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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 039 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 5 décembre 2016

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Nous nous réunissons conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 14 avril 2016 et à l'article 20 de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, qui exige un examen législatif de la Loi. Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui participent à notre réunion aujourd'hui. Je tiens aussi à souhaiter la bienvenue à ceux qui se joignent à nous par vidéoconférence sur les côtes de l'Atlantique et du Pacifique.
    Nous accueillons aussi, de Suisse, mais elle se trouve en fait à New York aujourd'hui, Gretta Fenner, administratrice déléguée du Basel Institute on Governance. Bienvenue, Gretta. Nous sommes ravis de vous voir aujourd'hui. Nous allons bientôt passer à votre témoignage.
    Nous accueillons aussi à titre personnel. Gerry Ferguson, professeur émérite de droit de la Faculté de droit de l'Université de Victoria, qui comparaît par vidéoconférence, de Victoria, en Colombie-Britannique. Gerry, nous sommes aussi ravis que vous soyez là.
    Notre habitude et notre procédure habituelle consistent à commencer par vos déclarations préliminaires. Ensuite, durant l'heure qui suit, les membres du gouvernement et de l'opposition vous poseront des questions tour à tour en fonction de vos déclarations.
    Monsieur Ferguson, je vais commencer par vous. La parole est à vous, allez-y. Nous avons hâte d'entendre votre témoignage. Nous passerons ensuite à Gretta.
    Merci beaucoup de l'invitation à comparaître devant le Comité. Je suis un avocat, et vous ne serez donc pas surpris d'apprendre que je vais commencer par un avertissement.
    Mon avertissement est le suivant: initialement, lorsqu'on m'a demandé de comparaître, j'ai refusé parce que je n'avais pas de connaissances précises des deux lois examinées par le Comité. Lorsque j'ai mentionné ce fait à la greffière, elle m'a convaincu que vous vouliez entendre mon témoignage en raison de mon intérêt général et de mes connaissances liées à la corruption à l'échelle internationale. Je voulais vous le dire d'entrée de jeu. Je n'ai pas une connaissance approfondie de la LBBDEC ni de la LMES dont vous commencez l'étude, mais j'ai quelques commentaires à formuler sur la façon dont celles-ci s'intègrent dans une plus large perspective.
    Je veux vous communiquer un message principal, mais je vais commencer par vous dire que j'ai préparé un mémoire. Il a été présenté ce matin. Il doit être traduit, alors vous n'en aurez pas une copie devant vous. La greffière vous le fournira plus tard. C'est un document PowerPoint d'environ 45 pages. Je ne pourrai pas fournir beaucoup de renseignements détaillés aujourd'hui, mais l'information figure dans le mémoire.
    Toujours au sujet des renseignements détaillés, je voulais aussi mentionner qu'une bonne partie de mes connaissances sur la corruption à l'échelle internationale, le recouvrement des avoirs et toutes les questions connexes se trouvent dans un livre comptant deux tomes que j'ai écrit il y a un an et demi et que je mets actuellement à jour en vue d'une nouvelle publication en janvier. Ce livre s'appelle Global Corruption: Law, Theory and Practice. Il aborde la question de la corruption mondiale en grande partie dans une perspective internationale. Je compare ensuite la mesure dans laquelle le Canada, les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Royaume-Uni ont appliqué ou non les exigences de notre convention.
    Je mentionne ce livre parce qu'il compte environ 780 pages et qu'il contient des renseignements très détaillés. Je l'ai rédigé de façon à ce qu'il soit accessible à toutes les parties intéressées. Il est gratuit. Tout le monde peut y avoir accès. Il se trouve sur cinq sites Web, dont le site de la société Transparency International Canada, et il a été produit sous les auspices de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, et il est donc aussi accessible sur le site de l'Office.
    Pour revenir à ce que je voulais vous dire, mon message principal, c'est que, selon moi, créer et maintenir un système efficient, juste et efficace pour geler les avoirs au Canada d'acteurs étrangers corrompus et, au bout du compte, les retourner à leurs propriétaires légitimes est évidemment une obligation à la fois morale et au titre du droit international. Je crois que le Canada doit redoubler d'efforts et prendre ces obligations plus au sérieux.
    Je sais bien que créer un tel système, qui est efficient, juste et efficace, est plus facile à dire qu'à faire, mais ce n'est pas impossible. Je veux vous souligner pourquoi, selon moi, c'est important de mettre en place un tel système efficace.
    Je vais commencer par une proposition. Je m'intéresse principalement à la corruption à l'échelle internationale, le sujet le plus général. À mes yeux, c'est un mal pernicieux de notre société. Dans mon article et mon livre, j'ai beaucoup parlé de la raison pour laquelle la corruption à l'échelle internationale est si préoccupante et pourquoi ses conséquences sont aussi désastreuses. Dès le départ, il est important d'être convaincu qu'il s'agit effectivement d'un problème important.
    Le deuxième point que je veux souligner, c'est que, si nous en venons au point où nous admettons que la corruption à l'échelle internationale est bel et bien une notion, une activité ou une pratique pernicieuse et dévastatrice, il en découle une corruption à un niveau élevé, le genre qui vous intéresse et qui m'intéresse le plus. La corruption à un niveau élevé peut sévir lorsque les représentants des pays étrangers visés peuvent blanchir les produits de la corruption dans d'autres pays et convertir ces produits en choses comme des biens immobiliers ou des articles de prestige dans notre pays. Vous êtes tous au courant du fait que, selon certaines allégations, c'est le genre de choses qui se produisent beaucoup dans le marché de l'habitation de la région de Vancouver.
(1535)
    Ce que j'essaie de dire, ici, c'est que le blanchiment d'argent est vraiment la pierre angulaire de la corruption. C'est ce qui permet à cette corruption, cette corruption de grande envergure, de sévir. Selon moi, des, disons, 10 choses qui sont essentielles pour lutter contre la corruption, il y a entre autres le fait que nous devons essayer d'éradiquer les profits et les gains personnels qui découlent de cette corruption à un niveau élevé. L'une des nombreuses façons importantes d'y arriver, c'est en créant une loi efficace et efficiente pour lutter contre le blanchiment d'argent et pour récupérer les biens.
    D'après ce que j'en sais, la LBBDEC est un petit, quoiqu'important, rouage dans la création d'un système global efficace de recouvrement des biens. Cependant, je le dis respectueusement, j'ai l'impression que de seulement examiner la LBBDEC, c'est un peu comme écraser la mouche en faisant fi de l'éléphant dans la salle. La LBBDEC est importante, mais le vrai éléphant dans la salle, c'est la corruption à l'échelle internationale et l'absence d'une façon juste et efficiente de s'y attaquer de plusieurs points de vue, y compris grâce à un bon système de recouvrement des biens.
    Ce que j'espère, c'est que dans le rapport du Comité sur la LBBDEC et la LMES, vous prendrez le temps d'essayer de convaincre d'autres parlementaires et le public du fait que la corruption à l'échelle internationale est effectivement une épidémie dévastatrice qui a des conséquences désastreuses bien pires que ce que la plupart d'entre nous, ici, au Canada et j'ose même dire à l'échelle internationale, ne peuvent comprendre.
    En effet, il y a un besoin pressant de s'attaquer à la corruption à l'échelle internationale sur de nombreux fronts, y compris grâce à des systèmes efficaces de lutte contre le blanchiment d'argent et de recouvrement des biens. Je crois que le Canada doit sérieusement réexaminer son rendement sur ces deux fronts. D'après moi, il n'obtient pas du tout de bons résultats.
    Enfin, à mon avis, l'un des aspects les plus urgents du processus d'amélioration de notre système de recouvrement des biens, c'est de mettre en place un registre sur la propriété effective, comme le Royaume-Uni l'a fait en avril dernier. Nous parlons de retourner les biens à leur propriétaire, et je veux aussi demander au Comité des renseignements précis au sujet de la LBBDEC et de ses réussites, qui, à mes yeux, sont assez limitées. Ce que j'essaie de dire, c'est que si nous tentons d'évaluer si des représentants corrompus possèdent des biens alors que 70 % des biens sont détenus par des sociétés fictives et que nous ne pouvons même pas déterminer qui est le réel propriétaire, il n'est pas étonnant que nous ne retournions pas beaucoup de produits de la corruption à leur réel propriétaire.
    S'il y a une chose qui permettrait directement de faire ce que vous tentez de faire, même si ce n'est évidemment pas dans la LBBDEC, selon moi, c'est que le Canada doit réfléchir très sérieusement — comme quelques autres pays l'ont fait, l'Angleterre en particulier — à créer un registre sur la propriété effective. Le registre serait public, mais, ce qui est encore plus important, les agents d'enquête y auraient accès pour évaluer si M. Gadhafi ou quelqu'un d'autre est le réel propriétaire de biens détenus dans telle ou telle entreprise. Son nom n'apparaîtrait pas, et le stratagème serait profondément caché.
    Le reste de ma présentation va en fait dans la même direction. Je ne vais pas tout passer en revue. Cependant, la première partie tente de vous convaincre que la corruption à l'échelle internationale est bel et bien un grave problème qui a des conséquences désastreuses. Je ne crois pas que le public canadien le comprenne vraiment. C'est pourquoi le public manque de motivation à ce sujet et, par conséquent, les parlementaires aussi. C'est la première étape: essayer de vous convaincre de l'importance de lutter contre la corruption à l'échelle internationale.
    Comme je l'ai dit, l'une des mesures importantes à prendre c'est de créer un système qui aidera à empêcher des représentants étrangers corrompus de blanchir leur argent au Canada et, en fait, d'y conserver leur argent et de le convertir en articles de luxe, comme des maisons et ce genre de choses.
(1540)
    Il y a beaucoup de choses qu'il faut faire relativement à ce système, mais je crois qu'une des choses les plus importantes pour le moment, c'est que le Canada doit commencer à étudier — espérons-le rapidement — la possibilité de créer un registre de la propriété effective, afin que nous soyons mieux placés pour déterminer qui, en fait, possède ces éventuels produits de la corruption.
    Je crois que je vais m'arrêter ici. Je serai heureux de répondre à vos questions sur n'importe quel aspect de ma déclaration préliminaire.
    Merci beaucoup, monsieur Ferguson.
    Nous allons maintenant passer à Mme Fenner, qui nous présentera sa déclaration.
    Merci beaucoup. Mesdames et messieurs, bonjour.
    Je ne suis pas avocate, mais ma mise en garde est la même. De plus, je ne suis même pas Canadienne, alors il est évident que je ne suis pas non plus spécialiste du droit criminel canadien. Je suis ici pour vous présenter le point de vue d'une organisation sans but lucratif dont le siège social se trouve en Suisse, mais qui travaille un peu partout dans le monde auprès des pays en développement ou en transition ainsi qu'en collaboration avec les centres financiers dans le but de récupérer les biens volés grâce à nos activités d'application de la loi concrètes que nous réalisons avec nos pays partenaires. Nous sommes aussi présents dans le cadre du Forum politique mondial, où nous tentons de promouvoir cet enjeu.
    Voilà donc mon point de vue. Je comprends que vous examinez deux lois précises, mais on m'a demandé de vous fournir un point de vue un peu plus général sur le recouvrement des avoirs. Je suis très heureuse de pouvoir vous parler aujourd'hui. C'est bien de voir votre Comité — et, j'imagine, la Chambre des communes — s'intéresser au sujet de la corruption et du recouvrement des avoirs. Pour moi, c'est une question encore très importante, et je crois que Gerry et moi parlons la même langue dans la mesure où nous nous rendons compte que ce n'est pas uniquement la responsabilité de certains pays. C'est en fait une répercussion de la mondialisation ainsi qu'une menace à la mondialisation, et c'est donc vraiment un enjeu dont il faut se préoccuper et sur lequel nous devons travailler en collaboration à l'échelle internationale.
    Je tiens à vous parler de deux choses dans ma déclaration préliminaire. Dans un premier temps, je vais vous communiquer un message que vous allez peut-être, ou peut-être pas vouloir utiliser lorsque vous parlez à vos collègues au Parlement et lorsque vous parlez au gouvernement de la raison pour laquelle le recouvrement des biens volés est important et pourquoi le Canada devrait avoir ce dossier à coeur. Je vais ensuite vous dire rapidement ce que, selon moi, les décideurs et les politiciens canadiens devraient faire pour améliorer le bilan du Canada en matière de recouvrement des biens et contribuer de façon plus active aux efforts internationaux.
    Pour commencer, pourquoi est-ce important? Vous n'avez peut-être pas entendu les estimations selon lesquelles entre 20 milliards de dollars américains à 40 milliards de dollars américains sont volés chaque année des pays en développement en raison de la corruption. Si on tient compte de façon plus globale des flux financiers illicites, on estime que 1,1 billion de dollars américains de biens illicites sortent des pays en développement chaque année. Ce sont des chiffres effarants qui devraient faire comprendre à tout le monde la gravité du problème.
    La raison la plus évidente de l'importance du recouvrement des biens, c'est que cet argent ne devrait pas être volé et retiré des pays en développement. Ces fonds devraient plutôt être investis à des fins de développement dans ces pays.
