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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 037 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 28 novembre 2016

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    La séance est ouverte.
    Conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 14 avril 2016 et à l'article 20 de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, nous continuons l'examen de la loi.
    Nous accueillons deux témoins cet après-midi.
    M. Thomas Juneau est ici en personne. Il est professeur adjoint à l'Université d'Ottawa.
    Richard Nephew, qui est maître de recherche universitaire au Center on Global Energy Policy de l'Université Columbia, se joint aussi à nous par vidéoconférence à partir de New York.
    Bienvenue à tous les deux.
    Voici comment nous fonctionnons: vous pouvez faire une déclaration d'ouverture, puis les membres du comité vous poseront des questions.
    Monsieur Juneau, nous commencerons par vous, puis nous passerons à M. Nephew. Ensuite, nous aurons les questions des membres du comité.
    À vous la parole, monsieur Juneau.
    Mon exposé aujourd'hui est axé sur le rôle des sanctions en tant qu'outils de politique étrangère. Plus particulièrement, j'expliquerai comment l'imposition de sanctions peut avoir certains avantages à court terme, mais limite les possibilités futures et finit par entraîner plus de pertes que de gains.
    Je commencerai par dire qu'il est judicieux pour le gouvernement de s'être engagé à rétablir les relations diplomatiques avec l'Iran. Il est dans l'intérêt du Canada de reprendre pied en Iran pour des raisons tout autant diplomatiques, consulaires, commerciales que stratégiques. Revenir en Iran permettra à Ottawa d'avoir des yeux et des oreilles précieux sur le terrain, de faciliter la gestion des affaires consulaires difficiles, d'être en meilleure position pour établir des rapports commerciaux avec une des plus importantes économies du Moyen-Orient et d'établir des voies de communication avec une grande puissance régionale.
    Le fait d'avoir un canal canadien à Téhéran pourrait aussi faire en sorte qu'Ottawa devienne une source d'information pour Washington, qui n'est manifestement pas là-bas, et éventuellement un messager. Cela n'a pas été une coïncidence, en 2012, que Washington n'ait pas été content de la décision du Canada de suspendre les rapports bilatéraux.
    Rouvrir l'ambassade canadienne à Téhéran est chose plus facile à dire qu'à faire, en grande partie à cause des mesures qu'avait prises le gouvernement précédent. Comme je l'ai déjà dit à d'autres occasions, cela a mis des pièges dans les relations bilatérales du Canada avec l'Iran. C'est pourquoi, en partie — pas entièrement, mais en partie —, après un an du gouvernement actuel, les relations n'ont pas encore été rétablies et peu de progrès ont été accomplis.
    En particulier, le gouvernement précédent a adopté la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme qui, avec les modifications apportées à la Loi sur l'immunité des États, habilite les victimes à poursuivre en justice les auteurs d'actes de terrorisme, de même que les pays nommés dans la liste des États qui appuient le terrorisme, pour les pertes ou les préjudices causés par un acte de terrorisme commis n'importe où dans le monde. Le gouvernement conservateur a nommé deux pays dans la liste des États qui appuient le terrorisme: la Syrie et l'Iran.
    Ceci permet la saisie des biens appartenant à l'Iran au Canada à l'issue d'un jugement contre lui. Il y a présentement environ 10 affaires en instance, dont plusieurs lancées par des citoyens américains.
    Dans l'optique du gouvernement conservateur, c'était une politique réussie. Si on définit la réussite comme l'institutionnalisation d'un but politique et l'augmentation des coûts pour ceux cherchant à renverser le résultat, elle a été réussie. Elle a rendu très difficile le rétablissement des relations.
    Pour l'avenir, deux scénarios s'offrent à Ottawa: maintenir l'Iran dans la liste des États qui appuient le terrorisme, ou l'en retirer. Le premier scénario semble le plus probable pour l'instant. Le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, a déclaré publiquement que le gouvernement avait nullement l'intention de retirer l'Iran de la liste, ou du moins pas avant qu'il n'y ait une amélioration considérable de la démocratie et des droits de la personne dans ce pays, ce qui est très peu probable à court terme et à moyen terme.
    Il n'est pas tout à fait clair quels sont les obstacles que pose la présence de l'Iran dans la liste des États qui appuient le terrorisme. Notamment, Affaires mondiales Canada a déclaré publiquement qu'il n'empêche pas les communications avec les autorités iraniennes, et qu'il n'empêche pas, du moins sur papier, le rétablissement des relations diplomatiques. C'est l'aspect politique qui complique beaucoup les choses. Si le gouvernement libéral décide de rétablir les relations diplomatiques avec l'Iran sans le retirer de la liste, il s'exposerait à des critiques de la part des conservateurs et d'autres, critiques alléguant qu'il traiterait avec un régime qui appuie le terrorisme. Techniquement parlant, ce serait une critique justifiée, puisque l'Iran, de fait, fournit un soutien matériel aux groupes figurant dans la liste des entités que le Canada considère terroristes, en particulier Hamas et Hezbollah.
    Ce scénario, dans tous les cas, s'accompagne d'une autre grande difficulté: du point de vue de l'Iran, il n'est pas du tout attrayant. Je ne suis pas au courant de déclarations publiques officielles que la République islamique aurait faites à ce sujet. Mais il est clair, et c'est logique, qu'elle soit réticente à se présenter comme appuyant ou acceptant un processus canadien qui la qualifie de parrain du terrorisme. Du point de vue de l'Iran, en plus de l'aspect politique de la réouverture des ambassades, les biens iraniens au Canada seraient exposés à des saisies par les tribunaux canadiens si les relations étaient rétablies.
    Selon le deuxième scénario, qui ne semble pas probable pour l'instant, du moins selon ce que nous savons, mais qui mérite quand même d'être envisagé, Ottawa pourrait retirer l'Iran de la liste. Sur le plan procédural, c'est simple. L'inclusion dans la liste des États qui appuient le terrorisme est le résultat d'une décision du Cabinet. On pourrait, en principe, retirer l'Iran de cette liste au moyen d'un décret, sans autre mesure législative. Cela pourrait se faire soit par le truchement d'un examen ministériel bisannuel en fonction de la loi, soit si l'Iran demande par écrit au ministre des Affaires étrangères d'être retiré de la liste.
    La deuxième éventualité est très peu probable, car je ne peux tout simplement pas imaginer l'Iran légitimant le processus en envoyant une lettre nous demandant de le retirer de la liste. Ce retrait entraînerait le problème supplémentaire de savoir quoi faire des affaires en instance devant les tribunaux canadiens au titre de la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme.
(1535)
    À l'échelle nationale, les défis sont principalement politiques pour le gouvernement libéral, puisque cela équivaudrait à déclarer que le gouvernement considère que l'Iran n'est pas un parrain du terrorisme. Cela exposerait le gouvernement, politiquement, à des critiques l'accusant d'être laxiste en matière de terrorisme, mais ces critiques seraient erronées puisque l'Iran — et c'est un fait — appuie des groupes qui figurent dans la liste canadienne des entités terroristes, comme Hamas et Hezbollah.
    La lenteur du progrès s'explique aussi par une autre difficulté. Après un an, publiquement au moins, nous n'avons vu quasiment aucun progrès dans les discussions entre le Canada et l'Iran. De toute évidence, ce n'est une priorité pour aucun des deux pays. Le Canada est à peine visible en Iran. L'hostilité manifestée par le gouvernement conservateur à l'endroit de l'Iran, comme par exemple, le qualifiant de la plus grande menace à la paix et à la sécurité mondiales, a été accueillie en Iran — dans la mesure où elle a même été remarquée — avec un mélange d'étonnement et de perplexité.
    Dans les bonnes conditions, de nombreux éléments du régime iranien accepteraient la réouverture des ambassades dans les deux pays. Les entités modérées entourant le président Rouhani seraient disposées à s'en servir comme exemple de la réussite de leur stratégie d'engagement. En même temps, l'ordre du jour de l'Iran en matière de politique étrangère déborde, et il est très difficile pour un pays comme le Canada de s'attirer le moindrement d'attention dans ces conditions.
    À partir de là, les choses ne sont pas claires, compte tenu des obstacles que comportent les deux scénarios mentionnés: laisser l'Iran dans la liste ou le retirer. Je vois deux autres scénarios possibles.
    Selon un troisième scénario, les discussions s'enliseraient dans les aspects techniques et juridiques, principalement quoique pas exclusivement en raison de la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme. La question figure très bas dans l'ordre du jour à Téhéran et à Ottawa et, essentiellement, le statu quo perdure. Je n'ai pas de boule de cristal. Je ne suis pas disposé à avancer une prédiction avec certitude, mais je ne serais pas surpris si, après quatre années du gouvernement actuel, nous n'avions toujours pas d'ambassade à Ottawa et à Téhéran, simplement en raison des complexités que j'ai mentionnées.
    Selon un quatrième scénario, il y aurait l'émergence d'un compromis auquel les deux côtés arriveraient pour sauver la face en essayant de trouver un moyen de répondre à certaines de leurs priorités, mais pas toutes. Quel serait le format d'un tel compromis? Je l'ignore. Les États-Unis et Cuba ont eu, ou du moins avaient à l'époque, des sections d'intérêts, quoique pas des ambassades. Est-ce une possibilité? Je ne sais pas. On pourrait peut-être envisager quelque chose d'intermédiaire s'il faut arriver à une fin avant quatre ans.
    En conclusion, les obstacles imposés par le gouvernement précédent sont surmontables, mais cela prendra du temps et entraînera des coûts. Le gouvernement précédent a peut-être considéré cela comme une réussite, du point de vue de défense de la position de non-engagement, mais c'est une mauvaise politique publique pour le pays dans son ensemble. Elle empêche le Canada d'atteindre ses objectifs limités, mais réels en matière de relations avec l'Iran sur les plans diplomatique, consulaire, stratégique et commercial. C'est d'autant plus le cas étant donné que le Canada accuse déjà un retard par rapport à la plupart de ses alliés européens pour ce qui est du rétablissement des relations avec l'Iran. Nous partons avec un handicap. Nous n'avons pas la présence historique, diplomatique et commerciale qu'ont d'autres pays en Iran — pas seulement la France et l'Allemagne, mais aussi de plus petits pays comme l'Italie et l'Autriche. Nous perdons lentement mais sûrement du terrain.
    En conclusion, cela démontre que les sanctions sont un outil de politique étrangère dangereux, qui doit être utilisé avec prudence et conscience des conséquences éventuelles à long terme. Les sanctions peuvent permettre à un État d'atteindre des objectifs à court terme. Dans le cas présent, il s'agissait d'affaiblir graduellement l'Iran pour l'obliger à changer son comportement. Cela a assez bien réussi. Mais les sanctions finissent aussi par s'incruster institutionnellement, bureaucratiquement et politiquement. Elles deviennent alors bien plus difficiles à lever que ne le laisseraient entendre les procédures applicables, et ce, à cause de cette incrustation. Quand cela arrive, ce qui est le cas ici à mon avis, les gains accomplis par le passé sont remplacés par des coûts au présent et à l'avenir.
    Merci.
(1540)
    Merci beaucoup, monsieur Juneau.
    Nous passons maintenant à M. Nephew.
    Merci de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui. C'est un honneur que d'avoir été invité à ce comité et à présenter mon point de vue.
    Vous avez demandé en particulier ce que je pense au sujet des sanctions canadiennes et internationales contre l'Iran dans le contexte de votre examen législatif. J'ai étudié attentivement les questions que vous posez durant cet examen. Je crois que je suis mieux placé pour parler de trois de ces questions dans mon exposé, et je parlerai volontiers des autres durant la période de questions. Je commencerai par décrire la mesure dans laquelle les sanctions réussissent à forcer un changement de comportement de la part d'États et d'acteurs non étatiques, puis je parlerai de la relation entre l'imposition de sanctions et une diversité de buts internationaux, et enfin, j'exposerai dans quelle mesure les sanctions unilatérales sont plus efficaces ou moins efficaces que les sanctions multilatérales.
    Pour le premier élément, je crois fermement que les sanctions peuvent être très efficaces si elles appuient une politique sensée, cohérente et réalisable. Pour les acteurs non étatiques, l'objectif des sanctions est bien plus étroit — refuser simplement l'accès à des ressources et des capacités qui peuvent être utilisées pour faire du tort. À cet égard, elles sont essentiellement aussi efficaces que tout autre outil ou dispositif d'application de la loi.
    Pour les États, soyons généreux, cela n'est pas toujours le cas. Les sanctions sont bien trop souvent envisagées par les dirigeants internationaux comme un outil à employer quand rien d'autre ne semble fonctionner et quand un décideur souhaite montrer qu'il est ferme. La plupart des sanctions imposées en Afrique au cours des deux dernières années s'inscriraient dans cette optique: des mesures empêchant l'usage de l'économie globale par des insurgés qui ne s'en servent pas; des mesures pour geler les biens d'entités qui n'en ont pas; des embargos sur des armes et des biens qui, de toute manière, ne sont accessibles qu'en contrebande. En général, ce type de sanction est imposé par des dirigeants qui cherchent à apaiser leur conscience et à démontrer à leur population qu'ils ont fait quelque chose au sujet du problème. Bien trop souvent, ces sanctions sont enfouies dans des politiques qui n'ont aucune chance de réussir, ou dont les hauts fonctionnaires ont très peu l'intention d'exiger la mise en oeuvre... et en fin de compte de chercher des résolutions diplomatiques au problème.
    À mon avis, la variable critique n'est pas la forme de sanction utilisée ni la manière de l'appliquer, mais plutôt la mesure dans laquelle la sanction est harmonisée avec la politique générale et le degré de sérieux que le gouvernement qui impose la sanction accorde à cette politique. Dans le cas de l'Iran, je crois que les sanctions étaient efficaces parce qu'elles faisaient partie d'une politique qui était embrassée dans le monde entier, suivie attentivement par les hauts fonctionnaires des pays principaux et équilibrée par un des objectifs stratégiques et des résultats souhaités que tout le monde pouvait comprendre. Cette politique, avec des sanctions comme levier, a créé une situation que l'Iran devait éviter, et le seul moyen de l'éviter était l'accord sur le nucléaire qui a été conclu.
    Dans cette optique, il est possible de répondre à la deuxième question au sujet de l'applicabilité des sanctions à des buts multinationaux plus larges. À mon avis, elles sont devenues le principal outil d'habileté politique, parce qu'elles offrent un levier d'influence pour le règlement de problèmes qui auraient autrement exigé le recours à la force. De ce point de vue, les sanctions sont un outil important pour le maintien de la paix et de la sécurité mondiales et pour la lutte contre les diverses menaces à l'ordre mondial, comme la prolifération, le terrorisme et la violation des droits de la personne.
    Pour pouvoir régler efficacement les problèmes d'envergure mondiale, cependant, les sanctions doivent avoir un effet multilatéral, et ce, moins parce que les problèmes à l'origine sont multilatéraux de nature — bien que cela contribue certainement à la légitimité des sanctions comme outil de résolution —, et plus parce que l'économie mondiale, de par sa nature, exige des partenariats pour qu'il y ait efficacité. Prenons comme exemple l'embargo des États-Unis sur Cuba. Il est vrai que, pendant quelques années au cours des années 1960, Cuba a eu bien des difficultés, mais quand les Soviétiques ont décidé d'appuyer les Cubains, ils ont pu persévérer jusqu'aux années 1990, quand le Venezuela a pris le contrôle.
    L'Iran est un autre exemple. Les sanctions américaines ont pris fin en 1995, mais dès 1996, les États-Unis ont pu exercer des pressions en retirant à l'Iran l'option d'éviter des représailles s'il s'adressait à des sources non américaines pour des biens, des services et de la technologie.
    On peut imaginer un scénario selon lequel un pays assume la gouvernance de l'avenir économique d'un autre — la Chine et la Corée du Nord, disons — au point de pouvoir appliquer à lui seul des sanctions analogues à un embargo mondial, mais ces cas sont extrêmement rares dans l'économie mondiale d'aujourd'hui. Cela exige une coopération et une coordination intense entre partenaires ou, à défaut de cela, une capacité primordiale de la part d'un État d'influencer le comportement économique d'autres entités.
    Dans une certaine mesure, c'est ce qui est arrivé avec l'Iran de 2006 à 2013. Mais comme mes amis à Washington le découvriront peut-être bientôt, s'ils essaient d'imposer à eux seuls des sanctions contre l'Iran, ils surestiment de façon dramatique le pouvoir de l'économie américaine de dominer les décisions économiques, politiques et juridiques d'autres pays. Les partenaires étrangers des États-Unis ont la capacité d'empêcher légalement leurs entreprises d'adhérer aux sanctions américaines, et ces mêmes entreprises ont des banques et peuvent s'écarter des risques du marché américain si l'impact des sanctions les préoccupe suffisamment. Je crains que sans une coopération à l'avenir, c'est exactement le scénario qui se déroulera pour l'Iran.
(1545)
