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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 047 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 6 février 2023

[Enregistrement électronique]

(1540)

[Traduction]

    Bienvenue à cette 47e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 30 janvier 2023, le Comité commence son étude sur la réforme de la Loi sur l'extradition.
    La réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Les membres peuvent participer en personne dans la salle ou à distance par l'application Zoom.
    J'aimerais prendre quelques moments, dans l'intérêt des témoins et des membres. Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Pour ceux et celles d'entre vous qui participent par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro, et veuillez activer la sourdine quand vous n'avez pas la parole. Pour les services d'interprétation sur Zoom, vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le parquet, l'anglais et le français. Pour les personnes présentes dans la salle, vous pouvez utiliser l'oreillette et choisir le canal que vous voulez.
    Tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. Je demanderais aux membres dans la salle de lever la main si vous voulez parler; les membres qui participent par zoom peuvent utiliser la fonction « Lever la main ». Le greffier et moi-même ferons de notre mieux pour respecter l'ordre des interventions. Merci de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
    Avant de commencer, je précise que les difficultés techniques que nous avons eues à la dernière réunion auront peu de conséquences sur l'ordre du jour. Voici comment je compte procéder: premièrement, les représentantes du ministère de la Justice qui étaient avec nous la semaine dernière ont accepté de revenir pour terminer leur témoignage devant le Comité le mercredi 8 février. Elles seront avec nous lors de la deuxième heure de la réunion. Vous avez peut-être aussi remarqué, en consultant l'avis de convocation d'aujourd'hui, que nous accueillons à nouveau tous les témoins du deuxième groupe de mercredi dernier. Ils témoigneront aujourd'hui pendant la deuxième heure de la réunion.
    Je veux dire aux témoins et aux membres que j'ai des cartons, et que je vais lever ce carton jaune quand il ne vous restera plus que 30 secondes. Quand le temps sera écoulé, je vais lever ce carton rouge. Je vais vous demander de simplement conclure et, ainsi, je n'aurai pas à vous interrompre.
    Pour finir, nous allons accueillir des témoins pour notre étude sur la réforme de la Loi sur l'extradition le lundi 13 février pendant la première heure, puis, durant la deuxième heure, nous allons rédiger des instructions à l'intention de nos analystes. Le 15 février, nous allons commencer notre étude sur le système de mise en liberté sous caution, et nous accueillerons le ministre de la Justice au cours de la première heure. Pendant la deuxième heure, les représentantes du ministère seront avec nous pour répondre aux questions supplémentaires.
    Sans plus attendre, je souhaite la bienvenue aux témoins d'aujourd'hui. Nous accueillons M. Matthew Behrens et Mme Rania Tfaily. Nous accueillons par vidéoconférence aussi M. Balpreet Singh, conseiller juridique, de l'Organisation mondiale des Sikhs du Canada.
    Chaque témoin aura cinq minutes pour présenter sa déclaration préliminaire, et nous passerons ensuite aux questions des députés.
    Pour commencer...

[Français]

     Monsieur le président, avant que nous débutions, pouvez-vous me confirmer que les tests de son ont été faits avec les témoins et que les résultats étaient positifs?
(1545)

[Traduction]

    Merci, monsieur Fortin. Cela a effectivement été fait, et j'ai confirmé que les résultats étaient bons et positifs.

[Français]

    Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Behrens, vous avez cinq minutes.
    Mon nom est Matthew Behrens. Je représente le groupe Women Who Choose to Live — les femmes qui choisissent de vivre —, un organisme qui travaille auprès des femmes qui sont criminalisées et punies parce qu'elles ont tenté de survivre à la violence masculine. Cela fait plus de 20 ans que je travaille sur des dossiers d'extradition, majoritairement auprès de familles et des personnes qui ont été victimisées par un processus foncièrement vicié, qui viole de nombreuses façons la Charte des droits et libertés.
    J'ai l'honneur d'être accompagné aujourd'hui de Mme Tfaily. Nous sommes ici pour donner un visage humain à l'extradition et pour discuter des conséquences des lacunes fondamentales de la Loi sur l'extradition.
    Il s'agit d'une loi qui a été utilisée comme une massue contre les femmes maltraitées, comme dans les affaires M.M. et K.T. Cette loi rend possible et a effectivement permis que des citoyennes et citoyens canadiens soient torturés, par exemple dans l'affaire Boily. M. Boily s'est récemment vu remettre 500 000 $, parce qu'il a été conclu que le ministre avait été complice de la torture qu'il a subie après avoir été extradé au Mexique. Cette loi a aussi été utilisée comme moyen détourné pour renvoyer de force des gens qui ont qualité de personne à protéger vers les États qu'ils ont fuis pour échapper à la persécution.
    Je serai heureux de parler des enjeux plus généraux dans ce dossier, mais j'aimerais tout particulièrement vous raconter l'histoire de l'un des cas d'extradition les plus importants des 20 dernières années.
    Je vous présente Michele Messina. Elle ne peut pas être ici avec nous aujourd'hui, parce qu'elle s'est enlevé la vie à l'âge de 58 ans, dans une prison du Québec en novembre 2019, après avoir passé neuf ans à lutter contre son extradition. Michele n'est pas ici aujourd'hui, parce qu'elle a perdu la vie en prison. Elle s'est enlevé la vie parce qu'elle avait peur d'être extradée en Géorgie. Elle savait qu'elle n'aurait pas droit à un procès équitable là‑bas, où elle était accusée d'avoir sauvé ses enfants de la violence évidente d'un homme très violent.
    En 2010, elle a sauvé ses trois enfants, qui avaient la double citoyenneté, en Géorgie et les a amenés ici pour leur sécurité. Tous ses enfants sont maintenant adultes. Il y a plus de 10 ans, ils dormaient dans un garage abandonné pour échapper aux mauvais traitements infligés par leur père. Maintenant, ce sont des orphelins, parce que le Canada a décidé de criminaliser Michele tout comme l'avait fait l'État de la Géorgie.
    La Cour supérieure du Québec avait annulé la première mesure d'extradition prise contre elle, mais la mesure a ensuite été rétablie en appel. Nous sommes ensuite allés devant la Cour suprême, et Michele a perdu dans une décision majoritaire de 4 contre 3. Les juges dissidentes ont même qualifié l'affaire de kafkaïenne.
    Nous avons lancé une campagne pour demander un nouvel examen. Un nouveau gouvernement a été élu en 2015, et l'honorable Jody Wilson‑Raybould a effectivement autorisé un nouvel examen, puis, sept mois plus tard, elle a signé ce qui s'est avéré être l'arrêt de mort de Michele. Les motifs de la ministre étaient empreints d'une absence totale de connaissance des conséquences et de la dynamique de la violence contre les femmes. Dans ses motifs, elle soulevait des questions comme « Pourquoi Michele n'a‑t‑elle pas porté plainte à la police? ». Combien de fois a‑t‑on posé cette question ridicule aux survivantes?
    Finalement, Mme Wilson‑Raybould a déclaré que Michele n'avait pas du tout sauvé ses enfants, mais qu'elle avait plutôt enlevé à leur père violent le droit de les visiter. Voilà la conclusion de la ministre de la Justice. Cela nous montre où sont les véritables lignes de faille lorsqu'il s'agit de violence sexiste dans le contexte de la Loi sur l'extradition.
    C'est la juge Rosalie Abella qui a rédigé les motifs dissidents dans la décision de la Cour suprême. Elle a souligné que « la défense d'avoir porté secours aux enfants pour les protéger d'un danger imminent n'existe pas dans l'État de la Géorgie, la mère ne pourra pas faire valoir le moyen de défense qu'elle aurait été en mesure de soulever si elle avait été poursuivie au Canada. »
    Cette contradiction viole un principe fondamental de la Loi sur l'extradition, c'est‑à‑dire la règle de la double criminalité; la Cour suprême a reconnu que ce processus permet de garantir que, en ce qui concerne le Canada, « la conscience sociale d'un État ne sera pas mise dans l'embarras par l'obligation d'extrader une personne qui, selon les normes de cet État, ne s'est pas rendue coupable d'actes méritant une sanction. »
    Je crois que le problème auquel nous sommes confrontés tient en partie au fait que les ministères du gouvernement, et en particulier le soi-disant Groupe d'entraide international qui travaille sur les dossiers d'extradition au ministère de la Justice, ne sont pas encore arrivés au XXIe siècle lorsqu'il s'agit d'effectuer des analyses comparatives entre les sexes. Cela faisait partie de leur mandat en 2010. En 2021, dans les lettres de mandat supplémentaires envoyées au ministre, il était précisément question de ce qu'on appelle « l'analyse comparative entre les sexes plus ». L'analyse comparative entre les sexes plus suppose « un examen critique des contextes historiques, sociaux et politiques, ainsi que des systèmes de pouvoir, de privilèges, de discrimination et d'oppression qui créent des inégalités, de même que l'application d'une approche tangible pour y remédier. »
(1550)
    Si une telle analyse avait été appliquée de façon tangible dans le cas de Michele, elle serait peut-être ici aujourd'hui pour témoigner au sujet de l'extradition, au lieu d'être dans une tombe, sur laquelle ses enfants peuvent seulement se recueillir.
    Je pense que c'est d'une importance critique, pour examiner l'extradition, de tenir compte du but de l'analyse comparative entre les sexes plus; vous connaissez probablement la merveilleuse citation d'Anatole France, qui a dit: « La loi, dans un grand souci d'égalité, interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain. »
    Merci, monsieur Behrens.
    Votre temps est malheureusement écoulé. Vous allez devoir approfondir en répondant aux questions qui vous seront peut-être posées.
    Désolé. Est‑ce que mes cinq minutes sont écoulées?
    Oui.
    La parole va maintenant à Mme Tfaily.
    Vous avez cinq minutes.
    Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner dans le cadre de votre étude sur la réforme de la Loi sur l'extradition. Comme vous le savez peut-être, mon époux, Hassan Diab, a été extradé en France en 2014. J'ai de brefs commentaires à faire sur ce que nous avons vécu.
    Même si nous voulons éviter, dans notre système judiciaire, les condamnations injustifiées, d'après mon expérience, nous ne nous préoccupons pas autant des extraditions injustifiées. Actuellement, le droit est fondé sur la présomption que la personne extradée aura droit à un procès équitable dans l'État requérant et que l'extradition elle-même ne constitue pas un procès. Toutefois, l'extradition vers un pays étranger n'est pas qu'un simple désagrément. Souvent, c'est une épreuve horrible.
    Hassan a été extradé vers la France, où il a passé plus de trois ans à attendre son procès, confiné dans une minuscule cellule où il ne lui était pas permis de voir ni d'interagir avec quiconque pendant 20 ou 22 heures par jour. Il recevait rarement des visiteurs, parce que le coût nous empêchait de voyager plus que deux ou trois fois par année. Il voyait donc rarement ses enfants et sa famille. Il devait aussi faire face à un système juridique qu'il ne connaissait pas, tout cela alors qu'il était isolé, privé de toute interaction sociale réelle, et que sa santé mentale était fragile.
    Dans les cas d'extradition, la présomption d'innocence est inversée. Premièrement, il est présumé que le dossier d'extradition, c'est‑à‑dire le document communiqué par l'État requérant, est fiable, et il incombe donc à l'intéressé de démontrer que les éléments de preuve ne sont manifestement pas fiables. La barre est placée si extrêmement haut qu'elle est inatteignable, peu importe la faiblesse des éléments de preuve.
    Deuxièmement, l'intéressé n'a pas accès aux éléments de preuve communiqués.
    Troisièmement, l'intéressé n'a aucun droit automatique de présenter des éléments de preuve. Dans le cas d'Hassan, l'élément de preuve clé, ce que les procureurs de la Couronne ont qualifié de preuve irréfutable, était une analyse graphologique de seulement cinq mots écrits en majuscules. Deux graphologues français ont comparé ce qu'ils pensaient être l'écriture d'Hassan, datée de la fin des années 1980 et des années 1990, à ces cinq mots que le suspect avait écrits sur une carte d'hôtel en 1980. Ni l'un ni l'autre des graphologues français n'a dû témoigner ou a été contre-interrogé. La loi n'autorise même pas la défense à contre-interroger les témoins. Malgré tout, et même si la graphologie est couramment perçue comme une pseudoscience, leurs opinions ont été considérées comme fiables, par présomption. Il incombait à Hassan de démontrer que ces deux rapports n'avaient aucun sens et qu'ils étaient fondés sur une grande quantité de documents qui avaient été écrits même pas par Hassan, mais bien par quelqu'un d'autre.
    C'est un principe de justice fondamental que c'est à l'État que devrait incomber le fardeau de démontrer que ses éléments de preuve sont fiables. À mon avis, inverser le fardeau de la preuve et limiter la capacité de l'intéressé à se défendre, en l'empêchant de présenter des éléments de preuve, ce n'est qu'un simulacre de justice.
    On justifie la Loi sur l'extradition actuelle par le besoin d'être expéditif, mais cela ne devrait pas l'emporter sur l'équité. Quoi qu'il en soit, le processus d'extradition au Canada n'est pas expéditif du tout. Cela prend des années.
    L'autre chose qui est aussi souvent invoquée pour défendre la Loi sur l'extradition actuelle est la réciprocité, et le besoin d'honorer les obligations internationales du Canada, mais une loi plus juste et plus équitable en matière d'extradition ne minerait pas les obligations internationales du Canada ni la primauté du droit. Même si certaines personnes recherchées pour extradition sont coupables, on peut en dire tout autant des personnes qui sont accusées d'un crime au Canada, et cela ne nous empêche pas, malgré tout, au Canada, d'exiger des éléments de preuve fiables avant que la personne accusée ne subisse son procès au Canada. Nous devrions faire preuve de la même attention et du même intérêt lorsqu'il s'agit d'extradition, pour éviter que les personnes innocentes ne souffrent inutilement.
    Je crois qu'il y a quatre enjeux critiques dont il faut tenir compte pour réformer la Loi sur l'extradition. Les éléments de preuve déposés par l'État requérant ne doivent pas être présumés fiables. Tous les éléments de preuve pertinents devraient être divulgués dans leur intégralité. L'intéressé devrait — comme c'est son droit — pouvoir présenter des éléments de preuve. Les juges d'extradition devraient pouvoir examiner des questions touchant l'équité.
    Merci.
(1555)
    Merci, madame Tfaily. Il vous restait quelques secondes, mais vous avez terminé à temps.
    La parole va maintenant à Balpreet Singh, de l'Organisation mondiale des Sikhs du Canada.
    Vous avez cinq minutes.
    Nous sommes ici aujourd'hui pour discuter d'un enjeu qui touche nos deux mandats, plus précisément ceux de défendre les intérêts des Sikhs canadiens et de protéger les droits de la personne de tous et de toutes.
    En résumé, le processus canadien d'extradition est profondément imparfait et a besoin d'une réforme urgente.
    D'entrée de jeu, j'aimerais dire que notre organisation soutient et appuie les propositions du colloque de Halifax pour la réforme du droit. Plus précisément, nous croyons que les processus d'extradition devraient tenir compte fondamentalement des droits de la personne. Même si les protections offertes par la Charte s'appliquent seulement au Canada et pas aux États étrangers, quand il y a un lien causal entre la violation des droits de la personne d'une personne accusée dans un pays étranger et la décision du Canada d'extrader cette personne, les protections offertes par la Charte doivent s'appliquer.
    Même si les droits de la personne sont pris en considération dans le processus actuel, ces considérations sont atténuées, car la cour doit examiner le caractère raisonnable et faire preuve de déférence à l'égard du ministre lorsqu'il s'agit d'affaires étrangères et de coopération internationale. Cela est fondé sur le fait que la Cour tient pour acquis que le Canada ne conclut pas de traités d'extradition avec des pays qui ne sont pas dignes de confiance. Par conséquent, la décision du ministre de la Justice d'extrader une personne est dans une grande mesure politique. Nous croyons que le processus d'extradition est susceptible d'être mal utilisé et d'être exploité.
    En ce qui a trait aux préoccupations de la communauté sikhe spécifiquement, le traité d'extradition du Canada avec l'Inde soulève énormément de problèmes. Le traité a été conclu en 1987, et selon Joe Clark, le ministre des Affaires étrangères de l'époque, la considération clé entre les pays négociateurs tenait au désir de l'Inde d'extrader les « extrémistes » sikhs établis au Canada.
    Ce qui rend ce traité tout particulièrement problématique et surprenant, c'est que même si le Canada a [difficultés techniques].
    Monsieur Singh, pouvez-vous répéter les 30 dernières secondes? Il y avait un problème technique avec le son, et il n'y avait probablement pas d'interprétation non plus.
    Je vais vous redonner du temps pour compenser les 30 secondes que vous avez peut-être perdues.
    Pouvez-vous me dire où c'était, environ? Qu'est‑ce que vous avez entendu en dernier?
    Vous avez commencé à parler du traité d'extradition de 1987, avec Joe Clark.
    D'accord.
    Le ministre des Affaires étrangères, Joe Clark, a admis à l'époque que l'enjeu clé dans les négociations du traité était le désir de l'Inde d'extrader les « extrémistes » sikhs. Ce qui rend ce traité particulièrement problématique et surprenant, c'est le fait que le Canada a ratifié la Convention des Nations unies contre la torture ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont les deux interdisent le renvoi s'il y a un risque de torture; le Canada est signataire des deux.
    L'Inde n'a pas ratifié la Convention contre la torture, en plus de négliger depuis longtemps ses obligations et devoirs en matière de rapports, en vertu du Pacte. L'Inde n'est pas liée par la Convention contre la torture, en vertu de laquelle la torture est interdite, et elle n'est pas non plus surveillée et contrôlée par le Comité des Nations unies contre la torture. Par conséquent, la Commission asiatique des droits de la personne a déclaré que « la torture est couramment employée et est acceptée comme méthode d'enquête. La plupart des agents de police et des autres organismes d'application de la loi considèrent la torture comme un outil d'enquête essentiel. »
    Beaucoup d'informations laissent croire que la torture est utilisée régulièrement et très couramment en Inde. C'est bien connu chez les Sikhs que les militants politiques sikhs qui sont placés en détention en Inde sont torturés brutalement, systématiquement.
