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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 032 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 14 novembre 2016

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

     Chers collègues, la séance est ouverte.
    Avant que nous entendions nos témoins, j'aimerais attirer votre attention sur un certain nombre de questions dont nous devrons discuter à la fin de la séance. Vous pourriez lire les documents rapidement si vous n'avez pas encore eu l'occasion de le faire.
    Il y a deux lettres. L'une est destinée au ministre des Affaires étrangères. Elle porte sur notre volonté de préciser la situation concernant les représentants du ministère qui témoigneront au cours des prochaines semaines. L'information est très précise, et j'aimerais que vous l'examiniez attentivement. L'autre lettre s'adresse à la ministre de la Justice et procureure générale du Canada. Elle porte sur l'information que nous voudrions obtenir de la part de son ministère. Veuillez en prendre connaissance.
    Ensuite, il y a deux demandes de budget de déplacement que nous devons faire approuver. Je vais demander à la greffière de vous distribuer ces documents que vous pourrez consulter au cours des deux prochaines minutes environ. Je suis sûr que vous pouvez faire deux choses en même temps. Examinez-les attentivement et nous en parlerons brièvement à la fin de la séance. C'est simplement pour que vous soyez prêts à discuter de ces deux questions lorsque nous aurons terminé les points à l'ordre de jour.
    Conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 14 avril 2016 et l'article 20 de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, nous continuons l'examen prévu par la Loi.
    Nous accueillons aujourd'hui MM. David Kramer et Jared Genser. Ils comparaissent tous les deux par vidéoconférence. Je remercie ces deux messieurs de leur présence.
    Au cas où l'on ne vous aurait pas expliqué le fonctionnement, je veux vous dire que vous nous présenterez d'abord vos exposés et nous vous poserons des questions pendant une période d'environ une heure par la suite. C'est M. Kramer qui commence.
     Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci beaucoup. C'est un grand privilège et un honneur de comparaître devant vous par Skype au sujet de la question importante des sanctions.
    Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, monsieur le président, je vais parler de la mesure dans laquelle les sanctions sont efficaces ainsi que de ce que font les États-Unis. Je ne vais pas... Je ne crois pas être bien placé pour parler de la loi que vous examinez, mais je vais parler un peu plus généralement de l'expérience des États-Unis sur le plan des sanctions.
    Je dirais en toute honnêteté que si la présente séance avait eu lieu ne serait-ce qu'une semaine plus tôt, mon témoignage serait légèrement différent, du moins pour ce qui est de la fin de mon exposé. Or, compte tenu de l'élection de Donald Trump, je crois que des sanctions feront l'objet d'un réexamen, même si l'adoption de sanctions a constitué une partie importante de la politique étrangère américaine au fil des ans, sous des gouvernements tant républicains que démocrates. Les sanctions sont des aspects importants de la politique étrangère de bien d'autres pays également.
    Si vous me le permettez, avant de parler des incidences de l'élection américaine, j'aimerais tout d'abord parler de la question de savoir si l'imposition de sanctions est une mesure efficace.
    Certains analystes croient que les sanctions nuisent rarement aux personnes visées. Elles font du tort aux citoyens ordinaires et elles aident même involontairement le régime ciblé à démobiliser la communauté internationale en donnant la fausse impression que la communauté internationale, en fait, intervient dans une situation de crise.
    Certains chercheurs, comme Gary Hufbauer, soutiennent que le taux de réussite des sanctions n'a pas dépassé 34 % au fil des ans. Elles ont fonctionné dans certains cas, comme les sanctions qui ont été imposées contre le régime de l'apartheid en Afrique du Sud, contre les mesures de répression que le gouvernement polonais a prises contre la formation Solidarité, et contre l'Iran pour l'amener à négocier dans le dossier du nucléaire. L'amendement Jackson-Vanik qui a été adopté dans les années 1970 visait à sanctionner l'Union soviétique pour son refus d'autoriser l'émigration des Juifs. Plus récemment, des sanctions ont été adoptées en réponse à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Au risque d'énoncer une évidence, ces sanctions ont échoué lamentablement — c'est le cas notamment, du moins, des sanctions américaines relativement à la question cubaine.
    Dans un discours qu'il a prononcé le 30 mars, le secrétaire du trésor des États-Unis, Jack Lew, a dit que « bien que chaque situation requiert une approche adaptée, toutes les sanctions visent à changer des comportements ».
    En fait, les sanctions sont plus efficaces lorsqu'il y a d'autres conditions économiques. Cela a été le cas, par exemple, avec la chute du prix du pétrole; les répercussions des sanctions ont été accentuées en raison de la chute abrupte du prix du pétrole en Russie.
    Dans le même ordre d'idées, les pays qui sont bien intégrés au système financier international ressentiront davantage les effets des sanctions que les pays isolés. C'est vrai pour l'Iran, et même pour la Russie, bien entendu, par opposition à la Corée du Nord. Les pays touchés par des sanctions observent généralement une chute des investissements étrangers parce que les investisseurs craignent que même si un projet n'est pas interdit, il pourrait le devenir si jamais on renforçait les sanctions contre le pays visé.
    C'est ce qui m'amène à vous parler de l'importance de la psychologie des sanctions. Il faut que la cible des sanctions croie qu'elle se verra infliger d'autres sanctions si elle ne change pas son comportement. L'erreur que nous avons commise, par exemple dans le cas des sanctions imposées contre la Russie pour l'invasion de l'Ukraine et l'annexion illégale de la Crimée, c'est que les discussions, particulièrement en Europe, ont porté sur l'espoir que l'UE maintienne les sanctions actuelles. Il n'est pratiquement pas question d'un renforcement des sanctions si la Russie continue à violer l'accord de cessez-le-feu de Minsk.
    De la même façon, c'était une erreur de la part des Européens de laisser croire que la Russie pourrait être sanctionnée pour son intervention militaire en Syrie, particulièrement à Alep, qui a causé la mort de centaines de civils innocents. La Russie ne s'est pas vue imposer de nouvelles sanctions pour son intervention en Syrie, et ils ont eu tort de susciter de faux espoirs et d'évoquer la possibilité que des mesures soient proposées en ce sens.
    De nos jours, les sanctions, qui, auparavant, étaient d'une grande portée pour la plupart, sont généralement ciblées et visent, si l'on veut, les méchants qui sont responsables d'actes odieux. Elles sont plus efficaces lorsqu'elles sont prises avec d'autres pays, mais cela dit, il ne faudrait pas sous-estimer le caractère extraterritorial des sanctions américaines. Dans le discours qu'il a prononcé le 30 mars, le secrétaire Lew a dit que « la force de nos sanctions — celles des pays occidentaux — est indissociable de notre rôle de chef de file dans le monde ».
(1535)
     Les sanctions ont été conçues compte tenu de la situation des États-Unis en tant que première puissance économique mondiale et du rôle prépondérant que joue le système financier américain dans le commerce mondial.
    Il est également important que nous ne confondions pas les moyens avec les fins. L'unité sur les sanctions, c'est-à-dire l'unité transatlantique incluant le Canada, les États-Unis, les pays européens et d'autres pays, est une question importante, mais c'est un moyen d'accomplir ce que devrait être l'objectif des sanctions. Prenons, par exemple, l'idée de sortir la Russie de l'Ukraine et le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Parfois, la quête de l'unité quant aux sanctions nous ramène au plus petit dénominateur commun. C'est simplement plus facile. Ce n'est pas facile, mais c'est plus facile pour les États-Unis d'imposer ses propres sanctions.
    Je suis tout à fait en faveur de l'unité. Je veux bien que les États-Unis collaborent avec d'autres pays sur l'imposition de sanctions. Comme l'a dit le secrétaire Lew, « plus les sanctions et l'objectif sous-jacent obtiendront d'appuis à l'échelle internationale, plus elles seront efficaces », mais pas au point de confondre l'unité avec l'objectif qu'il y ait un changement de comportement. Il est préférable d'adopter des sanctions dans le cadre d'une démarche globale à l'égard d'un problème, mais les sanctions ne sont pas une panacée. Si elles sont imposées en l'absence de repères, il est moins probable qu'elles fonctionnent. Elles doivent s'accompagner d'actions diplomatiques et d'autres mesures coercitives.
    Il ne s'agit pas de déterminer si les sanctions fonctionnent ou non, mais bien de déterminer si elles peuvent être efficaces lorsqu'elles sont utilisées parallèlement à d'autres mesures. Ce sont parfois les meilleures solutions disponibles, certainement comme mesure pour nous assurer que nous n'optons pas directement pour une intervention militaire. Elles peuvent faire partie de la solution lorsque nous, les membres de la communauté internationale, disons qu'une situation est inacceptable. En fait, elles donnent un sens au mot « inacceptable » et font en sorte que nous ne faisions pas les affaires comme avant après avoir déclaré que les gestes posés par un pays ou régime sont inacceptables.
    Je pose toujours la même question aux gens qui s'opposent aux sanctions. Je leur demande ce qu'ils feraient à la place. Il est rare qu'on me donne une réponse satisfaisante.
    Dans son discours du 30 mars, le secrétaire Lew a dit ce qui suit:
Les sanctions ne visent pas à infliger des peines pour des gestes commis dans le passé. Elles sont axées sur l'avenir, destinées à exclure les comportements illicites ou dangereux de notre système et à exercer des pressions pour changer les comportements. Ce principe fondamental est très différent des peines et des confiscations civiles, des mesures punitives qui visent les comportements passés.
    En toute honnêteté, et avec tout le respect que je dois au secrétaire Lew, je ne suis pas d'accord avec lui. Les sanctions sont des mesures réactives et son imposées après que quelque chose de mal s'est produit, après qu'un pays s'est fait envahir, qu'un régime a violé les droits d'une population ou qu'un pays a lancé une campagne d'acquisition d'armes nucléaires. Les sanctions ne sont pas imposées de façon préventive, en prévision de ce qui pourrait se produire. Elles sont toujours imposées lorsqu'il s'est passé de mauvaises choses.
    Il est important de ne pas l'oublier, car en les envisageant, les pays n'examinent pas d'options idéales. Dans un monde idéal, il ne serait pas nécessaire d'infliger des sanctions, ni d'avoir des armées, mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. Parfois, il nous faut recourir à des mesures auxquelles nous ne préférerions pas avoir à recourir, dont l'imposition de sanctions.
    Parfois, les sanctions visent à bloquer le financement de mauvais joueurs, qu'il s'agisse d'individus qui commettent de graves violations des droits de la personne, comme c'était le cas pour la Sergei Magnitsky Rule of Law Accountability Act adoptée par le Congrès des États-Unis à la fin de 2012, ou encore du financement d'organisations terroristes. Parfois, elles sont conçues pour changer les comportements, comme dans le cas de l'Iran ou de l'agression de la Russie contre l'Ukraine et de son invasion.
    Il est important de montrer que les sanctions ont également une fin lorsque la cible des sanctions change son comportement. Le secrétaire Lew a dit que « puisque les sanctions visent à exercer des pressions sur de mauvais joueurs pour qu'ils changent leur orientation, nous devons être prêts à alléger les sanctions lorsque nous avons réussi; si nous ne le faisons pas, nous minons notre crédibilité et notre capacité de recourir à des sanctions pour susciter des changements d'orientation ».
    Permettez-moi de vous décrire les sanctions que nous avons mises en place contre la Russie. Deux sont actuellement en vigueur et deux autres font l'objet de discussions, mais aucune mesure n'a été prise.
    La loi de Magnitsky que j'ai mentionnée un peu plus tôt a été adoptée par le Congrès américain, ce qui signifie qu'il sera beaucoup plus difficile pour le président élu Trump de la retirer, bien qu'il aurait le pouvoir de ne pas imposer les sanctions qu'elle prévoit. Je dois malheureusement dire qu'aucun autre pays, ce qui inclut le Canada, n'a adopté de loi comparable à la Sergei Magnitsky act.
    Il y avait deux types de sanctions liées à l'Ukraine. L'une concernait l'annexion illégale de la Crimée par la Russie, et l'autre, l'intervention militaire russe dans le Donbass.
(1540)
     Ce sont des sanctions que le président élu Trump pourrait lever, en fait. Elles ne sont pas codifiées. Par contre, la levée de telles sanctions susciterait probablement une réaction très négative de la part du Congrès.
     Les deux autres concernent la Syrie et l'Irak, et on n'a fait que discuter de l'imposition de sanctions contre la Russie pour ses opérations militaires en Syrie, surtout à Alep, ainsi que pour le piratage de systèmes de courriel sans précédent aux États-Unis dont le but était d'essayer d'influencer le résultat des élections américaines.