    Les sanctions peuvent être utiles et efficaces, mais elles doivent être exercées adéquatement, et s'accompagner d'objectifs clairs et de la capacité d'imposer l'effet de levier souhaité pour influencer la cible visée. Cela exige de l'attention, de la patience et une analyse poussée. Les sanctions ne sont pas une chose qu'on utilise quand on ne peut pas voir autre chose. Elles sont l'outil à utiliser pour créer un effet de levier dans la résolution des problèmes.
    En ce qui concerne le cas précis dont mon camarade témoin a parlé plus tôt, en tant qu'Américain qui regarde humblement le système canadien, je peux voir tout de suite là une difficulté dans les sanctions canadiennes en matière de terrorisme qui appuie cet argument. Sans la capacité de maintenir une pression internationale sur l'Iran pour changer son appui au terrorisme et l'appui à des choses comme le Hezbollah, le Canada ne se fait que du tort, dans une certaine mesure, et nuit à sa capacité d'avancer dans sa relation avec l'Iran, ce qu'il peut souhaiter ne pas pousser plus loin à ce stade. Je crois qu'en fin de compte, tandis que le Canada envisage des moyens de régler cette question dans le régime des sanctions plus larges, il serait utile de penser à la mesure dans laquelle il peut être efficace dans la mise en oeuvre des sanctions et au fait que la nature multilatérale de la plupart d'entre elles peut avoir une influence sur ce problème particulier également.
    Merci. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
    Merci beaucoup, monsieur Nephew.
    Nous passons aux questions et commençons par M. Allison.
    J'aimerais tout d'abord remercier les deux témoins de leur exposé.
    Monsieur Nephew, je vais vous poser quelques questions.
    Mais avant, j'ai remarqué que nous avons reçu un communiqué de presse soulignant qu'il y avait 15 personnes ajoutées aux sanctions juste avant que ne débute notre comité, et donc j'ignore si c'était simplement opportun pour nous, ou quoi. C'est intéressant, je le signale simplement.
    Dans votre témoignage devant le Comité sénatorial des affaires étrangères en juillet, vous avez parlé des sanctions puis de l'accord conclu un an plus tard. Il est juste de dire, je crois, que vous pensez que nous sommes plus en sécurité que nous l'étions il y a un an. De toute évidence, vos élections fédérales n'avaient pas eu lieu à ce moment-là. Je vous demande donc, je suppose, quels sont certains des plus grands risques liés au Plan d'action globale commune en ce qui concerne maintenant M. Trump qui, en tant que président élu, a déclaré ne pas appuyer réellement ce qui se passe.
    Une des choses dont vous avez parlé dans votre témoignage, c'est la question de l'incertitude. Le fait demeure que même en Iran, tout tourne autour de facteurs environnementaux compliqués... c'est difficile à régler. Ils s'inquiètent des revers et de toutes ces autres choses qui pourraient arriver.
    Dites-nous simplement comment vous voyez le tableau aujourd'hui en ce qui concerne le plan d'action et ce que vous pensez que les États-Unis feront. C'est ce que vous avec dit également. Il est facile de dire qu'on va faire ceci et cela, mais il est plus difficile de le faire. Je crois que vous avez tous les deux mentionné dans votre exposé qu'une application unilatérale n'est pas aussi efficace qu'une application multilatérale. Si vous pouviez me donner simplement votre opinion à ce sujet, je l'apprécierais.
    Certainement, je le ferai avec plaisir.
    Avant les élections, j'ai dit que le PAGC présentait trois problèmes principaux: la scène politique à Washington, la scène politique en Iran, puis les aspects pratiques de la mise en oeuvre. Je crois qu'avec l'élection de M. Trump, un de ces aspects a immédiatement été porté au premier plan. En fin de compte, M. Trump a été plus modéré que plusieurs des autres candidats républicains à la présidence dans la façon de parler de cette question. Selon lui, d'une part, l'entente était un désastre parce que l'Iran conservait beaucoup trop de capacité nucléaire. D'autre part, il n'appréciait pas que les États-Unis ne vendaient pas des missiles surface-air comme le faisait la Russie, et il estimait que peut-être il y avait des avantages économiques que les États-Unis n'exploitaient pas.
    Il est plutôt clair que les conseillers qu'il a rassemblés sont hostiles envers la République islamique de l'Iran et contre le PAGC. Je crois que très bientôt, en 2017, il y aura un effort de renégociation du PAGC ou la menace d'un retrait des États-Unis de cet accord. Je crois que ce serait très compliqué, pour dire le moins, à cause de la scène politique à Téhéran.
    En fin de compte, les élections présidentielles qui s'en viennent en mai en Iran enfonceront peut-être le dernier clou dans le cercueil. Bien des gens à Washington ne croient pas que l'Iran a des politiques. Je peux vous assurer qu'il en a. Ces politiques seront contre toute tentative par les États-Unis de forcer des changements, surtout le genre de changements radicaux que M. Trump exigerait, j'imagine.
    Nous n'arriverons peut-être même pas au troisième point, qui est l'aspect pratique de la mise en oeuvre. Il y a déjà eu quelques problèmes techniques tant sur le plan de la levée des sanctions que sur l'aspect nucléaire. Je crois que ces problèmes ont été gérés jusqu'à présent, mais ils exigent de la confiance et de la coopération entre les parties. On a cela avec Obama et Rouhani. Je ne crois pas qu'on aura forcément cela avec Trump et le remplaçant de Rouhani.
    Je crois que le PAGC sera sérieusement mis à l'épreuve au cours des six prochains mois. Mon espoir, en toute candeur, c'est que M. Trump écoute certains des autres experts de l'extérieur qui lui diront, tout comme moi, que la renégociation est un mirage, et qu'il faut accepter les avantages qu'offre l'accord plutôt qu'essayer de poursuivre un mirage. Mais je ne suis pas très sûr que ce sera l'option choisie.
(1550)
    Bien que vous étiez optimiste à ce sujet, je crois que vous avez dit, entre autres, que vous ne pouvez pas du tout relâcher la vigilance. En d'autres termes, vous estimez que l'accord est logique dans une certaine mesure, que le monde en sera plus sûr, mais vous avez dit très clairement qu'il ne faut pas relâcher la vigilance et qu'il faut veiller à ce qu'il y ait des freins et des contrepoids.
    Étant donné que nous pensons que l'Iran est arrivé à cette conclusion à cause de problèmes économiques et autres, quelle est votre opinion en ce qui concerne le long terme? Est-ce d'après vous une chose qu'ils respecteront à court terme pendant qu'ils règlent certains de leurs problèmes économiques? On a déjà vu leur PIB remonter après des années et des années de déclin. Croyez-vous que c'est leur intention? Il est difficile de déterminer ce qu'ils font, mais quelles sont vos opinions, et le monde va-t-il continuer à examiner de près ce qu'ils font? On a déjà étudié la question de l'eau lourde et certaines de ces autres choses qui ont été produites.
    Comment, d'après vous, sera-t-il possible de s'assurer que les gens respectent leur engagement et fassent réellement ce qu'ils ont dit qu'ils feraient?
    L'application est ce qu'il y a de plus essentiel ici. L'accord lui-même a seulement la valeur de ce qu'il empêche, et s'il n'empêche pas l'expansion nucléaire de l'Iran, c'est un problème et il ne mérite pas d'être préservé à ce stade.
    Personne jusqu'ici ne m'a démontré, avec certitude, que nous obtiendrons le même résultat positif au niveau du programme nucléaire de l'Iran sans le PAGC, et c'est là que se situe le véritable problème. Ma plus grande crainte, c'est que nous nous débarrassions de quelque chose qui fonctionne même en dépit de quelques problèmes de mise en oeuvre qui, une fois de plus, sont de conséquence minime. Autrement dit, un petit peu trop d'eau lourde dans le contexte nucléaire actuel de l'Iran est plutôt insignifiant à des fins d'armes nucléaires, et beaucoup moins important que ce que les Iraniens pourraient faire s'ils se retiraient de cet accord.
    En fin de compte, le véritable problème du PAGC, c'est qu'il sera toujours un accord quelque peu provisoire puisque toutes les différentes factions de toutes les différentes parties ne l'ont pas entièrement accepté. Cela était plus prononcé à Washington et plus prononcé à Téhéran. La mesure dans laquelle les partisans de la ligne dure dans les deux capitales sont aussi déterminés les uns que les autres, se regardant et ne voyant rien d'autre dans les yeux qu'une intention hostile a été, je crois, très dommageable pour le PAGC. Voilà pourquoi la conformité a été si importante jusqu'à présent, et je crois que le degré auquel l'Iran s'est conformé, et ils l'ont fait, et le degré auquel nous nous sommes conformés pour l'allégement économique, et nous l'avons fait, sont choses positives. Cela mènera, je crois, les Iraniens à faire une pause avant d'envisager de se retirer de l'accord de leur propre chef. J'espère que Washington fera la même pause maintenant en envisageant les risques en cause.
    Merci.
    Merci, monsieur Allison.
    Monsieur Saini, allez-y.
    Bon après-midi, messieurs. Je vous remercie de votre présence.
    Monsieur Nephew, j'aimerais commencer par vous. Vous avez écrit des articles, et j'aimerais citer quelques-unes de vos paroles. Vous avez écrit que « ... la résolution complète ne devrait pas forcément être l'objectif de sanctions intensifiées contre la Russie ».
    Je suis sûr que vous êtes du même avis quel que soit le pays visé, et donc pouvez-vous expliquer le rôle approprié que devraient avoir des sanctions et comment elles peuvent faire partie d'un outil de politique étrangère pour le gouvernement?
    Je crois que les sanctions ont leur plus grande utilité dans la création chez un autre État du désir de changer des politiques qu'il aurait autrement souhaité garder. Il s'agit d'endroits dans lesquels nous estimons avoir un intérêt, mais où nous n'avons pas directement voix au chapitre. Ce n'est pas comme si les Russes avaient envahi l'Ouest canadien ou l'Ouest des États-Unis, et nous n'avons donc pas forcément la possibilité de diriger des forces militaires et des pressions directes contre le gouvernement russe sous prétexte qu'il est intervenu dans nos affaires, mais nous voulons essayer d'arriver à une résolution. Les sanctions permettent cela. Elles vous offrent quelque chose à donner en échange. Elles vous offrent la capacité de dire: « Si vous êtes disposés à faire x, ou vous commencez à faire y, nous lèverons les sanctions contre vous.»
    Dans cette optique, elles constituent le point de départ d'une conversation. Elles sont le point de départ d'une négociation diplomatique qui permet aux deux côtés d'obtenir quelque chose de bien puis de se retirer quand ils ont accompli au moins quelque chose de positif. Au sujet de la Russie, c'est là que les choses se résument, à savoir qu'est-ce qui est assez bon pour la résolution de la situation en Ukraine. C'est une décision que le gouvernement ukrainien doit prendre. C'est lui qui doit nous dire, à mon avis, quand il estime que la situation dans l'Est de l'Ukraine et en Crimée est acceptable. S'il se déclare satisfait de la situation telle qu'elle est si les Russes se retirent de l'Est de l'Ukraine, c'est peut-être une situation que nous pouvons accepter, même si ce n'était pas l'objectif initial absolu des sanctions imposées par les États-Unis, qui portaient aussi sur la Crimée et d'autres enjeux politiques plus larges.
    Les sanctions sont, à mon avis, un levier de négociation en vue d'une entente. Elles n'ont pas besoin d'être considérées comme étant une contrepartie absolue. Elles font partie de la boîte à outils diplomatiques.
(1555)
    J'avais une autre question, mais je ne peux résister à la tentation de vous poser celle-ci, surtout étant donné que M. Allison a soulevé le point. Vous avez parlé du PAGC et de la récente élection de M. Trump. Nous savons que le PAGC a été signé par les P5+1. Par conséquent, si un seul des pays P5+1 se dissociait de cet accord, dans quelle mesure celui-ci serait-il moins efficace?
    Mon autre question porte sur un point que vous avez soulevé, ou je crois que M. Allison a soulevé, soit l'eau lourde. Nous savons présentement que le régime iranien a dépassé deux fois leurs besoins en eau lourde. Nous savons aussi qu'une partie de l'accord portait sur le prolongement de la capacité pour l'Iran d'avoir une arme nucléaire de deux ou trois mois jusqu'à un an. Prenant tout ceci globalement, pouvez-vous le commenter?
    Certainement, je serais heureux de le faire.
    En ce qui concerne les répercussions du retrait d'un pays, cela dépend du pays. Les États-Unis avaient la majeure partie des sanctions touchant l'activité commerciale en Europe et en Asie, parce que nous menacions l'accès au marché américain si des pays et des entreprises ne coopéraient pas avec nous. Notre capacité de menacer les banques comme HSBC, et les grandes banques chinoises, ainsi que des entreprises aussi diversifiées que des entreprises européennes, asiatiques et indiennes, est ce qui a donné beaucoup de poids à ces sanctions. La capacité des États-Unis de se retirer du PAGC et de réimposer toutes ces sanctions rétablit tous les problèmes et les coûts dont l'Iran a voulu se débarrasser en signant cet accord.
    Si la Russie, par exemple, qui n'avait aucune sanction unilatérale de poids, devait réimposer ces sanctions, l'impact sur l'Iran serait bien moins grand. Dans le cas des États-Unis, à cause de la structure de nos sanctions et à cause de l'influence de l'économie américaine sur l'économie de l'Iran et sur ses intérêts commerciaux, je crois que l'économie américaine, et donc les États-Unis, ont un rôle très important. Ce n'est pas une question purement juridique, c'est une question pratique de la nature des ramifications.
    En bref, au sujet de l'eau lourde, du point de vue technique, l'Iran n'a aucun moyen d'utiliser l'eau lourde excédentaire présentement. Le réacteur qu'il aurait pu utiliser pour produire du plutonium a été rempli de béton. Il n'a pas la possibilité d'utiliser cette eau lourde présentement. S'il devait tenter de faire redémarrer ce réacteur, il lui faudrait un ou deux ans, puis quatre ans de production d'eau lourde et d'utilisation du réacteur avant d'avoir suffisamment de plutonium de qualité militaire.
    Sur le plan technique, à mon avis, la question de l'eau lourde est insignifiante. Elle est importante du point de vue de la conformité. Et cela revient à la question de savoir quelle est la résolution de l'Iran. Ce pays ne sortait pas un baril d'eau lourde à la fois lorsqu'il avait cette production excédentaire. Il en produisait des tonnes. La courbe de production montait en pointe, puis redescendait en deçà du seuil, puis encore remontait en pointe et redescendait en deçà du seuil. C'est un processus technique continu. Le seul moyen d'arrêter cela serait d'arrêter la production entièrement, ce que le PAGC n'a pas envisagé.
    Monsieur Juneau, je ne vous oublie pas. Je vous remercie beaucoup aussi de vos remarques.
    Vous avez écrit dans un de vos articles: « Il ne faut pas confondre une victoire hautement visible — mais pas plus que tactique et symbolique, en fin de compte — avec les grands coûts supplémentaires que le programme a imposés à l'Iran. »
    Quels devraient être d'après vous les buts ultimes du régime de sanctions et quelle est l'importance des leviers pour ce qui est de veiller à ce que nous fassions progresser nos buts de politique étrangère également?
(1600)
    Dans le contexte actuel post-PAGC?
    Oui.
    À ce stade, le PAGC prévoit la levée d'un grand nombre de sanctions, mais pas de toutes. Il a été assez clair, sur papier du moins, que ce sont les sanctions liées au nucléaire qui sont levées. Les autres sanctions non nucléaires ne sont pas levées, que ce soit sur le plan des droits de la personne, de l'appui du terrorisme ou d'autres questions. L'autre témoin a un peu parlé de cela.
    À ce stade, comme la relation avec l'Iran demeure conflictuelle, nous pourrions souhaiter davantage de rapprochement, ou pas vraiment, mais elle demeure conflictuelle. Là encore, comme l'a mentionné l'autre témoin, les sanctions demeurent un outil d'influence efficace pour le Canada, pour les États-Unis, pour les P5+1, pour le monde occidental dans son ensemble.
    Je ne me souviens pas exactement quel était le contexte quand j'ai écrit ces mots. À mon avis, le défi concernant les sanctions auquelles le Canada est présentement confronté dans le contexte très étroit de ses objectifs, c'est que nous ne pouvons lever certaines de ces sanctions. Bien que les procédures intégrées portant sur la levée de ces sanctions soient relativement simples sur papier, des considérations politiques et la voie de dépendance qui a été intégrée dans l'ensemble du processus ont institutionnalisé et rendu routinières les sanctions, de bien des façons.
    Le Canada est présentement bloqué dans certaines de ces sanctions. Le gouvernement actuel voudrait les lever, mais il lui est très difficile de le faire. C'est très problématique, je trouve, pour la simple raison que le pays s'est acculé au pied du mur et il ne peut simplement déclarer: « Eh bien, je vais enjamber le mur. » Le Canada s'est acculé. Il s'est lié les mains avec ces sanctions, et aimerait avancer, mais ne peut le faire parce que c'est très difficile. Cela fait que du point de vue purement technique, c'est une mauvaise politique parce que le mouvement est presque impossible.
    Merci, monsieur Saini.
    C'est le tour de Mme Laverdière; allez-y, madame.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci à vous deux. Vous avez tous les deux fait une présentation vraiment très intéressante.
    Mes questions sont dans la même veine que celles de MM. Allison et Saini à propos des sanctions américaines et de la participation des États-Unis au Plan d'action global commun.
    Vous avez mentionné, monsieur Nephew, la possibilité de renégocier les accords. Plutôt que de renégocier, est-il légitime d'envisager une situation où, simplement, les États-Unis se retireraient unilatéralement? Est-ce un scénario possible?

