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SINT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL TRADE, TRADE DISPUTES AND INVESTMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DU COMMERCE, DES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 27 novembre 1997

• 1522

[Traduction]

Le président (M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.)): La séance est ouverte.

Chers collègues, nous participons cet après-midi à la onzième réunion du Sous-comité du commerce qui examine l'AMI. Le comité a effectivement été saisi de la question par le ministre du Commercial international, qui nous demandait, dans une lettre adressée au comité, de consulter la population canadienne au sujet de l'AMI et de lui faire part de ses observations et des nôtres, au sujet de cet accord.

Cet après-midi, nous accueillons à nouveau les hauts fonctionnaires des ministères concernés, qui seront nos derniers témoins. Ils étaient nos premiers témoins, et ils sont de retour pour clore notre examen de l'AMI.

Il n'y aura donc pas de déclarations liminaires aujourd'hui. Je voudrais donc passer tout de suite à la période des questions. Je sais que bon nombre de membres du comité ont des questions à poser, alors nous essaierons cet après-midi de clarifier un certain nombre de points en obtenant des réponses à ces questions.

Quand nous aurons terminé la période des questions, le comité devra se réunir à huis clos. Il nous faut vos conseils sur l'orientation future du comité.

Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): On dix minutes, monsieur le président, ou c'est illimité?

[Traduction]

Le président: Oui, 10 minutes.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Monsieur Dymond, bienvenue pour une troisième fois devant notre comité. Vous aviez accompagné le ministre la première fois. Donc, on va y aller tout de suite avec les questions.

Au Bloc québécois, nous avons préparé une dizaine de questions. Je vais en poser le maximum. Quant aux autres, je vous les ferai parvenir et nous allons espérer une réponse par écrit. Lors de son témoignage devant le sous-comité, vous étiez présent et le ministre Marchi nous avait dit que toutes les provinces appuyaient le gouvernement fédéral à la table des négociations sur l'AMI.

Or, hier, un représentant du gouvernement de la Colombie-Britannique est venu témoigner devant nous pour nous dire que la Colombie-Britannique s'opposait vigoureusement à l'AMI et ne le signera jamais. Comment espérez-vous signer un accord qui touche des compétences partagées et provinciales sans l'approbation des provinces?

[Traduction]

M. William Dymond (négociateur en chef, Accord multilatéral sur l'investissement (AMI), ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Voulez-vous que je réponde à une question à la fois?

M. Benoît Sauvageau: Oui.

M. William Dymond: Monsieur le président, merci beaucoup de votre accueil. Je suis accompagné par les mêmes personnes que l'autre fois, et avec votre permission, je leur demanderai de répondre aux questions qui sortent de mon domaine d'expertise.

Le président: Auriez-vous donc l'obligeance de nous les présenter?

M. William Dymond: Je suis accompagné de M. Doug Anderson, du ministère des Finances; de M. Blair Hankey, avocat-général délégué, Loi commerciale, qui est rattaché à mon propre ministère; et de M. Rob Ready, du ministère de l'Industrie. Ce sont les membres de l'équipe de négociation de l'AMI.

• 1525

Pour répondre à la première question, permettez-moi de vous dire tout d'abord que j'étais tout aussi surpris par la déclaration d'hier. Tous les gouvernements provinciaux ont soutenu jusqu'à présent notre participation aux négociations et ont défini, avec plus ou moins de précision, les intérêts qu'ils cherchaient à défendre dans ce contexte, intérêts dont tient rigoureusement compte la position de négociation du Canada.

Je vous ferais également remarquer—en réfléchissant aux positions des différentes provinces, que les préoccupations sur lesquelles elles ont voulu attirer notre attention—et je cite, à titre d'exemples, la protection des services de santé et sociaux—sont des préoccupations qui intéressent au plus haut point le gouvernement fédéral, étant donné nos importantes responsabilités—moins grandes que celles des provinces mais tout de même importantes—et qu'elles sont à l'origine même de notre détermination d'obtenir une protection adéquate dans tous ces domaines, comme nous avons réussi à le faire dans le contexte de l'ALENA.

Pour répondre à la dernière partie de votre question, nous sommes toujours en négociation. Il s'agit d'un travail en cours, et nous allons continuer d'entretenir des rapports des plus étroits avec les provinces. Je vous signale à titre d'information que notre prochaine réunion sur l'AMI se tiendra le 10 décembre, c'est-à-dire deux jours après la prochaine séance de négociation.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Lors de votre premier témoignage, vous aviez répondu à une de mes questions sur le pourcentage d'approbation des provinces requis pour adhérer à l'AMI en disant que c'était une question hypothétique. Maintenant que la Colombie-Britannique a affirmé qu'elle ne voulait pas signer l'AMI, puis-je vous poser à nouveau la question, qui n'est plus hypothétique? Combien de provinces doivent être d'accord pour que vous signiez cet accord-là?

[Traduction]

M. William Dymond: Monsieur le président, je reviens sur la réponse que j'ai donnée à la première question. Ce n'est que tard hier soir que j'ai reçu le mémoire de la Colombie-Britannique, et nous sommes actuellement en train d'étudier en profondeur les préoccupations qu'elle y exprime. Comme je le disais tout à l'heure, bon nombre d'entre elles sont également des préoccupations pour le gouvernement fédéral et pour d'autres provinces, et j'espère donc—d'ailleurs, tel est notre objectif—que nous en arriverons à un texte qui répondre de façon adéquate à l'ensemble de ces inquiétudes.

Deuxièmement, pour ce qui est du pourcentage, disons qu'il s'agit moins d'une question hypothétique que d'une question qui appelle une réponse différente. Le comité n'est certainement pas sans savoir que le gouvernement fédéral a le pouvoir exclusif de conclure un traité et prend donc l'initiative de toute négociation devant mener à la conclusion d'un traité. C'est le gouvernement fédéral qui conclut des traités d'envergure internationale qui ont force obligatoire en droit international.

Dans le domaine que je connais le mieux—c'est-à-dire les accords commerciaux—nous avons adopté au fil des années une approche à la fois souple et pragmatique. Au fur et à mesure que les questions abordées dans le cadre des négociations commerciales relevaient de plus en plus de la compétence des provinces, nous avons trouvé de nouveaux mécanismes qui convenaient à la fois à nos partenaires commerciaux et aux provinces, et nous continuerons de travailler avec eux pour trouver les meilleurs mécanismes possibles.

La grande priorité dans tout cela n'est pas le mécanisme mais le fond; autrement dit, elle consiste à s'assurer que l'accord satisfait aux exigences du Canada et de l'ensemble des régions du Canada.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Donc, même si les provinces ne sont pas d'accord, le Canada a le pouvoir de signer cet accord.

