SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 5 décembre 2013
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Silence, chers collègues. Nous sommes maintenant en séance publique.
Aujourd'hui, nous accueillons en tant que témoin un honorable collègue de la chambre haute. Le sénateur Hugh Segal a servi avec distinction ici au Canada à titre de parlementaire, après avoir été analyste expert d'une très grande variété de sujets. Puisqu'il a été envoyé spécial pour le Commonwealth, il connaît bien le contexte au Sri Lanka.
Monsieur le sénateur, vous connaissez la procédure des comités mieux que la plupart des gens. Le temps qui reste après votre exposé sera divisé également entre les députés qui veulent poser des questions. C'est ce qui va décider du temps accordé pour leurs questions et vos réponses.
La parole est à vous. Allez-y.
Merci, monsieur le président.
[Français]
Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant le comité aujourd'hui.
J'étais au Sri Lanka de la fin mars au début avril à titre d'envoyé spécial du Canada pour le Commonwealth. Mon rôle n'était pas de faire des commentaires sur les affaires internes d'un État souverain ou sur les relations bilatérales entre le Canada et le Sri Lanka, mais bien d'évaluer la situation sur le terrain en regard des valeurs fondamentales du Commonwealth, notamment la primauté du droit, la liberté, les droits de la personne, l'indépendance judiciaire et la liberté de la presse.
Ma mission était de faire rapport au ministre des Affaires étrangères, M. Baird, et au premier ministre du Canada.
[Traduction]
Lorsque j'étais au Sri Lanka, monsieur le président, j'ai rencontré des ministres influents, le chef de l'opposition au Parlement, le clergé de diverses confessions, des membres de la société civile dans le Sud et dans le Nord, le haut commandement militaire dans le Nord, des dirigeants musulmans, les sociétés du Barreau, des étudiants, des journalistes et des hauts fonctionnaires. Je suis allé à Colombo, dans le Nord, dans l'Est et dans le Sud. J'ai visité des camps de déplacés avec l'aide du personnel du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Les forces armées me semblaient bien formées, disciplinées et professionnelles, mais elles ont adopté l'approche de l'Armée populaire de libération chinoise. Elles ont pris de l'expansion dans le Nord pour monopoliser les terres arables, les pêches et les secteurs clés du commerce et de l'entreprise. Les Tamouls n'ont aucun moyen de récupérer leurs terres ou de rebâtir leur avenir économique en tant que personnes, que familles ou que communautés.
Un nettoyage ethnique voilé, mais clair se produit contre les Tamouls, avec le soutien et l'encouragement du gouvernement. Les terres saisies pour le déminage ne sont pas rendues aux Tamouls afin qu'ils rentrent chez eux. La sécurité nationale a été invoquée afin de construire des maisons pour les familles des militaires majoritairement cinghalais, qui seront déplacés du Sud au Nord.
J'ai eu le privilège de visiter les bureaux d'un journal tamoul de référence. Quelques jours après ma visite, on a fait feu sur l'éditeur, un député tamoul élu de Colombo, détruit les ordinateurs et battu le personnel, qui a dû être hospitalisé.
Même si la distinguée haute-commissaire du Sri Lanka à Ottawa, Son Excellence Mme Wagiswara, et le haut-commissaire à Londres, Chris Nonis, nous ont invité à rencontrer qui nous voulions, nous étions talonnés et épiés partout où nous allions, même dans le véhicule officiel du Haut-Commissariat du Canada.
Devant la résidence officielle du haut-commissaire, la police a pris en note la plaque d'immatriculation des membres de la société civile sri lankaise que nous avions invités pour obtenir conseil.
À Jaffna, un groupe de citoyens pour la réconciliation pacifique craignait de venir à notre modeste hôtel pour rencontrer la délégation canadienne. Le haut-commissaire et moi sommes allés au centre-ville en taxi, après la tombée de la nuit, tandis que les véhicules officiels canadiens étaient envoyés à l'autre bout de la ville pour protéger les anciens fonctionnaires, les professeurs, les étudiants et le clergé qui nous donnaient des informations. Nous l'avons fait à leur demande, parce qu'ils craignaient pour leur propre sécurité.
Je tenais beaucoup à m'entretenir avec l'ancienne juge en chef, mise à l'écart pour avoir rendu une décision à l'encontre des préférences du gouvernement. La juge a dit qu'elle serait en danger si je la faisais monter dans un véhicule muni d'un drapeau canadien et que seul le téléphone nous permettait de communiquer sans compromettre sa sécurité et celle de sa famille.
Je me suis réuni avec le Vice-Président de la Chambre, le chef de l'opposition au Parlement et le ministre du Développement économique. Ce dernier et le ministre de la Défense et des Affaires municipales sont tous deux frères du président. Le troisième frère est Président du Parlement de Colombo.
Lors de notre visite dans le camp pour personnes déplacées de Kilinochchi, les bouges n'avaient ni électricité, ni eau, ni installation sanitaire, ni plancher. C'étaient des taudis faits de carton, d'étain et de toile de jute, mais ils étaient tenus de façon impeccable et étaient très propres. Malgré ces conditions difficiles, les fiers résidents du camp ne demandaient qu'à retourner chez eux, sur leurs terres et dans leurs communautés.
Dans des régions du Nord, aucun bouddhiste ne vivait dans les temples bouddhistes. On nous a dit que c'était une façon de marquer le territoire et d'indiquer aux Tamouls hindous qu'ils y étaient en danger.
Durant notre visite, on nous a parlé d'intimidation et de violence contre la communauté musulmane. Après le discours du ministre de la Défense livré dans un temple bouddhiste radicalement nationaliste, des brutes ont incendié des magasins et des usines détenus par des musulmans dans l'est de la ville. Des policiers impassibles ont assisté à la scène les bras croisés.
Chers collègues, permettez-moi de dire en terminant que la situation au Sri Lanka concerne les Sri Lankais et excède mon mandat d'envoyé pour le Commonwealth. Mais les violations aux valeurs fondamentales du Commonwealth exprimées dans la nouvelle Charte du Commonwealth, signée par Sa Majesté et tous les chefs d'État dont le Sri Lanka, concernent le Commonwealth et tous ses membres.