[Traduction]

    Je crois que ce scénario est très possible. C'est ce que les opposants à l'accord sur le nucléaire ont dit vouloir. Je ne crois pas que ce soit le scénario le plus probable présentement. Je crois que M. Trump essaiera de dire: « Je suis un homme d'affaires. Je fais des affaires. Nous renégocions des ententes tout le temps, et j'aimerais donc renégocier cet accord. » Je crains cependant que ses demandes seront tellement onéreuses que cela équivaudra à s'avancer avec un ultimatum: ou bien vous signez ici, ou bien nous nous retirons. Je ne pense pas que ce serait très efficace.

[Français]

    Merci beaucoup.
    Monsieur Juneau, vous mentionniez dans votre présentation, fort intéressante également, que l'imposition de sanctions comprenait des risques. Cependant, les risques que vous nous avez décrits de manière générale sont ceux associés à la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme.
    Est-ce qu'on peut ou est-ce qu'on doit faire une distinction entre cette loi très spécifique et les mécanismes habituels de sanctions découlant des autres lois en la matière? Le Comité devrait-il apprendre certaines leçons de tout cela?
(1605)
    Merci beaucoup. C'est une très bonne question.
    Le premier point que je devrais mentionner en répondant à votre question, c'est que je ne suis pas un expert au chapitre des sanctions en général. Mon expertise touche plutôt le Moyen-Orient, l'Iran ainsi que les relations entre le Canada et cette région. J'hésiterais à m'aventurer du côté des sanctions en général, parce que ce n'est pas mon champ d'expertise.
    Dans le cas précis des relations avec l'Iran, il faut voir cela comme une occasion manquée. En raison des contraintes que le Canada s'est lui-même imposées en construisant un mécanisme qui est aujourd'hui extrêmement complexe à éliminer, il se ferme des portes. Or, pour moi, en politique étrangère en général, l'idée selon laquelle un État s'imposerait lui-même des contraintes constitue un non-sens. C'est une façon pour un État de se pénaliser lui-même sans qu'aucun autre pays ne soit en cause. D'habitude, ce sont les autres pays qui nous imposent des contraintes, mais dans ce cas, nous nous les sommes imposées nous-mêmes.
    Évidemment, dans le cas de l'Iran, les occasions manquées sont limitées. Il ne faut pas voir cela comme étant plus gros que ce ne l'est. Les relations Canada-Iran ne seront jamais importantes pour le Canada ou pour l'Iran. Le potentiel commercial et diplomatique est très limité, mais il y a quand même un plafond, aussi bas soit-il, qu'on est incapable d'atteindre à cause de ces sanctions. Il y a un certain potentiel commercial, mais il y a aussi la dimension consulaire. On l'a vu dans le cas de Homa Hoodfar, qui a été résolu il y a quelques mois. On ne sait pas pourquoi le cas a été résolu, c'est demeuré mystérieux, mais au minimum, ce qu'on peut déduire de l'information disponible publiquement, c'est que de ne pas avoir d'ambassade sur le terrain n'a certainement pas facilité les choses.
    Des cas consulaires avec l'Iran, il y en a eu par le passé et il y en aura très probablement d'autres dans l'avenir. Ici, il faut voir cela comme une occasion manquée pour le pays, et c'est contre l'intérêt national.
    Quand vous parlez de cette occasion manquée et de ce mécanisme complexe qu'on a utilisé et qui nous ferme des portes, vous parlez non pas des sanctions multilatérales que nous avons prises avec nos partenaires, mais bel et bien précisément de la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme, n'est-ce pas?
     Absolument.
    Dans ce cas-ci, je parle de la dimension unilatérale étant donné que le Canada, de façon générale et aussi dans le cas de l'Iran, suit les autres pays sur le plan multilatéral.
    Lorsque le Conseil de sécurité de l'ONU décide par exemple d'adopter des sanctions contre les États-Unis, le Canada emboîte le pas. Nous n'avons, à toutes fins pratiques, aucune influence à cet égard.
    Cela n'est pas un reproche adressé au gouvernement actuel, ni au gouvernement précédent. Nous ne sommes tout simplement pas un joueur important. Cependant, nous avons une petite marge de manoeuvre sur le plan unilatéral et de nos relations bilatérales directes avec l'Iran.
    J'insiste encore une fois pour dire que les occasions manquées ne sont pas si nombreuses, mais elles existent quand même.
    Elles existent quand même, et je vous dirais que je suis de ces personnes qui croient aussi que l'engagement et le dialogue sont absolument essentiels.
    Faudrait-il revoir la Loi sur la justice pour les victimes d'actes terroristes?
    D'après moi, la réponse est oui, sans aucun doute.
    Je ne l'ai pas dit dans ces mots lors de ma présentation, mais je crois que mon évaluation était claire et que cette loi est négative pour le Canada en raison de son impact sur l'intérêt national.
    L'aspect principal de ma présentation est par contre que la situation est très complexe. Non seulement le fait d'enlever l'Iran de la liste des États qui soutiennent le terrorisme est complexe en tant que tel, mais d'éliminer ou de modifier la Loi de manière importante exige un processus encore plus complexe politiquement. C'est là où je voulais en venir.
    D'accord.
    Par simple curiosité, la Syrie et l'Iran ont été identifiés comme étant des pays appuyant le terrorisme, mais d'autres pays auraient pu potentiellement être ajoutés à cette liste à l'époque.
    Potentiellement, oui. Dans le cas de la Syrie, je crois qu'en ce moment on peut à peine parler d'un pays. On peut donc le mettre de côté.
    Selon moi, le problème en ce qui a trait à cette loi, ce n'est pas tant les pays qui ne figurent pas sur la liste parce que, selon la manière dont on définit le soutien au terrorisme, il est évident qu'il pourrait y en avoir d'autres. L'Iran soutient le terrorisme. Il n'y a aucun doute à ce sujet. Ce n'est pas cela qui me pose problème. C'est plutôt le handicap que la Loi impose au Canada.
    D'accord. Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Levitt, allez-y.
    Je vous remercie tous deux de votre témoignage.
    Monsieur Juneau, j'aimerais aller un peu plus au fond de votre hypothèse voulant que la décision de notre gouvernement de ne pas éliminer les sanctions constitue une sorte de piège politique duquel nous sommes captifs, et non pas un acte politique fondé sur les principes, parce que c'est certainement ainsi que je le vois.
    Dans son annonce quand les sanctions du P5+1 ont été levées, le ministre Dion l'a présenté comme suit. Il a dit que nous gardons les yeux grands ouverts. Il a aussi dit:
Le Canada retirera ses sanctions, mais ce que le Canada maintiendra, c'est une méfiance envers un régime qui ne doit pas retourner dans l'armement nucléaire, un régime qui est un danger pour les droits humains, qui n'est pas un ami de nos alliés, notamment Israël.
    Il a aussi souligné l'aspect de l'État qui appuie le terrorisme, le fait qu'il doit y avoir une responsabilisation de ces choses avant que le Canada ne lève d'autres sanctions.
    Regardez un peu la situation actuelle en Iran. Ne voyons-nous pas un pays qui a augmenté le nombre des exécutions sous le régime Rouhani, et que celles-ci ont augmenté au cours des deux dernières années?
    Sur le plan des incitations contre Israël, il y a les roquettes portant des messages cryptiques lancées contre l'État d'Israël. Sur le plan du terrorisme appuyé par un État, Hezbollah, le représentant de l'Iran, oeuvre sur le terrain en Syrie, aggravant la situation déjà catastrophique dans les régions comme Alep et ailleurs. Avec toutes ces choses, compte tenu de l'intention déclarée — que d'autres sanctions ne seraient pas levées tant qu'il n'y aura pas eu prise en compte par l'Iran de sa responsabilité à l'endroit de son bilan en matière des droits de la personne, de son bilan en matière d'État parrainant le terrorisme et de son bilan en matière d'incitation de la violence contre l'État d'Israël —, cela ne signifie-t-il pas que nous avons choisi de suivre une politique fondée sur des principes plutôt qu'une simple déclaration politique?
(1610)
    Merci, c'est une bonne question. Il est indéniable que les droits de la personne en Iran laissent grandement à désirer. Vous ne m'avez pas entendu le nier ni contester les éléments individuels de votre question. J'aimerais insister sur un petit point cependant; l'augmentation du nombre d'exécutions sous le régime Rouhani est une vérité factuelle, mais ce n'est pas très utile à savoir étant donné que le président en Iran n'est pas celui qui détermine les politiques en matière de droits de la personne et de réforme politique. Cela vient du Guide suprême, qui n'est manifestement pas élu, mais le président ne décide pas ces choses, donc dire qu'il y a eu une augmentation sous son régime est certainement vrai, mais ce n'est pas... Sans dire que ce n'est pas pertinent, ce n'est pas...
    Je pense que vous pouvez ajouter le traitement des LGBTQ et des femmes, à la liste des violations des droits de la personne qui se poursuivent et augmentent là-bas sans compter les ressortissants étrangers qui sont emprisonnés et torturés dans des prisons.
    Je suis désolé. Poursuivez.
    Vous n'avez pas à me convaincre que les droits de la personne sont en piètre état en Iran. Je suis tout à fait d'accord avec vous.
    À mon avis, cependant, la discussion au niveau de la politique étrangère est utile car il n'y a rien à gagner à bannir un pays comme l'Iran. C'est bien bon de se dire que nous adoptons une position de principe et que nous ne parlons pas à ce régime, mais il y a des choses dont il faut parler avec ce régime. C'est absolument cliché de le dire, mais nous avons parlé avec l'Union soviétique durant la guerre froide, et il y avait des choses dont il fallait discuter.
    L'engagement... et je ne suis pas membre du Parti libéral, ni l'approuve politiquement, mais sur le plan technique, je suis d'accord pour dire que, ce qui a été dit à maintes reprises, engagement ne signifie pas accord. La diplomatie sert à discuter des choses dont on n'est pas d'accord.
    Permettez-moi de préciser, pour ce que ça vaut. Je suis un membre du Parti libéral, et nous ne parlons pas d'engagement ici. L'engagement est quelque chose que nous faisons, et nous envoyons des messages durs au sujet de certaines de ces questions.
    Je conteste ce que vous dites, que la décision de ne pas lever d'autres sanctions est une chose que vous voyez comme étant le Canada bloqué dans une situation politique. Je vous dis que notre politique d'engagement inclut le maintien de notre position de principe sur les sanctions jusqu'à ce que ces autres questions soient réglées, et sans précipiter les choses.
    Admettons que nous sommes en désaccord là-dessus, mais en fin de compte, j'estime que la politique étrangère consiste à étalonner des priorités multiples. Faire des droits de la personne la seule priorité dans la relation avec un pays comme l'Iran, ou n'importe quel autre pays, ce n'est pas la meilleure chose à faire.
    Si petit le Canada soit-il, si restreint soit son impact sur la scène mondiale, il peut, de concert avec des alliés... On a le meilleur impact sur le plan de l'amélioration, de la promotion et de l'encouragement des réformes politiques en matière de démocratie, de droits de la personne et d'autres aspects quand l'engagement sur les plans des droits de la personne accompagne d'autres aspects, que ce soit le commerce, les relations diplomatiques, et ainsi de suite.
    Je ne vois rien qui prouve que s'engager uniquement en fonction des droits de la personne et, par conséquent, ne pas s'engager..., que prendre des décisions uniquement en fonction des droits de la personne puisse mener à un résultat optimal de notre point de vue.
    J'aimerais souligner aussi l'incohérence de cela. Le Canada a des relations avec l'Arabie saoudite, et on peut dire que les droits de la personne en Arabie saoudite sont en bien pire état qu'en Iran, ou certainement pas en meilleur état. La question des droits de la personne est-elle soulevée dans nos échanges avec l'Arabie saoudite? Bien sûr, elle l'est, mais nous avons d'autres intérêts aussi, des intérêts commerciaux, stratégiques, consulaires, éducatifs, et ainsi de suite.
    À mon avis, l'argument voulant que nous ne nous engagions pas avec l'Iran uniquement en fonction des droits de la personne est très incohérent.
(1615)
    J'ai été très clair, et je ne parlais pas seulement du problème des droits de la personne. Je parlais aussi des problèmes qui sont très graves, comme l'État qui appuie le terrorisme, ce que nous voyons à Alep maintenant avec le Hezbollah qui représente l'Iran.
    Je vous dis seulement que ce n'est pas exclusivement une question de droits de la personne. Nous avons aussi vu le leadership manifesté par le Canada tous les ans aux Nations unies, de concert avec des alliés de même opinion, pour ce qui est de tenir l'Iran responsable de certaines de ces choses.
    Là encore, je m'opposais simplement à la présentation de cela comme le Canada pris au piège et incapable de bouger pour des raisons politiques, par opposition à ce que je vois comme étant notre ministre des Affaires étrangères prenant une position de principe, s'engageant, mais aussi ne réduisant pas toutes les sanctions tant que nous ne soyons pas au point où l'Iran a changé son comportement dans le forum international.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Levitt.
    Monsieur Miller, vous avez la parole.
    Merci, messieurs, de votre présence aujourd'hui.
    J'aimerais poursuivre sur le sujet des droits de la personne, quoique dans une perspective différente. Ma première question s'adresse peut-être à vous, Richard.
    En général, les sanctions, qu'elles soient unilatérales ou multilatérales, ont été réservées pour les domaines de la haute politique, des intérêts nucléaires, des situations où le comportement d'un acteur à viser par des sanctions a menacé la paix et la sécurité mondiales. La transition vers l'imposition de sanctions à des personnes et non pas à l'État en fonction d'un degré de violation des droits de la personne considéré intolérable de façon générale correspond à un désir de condamner en fonction d'un impératif moral, comme M. Levitt l'a mentionné.
    Je me demande quelles sont les limites à cette démarche sur le plan intellectuel, et même d'un point de vue idéaliste. Nous avons une divergence d'opinions avec notre allié le plus proche quant à la peine de mort. Nous n'approuvons pas la façon dont certains pays européens se comportent. Je ne parle pas d'une pente morale relativiste dangereuse. Je parle simplement de savoir où fixer la limite. L'efficacité est un argument, mais elle ne l'emporte pas forcément sur l'impératif moral.
    Il y a aussi la satisfaction de bloquer les biens de quelqu'un qui se trouvent là où cette personne a commis un acte de grossière indécence. Il serait répréhensible de les laisser profiter des gains générés par ces biens.
    J'aimerais vous demander de prendre quelques minutes pour réfléchir à ce type de tension auquel nous sommes confrontés, du point de vue géopolitique et commercial.
    Merci.
    Volontiers. Je crois que c'est une excellente question. C'est le genre de question auquel j'étais toujours aux prises en ma qualité d'ancien responsable des sanctions au Département d'État et à la Maison-Blanche.
    Je ne crois pas qu'il y ait une réponse parfaite, mais je vais vous dire comment j'interprète tant l'efficacité que la dimension morale ici. À mon avis, il est parfaitement raisonnable d'imposer des sanctions à des particuliers pour de graves violations des droits de la personne, de bloquer leurs biens et de leur refuser l'accès à notre pays. Je ne vois vraiment pas pourquoi le Canada devrait laisser le directeur de la prison d'Evin ou le tortionnaire en chef des autorités judiciaires de l'Iran entrer au Canada ou, à dire franchement, aux États-Unis.
    Le problème qui se pose à moi, c'est quand le désir de cibler des particuliers pour des actes répréhensibles individuels monte jusqu'au niveau de l'État. Comme l'autre témoin, j'ai aussi de sérieuses réserves pour ce qui est de décider que, à cause de violations de droits de la personne, nous ne permettrons pas à d'autres questions d'être traitées, ni de mettre en péril tous les autres enjeux géostratégiques du monde pour les droits de la personne. À mon avis, c'est une décision qu'on peut prendre, mais je crois qu'il y aura alors des problèmes d'uniformité et de normes communes à l'échelle du monde, ce qui serait problématique.
    Comme vous l'avez dit, nous avons une certaine divergence d'opinions en ce qui concerne la peine de mort, et en fin de compte, si vous deviez en faire une condition de votre capacité de faire affaire avec les États-Unis, ce serait contre-productif pour le Canada et contre-productif pour les États-Unis.
    À mon avis, nous devons décider du niveau d'efficacité auquel nous pensons que les sanctions pourraient fonctionner selon les préjudices que nous voyons dans le monde. Je ne crois pas qu'il ait été prouvé que les droits de la personne sont, au niveau d'un État, un déclencheur efficace de sanctions, et les sanctions n'ont pas réussi à régler le problème. Nous avons imposé des sanctions très sévères à l'Iran pour les questions du nucléaire et aussi d'autres questions, et les droits de la personne en Iran sont en aussi mauvais état que jamais. Je ne crois pas que des sanctions venant de l'extérieur changeront les choses.
    À dire franchement, le sentiment de risque auquel un pays est confronté sur le plan des droits de la personne, de sanctions, de changement de régime et ainsi de suite pourrait en réalité donner lieu à davantage de violations des droits de la personne. Je ne crois pas que ce soit forcément un cycle dans lequel n'importe qui voudrait s'engager.
    En résumé, je crois que les droits de la personne sont une excellente raison d'imposer des sanctions au niveau individuel. Je ne crois pas que quiconque ait besoin d'inviter dans son pays quelqu'un qui est accusé de graves violations de droits de la personne, mais quand il s'agit de déterminer s'il y a des problèmes géostratégiques que nous devons régler, comme nous l'avons fait avec l'Arabie saoudite, avec la Chine et avec d'autres pays dans le monde, il nous faut parfois nous pincer le nez pour pouvoir essayer de régler ces plus grands problèmes. Comme l'a dit l'autre témoin, c'est là qu'intervient l'établissement des priorités de politique étrangère.
(1620)
    Merci.

[Français]

     Monsieur Juneau, vous avez affirmé que la fermeture du consulat et nos sanctions contre l'Iran nous ont fait beaucoup de tort, particulièrement en ce qui concerne nos échanges avec ce pays. Vous dites que nous sommes pratiquement «behind the wall».
    Pourriez-vous développer davantage ces aspects en donnant des exemples au sujet des effets négatifs que cela a eus sur le Canada?
    Je veux aussi préciser que vous pouvez signer une carte de membre de notre parti sur le site liberal.ca, et que c'est gratuit. Je me permets une blague à ce sujet.
    Je vous laisse répondre à ma question
     Je tiens à mentionner que je suis rigoureusement non partisan dans mes analyses.
    Il est très difficile de répondre précisément à votre question parce qu'on en sait très peu, du moins publiquement, sur les questions consulaires. C'est pourquoi, dans le cas de Homa Hoodfar, qui a été résolu plus tôt cette année, on ne sait ni pourquoi elle a été emprisonnée par les autorités iraniennes — prise en otage, à toutes fins pratiques — ni pourquoi elle a été libérée.
    A-t-elle été prise en otage simplement en raison de disputes entre des factions au sein du régime iranien étant donné que des tenants de la ligne dure voulaient faire obstacle aux efforts d'engagement des modérés?
    Dans ce cas, c'est indépendant de toute action du Canada. Le fait qu'elle provienne d'un pays de l'anglosphère est effectivement un plus. Il s'agit souvent d'Australiens, de Britanniques, d'Américains et de Canadiens, mais il y a aussi eu des cas où il s'agissait de Français. Si la libération de Homa Hoodfar résulte de la façon dont ont évolué ces disputes entre les différentes factions, elle est relativement indépendante de toute action canadienne et, par conséquent, de la présence ou de l'absence d'une ambassade canadienne en Iran.
    Je maintiens qu'il est dans notre intérêt d'avoir une ambassade à Téhéran pour des raisons consulaires, diplomatiques, commerciales et ainsi de suite. Toutefois, je ne suis pas prêt à conclure, en ce qui a trait aux disputes consulaires et au cas par cas, que le fait de ne pas avoir eu d'ambassade nous a effectivement causé du tort. Il est impossible de trancher à cet égard étant donné qu'on en sait si peu publiquement sur ces cas. D'abord, on ne sait ni pourquoi ils se sont produits, ni comment ni pourquoi ils ont été résolus par la suite.
     Dans le cas de Mme Hoodfar, il y a une hypothèse que je considère plausible. Sans toutefois disposer de la moindre preuve, il est possible est que les autorités iraniennes craignaient qu'elle devienne très malade en prison. Les autorités iraniennes ne sont pas des anges. Elles n'ont aucune considération pour les droits de la personne, mais elles sont conscientes des questions touchant les relations publiques.
     La mort de Zahra Kazemi, il y a 13 ans, a été un désastre pour le gouvernement iranien en matière de relations publiques. Au plus haut niveau du gouvernement iranien, on a peut-être décidé de faire en sorte que des cas de ce genre, où des citoyens ayant une double nationalité meurent en prison, ne se reproduisent plus. En revanche, il arrive très souvent que des citoyens iraniens meurent en prison, et cela ne cessera pas. Or à ma connaissance — et je pourrais me tromper —, ce cas impliquant une personne ayant une double nationalité a été le dernier. Homa Hoodfar était malade et plus âgée, et il est possible qu'elle ait été libérée pour ces raisons. Cela dit, on ne peut pas en être certain.
    Merci.

