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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 038 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 30 novembre 2016

[Enregistrement électronique]

(1615)

[Traduction]

    La séance est ouverte. Je tiens d'abord à présenter mes excuses aux témoins. Je suis certain que ce n'est pas la première fois qu'ils se trouvent dans cette situation: ils sont censés témoigner devant le Comité, et le Comité est ailleurs, en train de gérer les affaires du pays. Pardonnez-nous.
    Voici comment nous procéderons, si mes collègues sont d'accord: les deux témoins de la première heure feront leurs déclarations préliminaires. À la fin de leurs déclarations, nous aurons joint nos deux autres témoins par vidéoconférence, et ils présenteront leurs exposés. Ensuite, pendant le temps qu'il nous restera, nous poserons des questions aux quatre témoins. Je sais que ce n'est pas idéal, mais au point où nous en sommes, nous n'avons pas vraiment le choix.
    Conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 14 avril 2016 et à l'article 20 de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, nous procédons à l'examen prévu par la loi de cette loi.
    Nous accueillons M. Milos Barutciski, associé, Bennett Jones, et M. Vincent DeRose, associé, Borden Ladner Gervais. Bienvenue à vous deux.
    Nous allons passer directement à vos exposés.
    Allez-vous passer en premier, Milos?
    Nous avons convenu que Vincent passerait en premier.
    M. DeRose passera en premier, puis nous poursuivrons. Comme je l'ai déjà dit, par la suite, nous passerons directement aux autres témoins. Je vois qu'ils apparaissent à l'instant.
    La parole est à vous, Vincent.
    D'abord, je remercie le Comité de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui. J'espère que mon expérience vous aidera à effectuer votre examen. En outre, je suis reconnaissant de pouvoir contribuer au perfectionnement du régime juridique de sanctions du Canada. C'est un honneur de participer au processus.
    Voici quelques renseignements à mon sujet: je suis associé du cabinet d'avocats Borden Ladner Gervais. J'offre régulièrement des conseils aux clients concernant une variété de questions liées aux diverses sanctions économiques du Canada. Nous avons compté parmi nos clients de très grandes sociétés canadiennes évoluées, ainsi que de nombreuses petites et moyennes entreprises.
    J'ai aidé nos clients à mettre sur pied des programmes de conformité, à mener des enquêtes et des audits de conformité, à établir la légalité de transactions d'exportation possibles, à demander des exemptions, ainsi qu'à divulguer volontairement des erreurs auprès de la GRC. Nous avons aussi eu l'occasion de conseiller des entreprises et des pays étrangers par rapport au régime de sanctions économiques du Canada.
    C'est dans ce contexte que nous avons préparé les recommandations et les observations que je vais vous présenter aujourd'hui. Je devrais également mentionner que Jennifer Radford, une associée qui travaille aussi dans le domaine, m'a aidé à formuler ces recommandations. Elles représentent nos opinions, fondées sur les expériences que nous avons vécues avec nos clients, mais elles ne sont pas nécessairement représentatives des opinions de notre cabinet ou des clients en question.
    Nous avons cerné quatre domaines où il serait possible d'apporter des améliorations. Il s'agit de domaines dans lesquels nos clients ont eu des difficultés causées par l'administration des contrôles à l'exportation et des sanctions économiques du Canada. Je tiens à souligner tout de suite le point suivant: bien que nos recommandations visent des aspects du régime qui pourraient être rendus plus efficaces, nos critiques ne sont pas dirigées contre l'ensemble des fonctionnaires ou contre des fonctionnaires donnés. Les fonctionnaires avec lesquels nous avons fait affaire étaient bien informés, ils nous aidaient, ils étaient engagés, et ils faisaient ce qu'ils pouvaient avec les ressources dont ils disposaient et dans ce que nous voyons comme les limites de ce qu'ils ont le droit de faire.
    Je vais maintenant vous présenter quatre recommandations que nous demandons au Comité de prendre en considération.
    La première recommandation est de donner à Affaires mondiales Canada le mandat et les ressources nécessaires pour améliorer la communication d'informations avec les entreprises canadiennes. Au Canada, de nombreuses entreprises, surtout des petites et des moyennes, n'ont pas de systèmes de contrôle sophistiqués — et nécessairement souvent coûteux — pour veiller au respect des sanctions économiques du Canada.
    Nous avons vu des entreprises canadiennes choisir de ne pas mettre à profit des possibilités économiques lucratives à l'étranger en raison des difficultés posées par la conformité. Certaines mesures simples les aideraient grandement, et nous aimerions en souligner deux. Premièrement, on devrait fournir des directives sur l'élaboration de programmes de conformité avec les sanctions économiques canadiennes, ainsi que sur la façon dont les entreprises canadiennes ayant déjà des programmes de conformité peuvent déterminer si leurs programmes répondent aux critères du gouvernement canadien. D'autres pays fournissent de telles directives, notamment les États-Unis. Deuxièmement, on devrait fournir une liste récapitulative interrogeable des personnes et des entités désignées dans les différentes mesures législatives formant le cadre des sanctions économiques. À l'heure actuelle, il n'existe pas de liste récapitulative, publique et à jour contenant l'ensemble des différentes sanctions du Canada.
    La deuxième recommandation est de donner à Affaires mondiales Canada le mandat et les ressources nécessaires pour émettre des directives sur l'interprétation de la signification de dispositions précises des règlements d'application. D'autres territoires, comme les États-Unis et l'Union européenne, émettent des directives sur l'interprétation de dispositions particulières. Le Canada ne le fait pas. Le résultat est que les entreprises canadiennes sont souvent confrontées à une certaine incertitude relativement à la conformité, incertitude que leurs homologues dans des pays alliés ne connaissent pas.
(1620)
    Bien que les avocats comme Milos et moi puissent donner des conseils en fonction de ce que disent les États-Unis ou l'Union européenne, au bout du compte, ce n'est pas ce que nous ont dit avoir compris le gouvernement canadien et le ministère responsable.
    La recommandation no 3 vise à donner à Affaires mondiales le mandat et les ressources nécessaires pour améliorer le processus de demande de permis d'exemption.
    Selon notre expérience, les retards importants dans le traitement des demandes de permis sont trop communs. Pour éviter ces retards, nous proposons au Comité de recommander d'établir un délai obligatoire pour le traitement des demandes de permis, ce qui aiderait grandement les entreprises canadiennes — qui ont hâte de savoir si elles peuvent miser sur certaines possibilités — à gérer leurs relations commerciales à l'étranger. Trop souvent, les entreprises canadiennes qui demandent conseil au ministère doivent renoncer à certaines possibilités parce que la situation est incertaine et parce qu'elles ne veulent pas prendre ce risque.
    En ce qui a trait à la recommandation no 4, à l'heure actuelle, il n'y a aucun programme de divulgation volontaire officiel qui encourage les entreprises canadiennes qui découvrent une infraction involontaire à la déclarer afin de se conformer. Certains de nos clients ont choisi de divulguer volontairement une infraction à la GRC, et selon mon expérience, la GRC a réagi de façon très positive. Cela étant dit, les clients ont choisi de procéder ainsi en sachant qu'ils se plaçaient en situation de risque. Lorsqu'ils le font, ils ne bénéficient d'aucune protection relative à la divulgation volontaire, contrairement à ce que l'on retrouve dans les autres cadres réglementaires du gouvernement du Canada. La Loi sur la concurrence est un exemple de processus de divulgation volontaire officiel. Le Comité pourrait prendre exemple sur cette loi.
    En guise de conclusion, je dirais que bien que nos recommandations ne prévoient aucune modification législative précise, nous croyons qu'elles amélioreraient la gestion du régime de sanctions économiques du Canada.
    Je vous remercie une fois de plus de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui. J'en suis honoré, et je serai heureux de répondre à vos questions.
(1625)
    Merci beaucoup, monsieur DeRose.
    Monsieur Barutciski, vous avez la parole.
    Vous avez très bien prononcé mon nom, monsieur le président. C'est un nom macédonien, au cas où vous vous le demandiez.
    Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité.
    Tout comme Vince, je suis avocat depuis 30 ans. Depuis 10 ans, je travaille pour le grand cabinet national Bennett Jones, et j'ai travaillé dans un autre cabinet avant cela. Au début des années 1990, j'ai été pendant deux ans le chef du personnel du Bureau de la concurrence; je sais donc comment fonctionne de l'intérieur l'administration relative à l'application d'une loi réglementaire, mais je vais surtout parler à titre de représentant et d'avocat des sociétés publiques et privées, et des sociétés d'État. J'ai représenté plusieurs sociétés d'État canadiennes au fil des années. J'ai aussi représenté des gouvernements, tant au Canada qu'à l'étranger, et j'ai négocié des traités pour le gouvernement du Canada.
    Je vais vous parler de la situation selon mon point de vue. Je vais peut-être moins centrer mon exposé sur les recommandations précises et plutôt faire une critique du régime. Je comprends que l'une des raisons pour lesquelles vous étudiez la LBBDEC et la LMES est que la LBBDEC contient une disposition sur l'examen parlementaire; il y a donc une ouverture.
    Je ne sais pas comment fonctionne le mandat du Comité, mais je vous encourage fortement à tenir compte de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation parce qu'elle fait partie du même lot. En fait, la LBBDEC ne traite pas vraiment des sanctions et des contrôles en matière d'exportation. C'est une note de bas de page, lorsqu'on conseille les entreprises.