Même s'il est certainement bien intentionné, le secrétaire général du Commonwealth brille par son absence et n'agit pas dans ce dossier. Cela va directement à l'encontre de la tradition de leadership établie par l'ancien secrétaire général Sir Shridath Ramphal, qui a mené une campagne vigoureuse de sanctions et d'opposition à l'apartheid avec le premier ministre de l'Inde, deux premiers ministres du Canada successifs et des États de premier plan en Afrique subsaharienne. Le Commonwealth auxquels les Canadiens ont toujours cru a expulsé le Nigeria à la suite du coup d'État militaire, avant de le réintégrer une fois la démocratie rétablie. Il a suspendu le Pakistan lorsqu'il a dissous la Cour suprême et que le président hésitait entre un régime démocratique et la junte militaire. Au retour de la démocratie, le Pakistan a été réintégré, comme l'Afrique du Sud après Mandela.
Le Commonwealth n'a pas de rôle à jouer dans les affaires internes de ses membres. Là-dessus, je suis d'accord avec G. L. Peiris, le ministre des Affaires étrangères du Sri Lanka. Mais le Commonwealth doit veiller à l'application de ses règles et à l'intégrité de ses principes fondamentaux. Sinon, il soulève de sérieuses questions quant à sa pertinence.
Le Sri Lanka régresse et viole les principes fondamentaux du Commonwealth depuis un certain temps. La Réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth à Colombo est perçue comme une des moins réussies de l'organisation. Moins de chefs d'État s'y sont présentés qu'à toutes les réunions de l'histoire du Commonwealth. La chef d'État du Canada, Sa Majesté la reine Elizabeth II, était absente aussi.
À mon avis, le Commonwealth fait face à une crise. Il doit prendre des mesures et défendre le bien, comme par le passé, au lieu d'ignorer ce qui se passe sur place. Au Sri Lanka, les journalistes sont assassinés et les gens enlevés s'ils sont perçus comme des dissidents. Ils disparaissent sans que les autorités mènent des enquêtes pour savoir où ils se trouvent. On progresse vers une sorte d'autoritarisme, qui n'a rien à voir avec la démocratie et encore moins avec les traditions du Commonwealth.
Monsieur le président, je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions et à celles de vos collègues.
Merci, monsieur le sénateur.
Nous avons assez de temps pour des séries de questions et réponses de six minutes chacune.
Avant de céder la parole aux autres députés, je vais simplement poser une question brève pour situer le contexte. Vous et un certain nombre de témoins précédents ont souligné que la reine était absente à la Réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth. Est-ce la première fois?
Non.
Il y a environ 40 ans, elle n'a pas participé à la réunion après que le premier ministre Heath ait accepté de vendre des armes au régime d'apartheid en Afrique du Sud. Des conflits d'horaire l'empêchaient d'être à la réunion, mais à ce que je sache, c'est la première fois depuis la création du Commonwealth et qu'elle le dirige.
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le sénateur Segal, de votre temps et de votre exposé. Nous vous sommes reconnaissants.
Dans une édition récente du Globe and Mail, vous dites avoir vu le Sri Lanka se développer. D'après vos observations, ces progrès favorisent-ils la réconciliation et l'essor de l'unité nationale?
Sans aucun doute. Comme je l'indique dans mon rapport présenté au ministre et au premier ministre, le régime de Colombo a réalisé des investissements majeurs dans ce que j'appelle les infrastructures, la croissance économique et les débouchés, comme les routes, les hôpitaux et les écoles. Il n'y a presque pas eu d'investissement dans les droits civiques et la règle de droit. Avec l'aide des Chinois qui sont maintenant des investisseurs dominants dans cette région du monde, le régime trouve les moyens de réaliser des investissements difficiles. Mais il n'y a aucune preuve de progrès en matière de réconciliation véritable, de règle de droit et de responsabilisation.
En fait, le régime n'a simplement pas donné suite aux recommandations de fond, même celles de la Commission parlementaire enseignements et réconciliation, qui a travaillé fort pour présenter des recommandations constructives. Pour reprendre une expression d'ici, je dirais que le régime tricote avec la rondelle et esquive les questions essentielles relatives aux droits et aux privilèges des Sri Lankais.
Monsieur le sénateur Segal, bien des témoins précédents ont dit que le gouvernement du Sri Lanka tardait à mettre en oeuvre les recommandations sur la réconciliation complète et la défense des droits de la personne. À votre avis, la récente Réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth a-t-elle eu une influence sur l'attitude du gouvernement, concernant la réconciliation et la protection des droits de la personne?
Le seul progrès que j'ai constaté, c'est l'idée d'un recensement des morts dans l'espoir de commencer à recueillir des données sur les disparus et la date des disparitions. Bien des gens ne savent pas où se trouvent des membres de leurs familles, à cause de la guerre qui a pris fin en 2009. Tout ce qu'ils peuvent apprendre, c'est qu'un proche est disparu depuis quatre ou cinq ans et qu'il est peut-être décédé dans une prison en particulier.
C'est un énorme problème. La famille et la communauté de bien des Sri Lankais, surtout les Tamouls, accusent un vide immense, en raison de la disparition d'enfants, de fils, de tantes, de frères et de pères. D'après mes observations, aucun effort réel n'a été consenti pour régler la question. Espérons que le recensement des morts sera un commencement, mais il faudra beaucoup de temps avant qu'il permette aux familles très préoccupées d'en savoir plus sur leurs êtres chers.
Le gouvernement du Sri Lanka a annoncé dernièrement qu'il mènerait un recensement sur toute l'île pour établir le nombre de morts et de disparus et évaluer les dommages causés par la guerre civile. Selon vous, ce recensement va-t-il faciliter la réconciliation? Comment reflète-t-il l'attitude du gouvernement actuel en la matière?
Comme nous l'a dit un professeur, la réconciliation est impossible sans qu'on admette les terribles événements. Les deux camps sont peut-être à blâmer; il n'y a peut-être pas qu'un seul groupe coupable. Mais nous devrions prendre l'exemple remarquable de nos frères et soeurs du Commonwealth en Afrique du Sud et de leur Commission Vérité et Réconciliation. Il fallait admettre les événements horribles de l'apartheid, la brutalité contre les gens, les droits bafoués, les homicides commis par la police et les actes excessifs.