     Je crains fort — et je terminerai là-dessus, monsieur le président — que Donald Trump lève les sanctions contre la Russie. Je crains également qu'avant même qu'il ait le pouvoir de le faire, il fasse en sorte que l'Union européenne, lorsqu'elle révisera les sanctions le mois prochain, décidera de ne pas prolonger les sanctions pour six autres mois. Je crois que ce serait très dangereux. Ce serait une catastrophe pour l'Ukraine, pour la région, et pour les principes de souveraineté et d'intégrité territoriale que bon nombre de sanctions étaient destinées à défendre.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup, monsieur Kramer.
    Nous passons tout de suite à M. Genser. Allez-y, s'il vous plaît.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie. Je suis heureux de témoigner devant votre comité permanent dans le cadre de l'examen exhaustif de la Loi sur les mesures économiques spéciales, ou LMES, et de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, ou LBBDEC. Je vais vous donner mon point de vue sur chacune de ces lois.
    Tout d'abord, vous n'êtes pas sans savoir que la LBBDEC a été promulguée en 2011, en plein coeur du printemps arabe, afin de venir en aide aux États instables sur le plan politique qui essayaient d'adopter un régime démocratique. La LBBDEC permet au Canada de bloquer temporairement les biens des dirigeants étrangers corrompus d'hier et d'aujourd'hui, ainsi que ceux de leurs familles ou associés. Il faut toutefois que l'État étranger nous le demande officiellement, l'objectif étant en fin de compte de récupérer ces biens au nom de cet État. La LBBDEC, compte tenu de sa portée relativement limitée, n'a toutefois été employée qu'à de rares occasions pour imposer des sanctions à des dirigeants étrangers corrompus, soit dans les cas de la Tunisie, de l'Égypte et de l'Ukraine. Notons que les sanctions envers l'Ukraine ont été autorisées conjointement aux termes de la LMES.
    Le grand problème du libellé actuel de la LBBDEC, selon moi, c'est qu'il nécessite qu'un État étranger se plaigne qu'une personnalité politique a volé des fonds, puis qu'il demande officiellement au Canada d'intervenir. On s'attend à ce que les gouvernements s'empressent de dénoncer la corruption dans leur pays, ce qui ne concorde pas avec la réalité étant donné que de nombreux pays du monde ne sont pas libres. En effet, d'après le rapport « Freedom in the World 2016 » de l'organisme Freedom House, dont M. Kramer était à la tête, seulement 86 pays peuvent actuellement être considérés comme étant libres, alors que 109 sont partiellement ou aucunement libres.
    Cette réalité a pour effet de limiter l'utilité de la LBBDEC, qui sert à pénaliser les anciens dirigeants corrompus une fois que les gouvernements corrompus ne sont plus en place, plutôt que d'imposer des sanctions fructueuses aux dirigeants corrompus toujours en place. En effet, les chefs d'État étrangers sont souvent complices de la corruption ou en profitent. Par conséquent, les gouvernements autoritaires fondés sur une corruption endémique sont totalement hors de la portée de la LBBDEC.
    Permettez-moi d'illustrer le problème.
    Je suis l'avocat bénévole de Mohamed Nasheed, le premier président à avoir été élu démocratiquement aux Maldives, un petit pays insulaire de l'océan Indien. L'homme a été renversé durant un coup d'État, puis en février et mars 2015, il a soudainement été arrêté, jugé, reconnu coupable et condamné à 13 années de prison pour des accusations liées au terrorisme. Les Nations unies estiment que sa détention était arbitraire et contraire au droit international. Grâce à d'énormes pressions de la communauté internationale contre les Maldives, Mohamed a été libéré en janvier 2016 et autorisé à se rendre au Royaume-Uni pour y recevoir un traitement médical.
    Il y a quelques mois à peine, soit en septembre 2016, le plus grand scandale de corruption dans l'histoire du pays a été mis au jour. Nous avons appris que près de 80 millions de dollars ont été volés à l'entreprise de tourisme qui appartient à l'État, et que le président Abdulla Yameen est au coeur du scandale. Des documents trouvés sur les appareils électroniques de l'ancien vice-président Ahmed Adeeb, qui est maintenant déchu et en prison, ont révélé un système clandestin selon lequel les hauts dirigeants des Maldives, y compris Yameen, des ministres de premier plan, des collaborateurs et des membres de la magistrature, recevaient des pots-de-vin et des sommes volées. Nous avons appris que les juges principaux ont reçu de l'argent et des appartements de luxe. Ils rencontraient régulièrement le président et son vice-président, qui ont déterminé l'issue d'affaires judiciaires en vue, y compris celle de Nasheed. Yameen lui-même aurait reçu des sacs d'argent renfermant jusqu'à 1 million de dollars.
    De plus, les documents ont révélé que les ministres et les collaborateurs du président envisageaient de blanchir jusqu'à 1,5 milliard de dollars avec l'aide de la banque centrale du pays et de quelques étrangers. D'autres documents faisant l'objet d'une fuite accusent Yameen de corruption et de fraude contre des entités publiques à hauteur de 150 millions de dollars. Il est notamment question de la vente de pétrole à l'ancienne dictature militaire de la Birmanie au début des années 2000, alors qu'elle faisait l'objet de sanctions de la part du Canada et des autorités internationales. Yameen s'est excusé publiquement du scandale, mais il a refusé d'admettre sa responsabilité.
    Or, aux termes de la LBBDEC, Yameen et ses ministres bénéficient d'un passe-droit et savent pertinemment que le Canada ne leur imposera aucune sanction pour cette corruption. Pire encore, tant que leur parti politique demeurera au pouvoir — notons que Yameen et son demi-frère Maumoon Gayoom ont dirigé le pays pendant 33 des 38 dernières années —, le Canada pourrait même être un endroit sûr leur permettant de transférer et de conserver leurs avoirs volés dans les banques canadiennes.
    Pourquoi est-ce important? En résumé, les gouvernements corrompus s'opposent souvent aux valeurs et aux priorités du Canada et d'autres pays occidentaux. Dans le cas des Maldives, le président Yameen a ramené son pays dans l'autocratie, l'a fortement harmonisé à la Chine, et lui a permis de devenir une zone névralgique de recrutement pour l'État islamique. On estime d'ailleurs que plus de 200 combattants des Maldives se sont rendus en Syrie et en Irak. Proportionnellement, c'est comme si 21 000 combattants du Canada partaient rejoindre l'État islamique. Je suis d'avis que tous ces faits nouveaux sont contraires aux intérêts du Canada.
(1545)
    Lorsque le Canada a adopté sa loi initialement, j'en comprends qu'il estimait qu'il serait plus facile d'intervenir si un gouvernement étranger faisait explicitement la preuve de la corruption et nous demandait de l'aide. Dans les exemples les plus extrêmes que j'ai décrits, je crois néanmoins qu'il serait avantageux que le Canada modifie la LBBDEC afin de pouvoir intervenir sans la demande d'un gouvernement étranger pour dénoncer publiquement la corruption à un haut niveau lorsqu'elle sévit à une telle échelle.
    Je vais en deuxième lieu parler de la Loi sur les mesures économiques spéciales, ou LMES. Même s'il est beaucoup plus simple d'imposer des sanctions aux termes de cette loi que dans le cas de la LBBDEC, on peut toujours faire mieux. À l'heure actuelle, le gouvernement canadien peut prendre des mesures unilatérales aux termes de la LMES seulement si « une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales est susceptible d’entraîner ou a entraîné une grave crise internationale ». Toutefois, ce seuil est nettement plus élevé que celui fixé par la Charte des Nations unies, qui permet au Conseil de sécurité de l'ONU d'imposer des sanctions économiques advenant « l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression ».
    Étant donné que le Canada utilise d'emblée la Loi sur les Nations Unies pour adhérer aux sanctions des régimes de l'ONU, rien ne justifie que le Canada fixe un seuil distinct et supérieur lorsqu'il impose des sanctions économiques en l'absence d'un régime des Nations unies. En plus, la Chine et la Russie ont déjà apposé leur veto pour empêcher arbitrairement l'imposition des sanctions de l'ONU, notamment en présence d'atrocités de masse.
    Afin de remédier à cette incohérence, je demande respectueusement au Parlement de modifier le paragraphe 4(1) de la LMES pour y inclure une troisième justification aux mesures économiques, en plus de celles relatives à « une organisation internationale » et à « une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales ». Je propose donc d'ajouter le libellé suivant: « ou bien pour prévenir des atrocités de masse réelles ou imminentes, ou pour y réagir, y compris le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité ». Un tel élargissement de la portée du libellé donnerait plus de poids au leadership international du Canada fondé sur les principes de droits de la personne.
    Pour terminer, tandis que le Canada se penche sur ses capacités à imposer des sanctions, j'espère sincèrement que le Parlement envisagera de modifier la LMES et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés afin d'autoriser le gouvernement à imposer des sanctions relatives à l'entrée et à la propriété à toute personne ou entité étrangère coupable d'exécutions sommaires, de torture ou d'autres violations graves des droits de la personne à l'échelle internationale.
    En mars 2015, le Parlement a adopté une résolution d'Irwin Cotler, et il a par le fait même appuyé à l'unanimité la création de sanctions semblables relatives aux droits de la personne. Or, les efforts déployés pour mettre en oeuvre ces changements qui ressemblent à la loi américaine Global Magnitsky ont été abandonnés. À mon avis, si le gouvernement disposait de pouvoirs semblables, il aurait suffisamment de marge de manoeuvre pour imposer des sanctions aux auteurs des violations des droits de la personne les plus atroces au monde.
    Je vous remercie infiniment de m'avoir permis de comparaître aujourd'hui devant votre comité permanent. Bien sûr, je serai heureux de répondre à vos questions.
(1550)
    Monsieur Genser, monsieur Kramer, merci beaucoup.
     Nous allons directement passer aux questions des membres du Comité. Le premier intervenant est M. Kent.
    Merci, monsieur le président.
    Messieurs, je vous remercie de votre témoignage d'aujourd'hui.
    Nous avons appris dans le cadre de notre étude que les sanctions ne sont efficaces que dans la mesure où les divers ministères peuvent, d'une part, surveiller la situation et imposer la conformité et, d'autre part, déceler les infractions et appliquer la loi.
    Aux États-Unis, le Bureau du contrôle des avoirs étrangers du département du Trésor joue un rôle d'enquêteur principal et de procureur. En fait, les représentants de différents organismes et ministères canadiens nous ont révélé qu'il y a un décalage entre leurs responsabilités respectives, qu'il s'agisse d'Immigration Canada, du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE, du Surintendant des institutions financières, de la Gendarmerie royale du Canada, ou GRC, ou bien du Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la proposition voulant qu'un organisme principal soit responsable des sanctions ainsi que du contrôle de la conformité et de l'application de la loi, afin que les sanctions soient plus efficaces, et qu'il ait le pouvoir d'orienter les autres organismes.
    La question s'adresse à vous deux. Monsieur Kramer, veuillez commencer.
    Je vous remercie infiniment de la question.
    Encore une fois, puisque je suis à Washington, je vais vous expliquer comment nous procédons aux États-Unis. Ma réponse repose aussi sur les huit années que j'ai passées au département d'État américain sous l'administration Bush.
    En fait, deux départements prennent l'initiative des sanctions. Sur le plan financier, lorsqu'il est question d'actifs, c'est le Bureau du contrôle des avoirs étrangers, ou OFAC, qui s'occupe des sanctions, comme vous l'avez dit. D'après mon expérience au sein du gouvernement, et même à l'extérieur de celui-ci, je trouve que l'OFAC est un des organismes du Trésor les plus efficaces. Il y a également des sanctions relatives aux visas, qui sont administrés par le département d'État. La responsabilité est donc partagée en fonction du type de sanction imposée.
    On parle surtout des sanctions financières, qui relèvent de notre département du Trésor — pas seulement aujourd'hui, mais en général aussi. Pour ce qui est du refus d'entrée à certaines personnes, comme les dirigeants russes qui figurent sur la liste Magnitsky — l'entrée aux États-Unis de ces personnes ou de leur famille est un privilège, et non pas un droit —, je pense que c'est un outil efficace. Il s'agit d'une mesure ciblée qui vise certains individus plutôt que d'une mesure générale.
    Ces sanctions relèvent du département d'État. L'octroi de visas est foncièrement discrétionnaire, ce qui signifie que les décisions ne peuvent pas être contestées devant les tribunaux. En revanche, les sanctions financières pourraient bel et bien être contestées devant les tribunaux. Elles nécessitent donc un niveau de preuve supérieur. Le département du Trésor doit veiller à ce que les sanctions l'emportent si jamais elles sont contestées.
(1555)
    Monsieur Genser.
    Brièvement, je ne connais évidemment pas très bien la façon dont le Canada s'organise sur ces questions, mais j'adhère bien entendu aux observations de M. Kramer au sujet des États-Unis.
    Même si la surveillance et la détection sont d'une importance capitale, ainsi que l'application de la loi, je ne minimiserais pas le pouvoir que confère l'autorité de rendre ce genre de sanction publique, comme je l'ai expliqué dans mon témoignage, et le fait de se prévaloir d'une telle autorité.