[Traduction]

    Merci, monsieur Miller.
    Monsieur Kmiec, allez-y, je vous en prie.
    Je commencerai par vous, monsieur Juneau.
    J'aimerais commencer par l'Iran et donner suite à certaines des questions de M. Levitt. J'ai un problème, parce qu'il a pris toutes mes questions, de même que les observations que j'allais faire.
    Je crois qu'une des bonnes choses que le gouvernement a faites, c'est de poursuivre la politique du gouvernement précédent sur l'Iran. Il ne s'agit pas seulement des droits de la personne; c'est leur programme d'armes nucléaires, l'agressivité qu'ils ont manifestée envers nos alliés dans cette région particulière du monde, ainsi que leur soutien continu à des groupes terroristes. C'est essentiellement une ignorance complète pour ce qui est de cesser leur défense, leur promotion et leur soutien non seulement du Hezbollah et de Hamas, mais aussi du Djihad islamique palestinien. Ce pays a eu un rôle dans la tentative d'attentat à la bombe contre un diplomate israélien le 13 février 2012. À Bahrain, il y a eu un complot d'attentat à la bombe le 30 septembre 2015. C'est constant. Il n'a pas arrêté de faire cela à l'endroit tant de nos alliés que d'autres intérêts que nous avons dans la région. Il a des milices Qods dans le sud de l'Irak. Il a eu un rôle en Afghanistan, et il a présentement un rôle dans la guerre civile du Yémen.
    Pourquoi devrions-nous lui faciliter la tâche de rejoindre le monde international ou le monde occidental, et permettre aux membres de son régime d'avoir accès aux finances et aux voyages? D'un côté, je suppose, nos sanctions ont fonctionné pour ce qui est de le contraindre et de retarder son programme d'armement, et de lui donner un peu matière à réflexion dans ses rapports avec les autres. Pourquoi devrions-nous reprendre pleinement nos relations avec ce pays et le récompenser avec une ambassade?
(1625)
    Vous avez raison, le Plan d'action global commun n'a pour ainsi dire rien changé à la politique étrangère de l'Iran. Nous sommes d'accord sur ce point.
    Je dois dire, cependant — et c'est une question à laquelle je me suis particulièrement intéressé — que, de manière générale, ceux qui critiquent l'Iran ont tendance à exagérer l'étendue de son influence dans la région. C'est ainsi, par exemple, que l'Iran n'a que peu d'influence au Bahreïn. Elle apporte à certains mouvements d'opposition un appui très limité qui n'influe guère sur la situation. Il en va de même au Yémen, où les Houthis n'agissent aucunement pour le compte de l'Iran. Ce n'est pas du tout un mouvement fantoche manipulé par l'Iran. Au Yémen, l'influence exercée par l'Iran est en fait très réduite.
    Je suis d'accord avec vous à plusieurs égards, mais je tenais à apporter cette petite précision.
    Cela dit, je ne pense pas que, comme vous le disiez, la réouverture de notre ambassade à Téhéran facilite la vie du gouvernement iranien. À vrai dire, c'est mal comprendre le rôle de la diplomatie. La diplomatie nous permet de faire avancer nos intérêts. Or, nous avons, effectivement, des intérêts en Iran. Nous y avons des intérêts consulaires et commerciaux, mais notre présence là-bas se justifie aussi à divers autres égards. Je ne pense pas que le fait de tenir l'Iran à l'écart servirait nos intérêts. En entretenant une ambassade en Iran, en entretenant, sur le plan commercial, certains... Nous n'aurons jamais, avec l'Iran, de très importantes relations commerciales, pas uniquement pour des raisons d'ordre politique. Nos pays sont très éloignés l'un de l'autre. Notre économie est somme toute modeste et nous ne devons pas l'oublier.
    Ce n'est pas en nous érigeant en défenseurs de la morale internationale que nous servirons nos intérêts.
    Monsieur Nephew, vous faisiez, aux États-Unis, autrefois partie du Département d'État, et je voudrais vous poser une question au sujet du rôle qu'exerce aux États-Unis la Loi Magnitski. Un de nos collègues a présenté le projet de loi C-267, qui reprend sensiblement dans les mêmes termes un projet de loi qu'avait présenté Irwin Cotler, ancien député fédéral libéral mondialement respecté pour sa défense des droits de la personne.
     Qu'avez-vous constaté au sujet de la Loi Magnitski? Donne-t-elle, aux États-Unis, les résultats voulus? Quelle place occupe-t-elle dans le contexte de la politique étrangère américaine? La considère-t-on comme un moyen supplémentaire de pression vis-à-vis des membres du gouvernement russe afin d'obtenir de celui-ci un certain nombre de concessions sur le plan diplomatique? A-t-elle donné les résultats escomptés?
    Vous avez correctement décrit l'objet du texte en question. Il doit en effet permettre d'exercer des pressions sur certains individus pour qu'ils cessent de faire ce que l'on souhaite qu'ils ne fassent pas, et en l'occurrence, pour qu'ils mettent fin aux violations des droits de la personne en Russie. Certains envisagent d'étendre cette loi à l'ensemble de la planète afin de défendre les droits de la personne dans toutes les régions du monde.
    Je pense que cela peut, effectivement, compliquer la vie d'un certain nombre d'individus, mais je ne pense pas que cela puisse faire évoluer la politique d'un État. C'est, pour moi, le point essentiel. Dans la mesure où en Russie, les atteintes aux droits de la personne sont impulsées au sommet de l'État, sont inspirées par le Kremlin, rien ne permet d'affirmer que la Loi Magnitski a influencé la politique de l'État russe au plan de la justice et des droits de la personne.
    Je pense que cela resterait vrai, si nous étendions au monde entier la portée de la Loi Magnitski. Cela empêcherait certes à certaines personnes de se rendre aux États-Unis puisqu'il leur serait interdit d'y exercer des activités bancaires, mais à moins d'en faire un élément essentiel de la relation géostratégique entre les États-Unis et la Russie, et d'empêcher aux grandes entreprises russes d'exercer leurs activités aux États-Unis, d'y investir, de s'y livrer au commerce, je ne pense pas que les dispositions actuelles auraient suffisamment de poids pour peser, en matière de droits de la personne, sur des politiques définies au sommet de l'État.
    D'après moi, ces dispositions sont surtout destinées à donner bonne conscience. On a l'impression d'agir, et s'il est vrai que ce genre de mesures exercent une certaine influence morale, elles n'ont pas eu grand effet jusqu'ici.
(1630)
    Bon.
    Je vais devoir vous interrompre.
    Chers collègues, je tiens, au nom du Comité, à remercier M. Nephew et M. Juneau. J'aurais voulu avoir une heure de plus, car j'ai pris un grand intérêt aux échanges entre eux et les membres du Comité, mais nous sommes malheureusement à court de temps.
    Je vous remercie tous les deux des exposés que vous nous avez présentés, et de la franchise avec laquelle vous vous êtes exprimés.
     Nous allons maintenant, chers collègues, suspendre un instant la séance et nous préparer à accueillir nos autres témoins.
(1630)