Il faut être prêt à l'admettre. En toute justice, les deux camps refusent de rendre des comptes. L'organisation terroriste et brutale des Tigres tamouls s'y refuse, tout comme le gouvernement, les forces armées et les autorités du Sri Lanka. C'est pourquoi le Conseil des droits de l'homme a déclaré que l'ONU cherchera à mener une enquête internationale, si les Sri Lankais n'entament pas eux-mêmes une enquête sur les tortures et les crimes de guerre.
Le premier ministre du Royaume-Uni a indiqué que son pays soutiendra fermement les propositions d'enquête internationale, si les Sri Lankais ne prennent pas des mesures suffisantes.
Monsieur le sénateur, comment le gouvernement du Canada et la communauté internationale peuvent-ils aider le Sri Lanka à surmonter tous les obstacles actuels?
Comme certains membres du comité le savent peut-être, le Canada a fourni du financement pour la traduction des rapports de la Commission enseignements et réconciliation en tamoul, par exemple, pour que les Sri-Lankais tamouls puissent y avoir accès et les comprendre afin de voir comment ils pourraient agir.
Je ne m'inquiéterais pas si le gouvernement du Sri Lanka présentait une proposition pour obtenir de l'aide concernant la Commission de vérité et de réconciliation, par exemple. Je serais étonné si le Canada et d'autres pays n'étaient pas disposés à être constructifs. Comme j'ai séjourné dans le pays, je sais que les Sud-Africains ont formulé moult conseils à leurs collègues sri-lankais sur la manière dont ils peuvent structurer ce genre de commission de vérité et de réconciliation et leur ont offert une aide considérable.
Je crois donc que le Commonwealth, s'il était convenablement mobilisé, ne se soucierait pas de la logistique d'une conférence et des places assignées à chacun. Il devrait plutôt s'occuper de jouer un rôle bien plus actif qu'il ne le fait actuellement afin de réaliser des progrès réels sur ces questions.
Merci, monsieur le président.
Bienvenue, sénateur. Ces jours-ci, vous faites une démonstration éclatante de l'excellent travail qu'accomplit le Sénat du Canada.
Je tiens à vous dire, monsieur, que vous avez également confirmé quelque chose que je suspectais depuis quelque temps, depuis que nos témoins comparaissent: c'est le problème que vous dépeignez au sein du Commonwealth, l'inaction et, dans une certaine mesure, le fait d'abdiquer et de ne pas profiter de l'occasion de tirer parti de ce qui s'est passé en Afrique du Sud... La Commission de vérité et de réconciliation de ce pays fait figure de modèle. Quel dommage ce serait si la réputation de cette initiative était entachée par la Commission enseignements et réconciliation.
Voilà qui m'amène à vous poser la question suivante. Considérez-vous que la Commission enseignements et réconciliation a formulé des recommandations valables? Ce n'est pas que de la poudre aux yeux?
Non. Pour être juste, la Commission enseignements et réconciliation a formulé des recommandations au sujet de la réconciliation et de ce qu'il convient de faire au sujet des centaines de personnes qui manquent toujours à l'appel. Certains estiment que ce sont en fait des milliers de personnes qui ont disparu. Je crois qu'il était pertinent de recommander l'établissement d'un processus permettant de réagir aux crimes de guerre.
Le gouvernement du Sri Lanka n'a pas semblé le moins du monde intéressé à mettre en oeuvre ces recommandations de fond. Il a tergiversé, sans vraiment s'attaquer aux sujets qui permettraient le plus de croire, dans une certaine mesure, qu'il s'agit d'un effort réel pour agir de concert dans le respect de tous les groupes ethniques du pays, pas seulement les Cinghalais.
Si je peux me permettre, je dirais que le problème vient, en un certain sens, d'une terrible guerre fomentée par les terroristes qui sévit depuis 30 ans et au cours de laquelle des attentats suicides ont eu lieu. Ces attentats n'ont pas été inventés au Moyen-Orient, mais au Sri Lanka. La fin du conflit suscite un grand soulagement, mais nous devons aussi comprendre que les Tigres tamouls se sont en grande partie montrés aussi brutaux envers la population tamoule qu'à l'égard de ceux qu'ils percevaient comme leurs ennemis.
Le sentiment de soulagement est compréhensible, mais rien n'indique qu'il y ait une volonté d'aller de l'avant en créant un sens commun de citoyenneté et en tentant de résoudre les problèmes ensemble, et je serais fort surpris si la présente administration du pays faisait quelque chose en ce sens.
J'ai pris une note pendant que vous parliez. On est en présence de l'ancien groupe des Tigres tamouls, de la communauté tamoule, du prétendu gouvernement et de l'armée. Ce n'est pas une de ces situations dont nous sommes habitués d'entendre parler, où l'armée est au pouvoir et s'occupe de tout. Il semble que les chefs du gouvernement soient des sortes de gangsters, en ceci qu'ils sont entourés des gens de leur communauté et appuyés par l'armée, mais que ce ne sont pas eux qui sont aux commandes.
Est-ce que cela décrit bien la situation?
Il existe de nombreux gouvernements fondés sur des dynasties familiales dans le monde. Il en va ainsi de la politique dans certaines régions du monde. Il ne m'appartient pas de poser un jugement à cet égard.
Mais il est maintenant évident qu'il y a de moins en moins de place pour la dissidence, les journalistes qui expriment leur désaccord ou même les membres de l'armée qui veulent discuter des événements. Cette sorte de dérive vers l'autoritarisme viole les règles et les principes du Commonwealth, et empêche le Sri Lanka de suivre la tradition de démocratie qui s'étend maintenant dans cette région de l'Asie, dans des pays qui entretiennent des liens forts avec le Commonwealth. Il me semble que le Sri Lanka se dirige dans la direction opposée.
Je n'accorde pas souvent de mérite à notre gouvernement, mais je crois que la décision de ne pas participer à la conférence était avisée. Parmi les pays membres du Commonwealth, lesquels, outre le Canada et la Grande-Bretagne, pourraient agir comme grands leaders à cet égard? Qui d'autre y a-t-il? Pourrait-on compter sur l'Inde?