    Cependant, je tiens à souligner que, à ce moment-ci, l'objectif en tant que tel ne doit pas être surestimé. Gerry a souligné que, à l'heure actuelle, nous n'avons pas beaucoup de succès à l'échelle internationale et nous n'arrivons pas à recouvrer des biens volés en quantité importante. Selon moi, le recouvrement des biens est plutôt important parce qu'il communique le message que l'impunité accordée à la corruption, même pour les puissants et les riches, n'a plus sa place. Nous adoptons, dans une certaine mesure, une approche très préventive en matière de recouvrement des biens, parce que, en retirant des biens volés aux criminels, nous réussissons à éliminer certains des incitatifs qui justifient ces crimes. Si nous adoptions une approche plus systématique en matière de recouvrement des biens, il s'agirait d'un effort de prévention, pas seulement d'application de la loi. Et puisque toute la chaîne de l'application de la loi et du système judiciaire participe aux efforts de recouvrement des biens, nous pouvons réussir à renforcer la primauté du droit, particulièrement dans les pays en développement, ce qui contribuera au développement et à la stabilité à l'échelle internationale. Je crois que c'est très important de le comprendre. Nous ne parlons pas seulement de cas précis: nous parlons, d'un point de vue international, de l'impact beaucoup plus systémique que peut avoir le recouvrement des biens.
    Quant à la question de savoir pourquoi le Canada devrait s'en faire, eh bien, selon moi, si les biens sortent des pays en développement, c'est à destination d'un autre pays, et c'est habituellement dans des centres financiers biens développés comme le Canada et la Suisse — mon pays — ainsi que le Royaume-Uni et d'autres pays encore. Par conséquent, le recouvrement des biens est, à mon humble avis, une responsabilité que doivent vraiment partager les pays développés et les centres financiers. On peut toujours blâmer les pauvres pays en développement pour leur piètre gouvernance, leur manque de contrôle de la corruption; cependant, nos centres financiers, et les banques dans nos centres financiers, contribuent tout aussi activement à ces dossiers horribles de blanchiment d'argent et de corruption que les régimes mal gouvernés. Par conséquent, je crois vraiment que c'est la responsabilité de chaque pays qui possède un centre financier important de contribuer aux efforts mondiaux de recouvrement des biens.
    J'aimerais soulever un dernier enjeu, et c'est lié à une situation qu'on a découverte au cours des deux ou trois dernières années.
(1545)
    La corruption — et le recouvrement des biens n'est qu'une des mesures prises contre la corruption — semble vraiment mener à l'instabilité politique et mine le développement économique. Ces situations sont des menaces directes à la sécurité qui ne s'arrêtent pas aux frontières. Ces situations créent des problèmes en matière d'immigration. Elles poussent les gens vers le terrorisme. Elles ont des conséquences négatives sur le commerce international. Encore une fois, lorsque nous parlons de recouvrement des biens, j'aimerais que nous nous rendions tous compte que nous parlons de quelque chose de beaucoup plus général, d'une situation qui influe sur de nombreux intérêts et enjeux, qui sont au coeur des intérêts du Canada en matière de politique étrangère et de politique nationale. Il est là, le contexte mondial.
    Je vais maintenant parler rapidement de ce que, selon moi, un pays comme le Canada — encore une fois, je ne suis ni Canadienne ni une experte de la situation au Canada — devrait faire.
    Du côté de la prévention — ce qui, bien sûr, doit toujours être la façon de travailler privilégiée —, il est absolument essentiel que le Canada mette pleinement en place et, surtout, applique, un régime très strict pour lutter contre le blanchiment d'argent.
    À ce sujet, le Comité devrait consulter les conclusions du rapport du 20 septembre 2016 du Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux. Le rapport conclut que le Canada possède un cadre juridique assez approprié, mais qu'il y a une échappatoire particulièrement importante, et je vous recommande d'y jeter un coup d'oeil. Et le problème en question, c'est que le régime de lutte contre le blanchiment d'argent au Canada exclut à de nombreux égards les conseils juridiques et les sociétés d'avocats. Nous savons tous que, dans les grands dossiers de corruption, les conseils juridiques, les sociétés d'avocats, jouent des rôles d'intermédiaires très importants.
    Ce qui est aussi très important dans le contexte du recouvrement des biens, c'est que le rapport a aussi cerné de très graves limites en ce qui concerne les enquêtes et les poursuites associées aux crimes financiers, surtout en ce qui a trait au blanchiment d'argent et à la corruption. Le Canada n'affiche pas le niveau d'activité d'enquête et de poursuite liée aux crimes financiers qu'il devrait vu l'importance du pays en tant que centre financier.
    Je me joins sans réserve à Gerry — et je n'ai rien d'autre à dire à ce sujet, vraiment — lorsqu'il encourage le Canada à créer ses propres registres de propriété effective accessibles publiquement. C'est là aussi une mesure préventive. Cependant, c'est aussi une mesure importante pour renforcer les activités d'application de la loi et, par conséquent, le recouvrement des biens.
    Le Canada a pris d'importants engagements dans le contexte du G20, dans le contexte du sommet contre la corruption au Cameroun, en mai dernier, et je suis très heureuse de voir que le Canada donne suite à ces engagements grâce à ces efforts.
    Selon moi, un des aspects très positifs dans le contexte canadien, comparativement à la situation à l'échelle internationale, c'est le fait que vous avez une forme de gel administratif. Je crois que cette mesure figure dans la LBBDEC. Ce genre de chose est vraiment considérée comme une pratique exemplaire à l'échelle internationale. Avec la Suisse et l'Union européenne, le Canada est l'un des rares pays où l'on peut exiger légalement un gel administratif. Nous avons pu voir, dans le contexte de certains des dossiers du printemps arabe et dans des cas ukrainiens — auxquels je participe personnellement de façon importante — que cela a fait en sorte que le Canada pouvait réagir beaucoup plus rapidement que d'autres administrations, et je vous encourage à maintenir et, idéalement, à renforcer cette disposition et les activités connexes.
    Je vais un peu vite ici, mais je crois qu'un pays comme le Canada, qui a d'importantes capacités pour mener des enquêtes complexes sur des crimes financiers internationaux, devrait appuyer les efforts internationaux en réalisant lui-même plus de façon plus proactive des enquêtes sur les crimes financiers et les dossiers de corruption. C'est l'une des choses qu'il faudrait encourager grâce à la législation ou à es politiques.
    Je constate souvent que les enquêteurs et les procureurs dans des pays comme le Canada ne sont pas très proactifs. Je comprends pourquoi. Ce sont des dossiers extrêmement compliqués, très lents, et les taux de réussite sont très faibles. En plus, vous êtes censés coopérer avec les organismes d'application de la loi dans d'autres pays et des pays en développement, qui sont souvent beaucoup moins efficients et dont les systèmes judiciaires sont aussi parfois extrêmement corrompus eux aussi.
    Les organisations d'application de la loi de nombreux pays — et je crois que c'est aussi le cas du Canada — n'ont pas beaucoup de raisons d'appliquer ce qui semble être la politique du gouvernement, soit l'idée que la gouvernance anticorruption est quelque chose d'important. Je souligne que nous devons trouver une façon — vous, en tant que décideurs et politiciens — de vous assurer que ces engagements du gouvernement se traduisent par des activités beaucoup plus proactives au niveau de l'application de la loi, en donnant le ton de haut en bas et en vous assurant que le Canada est l'un des chefs de file dans le domaine.
    Je tiens maintenant à souligner deux autres points liés au recouvrement des biens, le premier étant un peu plus technique, et l'autre, plus stratégique.
(1550)
    Le premier point est lié au fait que, aujourd'hui, nous sommes d'accord à l'échelle internationale pour dire que les produits de la corruption, les biens qui ont été volés des États, doivent être retournés dans leur pays d'origine où on les a volés. Ce fait est codifié dans un traité international, la Convention des Nations Unies contre la corruption. Ce qui est plus source de débat, c'est si les produits d'autres formes de corruption — en particulier, les pots-de-vin étrangers — doivent aussi être assujettis aux mêmes mesures de rapatriement ou de recouvrement des biens.
    Par exemple, une entreprise canadienne — c'est un dossier fictif, bien sûr — est trouvée coupable d'avoir offert un pot-de-vin à un ministre dans un autre État pour obtenir un contrat de construction. L'entreprise canadienne doit payer une amende pour rembourser les profits qu'elle a faits dans ce dossier. Ces actifs restent au Canada en ce moment. Et je ne dis pas que le Canada est différent des autres. Les autres pays font la même chose.
    Cependant, les préjudices causés par le pot-de-vin de cette entreprise se font sentir non pas au Canada, mais plutôt dans le pays où le pot-de-vin a été versé et où quelqu'un a obtenu un contrat dans des circonstances douteuses.
    J'encourage fortement les décideurs et politiciens canadiens — comme je le fais dans d'autres pays à l'échelle internationale, c'est un enjeu très débattu en ce moment — à envisager de recouvrer et de retourner ou de redonner une partie de ces actifs que les entreprises ont acquis grâce à des pots-de-vin dans une autre administration aux États victimes. C'est l'un des points que je voulais soulever.
    Mon dernier point concerne un sujet qui me passionne tout particulièrement. La lutte à la corruption et le recouvrement des biens sont souvent considérés comme la responsabilité du système judiciaire, des organismes d'application de la loi et, dans votre cas, de votre agence de développement, parce que vous versez d'importantes sommes d'argent dans le cadre de programmes de gouvernance et de lutte à la corruption. Si, cependant, la lutte à la corruption et le recouvrement des biens ne sont pas considérés comme un programme pangouvernemental dans le contexte canadien, vos efforts pourront seulement être efficaces jusqu'à un certain point, parce que cela pourrait aussi miner potentiellement des objectifs liés au commerce international, des objectifs de politique étrangère, etc.
    C'est quelque chose que je vois se répéter. Je vous encourage vraiment à être constants et cohérents dans le cadre de votre programme de lutte contre la corruption afin d'adopter une approche pangouvernementale, plutôt que de limiter les efforts aux domaines de la justice et du développement.
    Je serai évidemment heureuse de répondre à vos questions. J'ai essayé de vous fournir un peu de renseignements contextuels au sujet du programme à l'échelle internationale, et j'espère que j'aurai été, d'une façon ou d'une autre, utile.
    Merci.
(1555)
    Merci beaucoup, madame Fenner.
    Allez-y, monsieur Kent, vous avez six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à vous deux de comparaître devant le Comité aujourd'hui.
    Au-delà du recouvrement des avoirs en vertu de la LBBDEC, le Comité a également entendu parler de la détection, de la saisie et du blocage de tentatives de faire entrer des fonds au Canada déployées par des dirigeants étrangers corrompus au sens où l'entend la Magnitsky Act promulguée par le Congrès américain et le projet de loi équivalent mondial actuellement étudié par les Américains et le Parlement de Westminster.
    Que pensez-vous de l'approche consistant à stigmatiser et à ostraciser les auteurs d'atteintes aux droits de la personne qui tentent d'introduire leurs gains mal acquis dans divers pays? À quel point des lois unilatérales ou nationales seraient-elles efficaces pour contrer cela, par exemple la Magnitsky Act aux États-Unis et l'équivalent qui sera probablement adopté au Royaume-Uni ainsi que l'ajout d'une loi assimilable à Magnitsky ou une sorte de loi Magnitsky mondiale au Canada?
    Peut-être que M. Ferguson pourrait répondre d'abord, puis Mme Fenner.
    Merci beaucoup de poser la question.
    Je suis tout à fait en faveur d'une plus grande application de la loi, y compris la stigmatisation et toute autre mesure possible que nous pouvons prendre afin de tenter d'éviter que les produits d'activités criminelles soient traités ou blanchis par l'intermédiaire de nos institutions financières canadiennes. De même, dans de nombreux cas, l'argent ne fait pas que passer par nos institutions pour aller ailleurs; en fait, il est placé au Canada grâce à l'achat d'immobilier ou d'autres biens de luxe.
    Comme vous l'avez entendu, je ne connais pas bien la Magnitsky Act, mais j'ai la forte impression que cette loi s'inscrit dans la prévention du blanchiment d'argent à l'échelle internationale. Le problème au Canada, selon moi, est que nous n'appliquons pas les mécanismes qui sont déjà en place.
    Laissez-moi vous donner deux exemples. Les institutions financières sont tenues de rendre des comptes au CANAFE. Le CANAFE reçoit beaucoup d'information, mais il a très peu de ressources pour ce qui est de vraiment faire quelque chose avec cette information. D'ailleurs, on nous dit que les rapports des institutions financières, outre ceux, peut-être, des six grandes banques, sont très minces.
    Vous savez probablement que la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada a évité d'être visée par la loi sur le produit de la criminalité ou la loi sur le blanchiment d'argent devant la Cour suprême du Canada, en raison du secret professionnel, entre autres. Ces ordres professionnels de juristes sont maintenant d'avis... La Colombie-Britannique, par exemple, dispose d'un ensemble de règlements que les avocats sont censés suivre. Le problème est non pas que la réglementation est terrible, mais que le barreau ne veille pas, de façon proactive, à ce que la réglementation soit respectée.