(1630)
    Chers collègues, la séance reprend.
    Au cours de cette deuxième heure, nous allons nous entretenir par vidéoconférence avec Andrea Berger, qui va se joindre à nous depuis New York. Mme Berger est directrice adjointe, Politique nucléaire et non-prolifération, et agrégée supérieure au Royal United Services Institute.
    Soyez, madame, la bienvenue. Nous allons, selon notre habitude, d'abord écouter votre exposé. Nous passerons tout de suite après aux questions. Le temps nous étant compté, je vous passe sans attendre la parole.
    Permettez-moi de débuter en exprimant les réserves d'usage. Je suis née au Canada, où j'ai également grandi. Je n'ai cependant pas eu, depuis assez longtemps, l'occasion de me pencher de près sur la politique du Canada vue de l'intérieur, et en ce qui concerne les deux mesures législatives dont il est question aujourd'hui, je ne suis donc, si l'on peut dire, qu'une spectatrice engagée.
     Cela dit, je m'intéresse de près à ce qui se passe en Corée du Nord, et aux divers risques de prolifération, et mes travaux portent sur les mesures imposées pour borner l'action des pays en cause. C'est donc très volontiers que j'aborde le sujet qui retient actuellement votre attention.
    Je voudrais commencer en lançant un appel. Nous avons, en effet, d'amples raisons de nous inquiéter au plus haut point de la menace que présente la Corée du Nord. Cette menace n'est pas géographiquement circonscrite, et elle touche le Canada de manière à la fois directe et indirecte. Souvent, lorsque je présente un exposé sur la question, je projette une diapositive qui indique où, dans les diverses régions du monde, la Corée du Nord a pu se voir reprocher, ces cinq dernières années, des affaires de blanchiment d'argent, de contrebande et d'autres types d'activités illicites. Cette diapositive montre l'étendue de ce type d'activités qui, en effet, concernent dans une certaine mesure, le Canada.
    Je précise que la menace que présente la Corée du Nord ne fait qu'augmenter dans ses divers aspects. On parle depuis longtemps de ses programmes de construction de missiles à tête nucléaire, et de ses autres programmes d'armes de destruction massive. Ajoutons, bien sûr, que la Corée du Nord a un comportement qui, de manière générale, fragilise l'ordre international. Il est rare qu'un jour passe sans que ce pays menace d'anéantir Séoul, Washington ou Los Angeles. Ce n'est cependant pas l'unique aspect inquiétant du problème. En effet, malgré le régime de sanctions qu'on lui applique, la Corée du Nord continue à vendre à une clientèle mondiale nombreuse des armes classiques, certes, mais aussi des composants de missiles balistiques et l'assistance technique nécessaire. La manifestation la plus récente du risque posé par la Corée du Nord est la puissante offensive cybernétique à laquelle elle s'est récemment livrée. La Corée du Nord s'est en effet montrée disposée à lancer, contre de grosses sociétés multinationales, des cyberattaques extrêmement sophistiquées. Elle pirate régulièrement les réseaux informatiques de banques et déstabilise le système financier international. Nous avons de bonnes raisons de nous inquiéter.
    Reconnaissons en même temps que si le Canada est affecté à la fois directement et indirectement, il n'est pas, dans cette affaire, un personnage central. C'est dire que, dans la recherche d'une solution, il est appelé à jouer un rôle essentiellement de soutien, et qu'il convient, par conséquent, de réfléchir aux moyens de définir une politique qui tienne compte de cela.
    Depuis longtemps, mais particulièrement au cours de ces dernières années, le Canada a eu, envers la Corée du Nord, une politique de grande fermeté. Il y a plusieurs années déjà que cette politique interdit, de manière générale, aux Canadiens de commercer avec la Corée du Nord, les seules exceptions concernant les échanges humanitaires. Cette politique est relativement facile à appliquer, ses éléments essentiels étant des contacts réduits au minimum, l'absence de commerce et une position très ferme en matière de droits de la personne. La mise en oeuvre de cette politique n'exige pas de gros moyens de surveillance et de suivi.
    Je voudrais m'étendre un peu sur cet aspect de la question. D'après ce que je vois, cette politique n'a guère changé malgré l'alternance gouvernementale. C'est du moins ce qui s'est produit jusqu'ici. Pour l'essentiel, les mesures mises en place par le Canada au cours des dernières années continuent à s'appliquer et c'est d'après moi une bonne chose. Je ne vois en effet aucune raison de changer le dispositif actuel, que ce soit au plan du commerce, du dialogue interétatique ou des droits de la personne.
(1635)
    Compte tenu de la manière dont évolue la menace que pose la Corée du Nord, je ne pense pas que l'on puisse encourager les relations commerciales avec ce pays. Je ne vois pas non plus ce qui justifierait, de la part du Canada, un rôle plus actif dans le cadre des pourparlers engagés en matière de sécurité avec la Corée du Nord, et un resserrement des liens diplomatiques. L'important, selon moi, serait plutôt de se pencher sur les éléments essentiels de la politique canadienne vis-à-vis de ce pays. Deux aspects qui devraient à cet égard retenir notre attention.
     Le premier concerne le renseignement et les mesures de surveillance. Cela touche le comportement illicite que la Corée du Nord manifeste dans de nombreux domaines, car elle s'est, avec le temps, forgé des moyens et des techniques extrêmement sophistiqués qui lui permettent de contourner le régime de sanctions. Je voudrais, sans trop entrer dans le détail, préciser qu'à l'échelle internationale, la Corée du Nord exerce ses activités commerciales non pas en son nom propre, mais par le biais d'intermédiaires. Cela crée d'énormes problèmes pour l'application d'un régime de sanctions lorsqu'il s'agit d'interdire à Pyongyang de se livrer à certaines activités. La majorité des pays du monde éprouve effectivement de grandes difficultés à appliquer les nombreuses restrictions imposées par les Nations unies à la Corée du Nord. Le régime de sanctions est, en effet, aussi compliqué qu'étendu.
    Si je me trouve à New York, c'est parce que mercredi, le Conseil de sécurité de l'ONU est appelé à se prononcer sur une nouvelle résolution qui va ajouter encore à la complexité du régime de sanctions. C'est dire qu'il existe, au niveau de la mise en oeuvre, un véritable problème. Il est donc bon de réfléchir à ce que des pays comme le Canada pourraient faire pour atténuer cet aspect du problème. Il s'agirait, si vous voulez, de sustenter la politique en vigueur. Sommes-nous en mesure d'aider les pays du sud-est asiatique, ou les nations africaines à appliquer le régime de sanctions? Ces régions du monde sont, en effet, à l'origine de multiples fuites dans le régime de sanctions, et qui permet à la Corée du Nord de poursuivre ses activités illicites.
    Permettez-moi de m'en tenir là. C'est avec plaisir que je répondrai maintenant à vos questions et que j'entrerai, si vous voulez, dans davantage de détails sur certains aspects du problème.
(1640)
    Madame Berger, je vous remercie.
    Nous passons maintenant la parole à M. Kmiec.
    Je tiens à vous remercier d'avoir répondu à notre invitation. Je suis toujours content de voir reconnaître à l'étranger des compétences canadiennes.
    Merci.
    Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet des opérations de blanchiment d'argent menées par la Corée du Nord? S'y livre-t-elle au Canada? Pourriez-vous, à cet égard, nous fournir quelques détails,
    Je ne pensais pas particulièrement au risque posé par le blanchiment d'argent et je n'ai pas de données précises concernant d'éventuelles transactions auprès d'établissements financiers canadiens.
    Je peux dire, cependant, que la Corée du Nord est, ces dernières années, parvenue à se procurer au Canada des marchandises et des composants qu'aurait dû normalement l'empêcher d'obtenir la législation canadienne sur le contrôle des exportations. C'est ainsi que l'on apprend, dans un récent rapport de l'ONU, que la Corée du Nord emploie, pour piloter ses drones, des calculateurs de commandes de vol fabriqués au Canada. C'est dire que la Corée du Nord reste en mesure de se procurer les produits de la technologie canadienne.
    Reconnaissons que cela est dû au moins en partie au caractère sophistiqué des manoeuvres employées par la Corée du Nord. Elle sait très bien s'y prendre pour créer, en Chine certes, mais aussi dans d'autres pays, des sociétés-écran et, sans une analyse approfondie d'un dossier, on ne peut pas savoir que des Coréens du Nord agissent en sous-main. Lorsque la transaction est effectuée par une petite ou moyenne entreprise chinoise, par exemple, on ne peut guère dire qui est, derrière le paravent, l'utilisateur final.
    Pourriez-vous nous dire quelque chose du rôle de la Chine? Je n'entends pas par cela l'État chinois, mais des entreprises chinoises qui aident la Corée du Nord à éluder les sanctions. Cela complique-t-il la tâche des pays occidentaux? La Chine a elle-même tout intérêt à maintenir la stabilité de la péninsule coréenne. Comment fait-elle alors pour soutenir son allié sans pour cela déstabiliser davantage la région?
    Je pourrais consacrer à cette question toute l'heure qu'il nous reste.
    Il faut, à cet égard, évoquer les échanges commerciaux, car toutes les exportations de la Corée du Nord passent en fait par la Chine. Cela vaut aussi en grande partie pour les circuits financiers qui sous-tendent les échanges de marchandises.
     La Corée du Nord a monté en Chine d'importants réseaux commerciaux. Elle travaille de concert avec des ressortissants chinois, mais il y a, par ailleurs, en Chine, une importante diaspora coréenne. Ces réseaux sont, si vous voulez, la porte d'entrée qui donne à la Corée du Nord accès au commerce mondial. Cela permet à la Corée du Nord de conférer à ses exportations une provenance chinoise, et de doter ses importations d'un utilisateur final de nationalité chinoise.
    La relation commerciale avec la Chine est un aspect important du problème. C'est à la fois une question de situation générale et de relations interpersonnelles. C'est cela qui ouvre à la Corée du Nord la porte du commerce international et de la finance.
    En ce qui concerne, maintenant...
(1645)
    Puis-je vous interrompre? Je ne voudrais pas me retrouver à court de temps.
    Mais alors, ces personnes de la diaspora, qu'elles soient coréennes ou qu'elles appartiennent au monde chinois des affaires, sont nombreuses, mais si je comprends bien, elles ne sont pas elles-mêmes visées par les sanctions.
    Cela n'arrive en effet que rarement. Tout dépend du régime de sanctions en question. Les sanctions décrétées par l'ONU visent dans la plupart des cas des Nord-Coréens. Il s'agit parfois de Nord-Coréens installés à l'étranger, mais les sanctions s'appliquent plutôt aux entreprises de Corée du Nord ou aux diplomates nord-coréens. Il est rare que l'ONU vise un non-Nord-Coréen servant d'intermédiaire. Cela s'est déjà produit, mais on vise généralement des Nord-Coréens. La situation est toutefois différente en ce qui concerne les sanctions décrétées par les États-Unis, ou l'Union européenne.
    On sait qu'aux États-Unis, on propose l'adoption d'un projet de loi dénommé Global Magnitsky Human Rights Accountability Act. Notre propre Parlement est actuellement saisi du projet de loi C-267, la Loi de Sergueï Magnitski. Ce type de texte donne-t-il à un gouvernement tel que celui des États-Unis les moyens de s'en prendre à ces diverses organisations, une chambre de commerce chinoise ou nord-coréenne, par exemple, et d'exercer sur elles des pressions afin de les obliger à respecter les sanctions, ou afin de nuire à leur commerce?
    Est-ce là un aspect de la question que vous avez examiné dans le cadre de vos recherches à Londres? Y voit-on un moyen d'intervention supplémentaire? Ce type de mesure permettrait-il de s'en prendre à ces organisations illicites, à ces prête-noms qui permettent à la Corée du Nord de contourner les sanctions?
    Je ne me suis pas encore penchée sur les nouvelles mesures envisagées par les États-Unis, mais je ne vois pas très bien ce qu'elles ont de différent. Les États-Unis ont, en effet, déjà les moyens de sanctionner les entreprises étrangères autres que celles de nationalité nord-coréenne. Elles l'ont fait à maintes occasions. Cela est également vrai de l'Union européenne. Prenons par exemple la liste que les États-Unis ont dressée des entreprises et individus qui, à Singapour, facilitent les opérations commerciales de la Corée du Nord.
     Les États-Unis se sont donc déjà donné les moyens juridiques nécessaires. Ils n'hésitent d'ailleurs pas à en faire usage. C'est un point essentiel. Cela dit, l'inscription sur une liste n'est pas d'une efficacité à toute épreuve. Ces listes sont à la fois nécessaires, mais insuffisantes, car la Corée du Nord est à même de changer rapidement d'apparence. Il faut donc, lorsqu'on dénonce une entité en raison de sa participation à un réseau nord-coréen, identifier de manière précise le maillon qui détient des biens ne pouvant pas être facilement déplacés ou transférés. Cela est absolument essentiel.
    La Corée du Nord parvient, la plupart du temps, à monter une nouvelle société-écran ou à modifier la manière dont elle opère, et cela beaucoup plus rapidement qu'il n'est possible d'adopter des dispositions législatives permettant de justifier une inscription sur la liste des sanctions.
    Je vous remercie.
    Nous passons maintenant la parole à M. Fragiskatos.
    Je tiens à vous remercier, madame Berger, des éléments d'information que vous nous livrez.
    Nous nous penchons depuis des semaines sur la question des sanctions et je m'intéresse particulièrement à l'idée que les sanctions sont une sorte de panacée qui permettrait de régler tous les problèmes. Je simplifie à l'extrême, mais de nombreux membres de la communauté internationale me semblent effectivement avoir cette idée.
    J'ai lu votre article sur le Canada, publié sur le site Internet 38 North. Dans cet article, vous réfléchissez aux moyens de répliquer aux risques que la Corée du Nord fait peser sur la sécurité.
    En ce qui concerne l'efficacité des sanctions, et l'idée qu'elles permettraient de régler tous les problèmes, je relève que, comme vous l'avez dit tout à l'heure, en 2013, la Corée du Nord a pu se procurer pour équiper ses drones des ordinateurs de vol d'origine canadienne. On a aussi vu qu'en 2014, la Corée du Nord a pu obtenir des produits chimiques fabriqués par Dow Canada. Vous avez déjà parlé de cela en réponse à une question que vous posait un de mes collègues, mais pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Étant donné l'existence d'un régime très sévère de sanctions, comment se fait-il que la Corée du Nord parvienne néanmoins à se procurer ce type de marchandises?
(1650)
    Pour ce qui est de l'idée que les sanctions seraient la panacée, je suis entièrement d'accord avec ce que vous venez de dire. Les sanctions sont en effet de plus en plus utilisées en réponse à des menaces pour la paix et la sécurité, des violations des droits de la personne, l'ingérence russe en Crimée, ou aux risques de prolifération et de terrorisme. Les sanctions font partie de la panoplie de nos moyens de réponse face aux divers types de menaces.
    Cela dit, je ne pense pas que nous ayons changé l'idée que nous nous faisons de leur utilité. Nous continuons en effet à n'y voir que le moyen d'infléchir les comportements. Il est clair que si les sanctions ne permettent pas d'obtenir que telle ou telle personne ou telle ou telle entité modifie son comportement, elles servent surtout à nous donner bonne conscience.
    Or, ce n'est pas très utile du point de vue politique. En ce qui concerne maintenant la manière dont la Corée du Nord parvient à contourner les limites que l'on cherche à lui imposer, je voudrais revenir à ce que nous disions plus tôt au sujet des paravents derrière lesquels elle peut se cacher pour opérer à l'étranger. C'est un élément essentiel des activités illicites de la Corée du Nord. La Corée du Nord a perfectionné les moyens d'édifier une façade lui permettant de camoufler son identité. À Singapour, les réseaux nord-coréens emploient des ressortissants singapouriens pour monter des entreprises avec des noms parfaitement anodins, et ouvrir des comptes en banque auprès d'établissements financiers qui ne sont pas dans le collimateur des autorités. À moins d'analyser en profondeur les entreprises en question, et de se pencher longuement sur la nature de leurs activités, on ne saura jamais que se trouve dans un appartement cossu quelque part à Singapour, un Nord-Coréen qui, comme un marionnettiste, tire les ficelles en coulisse.
    Cela nous ramène à ce que je disais tout à l'heure quant à l'importance du renseignement et des mesures de surveillance. Il nous faut tous, collectivement, parvenir à épier les moyens qu'a la Corée du Nord de monter des sociétés-écran. C'est quelque chose que nous pourrions faire en collaboration avec les établissements financiers, ou dans le cadre d'une coopération internationale, mais nous allons devoir pour cela renforcer nos moyens d'action et intensifier nos efforts de coopération.
    Je suis d'accord avec ce que vous avez dit au sujet des sanctions. Si je vous ai posé la question, c'est parce que, compte tenu des exemples que j'ai cités au départ, j'y vois effectivement un outil, mais un outil imparfait. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas y recourir, mais j'estime qu'on se trompe beaucoup en y voyant le moyen d'instaurer la paix et la sécurité. Vous nous avez expliqué cela très clairement.
    Je me trompe peut-être, mais dans votre article vous me semblez dire que le dialogue a lui aussi sa place. Le régime nord-coréen a quelque chose de très particulier et de très dangereux, mais le Canada a un rôle à jouer pour contrer la menace que la Corée du Nord présente au plan de la sécurité, et participer au dialogue avec les autres membres de la communauté internationale. Vous avez fait allusion à cela en évoquant le besoin de collaboration, de coopération. Vous parlez d'ailleurs, dans votre article, du besoin de collaborer avec les autres États, et de partager avec eux nos connaissances. Vous avez également évoqué l'utilité d'une concertation avec les établissements financiers.
    L'idée de collaboration me paraît intéressante, car en envisageant ces divers problèmes de manière isolée, on peut être tenté, face à un régime qui se livre à des violations systématiques des droits de la personne, et qui fait peser une menace sur la sécurité internationale, de couper tous les liens et de refuser le moindre contact. Or, en ce qui concerne la Corée du Nord, je pense que nous pouvons dialoguer utilement avec les États qui partagent notre point de vue et qui se préoccupent comme nous de la paix et de la sécurité internationales. Il y a, je crois, des occasions de pratiquer une sorte de diplomatie à la dérobée, et d'engager un dialogue indirect hors des canaux habituels. C'est une possibilité que vous avez vous-même évoquée dans votre article.
    Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce point?
(1655)
    On peut effectivement se poser la question de savoir avec qui dialoguer? Je serais la première à dire qu'au plan international le dialogue avec la Corée du Nord fait partie d'une éventuelle solution. Les sanctions visent, selon moi, à ramener la Corée du Nord à la table des négociations et, sur ce point, les pays concernés sont essentiellement d'accord. Rares sont ceux qui s'opposeraient à cela. Or, si c'est effectivement le but, il faut bien qu'il y ait une table des négociations à laquelle la Corée du Nord puisse être encouragée à revenir.
    On a vu la même chose pour ce qui est de l'Iran. Plus tôt, vous vous êtes entretenu avec Richard de ce qu'il a pu constater à cet égard.
    Ce n'est pas une recommandation qui s'adresse particulièrement au Canada, mais on peut dire, de manière générale, que le dialogue est un des pans du dossier nord-coréen.
    Ce que le Canada pourrait faire de plus utile serait de demeurer en contact avec les divers États concernés, et pas seulement avec ceux qui partagent son point de vue. J'estime que l'on pourrait intervenir plus utilement auprès d'États qui ne se sentent pas menacés par la Corée du Nord. Dans mes entretiens avec les représentants de certains gouvernements étrangers, il m'est arrivé d'avoir à rappeler un fait très simple, en l'occurrence le fait qu'il y a une Corée du Nord et une Corée du Sud.
    Beaucoup reste donc à faire. De nombreux pays n'accordent pas à la question une grande importance. Ils permettent aux diplomates nord-coréens en poste d'agir assez librement. Ils leur permettent de créer des entreprises et d'ouvrir des comptes en banque sans vraiment s'interroger sur leurs activités.
    Et puis, il y a aussi les pays sur lesquels on pourrait faire pression afin qu'ils coupent les liens troublants qu'ils entretiennent avec la Corée du Nord. Cela vaut pour de nombreux pays africains qui, contrairement aux résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, continuent à se procurer auprès de la Corée du Nord des armes et les marchandises et services accessoires.
    Si nous obtenons qu'ils mettent un terme à leurs relations politiques avec la Corée du Nord, nous devrons en même temps nous assurer qu'ils modifient en conséquence leurs lois et leur réglementation. C'est d'après moi dans ce sens-là que le Canada pourrait le plus utilement intervenir.
    Merci, monsieur Fragiskatos.
     Madame Laverdière, vous avez la parole.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Madame Berger, je vous remercie de votre présentation, qui était très intéressante.
    Dans votre dernière réponse, vous avez commencé à aborder un sujet dont je voulais vous parler. Dans votre présentation, vous avez employé l'expression « holes in the sieve » en parlant de l'Afrique et de ces enjeux. Je ne sais pas comment traduire cette expression en français, sinon par l'expression « des trous dans le tamis ».
    Quels sont les principaux pays problématiques à cet égard et que peut-on faire très concrètement? On peut amorcer un dialogue pour bien les sensibiliser à cet enjeu, mais quel appui technique pourrait-on fournir à certains de ces pays?