    Les sanctions et les contrôles à l'exportation doivent être pris au sérieux parce qu'ils ont une incidence sur les décisions opérationnelles quotidiennes des petites et grandes entreprises canadiennes. En fait, dans une large mesure, les petites entreprises sont les plus durement touchées par les lacunes ou l'absence de processus dont Vince a parlé tout à l'heure.
    Je vais commencer tout de suite et souligner quelques points dès le départ.
    Mes commentaires seront négatifs, mais je ne crois pas que nous soyons au bord du gouffre. Il ne serait pas trop difficile de régler les problèmes, mais le système est fondamentalement incohérent. Le fait que nous étudions seulement la LBBDEC qui, comme je l'ai dit, n'est qu'une note de bas de page, à laquelle on réfléchit après avoir pris une décision... Je ne dis pas que... Le fondement de la LBBDEC est très important, cela ne fait aucun doute. Nous ne voulons pas servir de refuge aux dirigeants étrangers corrompus et leur permettre d'entreposer leurs biens mal acquis ici. Je crois que nous sommes sur la même longueur d'onde, mais la loi n'a pas une grande incidence sur la plupart des décisions, tandis qu'un régime réglementaire qui vous oblige à avoir certains permis et à traiter certains biens à titre de biens stratégiques, les biens à double usage, les biens militaires et ainsi de suite — les produits chimiques qui pourraient servir à la fabrication d'armes de destruction massive — nous concerne. Certains produits chimiques que l'on utilise pour les processus industriels habituels pourraient servir à des fins beaucoup moins anodines. Voilà de quoi se soucient les entreprises canadiennes.
    Lorsque je dis que le système est incohérent... On ne doit pas seulement examiner les lois — la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, la LMES, la Loi sur les Nations unies —, mais aussi examiner les organismes et la façon dont ils appliquent les lois. L'incohérence est peut-être... Je ne critique pas les responsables de l'application de la loi ni les administrateurs de la loi; ils font de leur mieux avec le peu de ressources qu'ils ont.
    Ce que j'ai vu au cours de mes 30 années de pratique, c'est qu'à Affaires mondiales Canada — qui a changé de nom au fil des années —, les responsables des sanctions ne parlent pas aux responsables des contrôles à l'exportation. Ce n'est pas parce qu'ils ne le veulent pas, mais bien parce qu'ils ne sont que 12. Ils sont peut-être 10, 11 ou 13; cela varie. Ces quelques fonctionnaires sont responsables d'informer le ministre des crises qui se développent, comme dans le cas des Garrett, qui ont été détenus en Chine pendant des années. Ils informent aussi le ministre des enjeux politiques. En passant, cette division n'est pas seulement responsable des sanctions, mais aussi des Nations unies et des droits de la personne. Croyez-moi, les sanctions se retrouvent en fin de liste, parce que les Nations unies et les droits de la personne sont tout aussi importants — et peut-être plus importants — sur le plan fondamental. Donc, ces 12 personnes sont responsables d'informer le ministre, de rédiger les règlements, de gérer les situations de crise et d'élaborer les politiques. Elles doivent aussi traiter les demandes de permis et faire des recommandations au ministre. Leur structure de travail ne leur permet pas de faire cela, alors les dossiers n'avancent pas.
(1630)
    Je vais vous donner deux exemples simples. Lorsqu'on demande conseil à la Direction générale des contrôles à l'exportation... En passant, la Direction générale de la réglementation commerciale et des contrôles à l'exportation compte 50 employés, notamment des ingénieurs et des techniciens qui évaluent les produits. Pour les produits à double usage, le chiffrement ajoute 128 ou 256 bits, ou peu importe. Ils ont cette capacité. Il y a aussi un organe administratif qui traite les demandes de permis, qui utilise un mécanisme de traitement des permis en ligne. La structure de la Direction générale lui permet donc de réglementer et d'appliquer la loi. Si vous appelez la Direction générale des contrôles à l'exportation et à l'importation et que vous demandez conseil, ce sont des fonctionnaires éclairés, responsables de l'application d'une loi réglementaire, qui vous répondront.
    Je leur ai déjà demandé d'interpréter l'article d'une loi. Selon eux, leur travail consiste à me donner leur interprétation de l'article et à me dire ce que signifie la disposition de la liste des marchandises d'exportation contrôlée de la loi ou du règlement. C'est ainsi qu'ils voient les choses. Ils ne voient pas cela comme une divulgation quelconque. C'est ce qu'ils font pour m'aider et pour aider mes clients à présenter leur demande de permis. Cela rend les choses plus faciles pour tout le monde, y compris les fonctionnaires.
    Si j'appelle les responsables des sanctions — et croyez-moi, je ne critique pas les personnes ou les gestionnaires —, on me répond qu'on ne peut interpréter la loi. J'essaie de me souvenir des mots qui reviennent souvent et qui nous font rire. Je les ai pris en note. On m'a déjà dit ceci: « Nous ne pouvons pas donner de conseils juridiques. »
    À cela, j'ai répondu: « Eh bien, je ne vous demande pas un conseil juridique. Je fais affaire avec le Bureau de la concurrence. Je fais affaire avec l'ASFC. Je fais affaire avec la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. Je fais affaire avec plusieurs organismes et je vais obtenir leurs commentaires ou leur interprétation quant à la façon d'appliquer la loi. Je suis avocat. Désolé, mais je ne vous appelle pas pour des conseils juridiques; je vous appelle en tant qu'organisme de réglementation.  »
    Et on m'a répondu ceci: « Mais nous ne sommes pas chargés de la réglementation; nous sommes les avocats du ministère. »
    Ce à quoi j'ai répondu: « En fait, oui, parce que la loi dit que le ministre est le décideur et qu'il octroie les permis. Donc, merci beaucoup, vous êtes maintenant chargés de la réglementation; vous n'êtes pas l'avocat du gouvernement. C'est un autre titre. Mais lorsque vous me parlez ou que vous parlez à mon client, vous êtes un organisme de réglementation.  »
    Je sens de l'arrogance dans cette réponse et, bien franchement, elle démontre un certain dysfonctionnement. Si, par imprudence, mes clients appelaient là directement, ils obtiendraient des réponses évasives.
    Est-ce que je jette le blâme sur ces fonctionnaires? Absolument pas. Ces 12 personnes ne peuvent pas conseiller le ministre des Affaires étrangères — il n'est pas ministre du Commerce — de façon appropriée sur les enjeux qui le concernent en ce qui a trait aux droits de la personne et aux Nations unies, en plus de traiter les demandes de permis pour les turbines à gaz. Ces enjeux sont complètement différents.
    Le processus est donc dysfonctionnel. C'est une question de mentalité. D'abord, sur le plan de la réglementation, la Direction générale des contrôles à l'exportation est dotée des ressources appropriées. Ensuite, sur le plan des politiques, elle a un travail très important à faire, mais n'a pas les ressources nécessaires pour le faire. Je ne parle pas seulement de la LMES, mais aussi de la Loi sur les Nations Unies, parce qu'il s'agit du même processus. L'architecture de réglementation est presque la même, mais les ressources ne sont pas au rendez-vous.
    Le deuxième exemple que je veux vous donner est plutôt de nature pratique et vise l'application de la loi. Vince a parlé de l'absence d'un processus de divulgation volontaire. Il a parlé d'un processus très élaboré au sein du Bureau de la concurrence, et du processus énoncé dans les notes de service ministérielles de l'ASFC et de nombreux autres organismes fédéraux et provinciaux.
    La Direction des marchandises contrôlées de TPSGC gère aussi les biens militaires, sauf qu'il ne s'agit pas d'exportation et d'importation, mais de la gestion des armes à feu, des chars d'assaut, des véhicules blindés et des munitions au Canada. Nous ne voulons pas que ces équipements soient transportés en vrac à l'arrière d'un camion, alors la direction a mis en place un processus de divulgation élaboré assez bien rédigé. Bien que la Direction générale des contrôles à l'exportation n'ait pas de processus officiel, nous travaillons dans le domaine depuis assez longtemps pour plus ou moins savoir où nous allons. Nous avons de l'expérience.
    Je vais vous donner un exemple pour illustrer ma pensée. Il y a environ un an et demi, j'ai fait une divulgation volontaire à... En passant, les sanctions et les contrôles à l'exportation vont presque toujours de pair. Il est rare de voir une infraction relative aux sanctions qui n'est pas aussi associée aux contrôles à l'exportation. C'était le cas. Cette infraction durait depuis plusieurs années; nous avons donc fait une divulgation volontaire à Affaires mondiales, aux responsables des sanctions, à la dizaine de fonctionnaires de la direction générale en manque de ressources, à la Direction générale des contrôles à l'exportation et à l'ASFC.
(1635)
    Si vous exportez des biens sans les bons permis, vous avez fait une fausse déclaration d'exportation. Vous avez donc commis des infractions en vertu de la Loi sur les douanes. Il faut le faire auprès des trois.
    La première réponse... les responsables des contrôles à l'exportation comprennent. Il leur a fallu environ six mois pour traiter et clore le dossier. C'est à peu près la même chose pour l'ASFC.
    Les responsables des sanctions m'ont dit: « On ne peut rien faire avec cela. Il faut renvoyer le dossier à la GRC. » Je leur ai dit: « Avant que vous, les responsables des sanctions du ministère des Affaires étrangères, renvoyiez le dossier à la GRC, réfléchissez un instant, parce que votre organisation soeur, deux étages plus hauts ou dans l'autre immeuble, examine exactement les mêmes faits. Quelque chose cloche et ce n'est peut-être pas la meilleure façon d'utiliser les rares ressources du gouvernement que de renvoyer le dossier à la GRC, qui en sait encore moins que vous au sujet des sanctions. »
