Comme la plupart d'entre nous le savent, malheureusement, il est fort probable que nous soyons interrompus par des votes, probablement vers 17 h 45. Je remercie les témoins de leur souplesse pour ce qui est de limiter leur exposé à huit minutes chacun, ce qui signifie que, si nous sommes interrompus, vous ne serez à tout le moins pas interrompus en plein milieu de votre déclaration préliminaire.
[Français]
Bienvenue à toutes et à tous. Je remercie les témoins pour les présentations qu'il vont faire devant nous aujourd'hui.
[Traduction]
Dans le premier groupe, nous recevons aujourd'hui Julie Shugarman, directrice-conseil, et Anne Lévesque, coprésidente du comité directeur national de l'Association nationale Femmes et Droit. Johanne Perron, directrice générale de la Coalition pour l'équité salariale du Nouveau-Brunswick, est également présente.
Nous commencerons par l'Association nationale Femmes et Droit.
Julie, c'est à vous.
:
Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs.
Ma collègue Anne Lévesque et moi-même sommes ravies de comparaître devant vous au nom de l'Association nationale Femmes et Droit.
L'ANFD est un organisme féministe et national sans but lucratif qui travaille depuis 1974 à promouvoir les droits fondamentaux à l'égalité des femmes canadiennes au moyen de l'éducation juridique, de la recherche et de la réforme du droit.
L'ANFD a acquis une expertise importante en matière d'équité salariale et a collaboré avec des syndicats fédéraux et d'autres organismes voués aux droits à l'égalité des femmes pour fournir, à de multiples occasions, des témoignages au Comité permanent de la condition féminine ainsi qu'au groupe de travail Bilson sur l'équité salariale. À de nombreuses occasions, nous avons, au cours des 30 dernières années, exposé les problèmes concernant le modèle fondé sur les plaintes en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l'importance d'adopter une loi proactive à l'échelon fédéral.
Pour faciliter la consultation, l'ANFD va déposer auprès du groupe de travail sur l'équité salariale ses mémoires depuis 2002 qui, malheureusement, demeurent parfaitement pertinents aujourd'hui, voire plus encore. Ce rapport a été appuyé par le Comité canadien d'action sur le statut de la femme, la Fédération nationale des femmes canadiennes-françaises, l'Institut canadien de recherches sur les femmes et le Réseau d'action des femmes handicapées du Canada.
D'entrée de jeu, il importe de souligner que, en 2006, l'ANFD a vu son financement coupé lorsque le gouvernement fédéral précédent a retiré du mandat de Condition féminine Canada la recherche et le lobbying concernant la défense des droits, empêchant ainsi l'organisme de financer le travail crucial d'organismes voués aux droits à l'égalité comme le nôtre.
Depuis 2007, le comité directeur national de l'ANFD et un groupe de consultantes féministes ont maintenu vivant l'organisme de façon bénévole. C'est avec cette capacité largement diminuée que nous comparaissons devant vous aujourd'hui: c'est vraiment là une perte pour les législateurs et les décideurs politiques ainsi que pour les Canadiennes de façon générale, étant donné le rôle très actif qu'un organisme comme le nôtre pourrait et devrait jouer pour aider le gouvernement à élaborer une loi sur les droits de la personne qui soit conforme à la Charte.
Puisque nous déposerons auprès du groupe de travail notre rapport, qui décrit les recommandations de l'ANFD concernant la nature d'une loi proactive, je limiterai aujourd'hui mes commentaires à deux piliers essentiels en ce qui concerne la marche à suivre.
D'abord, le gouvernement doit mettre en oeuvre les recommandations du groupe de travail sur l'équité salariale de 2004 et établir un régime proactif. Pour ce faire, il doit établir et rendre public un calendrier pour que soit déposé un avant-projet de loi à des fins de rétroaction et de commentaires de la part des intervenants pertinents.
Ensuite, dans le cadre du mandat du Comité, le gouvernement doit s'assurer que des fonds sont à la disposition d'organismes juridiques voués aux droits à l'égalité des femmes afin qu'ils puissent participer véritablement aux travaux législatifs fédéraux pour qu'on s'assure que tout régime proactif proposé est conforme aux obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne ainsi qu'à la Charte canadienne des droits et libertés.
En ce qui concerne notre première recommandation, nous espérons que, à ce moment-ci, il y a parmi les membres du Comité un consensus selon lequel la discrimination salariale fondée sur le sexe est un problème de droits de la personne grave et coûteux au Canada et que Mme Bilson a fait un excellent travail pour tracer la voie à suivre. Nous savons que l'inégalité salariale est particulièrement prononcée chez les femmes racialisées, les immigrantes, les Autochtones et les femmes handicapées. Nous savons que le Canada s'attire les sanctions d'organismes internationaux et de tribunaux nationaux en raison de l'inefficacité des mesures prises à ce jour au sujet de l'équité salariale.
L'ANFD est d'avis que, à la lumière des obligations et des engagements nationaux et internationaux, le gouvernement canadien a une obligation positive d'agir immédiatement pour déposer une loi proactive. L'adoption d'une telle loi qui s'applique à l'ensemble du secteur assujetti à la réglementation fédérale — joueurs publics et privés, importants et petits joueurs, joueurs syndiqués et non syndiqués — et qui reconnaît l'égalité salariale pour un travail d'égale valeur comme un droit de la personne est une étape essentielle pour ce qui est d'assurer le respect des femmes conformément à l'article 15 relatif aux droits à l'égalité.
Il ne s'agit pas d'une revendication radicale. Cette recommandation est conforme au mandat de votre Comité, à six rapports du Comité permanent de la condition féminine publiés entre juin 2005 et juin 2009 et aux engagements du gouvernement libéral précédent et, plus particulièrement, des ministres de la Justice et du Travail, qui, de fait, ont tracé une voie d'avenir assez claire dans les témoignages qu'ils ont présentés au Comité permanent de la condition féminine le 21 novembre 2005.
Cette recommandation concorde aussi avec les décisions de nos tribunaux supérieurs. En effet, en 2004, dans sa décision NAPE, la Cour suprême du Canada a reconnu l'équité salariale comme étant constitutionnellement protégée par l'article 15 relatif aux droits à l'égalité de la Charte.
En 2011, après près de 30 ans de litiges, la Cour suprême du Canada a adopté à l'unanimité la décision du juge Evans de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire sur l'équité salariale de Postes Canada. Dans sa décision, le juge Evans a candidement reconnu ce qui suit:
Toutefois, avec le recul, il semble maintenant que le législateur fédéral a fait fausse route en soumettant les questions de parité salariale au régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
:
D'accord. Mes excuses aux interprètes.
Au paragraphe 167 de ses motifs, le juge Evans a également affirmé ce qui suit:
Il y a beaucoup à apprendre de l’expérience des régimes provinciaux de parité salariale, qui semblent ne pas avoir été affligés par les mêmes problèmes de procès interminables que ceux du régime fédéral. Dans l’intérêt de tous, il est nécessaire d’élaborer un nouveau modèle pour mettre en application le principe de la parité salariale dans la sphère fédérale. Pour prendre connaissance des critiques adressées au régime actuel et de recommandations en vue d’une réforme, voir le Rapport final du Comité sur l’équité salariale…
Enfin, en ce qui concerne notre première recommandation, il convient de mentionner que, afin de mettre en oeuvre les recommandations du groupe de travail et d'instaurer un régime proactif efficace et constitutionnel, il est nécessaire d'abroger la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public. Entre autres choses, la LERSP viole le droit constitutionnel à l'égalité en ne fournissant pas un mécanisme adéquat pour réagir à la discrimination salariale que connaissent les femmes employées dans la fonction publique fédérale et en leur refusant des mesures de réparation importantes. Je pourrai parler plus en détail du caractère anticonstitutionnel de la LERSP durant la période de questions si vous le souhaitez.
Notre deuxième recommandation, c'est que la proposition d'un plan pour l'adoption d'un régime proactif fasse partie du mandat du Comité. Le gouvernement doit s'assurer que du financement est à la disposition d'organismes juridiques nationaux voués à l'égalité pour qu'ils puissent participer véritablement aux travaux législatifs fédéraux.
S'il ne fournit pas un tel soutien financier, le gouvernement ne pourra compter sur l'expertise législative en matière de droits à l'égalité des femmes ni sur la participation des intervenants dont il a besoin pour s'assurer de promulguer une loi constitutionnelle. Parmi les priorités absolues de la lettre de mandat de la du , mentionnons le fait qu'elle puisse travailler « avec le Bureau du Conseil privé afin de veiller à ce qu’une analyse comparative entre les sexes soit appliquée aux propositions avant qu’elles ne soient présentées au Cabinet pour une prise de décisions ».