Eh bien, l'Inde constitue un acteur de premier plan dans cette région du monde, tout d'abord parce que c'est une puissance hégémonique, et ensuite parce qu'elle porte un intérêt constructif à la minorité tamoule qui se concentre en large partie à Jaffna.
Vous savez peut-être que juste avant la conférence du Commonwealth, des élections ont eu lieu pour le conseil du Nord à Jaffna, au cours desquelles la population tamoule et l'Alliance nationale tamoule a obtenu d'excellents résultats, remportant la vaste majorité des sièges de ce conseil. Ces élections se sont déroulées parce que les gouvernements indien et sri-lankai ont conclu un accord concernant certaines mesures de réconciliation, de décentralisation et d'autonomie.
Dès que ce gouvernement a été élu, des membres de la coalition du gouvernement de Colombo ont présenté des motions pour en réduire substantiellement les pouvoirs. Imaginez si un gouvernement provincial peu favorable à l'administration au pouvoir à Ottawa remportait des élections et que le gouvernement tentait de lui retirer ses pouvoir pour le destituer de ses responsabilités. Je crois que le fait que ce soit les Sri-Lankais qui aient agi de la sorte a grandement influencé la décision de l'honorable premier ministre de l'Inde de ne pas participer à la conférence, car il s'agissait d'une violation flagrante de ce qui avait été raisonnablement convenu entre les deux pays.
Je suppose que dans toute relation, tout échange avec autrui... Quel mécanisme du Commonwealth pourrait être utilisé dans le cas présent pour inciter le gouvernement à au moins commencer à porter attention à la situation? On a entendu bien de belles paroles avant que les pays ne se réunissent, mais de quels mécanismes disposons-nous pour vraiment agir?
L'examen périodique universel des Nations Unis s'en vient, mais je doute qu'on y prête beaucoup d'attention à moins qu'il n'y ait enquête.
Quand des pays se sont dirigés dans cette direction par le passé, le Commonwealth a réagi en lançant un processus graduel de rupture et de sanctions, dont l'expulsion constituait la dernière étape. Il existe toutefois une série d'étapes intérimaires: la suspension, une commission d'enquête et la création d'un comité des sanctions. Par exemple, pendant la période de l'apartheid, on a mis sur pied un comité des sanctions présidé par l'honorable Roy McMurtry, notre haut commissaire. On ne décide pas d'expulser un pays de but en blanc. Il faudrait prendre une série de mesures.
Malheureusement, le secrétariat du Commonwealth actuel, outre quelques symposiums et paroles vides, ne s'est pas vraiment montré disposé à s'attaquer au problème. À mon avis, le fait que le Commonwealth n'agit pas encourage les excès et donne l'impression qu'on peut faire ce qu'on veut. Selon moi, si le Commonwealth veut être une force du bien, il doit infliger des conséquences.
Vous savez, quand Moucharraf et son administration ont été suspendus du Commonwealth pour avoir tenté de congédier toute la cour suprême et former ce qui était de fait une junte, les Pakistanais étaient très intéressés à réintégrer le Commonwealth. Ils ont entamé une série de pourparlers constructifs, et d'éminents experts du Canada ont été envoyés là-bas pour contribuer aux discussions sur les questions constitutionnelles et le fédéralisme afin d'aider les Pakistanais, car ces derniers voulaient revenir au sein de la famille, du club.
C'est là, je crois, la seule sanction que nous puissions imposer, et comme nous ne l'appliquons pas, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies est le seul organe à vraiment pouvoir intervenir.
Cette question n'est malheureusement pas de mon ressort, mais je dirais que le rôle des Chinois consiste à rassurer le gouvernement du Sri Lanka en lui faisant comprendre que si les investissements étrangers se tarissent ou que nos amis du Commonwealth lui imposent des sanctions, ils seront là pour amoindrir le coup. Peu importe les bons mots qu'on peut avoir à l'endroit des Chinois, on ne peut prétendre que la démocratie, la diversité et le pluralisme constituent les points forts de cette société, et cela n'aide évidemment en rien.
Je crois que si le premier ministre britannique a participé à la conférence, c'est en partie parce qu'il considérait que si le Commonwealth se retire, les Chinois occuperont toute la place. Eh bien, les Chinois s'emploient à occuper toute la place qu'ils peuvent. Le problème, c'est que leur présence nuira aux efforts déployés pour favoriser la démocratie, la primauté du droit, l'indépendance judiciaire et les droit de la personne, et constituera une force concurrente dans le cadre de ce processus dans cette région du monde. J'espère que le Commonwealth en arrivera à assumer de nouveau cette mission.
Je doute qu'il le fera au cours des deux prochaines années, mais quand M. Rajapaksa n'assurera plus la présidence, et qu'il y aura un nouveau secrétaire général à Malte et un nouveau président en poste, j'espère que le Commonwealth pourra de nouveau intervenir comme il le devrait.
Merci, sénateur, de vos réponses. Vous avez répondu à au moins quatre questions que je vous réservais.
A-t-il été question de la situation au Sri Lanka lors des dernières réunions du Commonwealth?
Voilà une excellente question.
Certaines des raisons pour lesquelles on a trouvé à redire à la décision du gouvernement canadien de ne pas être représenté par le premier ministre... Nous n'avons pas boycotté la conférence. Nous y avons envoyé un de vos collègues très distingués, un député et secrétaire parlementaire, qui a fait un excellent travail. Cependant, on a fait valoir le fait que, quand on y assiste, on peut soulever des questions de ce genre.
En réalité, le programme de chaque conférence est établi par le président ou le premier ministre du pays hôte, selon le cas, et le secrétaire général du Commonwealth. Ceux-ci auraient peu d'intérêt à soulever des questions comme les droits de la personne, l'indépendance judiciaire et la reddition des comptes. En fait, ces sujets n'ont pas été abordés.
En effet, quand on parcourt les milliers de mots que contient la déclaration de Colombo, on ne voit aucune allusion aux droits de la personne, à la primauté du droit, à l'indépendance judiciaire, à la démocratie et à la liberté de la presse. Aucune allusion, et cela, moins d'un an après la signature, en mars dernier, de la Charte du Commonwealth par Sa Majesté la Reine en présence des hauts-commissaires de tous les pays, y compris ceux du Sri Lanka — charte qui a justement établi qu'il s'agissait des valeurs fondamentales du Commonwealth.