[Traduction]

    C'est une excellente question. Oui, je pense pouvoir employer le mot passoire.
    Les brèches ou les fuites sont plus ou moins graves selon les pays. Je dirais que, de manière générale, elles se situent essentiellement en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient et en Afrique. Ce sont les trois régions sur lesquelles nous devrions concentrer l'essentiel de notre action, non seulement parce que ce sont là que la Corée du Nord a ses principales voies d'accès, mais également parce que c'est là que l'on relève les principales failles du dispositif de sanctions. L'étendue géographique des régions en question illustre bien l'étendue du problème. On éprouve dans ces divers pays de multiples difficultés.
    Permettez-moi de vous en citer un exemple. La finance est un des domaines dans lequel il nous faut absolument parvenir à restreindre la liberté d'action de la Corée du Nord. Ce pays a monté à l'étranger d'excellents circuits financiers. Or, il est difficile de contrôler les comptes en banque nord-coréens à l'étranger, car il est difficile de savoir qu'un compte est lié à la Corée du Nord. Il faudrait donc, pour pouvoir imposer les restrictions nécessaires, entretenir des contacts réguliers avec les établissements bancaires et leur faire savoir que certaines opérations avec la Corée du Nord leur sont interdites. Or, il suffit de s'entretenir avec les autorités monétaires ou les autorités de régulation financière de certains pays d'Asie du Sud-Est, ou avec des établissements bancaires, pour voir que rien ne se fait à cet égard. Dans certains pays, des sociétés nord-coréennes continuent à pouvoir monter des banques en coentreprise avec des sociétés étrangères. C'est dire qu'il reste beaucoup à faire.
    Parfois, la législation interne empêche en fait le gouvernement d'appliquer les sanctions. Les lacunes de la législation en vigueur les empêchent même parfois de surveiller les diplomates nord-coréens ou de contrôler l'activité des passeurs de fonds. Dans le domaine financier, le plus important serait de faire adopter des dispositions législatives modèles, d'encourager un meilleur contrôle des exportations et la prise de mesures de lutte plus efficaces contre la criminalité financière, en particulier contre les opérations qui servent à financer la prolifération. De telles initiatives revêtent une extrême importance si nous voulons saper les assises financières des menaces qui se présentent. Si l'on entend intervenir en ce sens auprès des États d'Afrique, d'Asie du Sud-Est ou du Moyen-Orient, nous avons l'embarras du choix.
(1700)

[Français]

     Merci beaucoup.
    Vous savez que dans les communications avec les banques, par exemple, nous tentons de leur expliquer ce qu'elles peuvent faire ou ne pas faire. Au sein même de ce comité, nous nous rendons compte que déjà, au Canada, nous ne sommes peut-être pas forcément toujours un exemple pour ce qui est de la mise en oeuvre de mesures et du outreach ou de la sensibilisation.
    Cela dit, comme vous le disiez, les Nord-Coréens sont très habiles à contourner le système. J'ai apprécié vos commentaires sur la nécessité de faire un suivi et d'avoir des renseignements sur ce qu'ils font. J'ai également apprécié vos commentaires sur la nécessité qu'ont les pays de partager cette information plutôt que chacun fasse le même effort de son côté.
    Je me demandais ce que font les Nations unies elles-mêmes en ce sens.

[Traduction]