Ce mandat est conforme à des obligations précédentes adoptées par le gouvernement fédéral, qui exigeait que les législateurs participent à une analyse comparative entre les sexes à chaque étape du processus législatif. En effet, le ministère de la Justice a fait ressortir l'importance d'une analyse comparative entre les sexes dans la rédaction législative. La rédaction de nouvelles dispositions relatives à l'équité salariale ne fait pas exception à la règle. Cela exige de s'assurer qu'il y a des fonds suffisants pour que les experts et les organismes voués aux droits à l'égalité des femmes puissent participer véritablement au processus. Cela ne vous oblige pas à réinventer la roue ni à tenter de refaire ce que le groupe de travail a déjà accompli et qui a été applaudi par la communauté internationale.
En gros, il s'agit de déposer un avant-projet de loi proactif dans un délai établi, puis de s'assurer que le financement est en place pour mobiliser de façon adéquate les experts nécessaires, de sorte qu'on puisse s'assurer de présenter un projet de loi sur l'équité salariale qui satisfait aux obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne du Canada.
Merci. Nous serons heureuses de répondre à vos questions.
:
Merci beaucoup, madame la présidente. Je remercie le comité d'avoir invité la Coalition pour l'équité salariale du Nouveau-Brunswick à comparaître aujourd'hui. Je vais faire ma présentation dans les deux langues officielles. Je vais commencer en français.
La Coalition pour l'équité salariale du Nouveau-Brunswick est un regroupement de près de 800 personnes et de 91 organismes qui fait de l'éducation et de la revendication pour l'adoption de mesures législatives adéquates afin d'assurer qu'il y a une équité salariale pour toutes les travailleuses et tous les travailleurs des secteurs public et privé.
Notre organisme a été fondé en 2001, mais il s'appuie sur un travail de réflexion et de revendication commencé au cours des années 1980.
Au Nouveau-Brunswick, le mouvement pour l'équité salariale s'est développé après avoir obtenu la parité salariale, soit un salaire égal pour un travail égal. En effet, il est vite apparu que la parité salariale ne suffisait pas. La majorité des femmes occupaient des emplois différents de ceux de la majorité des hommes et ces emplois étaient souvent moins bien rémunérés.
On peut souligner, entre autres, la mobilisation autour du salaire des infirmières immatriculées en 1980. Celles-ci avaient mené des campagnes vigoureuses exposant leur sous-rémunération depuis 1969.
En 1980, une étude du Conseil consultatif sur la condition de la femme au Nouveau-Brunswick a démontré que les infirmières étaient moins bien payées pour la valeur de leur travail que les commis de la Commission des alcools, qui était principalement composée d'hommes.
Grâce aux actions des infirmières et à l'appui du public, en 1981, les infirmières immatriculées ont obtenu une augmentation de 41 % sur deux ans. Ce n'était pas encore l'équité salariale, mais c'était une belle victoire.
Aujourd'hui encore, on estime que la majorité des Néo-Brunswickoises occupent des emplois à prédominance féminine. En 2009, le Nouveau-Brunswick a adopté une loi sur l'équité salariale pour l'ensemble du secteur public, mais aucune loi n'assure l'équité salariale dans le secteur privé.
Bien que la Coalition pour l'équité salariale du Nouveau-Brunswick soit un organisme provincial et que la majorité de nos interventions se fassent au niveau provincial, nous nous impliquons aussi depuis nos débuts au niveau fédéral, car nous reconnaissons que l'accès au droit à l'équité salariale d'une partie de la population néo-brunswickoise relève de la compétence fédérale.
Nous réclamons donc que le gouvernement prenne un rôle de leadership et adopte enfin une loi proactive, suivant les recommandations faites en 2004 par le Groupe de travail sur l’équité salariale indépendant. Ces recommandations continuent à être un point de référence à la fois pour nous, mais aussi partout au Canada.
Je suppose que vous les avez toutes consultées, mais j'aimerais en souligner quelques-unes: que la loi soit proactive et qu'elle comprenne des normes et des critères clairs pour réaliser l'équité salariale; que sa mise en oeuvre soit encadrée par des organismes de surveillance spécialisés et indépendants avec des ressources humaines et financières suffisantes; que la loi prévoie des mécanismes de rapport, la participation des employées syndiquées et non syndiquées au processus, ainsi que des mesures pour assurer le maintien de l'équité salariale.
[Traduction]
L'équité salariale est un droit de la personne qui est reconnu dans le monde entier. Nous nous attendons à ce que le gouvernement fédéral respecte ce droit pour l'ensemble des femmes et qu'il adopte une loi rigoureuse de manière à s'assurer qu'elle est respectée par l'ensemble des employeurs. Le cadre législatif actuel fondé sur les plaintes équivaut plus ou moins à des mesures volontaires, puisque peu d'employés ont la capacité de déposer une plainte. Même ceux qui sont syndiqués se sont heurtés à beaucoup de difficultés pour faire respecter leurs droits, comme l'ont déclaré de nombreuses personnes qui ont comparu devant moi. C'est inacceptable en 2016.
J'aimerais maintenant vous parler brièvement de l'expérience du Nouveau-Brunswick concernant des mesures volontaires en matière d'équité salariale. En 2005, le gouvernement provincial a adopté un plan d'action quinquennal visant à réduire l'écart salarial, en fonction de recommandations formulées par des participants à une table ronde dont la majorité des membres provenaient des associations d'employeurs les plus importantes. Le plan d'action pour 2005 à 2010 faisait la promotion de mesures volontaires pour assurer l'équité salariale. Cependant, aucun résultat mesurable n'a découlé du plan d'action quinquennal. Les employeurs n'ont pas changé leurs pratiques en matière de ressources humaines, ils n'ont pas mis en oeuvre des évaluations des emplois et ils n'ont pas comparé la valeur des emplois qui sont occupés principalement par des femmes avec ceux occupés principalement par des hommes.
Tout ce que nous savons, c'est que, en 2008, un peu moins de 25 % des employés bénéficiaient d'un système d'évaluation des emplois, mais nous n'avons aucun renseignement au sujet du nombre d'employeurs qui avaient mis en oeuvre un système d'équité salariale et quant au fait de savoir si ce nombre a changé au cours de la durée du plan d'action. Durant cette période, le gouvernement a aussi présenté des projets pilotes sur l'équité salariale touchant les travailleurs de quatre services de soins fournis dans le secteur privé et recevant dans une certaine mesure du financement gouvernemental. Au bout du compte, le prétendu salaire équitable auquel le gouvernement était arrivé était de 12 $ à 14 $ l'heure.
Nous avons demandé à l'économiste Ruth Rose d'analyser les rapports du gouvernement, et elle a découvert que des salaires équitables se situeraient autour de 20 $ l'heure. Elle est arrivée à la conclusion selon laquelle les exercices en matière d'équité salariale dans les quatre secteurs de soins ont été délibérément déformés afin de réduire le coût pour le gouvernement.
L'expérience du Nouveau-Brunswick montre la nécessité d'établir des paramètres clairs de sorte que les employeurs ne puissent pas se dérober aux exercices en matière d'équité salariale ni adapter la méthode pour qu'elle convienne à leurs intérêts. C'est pourquoi nous soutenons l'adoption d'une loi proactive sur l'équité salariale à l'échelon tant fédéral que provincial. C'est aussi pourquoi nous soutenons le rapport du groupe de travail sur l'équité salariale de 2004 intitulé L'équité salariale: une nouvelle approche à un droit fondamental. Il n'est pas nécessaire de mener d'autres études.
Nous invitons le Comité à recommander l'adoption d'une loi proactive et rigoureuse en matière d'équité salariale fondée sur le rapport du groupe de travail sur l'équité salariale de 2004.
Il est maintenant temps de respecter le droit fondamental à l'équité salariale et d'agir sans délai.
Merci.
Merci énormément. Je comprends pourquoi vous avez dû parler si rapidement et pourquoi il y a de l'anxiété dans l'air.
Nous avons entendu de manière assez régulière — je pense qu'il n'y a eu que quelques exceptions — qu'il fallait mettre en oeuvre un modèle proactif; cessez les rapports, nous en avons assez; et allez de l'avant.
Cela dit, j'aimerais beaucoup... Vous avez commencé à parler un peu de cela, madame Perron, et j'aimerais donc avoir un peu plus de détails sur la mise en oeuvre. C'est très complexe. Mon collègue, hier soir, a fait un excellent travail en disant que le concept de l'équité salariale est assez simple et que personne ne va s'y opposer, mais il y a beaucoup de complexité entourant la mise en oeuvre, particulièrement à l'échelon fédéral.
Selon les exemples que nous avons vus, qu'il s'agisse de l'Ontario ou du Québec, certaines des choses qui ont été faites dans d'autres provinces comme le Nouveau-Brunswick, et je suis sûre que d'autres provinces l'ont vécu, et selon tout ce que vous savez qui a été fait à l'échelle internationale, quels conseils donneriez-vous concernant certains des aspects de la mise en oeuvre? Il y a beaucoup de types de classifications des emplois différents. Comment pouvons-nous commencer à travailler avec certains d'entre eux? Quels seraient vos conseils à cet égard?