    Je dois reconnaître qu'ils n'ont pas renvoyé le dossier à la GRC; nous avons suivi le processus avec l'ASFC et la Direction générale des contrôles à l'exportation et à l'importation, et le dossier est réglé. Nous avons reçu une lettre d'approbation pour nous remercier d'avoir fait cette divulgation volontaire. On nous disait que nous avions fait la bonne chose et qu'on allait clore le dossier. Nous avons fait la bonne chose. Nous avons réglé le problème.
    Ensuite, j'ai demandé aux responsables des sanctions s'ils pouvaient clore le dossier. Ils m'ont répondu qu'ils ne savaient pas quoi faire, et qu'ils allaient renvoyer le dossier à la GRC. C'était six mois plus tard. La décision rationnelle qu'ils avaient prise six mois auparavant s'était donc évaporée. Ils n'avaient aucun processus en place pour fermer le dossier ni les ressources nécessaires pour le faire, alors le dossier a été renvoyé à la GRC.
    Heureusement, lorsque le dossier s'est rendu à la GRC, j'avais eu le temps de parler aux gens que je connais là-bas, avec qui je travaille régulièrement, pour leur dire: « Écoutez, c'est une question de sanctions et de contrôles à l'exportation. Vous avez vu le rapport de vos collègues d'Affaires mondiales. Laissez de côté les sanctions et les contrôles à l'exportation. Nous avons passé en revue les mêmes faits, sous un angle réglementaire différent. Faites ce que vous jugez bon de faire. Je crois qu'il serait bon de suivre leur exemple puisque vous n'êtes pas des experts en matière de sanctions et de contrôles à l'exportation. »
    C'est ce qui s'est passé jusqu'à ce que la GRC s'en mêle. Mais le processus a duré un an et n'avait aucun sens, d'où l'incohérence à laquelle je faisais référence. Ces organismes ne se parlent pas. Le client, les entreprises canadiennes et les contribuables paient pour des processus décousus, déconnectés et répétitifs qui se chevauchent, qui vont dans tous les sens et doivent être rattrapés.
    Je vais vous laisser avec cela. C'est une bonne chose de commencer par la LBBDEC. Vous aurez ainsi le mandat statutaire d'examiner la question, et c'est une bonne chose d'examiner la LMES également, mais le problème, en fait, c'est... Je dirai simplement que cela comprend... J'hésite à en parler, mais j'ai témoigné devant le Comité permanent des droits de la personne il y a environ six mois, au sujet du Traité sur le commerce des armes et de l'exportation des biens militaires, et c'est la même chose. C'est un autre processus qui traite de la même question, mais pour une catégorie bien particulière de produits, à savoir les biens militaires, qui sont visés par ces régimes. Ils sont visés par les permis d'exportation parce qu'ils font partie de l'annexe 3 de la liste des marchandises d'exportation contrôlée.
    Lorsque vous rédigerez votre rapport, je vous encourage fortement à tenir compte de ce que Vince, moi et les autres avons dit, à prendre du recul et à songer à la façon d'accroître la cohérence du régime d'exportation du Canada, notamment par l'entremise des recommandations faites un peu plus tôt par mon ami.
    Merci, monsieur le président.
(1640)
    Merci.
    Si les témoins devant nous sont d'accord, j'aimerais que nous cédions la parole aux témoins qui se joignent à nous par vidéoconférence.
    Nous recevons Melissa Hanham, associée de recherche principale au James Martin Center for Nonproliferation Studies du META Lab, au Middlebury Institute of International Studies, et James Walsh, associé de recherche principal du MIT Security Studies Program.
    Je ne sais pas qui voulait commencer, mais comme Melissa est la première sur ma liste, elle témoignera en premier. Melissa, voulez-vous commencer?
    Je vous remercie beaucoup de me recevoir, monsieur le président. J'en suis très honorée, en tant que Canadienne vivant maintenant aux États-Unis, de témoigner devant le Comité. J'espère que mon témoignage vous sera utile.
    Contrairement aux témoins précédents, je ne suis ni avocate ni professeure de droit. Je suis chercheuse au Middlebury Institute of International Studies du Center for Nonproliferation Studies et mon expertise porte sur la Corée du Nord et sa façon de se procurer divers articles, notamment les articles à double usage qui peuvent être utilisés dans les armes de destruction massive — les ADM — et les dispositifs d'administration.
    J'espère que je pourrai jeter la lumière sur la façon dont la Corée du Nord entretient des réseaux et recycle l'argent pour se procurer ces articles. J'ai étudié la LBBDEC et la LMES, et j'ai tenté de faire quelques propositions. J'espère que vous serez indulgents, parce que je ne suis pas une spécialiste comme les autres témoins.
    D'après mon étude des lignes directrices recommandées par le Groupe d'action financière, je trouve que la LBBDEC est claire, cohérente et bien rédigée. Il s'agit d'un instrument dont on peut se servir parmi d'autres, mais il y a une importance brèche à colmater.
    La Corée du Nord est un blanchisseur d'argent notoire en matière de prolifération. Le Groupe d'action financière étudie la question du financement de la prolifération depuis quelques années seulement, et je suis impressionnée de voir que le Canada joue un rôle de premier plan à cet égard. Ce ne sont pas tous les pays qui ont adopté la recommandation no 7 dans leurs lignes directrices; le Canada doit donc être fier de l'avoir fait.
    À mon avis, deux sujets sont dignes de mention. D'abord, le terme « États étrangers » est souvent utilisé, tant dans la LBBDEC que dans la LMES. Je comprends qu'il y a des raisons politiques de le faire, mais je recommanderais peut-être l'utilisation du terme « administration » plutôt, pour inclure notamment Taïwan, qui exporte les hautes technologies et fait des échanges commerciaux avec le Canada, mais qui n'est pas reconnue à titre d'État étranger par le Canada.
    Ce type d'activité a été exploité par la Corée du Nord dans le passé. Bien que Taïwan ait travaillé fort pour améliorer ses lois relatives aux contrôles à l'exportation, la Corée du Nord continuera de l'exploiter à titre de pays de transbordement pour les biens qui arrivent d'ailleurs, notamment du Canada.
    Ensuite, je trouve la référence aux ONG particulièrement intéressante. Je travaille pour une ONG et j'en suis très fière. J'ai surtout beaucoup de respect pour les ONG qui contribuent au développement, aux infrastructures humaines, à l'agriculture et aux activités qui sauvent des vies en situation de crise. Je suis très heureuse de voir que le Canada a prévu une exception pour les ONG, surtout en ce qui a trait à l'équipement médical. Toutefois, je recommande d'établir des lignes directrices sur la façon d'interagir avec la Corée du Nord.
    La Corée du Nord a déjà exploité les ONG étrangères pour recevoir des biens à double usage, surtout des produits biologiques. Le CABI du Royaume-Uni en est un bon exemple. Cette organisation a été exploitée par le passé. Elle offre une formation et de l'équipement pour produire des biopesticides utilisés sur les cultures. L'équipement en soi n'est pas visé par la loi sur les contrôles à l'exportation. Toutefois, la formation offerte constitue un bien à double usage. Dans ce cas particulier, l'organisation avait montré à la Corée du Nord comment créer une bactérie que l'on appelle bacillus thuringiensis, qui sert également à créer la bactérie bacillus anthracis, qui cause la maladie du charbon.
(1645)
    On a découvert plus tard que ces équipements et activités de formation avaient servi au programme d'armes biologiques de la Corée du Nord, dans l'institut biotechnique de Pyongyang.
    J'ai quelques commentaires à faire sur l'utilisation des sanctions à titre d'outil dans les politiques étrangères. Tout d'abord, les sanctions ne peuvent pas à elles seules prévenir la création d'un programme d'ADM. Elles ne sont pas le seul outil à notre disposition. En fait, elles ne sont peut-être même pas le meilleur outil à notre disposition. Personnellement, je ne crois pas qu'elles soient utiles à titre de punition ou de mesure pour encourager un État à reprendre les négociations diplomatiques. Toutefois, dans le cas de la Corée du Nord, je crois que les sanctions sont plutôt pratiques pour ralentir le développement des ADM et des systèmes d'acheminement. C'est peut-être une consolation pour les gens qui se soucient de la situation des citoyens de la Corée du Nord, qui sont appauvris. Toutefois, et c'est surtout le cas pour les biens militaires ou à double usage qui peuvent être utilisés par les programmes de fabrication d'armes nucléaires, chimiques et biologiques ou les systèmes d'acheminement comme les missiles, je crois qu'il est important que les sanctions soient utilisées de manière à ralentir le développement de ces programmes.
    La Corée du Nord a un système très complexe pour éviter les sanctions et a réussi à éviter celles des États-Unis, de l'Union européenne et des Nations unies par le passé. Certaines de ses techniques de blanchiment d'argent sont très avancées, tandis que d'autres ne sont que des « valises remplies d'argent ». Elle a utilisé les pavillons de complaisance par le passé. Elle a utilisé des sociétés de façade située à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières. Elle a même utilisé ses propres ambassades diplomatiques pour recevoir les biens pouvant être utilisés par les programmes d'ADM. Cela rend votre travail extrêmement difficile et je sympathise avec les entreprises canadiennes qui doivent faire face à ce genre de tactiques.
    Je suis d'accord avec le témoin précédent, qui a dit que les lignes directrices aideraient les entreprises à répondre à ces recommandations. Dans le cadre de mon travail au Middlebury Institute, j'ai mis sur pied plusieurs programmes de sensibilisation de l'industrie avec mes collègues du département des contrôles à l'exportation, et j'ai constaté que les entreprises accueillaient favorablement ces activités. Si le gouvernement canadien ne souhaite pas le faire seul, il peut compter sur la société civile et le milieu universitaire pour l'aider dans ses activités de sensibilisation.