    Pour ce qui est du marché de l'immobilier, des avocats en Colombie-Britannique ont manifestement facilité l'achat d'énormes propriétés de luxe à Vancouver, et il n'y a eu aucune intervention des autorités à ce chapitre, à ma connaissance. Nous allons peut-être apprendre certaines choses, maintenant que l'affaire fait les manchettes, mais, essentiellement, le barreau n'est pas proactif.
    À mon avis, le problème tient non pas tant au cadre juridique qu'à l'application de la loi.
    Merci, monsieur.
    Merci beaucoup.
    Je pense que la Magnitsky Act est probablement importante en tant que symbole. Je ne suis pas entièrement convaincue qu'elle aura un effet énorme dans l'ensemble, pour ce qui est d'empêcher soudainement le mouvement international d'avoirs obtenus de manière illicite. J'appuie assurément le fait d'envoyer le bon signal et de dire que le Canada ne sera certainement pas un lieu sûr pour ces biens, mais je suis d'accord avec Gerry sur le fait que ce sont d'autres mesures — comme l'établissement de registres relatifs à la propriété effective — qui auront beaucoup plus d'impact au final.
    Si je devais choisir, j'opterais assurément pour un registre relatif à la propriété effective plutôt que pour une loi Magnitsky, mais si j'avais le privilège d'avoir les deux, je serais de toute évidence en faveur des deux mesures.
(1600)
    Nous avons certainement entendu beaucoup de témoignages au sujet du manque de capacité du Canada et, parfois, du faible niveau de priorité accordé à l'enquête sur de possibles fonds visés, mais nous avons entendu des questions au sujet des preuves concernant les dirigeants étrangers corrompus et la façon d'obtenir ces preuves à des endroits qui sont soit trop dangereux pour les enquêteurs canadiens, soit inaccessibles.
    Est-ce que vous recommanderiez ou suggéreriez que nous songions à accepter des éléments de preuve provenant de sources ouvertes ou fournies par d'autres pays, d'autres sources?
    Encore une fois, monsieur, vous pouvez commencer.
    Je suis professeur de droit criminel. Je crois que mes étudiants diraient que je penche du côté de la défense à l'égard de nombre de ces enjeux, mais vous soulevez un enjeu où je pense que je pencherais clairement de l'autre côté. Je pense que nous devons tenir compte du contexte — comme on nous le demande toujours de le faire, avec tout crime —, et ici, nous devons tenir compte du contexte du crime sur lequel nous enquêtons. Il s'agit ici d'un crime à l'égard duquel il y avait une connaissance mondiale, et on pourrait parler de la notoriété mondiale de la corruption du gouvernement en question. Il y a toutes sortes de preuves, comme vous l'avez dit, qui sont crédibles à mes yeux.
    Parmi les mécanismes qui seraient certainement possibles, mentionnons une autre approche très intéressante et controversée adoptée par la Grande-Bretagne le 13 octobre. Elle a déposé un projet de loi très large sur les finances criminelles. Le processus législatif est enclenché, et le projet de loi est à l'étude.
    Ce projet de loi prévoit cinq initiatives importantes, toutes liées au blanchiment d'argent, au recouvrement des avoirs et aux flux financiers. L'une de ces initiatives concerne l'utilisation d'ordonnances relatives à une richesse inexpliquée. Si le projet de loi est adopté, les services de police — pas tous — désignés pour enquêter sur les crimes majeurs, comme le bureau des fraudes graves ou le bureau de douane, qui enquêtent sur ces affaires, auront la capacité de demander à un juge de la Haute Cour de délivrer une ordonnance relative à la richesse inexpliquée. Il suffit de penser à une situation où la personne X possède une maison de 10 millions de dollars et ne semble pas avoir de moyens d'expliquer d'où viennent les 10 millions de dollars.
    Le projet de loi est controversé. Il sera controversé. Il va dans le sens des mesures dont je parlais.
    Je crois que le fardeau de la preuve doit changer de façon très importante dans le cas de personnes et de régimes notoires. Toute évaluation d'une ONG sur ces questions peut démontrer à quel point un régime est corrompu. Je crois qu'il est vraiment mal avisé d'accorder à ce régime tous les avantages liés à l'application régulière de la loi que nous conférons à nos citoyens les plus pauvres, qui sont soumis au pouvoir de notre État. À mon avis, nous devons adopter exactement la position contraire, c'est-à-dire le fait de renverser le processus complètement et de forcer ces gens à rendre des comptes sur les biens qu'ils ont acquis dans notre pays lorsque nous avons de très solides éléments de preuve concernant leur comportement corrompu.
    Merci beaucoup.
    Nous allons passer à M. Sidhu, s'il vous plaît.
    Merci.
    Une personne...
    Je suis désolé, le temps est écoulé. Je regrette, madame Fenner. Excusez-moi. Nous allons essayer d'avoir cette réponse la prochaine fois. Nous devons passer à la prochaine série d'interventions.
    M. Sidhu a la parole.
    Monsieur, monsieur le président. Merci à vous deux de témoigner aujourd'hui. Vous connaissez très bien vos dossiers.
    J'ai eu l'occasion de lire certaines parties du livre sur la corruption mondiale. On y apprend que l'efficacité des mesures de dissuasion générale est sérieusement remise en question par les études relatives à la détermination de la peine. Cela me fait penser à l'affaire Regina c. Drabinsky de la Cour d'appel de l'Ontario, où il était question de fraudes liées aux titres de société. Je crois que cela s'applique également aux sanctions mondiales prises contre les dirigeants étrangers. Ma question est la suivante: en tant qu'universitaires, estimez-vous que des sanctions musclées prises contre les dirigeants étrangers dissuaderaient des personnes ou des groupes de s'adonner à des activités illégales comme le blanchiment d'argent?
    Je vais commencer par vous, monsieur Ferguson, puis Mme Fenner pourra mettre son grain de sel.
(1605)
    Je tenterai d'être bref afin que Gretta puisse aussi mettre son grain de sel.
    En tant que professeur de droit criminel, la dissuasion est un aspect que j'étudie. En effet, dans notre système de justice pénale ordinaire, qui s'intéresse principalement à la criminalité de rue et à des gens qui ne sont pas motivés largement par une évaluation rationnelle des avantages et des inconvénients, la dissuasion, selon la littérature sur la question, a une valeur toute relative.
    Selon la recherche, c'est lorsqu'on a affaire à des crimes économiques d'envergure, là où les personnes ont le plus à perdre si elles font l'objet d'une enquête et sont déclarées coupables, que la dissuasion a le plus d'effet. Cela dit, le problème de la dissuasion, même avec ce groupe, est la deuxième affirmation, très connue dans la littérature relative à la dissuasion. Il s'agit de l'affirmation selon laquelle c'est non pas l'ampleur de la pénalité qui a le plus gros effet dissuasif, mais bien la probabilité de se faire prendre. Plus l'infraction est importante, plus il y a d'application de la loi, et plus la probabilité de se faire arrêter est élevée, plus il est probable que l'homme ou la femme d'affaires se dise que le jeu n'en vaut pas la chandelle.
    Lorsqu'il y a peu d'application de la loi, même si on prévoit des amendes imposantes, nous n'avons pas l'effet dissuasif véritable recherché. Je ne dis pas que je suis contre l'imposition de sanctions sévères contre ces personnes — elles devraient être punies sévèrement —, mais on ne pourra vraiment dissuader les autres de façon efficace que si nous pouvons démontrer que nous sommes déterminés à les prendre et que nous avons les ressources pour le faire. À l'heure actuelle, ces personnes savent que le risque de se faire prendre est très faible.
    Qu'en pensez-vous, madame Fenner? Vu que vous avez abordé la question du blanchiment d'argent dans votre exposé, vous avez peut-être un point de vue différent sur cette question.
    Sur le terrain, ce que nous voyons — et, comme je l'ai dit, nous travaillons avec les forces de l'ordre d'à peu près partout dans le monde —, c'est que le défi réside encore dans le fait que, même si la police enquête sur la corruption, bien souvent, elle ne fait pas un suivi des avoirs. Les gens peuvent se retrouver derrière les barreaux et ressortir 10 ans plus tard avec des sommes astronomiques cachées dans d'autres administrations. Cela ne dissuade vraiment personne. Dans certains pays, on peut s'accommoder de vivre en prison, surtout lorsqu'on peut soudoyer quelqu'un pour en sortir toutes les fins de semaine. Je crois que le fait de retirer l'argent à une personne a un effet dissuasif extrêmement important; de fait, c'est le plus efficace.
    Dans certains pays où nous travaillons, nous avons récemment observé, dans le cadre du travail que nous accomplissons dans un pays africain — le Kenya en fait — une augmentation de 4 000 % des affaires de corruption portées avec succès devant les tribunaux, et des montants similaires d'avoirs confisqués, pour la première fois dans l'histoire du Kenya. Cela fait maintenant les manchettes dans les journaux presque tous les jours. Vous pouvez vous imaginer que ces gens ne sont pas encore tout à fait effrayés, mais qu'ils sont certainement un peu plus à l'écoute. Je crois effectivement que c'est le moyen dissuasif le plus efficace, oui.
    Puis-je ajouter deux mots sur les éléments de preuve et les renseignements?
    J'aimerais vous encourager à étudier un certain nombre de façons de travailler avec d'autres administrations afin d'obtenir un accès à des éléments de preuve et à des renseignements d'autres administrations. Il y a une foule de possibilités, y compris les voies de communication entre les URF et les équipes d'enquête conjointes. On peut travailler par l'entremise d'équipes constituées de membres dont l'intégrité a été confirmée; c'est ce que font les États-Unis à l'égard de nombreux crimes financiers en Afrique et dans des pays plus difficiles d'accès. De nombreuses pratiques d'application de la loi bien établies peuvent être utilisées. Cela répond à la question précédente, mais je crois que, dans la pratique, il y a de nombreuses façons de s'attaquer à cette question.
    Monsieur Ferguson, puisque vous êtes en train d'écrire un autre livre sur la corruption, quel est, selon votre expérience, le but ultime de ces sanctions?
(1610)
    Le but ultime des sanctions est toujours, dans un premier temps, d'intervenir de façon appropriée auprès des personnes qui ont violé nos lois. La corruption mondiale viole les lois relatives aux droits de la personne et a un impact énorme, alors la première fonction des sanctions est de sévir vigoureusement contre les personnes qui commettent de telles atteintes aux droits de la personne.
    Dans un deuxième temps, les sanctions sont également là pour dissuader, si tant est que la dissuasion soit possible. Comme je l'ai dit, nous avons également, je crois, une obligation morale en tant que pays. Nous sommes un pays relativement riche. Nous avons effectivement la capacité d'en faire davantage pour contrer la corruption mondiale et voyons la chose non seulement comme un simple enjeu économique, mais aussi comme une question de droits de la personne. Les principales victimes de cette corruption mondiale sont, bien entendu, les pays pauvres, et la première partie de mon étude et de mon livre est axée sur cet aspect. Je crois que nous avons l'obligation morale d'en faire davantage.
    Je ne sais pas si vous avez déjà entendu le témoignage de gens de la GRC ayant des responsabilités dans ce domaine. La GRC ne faisait rien et n'affectait aucune ressource aux enquêtes et aux arrestations internationales avant de se faire embarrasser publiquement et de se voir contrainte d'agir. En 2007, après avoir été mise dans l'embarras sur la place publique, la GRC a créé deux unités — une à Ottawa et une autre à Calgary — composées de sept agents chacune. Ensuite, moins d'un an plus tard, en janvier, le commissaire a reconnu — devant votre Comité ou à un autre comité — qu'il avait dû retirer la plupart de ces agents des cas de corruption ordinaire et que l'on s'attachait vraiment, désormais, aux affaires de financement du terrorisme.
    J'espère que votre Comité va contre-interroger nos représentants. Je ne blâme pas la GRC. Elle ne reçoit pas de financement du gouvernement fédéral, d'argent supplémentaire pour mener ces activités. Je lance des accusations assez graves. Ce que j'ai dit au sujet des deux unités de sept personnes et des déclarations du commissaire en janvier de cette année sont des faits, mais le problème — et je pèse mes mots, je ne dirai pas que c'est une farce — est que nous ne faisons pas vraiment pas notre part. Comme Gretta l'a dit, nous devrions jouer un rôle de premier plan, et le rôle que nous jouons actuellement pour ce qui est d'enquêter sur ce genre d'affaires est tout à fait secondaire.
    Merci. Merci beaucoup, monsieur Sidhu.
    Nous passons maintenant à Mme Laverdière. Allez-y, je vous prie.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur le président.
     Je remercie également les deux témoins de leurs présentations, qui étaient fort intéressantes.
    Je suis tout à fait d'accord pour dire que la corruption est une sorte de cancer qui nuit au développement démocratique, mais aussi à la sécurité et à la stabilité internationales.
     Pour faire suite à votre dernier commentaire, monsieur Ferguson, je dirais que ce comité a entendu des témoignages assez clairs sur le fait qu'il y a un manque de ressources à la GRC, mais également ailleurs, et que la GRC ne fait à peu près aucune poursuite relativement à ces dossiers. Comme le risque de se faire prendre est très faible, l'effet dissuasif l'est aussi.
    Ma question s'adresse à M. Ferguson, mais je reviendrai peut-être à Mme Fenner par la suite.
     Si je me souviens bien, l'OCDE a publié un rapport, il y a de cela trois ou quatre ans, sur le rôle du Canada dans le cadre de la Convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption. Parmi les pays de l'OCDE, le Canada ne se classait pas très bien quant à ses efforts pour lutter contre la corruption.
    D'après ce que vous avez constaté, est-ce que des progrès ont été faits depuis ce temps ou est-ce que la situation stagne à cet égard?
(1615)