Certains organismes fédéraux sont grands, et d'autres, petits. Les choses doivent-elles se faire un petit peu plus lentement dans le cas des petits organismes? Quels sont les délais que nous devrions examiner ou prendre en compte à mesure que nous essayons de mettre en forme ce cadre? Quels seraient vos conseils à cet égard?
Je vais commencer par cela, puis j'ai une seconde partie.
:
Si j'ai bien compris, vous posiez une question sur la mise en oeuvre et les conseils concernant la mise en oeuvre et, plus particulièrement, sur la façon de traiter avec certaines des complexités qui ont découlé du rapport Bilson.
Nous dirions que, si le rapport Bilson était aussi explicite, c'est en raison du degré de complexité entourant l'équité salariale; nous conseillerions donc de ne pas de le fractionner. De fait, il est important d'accepter les recommandations dans leur ensemble.
Il pourrait être utile d'examiner les engagements des ministres de la Justice et du Travail du gouvernement libéral précédent. Lorsqu'ils se sont rencontrés en 2005 dans le cadre du Comité permanent de la condition féminine, ils ont proposé de déposer, dans un délai établi, un projet de loi — peut-être même quelques versions différentes d'un projet de loi — puis de retenir les services d'un modérateur pour présenter ce projet de loi à des intervenants clés à des fins de commentaires. Cela ressemble à un modèle raisonnablement juste et à quelque chose que nous prônerions comme étant une bonne marche à suivre.
La dernière partie de votre question concernait le délai. Bien sûr, nous voulons dire, faites-le maintenant. Cependant, si l'on comprend le fait qu'il s'agit d'une chose complexe et qu'on veut déposer un bon avant-projet de loi, je crois qu'un délai de six mois à partir du moment où vous publiez votre rapport devrait permettre aux organisations d'examiner l'avant-projet de loi et de fournir des commentaires.
:
Pour ce qui est des leçons apprises ailleurs, je pense que le modèle du Québec est pertinent. Au départ, on a consulté des gens de l'Ontario. On a ensuite apporté des changements au modèle ontarien, de façon à élaborer une meilleure loi. Je pense que c'est un modèle dont on peut s'inspirer.
En ce qui concerne les plus petites entreprises, nous constatons qu'il est important de faire des suivis, de donner de la formation et de disposer de mécanismes faisant en sorte que les employeurs produisent des rapports, qu'il s'agisse de grands employeurs ou d'employeurs plus modestes.
Je voudrais aussi parler du temps nécessaire pour adopter une loi. Notre coalition existe depuis 2001. Nous nous sommes fait dire plusieurs fois, par divers partis politiques, qu'on allait prendre des mesures sur l'équité salariale et apporter des changements. Il est peut-être vraiment temps d'agir, et j'espère qu'on ne va pas recommencer des processus, faire d'autres recherches et d'autres études, pour finalement dire qu'on fera quelque chose, qu'on adoptera une nouvelle loi, mais à un autre moment donné. Je travaille depuis longtemps à la coalition, et j'avoue commencer à être un peu cynique. Or je serais vraiment attristée qu'on donne encore une fois des espoirs aux femmes, mais qu'ils ne se réalisent pas.
Pour ce qui est des autres enjeux concernant l'écart salarial, là aussi, il ne faudrait pas noyer le poisson. Il ne s'agit pas de faire une chose ou l'autre. Je pense qu'il est important de travailler à la question de l'écart salarial dans son ensemble, mais cela ne devrait pas être une raison pour ne pas agir à cet égard. J'ai donné plus tôt l'exemple du Nouveau-Brunswick. Au lieu de travailler vraiment sérieusement à la question de l'équité salariale, on a parlé de réduire l'écart salarial et d'opter pour des mesures volontaires, mais, au bout du compte, on n'a pas vu de changement. Je voudrais vraiment faire une mise en garde, à savoir qu'il ne faut pas appliquer des demi-mesures. D'autres facteurs peuvent favoriser l'équité salariale, notamment l'accès aux services de garde et l'équité en matière d'emploi. Je sais qu'il en a souvent été question.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Je veux vous remercier de vos exposés. J'ai deux ou trois commentaires, et ensuite vous pourrez peut-être nous faire part de vos opinions.
Je tiens à vous remercier d'avoir soulevé une question à laquelle le Comité s'est un peu buté, soit le fait de croire que la parité salariale est une façon d'éliminer l'écart salarial. Cela nous détourne de la discussion sur les droits de la personne et nous éloigne de ce que nous essayons de mettre en oeuvre — ou du moins ce que j'essaie de mettre en oeuvre —, soit une loi sur l'équité salariale qui servira à l'établissement d'un processus débouchant sur l'équité salariale pour tous les employeurs réglementés par le gouvernement fédéral, assortie de mesures qui nous permettront de savoir comment le processus se déroule, à quelle étape il en est, etc.
Ce n'est pas parce que je ne crois pas que les autres éléments liés à l'écart salarial ne sont pas très compliqués que je dis cela. À mon avis, la législation entourant l'équité salariale est compliquée, mais l'écart salarial, pour sa part, est très complexe. Envoyer une fusée sur la lune, c'est compliqué, mais essentiellement, il suffit de suivre les étapes, comme le font, je crois, les scientifiques dans ce domaine; vous voyez ce que je veux dire. J'ai l'impression qu'on fait un peu la même chose avec le rapport Bilson.
Je ne suis pas certaine d'où je veux en venir, mais j'aimerais que vous vous exprimiez à nouveau sur certaines des données principales relatives à l'écart. Personnellement, je ne crois pas du tout que nous allons pouvoir, après avoir adopté une loi sur l'équité salariale, nous attaquer au sexisme et à la discrimination et à tous les autres facteurs qui influencent la vie des femmes et des femmes vulnérables. Peut-être pourriez-vous nous dire pourquoi nos efforts sont si importants pour les droits des femmes et les droits de la personne.
Nous recevons en personne Mme Emanuela Heyninck, commissaire à la Commission de l'équité salariale de l'Ontario. Comparaissant par vidéoconférence depuis London, en Ontario, Mme Linda Davis, présidente sortante de la Business and Professional Women's Clubs of Ontario sera également avec nous. Nous recevons également, à titre personnel, M. Paul Durber, consultant chez Opus Mundi Canada. Avec nous par vidéoconférence depuis Montréal, nous recevons enfin, à titre personnel, Mme Chicha.
Nous sommes ravis de vous revoir, madame Chicha. Vous avez déjà témoigné dans le passé, l'autre jour où il y avait des votes. Nous vous sommes reconnaissants de votre patience.
Mme Chicha faisait partie du groupe de travail sur l'équité salariale. Elle est aussi enseignante à l'École de relations industrielles à l'Université de Montréal.
[Français]
Bienvenue, madame Chicha.
J'ai écouté très attentivement toutes vos questions, et j'aimerais vous parler de la Commission de l'équité salariale de l'Ontario ainsi que du travail que nous accomplissons depuis, disons, les 10 dernières années. Notre gouvernement était le premier à avoir mis en oeuvre l'équité salariale, mais le fait que nous ayons été les premiers à franchir seuls la ligne de départ pendant longtemps veut dire que nous avons beaucoup de choses à apprendre.
Très rapidement: la Commission est un organisme autonome établi par le gouvernement en vertu de la Loi sur l'équité salariale. Il rend des comptes à l'assemblée législative par l'intermédiaire du ministère du Travail. La Commission comprend le Bureau de l'équité salariale et le Tribunal de l'équité salariale, deux organes qui fonctionnent indépendamment.
Le Bureau est chargé d'appliquer la loi. Nos agents de révision examinent et règlent les plaintes et répondent aux objections soulevées contre les projets. Ils surveillent également la mise en oeuvre et le maintien de l'équité salariale dans les lieux de travail. Ils sont habilités à régler tous les problèmes liés à l'équité salariale par ordonnance ou par décision. Le Bureau met à la disposition des employeurs, des employés et des syndicats un certain nombre d'outils — dont certains sont interactifs — pour les aider à atteindre l'équité salariale. Le Bureau a également l'autorisation législative de mener des études et de diffuser de l'information sur tous les aspects de l'équité salariale ainsi que sur des sujets connexes. Voilà pour le Bureau.
Le Tribunal est chargé de trancher tout litige qui relève de la loi dans une audience de novo. Toutefois, les parties doivent avoir présenté leurs différends au Bureau à des fins d'examen avant d'avoir accès au Tribunal. Le Tribunal a la compétence exclusive de trancher toutes les questions de fait ou de droit; les décisions rendues dans son rôle d'organisme d'exécution sont, cela va sans dire, définitives.