     Permettez-moi de vous donner un exemple tiré de ma propre expérience. J'ai été le conseiller juridique international d'Aung San Suu Kyi au cours de ses cinq dernières années de détention à domicile — elle est désormais à la tête d'une Birmanie bien plus démocratique. Récemment, les États-Unis ont levé toutes leurs sanctions financières contre la Birmanie, à l'exception de celles qui visent les narcotrafiquants ou les terroristes.
    Les sanctions générales qui avaient été imposées à de nombreuses personnes et entreprises bloquées ont été levées. Soit dit en passant, un de mes amis de Rangoon m'a parlé d'une entreprise birmane qui a été retirée de la liste. Les responsables de l'organisation ont essayé d'ouvrir un compte dans une banque américaine, mais l'établissement leur a répondu que même si l'entreprise n'est plus sur la liste américaine, elle figure toujours sur celle du Canada, ce pour quoi il a refusé d'ouvrir le compte.
    Pour l'instant, il se peut bien que vous n'ayez pas l'ensemble des outils bureaucratiques vous permettant d'agir à plus grande échelle, mais je ne minimiserais pas l'incidence de telles mesures. Je pense que l'histoire qui précède illustre exactement ce dont je parle.
    Je vous remercie.
    Vous avez parlé de la loi Magnitsky. Même si une motion appuyant les dispositions de cette loi a été adoptée à l'unanimité, vous avez raison de dire que le projet de loi d'initiative parlementaire est mort au feuilleton lors des élections de l'année dernière. Nous sommes maintenant saisis de deux nouveaux projets de loi qui s'inspirent de la loi Magnitsky à quelques différences près, l'un au Sénat, et l'autre à la Chambre des communes.
    Le ministre des Affaires étrangères du Canada a déclaré que la loi actuelle permet déjà de repérer les fonds obtenus frauduleusement qui se rapportent à l'affaire Magnitsky, et d'empêcher qu'ils n'entrent au Canada. Cependant, M. Browder du fonds Hermitage a récemment communiqué des renseignements à la GRC démontrant que des millions de dollars sont passés inaperçus et sont entrés au Canada, puis ont quitté le pays par l'entremise de plusieurs organismes. Il semble que le Canada sert de base pour des millions de dollars d'activités frauduleuses. Vous avez tous les deux parlé de l'importance de la loi Magnitsky aux États-Unis. J'aimerais savoir si M. Browder veut dire que le Canada a besoin d'une loi Magnitsky.
    Je peux répondre avec plaisir.
    Je pense qu'il serait bel et bien bénéfique que le Canada adopte une loi semblable à la loi Magnitsky. Aux États-Unis, le président n'avait pas nécessairement besoin de cette loi pour s'attaquer aux personnes impliquées dans l'affaire Magnitsky. Le président des États-Unis a déjà le pouvoir d'imposer des sanctions aux personnes coupables de violations éhontées des droits de la personne, un pouvoir qu'il a délégué au secrétaire d'État et au secrétaire du Trésor. Il peut même s'attaquer aux individus impliqués dans une importante affaire de corruption, que ciblera également la Global Magnitsky Act, qui n'a pas franchi l'étape du Congrès américain.
    Les États-Unis ont été le seul pays à adopter la loi Magnitsky. C'est arrivé il y a maintenant près de quatre ans, et aucun autre pays démocratique n'a adopté de loi similaire. Je pense que de telles dispositions aideraient les gouvernements à imposer les sanctions prévues à la loi, étant donné que les gouvernements ont parfois besoin d'un soutien supplémentaire du parlement pour s'attaquer aux personnes impliquées dans des violations éhontées des droits de la personne. Je comprends pourquoi les gouvernements hésitent à codifier les sanctions, étant donné qu'il est plus difficile de les lever une fois qu'elles sont dans la loi. En revanche, sans cette codification et sans l'adoption de dispositions législatives, les gouvernements sont parfois moins enthousiastes à l'idée de proposer des sanctions.
(1600)
    Je vous remercie.
    J’ai eu l’occasion de travailler avec des gouvernements canadiens de diverses allégeances politiques au fil des ans. À mon avis, le Canada ne mâche pas ses mots et défend ardemment les droits internationaux de la personne, peu importe le gouvernement au pouvoir. Bien entendu, les points de vue diffèrent, mais c’est l’expérience que j’ai eue au Conseil des droits de la personne des Nations unies, à Genève, sur les questions relatives aux droits de la personne, aux Nations unies, à New York, et dans d’autres forums multilatéraux, dont l’OEA.
    Je crois que l’adoption d’une telle loi cadrerait très bien avec le leadership dont a fait preuve le Canada à l’échelle internationale. Évidemment, je suis d’accord avec M. Kramer qu’il existe peut-être d’autres pouvoirs. Je ne suis pas un expert en droit canadien; je n’ai pas été admis au barreau canadien. Toutefois, selon Irwin Cotler, que je connais depuis de nombreuses années, bien qu’il existe des pouvoirs relativement à certains aspects du cas Magnitsky, il n’en existe pas pour les autres.
    En parlant d’une seule voix sur la question de l’identification et de la censure par l’entremise d’interdictions de voyager et de blocages de biens imposés aux auteurs des violations les plus flagrantes des droits de la personne, et en adoptant de façon systématique un ensemble de changements à ses lois, le Canada enverrait un message très clair à la communauté internationale, soit que les valeurs enchâssées dans la Charte canadienne des droits et libertés constituent un élément très important de la politique étrangère du pays.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Fragiskatos, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Ma question s’adresse à M. Kramer.
    Je m’inquiète particulièrement des conséquences involontaires. Peut-être un des plus éminents spécialistes en matière de politique de sanctions au Canada, Kim Richard Nossal, nous a parlé récemment de la capacité qu’ont les régimes autoritaires à ignorer les sanctions qui leur sont imposées ou à ne pas en ressentir l’impact. Dans un article qu’ils ont publié en 2010 intitulé « Dealing with Tyranny: International Sanctions and the Survival of Authoritarian Rulers », Joseph Wright et Abel Escribà-Folch, deux universitaires renommés, ont relevé qu’en réaction aux sanctions qui leur sont imposées, les régimes autoritaires ne font qu’augmenter l’impôt sur le revenu, recettes qu’ils utilisent ensuite pour renforcer leurs outils de répression, soit la police ou l’armée, notamment.
    Si nous choisissons d’emprunter cette voie, je m’inquiète surtout de la réaction de la Russie — elle a d’ailleurs déjà réagi à diverses sanctions. La loi Magnitsky ne semble pas avoir suscité le genre de changement politique souhaité. Je n’approuve pas les manoeuvres de la Russie en Ukraine ou ailleurs, et je crois que la démocratie en Russie fait défaut. Cependant, si le Canada décide d’adopter sa propre version d’une loi Magnitsky, y aura-t-il des conséquences involontaires, notamment le renforcement de l’État russe?
    Merci beaucoup pour cette question. Vous soulevez un point très important.
    En 2012, peu de temps après que le Congrès américain eut adopté la loi Magnitsky et que le président l’eut signée, le président Poutine a réagi en interdisant l’adoption d’orphelins russes par des citoyens américains. Il s’est attaqué aux plus vulnérables et innocents et il les a punis. Évidemment, ce n’était pas ce que nous souhaitions. De plus, les citoyens américains qui souhaitaient offrir aux orphelins russes un foyer accueillant ont eux aussi été punis. Tout cela témoigne de la nature de M. Poutine et de son régime: il réagit aux sanctions en punissant ses propres citoyens.
    Il a agi de façon similaire après que plusieurs pays eurent imposé à la Russie des sanctions associées à la crise en Ukraine; il a interdit l’importation de produits alimentaires et agricoles des pays concernés. Encore une fois, Poutine a imposé à ses citoyens des sanctions plus sévères que celles imposées à la Russie. Il y a des conséquences involontaires, et vous avez tout à fait raison de soulever la question, mais…
    Je crois que vous conviendrez qu’il s’agit de conséquences très lourdes du point de vue des droits de la personne.
    Absolument, mais ce ne sont pas les sanctions imposées le problème. Le problème, c’est que les pays de l’occident n’ont pas réussi à expliquer à leurs propres citoyens — et aux citoyens russes, quoique cela est difficile compte tenu du contrôle qu’exerce Poutine sur les médias — que ce sont les sanctions imposées par Poutine contre ses citoyens qui ont été les plus lourdes.
    En réaction aux sanctions que nous avons imposées…
    Compte tenu de la nature des médias en Russie, il serait difficile de communiquer ce message. Si une superpuissance comme les États-Unis n’est pas en mesure de le faire, je doute qu’une puissance moyenne comme le Canada puisse y arriver.
    Je suis désolé de vous interrompre, mais mon temps d’intervention est limité.
    M. David Kramer: Je comprends.
    M. Peter Fragiskatos: Selon vous, la Russie est-elle le pire pays au monde en matière de violation des droits de la personne? J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi l’on s’attarde tant sur la Russie alors qu’il y a probablement pire en matière de violation des droits de la personne, malgré le caractère flagrant de violations commises par la Russie. J’ai beaucoup de respect pour M. Magnitsky et M. Browder, qui prend fait et cause pour M. Magnitsky et pour de très bonnes raisons morales.
    La Russie est-elle le pire pays au monde en matière de violation des droits de la personne? En un mot, non. Toutefois, elle est l’un des pires, et la situation ne fait qu’empirer, surtout depuis le retour au pouvoir de Poutine, en 2012. Comme l’a souligné M. Genser, j’ai déjà dirigé la Freedom House. Celle-ci maintient une catégorie intitulée « les pires des pires », et la Russie n’en fait pas partie, contrairement à des pays, comme l’Ouzbékistan, le Turkménistan, la Corée du Nord, la Syrie et l’Arabie saoudite.
     Votre question m’amène à dire que c’est pour cette raison que j’appuie l’adoption d’une loi Magnitsky qui s’appliquerait au monde entier, une loi qui se fait toujours attendre. Une telle loi attirerait l’attention sur d’autres pays qui commettent de graves violations des droits de la personne. À mon avis, la Russie n’est peut-être pas la pire à cet égard, mais il faut profiter des occasions qui se présentent.
    Sauf votre respect, je suis un peu confus. Ne serait-il pas préférable de s’attaquer aux pires contrevenants en matière de violations des droits de la personne pour envoyer un message clair que nous les avons à l’œil?
    J’aurais une dernière question à vous poser. Combien d’entités se sont vues imposer une interdiction de voyager ou se sont fait bloquer des biens en vertu de la loi Magnitsky?
(1605)
    D’abord, oui, j’aimerais que nous nous attaquions à d’autres pays. C’est la raison pour laquelle j’appuie l’adoption d’une loi Magnitsky qui s’appliquerait au monde entier. Toutefois, l’histoire de M. Magnitsky était une occasion idéale de nous attaquer aux dirigeants russes responsables de graves atteintes aux droits de la personne.
    Si je ne m’abuse, aucune entité n’a été touchée en vertu de la loi Magnitsky. Cette loi s’applique aux particuliers et non aux entités. Elle interdit aux particuliers l’entrée aux États-Unis et autorise le blocage de leurs biens au pays, s’il y a lieu. Si je ne m’abuse, 38 personnes figurent sur la liste publique et au moins deux sur la liste classifiée.
    Merci, monsieur Kramer. J’ajouterais simplement que le Canada a adopté des mesures qui permettent d’interdire l’entrée au pays aux auteurs de violations des droits de la personne.
    Monsieur Genser, vous avez parlé de réformes. À moins de me tromper, vous faisiez référence à la LBBDEC. Vous avez proposé d’ajouter à la loi une composante portant sur le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre — de réelles violations systématiques des droits de la personne. Pourriez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet?
    Oui. Si j’ai bien lu, la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur les Nations unies permettent au Canada d’imposer… encore une fois, le langage est clair, mais je n’ai pas été admis au Barreau canadien. On met l’accent sur les pays qui inquiètent beaucoup le Canada. Une des raisons qui permet au Canada d’intervenir, c’est si les Nations unies ont déjà imposé des sanctions. C’est l’un des ensembles d’autorisations. Un autre ensemble d’autorisations s’appuie sur ce libellé très général au sujet des menaces imminentes à la sécurité et à la paix internationale.
    À mon avis, la loi en vigueur ne tient pas compte de situations où le Conseil de sécurité n’a pas adopté de sanction — d’ailleurs, dans certains cas, des membres du conseil ont opposé leur veto, par exemple, en ce qui concerne la Syrie —, mais qui, selon ma lecture des déclarations de vos premiers ministres et ministres des Affaires étrangères, actuels et passés, préoccupent beaucoup le Canada. À la lecture de la loi en vigueur, je ne comprends pas pourquoi le Canada aurait un seuil plus élevé que le Conseil de sécurité en ce qui a trait à l’imposition de sanctions.
    J’ai simplement dit que le Canada aimerait peut-être pouvoir imposer des sanctions économiques en cas de massacre imminent ou réel. Certaines situations préoccupent le Conseil de sécurité et le Canada aurait imposé des sanctions dans ces situations si des membres du conseil, comme la Russie et la Chine, n’avaient opposé leur veto à de telles mesures.
    Merci, monsieur Fragiskatos