    Compte tenu du contexte dans lequel a été négocié le traité entre l'Inde et le Canada, et en particulier compte tenu de l'objectif de cibler les membres de la communauté sikhe et des allégations infondées faites par les responsables indiens au sujet d'activités extrémistes dans la communauté sikhe du Canada pendant pratiquement toutes les réunions bilatérales entre le Canada et l'Inde depuis plus d'une décennie, la crainte est bien réelle que les Sikhs au Canada pourraient être extradés vers l'Inde, où ils seraient faussement accusés et torturés. Plusieurs fois au cours des dernières années, l'Inde a d'ailleurs présenté au Canada une liste de Sikhs présents en territoire canadien dont elle demande l'extradition.
    Ce que l'Inde considère comme des extrémistes, ce sont en fait des sikhs qui militent à l'égard de divers enjeux que l'Inde juge répréhensibles. Au Canada, tous sont protégés en vertu du droit à la liberté d'expression, mais cela n'a pas empêché l'Inde de demander à répétition que le Canada réprime les militants sikhs au pays.
    Plus particulièrement, à l'heure actuelle, avec la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique que le Canada a lancée, le haut-commissaire de l'Inde a déclaré que le Canada, afin d'améliorer les liens entre les pays, devait sévir contre les « segments de la communauté sikhe au Canada qui offrent du soutien et de l'argent aux sécessionnistes qui veulent séparer le Pendjab de l'Inde ». Même s'il n'y a rien qui permet de corroborer cette allégation, nous craignons que l'Inde ne fasse pression sur le Canada pour qu'il extrade des militants sikhs en échange de liens plus étroits entre les pays.
    Ce ne serait pas la première fois que le Canada céderait à la pression de l'Inde. Dans le passé, lorsque des visas ont été refusés à des agents des forces de sécurité indiennes parce qu'on les soupçonnait d'être impliqués dans des violations des droits de la personne, l'Inde a protesté, et on a finalement délivré les visas. Nous avons aussi l'impression que, à la suite du voyage du premier ministre en Inde en 2018, l'expression « Extrémisme sikh — khalistani — » a été ajoutée à un rapport de la sécurité publique sur la menace terroriste, à l'insistance du gouvernement indien.
    Nous croyons fermement que l'extradition doit être une considération politique qui tient compte, fondamentalement, des droits de la personne; autrement, c'est inacceptable. Les promesses diplomatiques ne sont pas une solution, parce qu'on ne peut pas veiller à ce qu'elles soient appliquées. En cas de violation, les deux pays ont très peu intérêt à ce que ce soit révélé.
    Nous faisons valoir que le Canada ne devrait pas avoir un traité d'extradition avec un pays qui viole les droits de la personne ou qui n'a pas ratifié les traités sur les droits de la personne, et par conséquent, le traité d'extradition entre l'Inde et le Canada ne répond pas à ces normes nécessaires.
    Voilà ce que j'avais à dire.
(1600)
    Merci, monsieur Singh.
    Nous allons amorcer le premier tour de questions. Nous allons commencer par M. Brock, pour six minutes.
    Je pense que c'est à moi.
    Pardon.
    Allez‑y, monsieur Caputo.
    Merci.
    Je sais que je n'ai pas aussi fière allure que M. Brock, mais j'espère suffire, monsieur le président.
    Un député: Je préfère votre coupe de cheveux.
    M. Frank Caputo: Monsieur Naqvi, pas de blagues de cheveux, et surtout de votre part.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Behrens, vous avez manqué de temps pour terminer votre exposé, je suis prêt à vous céder la parole, si vous voulez conclure, s'il vous plaît.
    C'est très aimable de votre part. Merci.
    Quand je me suis arrêté, je parlais de l'analyse comparative entre les sexes plus et pourquoi cela est nécessaire.
    Voici ce que j'aimerais que le Comité envisage: en plus des propositions du colloque de Halifax — dont vous avez déjà entendu parler, ou alors M. Currie vous en parlera ce soir — il faudrait créer un organisme qui soit indépendant du Groupe d'entraide internationale.
    Ce qui se passe actuellement, c'est qu'un pays étranger présente une requête au ministre de la Justice, puis la requête est envoyée au Groupe d'entraide internationale, qui fait une recommandation. Ensuite, il y a un contrôle judiciaire et les observations finales, et tout cela est renvoyé aux personnes qui ont lancé le processus. Il faut qu'il y ait une sorte de surveillance indépendante dans tout cela.
    Et dans le cadre de cette surveillance indépendante, nous avons besoin d'une analyse qui est réelle, transparente, compréhensible et justificatrice, surtout dans les cas où il est question de femmes et d'enfants qui fuient la violence ou de personnes racisées qui seraient clairement victimes de discrimination si elles étaient renvoyées, même vers un pays comme les États-Unis. George Floyd, Breonna Taylor, Tyre Nichols... je n'ai pas besoin d'en dire plus.
    Le problème tient au fait que, dans la Loi sur l'extradition elle-même — et la Cour suprême l'a confirmé —, la décision concernant la remise n'est pas juridique, au bout du compte; elle est politique. Essentiellement, le ministre de la Justice est chargé de décider si oui ou non il va se mettre à dos les États-Unis ou le gouvernement français en refusant de leur remettre la personne demandée.
    Voilà le problème, le fait qu'on donne un immense pouvoir discrétionnaire de dire essentiellement que les droits d'une personne conférés par la Charte sont secondaires, face aux considérations relatives aux relations d'État à État. Je pense que c'est quelque chose que nous devrions vraiment examiner de près.
    Une autre chose très préoccupante, c'est que souvent, dans les cas où nous présentons des éléments de preuve au ministre de la Justice à propos du risque de torture ou du risque de toute autre violation des droits de la personne, on nous revient et on nous dit que, si le renvoi est vers Chicago, où le taux de torture policière contre les détenus noirs est parmi les plus élevés, il y a toujours un recours. On peut faire une plainte à Amnesty International ou à une cour fédérale.
    Cependant, un mécanisme pour réparer les torts causés n'équivaut pas à protéger les droits fondamentaux de la personne. C'est un recours après coup. La protection des droits de la personne devrait être offerte d'entrée de jeu. On ne devrait pas avoir à indemniser les gens après qu'ils ont déjà subi des torts.
    L'autre chose que je voulais dire, rapidement — je tenais aussi sincèrement non pas à vous féliciter pour votre coupe de cheveux, mais à vous dire merci de m'avoir cédé votre temps —, c'est que dans l'affaire de M.M., la juge Abella a écrit: « En dernière analyse, le préjudice que causerait à l’intégrité de notre processus d’extradition le fait de conclure qu’il serait injuste ou tyrannique d’extrader une mère qui, à la demande de ses jeunes enfants, a soustrait ceux‑ci à leur père violent est peu visible ». C'est ce qu'elle et deux autres juges de la Cour suprême ont voulu souligner. Le fait que les juges étaient divisés également selon leur sexe est aussi quelque chose de très intéressant.
    S'il me reste environ 30 secondes, il y a une autre chose qui, selon moi, devrait vraiment figurer à l'ordre du jour ici, et c'est la façon dont la Loi sur l'extradition recoupe la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Nous avons vu dans un certain nombre de cas, surtout lorsqu'il s'agit de réfugiés roms qui arrivent de pays européens comme la Hongrie ou la République tchèque, qui vivent ici pendant des années en ayant qualité de personne rom à protéger, que, tout à coup, il y a une demande d'extradition. À cause des normes peu élevées, ces personnes risquent de perdre la protection accordée aux réfugiés.
    Nous savons que, dans un certain nombre de cas, le ministre de la Justice est allé voir le ministre de l'Immigration et lui a demandé d'émettre une nouvelle opinion sur le risque auquel pourrait s'exposer une personne qui serait renvoyée dans l'État qu'elle a fui en premier lieu pour échapper à la persécution.
(1605)
    Merci.
    Madame Tfaily, vous avez parlé de communication. Il s'agit vraiment d'un pilier du droit pénal canadien.
    Ma question est la suivante: une personne qui va être extradée est-elle autorisée à avoir accès aux documents communiqués au gouvernement canadien?
    C'est une question qui a été débattue dans le cas de Hassan. Présentement, le ministère de la Justice dit non, ces personnes n'ont pas le droit d'accéder aux éléments de preuve communiqués dont dispose le Canada. Par exemple, il y a eu une analyse des empreintes digitales qui a été faite dans le cas de Hassan, pour comparer ses empreintes digitales aux empreintes sur les documents que le suspect avait manipulés, et les résultats de ces empreintes étaient négatifs. Pourtant, Hassan n'en a jamais été informé — pas plus que son avocat —, et il n'a pas non plus été informé de l'accusation liée à l'extradition pendant la phase d'incarcération de l'audience sur l'extradition. Le raisonnement du ministère de la Justice était que Hassan n'était pas autorisé à prendre connaissance de ces éléments de preuve, conformément aux lois en matière d'extradition.
    Le ministère de la Justice possédait‑il cette analyse des empreintes digitales, à ce moment‑là?
    Oui, l'analyse a été faite au Canada. C'est le ministère de la Justice qui a demandé à la France d'envoyer les documents qu'elle avait afin de pouvoir faire analyser les empreintes digitales au Canada. La GRC s'en est occupée ici. Effectivement, le ministère de la Justice avait ces éléments de preuve.
    Intéressant. Juste pour que je sois certain...
    Merci, monsieur Caputo.
    La parole va à Mme Dhillon, pour six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins d'être ici.
    Je crois que j'aimerais vous poser une question générale. Je m'adresserai d'abord à M. Behrens, puis à Mme Tfaily et ensuite à M. Singh.
    Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous parler de l'expérience des Canadiens racisés en ce qui a trait à la Loi sur l'extradition?
    Je serai heureux de répondre. Je vais vous donner l'exemple d'un citoyen canadien qui était recherché dans le cadre d'une affaire non résolue à Chicago, en 1969. C'était l'affaire Freeman. Cet homme, un Afro-Américain, est venu au Canada parce que sa vie était en danger. Il a vécu ici paisiblement pendant 35 ans, puis un enquêteur a présenté une demande d'extradition, parce que cet enquêteur était supposément un agent qui avait été blessé pendant cet incident.
    Le soi-disant dossier de l'enquête a été présenté à la Cour supérieure de l'Ontario, mais — je vais citer le juge — il était rempli d'omissions et d'inexactitudes. Il y avait le témoignage d'un agent de police, qui a dit que sept coups de feu avaient été tirés, puis un autre, dans le même dossier de l'affaire, qui est présumé être fiable, selon lequel il y avait eu 13 coups de feu. Le juge a dit que, du point de vue des faits, il y avait une divergence importante entre les deux témoignages. Vous n'avez pas besoin d'être mathématicien pour savoir que 7 et 13 sont des chiffres différents. Douze, ça peut être 13, ou 14, ça peut être 13, mais pas 7. Cela veut dire que, au bout du compte, cela aurait pu soulever une tout autre question. Imaginez que les deux sont dans le dossier de l'affaire. Qu'est‑ce que le juge d'extradition est censé faire avec cela? C'est une question très intéressante.
    Je trouve très intéressant qu'on a décidé de maintenir la décision d'extradition, et M. Freeman a passé des années en détention ici au Canada. Finalement, il a pu conclure un accord et a passé 30 jours dans la prison du comté de Cook, mais il a certainement craint pour sa vie, parce que quiconque s'est renseigné au sujet de Chicago sait qu'il y a des cas très bien documentés où la police de Chicago a torturé des Afro-Américains.
(1610)
    Merci beaucoup.
    Allez‑y, madame Tfaily.
    Merci.
    Il y a cette supposition que les systèmes judiciaires dans tous les pays avec qui le Canada a conclu des traités d'extradition sont équitables, et ce, pour tout le monde, peu importe leur genre, leur race, leur origine ethnique, etc. Cependant, ce n'est souvent pas le cas. Prenez les musulmans en particulier; nous savons que, dans bon nombre de pays, ils ne sont pas traités équitablement en vertu de la loi et qu'il y a certaines règles de preuve qui sont éliminées quand l'accusé est un musulman. C'est ce qui se passe en France. Human Rights Watch et d'autres organisations ont documenté des cas de torture en France ou alors des cas où la France a invoqué du renseignement secret qui ne peut pas être contesté devant les tribunaux. Ce genre de choses est rejeté au Canada, par exemple, mais c'est utilisé pour condamner des gens. J'ai consacré la majeure partie de ma vie à cette affaire — je pense que j'ai passé toute ma trentaine sur l'affaire de Hassan —, mais quand je parle aux gens, je peux constater à quel point il est difficile de les convaincre qu'un pays comme la France peut traiter si inéquitablement certains segments de la population.
    Je dois dire, je ne sais pas pourquoi. Quand on regarde ce qui se passe aux États-Unis, on constate qu'il y a de la discrimination raciale. Si on regarde l'histoire du Canada, on constate qu'il y a eu de la discrimination contre diverses populations... les francophones et les Autochtones, par exemple. On tient pour acquis que le système de justice est équitable envers tous et toutes, mais je ne pense pas que cela s'appuie sur quoi que ce soit de solide.
    Merci, madame Tfaily.
    Monsieur Singh, je pense qu'il ne nous reste pratiquement plus de temps, mais vous pouvez l'utiliser pour faire une déclaration. Merci.
    Je dirai simplement que c'est très perturbant pour ma communauté quand les relations entre l'Inde et le Canada sont parfois dominées par la question de savoir ce que les sikhs au Canada font ou ne font pas. La possibilité que des sikhs soient extradés vers un pays qui soumet couramment les gens à la torture, simplement parce qu'on veut améliorer les relations, cela suscite énormément de crainte pour notre communauté, et c'est quelque chose que le système actuel permet, alors que cela ne devrait vraiment pas être le cas.
    Qu'est‑ce que vous aimeriez voir amélioré dans le système actuel?
    Je pense que, globalement, les recommandations du colloque de Halifax sur la réforme du système sont très convaincantes. Je vous recommanderais de les examiner. Je pense que vos prochains témoins, au cours des prochaines réunions pourront vous en dire davantage à ce propos. Plus particulièrement, il faut que les droits de la personne soient au centre de tout. Les pays qui n'ont pas signé de traités sur les droits de la personne ou qui ont des antécédents de violation des droits de la personne... le Canada ne devrait pas extrader des gens vers ces pays.
    Merci beaucoup.
    Merci, madame Dhillon.
    La parole va maintenant à M. Fortin, pour six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie les trois témoins qui sont parmi nous ce matin.
    Je vais d'abord m'adresser à M. Behrens, si vous me le permettez.
    Il y a une chose que je comprends de l'ensemble des témoignages. Évidemment, nous sommes à peu près tous d'accord sur le fait qu'il ne faudrait pas...