    Le programme d'ADM de la Corée du Nord est maintenant très avancé: il compte cinq essais nucléaires et un nombre croissant d'essais des missiles. Je ne crois pas que les activités diplomatiques doivent continuer de se centrer sur la dénucléarisation de la péninsule. Nous devons maintenant travailler à empêcher la réalisation d'autres essais nucléaires et essais des missiles, de même que la production de matériaux fissiles. Les sanctions pourraient être utiles pour sévir contre les points de passage qui fournissent l'équipement, la formation et les connaissances à l'appui de ces programmes. Je recommande surtout que les règlements en matière d'exportation — qui, selon ce que je comprends, ne sont pas visés par l'étude du Comité — se centrent sur l'utilisation des machines commandées par ordinateur, l'équipement électronique et les mécanismes de roulement à billes qui coûtent trop cher pour que la Corée du Nord les fabrique elle-même; les réactifs chimiques, les combustibles et les comburants; la machinerie lourde comme l'équipement de construction et les grumiers; les alliages métalliques qui peuvent être utilisés dans les centrifugeuses ou les missiles; l'équipement biologique comme les bioréacteurs, les cuves de fermentation, les séchoirs à pulvérisation et l'équipement de sécurité qui pourrait être utilisé dans un programme d'ADM, comme les enceintes de sécurité de niveau trois ou les tenues de protection qui protègent les scientifiques.
    De plus, la cyberguerre est un volet de plus en plus important de la lutte contre les ADM. Ainsi, les entreprises devront faire preuve de vigilance lorsqu'elles souhaiteront exporter des logiciels de chiffrement défensif ou offensif dans la région ou même à un tiers, qui pourrait ensuite transférer l'information à la Corée du Nord.
(1650)
    Je crois que les récents cas de contrôles à l'exportation qui ont été présentés dans les médias canadiens visaient surtout l'exportation de produits vers un tiers, souvent une partie inconnue, comme la Chine, qui étaient ensuite exportés de nouveau vers la Corée du Nord. Bien sûr, le Canada n'est pas le seul pays à être confronté à ce problème, mais je crois qu'en travaillant ensemble à l'application de la loi, nous pouvons améliorer la relation entre le mécanisme d'application de la loi et le mécanisme juridique. L'application de la loi est probablement la partie la plus difficile du processus, mais je comprends qu'elle n'est pas visée par l'étude du Comité, alors je vais en rester là.
    Je vous remercie de me recevoir, et je serai heureuse de répondre à toutes vos questions.
    Merci beaucoup, madame Hanham. Je cède tout de suite la parole à M. Walsh, qui nous présentera son exposé. Allez-y, monsieur.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je suis honoré de témoigner devant vous aujourd'hui. Mon seul regret est de ne pas être dans la belle ville d'Ottawa avec vous. Si j'ai le teint vert, ce n'est pas seulement à cause de la vidéoconférence et de l'éclairage, mais aussi parce que j'ai eu un empoisonnement alimentaire hier. Mais cela ne m'empêchera pas de témoigner.
    Mon témoignage se fonde sur plus de 15 années d'expérience dans la recherche sur la Corée du Nord et l'Iran. J'ai visité ces deux pays et avec mon collègue, le Canadien John Park, nous avons récemment réalisé une étude de trois ans sur les sanctions contre la Corée du Nord, fondée sur des entrevues avec des transfuges nord-coréens dont le travail consistait à se procurer des biens et marchandises licites et illicites. J'ai transmis une copie de cette étude au Comité.
    Avant d'aborder certaines des questions importantes posées par le Comité, je tiens à vous faire part de deux erreurs communes que l'on entend dans les discussions sur les sanctions. Tout d'abord, les sanctions peuvent servir à atteindre divers objectifs en matière de politiques, mais dans la plupart des discussions, on mélange les divers buts et objectifs, ce qui donne lieu à une piètre analyse et à des évaluations fautives. Les sanctions peuvent notamment servir au refus des technologies et des biens, à la contrainte, à la négociation, à la punition, à l'effondrement d'un régime et à décourager d'autres parties qui voudraient imiter un pays ciblé. Ce sont des objectifs bien différents. Certains d'entre eux sont beaucoup plus difficiles à atteindre que d'autres, et certains sont contradictoires, par exemple la négociation et les changements au sein d'un régime. Si vous dites à un pays que votre objectif est de changer son régime, il ne voudra probablement pas négocier avec vous. Pour être efficace, la stratégie en matière de sanctions doit présenter des objectifs clairs.
    De plus, en cette ère où les sanctions sont la réponse à presque tous les problèmes, il est facile d'oublier qu'en soi, les sanctions ne permettront pas l'atteinte des objectifs en matière de politiques. Elles constituent un instrument limité qui peut être utile lorsqu'il est associé à d'autres outils dans le cadre d'une stratégie politique intégrée. Les sanctions n'ont pas arrêté le programme iranien. C'est l'accord nucléaire qui a mis fin au programme nucléaire iranien. Les sanctions et d'autres conditions ont contribué à rendre l'accord possible, mais sans les négociations, l'Iran aurait toujours 19 000 centrifugeuses. La punition pure et simple sans une stratégie politique peut être satisfaisante sur le plan psychologique et politique, mais elle ne règle pas les problèmes dans le vrai monde.
    J'en viens maintenant à vos questions. La première question est la suivante: comment l'utilisation des sanctions a-t-elle évolué au fil du temps? Au cours de la dernière décennie, nous avons été témoins d'innovations sans précédent. Je pense notamment aux sanctions pécuniaires ciblées, à l'utilisation, par les États-Unis, de leur position dans le système bancaire international pour imposer des sanctions extraterritoriales et à la désignation de particuliers, de ministères et organismes gouvernementaux et d'acteurs non étatiques. Ces innovations sont impressionnantes, mais je tiens à faire deux mises en garde. Tout d'abord, jusqu'à présent, la recherche n'a pas su démontrer que ces nouvelles sanctions étaient plus efficaces que les anciennes. On se penche actuellement sur cette question. Ensuite, nous ne sommes pas les seuls à innover. L'ennemi a son mot à dire, et les pays ciblés par les sanctions ne restent pas immobiles. Ils ont innové et adopté des contre-mesures. Dans le cas de la Corée du Nord, on peut dire que Pyongyang a su innover plus rapidement que la communauté internationale pour éviter les sanctions.
    Votre deuxième question était la suivante: dans quelle mesure les sanctions sont-elles efficaces pour modifier le comportement des acteurs étatiques et non étatiques, et pour prévenir ou refuser certaines activités? La réponse courte, c'est que les sanctions ont été utiles dans certains cas et inutiles dans d'autres. Dans l'ensemble, la recherche montre que les sanctions peuvent être efficaces, mais qu'elles le sont dans moins de la moitié des cas étudiés. La réussite dépend en grande partie des conditions: qui fait l'objet de sanctions? Pourquoi? À quelle fin? À quel point la partie visée par les sanctions dépend-elle du commerce international? Il est important de faire la distinction entre imposer des coûts à un pays — ce qui est facile à faire — et modifier son comportement, ce qui est beaucoup plus difficile. Pendant de nombreuses années, les États-Unis ont imposé des coûts à l'Iran, mais il n'a pas modifié son comportement à l'égard du nucléaire. En fait, l'Iran est passé de 300 à 19 000 centrifugeuses au cours de cette période de sanctions. Trop souvent, les décideurs jugent de l'efficacité des sanctions d'après des facteurs comme les coûts, l'inflation et la perte de PIB plutôt qu'en fonction de l'atteinte des objectifs visant à modifier le comportement.
    La prochaine question est la suivante: dans quelle mesure les cas de l'Iran et de la Corée du Nord sont-ils comparables sur le plan des sanctions? En termes simples, ils ne sont pas vraiment comparables. Tout d'abord, il n'y a pas de pays comme la Chine dans le cas iranien, c'est-à-dire un pays qui a une grande marge de manoeuvre et qui peut isoler sa cible. Ce n'est pas cela du tout dans le cas de l'Iran.
(1655)
    Deuxièmement, l'Iran dépend des ventes internationales de pétrole, alors que la Corée du Nord dépend principalement de la vente de charbon et de produits de base à un seul pays, la Chine. En raison de la nature mondiale des ventes de pétrole et des liens étroits qu'entretient l'Iran avec le système financier international, il était vulnérable à l'application de sanctions ciblées.
    Troisièmement, si le gouvernement d'Iran a des traits autoritaires, il ne peut tout simplement pas fermer les yeux sur les conditions de vie de ses citoyens sans en subir les conséquences politiques. En revanche, la RPDC est une dictature qui n'a pas peur d'utiliser quelque mesure que ce soit pour opprimer sa population.
    Vous avez ensuite demandé si les sanctions unilatérales étaient plus ou moins efficaces que les sanctions multilatérales. Les études portent à croire qu'en général, les sanctions multilatérales sont les plus efficaces, mais encore une fois, tout dépend des circonstances. La Corée du Nord en est un exemple évident, puisque 90 % de ses échanges commerciaux se font avec la Chine. La Chine a plus d'influence sur Pyongyang que tout le reste du monde mis ensemble. En général, cependant, et pour des raisons évidentes, les sanctions multilatérales s'avèrent plus efficaces puisqu'elles limitent les options de l'État visé.
    Enfin, quels sont les effets des sanctions imposées sur les citoyens, les économies et les élites des États visés? C'est une question fondamentale, que les décideurs oublient trop souvent de se poser. Dans notre étude sur les sanctions imposées à la Corée du Nord, nous avons mis en lumière un certain nombre de conséquences involontaires possibles. Certaines sont négatives, d'autres positives, et dans certains cas, il est difficile de juger si leur effet sera positif ou négatif.