Aucune source n'indique que cette question ait été abordée. Le premier ministre de la Grande-Bretagne s'est rendu à Jaffna et plusieurs autres ont tenu certains propos à l'extérieur de l'enceinte où se déroulait la conférence. Or, non seulement il n'en a pas été question pendant la conférence, mais cela n'a pas été abordé dans le communiqué de presse qui a été diffusé à la fin de la réunion.
Une chose que j'ai apprise dans ce comité, surtout sur le plan des droits de la personne, c'est que, si la primauté du droit n'est pas appliquée, non seulement des atrocités sont commises, mais la population sombre aussi dans la pauvreté. Avez-vous constaté que ces deux réalités sont répandues au Sri Lanka?
Quand je me trouvais au Sri Lanka, j'ai vu que l'armée était devenue la force économique dominante dans le nord.
Par exemple, notre petite délégation canadienne a pris l'avion pour se rendre de Colombo à Jaffna, et le seul endroit où l'avion pouvait atterrir était sur une base des forces armées. Quand nous sommes sortis de l'avion, malgré l'entente selon laquelle nous pourrions rencontrer le haut commandement et obtenir des renseignements détaillés sur la sécurité, on nous a informés que les membres du haut commandement voulaient que nous nous rendions à un nouvel hôtel qui venait d'ouvrir ses portes. Ils voulaient se faire photographier avec les Canadiens dans cet hôtel pour que les photos soient publiées sur leur site Web ou servent à d'autres fins promotionnelles. L'agent de sécurité de notre haut-commissariat a dit que ce n'était pas ce que nous avions convenu et que, par conséquent, nous n'irions pas. Les Sri-Lankais ont répondu que le haut commandement nous ordonnait de le faire. Nos agents de sécurité ont répliqué que nous étions prêts à attendre très longtemps sur l'aire de trafic, et qu'ils avaient donc intérêt à prendre une décision. Après 20 minutes, environ, ils ont convenu de nous laisser suivre l'ordre du jour établi au lieu de nous obliger à servir de marionnettes pour promouvoir leur thème de développement économique.
Quand on centralise le pouvoir au point de bannir le droit à la dissidence, de faire taire les journaux qui ont un point de vue différent en cassant la figure des éditeurs et des autres membres du personnel, et d'orchestrer l'enlèvement de tout dissident tant dans le nord du pays qu'à Colombo — choses qui se produisent bel et bien à l'heure actuelle, non pas il y a quatre ans —, il n'y a aucune reddition de comptes. Quand il n'y a aucune reddition de comptes et quand une charte des responsabilités, comme celle que j'ai vue, montre que des membres de la famille du président sont à la tête de la compagnie aérienne, de la banque centrale et de certaines exploitations minières, cela donne lieu à ce genre de concentration du pouvoir.
Il serait excessif d'utiliser le mot « corruption », mais je dirais que l'on semble éliminer les freins et contrepoids normaux qui existent quand on a le droit de s'adresser aux tribunaux et de remettre en question des choses.
La destitution de la juge en chef est survenue après qu'elle eut déclaré l'inconstitutionnalité d'une loi adoptée par le Parlement de Colombo — où la famille dirigeante détient deux tiers des sièges —, étant donné qu'il n'y avait pas eu de consultations au sujet de ce qui s'est avéré un changement constitutionnel de facto visant à centraliser tous les pouvoirs. En effet, cette loi éliminait les pouvoirs d'imposition de ce qu'on appellerait les provinces. La décision de la juge entraîna sa destitution qui, selon l'avis juridique d'un ancien juge de l'Afrique du Sud et d'un éminent avocat du Royaume-Uni, était complètement inconstitutionnelle et montrait qu'on se dirigeait clairement vers l'autoritarisme.
Quand les pouvoirs sont à ce point concentrés et qu'il n'existe pas de freins et contrepoids, quand les tribunaux ne tiennent pas d'audiences publiques et ne veillent ni à l'application régulière de la loi ni au respect de la primauté du droit, la corruption est inévitable et devient difficile à enrayer. Cela veut aussi dire qu'on ne fait rien pour aider les personnes à faible revenu à rebâtir leur vie. C'est vrai dans le nord du pays, et cela devient de plus en plus un problème chez les musulmans. Selon des évêques de l'église, la communauté chrétienne est maintenant aux prises avec certaines des mêmes contraintes et difficultés.
Ce n'est pas un message encourageant, mais je tenais à vous faire part de ce qui se passe vraiment.
Cela met fin à cette série de questions.
Malheureusement, votre temps est écoulé, monsieur Schellenberger.
Merci, monsieur le président.
Moi aussi, j'aimerais souhaiter la bienvenue au témoin et le remercier de son témoignage.
Entre parenthèses, je considère qu'il est important de mentionner que le sénateur a été nommé par un gouvernement libéral. Je dis cela parce que, lorsqu'on fait des nominations en se fondant sur des principes, le Sénat et le Parlement en général en bénéficient. Je tenais à souligner cela.
Monsieur le sénateur, vous avez dit que la situation au Sri Lanka concerne les Sri-Lankais, mais que ce qui arrive dans un pays du Commonwealth concerne les membres du Commonwealth. Dans l'exposé du témoin — et je sens que vous avez tous lu son mémoire —, nous avons entendu qu'il existe des preuves selon lesquelles des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ont été commis, surtout pendant les dernières phases de la guerre civile. Si tel est le cas, alors cela concerne également la communauté internationale, qu'il s'agisse ou non d'un pays du Commonwealth, ce qui est bel et bien le cas, comme vous l'avez signalé.
Je m'inquiète non seulement des crimes internationaux qui ont été commis, mais aussi de la culture d'impunité qui entoure ces crimes depuis leur perpétration et de la culture de la peur et de l'intimidation qui, selon les témoignages que nous avons entendus, existe encore. Premièrement, que pouvons-nous donc faire pour contrer cette culture d'impunité?