[Traduction]

    Monsieur Fortin, pourriez-vous arrêter un instant? Il semble y avoir un problème avec l'interprétation.

[Français]

    M'entendez-vous en ce moment? D'accord.
    Monsieur le président, j'imagine que je peux reprendre mon temps de parole.
    Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui. Je disais, monsieur Behrens, que j'allais d'abord m'adresser à vous.
    Votre proposition selon laquelle il ne faudrait pas que le Canada ait de traité avec des pays qui pratiquent la torture ou qui ne respectent pas les droits de la personne me semble aller de soi. Je ne veux pas parler pour mes collègues, mais je pense que nous sommes pas mal tous d'accord là-dessus. Moi, ce qui m'intéresse, ce sont les propositions.
    Selon le système actuel, en principe, en tout cas, le Canada n'extradera pas quelqu'un dans un pays qui ne respecte pas les droits de la personne. Je pense que cela existe déjà. Y a-t-il eu des cas où on l'a fait malgré tout, en raison d'erreurs judiciaires, par exemple? C'est possible. Vous pouvez sûrement en témoigner.
    Que devrait-on changer, selon vous, dans le processus actuel ou dans la loi, pour s'assurer que cela ne se reproduira pas?
(1615)

[Traduction]

    Il y a récemment eu une affaire devant la Cour fédérale où le juge a conclu que l'extradition suscitait un risque important de torture, dont le ministre n'avait pas tenu compte, et cela même si l'information avait été présentée pour démontrer qu'il existait clairement un risque de torture. L'extradition était demandée par le gouvernement du Mexique.
    Selon M. Suresh, dans la décision Suresh, son extradition allait à l'encontre de l'article 7 de la Charte, en l'absence de circonstances compensatoires exceptionnelles. Encore une fois, je pense qu'en plus des recommandations du colloque de Halifax, dont vous entendrez parler plus tard ce soir, nous devrions aussi examiner la loi de fond en comble pour voir de quelle façon elle respecte les normes internationales en matière de procès équitable. Présentement, ce n'est pas ce qui se fait, parce que le ministre a un énorme pouvoir discrétionnaire pour décider s'il autorise ou non l'arrêté d'extradition. Comme l'a souligné la Cour suprême, au bout du compte, ce qui préoccupe le ministre, c'est de savoir s'il va se mettre à dos une autre nation.
    Nous l'avons constaté dans l'enquête Arar, dans laquelle il a aussi été question de la complicité du Canada à des actes de torture. À l'époque, nous avons appris que le ministère des Affaires extérieures gardait secrets ses dossiers sur les droits de la personne dans d'autres pays dans le but exprès de protéger les transactions commerciales canadiennes à l'étranger. Nous devons prendre du recul et nous demander si, au bout du compte, notre but est vraiment de protéger les droits garantis par la Charte. Est‑ce que, oui ou non, notre priorité est de respecter la Convention des Nations unies contre la torture?
    C'est quelque chose qu'on voit tout le temps dans le système d'immigration, lorsque les agents d'immigration qui veulent expulser des gens font couramment fi du risque de torture. La même chose s'applique aux cas d'extradition.

[Français]

     Si j'ai bien compris, vous proposez que le ministre de la Justice n'ait plus de pouvoir discrétionnaire, et qu'on s'en remette ultimement à la décision du tribunal à savoir s'il devrait ou non y avoir une extradition.
    Est-ce bien votre position?

[Traduction]

    J'ai l'impression qu'un tribunal serait beaucoup plus indépendant que la personne qui a décidé d'aller de l'avant avec l'extradition. Le ministre a déjà fait clairement savoir sa position en commençant le processus d'extradition. Il a déjà un parti pris. Il a décidé que, dans une affaire donnée, c'est ce qu'il faut faire. Il défend sa cause devant la Cour, alors même que le processus judiciaire lui-même est complètement neutralisé par la Loi sur l'extradition. Il faut que nous renforcions le rôle de l'appareil judiciaire dans ce processus, parce que c'est le seul mécanisme de contrôle qui permettra de veiller à ce que les droits de l'intéressé soient défendus et respectés.