[Français]

     Madame Laverdière, vous avez la parole.
(1610)
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie les deux témoins de leurs présentations.
    Monsieur Genser, j'ai été très intéressée par votre commentaire sur les sanctions des Nations unies. On sait que ces sanctions sont souvent bloquées par manque de consensus au sein du Conseil de sécurité. Cela dit, je trouve fort intéressant votre point de vue sur les mass atrocities — je suis désolée, parfois je passe du français à l'anglais —, ou les atrocités de masse et les génocides.
    Compte tenu des limites existantes par rapport au consensus au sein du Conseil de sécurité, considérez-vous que la base de l'action des Nations unies est suffisante? Sinon, devrait-elle être révisée également?

[Traduction]

    Il y a un écart considérable entre les engagements de la communauté internationale et leur mise en oeuvre. J’ai publié un livre intitulé The Responsibility to Protect qui porte sur l’obligation qu’ont tous les pays de prévenir les massacres. Ce n’est donc pas par hasard si je cite ces quatre groupes de crimes dans ma proposition. Ce sont les quatre groupes de crimes cités dans la « responsabilité de protéger » adoptée à l’unanimité dans le cadre du Sommet mondial de 2005 de l’ONU.
    D’ailleurs, je travaille à un article d’examen de droit qui constituera la première évaluation de la façon dont le Conseil de sécurité a adopté le concept de la responsabilité de protéger et les engagements qu’il a pris en ce sens.
    Fait intéressant, depuis l’adoption de la responsabilité de protéger, en 2005, et malgré les inquiétudes relatives à la participation de certains pays, comme la Russie et la Chine, même s’ils ne s’intéressent pas à ce genre de concept… Dans le cadre de mon examen des engagements pris par le conseil au cours des 11 dernières années, j’ai remarqué que le Conseil de sécurité ou son président ont souligné plus de 150 ou 200 fois la responsabilité de protéger dans leurs déclarations. D’ailleurs, c’est devenu une norme pour le Conseil de sécurité d’utiliser cette obligation comme élément de motivation à une intervention et, bien entendu, à l’adoption de mesures plus sérieuses, comme les sanctions économiques ou l’utilisation de la force, des mesures qu’il peut adopter conformément au Chapitre 7.
    Évidemment, les réalités endémiques de la Charte des Nations unies, si l’on remonte à la création de l’organisation et à l’attribution du droit de veto aux P-5, ont contrecarré les interventions dans les régions suscitant des différends politiques des plus complexes et conflictuels entre les P-5. Nous savons que le conseil a déjà imposé des sanctions précises contre un pays, par exemple, la Libye, soit à la suite d’un consensus des membres ou en raison de l’absence de votes contre de telles sanctions. Concernant la Syrie, aucun consensus n’a encore été dégagé.
    Ce que je dis, de façon générale, c’est qu’à mon avis, le fait que le conseil ne soit pas en mesure de dégager un consensus n’empêche en rien le Canada d’adopter des mesures. Encore une fois, je suis un observateur externe. Vous m’excuserez si je me concentre uniquement sur le sujet de la séance d’aujourd’hui, mais après avoir lu ces lois, c’est mon opinion.
    Ceci dit, j’ajouterais que le Canada n’est pas tenu d’imposer des sanctions économiques uniquement si le conseil en fait autant ou si l'on utilise ce libellé agressif — beaucoup plus agressif que ce que nécessite le conseil, à mon avis —  pour parler de menaces imminentes et de crises internationales majeures, qui n’incluent pas nécessairement les massacres, mais qui pourraient être principalement de nature interne.

[Français]

    Merci beaucoup.
    J'aimerais revenir sur les lois canadiennes.
    Vous avez parlé de modifier la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus pour donner plus de flexibilité en ce qui concerne les abus liés aux droits de la personne. Je sais que les présentations sont très courtes, mais j'aimerais que vous fassiez brièvement le tour de la question en nous rappelant les amendements que vous suggérez qu'on apporte à cette loi.

[Traduction]

    Le Canada a fait un pas important vers l’avant il y a quelques années en adoptant la LBBDEC. Tout ce que je dirais, en tant qu’observateur externe, c’est qu’il me paraît étrange que le Canada ne gèle les fonds de dirigeants gouvernementaux actuels ou passés corrompus ou de leurs familles que si le gouvernement concerné lui en fait la demande. À mon avis, c’est la corruption endémique qui dicte les actions de nombreux gouvernements corrompus partout dans le monde, notamment les gouvernements autoritaires. Les dirigeants de ces pays aiment surtout voyager à l’étranger, car ils ne peuvent pas retrouver le même style de vie dans leur propre pays là où ils doivent rendre des comptes. Honnêtement, le peuple est incapable de les y obliger.
    Selon moi, il y a une grande différence entre disposer de pouvoirs et exercer des pouvoirs. Je suis conscient que, sur le plan politique, il est difficile pour tout gouvernement de décider d’imposer des sanctions contre des dirigeants étrangers corrompus ou les membres de leur famille, car ils doivent avoir suffisamment de preuves pour agir ainsi. Mais, dans les cas les plus flagrants… il suffit de regarder ce qui se passe aux Maldives ou même en Malaisie, par exemple, où le premier ministre a reconnu avoir reçu de l’Arabie saoudite un dépôt de plus de 650 millions de dollars dans son compte bancaire personnel, somme qu’il a remboursée, dit-il, sauf environ 50 millions.
    Il a dit cela publiquement. Pourtant, dans de telles circonstances, s’il demandait au gouvernement du Canada d’imposer des sanctions contre l’Arabie saoudite, le Canada n’en aurait pas le pouvoir. Selon moi, dans les cas de corruption flagrante à grande échelle, il serait utile pour le Canada, en vertu de la LBBDEC, d’avoir le pouvoir d’adopter des mesures unilatérales sans qu’un gouvernement lui en fasse la demande.
    Je ne dis pas que le Canada devrait jouer le rôle de policier en matière de corruption dans le monde et enquêter sur tous les pays et les possibles cas de corruption. Je parle seulement des cas exceptionnels et flagrants où la communauté internationale a condamné le gouvernement concerné pour avoir participé à ce genre de corruption à grande échelle.
(1615)

[Français]

     Monsieur Kramer, vous nous avez aussi parlé d'une étude qui souligne qu'environ 3 % des sanctions avaient eu l'effet souhaité.
    Dans le cadre de nos réunions, on nous a souvent dit que les sanctions ont pour but de changer un comportement, mais qu'elles peuvent aussi viser d'autres buts. Parfois, il s'agit simplement d'envoyer un message.
    Dans cette étude qui fait état d'un taux de succès de 3 %, est-ce qu'on considère qu'il y a eu un succès seulement quand il y a eu un changement de comportement? On sait qu'il y a eu une évolution dans la façon d'appliquer les sanctions. Sur quelle période de temps cette étude a-t-elle été faite?
    Merci.