Toutes les entreprises privées de l'Ontario qui comptent 10 employés ou plus ainsi que tous les employeurs de la fonction publique sont soumis à une analyse en matière d'équité salariale, processus d'analyse très bien défini dans la loi. Je crois même que le groupe de travail l'a utilisée comme fondement pour rédiger son rapport en 2004. Il y a un processus en vigueur qui prévoit le déclenchement d'enquêtes sur des plaintes de non-conformité. Cependant, comme vous le savez probablement, l'exigence, selon laquelle les employeurs doivent avoir l'équité salariale dans leur organisation et s'assurer qu'elle est maintenue n'est pas axée sur les plaintes.
Depuis un bon moment, notre travail consiste en grande partie à surveiller les employeurs pour nous assurer qu'ils respectent la Loi. Nous utilisons le mot surveillance, tandis que d'autres pourraient parler de vérification, mais, pour les fins que nous visons, il s'agit de surveillance. Nous exécutons un certain nombre de programmes comprenant différents objectifs et différentes façons de faire participer les employeurs au processus. De 2007 à 2010, nous avions le Programme de surveillance de la conformité du secteur des services qui visait, entre autres, les hôtels et motels, les commerces de détail, et le secteur des aliments et boissons. Au cours de cette période, nous avons communiqué avec plus de 4 000 employeurs et avons surveillé environ 1 000 d'entre eux afin de les aider à se mettre en situation de conformité.
En 2011, nous avons exécuté un programme très particulier, le Programme pilote des écarts salariaux. Il s'agissait d'un effort de sensibilisation et d'information ainsi que d'une occasion d'élargir le dialogue pour non seulement axer la discussion sur l'équité salariale, mais également introduire le concept de la disparité salariale entre les sexes. Au total, 81 % des employeurs avec qui nous avons communiqué dans le cadre de ce programme nous ont fourni, volontairement, leur rétroaction. Nous leur avions demandé de nous fournir des données de base sur la rémunération, avons mené quelques enquêtes et avons réalisé une analyse afin de vérifier s'il y avait une possibilité que leurs pratiques en matière de rémunération ne soient pas conformes. À l'issue de ce programme, nous avons conclu qu'il y avait effectivement ce qu'on appelait des écarts salariaux apparents chez quelque 54 % des employeurs. Nous avons ensuite orienté nos activités de surveillance à la lumière de ces résultats. Les participants avaient été avisés que cela était une réelle possibilité, et nous avons donc commencé à les surveiller.
En 2014, nous avons également surveillé la conformité des organismes gouvernementaux réglementés. En 2015, nous avons mené un programme d'information afin de sensibiliser les gens à l'équité salariale; nous avons envoyé des lettres à 14 000 nouvelles entreprises afin qu'elles prennent conscience, essentiellement, de leurs obligations et des outils à leur disposition qui pourraient les aider à se conformer à la loi. Nous les avertissions aussi de la possibilité qu'elles soient surveillées par notre organisation. Actuellement, nous en sommes à l'étape du processus où nous commençons à surveiller ces employeurs.
Nous sommes également parvenus à améliorer légèrement la mesure de nos résultats. Nous avons commencé à consigner les rajustements dus qui ont été mis en lumière dans le cadre des activités de surveillance. Au cours des quatre dernières années, environ, grâce à leur intervention directe, nous avons établi qu'il devait y avoir quelque 20 millions de dollars en rajustements dans diverses entreprises, comme vous le savez.
Et ça, ce n'est que le fruit de notre intervention directe. Nous voyons couramment des articles dans les journaux sur les réussites en matière d'équité salariale issues des négociations entre les syndicats et les employeurs. Un grand nombre de ces négociations n'exigent pas la participation du Bureau, alors, malheureusement, il nous est impossible de récolter ce genre de données.
Il y a aussi des cas anecdotiques où l'on sait, parce que nous l'avons vu et entendu, que nos vastes programmes d'information en vigueur et les lettres que nous envoyons aux employeurs pour leur rappeler leurs obligations ont grandement aidé à favoriser l'équité salariale lorsque les employeurs se conformaient à la loi après s'être rendu compte que, oups, ils avaient été négligents.
Une de nos activités, parmi d'autres, a été de réunir tout notre matériel d'apprentissage afin de mettre sur pied un guide d'interprétation de la loi. Mis en ligne sur notre site Web, il a été largement diffusé. Comme je l'ai déjà dit, nous avons un certain nombre d'outils interactifs en ligne qui permettent aux entreprises de pratiquement toutes les tailles de soumettre leurs propres données à un processus interactif qui leur proposera des moyens d'atteindre l'équité salariale.
Nous avons également conclu des partenariats avec d'autres organisations pour du matériel de formation. Les derniers partenariats que nous avons conclus l'ont été avec l'Association des professionnels en ressources humaines et avec l'Université York. L'APRH offre actuellement un programme de certificat sur l'équité salariale. Hier, j'ai appris que ce programme se classait au deuxième rang, au chapitre de la popularité, alors il semble qu'il y ait un fort engouement à cet égard.
En outre, nous faisons ce que nous pouvons pour diffuser de l'information à propos de l'équité salariale au sein des différents ministères.
Nous avons aussi établi un Programme de subventions pour les projets visant l'équité salariale entre les sexes afin de promouvoir la recherche sur l'équité salariale et sur les aspects connexes.
Voilà donc les activités que nous avons entreprises en sachant que notre loi en est à une étape très différente de celles du reste du pays, mis à part le Québec. Nos deux provinces en sont maintenant essentiellement à l'étape du maintien. J'ai entendu certaines de vos questions, et je suis convaincue que vous allez m'en poser quelques-unes. Je veux préciser que notre loi n'a pas été modifiée depuis 1993. En ce qui concerne les conseils que je pourrais formuler, je dirais qu'il est très important de mettre en place une sorte de système de reddition de comptes.
J'ai eu l'occasion de revoir le rapport de 2004 du groupe de travail pour me préparer avant de témoigner. Il s'agit probablement du document le plus exhaustif sur l'équité salariale qui ait jamais existé au monde, à mon avis. Comme on vous l'a dit ce soir, le rapport a abordé la plupart des éléments les plus compliqués relativement au maintien, à la participation syndicale et à une structure de reddition de comptes. Il s'agit d'un excellent point de départ.
:
Merci, madame la présidente.
C'est vraiment un honneur et un plaisir d'être ici. Je vous remercie chaleureusement de l'invitation.
Depuis environ 30 ans, je travaille, entre autres, dans des domaines liés à l'équité salariale. J'ai également travaillé directement avec des employeurs, des instances mixtes, des syndicats et des équipes de direction. J'ai également participé à un processus de règlement par une tierce partie. Si certaines personnes croient que je ne suis pas vraiment impartial, c'est leur problème.
J'ai travaillé dans quatre cadres en particulier dont il a été question; les deux cadres proactifs du Québec et de l'Ontario, le processus axé sur les plaintes qui était en vigueur au Québec ainsi que le processus de recommandations du gouvernement fédéral découlant des plaintes déposées en vertu de l'article 11. Je dois avouer être un grand partisan du rapport Bilson et de ses recommandations. Selon moi, c'est un rapport très exhaustif.
Cela correspond probablement à vos intérêts. J'aimerais surtout parler de mes expériences en Ontario et au Québec ainsi que vous faire part de mes opinions sur le leadership qui nous a été offert en ce qui concerne la mise en oeuvre proactive de l'équité salariale au gouvernement fédéral. Ensuite, il sera question de remplacer la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public — ainsi que des raisons pour lesquelles il faudrait le faire —, et je vais brièvement vous faire part de mes opinions pour l'avenir.
En ce qui concerne la législation en vigueur en Ontario et au Québec, à mon avis, il y a deux choses à retenir de la loi en Ontario. Au départ, elle n'a pas été élaborée pour être aussi équitable qu'elle aurait pu l'être, puisque les comparateurs masculins au bas de l'échelle salariale qui ont été utilisés pour la comparaison ont fini par être utilisés comme référence principale, tandis qu'une moyenne a été utilisée pour les fonctionnaires fédéraux qui travaillaient au Québec. Plus tard, on a modifié la loi en Ontario pour y inclure la valeur proportionnelle, ce qui l'a rendue beaucoup plus juste.
Je crois que l'un des obstacles tient au fait qu'il faut parfois poursuivre sur notre lancée. Un grand nombre d'ententes et de plans sur l'équité salariale doivent s'en tenir au comparateur masculin au bas de l'échelle salariale. Je vous prie instamment de ne pas emprunter cette voie, et j'espère que ce qui s'est produit en Ontario va influencer vos travaux.
J'ai mentionné que le Québec utilise la moyenne comme référence ainsi que l'article 11 pour mettre en relief le fait que si trois travailleurs masculins gagnent différents salaires, il est plus logique de donner l'heure juste à l'employeur et à l'employé en utilisant ni le maximum ni le minimum, mais une moyenne. Le concept est simple. Je ne crois pas qu'il faut être un génie pour comprendre cela.