[Français]

    Merci, monsieur Behrens.
    Madame Tfaily, croyez-vous aussi que la décision devrait être prise par le tribunal et non plus par le ministre?

[Traduction]

    Oui, je suis d'accord, parce que selon notre expérience, et aussi dans d'autres cas d'extradition, pour parler globalement, le procureur général ne va pas prendre la décision difficile de créer un conflit avec d'autres pays, mais si ce sont des juges qui prennent la décision, nous pensons que le procureur général pourra se justifier en disant: « Le Canada a respecté la primauté du droit. Voilà ce que l'appareil judiciaire a décidé, et nous devons le respecter. »

[Français]

    Merci, madame Tfaily.
    Monsieur Singh, confirmez-vous que c'est également votre position, et que la décision d'extrader ou non un individu devrait être prise par le tribunal et que le ministre n'aurait rien à dire après avoir fait la demande au départ?

[Traduction]

    Ce serait tout à fait logique. Je dirais que le système judiciaire devrait jouer un plus grand rôle. Il faut que les éléments de preuve soient examinés, et il doit y avoir la présomption d'innocence. Si le ministre doit intervenir, alors la norme de contrôle qui s'applique à la décision du ministre doit être plus élevée. Présentement, la norme de contrôle qui s'applique pour la décision du ministre est la plus basse qui soit, et c'est inacceptable.
    Pour revenir simplement à ce que vous avez dit au début, ce n'est pas exact qu'on tient pour acquis qu'on ne devrait pas expulser des gens vers des pays qui, par exemple, n'ont pas signé la Convention contre la torture, parce que c'est effectivement ce que nous faisons. Par exemple, dans l'affaire Badesha, il était justement question d'envoyer une personne en Inde, un pays qui n'a pas ratifié cette convention. Cela pèse énormément sur notre conscience. Ce n'est réellement pas le genre de choses qui devraient arriver.

[Français]

    Merci, monsieur Singh.

[Traduction]

    Merci, monsieur Fortin.
    La parole va maintenant à M. Garrison, pour six minutes.
(1620)
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci aux trois témoins d'être avec nous aujourd'hui.
    Je vais poser une question à chacun d'entre vous, si j'ai le temps en six minutes.
    Monsieur Behrens, au début, vous avez dit qu'il y avait des problèmes dans les lois en matière d'extradition, des problèmes qui sont fondés sur le sexe, et une chose qui a attiré mon attention a été le concept de la double criminalité, et le fait que nous décidons de procéder selon le motif très restreint que quelque chose serait illégal dans les deux pays, mais sans tenir compte du fait que les gens sont traités très différemment dans ces pays en fonction de leur sexe, et aussi, je pense, sans prendre en considération ce que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a appelé le critère de la discordance... c'est‑à‑dire les conséquences éventuelles de la double criminalité et la possibilité qu'il y ait de grandes différences entre les deux pays.
    Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont le sexe d'une personne a une incidence sur la double criminalité? Vous avez donné l'exemple de l'enlèvement d'un enfant pour sa sécurité.
    Dans le cas de M.M., et aussi dans celui de K.T., il a été jugé que la capacité de présenter effectivement des éléments de preuve de violation n'était pas pertinente dans le cadre de la procédure. Le juge ne veut rien savoir de tout cela, parce que ses mains sont liées par la Loi sur l'extradition. Il va dire: « Ce n'est pas un procès. Tout ce que je fais, c'est décider s'il y a une preuve prima facie contre vous. »
    Dans le cas de M.M., nous avons consulté d'éminents experts en Georgie — des avocats, des cliniques universitaires — et avons obtenu des opinions d'experts pour démontrer que, si M.M. avait été accusé ici au Canada, elle aurait eu le droit à une défense pleine et entière, un droit qu'elle n'avait pas en Georgie, et en vertu de la Loi sur l'extradition, vous ne pouvez pas aller de l'avant dans ces cas‑là, mais le ministre n'était pas d'accord et a décidé de procéder, malheureusement. N'importe quel juge compétent qui aurait examiné le dossier aurait dit que cela est indéfendable.
    Merci.
    Madame Tfaily, lorsqu'il s'agit de savoir si la personne remise subira son procès dans un délai raisonnable, le cas de votre époux doit certainement être l'exemple parfait d'une mauvaise remise... il a attendu trois ans sans procès. Selon vous, le Canada pourrait‑il, d'une façon ou d'une autre, refuser de remettre une personne dans ces circonstances, si elle n'est pas assurée de subir son procès immédiatement?
    Je pense que le seuil pour ce genre d'assurance est très faible. L'État aurait seulement à dire qu'il va porter l'affaire devant les tribunaux.
    Dans le cas de Hassan, son avocat a fait valoir devant la Cour d'appel que la France n'était pas prête à ce qu'il subisse son procès, parce que l'enquête était toujours en cours. Le ministre de la Justice a dit que la France avait porté des accusations contre lui et qu'il était prêt à subir son procès. Hassan a été extradé en France, mais c'était pour l'enquête. L'enquête a pris trois ans et deux mois, puis il a été remis en liberté, parce que les deux juges d'enquête ont conclu que les éléments de preuve militaient pour son innocence, plutôt que sa culpabilité. Il est donc revenu au Canada.
    Dans le système actuel, l'État requérant peut dire qu'il est prêt à commencer le procès. Il ne faut rien de plus, et le ministre de la Justice le croirait.
    Pouvez-vous nous dire brièvement ce qu'il advient de l'affaire de votre époux, présentement, en France?
    En France, c'est comme si les divers juges d'enquête se renvoyaient la balle. Il a été ordonné sept fois que Hassan soit remis en liberté sous caution, je pense, mais, chaque fois, la Cour d'appel annulait l'ordre, même si c'était des juges différents qui l'ordonnaient. Par rapport à sa mise en liberté et son retour au Canada, la Cour d'appel n'a cessé de reporter la décision pendant deux ans. Finalement, un tribunal différemment constitué a annulé la décision du juge d'enquête précédent, et la France projette maintenant d'ouvrir le procès en avril.
    Il y a donc un risque d'une nouvelle demande d'extradition.
    Oui.
    J'aimerais surtout dire, si je peux avoir 30 secondes, que Hassan a été extradé à cause de son écriture. Je ne dis pas cela en tant qu'épouse, mais je suis toujours choquée que cela soit arrivé à cause de cinq mots. Imaginez, à notre époque, qu'on puisse dire qu'on peut identifier une personne à partir d'une analyse graphologique de cinq mots.
    Nous avons demandé à environ cinq experts de divers pays, ils ont tous dit que c'était du grand n'importe quoi. En France, deux autres experts ont été engagés, et ils ont dit qu'ils étaient d'accord avec les experts de la défense au Canada, que c'était du grand n'importe quoi. Pourtant, nous voici 15 ans plus tard, et ce n'est toujours pas réglé.
    Merci.
(1625)
    Monsieur Singh, j'aimerais discuter à nouveau des traités.
    Dans votre témoignage, vous avez mis en relief le fait que non seulement notre loi en matière d'extradition est très désuète et pleine de lacunes, mais en plus, nous n'avons pas de processus pour examiner les traités d'extradition. Bon nombre d'entre eux sont très vieux.
    Croyez-vous qu'il devrait y avoir une sorte de processus pour examiner périodiquement les traités d'extradition que nous avons conclus? Dans le cadre de ce processus, nous pourrions aussi faire une vérification par rapport à la Convention contre la torture et d'autres choses du genre.
    Absolument. Je dirais que nos traités devraient être examinés régulièrement. Nous devons nous assurer que les pays avec qui nous avons conclu ces traités respectent les obligations qu'ils doivent remplir en vertu de ces traités.
    Même si l'Inde a signé la Convention contre la torture, elle ne l'a pas ratifiée, et même en ce qui a trait au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou PIRDCP, que l'Inde a ratifié, elle ne s'acquitte pas de ses obligations et n'a pas produit de rapport depuis, je pense, 20 ans.
    Même si [difficultés techniques] ne respecte pas ses obligations [difficultés techniques] il serait important d'examiner nos traités, tout comme il serait important de réellement voir si les autres pays respectent leurs obligations en matière de droits de la personne.
    Qui devrait...
    Je suis désolé, monsieur Garrison, votre temps est écoulé.
    Avant de commencer le prochain tour, je veux me prévaloir de mon droit en tant que président pour poser deux ou trois questions.
    Madame Tfaily, je pense que M. Garrison vous a posé une question similaire, mais pouvez-vous nous dire combien de temps cela a pris avant que le procès de votre époux ne commence, réellement? Êtes-vous au courant d'autres affaires similaires où une personne extradée du Canada a dû attendre très longtemps?
    Dans le cas de Hassan, il a été extradé en novembre 2014. Il a été en prison en France jusqu'en janvier 2018. Durant tout ce temps, le juge d'enquête continuait d'enquêter sur l'affaire. En janvier 2018, il a fini par dire qu'il n'allait pas ordonner un procès, et Hassan a été libéré. Cela a pris trois ans et deux mois.
    Je n'ai pas regardé combien de temps cela avait pris dans les autres affaires.
    Je voulais mentionner que, dans le cas de Hassan, l'affaire avait commencé en 2007 lorsqu'il y a eu une fuite d'information transmise à un journaliste, et la GRC l'a surveillé pendant un an. Après un an, la France a demandé son extradition. Cela a pris de 2008 jusqu'en 2014, quand a eu lieu son audience d'extradition. Ensuite, de 2014 à 2018, il était en prison, et de 2018 jusqu'à maintenant, il y a eu des appels en France.
    Ce n'est pas fini. Cela va amputer d'une vingtaine d'années la vie d'une personne, de ses enfants et des membres de sa famille.
    Cela va à l'encontre des principes de l'accès rapide et équitable à la justice.
    Monsieur Singh, au cours des 10 dernières années — si vous vous en souvenez — combien y a‑t‑il eu d'extraditions vers l'Inde, et si vous le savez, y a‑t‑il eu des contestations devant les tribunaux, ou ont-elles toutes été annulées? Vous aviez beaucoup de préoccupations quant aux demandes d'extradition vers l'Inde. J'essaie simplement de comprendre combien il aurait pu y en avoir au cours des 10 dernières années.
    La principale affaire a bien sûr été celle de Badesha et Sidhu. C'était une affaire intéressante, dans un certain sens, parce que c'était un crime d'honneur. Les accusations et, essentiellement, la preuve qui a été déposée étaient très convaincantes. Je dis parfois que les mauvais faits font du mauvais droit. Je dirais que ce sont les aspects émotionnels de l'affaire qui ont permis l'extradition vers l'Inde, mais le fait est que toutes les extraditions vers l'Inde devraient être interdites, puisque ce pays refuse de respecter les normes des droits de la personne. Ensuite, je dirais que, si les poursuites judiciaires pouvaient se faire au Canada, cela devrait être notre premier choix, plutôt que d'envoyer des gens ailleurs pour cela.
    Ce qui est aussi très préoccupant, c'est le fait que l'Inde parle régulièrement et publiquement des listes qu'elle transmet au Canada à propos de militants sikhs dont elle demande l'extradition. C'est assurément très préoccupant. Ce n'est pas que l'une ou l'autre de ces personnes a déjà été extradée, mais la possibilité que cela se produise, et le fait que le Canada a des mécanismes en place pour cela, c'est très préoccupant.
    Merci, monsieur Singh.
    Nous allons commencer le deuxième tour.
    Nous allons commencer par M. Van Popta, pour cinq minutes.
(1630)
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins d'être ici.
    Je vais commencer par vous, monsieur Singh. Merci de votre témoignage.
    Votre site Web soulève des préoccupations quant au fait que, en Inde, les critiques et la dissidence envers les États sont considérées comme des actes extrémistes et antinationaux, et les organismes de sécurité et du renseignement en Inde ont pris des mesures répressives contre les gens qui font ce qui serait, pour être honnête, tout à fait légal ici au Canada.
    Est‑ce que c'est une grande préoccupation? Le critère de la double criminalité ne nous empêche‑t‑il pas d'extrader des gens du Canada vers l'Inde en raison de ce type d'accusations?
    Ce que nous constatons, c'est qu'on fabrique des accusations. L'Inde est un cas particulier, parce que là‑bas, poser une affiche ou dessiner un graffiti à l'extérieur de chez vous, cela attire effectivement des mesures répressives. Par exemple, des gens ont été arrêtés pour avoir écrit « Khalistan » sur les murs de leur propre demeure. Cela étant dit, ces personnes ne sont pas nécessairement accusées de [Difficultés techniques]. Elles font l'objet d'accusations fabriquées, « soutenir le terrorisme » ou « financer le terrorisme », et c'est ce que nous constatons dans ces cas. Les militants qui prennent la parole au sujet du Khalistan ou des violations des droits de la personne en Inde sont accusés de financer le terrorisme.
    Le fait est que le système canadien ne permet pas d'examiner en profondeur ce genre d'éléments de preuve. Souvent, l'accusation elle-même et un résumé superficiel de ces soi-disant éléments de preuve suffisent pour autoriser l'extradition d'une personne, si le ministre le veut. Puisque l'Inde dit que le Canada doit sévir contre les militants sikhs s'il veut des liens plus étroits avec l'Inde, cela nous rend très nerveux.
    La dernière fois que le Canada a accordé des visas à des personnes qui ont violé les droits de la personne — des agents de police du Pendjab qui avaient été accusés d'avoir violé les droits de la personne et à qui on refusait des visas depuis longtemps —, c'était juste avant le voyage du premier ministre Trudeau en Inde, en 2018. À ce moment‑là, quatre d'entre eux se sont vu accorder des visas. Clairement, c'était une décision politique. Ce qui nous effraie, c'est que la décision politique pourrait être prise, dans l'avenir, d'extrader des militants sikhs, et il n'y a rien que nous pourrions faire contre cela.
    Merci.
    Je crois que vous avez dit que l'Inde n'avait pas ratifié le traité des Nations unies contre la torture. Si elle l'avait fait, est‑ce que cela ferait une différence, à vos yeux?
    Pas uniquement le ratifier... Par exemple, elle a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, mais le fait est que pendant plus de 20 ans, l'Inde a négligé ses obligations et ses exigences de rapport en vertu du PIRDCP, alors ce n'est pas suffisant de simplement signer. Il faut qu'on puisse démontrer que les normes sont respectées. On parle ici de recours courant à la torture.
    J'ai un article daté de décembre 2021, par un certain N.C. Asthana, un ancien directeur général de la police en Inde, qui a écrit que « la torture et les fausses rencontres avec la police ont fini par être considérées comme étant [...] dans ”l'intérêt national”, [et] récompensées par des médailles », lorsque cela visait des gens accusés d'être des séparatistes.
    C'est un grave problème, alors simplement ratifier un traité n'est pas suffisant. Il faut qu'il soit démontré que le pays respecte ces obligations.
    Selon vous, existerait‑il une seule façon pour que le Canada ait un traité d'extradition avec l'Inde?
    Bien sûr. Nous pouvons envisager de conclure ce genre de traité avec n'importe quel pays qui démontre qu'il respecte les droits de la personne.
    Alors, ce que nous proposons ne concerne pas uniquement l'Inde, bien évidemment. Il est question ici de tout le processus d'extradition, qui a besoin de sérieuses réformes. Il doit y avoir, je le redis, une présomption d'innocence ainsi qu'une analyse plus poussée de la preuve, et les considérations politiques ne doivent pas entrer en ligne de compte. La norme de contrôle doit être plus élevée. Il ne faut pas que ce soit la norme de contrôle la plus basse.
    Est‑ce possible? Oui, mais le trajet jusque‑là sera incroyablement long, surtout en ce qui concerne l'Inde.
    Juste pour être sûr, un pays comme l'Inde — et nous pourrions aussi parler hypothétiquement d'autres pays également — devrait, au strict minimum, être tenu d'adopter la déclaration des Nations unies contre la torture et d'autres accords internationaux similaires, mais ce n'est pas suffisant. C'est une condition nécessaire, mais ce n'est pas suffisant pour que nous ayons une relation d'extradition avec ce pays. Est-ce bien ce que vous dites?
    C'est exact. À mon avis, simplement respecter les obligations d'un traité, par exemple, comme l'obligation de faire rapport et, dans le cas de la Convention contre la torture, avoir un comité contre la torture chargé de faire des examens...
    Malheureusement, nous avons l'impression que, même si c'était ratifié, on interdirait tout de même qu'il y ait un comité des Nations unies contre la torture pour effectuer des examens. L'Inde interdit les activités d'Amnistie internationale sur son territoire, parce qu'elle refuse qu'on examine ses résultats en matière de droits de la personne. Tout cela est vraiment perturbant.
(1635)
    Mon temps est écoulé. Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Van Popta.
    La parole va maintenant à M. Naqvi, pour cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vais poser quelques-unes de mes questions à Mme Tfaily.
    Pour être complètement transparent, je veux seulement dire à tout le monde que je connais personnellement, Mme Tfaily, et que nos enfants ont souvent joué ensemble dans le passé. Je connais très bien la famille et sa situation.
    Merci d'être ici. Je sais que c'est un sujet très difficile pour vous, à cause de ce que vous avez vécu et de ce que vous vivez toujours, par rapport à l'affaire concernant M. Diab. J'ai été particulièrement intéressé par les quatre recommandations que vous avez faites à la fin de votre exposé. J'ai eu l'impression que vous avez peut-être manqué de temps. Vous vous êtes un peu dépêchée pour présenter ces quatre recommandations.
    Voulez-vous prendre un peu de temps pour nous parler des quatre recommandations, madame Tfaily, et nous expliquer pourquoi elles sont importantes, selon vous, et pourquoi le Comité devrait les prendre en considération dans son rapport?
    Oui.
    La première recommandation était de ne pas présumer que la preuve de l'État requérant est fiable. Dans le système actuel, tout ce que l'État requérant a à faire, c'est présenter un résumé de la preuve. Elle n'a pas à communiquer ses éléments de preuve. Dans le cas de Hassan, l'État requérant n'a même pas transmis le rapport d'analyse graphologique. Tout ce qu'il a dit, c'était que l'expert français X est arrivé à cette conclusion, et c'était présumé fiable. Cela inverse le fardeau de la preuve, parce que c'est l'intéressé qui doit alors la réfuter.
    Nous avons consulté des graphologues de divers pays, et nous en avons embauché certains qui avaient travaillé pour le FBI et la GRC, et d'autres qui venaient de Suisse. Non seulement tout cela coûte de l'argent, avec les frais juridiques supplémentaires — c'était extrêmement cher et inabordable —, mais notre système est fondé sur la prémisse que l'État devrait démontrer la fiabilité de ses éléments, et pas l'inverse. C'est pourquoi il est injuste d'inverser le fardeau de la preuve pour qu'il incombe à l'intéressé.
    Ensuite, si une personne va être privée de sa liberté en étant emprisonnée pendant un si grand nombre d'années, alors elle devrait avoir l'occasion de se défendre. Les éléments de preuve pertinents devraient être communiqués. Nous ne disons pas des tonnes d'éléments de preuve ou même tous les éléments de preuve qui ont été recueillis, mais au moins ceux qui sont pertinents.
    Dans le cas de Hassan, la France n'a pas communiqué beaucoup d'éléments de preuve pertinents. Par exemple, elle avait effectué une analyse sur la carte de l'hôtel. En France, cela a été fait en 2008, et la GRC en a fait une autre. Le résultat d'analyse a montré que l'empreinte digitale sur la carte de l'hôtel qui avait été signée par le suspect n'était pas celle de Hassan, mais le système judiciaire canadien l'a étouffé. En fait, le système judiciaire canadien a déclaré qu'il n'y avait aucune empreinte digitale sur la carte de l'hôtel. Nous avons appris plus tard, alors que Hassan était en France, que c'était faux. Si les éléments de preuve pertinents avaient été communiqués, Hassan l'aurait su, et l'issue de son extradition aurait peut-être été différente.
    Une autre chose: Hassan n'avait pas le droit de présenter des éléments de preuve. Cela est courant dans toutes les affaires d'extradition. Nous avons dû convaincre le juge que les éléments de preuve que Hassan présentait étaient réellement pertinents et qu'ils pouvaient permettre de réfuter l'affaire. La barre était placée très haut. L'avocat de Hassan a dû se battre de nombreux jours devant les tribunaux pour qu'il soit permis à Hassan de présenter le témoignage des graphologues, par exemple.
    La dernière recommandation, d'autres l'ont mentionnée. Les juges d'extradition n'ont pas le droit d'examiner les questions touchant l'équité. Dans le cas de Hassan, le juge d'extradition a dit, en cour, que si l'affaire se trouvait devant les tribunaux canadiens, les choses auraient été faites différemment. Il disait que, peu importe, son opinion sur le sujet, c'était la loi, et il devait en respecter la lettre, même si cela ne lui plaisait pas. Quand des questions relatives à l'équité étaient soulevées, il disait qu'il n'avait pas compétence, que cela relevait du ministre de la Justice.
    Encore une fois, je pense que nous devrions habiliter les juges, parce qu'ils sont plus indépendants. Je pense que les juges canadiens sont plus à même de prendre des décisions difficiles qu'un ministre de la Justice.
(1640)
    Merci.
    Merci, monsieur Naqvi.
    Nous allons ensuite passer à M. Fortin, pour deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Madame Tfaily, vous avez raison de dire que le tribunal qui entend la demande doit présentement tenir pour avérés les faits indiqués dans le rapport. Le procès ne vise pas à déterminer si l'individu est coupable ou non; il vise à déterminer s'il y a lieu ou non de l'extrader.
     Cependant, si l’on arrive à la conclusion qu'on ne procèdera plus à l'extradition selon le bon vouloir du ministre, mais plutôt en vertu de la décision du tribunal canadien, à votre avis, celui-ci devra-t-il donc tenir un procès en bonne et due forme pour décider de la culpabilité de l'individu?
    Est-ce ce que vous proposez?