Pour l'instant, le gouvernement ne négocie l'AMI qu'en ce qui a trait aux compétences fédérales. À quel moment le gouvernement s'attend-il à impliquer les provinces dans les négociations à Paris?

[Traduction]

M. William Dymond: Monsieur le président, dans ces négociations, comme c'est d'ailleurs le cas de toute négociation commerciale, nous représentons non seulement le gouvernement fédéral mais l'ensemble du Canada, conformément à la répartition des compétences prévues dans la Constitution et eu égard à l'approche souple et pragmatique dont je vous parlais tout à l'heure.

Jusqu'à présent—et je veux que ce soit bien clair—nous avons dit à nos partenaires commerciaux à Paris qu'il ne faut absolument pas présumer que les provinces sont visées par cet accord par le fait même que le gouvernement fédéral participe aux pourparlers. Nous travaillons en étroite collaboration avec les provinces, cependant, pour nous assurer qu'elles y trouveront leur compte.

• 1530

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Pourriez-vous nous dire quel est le résultat des négociations avec les provinces sur la protection des normes du travail et des normes environnementales? Pourriez-vous nous dire quelle sera la position du Canada quant à l'inclusion de normes obligatoires dans l'accord ou dans des accords parallèles?

[Traduction]

M. William Dymond: Nous n'avons pas eu d'autres rencontres avec les responsables provinciaux pour discuter de ces questions depuis nos dernières discussions devant ce comité. Cependant, nous avons certainement l'intention de mettre l'accent sur les questions intéressant le travail et l'environnement quand nous allons poursuivre notre dialogue à la réunion du 10 décembre. De plus, comme mon ministre l'a précisé, nous devons consulter—et nous sommes actuellement en train de le faire—l'ensemble des intéressés du secteur environnemental, de même que les syndicats. En fait, nous avons eu une troisième réunion avec les représentants du CTC la semaine dernière.

Quand ces consultations auront pris fin, et notamment quand le rapport du comité aura été transmis au ministre, le gouvernement annoncera sa position et donnera des directives en conséquence à la délégation participant aux pourparlers.

Deuxièmement, sur la question des accords parallèles, dans le contexte de l'ALENA, ces accords parallèles concernent essentiellement le droit ou l'obligation d'appliquer la législation environnementale. Le gouvernement du Canada estime qu'il n'a pas besoin d'être tenu, en vertu d'un accord international, d'exécuter ses propres lois. Il le fait déjà; d'ailleurs, ce n'est pas quelque chose qui pose tellement problème dans les pays membres de l'OCDE, alors que c'était effectivement un problème pendant les négociations de l'ALENA. Le Canada et les États-Unis jugeaient problématiques l'éventuelle exécution par le Mexique de ses propres lois environnementales. J'ai l'impression que cette question générale, qui est déjà importante, le deviendra encore plus quand nous entamerons à l'OMC les négociations mondiales sur l'investissement mondial.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: La quasi-totalité des témoins nous ont dit que ce ne serait pas catastrophique si le Canada ne signait pas à la fin de la dernière ronde de négociation.

Selon vous, quelles seraient pour le Canada les conséquences de ne pas signer un accord qui n'est pas à l'entière satisfaction de la population québécoise, de la population canadienne et des provinces en général?

[Traduction]

M. William Dymond: Monsieur le président, je crois avoir déjà affirmé—peut-être un peu plus à titre de confidence dans certains cas—que le travail du négociateur ou de l'équipe de négociation consiste à tout faire pour obtenir les résultats recherchés tout en se préparant à d'autres résultats. Pour nous, le succès se résume ainsi: un accord que le Canada et les provinces jugeront satisfaisant. Cet accord devra donc reprendre l'essence des droits et obligations que prévoit l'ALENA. Je ne peux vraiment pas vous dire pour quelles raisons il serait peut- être impossible de conclure un tel accord, mais il ne fait aucun doute que si l'accord définitif s'écartait trop des droits ou obligations que prévoit l'ALENA, cela susciterait certainement de sérieuses questions. À part cela, tout ce que je pourrais vous dire serait de pures conjectures.

Comme vous le savez, le ministre a clairement défini notre objectif dans ces négociations, et nous ne l'avons jamais perdu de vue. Notre objectif consiste à reproduire dans cet accord les droits et obligations que prévoit l'ALENA. Voilà pourquoi nous résistons à toute proposition qui aurait pour conséquence d'imposer au Canada des obligations supplémentaires, par rapport à l'ALENA, ou de lui retirer des droits dont il jouit actuellement.

Le président: Vous avez dépassé de loin le temps qui vous était imparti, mais je vous permets néanmoins de poser une petite question complémentaire.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: C'est un optimisme de bon aloi. On vous a parlé de deal breaker en ce qui a trait aux normes environnementales, aux normes du travail et à la clause globale d'exception culturelle. Cependant, vous pourriez être un peu plus loquace sur ce qui pourrait être un accord non satisfaisant.

• 1535

Vous nous avez dit, lors de votre première comparution, qu'il n'y avait pas de différence juridique entre une exception et une réserve. Pouvez-vous nous expliquer alors l'impact des clauses de standstill et de rollback sur les réserves? Une réserve pourrait-elle être permanente et donc non soumise au rollback?

[Traduction]

M. William Dymond: Oui, et ce faisant, je me reporte au modèle de l'ALENA. L'article 1108 de l'ALENA définit justement les conditions rattachées aux réserves, mais prévoit également la possibilité de ce qu'on appelle des réserves non consolidées, qui sont ensuite précisées à l'annexe B pour le Canada, les États- Unis et le Mexique.

Mais si je peux essayer de m'en tenir à l'essence de tous ces termes un peu creux, je m'attends à ce que l'AMI renferme une disposition qui reprend, en termes juridiques, cette notion de statu quo et qu'elle précise qu'on y trouve les réserves qui sont gelées, sous réserve de l'obligation prévue à l'annexe X, par exemple. Elle va également définir les conditions rattachées aux réserves non consolidées—c'est-à-dire les réserves qui ne peuvent être gelées—et elle vous reportera à l'annexe Y pour découvrir en quoi consistent ces réserves.