L'Ontario a fait preuve d'un grand leadership, en particulier en ce qui concerne la question essentielle qu'est le non-sexisme. On devrait prendre un moment pour se pencher sur la question de la partialité et du non-sexisme, puisque cela rejoint l'équité et la façon dont on se représente la valeur du travail. Si l'on n'appréhende pas cette question — en gardant ses propres partialités à l'esprit, en mettant à l'épreuve tous les systèmes, ce qui est vraiment nécessaire, soit dit en passant, mais je vais revenir à cela plus tard —, on ne pourra pas mettre en place un système adéquat et satisfaisant pour l'équité salariale.
À ce sujet, je dirais que le chef de file en matière de jurisprudence sur le non-sexisme est le Tribunal de l'équité salariale. Si vous voulez pousser vos recherches plus loin que le rapport Bilson, je vous recommande vraiment de vous pencher sur certaines affaires, par exemple l'affaire Haldimand-Norfold, no 6 —il y en a tout un lot, certains employeurs étant plutôt portés sur les litiges, tout comme les associations d'infirmières —, et l'affaire du Women's College Hospital. Je vous recommande d'étudier ces cas relatifs au non-sexisme. C'est assez important. Bien sûr, il y a aussi un certain nombre d'arrêts de la Cour suprême du Canada remontant à 1989 que nous pourrions aborder pendant la période de questions si cela vous intéresse. Je suis convaincu qu'ils sont tous assortis de renvois appropriés.
L'évaluation des postes — on parle aussi de classification des postes — est une tâche exceptionnellement difficile à maîtriser. Elle suppose beaucoup d'analyses détaillées, et, par conséquent, en raison de la question de la rémunération, il est extrêmement difficile de la modifier.
Une des raisons pour lesquelles il faut adopter une loi proactive sur l'équité salariale c'est qu'il faut imposer — et je déteste ce mot — une révision des pratiques sous-jacentes à l'évaluation de la valeur du travail. Voilà un terme technique qui correspond aux questions sur lesquelles vous vous penchez, c'est-à-dire les stéréotypes et le peu de valeur associés au travail des femmes. L'évaluation des postes est un outil essentiel à ce chapitre. S'il n'y a pas de révision, si des règles comme celles en vigueur en Ontario et au Québec ne sont pas établies, j'ose dire que votre réforme n'aboutira à rien.
De toute évidence, le maintien est de première importance. Je me réjouis du fait que la Commission de l'Ontario est venue témoigner. J'ai remarqué qu'il y avait beaucoup de problèmes en Ontario; les syndicats essaient de promouvoir le maintien, mais les employeurs ne réagissent pas. Je partage entièrement l'avis de la Commission de l'équité salariale de l'Ontario selon lequel l'obligation redditionnelle est un élément très important de la loi.
Plus tôt, quelqu'un a parlé de transparence. Il est très important qu'il y ait une transparence permanente à ce chapitre, et cela ne se concrétisera pas à moins que la loi ne l'oblige.
J’ai étudié ce qui s'est passé en Ontario dans le passé, et je sais qu’on a dû utiliser un échantillon. On ne pouvait pas produire de rapports sur des cas en particulier. J’ai eu l’impression que la Commission était en quelque sorte paralysée dans ses activités. Cela n’aide pas à inciter les employeurs — puisque ce sont eux qui assument les coûts, en passant — à atteindre l’équité salariale. Certainement, j’appuierais la prise de mesures très robustes, peu importe la loi que vous adopterez, en ce qui a trait au non-sexisme, au maintien et à des mesures incitatives efficaces.
C'est tout ce que j'ai à dire sur l'obligation redditionnelle. Il y a des dispositions à ce sujet dans la loi en vigueur au Québec, et je crois qu'elles sont très utiles.
J'aimerais discuter brièvement de l'organisme que vous allez charger de la mise en oeuvre de l'équité salariale. Je ne recommanderais pas de choisir la Commission canadienne des droits de la personne, même si j'ai déjà travaillé pour elle. Il s'agit d'une organisation axée sur les plaintes, et je ne crois pas que sa culture soit appropriée. J'appuierais davantage une nouvelle commission proactive.
À propos, l'expertise que possède la Commission canadienne des droits de la personne n'est plus ce qu'elle était, et la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public ne lui a pas été favorable. Je l'ai déjà dit: que je suis d'avis qu'elle devrait être abrogée. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un texte législatif axé sur l'équité salariale, je pourrais vous en dire plus long à ce sujet.
J'aimerais également aborder les problèmes que je vois dans l'avenir, comme la méthode de comparaison avec les organismes extérieurs. Nous pouvons peut-être discuter un peu de ce sujet, de la façon d'aborder les efforts précédents pour atteindre l'équité salariale... Je crois que la loi devrait prévoir des dispositions concernant les demandes d'exemption. Québec a de l'expérience à ce chapitre.
Pour conclure, je crois que vous devez mener des études en vue d'élargir la portée.
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Merci. Je n'ai pas d'image de mon côté, mais puisqu'il semble que le son fonctionne, je vais commencer. Pour économiser du temps, je vais sauter directement à mes arguments, si cela vous convient.
À mon avis, la disparité salariale entre les sexes est un symptôme de la sous-évaluation systémique des femmes qui sévit aux quatre coins du monde. Je ne parle pas de la sous-évaluation du travail des femmes, mais bien de la sous-évaluation des femmes. Puisqu’il s’agit d’un problème qui survient avant l’entrée des femmes sur le marché du travail, je crois que nous devons axer nos efforts sur ce problème systémique. L’établissement de l’équité salariale et d’échelles de rémunération est une partie de la solution, mais cela ne suffira pas à régler le problème. Si nous ne nous attaquons pas aux causes sous-jacentes des iniquités salariales, nous n’arriverons pas à régler le problème et ces iniquités deviendront un problème récurrent.
Le fait qu’il existe encore une disparité salariale entre les sexes dans les milieux de travail s’explique en grande partie par une sensibilisation inadéquate. Une autre cause tient à la banalisation du problème. Je pourrai vous en parler davantage pendant les questions, si vous le voulez, mais je vais arrêter ici pour l’instant. Parmi les autres facteurs qui influencent, à mon avis, les choix des femmes et la disparité salariale entre les sexes, mentionnons la pénalisation des fournisseurs de soins. Je vais tenir pour acquis que vous savez tous de quoi il s’agit. Dans le cas contraire, nous pourrons en reparler pendant les questions. Je crois que les solutions à ces problèmes dépassent la question de l’équité salariale, même si celle-ci est nécessaire, comme tout ce dont on parle ici.
Je crois qu'il faut commencer à déployer des efforts de sensibilisation dans les écoles, à la maison et au travail. Ces efforts peuvent toucher différentes choses. Par exemple, qu'est-ce que l'écart salarial? Quelles en sont les causes? Quelles en sont les conséquences visibles et invisibles?
Je crois que nous pouvons accomplir cela de différentes façons?
Une façon serait de créer la journée de l’équité salariale au Canada. Je crois que c’est important. Nous avons fait cela en Ontario. Nous avons donné un statut à l’équité salariale et avons ainsi sensibilisé les gens à ce sujet. Une telle journée de l’équité salariale aide à mettre les gens au courant du fait qu’il faut aux femmes un an et quelques mois — jusqu'en mars ou avril de l'année suivante, selon la méthode de calcul et les chiffres utilisés — pour gagner autant que les hommes ont touché l'année précédente. C’est une surprise pour beaucoup de personnes, et on peut poursuivre à partir de là. Une fois que le dialogue est entamé, vous pouvez commencer à parler du fait que les femmes doivent travailler beaucoup plus d’années qu’un homme pour atteindre le même échelon salarial.
Une autre mesure serait de mettre sur pied des campagnes de sensibilisation dans les médias publics afin de discuter des partialités conscientes et inconscientes chez les gens. Nous pouvons mener ce genre de campagnes de nombreuses façons différentes. À mon avis, il faut axer les efforts sur les écoles. Je sais que cela ne relève probablement pas de la compétence du gouvernement fédéral, mais je crois que vous pourriez influencer les provinces pour qu'elles veillent à ce que le dialogue se fasse tôt dans le parcours scolaire chez les filles et les garçons afin de les amener à voir toutes les possibilités qui s'offrent à eux, sans se limiter et sans juger les autres comme étant limités.
Je crois qu'il faut également sensibiliser les gens sur leur lieu de travail. Il faut que nous mettions en place une forme ou une autre de formation pour les employés, à l'instar de ce qui se fait pour la santé et la sécurité, afin de les informer des droits de la personne, des partialités et des conséquences de l'écart salarial, en plus, bien sûr, de leurs propres droits.
Je crois que les gouvernements devraient examiner leurs propres processus afin d'y cerner des partialités éventuelles au détriment des familles où des travailleurs moins rémunérés pourraient être désavantagés et de déterminer la façon dont l'équité salariale pourrait avantager globalement une famille.
Je parle ici de choses comme le processus lié à l'assurance-emploi et le droit fiscal. Par exemple, pour ce qui est du programme d'AE, je crois qu'il devrait être modifié afin que les parents aient plus de flexibilité afin de prendre des congés et de s'absenter pour prendre soin d'un enfant. Ces modifications viseraient surtout à ce que les hommes participent aux soins et à ce que les femmes reçoivent une rémunération pendant des congés de courte durée. J'entends par là que les congés de maternité et de paternité en font partie.