[Traduction]

    Je ne pense pas que cela arrivera, mais si c'était ma décision personnelle, je pense que les poursuites devraient se faire au Canada. S'il doit y avoir un procès, je pense qu'il devrait avoir lieu au Canada, plutôt que le Canada procède à une extradition vers d'autres pays où il pourrait y avoir de la torture ou un long emprisonnement. Les règles de preuve pourraient être très différentes d'ici. Je pense qu'à des fins d'équité et pour garantir que les coupables sont traduits devant la justice, les poursuites devraient se faire au Canada. Avec Zoom — ce que nous avons fait tout au long de la pandémie — je pense que c'est réalisable, afin que les témoins qui ne veulent pas se rendre au Canada puissent comparaître par vidéoconférence.
    Si c'est difficile à mettre en œuvre, alors je pense que les juges devraient être habilités et la loi sur l'extradition, être modifiée, pour donner à la personne recherchée une chance réelle de se défendre.

[Français]

     Toutefois, dans un cas d'extradition, on suppose que le crime a été commis dans le tiers pays, et non ici. C'est donc un crime au regard des lois de ce pays-là. En principe, un juge canadien ne peut pas ou ne devrait pas décider d'un cas qui concerne un autre pays et qui est basé sur ses lois.
    Le fait qu'un juge qui ne connaît pas le droit applicable décide de la culpabilité d'un individu ne pose-t-il pas un problème d'équité procédurale et de justice, selon vous?

[Traduction]

    Allez‑y très rapidement, madame Tfaily.
    Le Canada a conclu des traités d'extradition avec de nombreux pays, et ils n'extradent personne vers le Canada. La France, par exemple, ne permet pas à ses citoyens d'être extradés au Canada. Plutôt, elle tient le procès en France pour eux. Pourquoi la France peut-elle le faire, alors que le Canada ne le peut pas? La France essaie de protéger ses citoyens, alors que le Canada tente souvent de les laisser sans protection.