Voilà donc, grosso modo, le modèle qu'on retrouve dans l'ALENA. Il existe toute une gamme de modèles, mais l'effet juridique sera de créer une série de réserves qui sont gelées. Comme je l'expliquais au comité la dernière fois, certaines de nos réserves—en fait, plus de la moitié de nos réserves en vertu de l'ALENA, sont gelées; en même temps, il existe une deuxième série de réserves non consolidées qui constituent des exclusions, c'est-à-dire des secteurs qui ne sont visés par aucune obligation, si ce n'est peut-être la transparence. Cette approche est tout à fait conforme à l'engagement qu'a pris le ministre lors de sa déclaration devant le comité, à savoir que le Canada n'accepte pas que le principe du statu quo vise l'ensemble des réserves que nous pourrions apporter à l'accord.

J'ajouterais simplement qu'à notre avis, l'effet juridique d'une exception générale et d'une réserve non consolidée est exactement le même.

Allez-vous nous remettre ces questions par écrit? Nous pouvons certainement attendre de les recevoir.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Monsieur le président, y aura-t-il un deuxième tour? A-t-on seulement un tour de questions?

[Traduction]

Le président: Nous n'allons pas quitter cette salle tant que nos témoins n'auront pas répondu à toutes les questions des députés. Il faudrait peut-être envisager de faire venir un dîner.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Merci, monsieur le président.

Je souhaite de nouveau la bienvenue à M. Dymond et à ses collaborateurs.

Monsieur Dymond, je veux être absolument sûr de bien comprendre le mécanisme qui va permettre aux provinces de participer à tout ce processus. Vous avez dit que vous allez négocier pour l'ensemble du Canada. Moi, j'aimerais savoir par quel mécanisme les provinces pourront adhérer à l'accord, si elles décident de le faire. Pourriez-vous nous l'expliquer brièvement?

M. William Dymond: Oui. Comme je l'expliquais en répondant à la dernière série de questions, c'est le gouvernement fédéral qui a le pouvoir exclusif de conclure des traités. Par conséquent, c'est le gouvernement fédéral qui prend l'initiative d'entamer ces négociations et qui signe tout traité qui en découle, à condition que ce dernier soit jugé acceptable.

En ce qui concerne une éventuelle entente avec les provinces relativement au respect des dispositions de cet accord, il s'agit là d'une question purement nationale que le gouvernement fédéral devra régler avec les provinces. Par le passé, nous avons recouru à différentes méthodes pour y arriver. Nous avons prévu un mécanisme particulier dans le cadre de l'ALENA, et un autre, à l'OMC. Donc, nous explorons actuellement toutes les possibilités, et ce afin d'en arriver à un accord qui, du fait de suivre le modèle de l'ALENA, sera jugé satisfaisant par toutes les provinces.

Il n'existe pas de modèle tout fait ou de mécanisme auquel on puisse automatiquement recourir dans un tel contexte. D'après notre expérience, tout dépend du sujet du traité ou de l'accord et de la mesure dans laquelle le traité signé par le Canada concerne des questions qui relèvent de la responsabilité des provinces.

• 1540

M. Charlie Penson: De toute façon, les provinces n'auront pas à signer un accord contre leur gré.

M. William Dymond: Si, étant donné que la question de la signature d'un accord international par les provinces ne se pose même pas.

M. Charlie Penson: Je voudrais également savoir si vous avez l'intention d'entamer des discussions avec les provinces sur la mise en oeuvre de cet accord?

M. William Dymond: Oui, nous le faisons déjà. Cette question a déjà été abordée dans le cadre de nos discussions. Cependant, nous ne pouvons pour le moment parvenir à quelque entente que ce soit avec les provinces car la question qui se pose tout de suite est celle de savoir ce qu'on met en application. Et on va évidemment appliquer l'accord définitif, s'il est jugé satisfaisant par les parties concernées.

Nous visons un accord—et nous estimons qu'il sera possible de le conclure—qui reprend les droits et obligations précisés dans l'ALENA sans modifier de quelque façon que ce soit les obligations des provinces en vertu de l'ALENA vis-à-vis des États-Unis et du Mexique, si ce n'est dans le sens d'une extension de ces mêmes droits et obligations aux autres pays membres de l'OCDE.

M. Charlie Penson: Je voudrais passer à un autre sujet. Certaines préoccupations ont été exprimées en comité, notamment la semaine dernière, concernant l'expropriation, ce qu'est la véritable expropriation et la possibilité que les gouvernements soient touchés si les règlements qu'ils adoptent prévoient ce qu'une entreprise pourrait considérer comme une expropriation. Je me demande donc si vous êtes en mesure de nous éclairer à ce sujet et de répondre donc à cette préoccupation précise.

Certains témoins s'inquiétaient, par exemple, de la possibilité que des règlements enlèvent aux administrations provinciales le droit de modifier leur politique sur les forêts dans un autre secteur. Ce serait considéré par les entreprises comme un cas d'expropriation, ce qui donnerait lieu à de nombreuses actions devant la justice.

M. William Dymond: Nous avons suivi de très près cet élément du débat—et même tous les éléments du débat en comité, et nous sommes donc sensibles aux préoccupations exprimées par certains témoins. Le gouvernement estime cependant que l'application des lois environnementales canadiennes et des règlements d'accompagnement—si c'est bien de cela que vous parlez—ne peut être assimilée à une expropriation. Nous n'accepterions pas que soit incorporée dans l'AMI aucune disposition qui limite la capacité du gouvernement de renforcer la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Toutes les entreprises implantées au Canada, qu'elles appartiennent à des étrangers ou des Canadiens, sont nécessairement soumises à toute la rigueur de la loi.

Je suis conscient du fait que les juristes canadiens ne sont pas nécessairement d'accord sur le sens qu'il faut donner à ce terme, mais nous sommes bien obligés de prendre position sur la question, et telle est donc notre position.

M. Charlie Penson: Dans le même ordre d'idées, monsieur Dymond, on nous a également dit qu'il ne serait pas suffisant qu'un pays apporte une réserve à l'accord dans le domaine de l'environnement—c'est-à-dire qu'il faudrait une exclusion générale pour l'environnement. Est-ce l'approche que vous comptez adopter dans ce domaine?

M. William Dymond: Nous comptons nous assurer que cet accord ne nuira en rien au pouvoir des administrations d'adopter des règlements dans le domaine de l'environnement. Il a été proposé—et nous étudions actuellement cette possibilité—qu'à la place d'une exception—même si l'on pourrait aborder la question de cette façon—on adopte le modèle de l'article 20 du GATT, qui dit ceci: «Le présent accord ne pourra en aucune manière être interprété comme étant de nature à empêcher un pays d'adopter des règlements...» En tout cas, voilà l'idée générale.