    Curieusement, nous avons démontré qu'en Corée du Nord, certaines sanctions avaient pour effet d'améliorer les capacités d'approvisionnement de Pyongyang. Comme les risques auxquels ils s'exposaient étaient plus grands que les coûts, les courtiers nord-coréens ont choisi de payer des commissions élevées à leurs intermédiaires privés chinois, si bien que Pyongyang a réussi à s'attirer des partenaires plus importants, aux moyens plus élaborés.
    Nous craignons cependant surtout que de coincer ainsi l'économie nord-coréenne ait un effet néfaste sur la vie de millions de citoyens nord-coréens qui vivent déjà dans une grande précarité économique. Nos craintes se situent principalement au niveau macroéconomique: on peut penser par exemple à la baisse des exportations de charbon et des remises, qui font l'objet d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU aujourd'hui. À l'échelle microéconomique, les lois sud-coréennes prévoyant des sanctions compliquent le travail des ONG humanitaires en RPDC. Nous ne croyons pas que les gouvernements puissent cibler leurs pressions économiques avec suffisamment de précision pour être certains qu'elles ne causeront pas de souffrances ou de crises humanitaires. Nous pensons qu'il vaut la peine de surveiller la situation.
    Bref, les sanctions peuvent contribuer à l'atteinte d'objectifs de politique étrangère, mais elles n'ont rien de magique. Il est plus facile d'imposer des coûts que de changer des comportements. Bien souvent, elles n'ont pas d'incidence, et dans certains cas, elles peuvent même avoir de graves conséquences négatives, comme cela a été le cas des sanctions imposées à l'Irak pendant les années 1990 sur le peuple irakien. Quand de telles sanctions sont efficaces, c'est qu'elles font partie d'une stratégie politique intégrée articulée autour d'un objectif clair plutôt que d'être une mesure isolée. Plus que la plupart des autres outils de politique étrangère, elles dépendent beaucoup des circonstances.
    Les sanctions peuvent avoir leur utilité, mais si elles sont mal appliquées, surestimées (parce qu'on a mis la charrue devant les boeufs) ou s'il y a de la confusion quant à leur application, elles peuvent être tout simplement inefficaces, empêcher une solution politique ou même causer du tort aux populations civiles. Il faut poser des questions difficiles et porter attention aux détails pour bien faire la différence entre des sanctions qui peuvent être utiles et d'autres qui sont dommageables.
    Je vous remercie de me faire l'honneur de me permettre de comparaître devant vous aujourd'hui.
(1700)
    Merci infiniment, monsieur Walsh. Je suis désolé de vous savoir malade, mais vous avez réussi à survivre malgré tout. Je suis content pour vous.
    Nous allons commencer tout de suite avec M. Kent.
    Merci, monsieur le président, et merci à tous nos témoins d'aujourd'hui.
    J'aurais deux questions à poser à M. DeRose et à M. Barutciski.
    Vous savez sans doute, pour avoir lu les procès-verbaux de nos séances précédentes, que nous avons recueilli des témoignages selon lesquels le système de sanctions canadien serait défaillant, alors que le système de mise en application des sanctions américaines serait un modèle d'excellence. Vous avez parlé de dysfonction et d'incohérence.
    Vous n'avez toutefois pas parlé, sauf indirectement, du retrait de sanctions de la liste, de la façon dont vous vous informez quand des entités, des personnes ou des tierces parties sont retirées de la liste des sanctions.
    J'aimerais que vous nous parliez un peu, si vous en avez l'expérience, de ce qui s'est passé au moment de l'allègement des sanctions imposées à l'Iran, à peu près au moment où le gouvernement libéral est arrivé au pouvoir l'automne dernier, il y a un an.
    Le gouvernement ne pouvait pas ou ne voulait pas répondre à des questions à la Chambre, pendant la période de questions, sur les entités qui avaient été retirées de la liste. Nous avons appris plus tard que l'une des banques d'État iraniennes avait été retirée de la liste. Ce faisant, nous avons découvert qu'il fallait consulter des sources américaines pour comparer nos listes de sanctions afin de déterminer qui y figurait ou non.
    Je me demande si vous pouvez nous en parler et nous expliquer comment vous informez vous-mêmes vos entreprises respectives ou comment les gens peuvent s'informer en l'absence d'une liste récapitulative et d'une liste publique des entités qui ont été retirées de la liste.
    Je ne sais trop quelle métaphore utiliser, celle du jeu de la bouteille de l'école secondaire ou celle un peu plus adulte et acérée de la roulette russe, mais c'est un peu ce que c'est.
    Parlons d'abord des retraits de la liste. Il est impossible de parler de retrait de la liste sans aborder l'autre côté de la médaille, c'est-à-dire les raisons qui ont justifié l'inscription au départ. Les deux processus sont aussi opaques l'un que l'autre. D'un côté, on peut comprendre pourquoi: on ne veut pas que les gouvernements, s'ils inscrivent une entité à la liste parce qu'elle serait associée à l'Iran et à sa garde nationale, par exemple, et qu'elle serait très active dans la prolifération des armes nucléaires et le déploiement d'un programme nucléaire militaire... On ne veut pas divulguer ses sources de renseignement, expliquer pourquoi on le sait, donc je comprends pourquoi on serait plus circonspect dans ce cas. Mais je vais vous présenter l'autre côté de la médaille, et c'est la même chose pour les retraits de la liste.
    Vous parlez du gouvernement le plus récent, mais je vais vous donner un autre exemple qui remonte à l'époque où ces sanctions ont été imposées au départ par votre gouvernement, il y a six ans. L'un de mes clients, une entreprise canadienne qui exportait du matériel médical vers l'Iran, à une entreprise là-bas, s'est retrouvé sur la liste. Je le représentais. Il nous a fallu un an et demi pour arriver à faire retirer son entreprise de la liste.
    L'entreprise inscrite à la liste a le droit de demander au ministre pourquoi elle y a été inscrite. L'une des choses qu'on m'a dite d'emblée, c'est qu'il y avait des raisons de croire que l'entreprise participait à la livraison d'armes de destruction massive. Cette entreprise importait en fait du matériel de dialyse et d'autres choses du genre. Je ne sais pas, mais je suppose que les cathéters ne sont peut-être pas le moyen le plus efficace de livrer des armes de destruction massive quelque part. Je ne suis pas un spécialiste des armes de destruction massive, donc je ne m'étendrai pas sur le sujet. Cependant, il nous a fallu un an et demi pour venir à bout du processus. L'ironie, c'est que le tout premier appel est littéralement arrivé moins d'une semaine après la promulgation de sanctions en juillet 2010.
    Mon client, le propriétaire de l'entreprise, est un citoyen canadien, un citoyen irano-canadien. Il m'a dit: « Oh! soit dit en passant, nous sommes parmi les rares entreprises iraniennes autorisées de l'OFAC », l'Office of Foreign Assets Control, le soi-disant modèle d'excellence américain « qui délivre les permis d'exportation aux entreprises américaines. » Quand j'ai finalement réussi à joindre le personnel du ministère des Affaires étrangères, voici à peu près ce que je lui ai dit : « D'accord, que savez-vous que la CIA ne sait pas? »
    J'ai mes propres hypothèses, je crois qu'il y a quelqu'un qui a pris une liste de l'ASFC et qui s'est demandé qui exportait des produits vers l'Iran et qui importait des produits de l'Iran, et boom! Ces entreprises ont toutes été inscrites à la liste. J'ai l'intime conviction que c'est ce qui s'est passé, et je suis le dossier depuis longtemps. Ce n'est pas tellement le manque de transparence qui importe, c'est ce qu'a dit James Walsh un peu plus tôt, c'est-à-dire que les sanctions fonctionnent lorsqu'il y a une raison cohérente de les imposer. Si l'on impose des sanctions ou qu'on les lève — parce que cela fonctionne dans les deux sens, pour l'inscription à la liste comme pour un retrait de la liste — parce que c'est bon pour l'image politique, que c'est une bonne position politique, comme M. Walsh le disait, cela peut non seulement imposer des coûts à l'entité ciblée, mais en imposer aussi aux entreprises canadiennes, je vous le garantis.
    Quand je cherche à comprendre pourquoi une entreprise X se retrouve sur la liste, ou pourquoi telle personne est inscrite à la liste, que j'essaie de conseiller un client parce que son nom ressort de recherches, vous savez, je ne sais rien. Quand vous vous imposez ce genre de coûts, la meilleure analogie que je puisse utiliser, c'est celle de la roulette russe. Ce que vous faites, sans vraiment savoir pourquoi vous ciblez telle personne, c'est que vous vous mettez un couteau sur la gorge, vous vous mettez un fusil sur la tête, à vous-mêmes comme aux entreprises canadiennes. Vous dites: « Conformez-vous, personne ne vous croira. » C'est un peu bête.
(1705)
    Votre exemple semble illustrer le cloisonnement d'un organisme et d'un ministère à l'autre.
    Exactement, et le décalage entre la justification politique et l'évaluation concrète de la situation.
    M. DeRose, pouvez-vous répondre à cela à votre tour?
    Avec plaisir.
    Je prendrais un angle un peu différent. Votre question porte sur le retrait de la liste. Par exemple, si l'on prend la Russie ou l'Iran, quand ils ont récemment retiré des entités de la liste, sans liste récapitulative comme celle dont nous réclamons la création depuis au moins une ou deux semaines, un mois même, il est difficile de se faire une idée claire. Franchement, l'alternative est de prendre le règlement codifié le plus récent, celui qui contient la dernière liste connue, puis d'éplucher toutes les modifications qui y ont été apportées, donc il faut littéralement demander à quelqu'un de refaire la liste. Ce n'est pas impossible, mais si l'on prend l'exemple de ce qui s'est passé plus tôt cette année, quand les sanctions canadiennes contre l'Iran ont été allégées, divers clients nous ont appelés parce qu'ils voulaient savoir avec qui ils pouvaient faire affaire. Nous avions une équipe à notre cabinet juridique, qui a épluché tous ces documents, et elle se compose de personnes habituées à le faire. Honnêtement, l'entrepreneur canadien qui n'a aucune expérience en la matière serait totalement perdu.