[Traduction]

    Non. L'OCDE nous a admonestés lorsqu'elle a évalué notre Loi sur le blocage de biens de dirigeants étrangers corrompus, et le gouvernement a réagi en créant ces unités.
    Il y a trois ans, la GRC nous a dit qu'elle avait deux gros dossiers, et nous avons vu des pénalités de 9 millions et de 10 millions de dollars infligées. Nous avons vu des accusations dans un troisième dossier. La GRC nous a dit qu'elle enquêtait activement sur 34 autres dossiers. Nous n'avons rien entendu au sujet de ces 34 autres dossiers, et je m'avancerais à dire que, si vous les contre-interrogez, vous allez découvrir soit que les dossiers ont disparu, soit que la GRC n'a tout simplement pas les ressources pour les mener à bien.
    Je dirais que nous avons reculé de, disons, 2014 à 2015. Certainement, à partir de 2015, je dirais que nous avons reculé pour ce qui est de l'application de la loi sur les dirigeants étrangers corrompus.
    Comme vous le savez tous, il y a une très grosse affaire, celle de SNC-Lavalin. Elle traîne depuis longtemps parce que la société cherche à trouver une mesure de redressement de nature administrative au lieu de se faire infliger des sanctions criminelles, et nous ne sommes pas officiellement allés dans cette direction. Soit dit en passant, je ne m'oppose pas à ce que nous allions dans cette direction, mais le Canada ne l'a pas fait.
    Nous avons une autre affaire du même ordre que SNC-Lavalin qui n'est pas vraiment une affaire, puisqu'aucune accusation n'a été portée, mais il s'agit du cas de M. Wallace et de la corruption liée au pont au Bangladesh. Cette affaire est en cours. Il y a donc deux gros dossiers en cours, qui sont reliés, mais il ne se passe absolument rien.