[Français]

    Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci, monsieur Fortin.
    Monsieur Garrison, vous avez deux minutes et demie.
    Merci, monsieur le président.
    Je sais que nous avons commencé un peu tard et que nous allons avoir des problèmes de temps avec notre prochain groupe de témoins.
    Je terminerai en remerciant les témoins encore une fois, en particulier Mme Tfaily, dont la famille a connu d'énormes problèmes à ce sujet. Je pense que la force de son exposé aujourd'hui est un témoignage de la force de la famille. Je vous remercie encore une fois.
    Je remercie les témoins. Je tiens à remercier Mme Tfaily, M. Behrens et M. Singh de leur temps.
    Nous allons maintenant suspendre une minute ou deux le temps de vérifier le son pour notre prochain groupe de témoins.
    Merci.
(1640)

(1645)
    Nous reprenons.
    J'espère que vous tous sur Zoom et M. Neve ici présent avez appris mon protocole concernant les cartons de 30 secondes. Je vais lever un carton rouge lorsque votre temps sera écoulé. Je n'aime pas vous interrompre.
    Assurez-vous que votre interprétation se trouve sur la bonne chaîne, pour que nous n'ayons pas de problèmes d'interprétation. Pour les personnes sur Zoom, vous pouvez choisir le parquet, l'anglais ou le français. Pour les personnes présentes dans la salle, vous pouvez faire exactement la même chose.
    Nous allons commencer par entendre les déclarations liminaires de nos témoins pour cinq minutes.
    À titre personnel, nous accueillons M. Robert Currie, professeur de droit, Schulich School of Law, Université Dalhousie; Mme Joanna Harrington, professeure de droit, faculté de droit, Université de l'Alberta, par vidéoconférence; et Alex Neve, agrégé supérieur, École supérieure d'affaires publiques et internationales, Université d'Ottawa.
    Je vous remercie d'être revenus. Je pense que vous étiez tous convoqués l'autre jour. Malheureusement, à cause de problèmes techniques, nous avons dû remettre la réunion à plus tard. Merci de votre considération à cet égard.
    Je vais commencer par M. Currie, pour cinq minutes.
    Serait‑il possible de céder ma place à M. Neve? Je pense que ce serait mieux s'il mettait les choses en place.
    Nous vous donnons la parole en premier, monsieur Neve, pour cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Oui, nous avons un petit plan de match pour vous.
    Vous venez d'entendre parler du labyrinthe d'injustice concernant Hassan Diab de la bouche de son épouse, Rania Tfaily. Je voudrais commencer par reconnaître le courage et la qualité remarquable de cette femme et, comme beaucoup d'entre vous l'ont dit dans leurs commentaires, les injustices incroyables que la famille a subies.
    Je tiens également à souligner les principales leçons apprises de cette affaire, qui commence le 3 octobre 1980, lorsque quatre personnes ont été tuées et 40 autres blessées dans un attentat à la bombe terroriste à l'extérieur d'une synagogue à Paris, un crime déchirant pour lequel justice doit être rendue. Vingt-huit ans plus tard, le 13 novembre 2008, Hassan Diab, un citoyen canadien, a été arrêté à la suite d'une demande d'extradition de la France, et accusé d'avoir commis cette attaque. Durant les six années suivantes, il a fait l'objet de longues procédures d'extradition, mais a finalement été extradé vers la France.
    Vous avez entendu parler de la débâcle de la preuve manuscrite dans son affaire, que le juge de la Cour supérieure de l'Ontario, le juge Maranger, a décrite comme étant « très vulnérable à la critique et à la contestation ». Néanmoins, le juge Maranger a conclu qu'il n'avait d'autre choix que d'ordonner l'extradition, même si, selon ses propres termes « le dossier présenté par la République française contre M. Diab est faible; les perspectives de condamnation dans le contexte d'un procès équitable semblent peu probables ». Tel a été le résultat, car le seuil d'extradition est très bas.
    Hassan Diab a été emprisonné dans un établissement à sécurité maximale à Paris pendant trois ans et deux mois, en isolement cellulaire presque tout le temps. Il est bon de rappeler que les normes internationales en matière de droits de la personne reconnaissent qu'un isolement cellulaire prolongé au‑delà de 15 jours constitue de la torture ou un traitement cruel. Il a aussi été détenu aussi longtemps parce que, malgré les assurances données par les Français qu'ils étaient prêts à procéder à procès, ils ne l'étaient manifestement pas.
    Le faible dossier contre M. Diab s'est effondré davantage. Les juges ont fini par corroborer son affirmation de longue date selon laquelle il se trouvait au Liban pour passer ses examens universitaires au moment de l'attentat.
    Enfin, le 12 janvier 2018, les juges français ont conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve permettant de l'accuser et ont ordonné sa libération. Il est retourné au Canada, mais ce n'était pas terminé. Le procureur français a interjeté appel. L'appel a été confirmé, et, comme vous l'avez entendu, un procès contre lui aura lieu à Paris en avril. Son extradition n'a pas été demandée une seconde fois. Au lieu de cela, il est jugé par contumace, ce qui soulève bien sûr d'autres préoccupations en matière d'équité du procès et de justice. Qualifier son expérience de kafkaïenne serait un euphémisme radical.
    D'autres préoccupations sont apparues au sujet des procédures d'extradition antérieures, y compris des révélations selon lesquelles les avocats du gouvernement canadien n'ont pas divulgué des preuves disculpatoires montrant que les empreintes digitales de M. Diab ne correspondaient pas aux empreintes digitales au dossier et que les avocats du gouvernement conseillaient activement le gouvernement français sur la manière de renforcer son action en justice en voie d'effondrement contre M. Diab.
    Dans un rapport d'examen externe de 2019, l'ancien sous-procureur général de l'Ontario, Murray Segal, a conclu que l'affaire Diab avait été traitée de façon éthique, conformément au droit canadien. Toutefois, il a fait remarquer qu'il n'avait pas été chargé d'examiner les politiques et les lois canadiennes sur l'extradition de façon plus générale, et c'est cette réserve qui rend votre étude de la réforme de l'extradition si importante.
    Hassan Diab a extradé parce que les doutes et les malaises évidents du juge qui présidait le procès, à savoir que l'affaire était faible et qu'il avait peu de chances d'être condamné dans un procès équitable, n'avaient aucune importance. Il a été extradé alors que l'État requérant était manifestement loin d'être prêt à engager un procès. Il a été détenu sans procès pendant plus de trois ans, presque tout le temps en isolement cellulaire, ce qui constitue une violation manifeste des droits humains internationaux. Des preuves disculpatoires ont été retenues, et les avocats du gouvernement canadien semblaient plus désireux d'aider le gouvernement français que de défendre les droits d'un citoyen canadien.
    Un citoyen canadien peut être extradé vers la France dans des circonstances aussi fallacieuses que celles‑ci, alors que la loi française ne permet à aucun citoyen français d'être extradé vers le Canada. Tout cela s'est produit alors que M. Diab était représenté par certains des avocats de la défense les plus expérimentés du pays. Si cette parodie des droits de la personne est conforme à la loi canadienne sur l'extradition, il y a quelque chose qui ne va vraiment pas dans la loi sur l'extradition.
    Vous allez entendre une proposition de réforme formidable de la part de M. Currie.
(1650)
    Merci.
    Merci, monsieur Neve.
    Nous allons maintenant passer à M. Currie, pour cinq minutes.
    Nous allons vous laisser faire ce que vous voulez. Vous pouvez y aller pour cinq minutes, puis nous passerons ensuite à M. Currie.
    Merci beaucoup de me donner l'occasion d'être ici aujourd'hui.
    Je vais parler de trois domaines qui nécessitent une réforme de la loi sur l'extradition. Ma première préoccupation concerne la nécessité d'une plus grande transparence et de la divulgation par le gouvernement des données relatives à l'extradition.
    L'une des leçons tirées de la couverture médiatique de plusieurs affaires d'extradition litigieuses est que le public doit mieux comprendre le processus d'extradition, le rôle des tribunaux, le rôle du ministre et les délais en cause. Dans le cas de l'extradition de Meng Wanzhou, le ministère de la Justice a fini par publier une infographie, une fiche d'information et des renseignements statistiques, mais il en faut davantage.
    Le droit et la pratique en matière d'extradition ne sont pas bien compris par tous, et si nous voulons améliorer l'extradition, nous avons besoin des données détenues au sein du gouvernement. Je soupçonne que ces données montreront que, souvent, l'extradition n'est pas un processus aussi rapide et efficace qu'on le prétend. Nous devons comprendre pourquoi, et pour ce faire, nous devons divulguer l'information.
    Il existe des lois qui exigent que les ministres délégués préparent un rapport annuel au Parlement sur la mise en œuvre d'un traité et l'application d'une loi. La Loi sur la corruption d'agents publics étrangers en est un exemple. Elle exige que les ministres des Affaires étrangères, du Commerce international et de la Justice préparent conjointement un rapport sur la mise en œuvre de la Convention sur la lutte contre la corruption et sur l'application de la législation connexe.
    À mon avis, une obligation redditionnelle similaire est nécessaire dans la Loi sur l'extradition afin d'exiger la divulgation publique régulière du nombre de demandes d'extradition que le Canada reçoit, de quels pays et pour quels crimes. Ce rapport annuel au Parlement devrait fournir des renseignements sur l'évaluation des demandes reçues, les raisons de tout retard et le résultat final.
    Il serait également utile d'indiquer si la personne à extrader est un citoyen canadien ou un résident permanent. J'insiste sur ce dernier point, car les affaires qui ont duré de nombreuses années devant les tribunaux canadiens concernaient très souvent des demandes d'extradition de citoyens canadiens.
    Il est également nécessaire d'exiger la divulgation publique des assurances fournies par un pays étranger qui sont utilisées pour obtenir l'extradition d'une personne. Étant donné que la jurisprudence canadienne appuie le recours à des garanties diplomatiques pour atténuer tout risque potentiel lié aux droits de la personne, il existe une justification légale pour rendre ces assurances publiques. Le secret ne renforce pas la confiance dans la règle de droit, et la publicité renforcerait toute assurance fournie par un État étranger.
    Mon deuxième domaine d'intérêt concerne la nature cloisonnée de la pratique de l'extradition et sa centralisation au sein du ministère de la Justice. De par sa nature même, l'extradition concerne le droit international et les relations internationales et a des répercussions sur ceux‑ci. C'est pour cette raison, à mon avis, que l'extradition nécessite la participation du ministre des Affaires étrangères et du ministre de la Justice.
    La Loi sur l'extradition impose une obligation de consultation au ministre de l'Immigration, mais aucune obligation de consultation au ministre des Affaires étrangères, malgré l'expertise dont dispose le ministre des Affaires étrangères pour évaluer le bilan d'un État étranger en matière de droits de la personne, l'équité de ses procès et les conditions de ses prisons. Un ministère des Affaires étrangères a également la capacité d'entreprendre la surveillance postérieure à l'arrêté d'extradition recommandée par un comité parlementaire australien.
    Les considérations relatives aux affaires étrangères devraient également être abordées à un stade plus précoce du processus, dès la réception d'une demande d'extradition. Le ministère de la Justice du Canada pourrait être obligé de collaborer avec Affaires mondiales Canada pour examiner tous les motifs possibles de refus d'une demande d'extradition à l'étape préliminaire, plutôt que de nombreuses années plus tard dans les cas controversés. Par ailleurs, l'évaluation d'une demande d'extradition pourrait être confiée au procureur général du Canada en sa qualité d'officier de justice en chef, sans les responsabilités politiques du poste de ministre de la Justice.
    Le troisième domaine de réforme concerne le rôle du juge d'extradition. Puisque l'extradition suppose la perte du droit fondamental à la liberté d'une personne, il existe un fondement rationnel permettant d'attribuer un rôle plus solide au juge d'extradition. En effet, à l'époque victorienne, il incombait au juge de déterminer si l'extradition dans les circonstances était injuste ou oppressive. Aujourd'hui, la loi canadienne sur l'extradition exige que le ministre de la Justice prenne cette décision. En conférant un rôle plus solide au juge d'extradition, on permettrait à un tribunal d'examiner directement et ouvertement la situation d'une personne, les valeurs du système juridique canadien et le bilan du pays requérant en matière de droits de la personne.
(1655)
    Sur ce, je cède la parole à mon collègue, M. Robert Currie.
    La parole est à vous, monsieur Currie.
    Merci, monsieur le président. J'espère que cela aura valu la peine de m'attendre.
    Je suis honoré d'être invité à m'adresser au Comité et, bien sûr, je serai très heureux de répondre aux questions des membres après ma déclaration liminaire.
    Dès le début, des préoccupations ont été soulevées quant aux processus juridiques mis en place en vertu de la Loi sur l'extradition, et plus particulièrement quant à l'équité de ces procédures.
    La Cour suprême du Canada a elle-même soulevé des préoccupations dans sa décision de 2006 dans l'arrêt États-Unis c. Ferras et a mis en place des critères juridiques destinés à garantir l'équité. Cependant, des inquiétudes subsistent, comme le démontre de manière poignante l'affaire de M. Diab, comme vous l'avez entendu.
    En 2018, j'ai eu l'honneur de présider un colloque, animé par l'Institut MacEachen à l'Université Dalhousie, à Halifax, qui portait sur la réforme des lois, des politiques et des pratiques en matière d'extradition du Canada. Le colloque a réuni des personnes de tout le Canada, expertes en extradition, en droit international, en droit constitutionnel et pénal, en politique et en droits de la personne. Mme Harrington et M. Neve, qui comparaissent également ici aujourd'hui, en faisaient partie.
    Nous avons produit un document préliminaire qui faisait ressortir les problèmes d'extradition au Canada et avons proposé des solutions, sur lesquelles nous avons reçu d'autres commentaires durant une réunion subséquente animée par M. John Packer, à l'Université d'Ottawa.
    Le résultat final a été un document intitulé « Modifier les lois d'extradition du Canada: les propositions du colloque de Halifax pour la réforme du droit », que je désignerai comme les propositions de Halifax. Il a été publié en 2021, et il se trouve dans les documents qui vous ont été distribués en prévision de l'audience d'aujourd'hui.
    Le document compte 20 pages et couvre beaucoup de terrain, et je ne serais pas en mesure de l'examiner en détail pour vous. Ce que je veux signaler au Comité, cependant, c'est que les propositions de Halifax constituent un plan sérieux et détaillé de réforme du régime d'extradition du Canada, formulé par des personnes dont la motivation est d'améliorer le fonctionnement de ces lois et de protéger les droits fondamentaux des Canadiens.
    Les autres auteurs du rapport et moi-même espérons sincèrement qu'il pourra être utile dans le cadre d'un examen parlementaire sérieux sur cette question, comme l'a entrepris le Comité aujourd'hui dans le cadre de ces audiences.
    L'idée est de faire non pas du rafistolage, mais plutôt une vaste enquête. Au cœur du problème, il y a la proposition selon laquelle les lois, les politiques et les pratiques du Canada en matière d'extradition doivent être examinées et réformées conformément à trois principes généraux: premièrement, l'équité fondamentale; deuxièmement, la transparence; et troisièmement, le rééquilibrage des rôles. Par rééquilibrage des rôles, je veux dire qu'il faut rééquilibrer les rôles des tribunaux et du gouvernement, et qu'il faut aussi rééquilibrer les protections de la Charte et l'efficacité administrative.
    Je tiens à souligner que, bien qu'une grande partie du programme de réforme que nous proposons comprenne des modifications de la Loi sur l'extradition, la portée est beaucoup plus large que cela. Les propositions de Halifax portent sur l'ensemble des questions d'extradition auxquelles le Canada participe. Vous avez entendu une sélection de propositions qui sont incluses dans le rapport et qui trouvent beaucoup d'écho auprès de Mme Harrington, laquelle était bien sûr l'une des participantes au colloque de Halifax.
     Les propositions de Halifax, toutefois, portent sur les procédures judiciaires des audiences d'extradition qui ont lieu ici, au Canada, ainsi que sur le processus par lequel le ministre de la Justice prend la décision finale sur l'extradition de chaque cas. Cependant, elles formulent également des recommandations sur les aspects fondamentaux de l'extradition, y compris les pratiques du Canada en matière de signature et d'administration de traités avec d'autres pays; le rôle du Canada lorsqu'il s'agit d'assurer un traitement équitable des personnes une fois extradées; et la façon dont tout le processus doit respecter les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. Elles examinent de plus près le rôle du Service d'entraide internationale et font des suggestions sur la façon dont ce bureau pourrait jouer son rôle différemment et dont il pourrait être restructuré pour faciliter ce rôle différent.
    Je conclurai en disant que le monde de l'extradition a toujours été très obscur et qu'il est passé sous le radar du public, et qu'on a laissé s'aggraver des problèmes troublants. Plus les Canadiens entendent parler de cas comme celui de M. Diab, plus ils sont troublés. L'enquête du Comité représente une occasion historique pour les Canadiens de participer à un processus qui touche les droits des Canadiens et d'autres personnes et de veiller à ce qu'il soit administré de façon équitable et conforme aux principes de justice fondamentale.
(1700)
    Merci.
    Merci.
    Je tiens à vous remercier tous les trois.
    Nous allons commencer notre premier tour de questions. Comme nous avons commencé en retard, je vais faire des tours de cinq minutes, puis de quatre et de deux minutes, pour que nous puissions nous remettre sur les rails.
    Nous allons commencer par M. Brock pour cinq minutes.
(1705)
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier tous les témoins de leur présence et de leur participation à l'étude.
    Monsieur Currie, en ce qui concerne la conférence de Halifax, est‑ce que des membres du gouvernement fédéral étaient présents?
    Non. C'était... Je suppose que vous appelleriez cela un rassemblement de personnes aux vues similaires qui avaient déjà exprimé un intérêt pour la réforme de l'extradition. Je ne pense pas que c'était un secret. La réunion était connue publiquement, mais il n'y avait pas de participants de la Couronne.
    Après la conférence et avant la publication des recommandations en 2021, y a‑t‑il eu des consultations avec des membres du gouvernement fédéral concernant les détails de ces propositions?
    Pas avant la publication, non.
    Après la publication, pouvez-vous nous dire quelles discussions vous avez eues avec le gouvernement fédéral?
    Nous avons envoyé une copie du rapport au premier ministre, et une copie de ce rapport a été envoyée à un certain nombre de ministres, certainement le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Justice. Je n'arrive pas à me souvenir des autres, mais il y en avait plusieurs.
    Un certain nombre d'entre nous avons eu des conversations avec des parties intéressées, certainement avec des politiciens, je pense, aux échelons fédéral et provincial. Je suis assurément de ceux qui parlent d'extradition à quiconque veut bien écouter.
    Je vous remercie.
    Y a‑t‑il des membres du gouvernement fédéral qui ont exprimé une volonté de faire avancer l'une de ces propositions pour améliorer la Loi sur l'extradition?
    Les faire avancer...? De quelle façon, monsieur?
    Pour ce qui est d'accepter les recommandations et de présenter des suggestions au ministère.
    Non. Certes, le ministre de la Justice était au courant, et il s'agissait vraiment d'un exercice de sensibilisation. Si ma mémoire est bonne, toutes les conversations que nous avons eues étaient du type « Voici une proposition. Nous pensons qu'une réforme législative s'impose ». La réponse était toujours: merci beaucoup.
    D'accord.
    Dans une situation idéale, le gouvernement peut aller ou non de l'avant avec toutes vos recommandations, ou le Comité lui-même peut finir par produire une étude qui présente ces recommandations en votre nom. À défaut de cela, si vous deviez nommer, disons, vos trois principales propositions qui modifieraient de manière importante le paysage de l'actuelle Loi sur l'extradition — compte tenu des principes que vous avez abordés et expliqués, et aussi vu la question du respect de la Charte — quelles seraient, selon vous, les trois principales propositions que le Comité et le gouvernement devraient examiner sérieusement?
    Je pense que les changements du processus d'incarcération seront la priorité absolue. C'est vraiment là que se situe le cas de M. Diab en ce qui concerne les problèmes démontrables. Je souligne cela comme la première partie.
    Un certain nombre de changements pourraient être apportés. Certes, toute preuve disculpatoire dans les mains de la Couronne canadienne ou de l'État étranger devrait être divulguée à la défense. Nous proposons que la présomption de fiabilité du dossier envoyé par l'État étranger soit supprimée. Je suppose que vous diriez qu'il y a toute une série de problèmes.
    Ensuite, un certain nombre des motifs de refus prévus dans la loi sont attribués par le ministre de la Justice. Le ministre a le pouvoir de refuser pour certains motifs, par exemple si la personne risque de subir une double condamnation ou une oppression indue. Certaines de ces questions sont intrinsèquement juridiques, et nous pensons qu'elles ne sont pas nécessairement attribuées de manière appropriée au ministre, qui agit dans une capacité explicitement politique ainsi que juridique.
    Je suppose que ce serait la deuxième partie.
    Le troisième point consisterait à envisager la restructuration du Service d'entraide internationale, le SEI, et à répartir les fonctions entre le personnel et les avocats chargés de défendre la cause au nom de l'État requérant dans notre système accusatoire. Il n'y a rien d'inapproprié à faire cela, mais cette direction du bureau devrait être distincte de la direction où le ministre prend la décision d'extradition, afin que tout ne sorte pas d'une boîte noire.
    Je dirais que ce seraient mes trois principaux points.
    Merci.
    Merci, monsieur Brock.
    Nous allons maintenant passer à Mme Lena Metlege Diab pour cinq minutes.
(1710)
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Bienvenus à tous nos témoins. Je tiens à accueillir tout spécialement M. Currie, qui est un électeur de ma circonscription. Même si je ne le lui ai pas parlé concernant son témoignage aujourd'hui, j'ai reçu un message disant qu'il comparaîtrait aujourd'hui.
    Permettez-moi de vous remercier, ainsi que tous les témoins, pour tout le travail que vous avez accompli en 2021, au sein de l'Institut MacEachen, pour mettre en évidence cette lacune très importante dans certaines de nos lois.
    Le grand public au Canada comprend très mal l'extradition. J'ai votre rapport ici. Il y a 12 points. Permettez-moi de passer au neuvième point, où vous dites ceci:
Les activités du SEI devraient faire l'objet d'un contrôle par le gouvernement et le Parlement, et le public devrait avoir la possibilité d'examiner véritablement ses activités et le processus d'extradition en général. Pour ce faire, une transparence appropriée s'impose, de même que la publication de données et de renseignements.
    Où, selon vous, devrait se situer la surveillance proposée? Comment notre comité devrait‑il jouer ce rôle? De toute évidence, en présentant cette question aujourd'hui et en la présentant ici, nous commençons à jouer un rôle, mais que pouvons-nous faire d'autre en tant que parlementaires?
    Je suis désolé, madame Diab, mais me posez-vous cette question?
    Oui, monsieur.
    Merci.
    Mme Harrington a abordé quelques-unes des réponses à votre question dans ses observations.
    Je n'oserais pas dire au législateur comment faire son travail, mais on se sert déjà de certains mécanismes. Je pense au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui supervise le mécanisme canadien de collecte de renseignements et qui reçoit les rapports annuels sur le genre d'activités menées par certains ministères et certaines entités gouvernementales.
    Pour me faire l'écho de ce que Mme Harrington a dit, je crois que c'est un bon point de départ. Le Service d'entraide internationale pourrait avoir le mandat, dans le cadre de la Loi sur l'extradition, de produire un rapport annuel ou bisannuel qui fournirait des statistiques au sujet des types de demandes d'extradition qui ont été présentées et de l'état et de l'examen des dossiers, tout en caviardant, bien entendu, toute information secrète et confidentielle.
    Nous savons tous que les communications transmises d'État à État sont protégées par le secret professionnel, et je ne suis certainement pas en train de dire que tout doit être divulgué. Je sais que cela préoccupe le Service d'entraide internationale. Il y a une distinction à faire entre les communications proprement dites et le fait de les transmettre. On pourrait fournir là beaucoup d'information.
    De plus, je crois que le Comité pourrait tout à fait recommander au législateur de modifier la Loi sur l'extradition pour y intégrer l'obligation de publier les données sur un site Web. Lorsque je parle de données, je ne parle pas seulement de statistiques à cet égard; je parle également de politiques et de pratiques internes. Je vais citer l'exemple du gouvernement du Royaume-Uni, qui publie ses politiques gouvernementales concernant les méthodes de coopération internationale qu'il adopte. Il dit très ouvertement: « Voici les choses dont tient compte le secrétaire de l'Intérieur ». Il dresse ensuite une liste des facteurs à prendre en considération.
    C'est ce dont je parle et c'est ce que nous proposons dans les propositions de Halifax lorsque nous parlons de transparence et de la publication des données et des informations. Il est très utile et adéquat sur le plan démocratique que les Canadiens puissent avoir accès à cette information, une fois de plus, sous la réserve de la sécurité nationale, du secret professionnel et des relations internationales.
    J'ai une autre petite question à poser. Je sais que les témoins précédents ont traité de cette question, ainsi que les témoins ici.
    La Loi sur l'extradition énonce une série de motifs obligatoires ou discrétionnaires de refus d'extradition.
    Lequel de vous trois pourrait faire quelques commentaires, dans le temps qu'il me reste, sur ce qui vous paraîtrait être des motifs adéquats? Je sais qu'on a déjà fait des commentaires à ce sujet, mais j'aimerais en savoir un peu plus aux fins du compte rendu.
    Je vais faire un commentaire.
    Je dirais simplement que, selon moi, la grande disparité entre les peines du droit pénal canadien et celles du droit pénal des pays étrangers devrait être un motif de refus. Cela a posé problème dans de nombreux cas depuis que la nouvelle loi a été adoptée.
    J'en resterai là pour voir si mes collègues ont d'autres propositions.
(1715)
    Je vais poursuivre dans la même veine et ajouter à cela les préoccupations quant au fait que l'extradition entraînera la violation des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous allons ensuite donner la parole à M. Fortin durant cinq minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins qui sont avec nous.
    Monsieur Currie, votre rapport sur les propositions d'Halifax nous semble exhaustif et va sûrement nous inspirer.
    J'aimerais vous entendre sur la façon dont on devrait procéder. Par exemple, en matière d'extradition, on se préoccupe de savoir s'il y a des possibilités raisonnables que l'individu faisant l'objet d'une demande d'extradition soit reconnu coupable, éventuellement, des crimes dont on l'accuse dans l'autre pays.
    Ce n'est pas clair pour moi. De ce que je comprends, en ce moment, on dit qu'on tient pour acquis que le rapport déposé est fiable.
    Est-ce que, à votre avis, il y aurait lieu de mener le procès de l'individu ici, au Canada, pour s'assurer, avant de l'extrader, qu'il est coupable ou, à tout le moins, qu'il y a des chances hors de tout doute raisonnable qu'il soit trouvé coupable?