    Merci.
    Je vais donner la parole à M. Fragiskatos.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins.
    Ma première question s'adresse à M.  Barutciski.
    Vous nous dites que ce problème ne date pas d'hier. Vous l'observez depuis longtemps. Quand je dis « ce problème », je fais allusion à ce dont vous parlez dans votre témoignage, c'est-à-dire le manque de ressources. Je crois que vous avez dit qu'il y a entre 10 et 13 employés au sein de l'unité responsable des sanctions. C'est donc un problème de longue date? D'accord.
(1710)
    Nous en avons gardé neuf.
    Très bien.
    Monsieur Walsh, voici ce sur quoi porteront mes questions.
    Habituellement, des sanctions sont imposées en cas d'atteinte à la paix et à la sécurité internationales, ce qui peut, selon la définition de ce concept, comprendre les violations des droits de la personne. Cependant, il y a de plus en plus de pression de nos jours, à tout le moins au Canada et indéniablement aux États-Unis, pour que les décideurs mettent en place des sanctions clairement en réponse aux violations des droits de la personne. C'est ce qui s'est passé dans le contexte de la Loi Magnitsky. Notre Comité en a discuté, évidemment, en partie en raison de ce que nous avons vu aux États-Unis.
    Je me demande si vous pouvez nous en parler, compte tenu de vos grandes compétences en matière de sanctions, et j'adresse également ma question à la professeure Hanham. Avez-vous des conseils à donner au Comité? Devrions-nous envisager une modification à la loi existante, pour que des sanctions soient imposées dans tous les cas de violation des droits de la personne? Quel serait le seuil? Quels types de violations des droits de la personne devraient être admissibles? J'apprécierais aussi beaucoup que vous mentionniez dans votre réponse les résultats volontaires et involontaires de ces mesures.
    Je vous remercie beaucoup de cette question importante.
    Je préciserai au préalable que je suis essentiellement un chercheur en sécurité dont le domaine de spécialité est la non-prolifération des armées nucléaires. De par mes études sur les questions de sécurité, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec mes collègues de cette question. Je travaille sur l'Iran et la Corée du Nord, un pays qui a un bilan horrible au chapitre des droits de la personne.
    Je tiens également à exprimer clairement mon entière conviction personnelle et professionnelle envers le concept des droits de la personne. Je pense que ce sont des droits fondamentaux, plus que bien d'autres choses mises en valeur tous les jours. Je crois que les droits de la personne sont peut-être plus importants même que la démocratie, par exemple, mais cela pourrait faire l'objet d'un grand débat.
    Je répondrai d'abord à la dernière question, puis à la précédente.
    Au sujet des résultats, j'encourage vraiment les gens à regarder ce que disent les études sur la relation entre les sanctions et les droits de la personne. Les violations des droits de la personne sont graves. Les sanctions sont une forme de punition. Mais à la base, il faut se demander si l'on fait le bien. Est-ce qu'on avance concrètement vers l'atteinte d'un but ou est-ce qu'on envenime les choses plutôt que de les améliorer?
    Si les sanctions ont des conséquences négatives involontaires sur les groupes mêmes qu'on veut protéger, il vaudrait peut-être la peine d'envisager d'autres outils stratégiques que les sanctions. Encore une fois, ce n'est pas l'objet principal de mes recherches, mais je le dis parce que je connais bien les études dans ce domaine. Il y a de grandes études quantitatives qui font ressortir une relation très négative entre l'imposition de sanctions et le non-respect des droits de la personne. Les arguments s'articulent à peu près ainsi. Supposons qu'il y a un dictateur à la tête d'un pays. Quand on impose des sanctions pour violation des droits de la personne, elles rendent le dictateur plus nerveux quant à sa situation politique. Il pourrait sentir le besoin de sévir contre sa population nationale, cela lui donnerait une excuse pour sévir contre sa population. Ce sont les propositions générales. Elles peuvent s'avérer dans certains cas, pas dans d'autres, mais comme je le dis, laissons-nous guider par les données probantes.
    Vous rappelez-vous ce que j'ai dit sur la Corée du Nord et les sanctions sur la non-prolifération en général? Il est consternant de constater à quel point c'est une question de détail. Contre certains pays, les sanctions seront efficaces. Contre d'autres, elles auront des résultats terribles, et par « terribles », je veux dire elles seront inefficaces. Dans certains cas, elles pourraient même causer plus de tort que de bien. Tout dépend vraiment du pays et de la situation.
    Mais...
    Monsieur Walsh, ce que vous dites est très intéressant, mais comme mon temps est compté, j'aimerais vous poser une question complémentaire.
    Même quand la politique sur les sanctions est écrite de manière à ce qu'il y ait blocage de biens, interdiction de voyages, etc., est-elle restreinte? Nous ne parlons pas ici de l'imposition de sanctions à grande échelle, n'est-ce pas? Vous parlez toujours de circonstances bien réelles et potentiellement dommageables qui pourraient être imposées. Vous dites qu'elles peuvent servir d'excuse à un régime autoritaire pour justifier toutes sortes de violations des droits de la personne. C'est ce que je retiens de vos propos.
    Est-ce bien cela?
    Oui, je serai bref cette fois-ci. Je m'excuse.
    J'ai dit que c'était une possibilité, donc je conseillerais aux législateurs de laisser au pouvoir exécutif de la marge de manoeuvre dans des lois comme celle-ci: il ne doit y avoir rien d'automatique.
    De même, chacun doit faire ses devoirs. Il faut aller voir ce que disent les données pour pouvoir déterminer que tel pays se comporte comme une série d'autres pays contre lesquels nous avons déjà imposé des sanctions. Ces sanctions ont-elles fonctionné ou ont-elles empiré les choses? Il faut ensuite surveiller la situation de près. Vous ne pouvez pas seulement imposer des sanctions, puis vous arrêter là. Essayez de vous laisser de la marge de manoeuvre pour pouvoir corriger vos erreurs ou vous ajuster. Bien souvent, quand on adopte des lois imposant des sanctions, une fois le processus enclenché, les événements se succèdent et il est difficile de reculer.
    Je vous recommanderais de faire preuve de discernement et de vous fonder sur des données probantes.
    Pendant le temps qu'il me reste, j'aimerais demander à Mme Hanham ce qu'elle en pense.
    Je suis en grande partie d'accord avec M. Walsh. Je pense que les grandes sanctions générales ont presque toujours des conséquences négatives, simplement parce qu'elles punissent les personnes qui souffrent déjà elles-mêmes du non-respect des droits de la personne.
    Par exemple, en Corée du Nord, quand l'aide alimentaire est arrivée, elle était vendue parmi les élites sur le marché noir. Divers stratagèmes sont utilisés pour miner les efforts d'aide, donc ce sont les personnes au bas de l'échelle qui en font les frais.
    Je pense qu'il peut être utile et pertinent d'imposer des sanctions financières ciblées et des interdictions de voyage, si celles-ci ciblent les personnes qui ont la mainmise sur les cordons de la bourse. Cependant, je doute fort que nous ayons accès à suffisamment de renseignements en Corée du Nord, par exemple, pour déterminer qui sont ces personnes, qui sont ces entreprises, pour pouvoir cibler les sanctions comme on le voudrait vraiment.
    Je pense que vous pourriez toujours vous adapter, mais que ce sera presque toujours un jeu du chat et de la souris.
(1715)
    Je vais donner la parole à Mme Laverdière, s'il vous plaît.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux témoins de leurs présentations un peu différentes, mais toutes très intéressantes.
    J'aimerais d'abord faire un commentaire sur la question des ressources humaines.
    Monsieur Barutciski, je n'ai pas été surprise d'entendre ce que vous avez dit. Au sein de ce comité, on nous a dit que même la GRC n'entreprenait pas de poursuites. Il n'y a eu qu'une seule poursuite en 25 ans. Comme elle n'a pas les ressources nécessaires, cela se retrouve au bas de la pile.
    C'est rare que je fais cela, mais je vais vous raconter une petite partie de mon histoire personnelle.
    J'ai passé 15 ans au ministère des Affaires étrangères du Canada. Je me souviens qu'au sein d'une unité dont j'étais responsable, il y avait un petit groupe de trois personnes qui s'occupait des relations avec le Parlement et le Cabinet, alors que d'autres ministères en avaient 15. C'était nous qui produisions le plus de mémoires à l'intention du Cabinet. L'héritage que j'ai laissé a été la création d'une unité spéciale pour s'occuper de ces questions. En définitive, je pense que je comprends assez bien le problème lié aux ressources humaines.
    Cela dit, la question du mandat est également importante, particulièrement pour les avocats quand ils ne peuvent en obtenir un pour une chose ou pour une autre. Y a-t-il quelque chose de précis que notre comité devrait recommander en ce qui concerne les mandats?
     Je vous remercie de cette question, madame Laverdière.
    Je vais profiter de l'occasion pour ajouter mes commentaires à ceux qu'ont faits les professeurs Walsh et Hanham sur la raison d'être des sanctions. Je vais aussi parler des ressources humaines et des mandats dont vous et d'autres personnes avez parlé.
    D'abord, la raison d'être des sanctions est assez simple.
    Je vais m'exprimer en anglais pendant une minute et je reprendrai par la suite mes propos en français.