Parmi les autres facteurs qui ont une incidence sur la différence de salaire on trouve les situations qui font que les femmes ne travaillent pas pendant de courtes périodes, comme quand un enfant est malade et ne peut aller à l'école, ou à la garderie, ce qui oblige un parent à demeurer à la maison, peut-être pendant une journée ou deux. Beaucoup de femmes, en particulier celles occupant un emploi à temps partiel, ne seraient pas rémunérées pendant ces jours d'absence et n'auraient pas droit à des mesures comme des prestations d'assurance-emploi pendant ces congés de courte durée. Ce sont des façons d'influer sur la disparité salariale.
Le droit fiscal, par exemple, peut contenir des facteurs de dissuasion pour la personne ayant le revenu le moins élevé dans la famille. Ces facteurs peuvent faire en sorte que la personne ayant le revenu le moins élevé accuse une perte de salaire, et pour diverses raisons, qu'elle ne réduise pas son revenu jusqu'à la tranche de revenu inférieur afin de bénéficier d'exemptions pour la famille, de sorte qu'elle sacrifie son revenu pour le bien de la famille. Je crois que c'est la façon dont le droit fiscal est établi. Ce sont là des choses sur lesquelles le gouvernement peut se pencher.
La Prestation universelle pour la garde d'enfants est aussi un important facteur d'incitation pour que les femmes retournent sur le marché du travail et pour s'assurer du partage des soins des enfants entre les hommes et les femmes, puisque la garde d'enfants devient un choix. Je crois que cette mesure ferait peut-être en sorte que les femmes qui n'ont pas l'intention de retourner sur le marché de l'emploi à temps plein changeraient d'idée et que cela aiderait à réduire la disparité salariale entre les sexes.
En 2010, le regroupement international de femmes d'affaires et de professionnelles auquel j'appartiens s'est joint à ONU Femmes et au Pacte mondial des Nations unies et a participé aux Principes d'autonomisation des femmes nouvellement établis. Ces sept principes guident les entreprises vers la création de milieux de travail plus équitables pour les hommes et les femmes. Il s'agit d'une initiative volontaire incitant les entreprises à signer la déclaration et à appliquer ensuite les principes visant à sensibiliser, à éliminer les obstacles et à promouvoir un modèle d'affaires équitable pour les deux sexes au sein de leur entreprise.
Depuis le lancement de ces principes en 2010, plus de 1 000 dirigeants de sociétés comptant au moins 10 employés ont signé la déclaration relative aux principes d'autonomisation des femmes. Je crois qu'il s'agit d'un modèle que l'on pourrait adopter. Le gouvernement pourrait adapter les sept principes et les utiliser comme guide à l'intention des employeurs afin qu'ils sensibilisent leurs employés à l'élimination de la disparité salariale entre les sexes. Une fois ce guide créé, le gouvernement fédéral pourrait ensuite établir des ressources à l'intention des employeurs à des fins de formation — le type de formation pour les employés mentionné précédemment — et fournir des outils pour évaluer si leur entreprise est conforme et équitable.
Il existe de nombreux problèmes socioéconomiques auxquels les femmes sont confrontées de manière exclusive et dont elles souffrent en raison de la discrimination causée par la disparité salariale entre les sexes. Cette discrimination ne fait qu'aggraver les problèmes. Les femmes ne paient pas moins cher pour les biens et les services, l'éducation, le loyer, les services publics et d'autres choses encore. Il a été soutenu, dans notre société, qu'elles paient plus; cependant, notre société fait preuve de complaisance à l'égard du fait que les femmes gagnent moins. Tenter de se débrouiller dans un monde qui impose les mêmes attentes — ou des attentes plus élevées, dans les faits — que celles imposées aux hommes, mais qui ne donne que 70 % en retour, mène les femmes à vivre dans la pauvreté, à demeurer dans de mauvaises relations et à endurer des situations malsaines dans leur milieu de travail parce que leurs choix sont limités en raison de cette inégalité.
Cela crée un cycle de problèmes socioéconomiques qui nuit énormément à notre société. Je crois que nous devons briser ce cycle.
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Je remercie le comité de m'avoir invitée de nouveau pour parler de mon sujet favori en termes d'égalité.
Comme vous le savez et comme cela a été souligné par les nombreux intervenants que vous avez entendus, l'équité salariale est un droit fondamental. La question n'est plus de savoir s'il doit ou non être mis en application et quand, mais plutôt comment et quelle est la façon la plus efficace d'atteindre cet objectif consacré par la Convention n° 100 sur l'égalité de rémunération de l'Organisation mondiale du travail et qui a ratifié par le Canada il y a environ 40 ans.
J'ai présidé le comité qui a préparé la Loi sur l'équité salariale du Québec. J'ai également beaucoup contribué à cet égard à l'Organisation internationale du travail, à Genève. J'ai également donné beaucoup de séances de formation sur l'équité salariale dans différents pays membres de l'Organisation internationale du travail, notamment le Portugal, l'Ukraine et le Danemark. Une diversité de pays sont intéressés par l'équité salariale et tous convergent vers l'utilisation d'une méthode d'évaluation des emplois sans discrimination basée sur le sexe. C'est très important. Comme l'a souligné la présidente de la commission ontarienne, il faut des outils qui soient neutres, peu importe le genre.
Je peux mentionner à ce sujet le document que j'ai envoyé à vos collaborateurs et qui explique comment faire une évaluation sans biais discriminatoire. Il existe en français, en anglais et dans une dizaine de langues. Il s'agit d'un document très simple qui vous permettrait vraiment de vous familiariser avec ce qu'est une méthode d'évaluation sans discrimination, qui est à la base de l'équité salariale.
Depuis le milieu des années 1980, on s'est rapidement aperçu que le modèle par plainte, comme vous l'avez entendu, est long, coûteux et très conflictuel. Quand il aboutit 10, 15 ou 20 ans plus tard, il a réglé une situation de discrimination dans une seule organisation. Selon les statistiques les plus récentes produites par la Commission de l'équité salariale du Québec, qui a aujourd'hui fusionné au sein d'une plus grande commission, en 2015, au Québec, 84 % des employeurs avaient appliqué la Loi sur l'équité salariale. Parmi les entreprises de 100 employés et plus, 94 % l'avaient fait. Il y a donc un pourcentage extrêmement élevé d'employeurs qui ont appliqué l'équité salariale. Si l'on se basait sur le modèle par plainte, cela prendrait 50, 60 ou même 100 ans avant d'avoir une telle couverture. Je pense que le modèle proactif a fait ses preuves.
Je vais consacrer ma présentation aux caractéristiques principales de la loi du Québec. Je vais également mentionner, lorsque cela est pertinent, les différences avec les recommandations du groupe de travail dont j'ai fait partie.
Une des caractéristiques importantes de la loi du Québec est l'universalité, c'est-à-dire que ce sont toutes les entreprises, tous les secteurs et tous les salariés qui sont couverts par l'exigence de réaliser l'équité salariale. Il y a une chose que l'on ne retrouve pas au Québec ni dans les autres lois, dont celle de l'Ontario, et c'est le fait d'étendre l'équité salariale aux minorités visibles, aux personnes autochtones et aux personnes handicapées. Cela a été souligné par plusieurs intervenants. Je pense que c'est quelque chose qui vous préoccupe. Je vais d'ailleurs y revenir.
Une deuxième caractéristique de la loi du Québec est la flexibilité. J'ai constaté que c'est également une préoccupation des membres du comité. En effet, dans la loi du Québec, les entreprises sont réparties en trois catégories selon leur taille et les exigences pour les employeurs sont beaucoup plus légères pour les entreprises de petite taille, c'est-à-dire celles qui comptent entre 10 et 49 employés, et un peu plus grandes pour celles qui ont entre 50 et 99 employés. Les exigences sont plus structurées et plus élevées pour les entreprises de 100 employés et plus. Donc, on tient compte un peu des besoins et des contraintes selon la taille des entreprises, ce qui est très important.
La flexibilité se manifeste dans le cas de difficultés financières d'une entreprise. À cet égard, la Commission de l'équité salariale peut lui donner un délai pour faire les versements si elle éprouve de telles difficultés. Le but n'est pas d'entraîner la faillite des entreprises à cause de l'équité salariale.
J'aimerais donner un autre exemple de flexibilité et, à ce sujet, le marché y joue un rôle important. En cas de pénurie de personnes qualifiées pour un emploi à prédominance masculine, où l'employeur est obligé de donner un salaire très élevé pour attirer les employés, cette portion plus élevée du salaire pour attirer des employés qui sont rares ne va pas être considérée comme étant discriminatoire par rapport aux emplois féminins de même valeur.