Vous avez fait allusion à la tenue éventuelle d'une commission d'enquête internationale, mais il faudrait six mois pour la mettre sur pied et, pendant ce temps, il y aurait un vide. Le Commonwealth pourrait faire quelque chose, mais comme vous le dites, cela ne se fera peut-être pas avant deux ans. Pouvons-nous faire quelque chose dès maintenant pour contrer cette culture d'impunité? Cela m'amène à ma deuxième question. Quel rôle de premier plan pourrions-nous jouer tant à titre de pays du Commonwealth qu'à titre de parlementaires canadiens — si, en fait, nous pouvons faire quelque chose — pour combattre cette culture d'impunité et cette culture de la peur tout en favorisant la reddition des comptes?
Il est question d'un pays dans lequel 47 membres de la famille présidentielle actuelle occupent des postes d'autorité dans le système judiciaire, le monde des affaires, la banque centrale, les transports et d'autres secteurs importants du pays. Cela contribue directement à la mise en place d'une culture d'impunité.
À l'heure actuelle, l'indépendance des juges est essentiellement une farce. Les gens n'ont plus le droit d'être jugés de façon équitable dans le cadre d'audiences publiques. Selon un tout récent documentaire de la BBC, des viols et de la torture ont été commis dans ce pays cette année. En fait, des membres de la famille de certains des traducteurs ayant aidé la BBC à réaliser le documentaire font présentement l'objet de menaces au Sri Lanka.
D'une part, il y a le gouvernement officiel, les forces armées et la police, et d'autre part, il y a cette « voyoucratie », dont le modus operandi consiste à intimider les gens honnêtes qui tentent d'instaurer une certaine justice dans le système. Selon moi, en vertu du principe de la responsabilité de protéger — mais malheureusement, les Sri-Lankais ne sont pas signataires du traité portant statut de la Cour pénale internationale —, il faudrait envisager de mettre en place un programme de sanctions ciblées visant à enrayer l'impunité. J'ose d'ailleurs espérer que le Commonwealth figurerait parmi ceux qui envisageraient cette solution. Pour commencer à attirer l'attention des dirigeants du Sri Lanka, il faudrait les menacer de sanctions sur le plan de leurs opérations bancaires et dire aux 47 membres de la famille présidentielle qu'ils n'ont plus le droit de voyager librement à l'étranger.
Je m'en remets à votre jugement quant à savoir si la meilleure manière de faire cela serait notamment par l'entremise des Nations Unies ou d'une coalition des partenaires pour une même cause dans la région. Vous avez beaucoup plus de connaissances et d'expérience que moi dans ce domaine. À mon avis, il s'agit d'une des seules façons de s'attaquer à la culture d'impunité qui fait obstacle au développement démocratique et à une véritable réconciliation dans ce pays.
J'ai une question qui porte sur ce que vous avez mentionné, sénateur.
Vous avez raison de dire que le Sri Lanka n'est pas une partie au traité de la Cour pénale internationale, ce qui nous amène bien entendu à nous demander comment la CPI pourrait exercer sa compétence si le Sri Lanka n'est pas un État partie. Elle pourrait le faire d'une façon, mais encore faut-il que le Conseil de sécurité de l'ONU saisisse la CPI de la situation sri-lankaise, comme dans le cas du Soudan, même si ce n'était pas un État signataire du traité de la CPI.
Cela est-il possible dans le cas du Sri Lanka, ou un pays comme la Chine exercerait-il probablement son droit de veto dans cette situation? Pensez-vous que cela vaut la peine d'essayer ne serait-ce que pour embarrasser ceux qui opposeraient leur veto?
Comme vous le savez, le Canada multiplie ses démarches au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies en ce qu'il milite pour différentes mesures, habituellement proposées par les Américains, qui sont de plus en plus sévères à l'égard des Sri Lankais. L'idée selon laquelle le Canada continuerait de militer dans d'autres tribunes pour que le Conseil de sécurité renvoie la question à la CPI devrait à mon avis être étudiée avec beaucoup d'intérêts et une authentique volonté.
Toutefois, je vais être honnête avec vous; d'après ce que j'ai observé, rien dans la façon d'agir des Chinois dans la région ne me permet de croire qu'ils n'exerceraient pas leur droit de veto. En fait, je pense qu'ils le feraient pour accroître leur influence économique dans le pays. Le pays n'a pas de richesses naturelles. Il a des matières qui ont beaucoup de valeur pour la Chine. L'idée selon laquelle les Chinois laisseraient tomber leurs intérêts économiques simplement au nom d'un principe sur les droits de la personne ou une question liée à l'impunité serait un peu trop optimiste. Cependant, je dois dire que la question de la Chine est au-delà de ma compétence.
Je crois généralement que plus les effets des comportements de la Chine sont importants concernant la façon dont elle est perçue dans le monde, plus il est probable qu'avec le temps, elle utilisera ses capacités à l'échelle internationale de façon plus responsable et de manière plus constructive. Le British Foreign Office dit toujours au sujet de la Chine, particulièrement en ce qui concerne l'Afrique et les Caraïbes, que le FCO s'attend beaucoup à ce que la Chine participe à la diplomatie internationale d'une façon qui concorde avec son statut de puissance mondiale majeure.
C'est une façon euphémique de dire que peut-être qu'un jour la Chine sera prête à collaborer avec les États qui tentent de trouver les bonnes solutions. Je ne peux toutefois pas dire pour l'instant que c'est pour bientôt.
Monsieur le président, avant de commencer, je veux dire que si M. Jacob veut intervenir, je serai ravi de donner à Mme Sitsabaiesan le temps qu'elle voudra, si elle le souhaite.
Excellent. Merci.
Sénateur Segal, à votre avis, et j'aimerais avoir votre opinion personnelle, la réputation du Commonwealth sera-t-elle maintenue au cours des deux années qui précéderont la nomination d'un nouveau secrétaire général?
C'est une question vraiment très importante, et je ne connais pas la réponse. Je crains que l'effet combiné de la présence d'un secrétaire général qui ne semble pas vouloir tracer la ligne de quelque façon que ce soit, et de celle d'un président qui n'est pas nettement favorable à ce type d'engagement puisse être très toxique.