[Traduction]

    D’abord, je tiens à préciser que l’étude de Gary Hufbauer à laquelle j’ai fait référence a été réalisée en 2009 à l’époque où il était à l’Institute for International Economics, que l’on appelle maintenant le Peterson Institute. M. Genser aurait peut-être plus de détails que moi à ce sujet. Je suis désolé, mais je n’ai pas l’étude devant moi.
    Toutefois, je précise que l’étude fait état d’un taux de succès de 34 % et non de 3 %.
    D’accord.
    La définition de succès peut varier en fonction des objectifs fixés dans une certaine situation. Prenez à titre d’exemple les pressions exercées sur le régime de l’apartheid en Afrique du Sud par l’intermédiaire des principes Sullivan et d’autres sanctions. Un autre exemple serait les sanctions internationales adoptées contre l’Iran pour l’obliger à venir à la table des négociations. Je conviens que c’est difficile à prouver, mais je suis convaincu que les sanctions prises par le Canada, les États-Unis et l’Union européenne contre la Russie ont empêché la Russie d’aller plus loin en Ukraine. Je tiens également à souligner que la capacité des Ukrainiens de défendre leur territoire contre d’autres actes d’agression commis par la Russie a joué un rôle semblable, voire plus important, pour restreindre l’avancée de la Russie.
    Cela dépend donc de la définition qu’on donne du succès. Cela dépend des objectifs. Parfois, il s’agit d’empêcher qu’une situation défavorable ne s’envenime, peut-être, plutôt que de régler le problème entièrement.
(1620)
    Merci.
    Merci, madame Laverdière.
    Nous passons à M. Levitt.
    Bonjour et merci d’être venus témoigner au Comité aujourd’hui.
    J’aimerais poursuivre dans la même veine que la question de ma collègue, Mme Laverdière. J’aimerais en savoir davantage sur l’incidence que pourrait avoir l’accroissement de la portée de la LMES au-delà de son libellé actuel, soit « une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationale », pour en faire quelque chose qui serait, disons, davantage un cadre mondial de type Magnitsky. Plus particulièrement, si nous modifiions la LMES de façon à inclure les violations des droits de la personne, quelle définition leur donnerait-on?
    Y a-t-il une définition des violations flagrantes des droits de la personne faisant consensus à l’échelle internationale ou, à tout le moins, une définition de base? Quel est l’éventail de violations qu’on pourrait viser? Y a-t-il des préoccupations à l’égard des seuils — trop élevés ou trop bas — et, comme vous venez de le mentionner, à l’égard de la possibilité qu’on demande ensuite au Canada d’intenter des poursuites partout dans le monde, soit parce que ce serait dans l’intérêt public ou dans l’intérêt d’autres pays?
    Dites-nous quelle forme prendrait la réussite. Comment pouvons-nous définir cette mesure pour qu’elle ait suffisamment de mordant pour nous permettre d’atteindre les résultats souhaités, qui sont de contraindre et, dans une certaine mesure, de punir ceux qui commettent des violations flagrantes des droits de la personne? De plus, comment pouvons-nous éviter de nous retrouver encore une fois avec des conséquences imprévues, théoriquement, dans des situations où nous devrons constamment refuser les demandes de toutes parts pour mettre en oeuvre et faire appliquer ces lois?
    N’importe lequel d’entre vous peut commencer; vous pouvez tous les deux répondre à la question.
    Je vais commencer, étant donné que j’ai proposé des modifications précises, ou des suggestions à cet égard.
    Je parle de deux choses distinctes. La première est liée à la LMES et aux pouvoirs existants qu’on y trouve. Il s’agit soit d’intervenir par l’intermédiaire de l’ONU, lorsque l’ONU adopte des sanctions, ou d’intervenir en fonction de critères plus élevés, comme « menace imminente » ou « conflit majeur », etc.
    En ce qui concerne les définitions des quatre catégories d’« atrocités de masse », je les ai choisies intentionnellement, comme je l’ai indiqué, parce que la responsabilité de protéger fait consensus à l’échelle internationale. Le Canada a en effet joué un rôle prépondérant pour encourager l’adoption de cette mesure, en 2005. Tous les crimes sont définis en droit international. Il y a un consensus quant à la nature de ces actes et à leur définition.
    J’estime qu’accroître la capacité — et les pouvoirs, encore une fois — du Canada d’imposer des sanctions aux gouvernements qui posent un risque imminent ou réel de commettre des atrocités de masse est un seuil plutôt élevé quant à la prise de mesures concrètes. Il ne s’agit pas de viser au hasard un gouvernement quelconque ou beaucoup d’autres. On parle d’un groupe très restreint de gouvernements dans le monde.
    Je parle davantage de l’application à des individus, à ceux qui commettent des violations flagrantes des droits de la personne, plutôt qu’aux États-nations, etc. Comment pourrons-nous définir et établir des seuils de façon efficace pour que ce soit applicable aux individus qui se livrent à la corruption et qui violent les droits de la personne?
    Je pense que cela se fera de la même façon qu’on débat de toute autre question à laquelle on peut être confronté. « Violation flagrante des droits de la personne » est une expression générique qui n’a pas de définition juridique précise. On parle encore une fois de la participation à des activités comme les exécutions extrajudiciaires, la torture ou d’autres crimes très graves; 98 % des infractions ne correspondront pas à cette définition. Lorsque les gouvernements décident de la manière d’imposer des sanctions... Le libellé de la loi Magnitsky, dans sa forme actuelle, comprend des définitions de ce genre; la loi Magnitsky mondiale pourrait reprendre l’ensemble des définitions de la loi américaine.
    Il revient en fin de compte à chaque gouvernement de décider où consacrer ses ressources limitées et cibler ses interventions dans divers contextes. Aucun gouvernement au monde ne pourra faire appliquer l’ensemble de ces normes simultanément et de façon uniforme à tous les autres gouvernements et intenter des poursuites contre tous ceux qui violent les droits de la personne. Toutefois, l’idée est que le Canada — qui détient à mon avis une autorité morale considérable en tant que pays démocratique et défenseur de la liberté et des droits de la personne, à l’instar des États-Unis et de plusieurs autres pays occidentaux — devrait pouvoir affirmer que certaines actions violent les normes fondamentales de la conduite internationale, qui visent à la fois les gouvernements et les individus.
    Ceux qui se livrent à des exécutions extrajudiciaires, par exemple... Je pense notamment à ceux qui créent une faction de l’Armée de résistance du Seigneur ou qui ont massivement recours aux enfants soldats. Je ne parle pas d’un individu quelconque qui s’en prend à un voisin et qui le tue accidentellement. Une telle situation serait manifestement sous le seuil dont j’ai parlé.
    Je parle de crimes qui peuvent être révélés, je crois, par les organisations internationales de défense des droits de la personne, les gouvernements, les organismes internationaux comme l’ONU et les organismes régionaux. Lorsqu’on assiste à des situations scandaleuses de ce genre, il convient de cibler ceux qui y jouent un rôle prépondérant plutôt que tous ceux qui ont commis un acte répréhensible. Il s’agit de cibler ceux qui symbolisent ces actes, de façon à exprimer notre solidarité avec les victimes de ces situations. Il faut aussi veiller à ce que les personnes qui détournent des actifs et qui tentent presque toujours de les mettre à l’abri à l’étranger, en dollars américains ou canadiens, ou en euros, ne puissent le faire facilement dans des endroits qui échappent à la vigilance de la communauté internationale.
(1625)
    Monsieur Kramer.
    Je souscris entièrement aux propos de M. Genser. Prenez par exemple les sanctions liées à l’Ukraine. Les États-Unis ainsi que le Canada et l’Union européenne, je crois, ont inscrit le nom de certaines personnes sur la liste des sanctions en raison de leur contribution ou de leur participation à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à l’annexion illégale de la Crimée par la Russie. Dans quelques cas, des membres du Parlement russe ont été inscrits sur la liste des sanctions en raison du rôle important qu’ils ont joué dans cette affaire.
    Pensez à l’annexion illégale de la Crimée. Il ne s’agit pas du meurtre d’une personne ni d’actes de torture de masse, mais il s’agit tout de même d’une violation d’un des principes fondamentaux des concepts de souveraineté et d’intégrité territoriale d’un État-nation. La Russie est le premier pays d’Europe à annexer par la force le territoire d’un autre pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Je conviens tout à fait que cette action exigeait une réponse, tant de façon générale, par rapport à certaines entités et certains secteurs, que sur le plan individuel.
    J’irais même un peu plus loin. L’Union européenne a imposé des sanctions à Dmitry Kiselev, le dirigeant de la chaîne RT, le réseau de propagande calomnieuse de la Russie. Il n’a pas été placé sur cette liste parce qu’il est journaliste. Il n’est pas journaliste. On parle d’un individu qui se livre à la propagande et à l’incitation à la haine et qui favorise l’instauration d’un climat dans lequel le meurtre de Boris Nemtsov est permis, dans lequel on parle de réduire les États-Unis à l’état de cendres radioactives.
    Je dirais que vous devriez faire ce qu’on appelait auparavant le test du Washington Post. Si vous ne voulez pas qu’on vous photographie avec une personne quelconque et que vous voulez éviter que cette photo se retrouve à la une du Washington Post, vous êtes probablement en présence d’une personne contre laquelle vous devriez imposer des sanctions. On ne dit pas pour autant que tous les individus douteux devraient être inclus dans la liste. Nous avons des ressources limitées pour faire appliquer ces sanctions. Toutefois, j’estime qu’il est extrêmement important de cibler certains d’entre eux pour signifier que la participation à ce genre d’activité expose leurs auteurs à des sanctions.
    J’ai une petite question complémentaire par rapport à un autre point.
    Au début, vous avez parlé de l’uniformité des sanctions et de la capacité de collaborer avec nos alliés aux vues similaires pour exiger des comptes de certaines personnes dans le contexte international actuel, où l’on assiste à une baisse de l’efficacité du Conseil de sécurité quant à l’adoption de sanctions en raison des clivages au sein de cette entité, et au retrait de certains pays de la Cour pénale internationale. Selon vous, quelle sera l’incidence de l’arrivée du président élu Trump, et quelle sera la nouvelle politique étrangère des États-Unis, qui ont été un des principaux promoteurs de sanctions axées sur une approche individuelle? À votre avis, qu’est-ce que cela représente, tant pour les États-Unis que pour ses alliés aux vues similaires qui pourraient aller dans cette direction? De votre point de vue, quel genre de message cela envoie-t-il? Le Canada devrait-il se pencher là-dessus dès maintenant, dans le cadre de l’examen de ces sanctions?
    Je vais parler sans détour. Je suis républicain; j’ai vivement critiqué Donald Trump pendant sa campagne. Je n’ai pas appuyé sa candidature. Je suis extrêmement préoccupé par le sort qui attend le régime de sanctions à l’égard de la Russie. Avant mon arrivée ici aujourd’hui, on m’a informé qu’il a eu aujourd’hui même une discussion au téléphone avec Vladimir Poutine. Ils ont parlé d’une rencontre possible, même avant la cérémonie d’investiture de Donald Trump, prévue le 20 janvier. Je suis très préoccupé que l’intérêt que porte Trump au rétablissement de relations normales avec la Russie puisse entraîner la fin des sanctions des États-Unis contre la Russie, ce qui empêcherait ensuite l’Union européenne de renouveler ses sanctions. Cela pourrait aussi avoir des répercussions sur votre pays.
    Je pense que c’est extrêmement troublant. Je ne peux donc pas vous dire qu’il n’y aura aucun changement. Je crains que nous entrions dans un nouvel ordre mondial qui ne soit pas aussi ordonné qu’on le voudrait.
(1630)
    Je pense que nous devrons en rester là.
    Chers collègues, je tiens à remercier en votre nom nos deux témoins, M. Genser et M. Kramer, de cette excellente et franche discussion sur la question des sanctions.
    Comme vous l'avez peut-être remarqué, le Comité doit examiner l'ensemble des facteurs liés à la façon dont l'État pourrait faire appliquer une telle mesure, advenant l'inclusion des violations flagrantes des droits de la personne. C'est une question légitime que nous avons posée à presque tous les témoins. Pour être honnête, nous n'avons pas encore eu une bonne réponse à cette question, tout simplement parce que d'autres pays, à mon avis, cherchent aussi une solution à cet égard. Nous devrons résoudre cette question si nous souhaitons recommander au gouvernement d'adopter cette mesure, car les lois n'ont de valeur que si elles peuvent être mises en oeuvre de façon efficace.
    Nous tenons à vous remercier beaucoup de vos exposés. Si vous avez des informations que vous jugez utiles pour le Comité, je vous prie de nous les faire parvenir. Nous cherchons toujours à avoir le plus de renseignements possible, de sources fiables, à ce sujet.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Nous allons faire une pause de deux minutes — je dis bien deux minutes — pour que nous puissions établir la communication avec notre prochain témoin. Merci.
(1630)