D'ailleurs, cette idée a été proposée par plusieurs personnes—et pas seulement dans le contexte du travail du comité—et nous allons donc l'étudier sérieusement. Cette proposition a également été mise sur le tapis à Paris. Mais nous nous en tenons à notre position fondamentale, à savoir que nous n'accepterons jamais qu'on incorpore dans cet accord une disposition qui cherche à limiter le droit d'un gouvernement d'adopter des règlements dans le secteur de l'environnement ou, comme nous l'avons dit la dernière fois, dans tout secteur d'activité normalement soumis à la réglementation gouvernementale—c'est-à-dire tout secteur où l'interaction entre le gouvernement et le secteur privé est normale—tant que l'on respectera le principe de la non-discrimination.

• 1545

M. Charlie Penson: Donc, si tel n'était pas le résultat de la prochaine ronde de négociations sur l'AMI, pensez-vous que ce serait une raison suffisante pour ne pas signer l'accord? Si le Canada ne pouvait obtenir cette protection, refuserait-il d'adhérer à l'accord?

M. William Dymond: Pour ce qui est de votre question précise, je ne pense pas que la prochaine ronde de négociations va permettre d'aboutir à quelque entente que ce soit à cet égard. J'ai l'impression que la question du travail et de l'environnement, vu ses multiples complexités, sera l'une de celles qui se régleront d'une façon ou d'une autre vers la fin des négociations.

Deuxièmement, vous comprenez, j'en suis sûr, que ce sont des ministres qui vont prendre la décision, et non des fonctionnaires.

Troisièmement, si jamais il se trouvait—et nous ne sommes pas de cet avis, mais les négociations sont toujours en cours—que l'accord porte atteint d'une façon ou d'une autre au droit du gouvernement d'adopter des règlements, cette atteinte à nos droits préoccuperait non seulement le gouvernement du Canada, mais la grande majorité des gouvernements représentés à la table des négociations à Paris. Certains d'entre eux, d'après ce qu'on m'a dit, ont la réputation d'être, comme diraient certains Canadiens, beaucoup plus «exigeants» que le Canada en ce qui concerne la réglementation environnementale. Donc, si cela se produisait, je n'arrive même pas à imaginer quelle serait la réaction des Hollandais et des Allemands, par exemple.

M. Charlie Penson: Juste pour essayer de cerner le problème, et là je reviens sur la question de l'expropriation, parce qu'elle semblait susciter énormément de préoccupations la semaine dernière... certaines personnes semblaient craindre, si le Canada adhère à l'AMI, qu'il y ait tôt ou tard une nouvelle ronde, et que d'innombrables poursuites soient intentées contre le gouvernement canadien pour expropriation. Comment réagissez-vous à cela?

M. William Dymond: J'ai deux réactions. D'abord, la définition de l'expropriation n'ira pas plus loin que celle de l'ALENA. Par conséquent, si cette définition-là pose problème, et si c'est celle qu'on décide de garder, le problème que nous aurons à régler sera de plus grande envergure. À ce moment-là, il concernera l'ALENA, nos accords d'investissement bilatéraux, et tous les accords d'investissement bilatéraux modernes qu'envisagent de signer la plupart des pays du monde—et qui sont au nombre de 1 300, comme nous l'avons précisé la dernière fois.

Deuxièmement, quant à savoir si d'autres actions pourront être intentées à l'avenir je n'ai pas de raison ni d'affirmer ni d'infirmer ce que vous dites. Mais personnellement, il me semble peu probable que le fait d'étendre les principes et dispositions de fond de l'ALENA à 26 autres pays membres de l'OCDE change de façon importante les mécanismes associés à l'expropriation, du moins l'application de ces mécanismes au Canada.

M. Charlie Penson: Pour conclure, depuis l'entrée en vigueur du chapitre de l'ALENA traitant des investissements, il y a eu un seul cas—celui d'Ethyl—de poursuites intentées contre le Canada en vertu de la règle sur l'expropriation. Un comité d'examen en est actuellement saisi mais nous ne savons pas encore sur quoi tout cela va déboucher. Donc, on ne peut certainement pas prétendre qu'une multitude d'actions ont été intentées contre le Canada depuis l'entrée en vigueur de ce modèle.

M. William Dymond: Oui, c'est exact.

Le président: Madame Bulte.

Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Monsieur Dymond, j'aimerais que vous m'expliquiez la position du Canada et les arguments que vous avancez auprès de l'OCDE concernant l'article traitant de la non-discrimination. Si je regarde rapidement le chapitre IV, «Traitement général»... je vous invite à vous reporter tout de suite à ce chapitre. Cela concerne la protection de l'investissement, et c'est à l'article 1.2 du chapitre IV.

M. William Dymond: Traitement général?

Mme Sarmite Bulte: C'est exact. Le texte se lit ainsi:

    Une partie contractante n'entrave pas par des mesures [déraisonnables ou discriminatoires] [...]

—des termes qui sont dissociés dans ce contexte, à mon avis, à la différence de «déraisonnable et discriminatoire».

Mais quelle est la position du Canada à ce sujet? Je sais ce que c'est que la non-discrimination, mais que signifie le terme «déraisonnable»? Et qui va devoir définir ce terme? Pourquoi n'y a-t-il pas de définition? S'il est question de non- discrimination, ça c'est une chose, mais que signifie le terme «déraisonnable»?

Et quelle position a été prise par le Canada à ce sujet à l'OCDE? Sommes-nous en faveur de la version où ces deux termes sont dissociés ou plutôt de l'autre version?

• 1550

M. William Dymond: Vous avez tout à fait raison de dire que c'est une norme très différente, et qu'il est beaucoup plus difficile de prouver que des mesures sont à la fois déraisonnables et discriminatoires. La protection dont jouit l'investisseur en vertu de cette disposition-là est donc moindre.

Je n'ai pas besoin de vous dire que cette question a fait l'objet d'un débat il y a environ un an. Elle n'est pas revenue sur le tapis depuis. Cette expression reste entre crochets. À mon avis, notre position—bien que nous n'ayons pas de position très ferme là-dessus—consiste à favoriser une protection accrue pour l'investisseur.

Certains pays sont d'avis que la formule «déraisonnable et discriminatoire», qui assure une protection moindre pour l'investisseur, est celle qu'il faut adopter, et nous avons suivi de près ce débat.

On ne retrouve pas ce concept dans l'ALENA.

Il s'agit d'un point encore en litige que nous allons examiner plus en profondeur.

Mais pour vous dire vrai, aucune des parties à la table des négociations ne semble y voir une question prioritaire. C'est important, mais pas autant que les questions les plus délicates.