[Traduction]

    Mme Hanham et le M. Walsh l'ont dit très clairement. Nous n'avons touché à rien. Nous avons examiné ces sanctions du strict point de vue des affaires, en fonction des coûts imposés à notre client, mais ils ont indiqué très clairement que l'objectif de ces sanctions, c'est de s'attaquer à des enjeux très importants, surtout lorsque les sanctions ciblent des violations des droits de la personne comme celles qui ont cours en Corée du Nord ou la prolifération d'armes en Corée du Nord et en Iran, jusqu'à la signature de l'accord, entre autres.
    Ce qui se passe, quand on adopte un régime de sanctions, c'est un peu comme l'a expliqué M. Walsh. Nous, l'administration, le gouvernement, imposons des sanctions, puis nous passons à autre chose.
    D'une certaine façon, on se trouve à en confier l'application aux entreprises, mais ni nos clients, ni mon cabinet ni celui de Vince n'ont les ressources nécessaires pour déterminer si telle ou telle personne à Téhéran ou à Bandar Abbas est liée d'une manière ou d'une autre à la garde nationale iranienne ou à une autre personne qui fait l'objet de sanctions. Nous jouons vraiment à la roulette russe.
    M. Walsh a également expliqué qu'une fois qu'on s'est engagé à appliquer des sanctions, il est très difficile, sur le plan politique, de les augmenter ou de les réduire. C'est un outil politique très difficile à calibrer pour atteindre des objectifs pointus.

