moins de trois millions apparaissent dans les déclarations de revenus aux États-Unis. Intéressant, n'est-ce pas? Alors, visiblement, cet argent provenait d'organisations caritatives américaines. La question est d'où provenaient les 17 autres millions?
La semaine dernière, j'ai écrit à Oak Foundation, pour la prévenir de mon témoignage d'aujourd'hui. Je lui ai demandé de quels pays l'argent provenait. La raison étant que nous avons besoin de savoir en vertu de quelles règles cet argent a d'abord été attribué. Des règles américaines visant les organismes caritatifs ou, sinon, des règles de quel autre pays? La fondation m'a prévenue qu'elle ne me répondrait pas, mais qu'elle répondrait à un fonctionnaire. Vous pourriez donc la relancer.
L'autre question...