[Français]

     Merci beaucoup.

[Traduction]

    Je vais passer à l'anglais, désolée, car j'ai écouté votre question en anglais, et toutes mes notes sont en anglais. J'ai parfois du mal à traduire vers ma propre langue. Je tiens également à remercier nos amis suisses, qui ont parfois été plus proactifs que le Canada pour ce qui est d'arrêter des personnes impliquées dans le blanchiment d'argent ou d'autres types d'activités.
    Madame Fenner, vous avez parlé de retourner les avoirs aux pays. Nous avons eu au Canada, il y a quelques années, une affaire où un ancien dirigeant tunisien possédait des maisons dans l'est du Canada. J'essaie seulement de me rappeler les détails. La décision du Canada, après avoir saisi ces avoirs à ce moment-là, a été de retourner 25 % de l'argent en Tunisie et de conserver le reste pour couvrir les coûts d'administration ici au Canada. J'ai été quelque peu abasourdie —j'adore ce mot — lorsque j'ai appris cela.
    Je me demande quelle est la pratique courante dans d'autres pays, lorsqu'on saisit et qu'on gèle les avoirs et qu'on les retourne à des pays en développement, en particulier. Est-ce qu'on retourne la totalité du montant, ou juste une fraction?

[Français]

    Je vous remercie, madame Laverdière, de la question.
    Si vous me le permettez, je vais vous répondre en anglais. Ce sera plus facile pour moi.

[Traduction]

    Merci beaucoup de poser la question. C'est un aspect pour lequel je me passionne énormément. La question n'a pas été tranchée, mais je suis certainement abasourdie également qu'on ait retourné seulement 25 % à la Tunisie.
    Le problème, c'est qu'en vertu de la Convention des Nations Unies contre la corruption, les biens volés grâce à la corruption ou à un crime défini dans la convention doivent être retournés au pays d'origine. La convention prévoit qu'on peut conserver un modeste pourcentage pour couvrir les coûts d'administration et les coûts liés aux mesures d'application des lois intérieures. Selon la pratique exemplaire internationale, ce montant n'irait jamais au-delà de 5 %.
    Cela dit — et je dois admettre que je ne connais pas à fond ce dossier concernant, si je ne m'abuse, le beau-fils de l'ancien président Ben Ali...
    Oui.
    ... mais si l'affaire a été réglée ou classée aux termes d'une enquête intérieure du Canada relative au blanchiment d'argent, la situation est différente sur le plan technique et juridique. Dans ce cas, le Canada a la possibilité — légalement, en vertu du traité — de ne rendre que 25 %, mais politiquement, je peux vous assurer que ce n'est certainement pas considéré comme une pratique exemplaire, bien au contraire.
    Il y a tout un débat entre les États requérants et les États requis, et je serais ravie de voir le Canada contribuer à ce débat. Nous travaillons sur cet aspect avec le système de l'ONU depuis des années, maintenant. En février, un comité d'experts se réunira à Addis-Ababa afin de se pencher sur la pratique exemplaire; selon la pratique exemplaire, l'État requérant et l'État requis discutent de la façon dont l'argent peut retourner à l'État victime et être utilisé de façon utile afin qu'on puisse réparer quelque peu les dommages causés par la corruption. Il devrait vraiment s'agir d'une approche fondée sur un partenariat, et il n'y a certainement aucune occasion où l'État requis conserverait 75 %. C'est plutôt choquant.
(1620)

[Français]

     Merci beaucoup.
    Je tiens à préciser que je ne suis pas certaine du pourcentage. C'était il y a quelques années et je n'ai pas les chiffres devant moi. Je peux dire cependant que c'était un assez petit montant d'argent. Plusieurs personnes, moi y compris, étaient choqués à cet égard. Par contre, je ne me souviens pas du pourcentage exact.

[Traduction]

    Vous avez aussi mentionné 1,1 billion de dollars en mouvements d'argent illicite.

[Français]

    On sait que cela peut aller de la corruption pure, simple et très claire à des pratiques d'affaires qui sont quasi légales.
    Dans ce montant de 1,1 trillion de dollars, qu'est-ce que vous incluez?

[Traduction]