Une autre caractéristique est la précision de la démarche. Un des problèmes des lois réactives vient du fait que la démarche n'est pas très bien précisée, d'où des conflits qui sont très, très longs entre les parties lorsque l'on doit s'adresser à un tribunal ou à la Commission des droits de la personne. Les lois proactives précisent quels sont les seuils à partir desquels les emplois sont à prédominance féminine ou masculine. Elles précisent les étapes du plan d'équité salariale, les facteurs d'évaluation et les comparaisons salariales.
Je dois dire en passant que la comparaison salariale la plus utilisée n'est ni celle par paire, ni celle de la valeur moyenne. C'est plutôt une comparaison des emplois par courbes. Il n'est pas question d'avoir des valeurs moyennes, mais plutôt une courbe de régression. Je n'aborderai ici pas les précisions techniques.
Par ailleurs, les lois proactives — celles du Québec notamment — précisent des échéances et un calendrier. Au Québec, c'est un peu trop long. On donne quatre ans aux employeurs pour produire leur plan d'équité salariale et quatre ans, par la suite, pour verser les ajustements. Notre groupe de travail a recommandé de donner trois ans pour réaliser le plan et trois ans pour verser les ajustements. Je lisais la loi suédoise et, dans ce pays, c'est également trois ans plus trois ans. C'est quand même plus limité dans le temps.
Une des questions qui est ressortie lors des rencontres avec d'autres experts était le fait qu'il fallait peut-être, comme l'Ontario, échelonner la période d'entrée en vigueur. Cela veut dire que les deux premières années seraient pour les grandes entreprises, les deux années suivantes ou l'année suivante pour les entreprises plus petites, et ainsi de suite. Cependant, je pense que si on donne trois ans aux entreprises pour réaliser un plan d'équité salariale, cela va résoudre le problème de l'entrée par étapes puisque les petites entreprises pourront attendre la troisième année pour faire leur travail. Les grandes entreprises pourraient commencer la première année. Je suis plutôt en faveur d'une uniformisation de l'application en ce qui concerne le début des programmes.
Une autre caractéristique extrêmement importante de la loi du Québec, qui la distingue de celle de l'Ontario, est une participation structurée et conjointe des représentants des employés, des salariés et des représentants de l'employeur. Avoir un comité de l'équité salariale est une obligation pour toutes les entreprises de 100 employés et plus, mais ce n'est pas obligatoire pour celles qui sont de plus petite taille. En ce qui a trait à la présence des femmes, 50 % des représentants des salariés doivent être des femmes. Pourquoi y a-t-il cette participation? C'est parce que le travail des femmes, dans les emplois à prédominance féminine, est souvent invisible. Tout ce qui est du ressort de la responsabilité de personnes, tout ce qui implique une minutie dans le travail, une dextérité manuelle fine et tout ce qui est du domaine de la communication, toutes ces choses qui se trouvent dans les emplois à prédominance féminine, sont souvent invisibles. En ayant une participation des représentants des salariés — et en particulier des femmes —, on essaie quand même de solutionner, ne serait-ce qu'en partie, cette question d'invisibilité. Ce qui est invisible n'est pas évalué et ce qui n'est pas évalué n'est pas rémunéré. La visibilité est une question extrêmement importante.
Les autres avantages de la participation sont que cela diminue les coûts pour l'État. En fait, le travail est fait par un comité sur l'équité salariale au lieu d'être fait par les fonctionnaires de l'État ou de la Commission de l'équité salariale, qui vont déjà avoir énormément de tâches à accomplir. C'est fait dans l'entreprise et c'est adapté à elle, c'est flexible et cela tient compte des particularités de celle-ci.
De plus, cela accélère le processus. Quand c'est fait au sein de l'entreprise, c'est beaucoup plus rapide que si on a continuellement recours à la commission pour savoir ce qu'on fait à une étape et ce qu'on fait à une autre. La participation est structurée et elle est très importante.
Une autre caractéristique, c'est la transparence. L'employeur doit donner les informations nécessaires aux membres d'un comité de l'équité salariale pour qu'ils puissent faire leur travail. Autrement...
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En premier lieu, je souhaite remercier tous les témoins de leur allocution. Elles étaient excellentes. Ma tête est sur le point d'exploser à cause de toutes ces informations.
Je sais, madame Heyninck, que vous devez partir bientôt, donc je vais vous poser mes questions en premier.
Tout d'abord, je comprends que l'administration fédérale est un cas particulier. Que pouvons-nous apprendre de la promulgation et de la mise en oeuvre d'une loi proactive sur l'équité salariale en Ontario? Je vais être précise. J'ai entendu vos recommandations concernant l'obligation de produire des rapports. Une des recommandations formulées dans le rapport Bilson était que la question de l'équité salariale devait être retirée du processus de négociation collective. Pouvez-vous nous dire si cette question a été écartée des négociations en Ontario et si nous pouvons en tirer des leçons? Voilà un aspect.
Ensuite, ce que je comprends à propos du Tribunal de l'équité salariale qui a été mis en place, c'est qu'il y a eu un déclin du nombre de cas qu'il doit trancher, même s'il semble que la disparité salariale entre les sexes a augmenté au cours des dernières années. Pourriez-vous nous parler du Tribunal, et nous dire s'il y a lieu d'avoir des préoccupations à cet égard?
Pour finir, en ce qui concerne la flexibilité, je crois que c'est Mme Chicha qui a parlé du fait qu'il existe trois groupes au Québec. Avez-vous le même genre de regroupements? Est-ce que cela a fonctionné en Ontario? En feriez-vous la recommandation pour le palier fédéral?
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En ce qui concerne l'accroissement de l'écart salarial et la diminution du nombre de cas portés devant le Tribunal, je ne saurais même pas comment vous répondre. Équité salariale n'est pas synonyme d'écart salarial entre les sexes. Je crois que vous avez entendu cela nombre de fois. Selon moi, il n'y a jamais eu beaucoup de cas qui ont été portés devant le Tribunal. Au début, bien sûr, quand les gens mettaient à l'épreuve le système et la souplesse permise par les processus établis, il se créait certainement davantage de jurisprudence. Maintenant, les cas amenés devant le Tribunal ont tendance à porter sur des questions de droit, fondées sur la Charte, et sur certaines des exigences relatives au maintien découlant de la méthode de comparaison avec des organisations de l'extérieur, dont nous n'avons pas vraiment discuté. Il s'agit d'un sujet très technique, et je dirais que la méthode a donné des résultats variés en Ontario.
Le fait que la disparité salariale entre les sexes varie n'a vraiment rien à voir avec le nombre de cas devant le Tribunal. Je dirais que les cas qui se rendent devant le Tribunal prennent généralement plus de temps à régler parce ce sont des affaires de novo, habituellement des cas liés à des syndicats, et par ces cas, comme je l'ai mentionné, on tente de mettre quelque chose à l'épreuve. La plupart des questions sont réglées à notre échelon, celui de l'administration.
En ce qui concerne les négociations collectives, j'imagine que la réponse varie d'un syndicat à un autre. Je dirais que la plupart des syndicats sont contre le fait de mêler les négociations collectives et l'équité salariale, parce que, dans un cas, il s'agit de droits de la personne et, dans l'autre, il s'agit de tractations inhérentes à la négociation collective. Notre loi intègre ces deux concepts en s'appuyant sur le principe selon lequel les syndicats et les employeurs n'ont pas le droit de négocier quoi que ce soit qui serait, advenant sa mise en oeuvre, contraire à la loi. C'est là l'interdiction, et ensuite, toute entente relative à l'équité salariale qui en résulte a préséance sur la convention collective. Voilà comment les deux lois interagissent en Ontario.
Si vous allez de l'avant, je suggérerais que vous examiniez certains mécanismes pour lier ces deux processus. Ils peuvent demeurer distincts, mais du point de vue du déroulement, il serait probablement très avantageux de pouvoir coordonner ce qui se passe à la table des négociations avec un processus relatif à l'équité salariale.
Je n'en ai pas discuté avec des intervenants, donc je formule tout simplement une proposition. Vous pourriez choisir d'ajouter dans la convention collective une clause qui permet d'approuver les éléments liés à l'équité salariale en la signant, de façon à confirmer que les répercussions liées à l'équité salariale découlant de la convention collective en question ont été examinées. S'il n'y a pas d'approbation, vous pourriez imposer un délai pour déposer une plainte concernant l'équité salariale, par exemple, devant la Commission; ainsi il n'y aurait pas beaucoup de chevauchement.
Ce que nous constatons en Ontario c'est que parfois il existe trois ou quatre conventions collectives et qu'un des syndicats dépose une plainte relative à l'équité salariale; une telle situation fait qu'il est difficile d'examiner plusieurs conventions collectives afin d'établir quelles sont les conséquences sur l'équité salariale. Il faudrait respecter le fait d'avoir une certaine possibilité de rapprocher ces deux aspects tout en pouvant les séparer si c'est ce que les parties souhaitent. Cela dit, beaucoup d'employeurs et de syndicats ont négocié des modalités concernant la façon dont ils traiteront les questions touchant l'équité salariale. Ces façons de faire ont évolué au fil du temps, et ce serait donc une bonne chose de consulter les syndicats afin de cerner certaines pratiques exemplaires si vous comptez emprunter cette voie.