(1635)
    Reprenons, chers collègues. J'aimerais simplement présenter notre prochain témoin. Il s'agit de M. Andreï Sannikov, qui est un politicien et un militant du Bélarus. M. Sannikov a été sous-ministre des Affaires étrangères du Bélarus entre 1995 et 1996, poste qu'il a quitté en signe de protestation. Il est cofondateur du groupe d'action civile Charter 97, et il s'est porté candidat lors de l'élection présidentielle du Bélarus de 2010. En 2011, M. Sannikov a été condamné à cinq ans d'emprisonnement pour avoir organisé des troubles de masse. Il a été libéré et a obtenu un pardon en 2012.
    J'ai pensé qu'il était important de présenter M. Sannikov, aux fins de compte rendu. Je lui souhaite la bienvenue au Comité. Je vais maintenant céder la parole à M. Sannikov, pour lui permettre de faire son exposé. Ensuite, si cela convient à tout le monde, nous passerons directement aux questions.
    Monsieur Sannikov.
    Bonjour à tous; bon après-midi. Il est très tard ici, à Varsovie.
    Je suppose que vous voulez entendre parler de l'efficacité de la politique de sanctions à l'égard des personnes responsables de violations des lois internationales et des lois nationales. Je peux vous dire, selon mon expérience, que cette politique est très efficace lorsqu'on la met en oeuvre. Pourquoi? Dans un pays comme le Bélarus, où un régime dictatorial est en place, en particulier celui qui existe depuis tant d'années, et où il n'y a pas d'appareil judiciaire, le principal facteur qui favorise la répression — et je ne parle pas de l'opposition politique — des médias de masse et des défenseurs des droits de la personne est l'impunité.
    Étant donné que nous ne pouvons compter sur un appareil judiciaire... Ce n'est pas seulement moi qui le dis. Il s'agit de la conclusion à laquelle le rapporteur spécial des Nations Unies sur l'indépendance du pouvoir judiciaire en est venu au terme de sa visite au Bélarus et de son étude sur la situation pays, qui remonte à l'an 2000. Dans ce rapport, il avait fait une évaluation très négative de l'appareil judiciaire, et la situation n'a fait qu'empirer depuis.
    Notre seul espoir à l'égard d'un appui à nos demandes très légitimes pour le respect de principes démocratiques réside dans une évaluation, par la communauté internationale, de la situation dans des pays comme le Bélarus ainsi que dans la solidarité de la communauté internationale fondée sur le principe du respect des droits de la personne et de l'appui aux demandes légitimes de la population du Bélarus. Ces demandes, encore une fois, ne sont pas théoriques; elles ont été appuyées et signées à maintes reprises par les autorités du Bélarus. Il s'agit notamment des documents de l'OSCE, de la Charte de Paris et d'autres. Je dois préciser qu'il ne s'agit pas seulement des politiciens, mais aussi de la population générale, car la situation qui prévaut au Bélarus, avec ce régime répressif, touche l'ensemble de la société, toutes les professions et tous les milieux.
    C'est avec plaisir que je répondrai à des questions précises. Je comprends que vous pourriez avoir besoin d'observations précises sur la situation dans mon pays, mais d'autres pays sont dans la même situation.
    Je me dois d'insister sur une chose: nous avons besoin d'un instrument international quelconque. À mon avis, une Loi Magnitsky mondiale serait la mesure la plus efficace, car il s'agit d'une loi conçue pour une ère nouvelle. Elle permettrait de régler les problèmes auxquels sont confrontés tous les tenants de la démocratie, tant dans les pays démocratiques que dans les pays où l'on observe des activités prodémocratie, comme le Bélarus.
    Merci.
(1640)
    Merci beaucoup.
    Je cède tout de suite la parole à M. Kent. Allez-y, monsieur.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur l'ambassadeur, je vous remercie de votre témoignage et de vous être rendu disponible.
    Nous avons entendu de nombreux témoins parler de l'inefficacité des sanctions générales contre les pays. Dans le cas de la Russie, nous savons que l'attitude et le comportement de Vladimir Putin n'ont pas changé depuis l'invasion de la Crimée et de l'Ukraine.
    On nous a aussi dit que les sanctions ciblées contre certains de ses associés criminels, certains oligarques impliqués dans le blanchiment d'argent, par exemple, avaient une incidence sur eux. Ils se sentent isolés, montrés du doigt, humiliés, ostracisés et selon certaines circonstances, lorsque leur nom figure sur les diverses listes nationales, ils ne peuvent pas se déplacer librement et profiter de leurs gains illicites dans d'autres régions du monde.
    J'aimerais que vous me disiez, d'après votre expérience et vos observations, si vous pensez que les sanctions ciblées sont toujours efficaces et si, même si elles ne permettent pas de changer des présidents rebelles comme Vladimir Putin, elles arrivent à décourager son entourage de se comporter d'une manière qui pourrait les isoler.
    Je vous remercie de votre question.
    Je dirais que les sanctions générales et les sanctions ciblées sont efficaces. Les sanctions générales reflètent l'opinion de la communauté internationale à l'égard des violations des droits de la personne, tant en Russie qu'au Bélarus et ailleurs dans l'ancienne Union soviétique. Je suis la preuve vivante de l'efficacité des sanctions générales et ciblées: la seule raison pour laquelle on m'a libéré, c'est que pour la première fois, l'Union européenne avait imposé des sanctions économiques contre les hommes d'affaires qui étaient dans l'entourage de Loukachenko et qui appuyaient le régime. Ces sanctions les ont poussés à me relâcher.
    Lorsqu'on a songé à imposer ces sanctions — je le répète, elles ont été imposées pour la première fois au Bélarus —, nous avions ce que j'appelle les « sanctions visant l'interdiction de visa de touriste », qui n'étaient pas des sanctions, mais plutôt un outil très léger. Après la répression de 2010, où nombre d'entre nous ont été emprisonnés — et j'en fais partie —, l'attitude des autorités en prison était très difficile, voire horrible.
    Puis, après avoir condamné la situation, divers États, y compris le Canada — et j'en suis très reconnaissant, parce que sans cette solidarité et ce soutien, il aurait été impossible de survivre en prison —, ont envisagé d'imposer des sanctions économiques ciblées aux hommes d'affaires. Bruxelles venait à peine de commencer à imposer ces sanctions que je voyais déjà un changement d'attitude dans la prison où j'étais gardé. Les autorités n'étaient plus aussi agressives ni arrogantes, parce qu'elles avaient peur d'être visées. Certains directeurs d'établissement m'ont dit ouvertement — de façon confidentielle, bien sûr — qu'ils avaient peur d'être inscrits, eux et leur famille, sur la liste noire. Puis, les sanctions ciblées ont suivi et deux hommes d'affaires proches du dictateur ont été visés. On a immédiatement entamé les procédures pour ma remise en liberté et celle de mon ami, le directeur de ma campagne présidentielle.
    Je dirais que c'est une association des deux, parce qu'il faut d'abord sentir le désaccord de la communauté démocratique internationale à l'égard des atrocités commises dans un pays puis, bien sûr, il faut imposer des sanctions ciblées. Je tiens aussi à souligner — et cet élément est souvent sous-estimé — que toute cette oppression et les violations des droits de la personne ou des libertés fondamentales qui se passent en Russie ont été testées au Bélarus. Le modèle de Loukachenko existait bien avant que Poutine ne prenne le pouvoir et croyez-moi, ces dictateurs s'observent entre eux. Ils observent aussi les réactions de l'Ouest à leurs politiques. Lorsque l'Ouest est indulgent envers Loukachenko, cela donne à Poutine la fausse impression qu'il peut aller de l'avant en Ukraine et partout ailleurs en Russie.
    J'ai toujours appuyé les sanctions, même lorsque j'étais en prison et qu'il était difficile pour moi de le faire publiquement, parce que cela entraînait des répercussions immédiates sur moi et mes conditions de vie. Malheureusement, les sanctions représentent le seul outil efficace, soit le pouvoir moral.
(1645)
    Vous semblez dire que les sanctions et les sanctions ciblées sont plus efficaces contre les pays moins puissants que contre la Russie.
    Je dirais que pour les pays moins puissants, comme vous le dites...
    Au Bélarus, comparativement à la Russie, dans de plus petits pays...
    ... elles peuvent être plus efficaces, oui.
    Certains ont fait valoir que si nous adoptions la loi Magnitsky, nous devrions peut-être songer à y inclure les violations des droits de la personne; les violations graves des droits de la personne reconnus à l'échelle internationale. Quel est votre avis à ce sujet?
    J'appuie vivement l'adoption de la loi Magnitsky. Ceux qui commettent des crimes contre leurs propres citoyens, qui violent les droits de la personne de manière flagrante et régulière, sur une longue période de temps, profitent de l'immunité parce qu'ils sont de hauts fonctionnaires et qu'aucune loi internationale ne permet de porter des accusations contre eux, même si leurs crimes sont horribles. L'impunité est le moteur de la répression. La loi Magnitsky sera donc un instrument très puissant.
    Je connais l'attitude des fonctionnaires qui gravitent autour de Loukachenko. Ceux dans son gouvernement, ceux qui sont proches de lui, ont très peur de se voir interdire de voyager, par exemple. Le blocage des biens n'est peut-être pas aussi important, parce qu'il n'y a pas tant de biens et que peu de gens ont des biens à l'étranger. Mais la condamnation par les pays démocratiques à l'échelle internationale pourra les empêcher de profiter des mêmes avantages que les gens ordinaires, ceux qui n'ont pas commis de crime, partout dans le monde. C'est un instrument puissant.
    Merci.
    Merci, monsieur Kent.
    Monsieur Saini, vous avez la parole.
    Bonjour, monsieur Sannikov, ou bonsoir, selon où vous vous trouvez dans le monde. Je vous remercie d'avoir accepté de témoigner devant nous aujourd'hui.
    J'ai une brève question pour vous, d'ordre général; rien de précis. En février dernier, le Conseil européen a levé certaines sanctions qui avaient été imposées à 170 personnes et trois sociétés. À mon avis, les sanctions ciblées ne peuvent être efficaces sans une harmonisation entre l'Union européenne, les États-Unis et les Nations unies. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le Conseil européen a décidé de lever les sanctions contre ces personnes? Qu'est-ce qui a motivé cette décision?
(1650)
    Selon ce que je comprends, les sanctions ont été levées parce que la situation géopolitique change et que le Bélarus n'appuie plus le régime de Poutine comme avant, surtout en ce qui a trait à la guerre en Ukraine, mais c'est une hypothèse. C'est malheureux, à mon avis. J'ai vivement critiqué cette décision. Pourquoi? Parce que Bruxelles a fait preuve de faiblesse, parce qu'elle a fixé ses propres conditions. Il fallait respecter trois conditions pour la levée ou l'adoucissement des sanctions. Seule une condition a été remplie en partie, soit la libération des prisonniers politiques, et je dis en partie parce que la condition était la libération et la réhabilitation des prisonniers politiques. Aucun d'entre eux n'a encore été réhabilité.
    Ainsi, l'Union européenne a montré sa faiblesse, ce qui a donné une fausse impression au régime du Bélarus. Encore une fois, la Russie observait la situation de très près. Les très fortes réactions à la répression et aux atrocités commises à Minsk en 2010 de même que les déclarations et le renforcement des sanctions qui ont suivi n'ont été que de très courte durée. On a commencé à lever les sanctions l'année dernière, alors que le dictateur et les personnes responsables de ces crimes ont été acquittés par la communauté internationale. C'est à cela que je fais référence.
    Nous n'avons pas de système judiciaire indépendant. C'est pourquoi il est si important de condamner moralement ce qui se passe au sein de régimes comme celui du Bélarus. C'était une mauvaise décision qui n'a rien donné; le système veut être gentil avec l'Ouest non pas parce qu'il veut changer, mais bien parce qu'il a cruellement besoin d'argent. C'est le but de sa rhétorique.
    Malheureusement, je dois dire que le Canada a également suivi l'exemple en levant, en mai dernier, les restrictions qui étaient en place. Je souligne que cela envoie le mauvais signal, non seulement à nous qui luttons pour la liberté au Bélarus, aux défenseurs des droits de la personne et à la société civile, mais aussi au régime du Kremlin. Si le moins pire des deux régimes peut éviter les sanctions, ce sera la voie qu'empruntera la Russie. Elle pourra continuer d'appliquer ses politiques, surtout en Ukraine, en sachant que les politiques relatives à l'imposition de sanctions s'essouffleront et que la Russie ne sera pas tenue responsable de ses actes.
    À votre avis, est-il juste de dire que pour que les sanctions soient efficaces, il faut une plus grande participation non seulement de l'Union européenne, mais aussi des États-Unis et des Nations Unies? Ils doivent tous travailler ensemble, et si une entité ne...
    Absolument.
    Savez-vous ce qui est aussi important? Dans le cadre des discussions, il sera important de ne pas montrer les différences entre les pays démocratiques de l'Ouest au sujet des sanctions. Il vaudrait peut-être mieux en faire moins, mais le faire de manière coordonnée et regroupée, plutôt que d'avoir des failles que pourraient exploiter la Russie ou d'autres régimes comme celui du Kremlin ou de Minsk. C'est un élément dont il faut tenir compte, parce qu'ils cherchent ces divisions au sein de la communauté des pays occidentaux au sujet des sanctions, et ils les exploitent.
    Pourquoi est-ce que j'aborde ce sujet? Parce que c'est ce qui s'est produit au Bélarus, lorsqu'on a imposé des sanctions aux hommes d'affaires. Il y a eu une fuite d'information et on a appris que trois autres hommes d'affaires seraient probablement visés par des sanctions. Or, il ne s'est rien passé et les prisonniers politiques restants sont demeurés en prison. Si on avait imposé ces sanctions, les prisonniers auraient été libérés, j'en suis certain. Mais il y a eu cette fuite d'information, voulant que trois proches de Loukachenko soient la cible de sanctions par l'Union européenne au cours des deux prochains mois, puis rien ne s'est passé et les gens ont passé trois années de plus en prison à souffrir.
(1655)