Mme Sarmite Bulte: Il me semble que l'expression «déraisonnable ou discriminatoire» correspond à une norme moins rigoureuse, car si l'on a le choix, la partie concernée n'a pas besoin de prendre des mesures discriminatoires, à condition qu'elles soient déraisonnables. Mais cela ne correspond pas du tout à la non-discrimination, telle que je la comprends. On parle de non-discrimination dans un cas et de mesures déraisonnables dans l'autre. À mon sens, les deux choses sont totalement différentes. Je me demande donc pourquoi nous avons besoin de ce terme «déraisonnable» et si le Canada ne devrait pas proposer la suppression de ce terme.

Le président:

[Note du rédacteur: Inaudible]... la différence entre les deux termes. Je suis d'accord.

M. Blair Hankey (avocat-général délégué, Division du droit commercial, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Le terme «déraisonnable» est certainement plus général que le terme «discriminatoire», et c'est aussi un terme qui est repris d'un certain nombre d'accords bilatéraux européens sur l'investissement. Je dois dire que c'est un terme qui ne nous enthousiasme pas tellement. Il n'est pas utilisé ni dans nos accords bilatéraux, ni dans l'ALENA, mais comme nous négocions avec 29 parties, il est tout à fait normal, dans le cadre de nos débats, que trois des parties se reportent au texte d'un accord particulier—l'ALENA, mettons—et que les 26 autres parties ne soient pas nécessairement d'accord pour conserver ce texte. Donc, en fin de compte, le texte définitif représente un compromis, et nous continuons de débattre des conséquences de chacun de ces termes; il est clair, cependant, que «raisonnable» ou «déraisonnable» sont plus généraux que le terme «discriminatoire». Nous savons ce que signifie le terme «discriminatoire». C'est un terme plus rigoureux.

Des termes comme «équitable» et «raisonnable» s'emploient dans différents contextes dans des traités de ce genre. Nous n'y avons jamais eu recours, comme je vous le disais il y a quelques instants, dans le cadre de nos accords bilatéraux sur l'investissement, mais nous sommes bien obligés d'écouter le point de vue des autres partenaires autour de la table, et nous allons devoir décider si nous sommes ou non prêts à l'accepter et à essayer d'en déterminer les conséquences.

Mme Sarmite Bulte: Ai-je donc raison de croire que la position du Canada consiste à favoriser l'emploi du terme «discriminatoire», ou serait-il plus juste de dire que nous n'avons pas encore pris position sur la question?

M. William Dymond: Je me permets d'attirer votre attention sur un article parallèle de l'ALENA intitulé «Norme minimale de traitement». C'est à l'article 1105. Cet article traduit bien notre approche et celle des États-Unis dans ce domaine. Voilà ce qu'il dit:

    Chacune des parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d'une autre partie un traitement conforme au droit international, notamment un traitement juste et équitable [...]»

Ainsi nous exprimons en un seul paragraphe ce qui est exprimé ailleurs en deux paragraphes.

Il est question un peu plus loin des biens qui seraient perdus par suite de troubles, et un seul paragraphe suffit pour le faire, alors que dans le cas de cette ébauche, il en faut plusieurs.

Notre position, c'est que l'ALENA doit toujours être notre point de référence.

Je précise que je n'ai pas encore déterminé—et à cet égard, je serais reconnaissant au comité de bien vouloir me faire profiter de ses conseils à ce sujet—si l'expression «déraisonnable et discriminatoire» ou «déraisonnable ou discriminatoire» ou juste le terme «discriminatoire» serait préférable, mais vous semblez dire que le terme «discriminatoire» est celui qui correspond le plus au concept qui sous-tend l'article 1105.

• 1555

Encore une fois, comme le précisait mon collègue, M. Hankey, nous ne pouvons insister pour que les autres 26 membres de l'OCDE acceptent le texte intégral de l'ALENA, même si nous sommes convaincus que c'est ce modèle-là qu'il faut absolument suivre.

Mme Sarmite Bulte: Merci.

Sur la question de l'expropriation, l'une des préoccupations exprimées par certains témoins concerne le fait que les tribunaux d'arbitrage du commerce international semblent attribuer un sens beaucoup plus général au terme «expropriation». Il a maintenant une acception plus large et ne désigne plus que l'acte matériel qui consiste à exproprier une usine, mettons, notamment dans le contexte des actions intentées par les États-Unis contre des pays du Moyen-Orient, où toute mesure qui atteint la capacité de l'entreprise de maintenir ses bénéfices est assimilée à l'expropriation.

Est-il question de définir dans cet accord le terme «discrimination»? Allons-nous devoir respecter les décisions prises en ce moment par ces tribunaux d'arbitrage, qui ont tendance à élargir de plus en plus la définition du terme «expropriation»? Ou serait-il souhaitable de définir ce terme dans le contexte de l'accord?

M. Blair Hankey: Il existe en droit international une jurisprudence assez substantielle sur la question de l'expropriation. La jurisprudence qui a le plus de poids dans ce contexte est nécessairement celle de la Cour internationale de justice. Le Tribunal d'examen des demandes d'indemnisation Iran—États-Unis aurait donc une priorité moindre pour ce qui est du caractère obligatoire de son droit jurisprudentiel pour les autres tribunaux. Il est vrai que le Tribunal d'examen des demandes d'indemnisation Iran—États-Unis a effectivement élargi la définition du terme «expropriation» puisqu'il s'est écarté quelque peu de la définition classique, mais nous ne sommes pas du tout convaincus qu'un groupe spécial d'examen constitué en vertu de l'ALENA ou de l'AMI serait nécessairement tenu d'utiliser ces mêmes définitions.

Quoi qu'il en soit, l'exception relative aux pouvoirs de la police ou aux pouvoirs de réglementation dans le contexte de l'expropriation est très clairement reconnue en droit international. On fait également une distinction en droit international entre les expropriations indemnisables et celles qui ne le sont pas. À notre avis, même les cas d'expropriation donnant lieu à l'exercice des pouvoirs de la police ou du pouvoir de réglementation ne seraient pas considérés indemnisables en droit international.

Mme Sarmite Bulte: Ne seriez-vous pas en faveur d'une définition du terme «expropriation»? Ne pensez-vous pas qu'elle soit nécessaire dans cet accord?

M. Blair Hankey: À mon sens, ce serait extrêmement difficile à faire. Dans le contexte d'accords internationaux, notamment quand les avis sont partagés sur la définition d'un terme, les négociateurs préfèrent très souvent s'appuyer sur la jurisprudence pour préciser différents concepts. C'est ainsi que se constitue normalement le droit international, et le droit national aussi.

Mme Sarmite Bulte: Merci.