    Disons, à tout le moins, que les Nations unies n'ont pas mis en place les moyens qu'il faudrait pour soutenir le régime de sanctions visant la Corée du Nord. L'insuffisance des ressources apparaîtra encore plus clairement à la fin de la semaine, étant donné que le régime de sanctions va être renforcé. Les Nations unies vont devoir veiller au respect d'un nombre encore plus grand d'obligations.
    Au sein des Nations unies, le régime de sanctions visant la Corée du Nord relève d'un groupe de huit spécialistes choisis en fonction de leur pays d'origine et chargés de veiller au respect des sanctions imposées à la Corée du Nord. Au départ, ces experts avaient uniquement à faire respecter l'embargo sur les armes. Ils doivent désormais se pencher en outre sur une foule d'opérations commerciales, de la vente du charbon à celle de vanadium, du trafic de devises par des Nord-Coréens, au trafic des armes ou aux activités de prolifération. Leur tâche s'est énormément compliquée, mais les ressources qui leur sont affectées n'ont pas suivi.
    On pourrait dire la même chose du comité des sanctions des Nations unies qui intervient lui aussi dans le cadre des résolutions que nous avons évoquées. Le problème, pour reprendre l'image de tout à l'heure, est que le régime de sanctions est une véritable passoire dont le nombre de trous a beaucoup augmenté sans que l'on ait étoffé les ressources nécessaires au dispositif de surveillance.
(1705)
    Merci, madame Laverdière.
    Nous passons maintenant la parole à M. Wrzesnewskyj.
    Madame Berger, vous avez évoqué l'ingérence de la Russie en Crimée. Je voudrais, avant de poser ma question, rappeler l'importance du mot juste. Il ne s'agit pas, en effet, d'une simple ingérence, mais d'une invasion militaire et de l'annexation d'une parcelle de territoire appartenant à un État souverain.
    Mais revenons à la Corée du Nord qui, de l'avis général, dépend entièrement de la Chine pour ses échanges de marchandises, ses opérations financières et, aussi, la circulation des personnes. À toutes fins pratiques, la Corée du Nord est-elle un pays satellite de la Chine?
    Permettez-moi d'abord de dire que je suis tout à fait d'accord avec vous en ce qui concerne la Russie. Du point de vue du Royaume-Uni, la Russie représente une menace évidente et rapprochée, puisqu'il nous arrive parfois d'assister dans la Manche, au passage d'une escadre de la marine russe. Je ne voudrais donc pas laisser l'impression qu'on ne saisit pas toute l'ampleur de la menace, ou que l'on pense que nos homologues de l'autre côté de l'Atlantique ne comprennent pas pleinement la gravité du problème.
    Vous me permettrez, en revanche, de ne pas être d'accord sur le terme « État satellite ». La relation qui existe entre la Chine et la Corée du Nord est beaucoup plus complexe que cela. Certes, la Corée du Nord dépend en partie de la Chine, mais la relation entre les deux pays est extrêmement problématique. Il ne fait aucun doute qu'en ce qui concerne les missiles nucléaires, la Chine est très mécontente du comportement de la Corée du Nord. Je dirais même que les dirigeants de la Corée du Nord exaspèrent le gouvernement chinois. Les représentants chinois avec qui j'ai l'occasion de m'entretenir n'hésitent pas à dire que la Corée du Nord ne témoigne pas à la Chine le respect qui lui est dû. Là encore, il convient de s'arrêter sur le mot employé.
    Les préoccupations que la Chine éprouve vis-à-vis de la Corée du Nord sont classées par ordre prioritaire. Il y a trois choses que la Chine ne veut pas voir: la guerre, l'instabilité et les armes nucléaires. Voilà les priorités qui influencent l'attitude de la Chine vis-à-vis de la Corée du Nord.
    Le problème des armes nucléaires vient après celui de l'instabilité. Or, dans l'optique chinoise, l'intégration économique permet d'éviter l'instabilité. Vous comprenez les difficultés auxquelles on peut se heurter lorsqu'on évoque avec la Chine la mise en oeuvre du régime de sanctions. J'ajoute que la Chine applique cette politique non seulement à la Corée du Nord, mais à l'ensemble des pays de la région. La Chine considère, en effet, que la stabilité de ses relations avec les pays de la région passe par l'interdépendance économique.
    Cette conception vaut pour la péninsule coréenne, et donc, lorsque nous demandons à la Chine d'appliquer à l'égard de la Corée du Nord un régime de sanctions très lourdes, on lui demande en fait de renoncer à sa stratégie régionale. Nous devons faire en cela preuve de réalisme, et ne pas demander à la Chine de faire quelque chose qu'elle refusera vraisemblablement de faire.
    En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, la Chine est, théoriquement, partie prenante du régime de sanctions visant la Corée du Nord. Cela étant, nous comptons sur la collaboration de la Chine, mais on sait en même temps qu'elle facilite de diverses manières les opérations permettant de contourner dans une large mesure le régime de sanctions.
    Cela étant, quelle devrait être notre attitude vis-à-vis de la Chine? Il semble que, sur le plan pratique, le régime de sanctions serait très efficace si la Chine décidait de fermer sa frontière avec la Corée du Nord. Or, en fait, elle ne se contente pas de fermer les yeux. La Chine est, après tout, un régime totalitaire et ses responsables savent très bien ce qui se passe. Ils sont parfaitement au courant de ces milliers d'acteurs — car il ne s'agit pas de cas isolés — qui s'activent à éluder le régime des sanctions que la Chine a contribué à mettre en place.
    Alors, que devrions-nous faire?
(1710)
    D'après moi, la Corée du Nord va peut-être, dans une certaine mesure, nous aider à régler le problème. Une des difficultés provient du fait que, pendant très longtemps, la Chine a envisagé la menace présentée par la Corée du Nord dans une optique autre que celle des États-Unis et de ses alliés. Lorsqu'on évoque avec des représentants chinois la menace que fait peser la Corée du Nord, ils disent parfois « Eh bien oui, nous aussi nous considérons que les programmes de missiles de la Corée du Nord posent un grave problème, car les essais nucléaires auxquels les Nord-Coréens se livrent dans les montagnes proches de la frontière chinoise risquent de provoquer des tremblements de terre, et il se peut même que des matières nucléaires soient dérobées ». Si c'est de cette manière que vous envisagez la menace que présente la Corée du Nord, et que vous jouez un rôle aussi important que celui de la Chine en l'occurrence, il est manifestement difficile de s'entendre sur l'adoption d'une politique commune.
    Cela dit, il devient de plus en plus évident que le comportement de la Corée du Nord va finir par nuire à la sécurité de la Chine. Les effets peuvent être indirects, mais ils seront néanmoins ressentis. Pour s'en persuader, la Chine n'a qu'à voir où en sont les pourparlers entre les États-Unis et la Corée du Sud au sujet de l'installation, en Corée du Sud, d'un système de défense antimissiles.
    La Chine déteste ce dispositif de défense antimissiles. En faisant clairement savoir que l'installation de ce système de défense répond à l'aggravation de la menace nord-coréenne, menace que la Chine ne fait rien pour atténuer, on rappelle à la Chine que les missiles nucléaires de la Corée du Nord entraînent des conséquences pour sa sécurité, même si ces missiles ne sont pas orientés vers Pékin.
    Je vous remercie.
    Nous passons maintenant la parole à M. Saini.
    Je tiens à vous remercier, madame Berger, d'avoir répondu à notre invitation.
    Vous voudriez obtenir quelques précisions sur ce point technique. Il s'agit du décret du Président Obama modifiant les critères régissant l'inscription de particuliers sur la liste des personnes ou entités visées par les sanctions imposées à la Corée du Nord.
    Vous avez, à ce sujet, écrit que ce qu'il convient de retenir est que, selon ce décret, le Trésor n'a qu'à confirmer l'existence, entre l'entité ou l'individu concerné et la Corée du Nord, d'un lien, sans qu'il soit besoin d'établir la participation à une quelconque activité interdite.
    Pourriez-vous nous expliquer la différence que cela fait au plan de l'application des sanctions, et nous dire si cette mesure a effectivement aidé le gouvernement américain à mieux cibler les sanctions imposées?
    Certainement. S'agissant de l'inscription sur la liste des personnes ou entités visée par les sanctions, la charge de la preuve est modifiée et, théoriquement, l'individu ou l'entité en cause peut contester son inscription en justice. Les motifs avancés pour justifier la désignation doivent, effectivement, pouvoir se justifier devant un tribunal. Les arguments invoqués à l'appui de l'inscription aux fins du régime de sanctions revêtent donc une grande importance.
    En raison de ce décret présidentiel qui remonte, je crois, à janvier 2015, il n'est désormais plus nécessaire de démontrer qu'une entité ou un particulier a donné un appui matériel à une activité de prolifération, à un trafic d'armes classiques, ou à toute autre activité interdite. Il suffit désormais d'établir que l'entité ou le particulier en question est lié au gouvernement nord-coréen, ou a collaboré avec quelqu'un qui entretient des liens avec le gouvernement nord-coréen. Le pouvoir que confère ce décret présidentiel peut être interprété de manière très large et il est naturellement beaucoup plus facile d'établir qu'un ressortissant nord-coréen entretient des liens avec son gouvernement, ou que quelqu'un a monté une entreprise de concert avec un ressortissant nord-coréen entretenant des liens avec le gouvernement de la Corée du Nord qu'il ne l'est de démontrer que les personnes en question ont, par exemple, facilité le transport de marchandises associées, par exemple, à des activités de prolifération.
(1715)
    Je voudrais, à cet égard, vous poser une question supplémentaire au sujet d'entreprises visées par les sanctions. Vous avez, sur ce point, également écrit que:
Pour qu'une sanction soit à la fois ciblée et stratégique, il convient d'établir et de prendre en compte les différences qu'il y a entre une activité commerciale licite et une activité commerciale illicite, mais il faut en outre que ces distinctions soient communiquées avec suffisamment de précision...
    Quelles sont, d'après vous, les distinctions qu'il y a lieu d'établir? Pensez-vous qu'une meilleure communication permettrait de justifier plus amplement les sanctions et de mieux faire comprendre aux entreprises ce qu'il leur incombe de faire pour les respecter?
    La question se pose à un autre niveau et concerne nos pourparlers avec les gouvernements et les entreprises qui continuent à traiter avec la Corée du Nord. D'après moi, cela vaut surtout pour les résolutions adoptées par l'ONU avant 2016. Les résolutions adoptées en 2016 sont, en effet, beaucoup plus précises et, elles vont, cette semaine, le devenir plus encore. Il y avait, effectivement, des zones d'ombre qui soulevaient des difficultés en raison du manque de précision, ce qui nous empêchait d'affirmer que telle ou telle activité est effectivement liée au commerce des armes ou, au contraire, qu'il s'agissait d'autre chose. Cela étant, lorsque nous reprochions à un pays de ne pas respecter les sanctions, il pouvait répondre qu'il les respectait, mais interprétait différemment les dispositions en cause.