[Français]

     Madame Laverdière, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Monsieur Sannikov, je vous remercie de votre présentation qui était très intéressante.
    Vous avez dit que lorsque les Européens ont levé tout au moins une partie de leurs sanctions, certaines personnes avaient en quelque sorte été acquittées. Croyez-vous qu'il serait nécessaire de continuer à appliquer des sanctions même après qu'un comportement ait changé?

[Traduction]

    Pardon... continuer à quoi?

[Français]

    Lorsqu'il y a un changement de comportement ou qu'une situation est en train de se résoudre, faut-il, dans certains cas, penser à prolonger les sanctions pour éviter que les gens ne soient en quelque sorte facilement acquittés, et ce, malgré ce qu'ils ont fait?

[Traduction]

    Absolument. Prenons encore une fois l'exemple du Bélarus. Les gens qui ont échappé aux sanctions parce que Bruxelles les a levées étaient de hauts officiers du KGB, qui est la police secrète. Au Bélarus, elle porte toujours le nom de KGB, comme au temps de l'Union soviétique, et elle s'acquitte des mêmes fonctions. Elle persécute non seulement les opposants au régime, mais aussi ceux qui n'y sont pas fidèles. Ces gens ont commis des crimes en vertu de toutes les lois, même la loi de Loukachenko, et des lois qui existent au Bélarus, mais qui n'ont pas été mises en oeuvre.
    Ils ont été condamnés par la communauté internationale, puis, soudainement, on les a pardonnés. Ce n'est pas logique parce que, bien sûr, ils font partie de la liste des personnes qui ont commis ces crimes, et que dans un Bélarus libre, ils seront tenus responsables des crimes qu'ils ont commis. Or, nous avons besoin de l'appui de la communauté internationale, pour leur montrer — disons-le simplement — que ceux qui font du mal seront punis.

[Français]

    Vous avez soulevé un autre élément que j'ai trouvé intéressant. L'idée de viser — je vais caricaturer peut-être un peu, mais je pense que vous avez utilisé cet exemple —, par exemple, des gardiens de prison ou des fonctionnaires de niveaux inférieurs pourrait n'avoir que peu d'effet parce que souvent, ces gens-là ne voyagent pas et n'ont pas de toute façon de biens à l'étranger.
    Par ailleurs, le fait de viser des chefs d'État ou des représentants de très haut niveau est difficile. Cela crée des problèmes. Les gens d'affaires ne sont pas forcément protégés et peuvent avoir intérêt à voyager et posséder des biens. Selon vous, comment peut-on faire face à ces complications et à ces difficultés lorsqu'on établit des sanctions?

[Traduction]