J'ai une question à poser au sujet de l'exemption culturelle. Au Comité permanent du patrimoine canadien, nous avons entendu aujourd'hui un exposé sur l'industrie multimédia. Au Canada, l'industrie culturelle est à l'origine de 25 p. 100 des activités de ce qu'on appelle l'industrie multimédia. L'une des choses qui me préoccupent, c'est que la définition de la «culture» qu'on retrouve dans l'ALENA ne fait aucunement mention du secteur multimédia. Je reconnais que ce dernier ne fait pas encore l'objet de réglementation; il s'agit effectivement d'un secteur non réglementé pour le moment. Serait-il donc souhaitable d'inclure le secteur multimédia dans la définition de «culture»? Et qu'arrivera-t-il si nous décidions de le soustraire à l'exemption culturelle?

M. William Dymond: Merci. Il s'agit justement de l'un des domaines—et celui-ci est particulièrement important—au sujet desquels nous sollicitons des conseils. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt les mémoires présentés au sous-comité par les différents groupes qui ont comparu devant vous. Je leur ai dit, comme je l'ai également dit aux membres du GCSCE chargé de la culture quand je les ai rencontrés cette semaine, que l'une des questions au sujet desquelles nous avons besoin de conseils est justement celle de la définition de «culture».

• 1600

La définition formulée en 1993 était conforme à la situation à cette époque-là et a donc été jugée satisfaisante par les groupes culturels. La question que nous posons à nos interlocuteurs et que nous explorons nous-mêmes est la suivante: étant donné que cinq ans se sont écoulés depuis que nous avons élaboré le texte de l'ALENA traitant du changement technologique, cette définition convient-elle toujours ou faut-il la modifier?

Personnellement, je veux entendre le point de vue de tout le monde, et je suis sûr que le ministre souhaite que tous ceux qui s'intéressent à la question lui fassent part de leurs vues. Certains diront oui, et d'autres diront non. Bien sûr, nous travaillons en très étroite collaboration avec Patrimoine canadien et nous allons justement rencontrer les représentants de ce ministère demain pour en parler. Mais nos délibérations sont très fortement influencées par les vues des groupes les plus touchés.

Si je peux me permettre, vous avez vraiment mis le doigt sur l'une des questions les plus critiques de ces négociations en ce qui concerne le dossier culturel.

Le président: Monsieur Brison.

M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Merci, monsieur le président.

J'ai une question à poser sur le chapitre XI de l'ALENA, qui traite de la protection de l'investissement, et plus précisément sur le dossier Ethyl. Le projet de loi C-29, déposé par l'actuel ministre du Commerce international lorsqu'il était ministre de l'Environnement, était conçu pour protéger les Canadiens contre un additif qu'on jugeait nuisible à l'environnement et dangereux pour la santé publique.

Si nous envisageons maintenant d'étendre les dispositions du chapitre XI à 29 États, il me semble clair que rien ne garantit—surtout si l'on se fonde sur cette seule expérience—qu'une loi environnementale que déposerait le gouvernement canadien à l'avenir afin de protéger les Canadiens contre ce genre de risque environnemental ne pourrait pas faire l'objet d'une action devant la justice. Donc, il s'agit là d'un problème très important, puisque les mains du gouvernement et des bureaucrates seraient effectivement liées... Cela aurait certainement un effet dissuasif sur les bureaucrates et les élus, qui hésiteraient à proposer toute nouvelle réglementation qui puisse exposer le gouvernement à des poursuites judiciaires se chiffrant à 350 millions de dollars—ou même beaucoup plus.

J'aimerais bien connaître votre réaction à tout cela.

M. William Dymond: Je ne peux évidemment me prononcer sur une cause qui est actuellement devant la justice, et je ne vais donc pas le faire. Ce que je peux vous dire, cependant, c'est qu'en vertu de nos lois, toute personne physique ou morale a le droit de poursuivre le gouvernement pour des mesures qu'elle juge arbitraires ou contraires aux lois canadiennes. Si vous craignez un éventuel effet dissuasif, il me semble que la première cause de cet effet serait le droit des entreprises canadiennes de recourir aux poursuites judiciaires chaque fois qu'elles estiment avoir été lésées par le gouvernement. Par contre, même si cet accord n'est pas adopté, l'éventuel effet dissuasif, par rapport aux lois ou règlements environnementaux, restera intact en raison du droit des citoyens de poursuivre le gouvernement.

M. Scott Brison: Le gouvernement a déposé ce projet de loi pour une seule raison, à savoir le risque que posait le MMT. Même si ce risque ne s'est pas révélé réel, vous nous dites essentiellement que ni le gouvernement ni le contribuable canadien ne seraient protégés à l'avenir contre toute loi environnementale bien intentionnée.

Ce fut d'ailleurs le cas de... Deux actions ont été intentées contre le gouvernement en vertu des dispositions du chapitre XI. Elles constituent une menace grave pour la politique environnementale canadienne.

• 1605

Mais quand on peut négocier de nouveaux accords commerciaux, on a l'avantage de pouvoir tirer les enseignements du passé et, je l'espère, de prévoir des mécanismes qui vont permettre d'éviter que l'on soit exposé à ce risque. Je crois comprendre d'ailleurs qu'Ethyl Corporation a des chances raisonnables d'avoir gain de cause dans son action contre le gouvernement.

Je sais que vous ne pouvez pas vous prononcer sur ce cas précis, mais vous pouvez certainement assumer la responsabilité des risques auxquels sont exposés les contribuables canadiens dans un cas semblable. Maintenant nous souhaitons accorder cette même possibilité à 29 pays. Ne serait-ce qu'à cause de cette possibilité, les Canadiens seront exposés à des risques considérablement plus importants.

Êtes-vous disposés à examiner de près les défauts du chapitre XI, si défaut il y a, et à garantir à la population canadienne que vous allez essayer de déterminer quels aspects de ces dispositions posent problème, par rapport aux trois dossiers qui sont actuellement à l'étude, par exemple? Le gouvernement canadien n'étudie peut-être pas suffisamment les accords commerciaux que nous avons déjà signés avant d'envisager de déposer de nouveaux projets de loi. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles une analyse des répercussions sur les administrations fédérale, provinciales et municipales s'impose; il est possible que certains programmes fédéraux, provinciaux et municipaux soient tout de suite jugés contraires aux termes de ces accords.

M. William Dymond: Merci. Je pars du principe qu'il s'agit là d'une simple observation. Il reste que vous soulevez une question très importante. D'ailleurs, elle concerne non seulement le chapitre XI, mais d'autres accords qui prévoient ces mêmes dispositions et que nous sommes actuellement en train de négocier. Il convient aussi de vous faire remarquer qu'il ne s'agit pas là d'une invention du gouvernement du Canada qui a vu le jour avec l'ALENA; c'est une disposition qu'on retrouve couramment dans les accords bilatéraux sur l'investissement des différents pays du monde. Mais vous soulevez un point important, et nous allons évidemment tenir compte de vos préoccupations et de celles du comité à ce sujet.