L'autre question touchait la flexibilité, et je ne me souviens plus de quoi il était question.
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L'équité salariale et un salaire égal pour un travail de valeur égale sont probablement les deux façons les plus courantes et les plus connues de valoriser le travail des femmes, car il a été traditionnellement sous-évalué. Les conséquences de cela sur l'écart salarial entre les sexes seraient impossibles à mesurer. Nous avons essayé. J'ai eu de nombreuses conversations avec des gens du Québec à ce sujet. Au bout du compte — je ne suis pas statisticienne, alors je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi —, l'écart salarial est causé par nombre de facteurs qui n'ont rien à voir avec la discrimination. Ils sont liés à l'accessibilité aux services de garde. Ils sont liés au travail à temps partiel, par opposition avec le travail à temps plein. Ils sont liés au choix de carrière des gens, car ces emplois sont parfois peu valorisés parce qu'ils sont considérés comme du travail de femme.
Il y a trop de facteurs pour être en mesure d'affirmer que telle chose aura telle conséquence sur l'écart salarial. C'est dommage, parce que maintenant, nous passons trop de temps à mettre l'accent sur un chiffre que même des statisticiens ont de la difficulté à expliquer. Je crois qu'avec le recul, on ne peut que constater qu'il existe un écart salarial entre les sexes, ce qui démontre qu'il y a des stéréotypes sexuels, des normes sociales et des préjugés qui s'insinuent partout dans notre système et sur lesquels il faut agir.
Alors, mettons cela de côté et examinons vraiment le problème, qui est la participation économique des femmes. La population active est maintenant composée à 50 % de femmes. Nos taux de diplomation à tous les niveaux scolaires tiennent principalement au travail de femmes. Est-ce que nous obtenons un rendement à l'égard de notre investissement dans l'éducation, en tant que société, qu'individus et que familles, si nous ne valorisons pas le travail des femmes dans notre société simplement parce qu'elles sont des femmes, comme je crois l'avoir entendu dire par des témoins de l'ANFD?
Il s'agit vraiment d'un enjeu économique. Je crois que si vous vous attardez trop au fait que l'écart salarial est de 30, de 28 ou de 26 %, vous passez à côté du problème. Vous laissez ce débat prendre toute la place, alors que tout le monde sait très bien quelles sont les solutions. Si vous jetez un coup d'oeil aux pays où l'écart salarial est constamment très faible, vous verrez qu'ils offrent une panoplie de systèmes de soutien qui permettent aux femmes de participer pleinement à l'activité économique.
À mon avis, oui, il s'agit certainement d'un droit de la personne. C'est sans aucun doute un droit de la personne. Mais, bon sang, il s'agit aussi d'un grand enjeu économique. Si nous dévalorisons la moitié de notre population active, je crois que nous devrions tous faire un examen de conscience.
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Je pourrais commencer rapidement par la méthode de comparaison. Je soupçonne qu'il n'y a pas dans le milieu fédéral beaucoup d'organismes à prédominance féminine sans comparateurs masculins, mais il y en aura. Il faut effectivement qu'il y ait un processus.
Par exemple, dans certains petits conseils, il y a des professionnels en haut de l'échelle et du personnel de soutien en bas. Il est impossible de déterminer quel devrait être le rapport convenable. S'ils sont financés au fédéral, il y a sûrement une façon de déterminer un salaire juste, cependant, je n'utiliserais pas la méthode de comparaison de l'Ontario pour nombre de raisons, que vous voudrez peut-être connaître plus tard, mais en somme, c'est trop compliqué.
Au Québec, par contre, c'est trop simple. Il faut trouver une façon de travailler là-dessus.
En ce qui concerne les éléments les plus importants, l'engagement des employeurs, des syndicats, et des employés non syndiqués constitue — et de loin — le principal élément moteur de toute forme d'équité salariale. Je crois que le fait que la loi au Québec permette aux employeurs comptant moins de 50 employés de faire ce qu'ils veulent est une erreur. Je crois que la participation est essentielle.
Le temps est écoulé?
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Oui. D'ailleurs, je crois que l'analyse comparative que votre comité... J'ai consacré un chapitre aux pratiques exemplaires.
Je crois qu'une des pratiques exemplaires essentielles — si on peut l'appeler ainsi — est la Commission de l'équité salariale. Sans une commission de l'équité salariale, tout le monde serait dérouté, le travail n'avancerait pas rapidement, etc. Une commission de l'équité salariale est essentielle.
Un autre élément important est la participation conjointe. Comme M. Durber l'a mentionné, c'est une erreur qu'au Québec, les petites entreprises n'aient pas la participation conjointe. Je suis d'accord avec lui. La participation conjointe rend le processus beaucoup plus facile et beaucoup plus adapté à l'entreprise. Un autre élément est la formation, et au Québec, il y a une formation obligatoire que les employeurs devraient donner aux membres de leur comité de l'équité salariale afin qu'ils soient en mesure de faire leur travail, parce que nous ne pouvons pas dire que l'équité salariale n'est pas un travail technique. C'est technique. Vous avez besoin de formation pour bien le faire.
Un autre élément important est la transparence. Dans un sondage que j'ai réalisé au Québec avec des personnes responsables de la mise en oeuvre de l'équité salariale, il a été mentionné que, lorsque les employés ou leurs représentants croient que l'employeur cache des informations, ils ne font pas confiance aux résultats, et cela peut créer des conflits.
Un autre élément important est la communication. Il faut communiquer avec les employés pour qu'ils comprennent ce qui est en train de se passer et qu'ils ne s'attendent pas à ce que toutes les femmes de l'entreprise bénéficient d'une augmentation de salaire de 10 %. La communication jette les bases d'une meilleure compréhension et acceptation pour les employés.
Ce sont certaines des pratiques exemplaires les plus importantes.
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Je souhaiterais ajouter quelque chose. Ce n'est peut-être pas directement lié à la question posée; c'est au sujet de la reddition de comptes.
Vous avez beaucoup parlé de reddition de comptes, et je n'ai pas eu la possibilité de vous dire en quoi elle consiste au Québec.
Au Québec, chaque employeur doit rendre des comptes tous les ans. Il s'agit d'un très court formulaire, une seule page comportant trois ou quatre questions. Avez-vous atteint l'équité salariale? L'avez-vous maintenue? Il s'agit de ce type de questions.
Cela permet à la Commission de dire, comme je l'ai mentionné, que 94 % des employeurs comptant plus de 100 employés se sont conformés à la Loi sur l'équité salariale du Québec.
Cette reddition de comptes est très importante, comme le directeur de la Commission de l'équité salariale de l'Ontario l'a aussi mentionné, car cela rappelle à l'employeur qu'il a un travail à faire. S'il ne le fait pas, il doit payer une pénalité très élevée. Cela ne représente pas une charge très lourde, à mon avis, mais il est important de le faire.
En Suède, les employeurs doivent soumettre tous les trois ans un rapport qui est beaucoup plus détaillé que celui dont j'ai parlé, mais je crois qu'il est essentiel d'en avoir un.
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En fait, j'allais dire la même chose que Paul.
J'ai remarqué, en lisant tous les exposés et les témoignages d'experts, etc., qu'il existe une certaine confusion. Comme il a été mentionné aujourd'hui, l'écart salarial existe en raison de nombre de causes différentes, qui sont discriminatoires, mais qui ne représente pas une discrimination salariale. Chaque cause de cet écart salarial — que ce soit l'éducation, l'expérience ou la conciliation travail-famille — peut être réglée au moyen de divers types de politiques.
Cependant, l'équité salariale est une politique différente qui traite seulement de la discrimination salariale, et pas de l'écart salarial. Les employeurs peuvent craindre qu'on leur fasse combler l'écart salarial, qui est de 20 %, mais ce n'est pas le cas. Les rajustements tournent autour de 5 ou 6 %, selon les emplois. Je crois qu'il est extrêmement important d'être très clairs à ce sujet.
Lorsque la Loi sur l'équité salariale a été adoptée au Québec, sa mise en oeuvre a été amorcée par un parti différent de celui qui était au pouvoir à l'époque, soit le Parti libéral. Le premier ministre était en mission à l'extérieur et il avait demandé que l'adoption de la loi soit repoussée d'une journée, jusqu'à son retour. Au début, il n'était pas en faveur de la Loi sur l'équité salariale, qui avait été présentée par un autre parti. Cependant, il souhaitait manifester son appui à l'équité salariale, et la loi a été adoptée à l'unanimité par tous les partis à l'Assemblée nationale du Québec.
J'aimerais qu'il en soit ainsi à l'échelon fédéral, s'il est possible de souhaiter une telle chose.
Merci beaucoup.