[Traduction]

    Merci d'avoir posé la question. Nous traitons de cette question dans notre rapport.
    C'est une option dans certains cas, où le Canada pouvait intenter des poursuites, mais où l'État étranger pouvait aussi le faire. Ce n'est pas une option dans chaque cas simplement en raison du droit international de la compétence et de la manière dont le Canada mène des poursuites criminelles, mais dans certains cas — et je mentionnerais plus particulièrement les cas qui concernent les Canadiens —, si cela concerne une situation transfrontalière, il se peut que le Canada puisse mener des poursuites au même titre que l'État étranger.
    Ce que nous proposons, ce n'est pas que des poursuites soient menées d'office au Canada dans de tels cas, quoique cela ne serait pas une mauvaise idée. Ce que nous proposons, c'est qu'il y ait une présomption. Il serait présumé que les Canadiens feraient l'objet de poursuites ici, au Canada, si c'était une option juridique, à moins que le gouvernement puisse montrer qu'il serait dans l'intérêt de la justice que la personne soit poursuivie dans le pays étranger. Le gouvernement du Royaume-Uni a adopté il y a environ une décennie une règle de ce genre qui s'appelle la règle du « forum bar ». Cette règle concernait des cas qui avaient causé énormément de désordre public au Royaume-Uni, où des personnes avaient été menacées d'être extradées aux États-Unis pour des activités qui étaient pour la plupart liées au Royaume-Uni.
    Nous pensons qu'une loi qui s'applique de la même manière pourrait être adoptée ici. Cette règle étofferait pleinement les droits des citoyens canadiens prévus à l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[Français]

    Cependant, le cas échéant, cela veut dire qu'on tiendrait un procès ici, au Canada, dans un tribunal canadien, pour décider de la culpabilité d'un individu qui aurait enfreint des lois étrangères, dans un pays où les lois et les infractions ne sont pas nécessairement les mêmes que chez nous. Le degré de la preuve peut être différent.
    On peut penser à de nombreuses situations où il pourrait être compliqué de tenir un procès au Canada avec un tribunal ou un juge qui ne connaît pas ou connaît peu les règles applicables dans l'autre pays.
    Une proposition comme celle-là ne cause-t-elle pas trop d'obstacles sur le plan procédural?

[Traduction]

    D'accord. Je crois que je comprends un peu mieux votre question.
    En principe, l'extradition est un outil important et nécessaire qui permet au Canada de respecter ses obligations internationales et de s'assurer que les personnes qui enfreignent la loi soient traduites en justice. Il y a sans doute davantage de cas où il convient de tenir des procès au Canada qu'à l'heure actuelle, mais il y aura toujours de nombreux cas où il conviendra aussi d'extrader une personne.
    En élaborant les propositions de Halifax, nous nous sommes préoccupés du fait que les audiences en matière d'extradition au Canada ne remplacent pas les procès dans un pays étranger. Nous nous attendons à ce qu'il y ait toujours des extraditions. Il y aura toujours des personnes qui seront traduites devant les tribunaux dans des pays étrangers. Ce que nous aimerions, c'est une manière plus juste de rendre des décisions pour savoir s'il faut ou non extrader une personne et, oui, cela supposera peut-être de tenir compte davantage du fonctionnement du système de justice pénale d'un État étranger, mais ces informations existent quelque part et peuvent être présentées devant un tribunal.
    Si, en plus de cela, le gouvernement porte davantage attention à la situation dans l'État étranger, de manière générale et à l'égard de cas particuliers, je crois que nous pourrons mettre en place un processus d'extradition qui fonctionne aussi bien, aussi efficacement et facilement, mais de manière plus juste afin d'éviter des dénis de justice, comme c'est le cas de M. Diab.
(1720)

[Français]

     Merci, monsieur Currie.

[Traduction]

    Merci, monsieur Fortin.
    Nous allons ensuite céder la parole à M. Garrison durant cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je veux remercier les témoins non seulement d'avoir présenté leur témoignage aujourd'hui — je sais que chacun d'eux a été un ardent défenseur de personnes concernées dans des affaires d'extradition dans d'autres situations —, mais aussi d'avoir permis la tenue du colloque de Halifax, qui a présenté au Comité un rapport très exhaustif et, je dois dire, très convaincant quant à la nécessité d'agir. Je remercie sincèrement les témoins aujourd'hui.
    J'aimerais poser des questions au sujet de certaines choses en particulier.
    L'une de ces questions concerne la communauté 2ELGBTQI+, et plus particulièrement le sort potentiel des Canadiens transgenres qui pourraient faire l'objet d'un processus d'extradition. Si je comprends bien, rien, dans la loi actuelle sur l'extradition, n'exige que la sécurité de ces personnes soit prise en considération dans une décision concernant une extradition.
    Je me demande si l'un de vous trois pourrait faire des commentaires à ce sujet.
    Allez‑y, madame Harrington.
    Oui, je peux répondre que je crois que c'est là que nous estimons nécessaire d'adopter à l'égard de l'extradition une approche résolument fondée sur les droits de la personne. Toutes sortes de droits de la personne fondamentaux doivent être pris en considération dans le cadre d'une décision sur la remise.
    Il y a, par exemple, au Canada, l'affaire Hurley, où le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Justice ont discuté des conditions qui devraient être imposées en cas d'extradition vers un pays où il y avait un problème de discrimination systémique contre un homme homosexuel, dans ce cas.
    Je crois que le recours continu à l'extradition conditionnelle, à laquelle nous assistons de plus en plus, exige de prendre en considération ce facteur. Il ne s'agit pas simplement de se demander si, « oui ou non, nous devons remettre une personne à un autre pays », mais si nous le faisons dans des conditions qui ne présentent aucun risque pour la personne concernée. Il y a déjà eu certaines pratiques de cette nature. Bien entendu, si l'autre pays présente un risque aussi élevé, alors je crois que les conditions ne seront pas sans risque et qu'il s'agit d'un cas où on devrait refuser l'extradition.
    La parole est à vous, monsieur Neve.
    Je vais poursuivre dans la même veine en disant que je crois que votre préoccupation est tout à fait justifiée.
    Je crois, tout comme Mme Harrington le dit, que cela reflète une lacune générale liée à la mise en place de solides mesures de protection des droits de la personne. Je crois que ce que vous cherchez à souligner, soit la préoccupation au sujet des personnes transgenres qui se retrouveront dans une situation d'extradition, est un exemple très grave et concret de problèmes qui pourraient survenir.
    Nous avons besoin de quelque chose de plus fiable. Nous avons besoin, par exemple, que l'ensemble des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne soient inscrites dans la Loi sur l'extradition et, comme le laissent entendre les propositions de Halifax, que la responsabilité de prendre ces décisions revienne peut-être plus au ministre et que cela fasse plutôt partie du processus judiciaire, où nous pouvons nous assurer davantage que les bonnes décisions sont prises.
    C'est vraiment le sens de ma deuxième question. Le rapport traite du transfert de certaines responsabilités du processus de décision sur la remise au processus d'incarcération.
    Si j'ai bien compris, ce que nous voulons dire, c'est que, si nous procédons ainsi, cela donnera plus de responsabilités au juge d'extradition, qui devra prendre des décisions sur des facteurs juridiques ou liés aux droits de la personne, ce qui, le cas échéant, laisse au ministre la responsabilité de tenir compte de facteurs uniquement politiques et, peut-être, de facteurs liés au suivi.
    Je crois que c'est tout à fait juste. Les préoccupations concernant les droits internationaux de la personne doivent être prises très au sérieux et ne pas faire uniquement partie d'un processus politique discrétionnaire, et c'est la raison pour laquelle nous croyons que ces questions devraient relever d'un juge.
    M. Currie souhaite peut-être ajouter quelque chose.
    Oui, cela serait l'essentiel de ce que j'ai à dire également.
    Les questions concernant les droits de la personne, à mon avis, ne sont pas des questions politiques. Ce sont des questions juridiques, parce que les droits sont reconnus par la loi. Ils sont censés être affirmés, reconnus et protégés par les lois canadiennes et les lois internationales. Le Canada a des obligations à ces deux égards.
    Fondamentalement, les questions axées sur les droits de la personne — et nous parlons en fait des questions relatives au processus pénal, comme l'incarcération, la double incrimination et ainsi de suite. Ce sont, essentiellement, des questions juridiques sur lesquelles devraient se pencher les tribunaux, qui sont les seuls qui soient habilités à le faire. En toute franchise, dans notre système accusatoire de prise de décision, les deux parties — la personne recherchée et son conseil, et le gouvernement — peuvent présenter des éléments de preuve sur lesquels sont fondées ces décisions, donc je crois que les tribunaux sont mieux placés pour traiter de bon nombre de ces questions.
(1725)
    Monsieur le président, vous pouvez m'interrompre maintenant.
    Merci.
    Je veux remercier tous les témoins.
    Malheureusement, nous n'aurons pas droit à un autre tour, mais je souhaite vous remercier de votre temps, et merci, une fois de plus, d'être revenus malgré les difficultés techniques que nous avons eues la dernière fois. Vos témoignages ont été aujourd'hui très instructifs, et j'ai également hâte de lire certaines de vos observations.
    Nous allons nous occuper maintenant de certains travaux du Comité. Je tiens à rappeler à tous que les listes de témoins pour notre prochaine étude sur le système de cautionnement du Canada devraient être présentées au plus tard vendredi, à la fin de la journée. Chaque parti devrait présenter ses listes.
    Enfin, on vous a envoyé le budget provisoire pour notre demande de voyage. Il est presque identique au dernier, à quelques dollars près en raison du moment de sa présentation. Nous avons une date limite pour le présenter à nouveau, qui est demain, je crois.
    Je constate que M. Garrison est très heureux de participer à cette étude, nous allons donc en prendre note. Je plaisante.
    Sérieusement, j'aimerais qu'on note que je m'oppose à cette dépense.
    J'en prends bonne note.
    Sommes-nous d'accord pour présenter à nouveau le budget applicable au prochain cycle?
    Des députés: D'accord.
    Le président: Merci.
    La séance est levée.
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