M. Scott Brison: J'ai une dernière question à vous poser.

Plusieurs témoins nous ont dit pendant nos audiences que les mains du gouvernement seront liées, et qu'il ne sera plus vraiment en mesure de déposer de nouvelles lois, notamment des lois environnementales. Ainsi même si le gouvernement souhaite proposer de nouvelles lois environnementales et veut que ces nouvelles lois et règlements d'application visent l'ensemble des entreprises, à la fois étrangères et canadiennes, implantées au Canada, il n'aura plus le pouvoir de le faire en raison du principe du statu quo. Il s'agit justement de l'une des grandes préoccupations des témoins que nous avons reçus, mais j'aimerais bien que vous essayiez d'y répondre.

M. William Dymond: Je suis tout à fait en désaccord avec vous à ce sujet. Le principe du statu quo n'a rien à voir avec cela. Il s'agit d'une obligation précise que vous pouvez ou non accepter par rapport aux réserves spécifiques que vous apportez à un accord. Dans le cas de l'ALENA, par exemple, nous avons accepté que soient gelées nos restrictions touchant la domination étrangère des transporteurs aériens canadiens, et nous envisageons de maintenir ce gel. Cela ne semble susciter aucune controverse. Mais que vous aimiez ou non le principe du statu quo, il ne s'applique aucunement aux règlements environnementaux, ni à aucun autre secteur réglementé.

Quand j'ai vu que cette question avait été soulevée, je me suis dit que ce genre de chose risquerait de préoccuper tous les gouvernements qui participent aux négociations. Je peux difficilement imaginer que le gouvernement allemand ou britannique ou hollandais accepte de signer un accord qui fasse obstacle à leur droit d'adopter des règlements, non seulement maintenant mais à l'avenir, quand les connaissances scientifiques auront progressé et que les défis environnementaux auront évolué grâce à l'avènement de nouvelles technologies. Ce serait tout à fait contraire à nos principes. De toute façon, la question du statu quo dans ce sens-là ne se pose même pas.

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): J'ai plusieurs questions à poser au sujet des termes «déraisonnable» et «discriminatoire». Il me semble que si la position de l'équipe canadienne consistait à réclamer l'expression «déraisonnable et discriminatoire», plutôt que le simple terme «discriminatoire»—ce qui semble être votre préférence—cette position-là cadrerait davantage avec notre perception des autres droits.

• 1610

Notre propre Charte canadienne des droits et libertés précise que certaines restrictions de nos droits ne sont possibles que lorsqu'elles peuvent être considérées raisonnables dans le contexte d'une société démocratique. Donc, nous reprenons nous-mêmes dans nos propres lois ces termes «raisonnable» et «déraisonnable», et je ne sais pas au juste pourquoi il ne conviendrait pas d'y recourir cette fois-ci dans le contexte du droit commercial.

Vous avez dit à M. Brison que les sociétés ont déjà accès aux tribunaux nationaux. Vous l'avez d'ailleurs affirmé à plusieurs reprises. Mais nous avons reçu de nombreux témoignages indiquant que la tradition jurisprudentielle des tribunaux nationaux en matière d'expropriation est très différente de ce à quoi on peut s'attendre du droit jurisprudentiel, qui reste inconnu pour le moment, qui résultera du recours aux mécanismes obligatoires de règlement des différends commerciaux. Il est très difficile de savoir ce qui arrivera, surtout qu'on ne peut même pas savoir quelle position est adoptée par le gouvernement canadien dans le dossier Ethyl, par rapport aux causes qui sont devant les tribunaux nationaux, où on peut se renseigner sur les arguments avancés et éventuellement porter un jugement là-dessus. De plus, tout ce processus se déroule—et c'est l'une des raisons pour lesquelles de nombreux groupes sont mécontents, me semble-t- il—et quoi qu'il arrive, il continuera de se dérouler à huis clos entre avocats commerciaux représentant les différents pays, et les conditions ne seront pas les mêmes que devant les tribunaux nationaux.

J'essaie de mieux comprendre la situation parce que vous affirmez que le gouvernement pourra continuer d'adopter des lois environnementales. Ce n'est pas pour plaisanter que je vous dis cela, mais je me demande vraiment ce que ça vaut, votre opinion? En réalité, nous ne le saurons que le jour où une entreprise décidera d'attaquer le gouvernement canadien en recourant à ce mécanisme de règlement des différends; c'est là que nous saurons si votre opinion est juste ou si le groupe d'étude chargé de régler ce différend a une interprétation tout à fait autre de l'AMI? En tant que pays, nous ne pouvons qu'espérer que vous avez raison, mais en même temps, si nous acceptons d'adhérer à cet accord, nous nous exposons toujours au risque qu'un groupe spécial chargé de régler un différend commercial n'en décide autrement, à moins que l'on prévoie une exception pour les mesures environnementales, exception qui n'existe pas pour le moment et qui n'est même pas préconisée par le gouvernement canadien, d'après ce que j'ai pu comprendre.

Ai-je bien résumé la situation...?

M. William Dymond: Sur la question des critères qu'appliqueront les tribunaux internationaux, par rapport aux tribunaux nationaux, je vais demander à M. Hankey de vous répondre, car je ne voudrais pas faire l'objet de poursuites, moi.

Je me permets cependant de vous faire remarquer, monsieur Blaikie, que vous soulevez une question tout à fait fondamentale en ce qui concerne le règlement des différends: le gouvernement devrait-il accepter d'être visé par des mécanismes de règlement des différends, comme il le fait pour le GATT et toute une gamme d'accords? Si nous le faisons,—et nous avons toujours vigoureusement défendu la nécessité de procédures de règlement des différends efficaces et limitées dans le temps—c'est évidemment parce que ces mécanismes permettent de protéger nos intérêts économiques—c'est-à-dire les intérêts de nos exportateurs, de nos fournisseurs de services, et dans le cas de l'accord que nous négocions et que nous envisageons de conclure, les intérêts de nos investisseurs. Nous nous sommes toujours beaucoup intéressés aux mécanismes de règlement des différends que prévoient nos accords bilatéraux sur l'investissement, l'ALENA, et maintenant, cet accord.

Je suis très heureux de pouvoir vous dire qu'autour de la table, M. Hankey est reconnu comme un expert parmi les représentants qui participent aux discussions.