[Français]

     Je veux revenir à votre question au sujet des mandats.
    J'aimerais d'abord clarifier la situation, particulièrement pour les fonctionnaires.
    C'est justement la question. Si on a un mandat et

[Traduction]

    si on a un objectif et un but, le mandat

[Français]

découle de l'objectif au sujet d'une sanction particulière. Il faut que les fonctionnaires comprennent le but recherché par le Parlement ou le gouvernement lorsqu'il adopte une loi ou un règlement.
    Permettez-moi de clarifier cette question.
     Je pensais, en particulier, à la question du mandat.
    La réponse peut être, par exemple, qu'on ne donne pas d'avis juridique ou quelque chose de cette nature. En ce qui a trait au mandat que les fonctionnaires ont pour répondre à vos besoins, ma question est la suivante. Qu'ont-ils le droit de faire et de ne pas faire?
(1720)
    Ce n'est pas une question qui est nouvelle. Elle se pose pour tout agent de l'administration fédérale qui est au Bureau de la concurrence, à l'Agence du revenu du Canada ou à l'Agence des services frontaliers du Canada. Ce sont des agences réglementaires.
     Si cela vous convient, je vais poursuivre ma réponse en anglais.

[Traduction]

    C'est exactement ce en quoi consiste un organisme de réglementation. Il administre et applique un régime réglementaire. Administrer ne veut pas simplement dire qu'après la promulgation, nous ne vous imposons des sanctions que si nous vous attrapons — que ce soit par mégarde ou par accident; cela suppose aussi l'administration d'une loi. Lorsque vous parlez de mandat, il est important que... Et c'est ce dont je me plaignais; honnêtement, je me lamentais au sujet de mes collègues aux Affaires étrangères qui estiment... ce n'est pas qu'ils n'estiment pas avoir un mandat, car leur agence soeur qui contrôle les exportations le comprend et compose avec cette situation. Il s'agit d'un problème de ressources. Chaque administrateur, chaque organisme qui administre une loi fédérale ou provinciale, comprend qu'il doit faire affaire avec les gens touchés par la loi.
    Nous ne demandons pas d'avis juridiques, mais bien des conseils sur la façon de procéder, ce qui nous ramène à l'argument que j'essayais de faire valoir tout à l'heure et à l'objectif que vous essayez d'atteindre; certains des objectifs sont de la plus haute importance. J'ai du mal à trouver une question plus importante que celle de la prolifération des armes de destruction massive d'un point de vue géopolitique, mais vous ne pouvez pas traiter la question en disant que vous allez laisser tomber cela et passer aux oléoducs ou aux droits de la personne ou que sais-je, et vous tirez les choses au clair. Vous savez quoi? Même la plus grande multinationale fait les types de choses dont Vince parlait et essaie de comprendre ce qu'il en est. Les conseils des administrateurs dont Vince et d'autres ont parlé sont d'une importance fondamentale.

[Français]

    Il y a des fonctionnaires qui peuvent en effet donner des renseignements, guider les gens et administrer la loi.

[Traduction]

    Les conseils sont fondés sur les objectifs de la loi, lesquels doivent être liés aux types de choses dont M. Walsh parlait.
    Puis-je ajouter deux points très brefs? Premièrement, j'ai n'ai pas rencontré de client, d'entreprise canadienne, qui ne souhaite pas se conformer à la loi. Ils veulent s'y conformer, et s'ils m'appellent, c'est qu'ils sont incapables d'en tirer le sens d'eux mêmes. Lorsque nous avons parlé de mes recommandations, nous avons fait très attention. J'ai parlé de leur « donner le mandat et les ressources » et, de mon point de vue, le mandat consiste à donner non pas des avis juridiques, mais bien des conseils pour l'interprétation de la réglementation, ainsi que les ressources pour qu'ils puissent le faire de façon à aider les entreprises canadiennes qui veulent se conformer, s'assurer qu'elles sont conformes, et leur permettre d'aller à l'étranger et de passer des marchés légaux. Voilà ce qu'elles veulent; et à l'heure actuelle, pour être honnête, bien des entreprises canadiennes rencontrent des obstacles.
    C'est dommage, car nous perdons un avantage concurrentiel par rapport aux États-Unis, par exemple, ou aux pays de l'Union européenne. S'il est impossible d'acheter du Canada, vous vous tournez vers les États-Unis ou l'Union européenne.
    Merci, monsieur DeRose. Nous avons du temps pour une autre question.
    S'agit-il d'une question brève?
    Pas nécessairement brève; une question de longueur normale, car ensuite, nous devons aller voter. La sonnerie a commencé à retentir il y a un moment. Notre vote est à 17 h 45, alors nous avons cinq minutes pour M. Levitt ou M. Miller, et ensuite, nous devrons fermer boutique ou le whip nous fera notre fête et nous ne reviendrons jamais plus. Je cède la parole à M. Levitt.
    J'ai une question pour Mme Hanham, mais j'aimerais aussi discuter d'une incohérence avec M. DeRose. Nous avons entendu dire qu'il y avait eu environ une douzaine d'enquêtes, et je pense qu'il y a eu deux ou trois constats ou poursuites en application de la Loi sur les mesures économiques spéciales pendant tout ce temps. Compte tenu du manque de clarté et du fait que les entreprises ne savent pas exactement ce qui se passe, comment le justifiez-vous, même avec tout cela et le manque d'information? Est-ce parce que les entreprises ont peur des risques et qu'elles reculent complètement? Ce n'est pas comme si elles tombaient dans un trou noir; s'en tiennent-elles simplement loin?
    Je dirais qu'il y a trois raisons. Certaines reculent simplement parce qu'elles ont peur des risques. Certaines déterminent ce qu'elles croient être conforme et procèdent ensuite. Je dirais que le peu de poursuites est plutôt attribuable à un manque d'enquêtes, de ressources et de capacité d'enquêter. Si vous prenez nos alliés — par exemple les États-Unis — ils intentent des poursuites chaque jour. Ces entreprises n'agissent pas différemment des entreprises canadiennes, mais le niveau de poursuites n'est pas le même. C'est indéniable.
(1725)
    Pensez-vous que cette question se trouve tout en bas de la liste de ce que la GRC estime probablement être des priorités? Compte tenu des types d'enquêtes sur les types de questions qui ont été soulevées, il n'y a pas exactement eu de succès retentissants.
    Vous me mettez à la place du commissaire de la GRC. Je vais bien au-delà de mon rôle, mais si j'étais le commissaire de la GRC et qu'on me disait que je pouvais seulement mener une enquête par année dans tout le Canada, est-ce que je choisirais ce secteur? Probablement pas. Est-il important que les sanctions économiques fassent l'objet d'enquêtes et de mesures d'application au Canada si vous voulez qu'elles aient un sens? Tout à fait.
    Je suis d'accord avec ce que je M. DeRose a dit mais, grosso modo, l'application de la loi et la conformité vont de pair, et pour convaincre les entreprises qu'elles ont besoin de se conformer, il ne suffit pas de dire que nous avons une loi. Vous avez besoin de pouvoir les rejoindre, et si l'administrateur, l'organisme, refuse de participer — c'est là que réside le problème en ce qui concerne les sanctions — alors on se retrouve devant rien. Les grandes entreprises publiques dont les cultures de conformité sont bien ancrées, comme les banques canadiennes, prennent tout simplement leurs distances. Elles ne veulent pas y toucher. Elles refusent catégoriquement de faire affaire avec l'Iran, même si les sanctions ont été fondamentalement relâchées, en gros.
    Par contre, il y a bien des entreprises très conformes, mais ignorantes, qui voient que les règles ne sont pas appliquées. Elles voient qu'elles n'ont pas les ressources nécessaires, surtout les PME. Elles voient des débouchés dans le secteur des services pétroliers et gaziers — pas les grands producteurs; je parle des fournisseurs de services, qui sont souvent des petites entreprises — et elles se lancent. Malheureusement, elles se lancent en étant très mal informées, notamment parce qu'elles ne sont pas suffisamment guidées. Alors ce n'est pas une question d'oeuf et de poule; la conformité doit aller de pair avec les ressources et la participation.
    J'aime parler de participation plus que d'application de la loi ou de réglementation.
    Je vais rester sur le sujet, car je ne pense pas avoir le temps d'aborder l'autre partie de la question. J'en suis désolé. Vous avez mentionné l'aide aux petites et moyennes entreprises qui, manifestement, est importante au plan économique. Selon vous, quelle autre administration gère cela efficacement? Qui fait du bon travail sur ce plan?
    Permettez-moi de vous donner un exemple qui fait fond sur une de vos recommandations, à savoir la liste récapitulative. Si vous êtes un particulier ou une PME en Europe ou aux États-Unis, vous pouvez consulter le site Web du gouvernement, cliquer sur un lien et inscrire le nom de la personne avec laquelle vous êtes sur le point de faire une transaction. Vous pouvez appuyer sur « entrer », et comme sur Google, la réponse apparaîtra, et vous aurez une liste dans laquelle on vous dira s'il y a lieu de s'inquiéter et de pousser plus loin l'enquête.
    Cela n'existe pas au Canada, alors si j'ai une PME, je dois décider d'examiner toute la réglementation moi-même, ce qui est extrêmement compliqué et personne ne le fera, ou je prends le risque, ou j'essaie de payer un fournisseur de services, ce qui est incroyablement coûteux.
    D'après ce que j'ai vu, bien des propriétaires de PME, en particulier dans l'industrie des fournisseurs de services pétroliers et gaziers, qui ont tant de connaissances à offrir au monde, haussent simplement les épaules et affirment que le jeu n'en vaut pas la chandelle.
    Merci, Michael.
    Merci beaucoup, chers collègues. Nous avons maintenant un grand total de 15 minutes environ pour nous rendre au vote.
    Je veux remercier nos quatre témoins d'aujourd'hui. Encore une fois, je tiens à m'excuser de notre retard. Malheureusement, il se passe beaucoup de choses à la Chambre à cette période de l'année, et nous procédons à de multiples votes cette semaine.
    C'était très instructif. Je veux vous encourager à nous formuler des recommandations, comme l'a fait M. DeRose. Je pense que c'est très utile dans la discussion.
    Au nom du Comité, merci beaucoup d'avoir passé ce temps avec nous.
    Chers collègues, la séance est levée.
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