    Cette somme de 1,1 billion de dollars — j'ai du mal à concevoir une telle somme — est une estimation calculée par l'initiative mondiale sur l'intégrité financière, et elle comprend ce qu'on appelle les mouvements illicites. Il peut s'agir d'argent gagné légalement qui quitte le pays à des fins de fraude fiscale ainsi que de produits de la corruption et d'autres formes de criminalité.
    J'aimerais combiner ce commentaire avec une chose qui a été dite plus tôt au sujet du but ultime.
    Au bout du compte, tous ces efforts — la lutte à la corruption, le blocage de flux financiers illicites, la restitution d'avoirs volés — ne concernent pas que la corruption. En effet, la corruption, au fond, est une des causes profondes de presque tous les crimes commis dans le monde. Le terrorisme, la traite de personnes, les problèmes d'esclavage moderne, toutes les préoccupations en matière de sécurité que nous avons — même l'immigration illégale, terme ridicule s'il en est un, ou le passage de clandestins — sont autant de choses rendues possibles par la présence d'une corruption bien enracinée, alors nous devons envisager la chose sous un angle beaucoup plus large.
    J'aime mentionner cette somme de 1,1 billion de dollars parce que, même si la somme ne comprend pas uniquement les produits de la corruption, il reste que la corruption est à l'origine de la plupart des crimes englobés par cette somme. Je pense que c'est une chose que nous ne voulons pas reconnaître et que nos centres financiers sont toujours beaucoup trop protégés.
    Nous pouvons dire que les centres financiers « se laissent utiliser de façon abusive » ou « sont utilisés de façon abusive ». La façon de décrire la chose m'importe peu, mais le même débat s'applique en Suisse. Les banques et les centres financiers internationaux ne déploient certainement pas assez d'efforts pour empêcher cet argent d'entrer dans nos centres, et nous avons l'obligation d'en faire davantage.
    Merci beaucoup.
    Nous allons passer à M. Saini, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup, madame Fenner et monsieur Ferguson, d'être ici.
    Madame Fenner, j'aimerais commencer par vous, car vous avez beaucoup écrit au sujet du mécanisme suisse de recouvrement des avoirs. Je crois qu'il s'agit d'un système spécial permettant de recouvrer ou de geler les avoirs très rapidement. J'aimerais que vous mettiez en lumière pour le Comité certains des avantages de ce système et certaines des choses que nous pourrions améliorer dans notre propre loi.
    Merci.
    Je crois que vous parlez probablement du gel des avoirs en vertu de la constitution, lequel, en fait, prend maintenant la forme d'une loi ordinaire. À l'origine, la constitution suisse permettait au conseil fédéral de geler immédiatement les avoirs qui étaient considérés comme une préoccupation à l'égard de ses intérêts en matière de politique étrangère. Cette disposition été utilisée de façon très créative — et, très ouvertement, de façon positive — pendant nombre d'années. La Suisse a en fait été la plus vite à réagir au Printemps arabe, à la chute du régime Ianoukovytch, entre autres. Ce système permet de geler les avoirs de façon préventive. C'est un système très important.
    Je crois savoir que le Canada dispose d'un système comparable. Il n'est peut-être pas aussi rapide, mais il est important.
    De toute évidence, cela n'empêche pas les forces de l'ordre d'ajouter un deuxième ou un troisième motif de gel concurrent lié au droit criminel. En effet, cette disposition ne permet pas de geler les avoirs pour toujours, puisque cela va finir par porter atteinte aux droits des accusés.
    Je crois que la récente modification de la loi suisse qu'il importe vraiment d'étudier est celle qui concerne l'entraide juridique avec les pays qui sont de prétendus États défaillants. Je ne pourrai pas entrer dans le détail ici, mais il serait certainement utile d'examiner le projet de loi qui est entré en vigueur le 1er juin ou le 1er juillet en Suisse. Je communiquerai avec plaisir le lien menant à cette loi à la greffière, et il y a certainement une version française. Elle porte sur l'un des aspects cruciaux de l'entraide juridique avec les États défaillants, c'est-à-dire ce qui se produit lorsqu'une affaire s'effondre. Bien souvent, on n'obtient pas les éléments de preuve requis de l'autre administration, ou on ne peut communiquer des éléments de preuve à cette administration parce que les systèmes se sont effondrés. Il serait probablement très judicieux d'étudier cette partie de la loi suisse.
(1625)
    J'aimerais entendre vos commentaires sur deux cas particuliers. Le premier est le cas du général Abacha, au Nigeria, où la restitution des avoirs a été négociée avec le gouvernement suisse. Les avoirs restitués étaient censés retourner directement au budget central, pour l'année 2005, mais en 2004 l'argent avait déjà été dépensé.
    Le deuxième cas concerne l'Angola, où le gouvernement suisse a décidé non pas de restituer ou de rapatrier tous les avoirs, mais de créer en Suisse un fonds auquel seuls le gouvernement suisse ou les représentants de la banque suisse avaient accès.
    Une fois qu'un bien a été recouvré et retourné au pays d'origine — dans nombre de cas, comme vous l'avez mentionné, il s'agit d'États défaillants, ou il s'agit d'États n'ayant pas de structure de commandement et de contrôle à l'intérieur de leur propre économie —, comment pouvons-nous veiller à ce que l'argent restitué ne soit pas utilisé par le régime en place pour promouvoir ses propres intérêts ou que cet argent ne soit pas placé ailleurs?
    Pouvez-vous formuler des commentaires en vous appuyant sur ces deux exemples précis que j'ai décrits?
    Vous avez choisi les exemples où le résultat était peu reluisant, mais vous... Ils méritent qu'on en parle, et ce sont les cas qu'on mentionne souvent afin de convaincre la communauté internationale, en particulier l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, qui est réticent à élaborer des lignes directrices pour cet effort.
    Je peux dire ouvertement que nous sommes en train de négocier une restitution entre le Pérou et une administration européenne, un dossier très vieux qui remonte à l'ancien président Fujimori. Le Pérou est tout à fait en droit de dire: « Donnez-nous l'argent. Cet argent nous appartient en vertu de la Convention de l'ONU. Rendez-le-nous, et ce que nous en faisons ne vous concerne pas. » Comme nous travaillons en étroite collaboration avec eux, nous leur avons fait comprendre qu'il est en fait dans leur intérêt de veiller à ce que l'argent soit restitué de façon très transparente afin qu'ils puissent se distinguer des gens, comme les régimes précédents, qui ont volé. Même au Pérou, les niveaux de corruption sont tels que, même si l'argent retournait au Trésor, je ne serais pas convaincue qu'il ne serait pas effectivement volé.
    Pour l'instant, notre seul instrument est la diplomatie d'influence. En effet, aucun instrument juridique n'oblige un État requérant à se soumettre à des conditions. Nous ne parlons jamais de conditions. Nous parlons de modalités pour la restitution.
    À l'heure actuelle, nous avons la diplomatie d'influence et des intervenants comme les nôtres qui tentent de faciliter ces discussions. Cependant, comme je l'ai dit, nous soutenons actuellement un processus international, dirigé par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, qui a pour but d'arriver à un ensemble de lignes directrices permettant de procurer aux deux pays un terrain d'entente en vue de la conception de systèmes de surveillance pour l'affectation des avoirs à des projets spécialement désignés, entre autres choses. C'est autour de cela que tourne le débat actuel. Il ne va pas plus loin que ça malheureusement.
    J'ai une dernière question, d'ordre technique. Peut-être pourriez-vous m'aider à comprendre comment ce protocole fonctionnerait. Disons qu'une personne dans le pays A verse un pot-de-vin à une personne dans le pays B, et que l'argent est déposé dans le pays C. Qui a cet argent? Qui a droit à cet argent? Si une personne dans une administration soudoie une personne dans une autre administration afin de faciliter une sorte d'entreprise commerciale, ou peu importe, et que cet argent est déposé dans un troisième pays, qui possède cet argent? À quel endroit cet argent serait-il rapatrié?
    C'est exactement le cas dont je parlais. Ce n'est pas de la corruption classique, comme le cas du général Abacha, qui a volé de l'argent du Trésor et l'a caché quelque part. Il s'agit d'une affaire de corruption internationale, où l'administration menant l'enquête relative à la corruption internationale finira par conclure un règlement ou par trouver l'entreprise et garder l'argent.
    Le pays qui enquête sur son entreprise qu'il soupçonne de corruption à l'étranger est le pays qui va conserver l'argent. Le débat international dont j'ai parlé plus tôt vise à inciter les pays à envisager la possibilité de restituer ou de donner au pays qui a subi un préjudice à cause de la corruption ces genres de règlements dans des affaires de corruption internationales.
(1630)
    J'ai une dernière question, peut-être pourriez-vous tous deux y répondre brièvement.
    Lorsqu'une personne venant d'un autre pays se présente à une banque étrangère et dépose dans un compte... Le général Abacha a déposé de 700 millions à 1 milliard de dollars américains dans un compte bancaire suisse. N'y a t-il pas un protocole ou une mesure prévus lorsqu'un homme entre dans la banque et dépose une telle somme ou effectue une série de transactions? Personne ne s'est-il demandé comment il a pu accumuler tous ces actifs? Je me demande comment on pourrait déterminer cela, ou pourquoi personne ne l'a fait à ce moment-là.
    Madame Fenner, veuillez répondre brièvement, puis nous passerons à la prochaine série d'interventions.
    Certainement. Je dois également signaler que je dois prendre l'avion tout à l'heure.
    Oui, c'est ahurissant, l'industrie bancaire était comme cela à l'époque. Je ne crois pas que la même chose pourrait se passer aujourd'hui, surtout après l'affaire Abacha. C'est si net et sans équivoque. C'est complètement axé sur l'argent. Ce n'est pas compliqué. L'argent ne passe pas par des structures à l'étranger.
    Le bon côté, c'est qu'on peut dire aujourd'hui qu'une telle chose n'est plus possible, ni au Canada ni en Suisse, car nous avons amélioré nos normes. Par contre, on peut également dire que les criminels sont seulement devenus plus intelligents et passent maintenant par 15 centres à l'étranger. On peut donc voir la chose sous un angle positif ou négatif.
    Je suis d'accord avec cette réponse.
    Parfait. Merci.
    Nous allons terminer avec M. Miller. Il va poser quelques questions.
    Si vous avez le temps, madame Fenner, ce serait fantastique. Merci.
    Merci à vous deux d'être ici. L'étude a un peu dévié. Si nous étions des puristes à l'égard des lois que nous étudions, nous ne serions pas ici, quoique je pense, madame Fenner, que vous soulevez un point extrêmement important. La pertinence de votre présence aujourd'hui est liée au fait que la corruption cause le comportement que nous sommes en train, à la base, d'examiner aujourd'hui, qu'il s'agisse de violations du droit international ou de violations des droits de la personne ou de différentes pratiques répréhensibles adoptées par des gouvernements ou, dans le cas qui nous occupe, par des sociétés. Vous avez mis le doigt sur un point extrêmement important: la corruption est à la racine de nombre de comportements.
    La question que j'allais poser avait trait de façon générale aux accords sur la suspension des poursuites et l'impact de ces accords sur le recouvrement des avoirs. Les États-Unis ont conclu de tels accords. Ils ont poursuivi un certain nombre de sociétés. Le nom de ces sociétés est indiqué sur un site Web. Leur culpabilité est indiquée clairement. L'idée qui sous-tend cet accord est que, lorsqu'une société effectue un paiement, cet argent est parti aux yeux du responsable. Toutefois, lorsqu'on poursuit la société en question, au bout du compte, plus souvent qu'autrement, ce sont non pas tant les actionnaires ou les bénéficiaires que les employés qui vont payer, car les affaires vont en souffrir.
    J'aimerais savoir ce que vous pensez des accords sur la suspension des poursuites dans le contexte canadien.
    Peut-être que M. Ferguson pourrait commencer.
    Les États-Unis, bien sûr, sont très actifs sur le plan de la suspension des poursuites. Certains ont laissé entendre que le Canada devrait aussi s'aventurer dans cette voie.
    Lorsqu'on veut s'attaquer à la corruption internationale des sociétés, je pense qu'il faut envisager un éventail de sanctions. Certaines administrations qualifient celles-ci de pénalités pécuniaires ou administratives, comme le ferait une commission des valeurs mobilières. Il s'agit de sanctions quasi criminelles.
    Les accords sur la suspension des poursuites sont très importants pour deux raisons. La première est que les sociétés sont amenées par la force à conclure un accord ou qu'elles jugent économiquement approprié de le faire. L'une des principales raisons — et je vous ai entendu utiliser le mot — est qu'aucune condamnation au criminel ne découle de la suspension des poursuites, à condition que la société acquitte toutes les sommes liées aux sanctions administratives et les restitutions exigées. Cela permet à la société de poursuivre ses activités, de dire qu'il y a eu des problèmes au sein de l'entreprise, mais qu'il ne s'agit pas fondamentalement d'une société corrompue. La deuxième raison est que ces accords empêchent qu'on leur interdise de négocier, par exemple, avec la Banque mondiale relativement à d'énormes projets d'infrastructure, ou avec de nombreux autres pays.
    Le fait d'éviter une condamnation pour corruption présente divers avantages pour la société, mais, selon moi, il est également raisonnable d'affirmer que cela procure certains avantages au pays, car cela permet aux États-Unis de traiter environ 15 fois plus de dossiers de corruption que tout autre pays dans le monde. Je crois que nous devrions sérieusement examiner les avantages et les inconvénients d'un tel processus. Certes, cela va donner l'impression que nous faisons simplement preuve de clémence envers ces grandes sociétés criminelles, mais je pense qu'il faut adopter une vue d'ensemble et envisager la chose comme une énorme approche internationale en vue d'essayer de réduire la corruption.
    Les États-Unis ont été, comme je l'ai dit, les seuls à vraiment lutter contre cette corruption internationale. L'Allemagne vient au deuxième rang, loin derrière, et le Canada, à l'instar de nombreux autres pays de l'OCDE, affiche un rendement presque nul à ce chapitre.
(1635)
    Madame Fenner, auriez-vous quelques mots à dire? Je ne voudrais pas vous faire manquer votre avion.
    Non, ça va.
    Je dois admettre que je n'ai pas vraiment grand-chose à ajouter. Je suis tout à fait d'accord avec tout ce que Gerry a dit. Je dirai seulement que, dans le contexte du recouvrement des avoirs, j'estime que nous devons chercher à déterminer où va l'argent et qui subit un préjudice, si nous concluons un règlement ou si nous intentons des poursuites au criminel en bonne et due forme.
    Un autre terme clé que vous voudrez peut-être étudier est la « confiscation de biens civils ». Cette pratique, qui se prête davantage aux affaires de corruption classiques, serait peut-être intéressante aussi. Ces avantages et inconvénients sont similaires.
    C'est tout ce que j'avais à dire.
    Merci beaucoup.
    Madame Fenner et monsieur Ferguson, merci beaucoup d'avoir pris le temps de venir nous voir aujourd'hui.
    Nous allons nous arrêter là.
    Si vous le permettez, monsieur le président, j'aimerais faire une brève déclaration.
    Vous entendrez assurément parler de la Journée internationale de lutte contre la corruption, le 9 décembre. Transparency International Canada a annoncé la publication prochaine d'une importante étude sur la propriété effective. Je vous encourage à... Je n'ai pas vu le rapport, mais je suis à peu près certain qu'elle va dire, premièrement, que le Canada ne fait pas sa part et, deuxièmement, que nous devons commencer à faire des progrès à ce chapitre. Le rapport paraît vendredi.
    Merci beaucoup de cette suggestion. Nous allons nous assurer d'essayer d'en obtenir un exemplaire.
    Merci beaucoup à vous deux.
    Merci.
    Nous allons suspendre pour quelques minutes, le temps que nos prochains témoins prennent place. Merci.