    D'après moi...
    Non, allez-y.
    J'allais simplement dire que sur le plan international, non seulement nous parvenons maintenant à mieux établir ces distinctions, mais nous sommes désormais en mesure d'ouvrir au régime de sanctions de nouvelles avenues. Cela veut dire, cependant, que nous allons peut-être à nouveau tomber sur des zones d'ombre, car nous avons maintenant élargi notre champ d'action en englobant, par exemple, un secteur entier d'activité, ou toute une catégorie de marchandises telles que des minerais ou des métaux.
    Je vous remercie.
    Merci.
    Monsieur Allison, vous avez la parole.
    Je tiens à vous remercier, madame Berger, d'avoir répondu à notre invitation.
    Je voudrais revenir un peu en arrière, à ce que vous avez dit au sujet des pays qui, en Afrique, au Moyen-Orient ou en Asie, aident à contourner le régime de sanctions.
    Que faire à cet égard? Le nombre de ces pays est considérable. Que faire lorsque des pays, des continents tout entiers aident la Corée du Nord à contourner les sanctions? Comment nous y prendre?
    Cela dépend essentiellement du pays en question. Ainsi que je le disais tout à l'heure, certains pays sont parfaitement au fait des sanctions imposées. C'est simplement qu'ils n'entendent pas les respecter. Il y a, au Moyen-Orient et en Afrique, par exemple, des pays qui se livrent incontestablement avec la Corée du Nord à un commerce illicite. Ils en sont parfaitement conscients, et bien qu'on leur ait rappelé leurs obligations, ils n'ont aucunement envie de modifier leur manière de faire.
    Notre attitude à l'égard de ces États sera donc tout à fait différente de l'attitude que nous pouvons avoir à l'égard de pays qui ne sont pas vraiment au courant du régime de sanctions, qui n'ont guère réfléchi aux nuances du problème, et ne connaissant pas très bien le type de charbon qu'il est permis d'exporter, ou le type de coopération militaire qui serait interdit. Pour ce qui est d'une éventuelle solution, l'ignorance soulève un problème entièrement différent. Et puis, il y a les pays qui sont tout à fait au courant de la situation, mais qui, pour des raisons de législation interne, ne peuvent pas prendre de mesures efficaces. C'est toute l'importance de l'assistance technique.
    Il peut s'agir dans certains cas d'appliquer de fortes pressions politiques et, dans une certaine mesure, de montrer du doigt les gouvernements qui défient ouvertement les sanctions imposées à la Corée du Nord. Et puis il y a aussi le travail pédagogique auprès des pays qui n'ont pas saisi les enjeux et que l'on doit inciter à comprendre qu'ils n'échappent pas entièrement à la menace que la Corée du Nord fait peser sur le monde, qu'ils doivent, comme les autres pays, prendre la situation au sérieux. Et puis, il y a aussi, l'assistance technique aux pays qui ont effectivement besoin qu'on les aide à mettre en place un dispositif de contrôle des exportations, ou une législation leur permettant d'intervenir lorsqu'ils apprennent que la Corée du Nord se livre à une activité qui les concerne.
(1720)
    Vous avez également dit que le problème posé par la Corée du Nord est particulièrement compliqué, car, comme vous l'avez vous-même dit, et comme nous avons pu le lire, ce pays fait preuve d'une extrême habilité lorsqu'il s'agit de contourner les sanctions.
    Mais que se passe-t-il alors? On a l'impression de manquer des ressources nécessaires pour prévenir leurs trucages bancaires. Il faudrait, manifestement, que ces ressources soient fournies par les pays concernés, ou que les moyens des Nations unies soient renforcés. Que faudrait-il faire, selon vous, pour accroître l'efficacité des sanctions?
    Les Nations unies ont manifestement besoin de plus de ressources. Il faudrait donc que certains pays s'entendent sur ce point, et qu'à cet égard, on s'entende également au sein des Nations unies. Ceux qui travaillent dans ce domaine sont nombreux à dire que les ressources mises à leur disposition sont tout à fait insuffisantes.
    Un certain nombre de pays, tels que le Canada et plusieurs pays européens, mais aussi l'Australie jouent correctement leur rôle. Ils font ce qu'ils peuvent pour faciliter les activités de surveillance, et s'échangent dans toute la mesure du possible les renseignements qui leur parviennent.
    Il y a, certes, des limites aux résultats que peuvent donner ces échanges de renseignements, mais dans le dossier de la Corée du Nord, les pays collaborent autant que possible. Cela permet de pallier dans une certaine mesure l'insuffisance manifeste des ressources consacrées au régime de sanctions. C'est, encore une fois, un domaine où le Canada peut utilement partager à la fois son savoir-faire et les ressources dont il dispose.
    Je vous remercie.
    Merci, monsieur Allison.
    Monsieur Miller, vous avez la parole.
    Le régime de sanctions imposé à la Corée du Nord est sans nul doute le plus sévère qu'on ait vu. Malgré tout, vous avez relevé l'existence, dans le dispositif, d'un certain nombre de failles qui permettent, j'imagine, de contourner les sanctions.
    Pourriez-vous nous expliquer en quelques mots la manière dont les Nord-Coréens s'y prennent pour éluder les sanctions?
    Ils s'y prennent de diverses manières, ainsi que je le disais tout à l'heure.
    À l'étranger, il leur faut essentiellement cacher le fait qu'ils sont nord-coréens. Dans certains pays, cela a d'ailleurs moins d'importance. Autrement dit, dans certains pays, la qualité de nord-coréen risque moins d'attirer l'attention qu'ailleurs, en Europe, par exemple. La première chose à faire pour éluder les sanctions, c'est de masquer son origine nord-coréenne.
    Le puissant réseau que la Corée du Nord entretient en Chine lui est en cela de la plus grande utilité, étant donné l'état actuel du commerce international et les nombreuses entreprises étrangères qui souhaitent faire des affaires avec la Chine. Ces entreprises souhaitent renforcer leur implantation en Chine ou élargir leurs relations commerciales bilatérales. Or, il leur faut, pour cela, se lier, en Chine, avec des petites et moyennes entreprises dont on ne sait pas nécessairement grand-chose. La Corée du Nord sait très bien tirer parti de ce fait.
    La même chose se produit ailleurs qu'en Chine. La Corée du Nord a recours à de nombreux étrangers qui acceptent de collaborer avec elle. Si vous vérifiez, en Asie du Sud-Est, l'inscription d'une entreprise nord-coréenne au registre de commerce, vous verrez des noms singapouriens, des noms malaisiens ou des noms vietnamiens, mais pas un seul nom nord-coréen.
    Le problème est le même dans le secteur bancaire. Ces collaborateurs étrangers, ces entreprises complaisantes ouvrent des comptes en banque auprès d'établissements bancaires relativement respectables sans que l'établissement en question sache qu'il s'expose en cela à des risques considérables.
     Lorsqu'il s'agit d'éluder le dispositif plutôt compliqué des sanctions, la Corée du Nord a une longueur d'avance. Elle a eu 10 ans pour affiner ses techniques d'évasion. Nous avons fort à faire pour rattraper son avance.
(1725)
    Ce sujet ne fait peut-être pas partie de votre domaine de recherche, mais je me demande si vous ne pourriez pas nous dire quelque chose des conséquences que tout cela a pour le peuple nord-coréen. Il est clair que nos informations sur la question sont incomplètes, voire inexactes, mais on entend de temps en temps parler de famines et de mauvaises récoltes.
    Je vous demanderais aussi, si vous en avez le temps, de nous dire un mot au sujet des relations consulaires. Comme la plupart des pays, le Canada n'a pas de relations consulaires avec la Corée du Nord, mais je crois savoir que la Suède est un des rares pays à y avoir une ambassade.
    Que pensez-vous de cette absence presque totale de contact avec le peuple nord-coréen?
    J'étais, de 2012 à 2014, chargée, au sein du ministère britannique des affaires étrangères, des relations bilatérales avec la Corée du Nord pour les questions de sécurité. Le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Suède, comme vous venez de le dire, entretiennent des relations diplomatiques avec la Corée du Nord où ils ont effectivement une ambassade. Le Royaume-Uni et la Corée du Nord ont par ailleurs procédé à un échange d'attachés militaires. À part les trois pays que je viens de nommer, certains autres pays membres de l'Union européenne entretiennent une présence à Pyongyang, il ne fait aucun doute que les sanctions affectent leurs relations avec ce pays. Cela ne fait aucun doute.
    Il est en effet difficile d'y expédier des marchandises et d'y transférer des fonds. Cela est encore plus vrai en ce qui concerne les organisations internationales présentes en Corée du Nord. Les organisations qui sont, à Pyongyang, hébergées dans les mêmes locaux que les ambassades étrangères ont, à cause des sanctions, du mal à payer leur loyer, car de nombreuses banques ne veulent absolument rien avoir à faire avec tout ce qui concerne la Corée du Nord.
    Cela affecte naturellement les relations consulaires et diplomatiques. Or, ces relations peuvent-elles se poursuivre malgré les sanctions? Je pense que oui, mais cela sera difficile. Il serait, cependant, regrettable de voir des pays tels que l'Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni estimer ne plus être en mesure de maintenir en Corée du Nord une présence satisfaisante. Pour que les sanctions puissent faire la preuve de leur efficacité, il faut, je le répète, garder la porte ouverte afin que la Corée du Nord puisse éventuellement revenir à la table des négociations. Or, pour cela, il faut dans la mesure du possible préserver l'existence des canaux diplomatiques.
    En ce qui concerne, maintenant, les conséquences que tout cela peut avoir sur le peuple coréen, il est très difficile d'apporter une réponse. D'abord, il s'agit d'une question sur laquelle je ne me suis guère penchée, mais en plus, il est très difficile de se faire une idée sur ce qui se passe en Corée au plan humanitaire. J'ajoute que la Corée du Nord a tout intérêt à faire croire qu'elle est à l'épreuve des sanctions et les informations que nous avons à cet égard sont donc extrêmement ténues. Je reconnais franchement ne pas être en mesure de vous répondre.
    Merci, monsieur Miller.
    Madame Berger, je tiens à vous remercier au nom du Comité, de nous avoir fait profiter de vos connaissances sur la Corée du Nord et le régime de sanctions dont elle fait l'objet. Nous tentons de nous faire une idée plus précise des problèmes de surveillance, et des ressources qui permettraient de renforcer l'efficacité du régime de sanctions visant des particuliers, des entreprises, voire l'État... Nous vous remercions des connaissances que vous nous avez livrées et vous sommes gré du temps que vous nous avez consacré.
    Nous allons donc, chers collègues, nous en tenir là. Nous allons, pendant deux minutes, poursuivre la séance à huis clos pour régler une question concernant les travaux du Comité, mais nous allons, avant cela, prendre congé de Mme Berger en la remerciant de nous avoir consacré une part considérable de son temps.
    Je vous remercie.
     [La séance se poursuit à huis clos.]
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