J'espère qu'au cours des deux années à venir, certaines des grandes puissances du Commonwealth — c'est-à-dire l'Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie, l'Inde, la Malaisie, le Canada, le Royaume-Uni et l'Australie — pourront, en fait, commencer à réfléchir à certaines des questions de survies auxquelles le Commonwealth est maintenant confronté, et essayer d'établir une stratégie. À mon sens, aucune stratégie ne met de côté les valeurs fondamentales de l'organisation. Comme vous le savez, il ne s'agit pas d'une organisation de défense ni d'une organisation de commerce en soi. Elle représente un ensemble de valeurs qui ont façonné une conception de la civilisation au fil des ans définie par diverses cultures et expériences.
Si ces valeurs ne sont plus fondamentales, certains prétendront que — nous ne serons pas les premiers, mais d'autres le feront — le coût et le temps ne sont pas négligeables: le jeu en vaut-il la chandelle? À mon avis, c'est le risque qui se présente au cours des deux prochaines années.
Merci.
J'allais vous demander si les membres pourraient exercer une influence à cet égard. Ce qui est en cause, ce sont des centaines d'années fondées sur la tradition de Westminster, des centaines d'années d'avancées de la démocratie, des droits de la personne, de la primauté du droit. C'est beaucoup plus important que la question sri-lankaise qui nous occupe, et on précipite les choses à cause de cela.
J'ai le témoignage d'une personne représentant le haut-commissariat au Sri Lanka. Elle a dit qu'en 2012, l'équivalant de 2,5 milliards de dollars en roupies sri-lankais — je pense que c'est la devise du pays — étaient investis dans la réhabilitation des anciens combattants des TLET, plus de 12 000 d'entre eux.
Avez-vous vu des signes de cela lorsque vous étiez là-bas?
Nous avons demandé la permission de voir les camps de réhabilitation. On ne nous a pas donné la permission. Nous voulions voir ce qui se passait dans les camps. Nous voulions savoir ce qu'on entend par réhabilitation. Dans nos négociations avec l'administration sri-lankaise sur les endroits où je pouvais me rendre et les gens que je pouvais rencontrer, ce n'est pas une option qu'on jugeait appropriée pour des raisons de sécurité nationale.
Je crois comprendre que Mme Sitsabiesan doit se rendre à la Chambre. Compte tenu de la proposition généreuse que vous avez faite tout à l'heure, je me demande si nous pourrions lui donner la possibilité de poser des questions et revenir à vous par la suite. Est-ce que cela vous va?
Merci beaucoup, monsieur le président, et je remercie M. Sweet de sa gentillesse.
Sénateur Segal, je vous remercie de votre présence.
Dans votre témoignage, vous avez dit que ce que vous aviez vu ressemblait à un nettoyage ethnique contre les Tamouls principalement. Je vous remercie d'avoir dit que les autres minorités étaient aussi opprimées, qu'il s'agisse des chrétiens, des musulmans, des Burghers ou des autres. Il ne s'agit pas seulement des Tamouls. Oui, nous, les Tamouls, sommes la plus grande minorité qui est victime d'oppression et de nettoyage ethnique, comme vous l'avez dit, mais beaucoup d'autres doivent vivre avec les mesures prises par le gouvernement sur l'île.
J'aimerais poser une question au sujet de la saisie des terres qui appartenaient aux Tamouls auparavant. Bon nombre de milieux et d'individus à qui je parle sur le terrain dans les collectivités rapportent deux choses: premièrement, la colonisation de militaires et de leur famille sur les terres qui appartenaient aux Tamouls auparavant; deuxièmement, le développement d'industries extractives par le gouvernement sri-lankais sur ces mêmes terres.
L'un de mes électeurs est retourné au Sri Lanka pour vendre sa terre et il n'en est pas revenu vivant; il a été décapité pour avoir essayé de revendiquer sa terre. D'après mon expérience personnelle, je sais que c'est vrai, mais je veux savoir quelle a été votre expérience sur le terrain en tant qu'envoyé spécial.
Nous avons constaté deux choses à cet égard. Nous avons vu que des personnes déplacées étaient détenues dans des camps pendant de longues périodes et qu'on ne leur permettait pas de retourner sur leur terre ou ferme familiales ou leur terre adjacente au lieu de pêche. Ensuite, le gouvernement indien avait investi dans la construction de logements sociaux dans le nord, mais les autorités demandaient aux gens de renoncer officiellement à leurs droits sur leur propre terre ou ferme s'ils voulaient que leur nom soit inscrit sur une liste d'attente pour un processus de construction qui ne répondait même pas aux besoins, car il manquait plusieurs milliers d'unités.
Nous sommes revenus en concluant que ce n'est pas sérieux. Oui, le gouvernement sri-lankais investit dans l'infrastructure centrale — routes, hôpitaux —, mais la propriété de parties importantes de territoires qui y sont liées n'a aucunement été retransférée aux Tamouls, peu importe ce qu'ils voulaient payer.
Merci.
Nous avons parlé du Commonwealth, de son rôle et de notre opinion sur la question du Sri Lanka à la présidence du Commonwealth. Nous avons discuté de la responsabilité de la communauté internationale qui consiste à découvrir la vérité avant d'entamer un processus de réconciliation. Nous n'avons pas parlé du rôle d'une autre superpuissance de ce monde, c'est-à-dire, les États-Unis.
Quel rôle devraient jouer les États-Unis, à votre avis? Savez-vous ce qu'ils font? Je suis au courant de certaines choses que les gens font sur le terrain, mais que devrait faire le gouvernement américain?
Permettez-moi de dire un mot à l'appui des Américains. Lorsque j'étais là-bas, personne ne s'exprimait aussi ouvertement que Son Excellence, l'ambassadeur américain sur bon nombre d'enjeux qui sont importants pour nous. Les Américains ont décidé de réduire leur aide militaire parce qu'ils étaient insatisfaits de la performance du Sri Lanka concernant certains enjeux relatifs aux droits de la personne.
À mon avis, les États-Unis sont préoccupés par l’enjeu. Ils ne se laissent pas intimider par la Chine — bien au contraire. Ils constituent l’un de nos meilleurs alliés, voire le meilleur, et veulent régler la question de l’impunité et des droits de la personne.
En fait, quelques jours après mon arrivée là-bas, il y avait un long article dans l’un des seuls journaux indépendants qui reste et il y avait des photos d’un ambassadeur américain; de Mme Pillay, du Conseil des droits de l’homme; du témoin qui comparaît devant vous; et du chef du parti de l’opposition au Parlement de Colombo, et ils faisaient valoir des arguments semblables sur l’impunité et l’autoritarisme.