    Tout d'abord, je ne peux pas dire s'ils ont ou non des biens à l'étranger parce que, comme vous le savez peut-être, nombre des structures du pouvoir, en Russie et au Bélarus — et ailleurs dans l'ancienne Union soviétique — participent de très près aux manoeuvres commerciales, criminelles la plupart du temps, qui viseraient le retrait d'argent ou le placement d'argent à l'extérieur du pays, préférablement dans les pays occidentaux.
    Lorsqu'ils ont été ciblés, les hommes d'affaires du Bélarus ont paniqué. J'ai oublié de mentionner un autre facteur. La prise de position regroupée visant à cibler les entreprises qui appuyaient le régime — et c'était selon des faits, pas seulement des hypothèses — avait créé une ambiance différente au sein de la communauté des affaires, parce qu'elle commençait à se demander si elle avait raison de continuer à financer un tel régime répressif et si elle pouvait faire quelque chose pour aider le changement et ne pas faire l'erreur d'apporter des changements extraordinaires ou violents. On parle seulement de l'évolution et des changements au sein du pays, des changements pacifiques.
    Je crois qu'il est très important d'utiliser cet instrument parce qu'on ne sait jamais à quel point il est important d'avoir des biens ou d'avoir accès à des biens en dehors du pays. En ce qui a trait aux hauts fonctionnaires, je crois qu'on a dit que les oligarques et les proches du Kremlin avaient été ciblés, et avec raison. Cela modifie les comportements, et il faut continuer. Lorsqu'on décide d'appliquer une telle politique, il ne faut pas faire de compromis, parce que les choses ne changeront pas en un jour ou deux seulement. Il faut prévoir un certain temps avant que les sanctions ne fassent effet.
    On me demande très souvent si cela pourrait être une stratégie. Bien sûr que non. Ce n'est pas une stratégie pour entretenir des relations avec les autres pays, mais c'est un instrument nécessaire pour lutter contre l'oppression et, qui plus est — et je parle de mon expérience personnelle —, c'est un instrument nécessaire et efficace pour sauver des vies.
(1700)
    Merci, madame Laverdière.
    Borys, vous avez la parole.
    Monsieur, vous venez de dire que les sanctions étaient un instrument important pour sauver des vies. M. Magnitsky a été tué alors qu'il était incarcéré en Russie. Depuis que les États-Unis ont mis en oeuvre la loi Magnitsky, M. Poutine a certes continué d'emprisonner des gens soupçonnés d'être des opposants — des oligarques, des gens d'affaires, des adversaires politiques, des gens qui travaillent pour eux —, mais aucun d'entre eux n'a été tué. Personne n'a été tué après avoir été emprisonné. En fait, certaines personnes ont été libérées.
    Serait-il juste de supposer que depuis la loi Magnitsky, les sanctions ciblées ont permis de sauver la vie des personnes emprisonnées par Poutine, de ceux qu'il voit comme des adversaires?
    Oui, elles aident à sauver des vies.
    Bien sûr, après l'adoption de la loi Magnitsky, nous avons perdu notre bon ami Boris Nemstov, qui a été tué. C'était un fervent partisan de la loi Magnitsky. De telles choses sont inévitables si on conserve cette position sur les régimes qui commettent des atrocités contre leurs propres citoyens, comme la Russie et le Bélarus.
    Pour répondre à votre question, elles aident à sauver des vies. Je vous le dis, l'attention, toutes les formes d'attention, toutes les formes de solidarité, tout ça aide le peuple des prisons et des colonies pénitentiaires à survivre. Toutefois, l'importance de ces lois... Quand les gouvernements savent qu'elles sont plus qu'une déclaration politique ou qu'un appui moral, que leurs conséquences sont très précises, elles sont très efficaces.
(1705)
    Je voudrais vous poser une autre question difficile pour nous.
    Le Canada croit fermement dans le multilatéralisme, particulièrement avec les pays que nous considérons comme membres du club des démocraties libérales occidentales. Nous sommes des partisans inconditionnels de l'ONU, mais nous constatons que son Conseil de sécurité n'a pas pu donner suite aux sanctions en raison d'une structure déficiente. La Russie ou la Chine, qui transgressent gravement les droits de la personne, tendent à leur opposer leur veto.
    Bien sûr, nous aimons agir de concert avec nos alliés de l'Union européenne, mais leur système exige l'accord de 28 pays, ce qui est problématique, particulièrement quand certains, comme la Bulgarie et la Roumanie, ne favorisent pas les sanctions. Nous risquons peut-être d'être les témoins d'une nouvelle ère d'isolationnisme avec nos collègues de l'Amérique du Nord.
    Un témoin a dit que chercher l'unité entre tous ces pays, c'est comme chercher le plus bas dénominateur commun. En fait, on dirait presque qu'essayer d'agir à plusieurs présente une difficulté quasi insurmontable.
    Que pensez-vous d'un pays qui adopte une position de principe, celle d'un chef de file et qui déclare qu'un pays devrait respecter les droits de la personne? À ceux qui les bafouent de façon flagrante, particulièrement aux fonctionnaires qui participent directement à la violation de ces droits, nous disons que nous ne faiblirons pas et qu'ils seront sanctionnés. Nous ne voulons ni de leur argent ni de leur présence dans notre pays.
    Que pensez-vous de cette position?
    Aujourd'hui, nous affrontons beaucoup de crises locales et mondiales. Ce leadership que vous décrivez nous fait défaut, parce que, particulièrement après l'élargissement important de l'Union européenne, chacun était en quelque sorte trop confiant dans le développement à venir du monde en général. En Europe, nous avons au moins le rempart de la démocratie, la plus grande union des diverses valeurs mises en commun. Mais, soudainement, l'édifice a commencé à s'affaisser à cause de la trop grande confiance de l'Occident qui a réagi très mollement aux violations des droits de la personne immédiatement à ses frontières, et, par là, je veux dire l'ex-Union soviétique.
    À cause de cette mollesse, de cet abandon des principes, ce n'est pas un pays ni deux, ni trois, mais tout un groupe de pays qui collaborent très efficacement les uns avec les autres dans l'ex-Union soviétique et ailleurs dans le monde, non seulement pour neutraliser les efforts de l'Occident visant à renforcer la démocratie et ses valeurs, mais pour les attaquer. Vous devez admettre que les attaques sont parfois beaucoup plus efficaces que la politique occidentale d'appui aux valeurs.
    Je pense que, aujourd'hui, nous avons besoin de cette sorte de leadership. Je crois fermement dans les valeurs. Je pense que, ces dernières années, une realpolitik des intérêts commerciaux, par exemple dans mon pays le Bélarus, a trop souvent pris le pas sur les valeurs. Les intérêts matériels rejettent les valeurs au second plan. Ça provoque l'érosion des valeurs fondamentales que nous ne devons pas seulement restaurer aujourd'hui, mais renforcer. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que les attitudes... et notre respect des droits de la personne sont les principes fondamentaux qui devraient servir de base aux relations de l'Occident avec ces deux pays.
(1710)
    Vous venez de soulever un autre point intéressant, l'influence de ces pays sur l'Ouest. Au cours de la dernière décennie, des rapports d'enquête ont exposé comment, dans de nombreux cas, particulièrement en Europe, l'argent russe, notamment, avait corrompu de nombreux dirigeants politiques. L'exemple le mieux connu est celui de l'ex-chancelier Gerhard Schröder. Quelques semaines avant sa démission, il a signé un crédit d'un milliard d'euros pour le projet de gazoduc Nord Stream, ce qui a eu d'énormes conséquences géopolitiques en Europe, puis, quelques semaines plus tard, il faisait partie de l'un des conseils d'administration de Gazprom. Quand les Estoniens ont démantelé le mémorial de l'Armée rouge à Tallinn, ils ont essuyé une cyberattaque qui a mis le gouvernement de ce pays en panne. À l'époque, M. Schröder avait affirmé que c'était la négation de toute forme de comportement civilisé, sauf qu'il ne faisait allusion ni à M. Poutine ni au Kremlin, mais à la petite Estonie.
    Maintenant que vous êtes dans l'Ouest, je suis sûr que vous rencontrez beaucoup de politiciens et de chefs d'État européens. À quel point l'influence de l'argent russe sur les dirigeants politiques de l'Ouest est-elle insidieuse?
    C'est une excellente question. Je pense que vous reconnaissez le problème et que vous l'avez très bien ciblé.
    Je dirais que la situation s'aggrave, parce que la Russie est très efficace à cet égard. Cependant, ça ne concerne pas seulement les politiciens, mais aussi les groupes de réflexion, en Occident, qui sont achetés, et les mass media de l'Ouest, qui sont achetés ou simplement payés pour présenter non pas l'opinion de la Russie, mais une propagande très active plutôt que de l'information.
    Ça m'inquiète beaucoup. Je vois ce qui se passe, je suis au courant, mais je ne discerne aucune mesure préventive efficace ni, disons, aucune mesure pour arrêter ce mouvement. J'ai encore l'impression qu'on ne reconnaît pas les dangers. Quand l'Ukraine a été attaquée, la Crimée annexée et la région du Donbass agressée, j'ai d'abord cru que c'était le début de l'attaque contre l'Europe et contre l'Occident en général.
    Encore une fois, beaucoup ne s'y attendaient pas, mais pas nous. Nous savions que ça s'en venait. Nous ne nous attendions pas, bien sûr, au genre de guerre déchaînée par la Russie, mais l'agressivité du Kremlin nous est apparue de plus en plus évidente. Nous savions qu'il lui cherchait une sorte d'exutoire.
    Nous connaissons tous l'expression le « monde russe » et à quel point il est invoqué par le Kremlin au Bélarus, mais aussi, très efficacement, en Occident. Croyez-moi, les notions de monde occidental ou de monde démocratique n'existent pas en Russie ou ni au Bélarus. Dans nos pays, c'est tu, tout comme les valeurs de l'Occident et de la démocratie libérale. Voilà la différence dans les méthodes, et je crains — ça me répugne de le dire — qu'elles sont beaucoup plus efficaces. Je suis sûr de ne pas pécher par excès d'optimisme quand j'affirme que l'Ouest finira par se prendre en main, mais, jusqu'ici, les dangers sont évidents, et, malheureusement, ils croissent.
(1715)
    Merci. Merci pour votre courage.
    Merci, monsieur Wrzesnewskyj.
    Monsieur Kmiec.
    Merci, monsieur Sannikov d'être avec nous. Je vais concentrer un peu plus mes questions sur le travail de l'opposition au Bélarus.
    Serait-il juste de dire que les sanctions aident à protéger les membres de cette opposition, les militants pour les droits de la personne, les avocats et les gens comme vous qui s'opposent activement, de manière démocratique, au régime de Loukachenko?
    Oui, absolument. Vous avez absolument raison, elles les protègent.
    Elles créent aussi une ouverture, parce que les amis, les acteurs du régime, les exécutants de ses politiques au Bélarus savent qu'on évalue leurs activités, leurs mauvaises actions en fonction de certains principes et ils en connaissent les conséquences éventuelles. Ils font plus attention. Par contre, la levée des sanctions supprime tous leurs freins. Les sanctions créent donc des ouvertures pour la société civile, pour l'opposition politique et pour les mass media ou les médias indépendants dans les pays qui se trouvent dans ce genre de situation difficile.
    Vous avez parlé de deux hommes d'affaires ciblés par les sanctions. Croyez-vous que ça vous a aidé à survivre en prison? Croyez-vous que vous auriez fini comme M. Magnitsky?
    Oui. Absolument. Ça m'a probablement sauvé la vie. J'étais alors — pardonnez-moi de le dire — le politicien de l'opposition le mieux connu en prison, parce que toute ma famille était ciblée. Au début, ma femme aussi était en prison. Mon jeune fils a fait l'objet d'une tentative d'enlèvement. Tous comprenaient que les sanctions étaient reliées à mon cas personnel ainsi qu'à d'autres, bien sûr.
    J'ai remarqué que vos mémoires sur les événements et vos épreuves sont interdites en Biélorussie. On les saisit à la frontière. Vous êtes donc, à ce que je vois, sous les feux de l'actualité.
    Oui.
    Vous avez dit...
    Je...
    Poursuivez.
    Oui. Je suis d'accord.
    J'allais vous questionner sur la notion de lassitude des sanctions.
    Je ne suis pas né au Canada, mais en Pologne. Ma famille a toujours parlé de la Russie d'une façon très différente de ce que j'entends dans l'Ouest, chez de nombreuses personnes. Mais cette notion de lassitude des sanctions est, pour moi, très culturelle, et la fédération de Russie, le gouvernement russe, peu importe l'avatar sous lequel il s'est présenté, que ce soit l'Union soviétique ou, aujourd'hui, sous le règne de M. Poutine, il essaie d'avoir l'Ouest à l'usure. Ses mesures sont toujours dictées par ses intérêts et visent toujours à nous avoir à l'usure.
    Compte tenu de ce concept dont vous avez parlé, la lassitude des sanctions, croyez-vous que les Occidentaux, les gouvernements de l'Ouest, ont un point de vue trop limité sur ce que les sanctions sont censées obtenir, c'est-à-dire obliger soit le gouvernement, soit ses agents dans les prisons ou le KGB à prendre des décisions différentes, à agir autrement?
    Je pense que, parfois, nous laissons se glisser dans la discussion une fausse logique, de fausses explications. Des individus comme Poutine ou Loukachenko essaient d'abord d'invoquer le meilleur argument qu'ils possèdent contre les sanctions, c'est-à-dire qu'elles nuisent au peuple. C'est de l'hypocrisie, parce que le régime lui-même est nocif au peuple. C'est particulièrement évident au Bélarus, dont l'économie est catastrophée, faute de réformes, faute de bienfaits pour le peuple. Les régimes font du tort au peuple, pas les sanctions.
    Encore une fois, je dois insister sur l'absence de magie dans les sanctions. Elles ne sont pas une stratégie. Elles sont un instrument qui devrait servir la stratégie des changements démocratiques dans les pays et les rapports que des pays importants comme le Canada, les États-Unis, les pays d'Europe entretiennent avec les régimes qui ne se conforment pas à leurs propres obligations, particulièrement envers les droits de la personne.
    Parfois, j'entends l'argument que des changements ont eu lieu en Europe de l'Est sans sanctions. C'est une fausseté, parce que des sanctions étaient appliquées. Il n'y avait pas seulement les membres de Solidarnosc qui sacrifiaient leurs vies dans leur combat pour la liberté, mais les sanctions de l'Ouest aussi opéraient contre le gouvernement polonais, particulièrement après sa proclamation de la loi martiale.
    C'est l'un des aspects très importants de la politique générale des pays, particulièrement des démocraties occidentales, à l'égard des régimes voyous. Mais il doit s'insérer dans une stratégie logique et durable.
(1720)
    Si le Canada décidait de mieux cibler ses sanctions pour viser aussi les directeurs de prison, les membres des forces spéciales de police, est-ce que ça aiderait les partis d'opposition au Bélarus dans leur lutte contre Loukachenko? Est-ce que ça rééquilibrerait les forces pour des organisations comme la vôtre, la Charte 97, et d'autres qui militent pour les droits de la personne, les droits de la démocratie?
    Oui, absolument. Encore une fois, j'en ai été le témoin direct, parce que des gardiens de ma prison me parlaient en secret ou en confidence et ils m'ont confié leur grande crainte. Ils avaient peur de la publicité. Ils m'ont demandé de ne pas divulguer leurs noms à la presse, de peur d'être ciblés par des sanctions. Ils craignaient aussi de passer pour des criminels, même aux yeux de leurs voisins. C'est très révélateur et il est très intéressant de savoir que la condamnation, par l'Occident, des crimes qu'ils ont commis les expose à des risques dans leur pays même, parce que leur nom, qu'ils essaient de tenir secret, devient connu. Ça les met dans le pétrin, et ce ne sont pas tous les serviteurs du régime qui sont des canailles...
    Si je peux vous interrompre une seconde, nous avons entendu d'autres témoins selon qui des policiers l'assument comme une marque d'honneur. Je sais qu'au moins un député ici présent, mon collègue Allison, a été sanctionné par la fédération de Russie. Il ne peut se rendre là-bas. Je suis sûr qu'il en est peiné. Est-ce perçu comme une marque d'honneur au Bélarus...?
    Oui.
    ... d'être la cible de sanctions décrétées par l'Ouest?
    Voulez-vous dire une marque d'honneur pour mes collègues bélarussiens?
    Oui, parce vous venez de parler du contraire, des personnes qui ne veulent pas leur identité, leur participation comme policiers ou gardiens qui maltraitent les militants pour les droits de la personne ou les membres de partis politiques étalées dans les nouvelles locales. Nous avons entendu le contraire, que certains sont fiers d'être ciblés par les sanctions de l'Ouest, que c'est une marque d'honneur. Pensez-vous que c'est vrai?
(1725)
    Non. Au Bélarus, ça n'a jamais été une marque d'honneur. Ç'a plutôt été une marque déshonorante. C'est, si je me souviens bien, quand, en Russie, l'Occident a décrété des sanctions après l'agression contre l'Ukraine, on a mollement tenté de sauver la face en se disant honoré. La liste devenait la liste des « personnes honorables ». Croyez-moi, les Bélarussiens se réjouissent des sanctions. Particulièrement après les mesures de répression de 2010, alors que des sanctions ont été décrétées à cause de ces événements, l'immense majorité des Bélarussiens les ont bien accueillies.
    Merci.
    Je ne me souviens de personne... Peut-être que deux ou trois ivrognes s'en seraient vantés, mais ce n'est pas une marque d'honneur dans le peuple. Jamais.
    Merci.
    Merci, Tom, et merci beaucoup, monsieur Sannikov, pour le temps que vous nous avez accordé. Notre comité vous en est très reconnaissant. Nous devons nous arrêter ici, pour aujourd'hui. Vos renseignements nous sont très utiles. Nous vous en remercions donc beaucoup.
    Merci beaucoup. J'ai été honoré.
    Chers collègues, après une pause de deux minutes, nous nous retirerons à huis clos. Nous allons suspendre les travaux, faire évacuer la pièce et nous poursuivrons à huis clos la discussion sur les budgets et quelques autres questions. Ensuite, nous pourrons lever la séance.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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