(1640)
    Si tout le monde veut bien prendre place, nous allons amorcer la dernière heure.
    Pour les nouveaux membres du Comité, je crois que vous avez vu le rapport. Nous avons mené une étude sur Hong Kong avant l'élection de 2015, alors nous voyons cela un peu comme un suivi. Je remercie les membres qui ont répondu à Angela qu'ils étaient d'accord pour faire un suivi de cette question.
    Nous avons parmi nous Chang Ping, qui est journaliste. Il va nous parler un peu de son travail et de ce qu'il fait. Gloria Fung, qui a en fait témoigné devant notre comité à un moment donné en 2015, est ici à titre d'interprète. M. Ping va parler, puis Mme Fung va traduire.
    Même si nous sommes en public pour parler de ce que nous faisons, nous voulons qu'il s'agisse d'un entretien informel. Par conséquent, nous allons nous en tenir à deux ou trois questions, puis nous poursuivrons à partir de là. J'ignore si les membres ont eu le temps d'y jeter un coup d'oeil, mais la greffière a communiqué un rapport sur certains des travaux que nous avons menés au cours de la législature précédente.
    Sur ce, je vais céder la parole à M. Ping, qui va maintenant présenter sa déclaration préliminaire. Je crois savoir que Mme Fung va traduire pour nous, alors nous allons tenter de poser quelques questions au cours des 30 à 40 dernières minutes.
M. Chang Ping (journaliste, à titre personnel) (Traduction de l'interprétation):
    Bonjour. Je vous remercie de prendre le temps, malgré votre horaire chargé, d'écouter nos témoignages. Nous voulons aussi vous remercier de continuer à soutenir les droits de la personne en Chine et de vous intéresser aux droits de la personne en Chine et à Hong Kong.
    J'ai eu le très grand honneur d'avoir été choisi par les Journalistes canadiens pour la liberté d'expression pour être le lauréat du Prix international 2016 de la liberté de la presse. Je vais aussi profiter de l'occasion pour vous faire part de mes observations et de mon analyse des événements récents survenus en Chine et à Hong Kong.
    Pendant très longtemps, ma famille et moi-même avons été opprimés par le gouvernement chinois. Cependant, je dois dire qu'il y avait des cas plus déplorables que le nôtre; il y avait des gens dans des situations bien pires. En Chine, un grand nombre de personnes ont été arrêtées et incarcérées non pas à cause de leurs actes, mais à cause de ce qu'ils ont dit quand ils ont exercé leur droit à la liberté d'expression.
    La liberté de parole est l'étape préalable à toute action, mais en Chine, c'est pratiquement impossible de faire bouger les choses. Pour nous, la parole est une liberté en soi.
    Les autorités chinoises connaissent l'importance de la liberté de parole, et c'est pourquoi le gouvernement s'en prend non seulement à la liberté d'expression à l'intérieur de la Chine, mais aussi, avec force, à Hong Kong. Il a également tenté d'influencer l'élection à Taïwan. En outre, le gouvernement étend son influence à l'étranger en intensifiant sa campagne de propagande dans d'autres pays.
    Je crois que les autorités chinoises — le gouvernement chinois — comprennent très bien l'importance de la liberté d'expression. C'est pourquoi elles savent qu'elles ne peuvent pas se contenter de réprimer la liberté d'expression en Chine seulement; elles doivent aussi tirer parti de la mondialisation de la liberté de parole dans d'autres pays afin d'étendre leur influence ailleurs, y compris au Canada.
    C'est pourquoi j'implore tous nos amis ici de faire preuve de prudence dans les quatre domaines suivants.
(1645)
    Premièrement, je vous implore de vous préoccuper de chaque cas de répression de la liberté d'expression par les autorités chinoises. Le bâillonnement d'un média, des menaces proférées contre un journaliste et la censure d'un média social ont un impact partout dans le monde; ce sont des problèmes qui touchent le monde entier. Twitter a embauché Kathy Chen, une ancienne employée du ministère chinois de la Sécurité qui occupait le poste de gestionnaire régionale pour la Chine, et Facebook a mis au point un logiciel de censure des médias sociaux adapté aux besoins de la Chine; ces deux cas démontrent que la Chine a la capacité d'accéder aux utilisateurs internationaux et de les censurer, ce qui comprend ce que disent les utilisateurs canadiens ainsi que leurs données personnelles.
    De plus, il a été ouvertement annoncé que WeChat, un média social populaire régi complètement par la Chine et utilisé couramment par un grand nombre de Sino-Canadiens, adhérait à la politique de censure contraignante du gouvernement chinois sur la liberté d'expression.
    Deuxièmement, je vous demande à tous de vous préoccuper de la situation des prisonniers politiques en Chine, en particulier l'affaire des 709 avocats. Depuis le 9 juillet 2015, plus de 300 techniciens juridiques et avocats spécialisés dans les droits de la personne ainsi que des membres de leur famille ont été arrêtés ou harcelés par la police chinoise. Trois avocats ont déjà été condamnés à purger une peine, 10 sont encore en état d'arrestation, et le reste a dû accepter de garder le silence ou d'être forcé d'admettre ses crimes à la télévision en attendant l'instruction des audiences devant tribunal.
    Un grand nombre d'entre eux ont disparu ou ont été enlevés illégalement par la police. Le cas le plus récent est celui de Jian Tianyong, un avocat reconnu dans le domaine des droits de la personne. Il a disparu, depuis 15 jours maintenant, après avoir visité son client en prison. Avant, la police l'avait battu et l'avait fait disparaître un certain nombre de fois.
(1650)
    Troisièmement, je vous demande de soutenir le mouvement populaire de Hong Kong pour la protection du droit à la liberté. L'absence de réaction de la communauté internationale a permis au gouvernement chinois de réprimer encore davantage les libertés à Hong Kong. Les cinq éditeurs et le personnel de Causeway Bay Bookshave ont été enlevés illégalement par des policiers chinois à Hong Kong et amenés en Chine simplement parce qu'ils avaient publié des livres critiquant la classe dirigeante chinoise. M. Lam Wing-Kee, l'un des éditeurs enlevés, avait courageusement révélé la vérité, mais la communauté internationale n'a pas cru bon de répandre son message. Les choses stagnent dans la communauté internationale. Récemment, l'interprétation agressive de la loi fondamentale de Hong Kong par le Comité permanent de l'Assemblée populaire nationale de Chine a causé d'énormes dégâts dans le système judiciaire indépendant ainsi qu'au chapitre de la primauté du droit à Hong Kong.
    Quatrièmement, je veux vous demander à tous de prendre des mesures concrètes pour demander la libération immédiate des prisonniers politiques canadiens détenus en Chine, y compris M. Huseyin Celil et M. Wang Bingzhang, en raison de leur état de santé précaire en prison. Wang a été enlevé au Vietnam avant d'être renvoyé en Chine. Il a été condamné en Chine à l'emprisonnement à perpétuité. En prison, on l'a brutalement torturé. Sa santé physique et mentale sont en danger. Les membres de sa famille ont demandé au gouvernement canadien d'agir, mais en vain. À dire vrai, j'ai parlé hier soir aux membres de sa famille au téléphone. Ils m'ont imploré de vous demander à tous de prendre dès maintenant des mesures pour exiger sa libération immédiate.
    Je vais terminer sur quelques recommandations, mais cela ne diminue pas leur importance.
    D'abord, la Chine semble immuable au premier abord, mais dans les faits, elle se préoccupe beaucoup de l'opinion des autres pays et réagit aux mesures de pression internationales.
    Ensuite, les droits de la personne sont la clé pour résoudre un bon de problèmes en Chine. Un grand nombre de pays se sont intéressés à des programmes économiques et commerciaux sans faire de liens avec la cause des droits de la personne. Personnellement, je crois que ce sont deux parties intégrantes d'un même tout. Elles sont indissociables.
(1655)
    En conséquence, si nous insistons fortement sur la cause des droits de la personne, nous pourrons aussi conclure des ententes plus avantageuses et jouir d'un pouvoir de négociation dans nos accords avec la Chine, que ce soit pour les accords commerciaux ou les accords entre nos gouvernements.
    Je veux dire une dernière chose. Il est de la plus haute importance pour le Canada d'élaborer une stratégie exhaustive et un protocole relativement aux droits de la personne. Le Canada devra ensuite en tenir compte dans toutes ses politiques concernant la Chine ainsi que tous ses accords avec ce pays.
    Je vais arrêter mon témoignage ici. Je suis prêt à répondre à vos questions.
(1700)
    Merci beaucoup, monsieur Ping. Je remercie aussi Mme Fung de ses services d'interprétation.
    Il nous reste moins d'une demi-heure. Est-ce que tout le monde est d'accord de redonner la parole à chaque côté afin que tous puissent s'exprimer?
    Nous allons commencer avec vous, Tom, puis nous allons passer à l'autre côté, et nous finirons avec Mme Laverdière.
    Posons-nous une question à la fois, à tour de rôle?
    Non. Allez-y. Ce que je voulais dire, c'est que nous n'allons faire qu'un tour.
    J'ai trois questions plutôt courtes.
    Merci beaucoup d'être venus. Je remarque que notre ordre du jour indique: « Situation des droits de la personne en Chine ». On devrait plutôt lire: « Situation des droits de la personne en Chine et à Hong Kong ». Cela devrait être explicitement indiqué dans l'ordre du jour.
    Je sais que votre exposé d'aujourd'hui n'est pas directement lié à notre étude, mais ma question, si. Elle concerne aussi la situation à Hong Kong.
    Le sénateur Tom Cotton et le sénateur Marco Rubio ont présenté une mesure législative devant le Congrès américain afin de geler les avoirs et interdire les déplacements de personnes participant aux décisions d'enlever, de kidnapper, de poursuivre en justice et d'opprimer certains membres de l'assemblée de Hong Kong, y compris les libraires concernés. L'un d'entre eux a été kidnappé à Hong Kong, un autre, en Thaïlande et trois, en République populaire de Chine.
    Ma première question, donc, serait de savoir s'il serait efficace d'imposer des sanctions contre les représentants du gouvernement qui participent à ces décisions. Oui ou non?
    Ma deuxième question concerne les deux législateurs qui ont été exclus de la cour judiciaire et destitués. Je parle de Yau Wai-ching et Sixtus « Baggio » Leung. Quels effets cela aura-t-il sur le mouvement démocratique et la primauté du droit à Hong Kong? Accepteront-ils leur expulsion de l'assemblée, ou y aura-t-il d'autres protestations et manifestations? D'autres législateurs vont-ils refuser de prendre leur siège en guise de protestation?
    Ma dernière question porte sur le rapport que l'ancien comité avait préparé au cours de la législature précédente. On y trouvait trois recommandations. Même si on y réaffirmait soutenir le principe d'« un pays, deux systèmes », on y trouvait aussi la recommandation suivante:
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada déclare qu'il appuie les aspirations démographiques du peuple de Hong Kong, y compris la nécessité d'établir un suffrage universel authentique pour l'élection de leurs dirigeants politiques.