Je reconnais donc le mérite des Américains, qui participent pleinement et qui sont beaucoup plus francs, si je puis dire, que les Australiens ou les Néo-Zélandais, qui sont dans cette partie du monde depuis très longtemps et la connaissent peut-être en profondeur.
Je vous remercie.
Je vais vous poser deux questions et vous laisser le temps qu’il me reste.
Je ne sais pas si vous avez parlé de l’industrie extractive, car nous savons que l’un des moteurs économiques du Sri Lanka, c’est l’industrie des pierres précieuses et l’industrie minière et les terres des Tamouls qui ont été saisies et qui sont développées par les industries d’extraction que contrôle ou possède le gouvernement ou un frère quelconque.
Ma deuxième question porte sur un autre sujet. Pourriez-vous parler un peu plus des nombreuses veuves, des nombreuses femmes qui sont devenues veuves de guerre? Selon les derniers chiffres que j’ai entendus, plus de 90 000 femmes le sont devenues. Pourriez-vous donc nous parler de ce dont vous avez été témoin sur le terrain au sujet de la réalité des ménages et des familles monoparentales dont le chef est une femme?
En ce qui concerne l’industrie extractive, il est évident qu’il y a des lieux d’extraction importants, qui sont gérés par des membres de la famille Rajapaksa. L’idée selon laquelle c’était un processus ouvert dans le cadre duquel il y avait des soumissionnaires concurrents, par exemple, nous est apparue très improbable dans les circonstances.
Nous avons eu des témoignages sur la façon dont certaines forces de sécurité se comportent avec les nombreuses veuves qui vivent encore dans le nord. Même si publiquement ils disent qu’ils sont là pour protéger tout le monde, malheureusement, des incidents ont été rapportés. Des membres de diverses organisations frappent à la porte des veuves au beau milieu de la nuit et ont des intentions que personne ici ne considérerait honorables.
Ce mélange d’intimidation et de manque de compassion concernant leur besoin de savoir clairement ce qui est arrivé à leur mari ou à leurs enfants se traduit par des actes d’oppression. Vous l'avez vu, comme nous tous: des femmes se sont rassemblées en grand nombre autour du premier ministre britannique, lorsqu’il se trouvait dans la région. Elles tenaient des photos de leurs proches dans leurs mains et le priaient de les aider à composer avec ce terrible vide dans leur vie.
D’après les différents renseignements que nous recevions sur le terrain, dont du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, cela nous est apparu comme un problème très grave. Bon nombre de personnes déplacées que nous avons rencontrées étaient en fait ces veuves qui vivaient dans une situation tout à fait ingérable. Elles étaient très courageuses et déterminées, mais leur situation était désespérée.
Sénateur, nous devrons vous demander d'attendre avant de répondre à la deuxième question qui porte sur les industries extractives, car le temps de Mme Sitsabaiesan est écoulé. Nous avons un peu dépassé le temps prévu.
Il nous reste suffisamment de temps pour vous permettre d'intervenir, monsieur Sweet, si vous le désirez.
Merci, monsieur le président.
Avez-vous eu l'occasion de lire le témoignage de Frances Harrison avant de venir aujourd'hui?
Elle a dit qu'elle avait 60 cas documentés d'agression sexuelle. Ce qui m'inquiète, c'est qu'elle est seule. C'est tout ce qu'elle a pu trouver jusqu'à maintenant. Avez-vous retenu quelque chose, lorsque vous leur avez parlé, qui indiquerait que le viol était utilisé comme moyen d'intimidation?
Monsieur Sweet, on m'a dit, lorsque j'étais sur place, qu'une des choses qui se passait lorsque les gens étaient enlevés — et cela concerne tant les hommes que les femmes —, c'est qu'ils étaient humiliés, et le viol faisait partie du processus, et pas seulement pour des femmes. Tant les hommes que les femmes en étaient victimes. Cela fait partie du processus d'enlèvement. Et ces événements sont survenus au cours des douze derniers mois, pas il y a quatre ans et demi.
Je crois que diverses agences de presse, notamment la chaîne 4, continuent d'enquêter pour recueillir des preuves légitimes et qui corroborent ces enlèvements afin que l'on puisse prendre des mesures pour mettre un terme à cette impunité à laquelle votre collègue, M. Cotler, a fait référence.
Merci beaucoup, sénateur.
Monsieur le président, il faudrait s'assurer de faire le lien dans notre rapport avec le témoignage des témoins auxquels nous avons fait référence. Je m'adresse, ici, aux analystes. Ça revient souvent et il faudrait le souligner dans notre rapport.
J'aimerais ajouter une chose. On nous a informés que des jeunes hommes de 15 ou 16 ans qui voulaient protéger leur mère, mais qui en étaient incapables, ont développé une rage et une colère ainsi qu'un sentiment d'impuissance.
Habituellement, l'adoption de mesures de sécurité nationale permet d'empêcher les révoltes violentes ou illégales. Selon ce que nous disent les habitants, ces mesures semblent avoir eu l'effet contraire. Elles ont plutôt alimenté la colère et la frustration des jeunes hommes, la plupart sans emploi, incapables de protéger les femmes et les filles de leur communauté contre ces humiliations. Cela pourrait entraîner des problèmes très sérieux.
Merci, monsieur Sweet, et merci aussi d'avoir permis à Mme Sitsabaiesan de prendre la parole avant vous. C'est très généreux de votre part.
Sénateur Segal, cela met fin à notre séance. Brièvement, si vous voulez ajouter quelque chose à votre témoignage, vous pouvez nous le faire parvenir par écrit. Il nous fera plaisir d'en prendre connaissance. Nous ferons traduire ce que vous nous enverrez et en remettrons une copie à tous les membres.
Ça ne prendra qu'un instant. Comme vous tous, je crois, j'ai reçu récemment des informations très inquiétantes sur la situation au camp Ashraf et les risques que cela représente. Plus tard aujourd'hui, je présenterai un avis de motion qui dira: que, une fois que le comité aura terminé son étude sur le Sri Lanka, le premier point à son ordre du jour devrait être de se pencher sur l'urgence de la situation au camp Ashraf.
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