    J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus et connaître votre position sur ce que cela veut dire relativement à votre activisme.
M. Chang Ping (Traduction de l'interprétation):
    Avant tout, je veux souligner le fait qu'un grand nombre de hauts responsables chinois qui ont participé à des atteintes aux droits de la personne n'ont été ni sanctionnés ni punis par la communauté internationale. En outre, ils ont également pu envoyer leurs enfants étudier à l'étranger ou exploiter une entreprise à l'étranger depuis la Chine. Quand ils doivent quitter la Chine par avion, ils ont droit à un traitement de faveur. On dirait bien qu'ils n'ont pas été vraiment sanctionnés ni punis par la communauté internationale.
    Selon moi, les sanctions sont des mesures efficaces — parmi un grand nombre d'autres, bien sûr — pour décourager les représentants du gouvernement de faire ce genre de choses. La raison pour laquelle ils envoient les membres de leur famille et leurs enfants à l'étranger est parce qu'ils ne se sentent pas eux-mêmes en sécurité en Chine. Ils doivent donc se réfugier à l'étranger. S'ils étaient sanctionnés, je suis particulièrement convaincu que cela aurait un impact sur eux.
(1705)
    Selon moi, l'interprétation ou la modification de la loi fondamentale de Hong Kong par le Comité permanent de l'Assemblée nationale populaire de Chine est dommageable non seulement pour la primauté du droit à Hong Kong, mais aussi pour la primauté du droit dans le monde. L'assemblée nationale a interféré sans suivre le processus juridique approprié. En conséquence, elle va perturber et enfreindre, au bout du compte, l'ensemble de la loi fondamentale de Hong Kong.
    Par conséquent, je crois que toutes les personnes qui ont des valeurs pandémocratiques ainsi que les jeunes qui sont très attachés à Hong Kong seront forcés de prendre des mesures encore plus radicales afin de se faire entendre.
    Avant, ces personnes prenaient une approche très rationnelle et utilisaient des moyens très pacifiques pour s'exprimer. Si les choses continuent d'évoluer dans cette direction, si la promesse internationale est brisée et perturbée par le gouvernement chinois, alors les gens de Hong Kong, en particulier les jeunes, n'auront d'autre choix pour se faire entendre que de prendre des mesures encore plus radicales dans l'avenir.
(1710)
    Merci beaucoup.
    Je ne crois pas que nous ayons assez de temps pour une troisième, mais vu que notre temps est limité, nous allons passer aux libéraux avec M. Levitt.
    Pour commencer, je tiens à vous féliciter d'avoir remporté le Prix mondial de la liberté de la presse décerné par les Journalistes canadiens pour la liberté d'expression. J'ai consulté votre biographie, et il est clair que vous défendez depuis longtemps la liberté d'expression des journalistes et êtes aux premières lignes pour ce qui est de défendre les droits de la personne.
    Au sujet de la liberté de presse, pouvez-vous vous exprimer un peu à ce sujet? Pouvez-vous nous décrire la situation actuelle en Chine, et peut-être même à l'extérieur du territoire chinois, relativement à la façon dont le gouvernement chinois utilise les médias et en particulier les médias sociaux pour imposer sa version des faits? Parlez-nous aussi de l'impact sur les droits de la personne.
M. Chang Ping (Traduction de l'interprétation):
    Je vous remercie de vos félicitations et de votre encouragement pour le travail que je fais depuis 20 ans.
    En Chine, les médias sociaux ont décidément joué un rôle très important, puisque tous les médias imprimés traditionnels et même les médias électroniques sont sous le joug pesant du parti. Par conséquent, les médias sociaux ont plus de latitude, en comparaison, pour transmettre des messages sans censure rigoureuse.
    Les médias sociaux chinois, comme WeChat et Weibo, comptent maintenant des milliards et des milliards d'utilisateurs en Chine ainsi qu'à l'étranger. À dire vrai, un grand nombre de Canadiens sont également sur ces médias sociaux. Ce genre de nouveaux médias ont permis au peuple chinois d'exprimer avec plus de liberté ses idées et ses opinions.
    Le gouvernement au pouvoir, le Parti communiste chinois, sait à quel point les médias sociaux sont importants en Chine et à l'étranger. C'est pourquoi il les utilise pour manipuler l'opinion publique au lieu de les interdire d'emblée. Il paie beaucoup de personnes pour transmettre sur les médias sociaux une soi-disant opinion publique visant à tromper le grand public et les médias; le but est d'occulter l'opinion véritable. Ce genre de chose se produit aussi au Canada.
    D'ailleurs, la même manipulation de l'opinion publique s'est également produite dans la dernière élection présidentielle américaine. D'après ce que j'en sais, un grand nombre de personnes en Chine appuyaient Trump. Ils utilisaient WeChat pour répandre son message dans la communauté et encourageaient les gens à voter pour Trump.
(1715)
    Je vous félicite de votre prix. Vous l'avez amplement mérité.
    Vous avez mentionné en premier le cas de Huseyin Celil. Je dois dire que nous sommes au courant, mon personnel et moi, de la situation. Nous la surveillons de près. Je crois qu'Amnistie internationale travaille aussi là-dessus.
    Vous avez également abordé de façon générale la question des prisonniers politiques et de la torture. Une décision n'a pas clairement été prise, mais quelques semaines plus tôt, le gouvernement canadien a jonglé avec l'idée — certains disent qu'une décision a été prise, et d'autres non — de conclure un traité d'extradition avec la Chine. Cela a préoccupé un grand nombre de personnes. Bien entendu, le Canada ne va pas extrader quelqu'un seulement pour ses activités politiques, mais il demeure que les gens sont préoccupés par le système judiciaire en Chine. Celui-ci n'est pas transparent, et les détenus en prison risquent la torture.
    J'aimerais que vous nous parliez de la torture dans les prisons et de la transparence du système judiciaire en Chine.
(1720)
M. Chang Ping (Traduction de l'interprétation):
    Selon moi, tout type d'accord commercial est avantageux, et ce, dans tous les cas, à condition que l'accord soit équitable et que les droits de la personne soient pris en considération de façon intégrante par les deux parties dans le processus de négociations. Il faut savoir qu'en Chine, il n'y a qu'un seul parti au pouvoir, et il peut faire comme bon lui semble.
    J'ai mentionné que les droits de la personne pourraient améliorer les choses. C'est aussi un élément clé pour résoudre beaucoup d'autres problèmes. Si la situation des droits de la personne pouvait être améliorée en Chine, cela aurait un impact favorable sur la coopération entre le Canada et la Chine. Les deux parties s'en retrouveraient également avantagées.
    Nous allons terminer avec M. Fragiskatos, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je me demandais ce que les gens de Hong Kong pensaient du cadre électoral proposé.
    Alan Ka-lun Lung, le président de la Fondation démocratique de Hong Kong, était venu témoigner devant l'ancien comité. Il a cité un sondage selon lequel 47 % des gens à Hong Kong soutenaient l'ensemble des propositions avancées; toutefois, 38 % s'opposaient au cadre électoral, et 16 % n'avaient pas d'opinion.
    Un autre témoin a indiqué qu'« un peu moins de la moitié des gens interrogés » sont prêts à « accepter l'offre », tandis que près de 40 % « s'y opposent farouchement ».
    Un autre témoin a dit: « Nous avons donc une ville maintenant divisée en deux moitiés comme nous l'avons vu à la fin du mouvement Occupy », le mouvement Occupy étant le mouvement de protestation qui a eu lieu aux États-Unis, bien sûr.
    J'aimerais entendre les commentaires de M. Ping au sujet de l'opinion du public à Hong Kong sur le cadre électoral. La ville est-elle divisée en deux sur la question du cadre électoral qui vient d'être adopté?
(1725)
M. Chang Ping (Traduction de l'interprétation):
    En réponse à votre question, je crois personnellement qu'il n'y a eu aucune pression venant d'en haut. Toute la population va soutenir une élection tant qu'elle comprend un suffrage universel authentique. Pourquoi y a-t-il des personnes qui s'y opposent? Cela pourrait être dû à bon nombre de raisons.
    D'abord, certaines personnes sont peut-être manipulées par le gouvernement; elles croient qu'une démocratie pourrait mener à de l'instabilité. Ce point de vue est très courant en Chine.
    Ensuite, cela pourrait être dû à la manipulation de l'opinion publique par le gouvernement. Comme je l'ai dit plus tôt, le gouvernement chinois dispose de nombreuses façons de manipuler l'opinion publique. Voyez-vous, les gens qui vivent depuis longtemps dans cette société où le gouvernement chinois les manipule finissent par internaliser ce genre de croyances trompeuses.
    Même pour ce qui est de choisir un président, de choisir le chef du gouvernement local à Hong Kong, il semble qu'il y ait une opposition. Les jeunes s'opposent fortement à ce qui a été proposé à l'origine par l'État chinois pour le cadre de sélection. Les entrepreneurs ainsi que la population plus âgée — disons ceux qui ont 45 ans ou plus — ne se sont pas autant opposés à ce que le gouvernement proposait. Il y a une division claire qui ne se limite pas à la question du suffrage universel. À tout le moins, c'est ce que le Comité a appris pendant une tribune précédente, alors je voulais approfondir le sujet.
(1730)
M. Chang Ping (Traduction de l'interprétation):
    Selon moi, la situation politique à Hong Kong est très... Comment puis-je dire? Tout change tout le temps. Tout dépend de l'influence du gouvernement chinois ainsi que des diverses forces qui sont à l'oeuvre. Il faut reconnaître que la société de Hong Kong est très pluraliste, en particulier parce qu'il y a tellement d'opinions différentes dans la société de Hong Kong. C'est pourquoi nous avons besoin d'un système démocratique, n'est-ce pas? Il faut qu'il y ait un consensus afin que toutes les opinions différentes ainsi que les dissidences soient réduites au minimum.
    En ce qui concerne l'opinion des entrepreneurs à propos du système démocratique, il faut comprendre que cela rejoint la position d'un grand nombre d'entrepreneurs d'ici. S'ils veulent faire des affaires avec la Chine, ils savent quoi faire, même si cela pourrait soutenir le système démocratique. Aussi, afin de conclure des affaires, il est parfois nécessaire, dans ce contexte d'influence et de pression indues, de dire ouvertement qu'ils s'y opposent... C'est comme en Corée du Nord. Si vous allez en Corée du Nord et que vous demandez aux Nord-Coréens si le gouvernement est bon ou pas, je suis passablement convaincu que 90 % d'entre eux vous diront qu'ils ont un gouvernement excellent.
    Merci d'être ici avec nous aujourd'hui.
    Je remercie le Comité de s'être montré flexible et d'avoir donné à nos témoins la chance de témoigner.
    Sur ce, nous allons nous revoir mercredi. La séance est levée.
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