Pourquoi cette question nous intéresse-t-elle à ce point? Eh bien, pour les mêmes raisons qui nous incitent à réclamer vigoureusement des règles internationales afin d'équilibrer les forces, c'est-à-dire celles des pays puissants qui n'ont pas besoin de règles, et celles des pays moyens et petits, qui en ont besoin. De bons mécanismes de règlement des différends vont justement de pair avec un régime qui met tout le monde sur un pied d'égalité.

Donc, nous voyons les deux faces de la médaille. Il y a bien sûr un certain risque pour les mesures canadiennes, non seulement dans le domaine de l'investissement mais aussi dans le contexte du GATT et de l'OMC, car ces mesures peuvent éventuellement faire l'objet d'actions de la part de nos partenaires qui décident de recourir aux mécanismes de règlement des différends. Mais il ne faut pas oublier l'avantage que présente une bonne procédure de règlement des différends dans le contexte de ces accords pour les exportateurs et investisseurs canadiens.

Si je comprends bien votre argument—qui est semblable à celui de M. Brison, vous vous demandez si nous ne devrions pas y réfléchir longuement avant de faire en sorte que les graves défauts de l'ALENA soient reproduits dans un accord qui va viser l'ensemble des pays membres de l'OCDE. En réalité, c'est une question même plus vaste, parce qu'elle est liée à la possibilité, pour les entreprises et les citoyens canadiens, c'est-à-dire des personnes physiques ou morales, d'intenter des poursuites devant les tribunaux nationaux, et à l'arrangement que nous avons conclu avec le pays où nous faisons la majeure partie de nos investissements et les 24 ou 25 autres pays où nos investissements sont de plus en plus importants.

• 1615

Donc, sans vouloir sous-estimer l'importance de cet élément, j'ai toujours pensé que si jamais cela pose problème, dans le cas de l'AMI—à condition, bien entendu, que l'accord dans ce domaine précis prenne la forme qui nous semble la plus probable et que nous défendons vigoureusement—ce sera un problème très mineur.

Voulez-vous que j'aborde la question des normes?

M. Bill Blaikie: Je ne voudrais pas que tout mon temps de parole y passe.

M. William Dymond: Ah, bon. Excusez-moi.

M. Bill Blaikie: J'ai quelques autres questions à vous poser.

Le président: Allez-y.

M. Bill Blaikie: Je voulais simplement vous dire que certains prétendent au contraire—et leur raisonnement me semble tout à fait crédible—qu'il y a une grande différence entre les arguments qu'on avance devant un tribunal national et ceux qu'on avance devant un groupe d'experts chargé de régler un différend commercial. J'ai écouté attentivement votre réponse, et vous ne semblez pas m'avoir contredit. En fin de compte, votre interprétation de l'accord sera mise à l'épreuve par la suite devant un groupe d'experts. En ce qui nous concerne, c'est un compromis valable, étant donné que les Canadiens qui investissent dans d'autres pays bénéficieront d'un traitement semblable. Très bien. Chacun devra décider lui-même si c'est un compromis qui en vaut la peine.

Je voulais également vous poser une question au sujet des provinces. D'autres vous l'ont déjà demandé, mais je veux que ce soit bien clair. Vous dites que c'est la même formule que pour l'ALENA. Eh bien, dans le cas de l'ALENA, vous avez bien signé au nom des provinces, n'est-ce pas? Les provinces doivent bien se conformer à l'ALENA.

M. William Dymond: Oui, mais...

M. Bill Blaikie: Elles sont visées par certaines réserves, mais elles sont également tenues de se conformer aux dispositions de l'ALENA.

M. William Dymond: Oui, mais elles n'ont pas signé...

M. Bill Blaikie: Et le gouvernement fédéral a le pouvoir de signer l'accord. Les provinces individuelles n'ont pas signé l'accord.

M. William Dymond: C'est exact.

M. Bill Blaikie: C'est vrai?

M. William Dymond: Oui, c'est vrai, elles ne l'ont pas signé.

M. Bill Blaikie: Ah, bon. Ce serait donc pareil pour l'AMI. Le gouvernement fédéral signe pour les provinces—il signe pour l'ensemble du pays—et c'est justement ce sur quoi j'insistais hier. Tout le monde a poussé des cris, mais c'est bien cela la réalité. Il s'agit simplement de savoir si les provinces vont se conformer au document signé par le gouvernement fédéral. Et la question de conformité est quelque chose qui se négocie entre le gouvernement fédéral et les provinces—ce qui est tout de même très différent du fait de savoir que le gouvernement fédéral a ou non le pouvoir de signer pour les provinces.

Hier, les représentants de la délégation de la Colombie- Britannique nous ont dit que selon eux, les provinces servent dans ces négociations de monnaie d'échange. S'il subsiste autant de doutes concernant les provinces et le fait de savoir si elles sont visées ou non par l'accord, c'est en partie parce que l'équipe de négociation canadienne, que vous dirigez, tient les provinces un peu en réserve, si vous voulez, pour qu'elles puissent servir de monnaie d'échange—autrement dit, si vous nous donnez ceci et cela, nous vous donnerons les provinces. Ce n'est pas...

M. Julian Reed (Halton, Lib.):

[Note du rédacteur: Inaudible]

M. Bill Blaikie: Pardon? Écoutez, on m'a affirmé des mois durant que le secteur énergétique ne serait pas visé par l'Accord de libre-échange, mais quand les différents éléments de l'Accord ont été révélés, on a bien vu qu'il y était. Il faut être bien naïf pour ne croire que ce qu'on vous dit. Toutes sortes de choses peuvent se passer dans le cadre de négociations comme celles-ci, surtout pendant les dernières 48 heures, si le gouvernement veut à tout prix conclure un marché.

Donc, quelle est votre position? Quand allez-vous prendre une décision au sujet des provinces? Je veux savoir quels seront vos critères. Je sais que votre décision ne dépendra pas du désir ou non des provinces d'y participer, parce que...

Le président: Bill, donnez-lui l'occasion de vous répondre.

M. Bill Blaikie: Oui.

M. William Dymond: Monsieur le président, avec votre permission, je voudrais revenir brièvement sur l'autre question afin de répondre aux conclusions de M. Blaikie. Je tiens à affirmer tout d'abord que les normes qu'on retrouve dans l'AMI, sous la forme qu'il semble prendre à l'heure actuelle, et en droit international en général, sont tout à fait conformes aux normes juridiques canadiennes. Là où le traitement que prévoient les lois, règlements et politiques canadiens n'est pas conforme à l'AMI—par exemple, dans le cas des politiques culturelles—nous envisageons de demander des exceptions ou d'apporter des réserves.

• 1620

Je ne voudrais pas que vous restiez sur l'impression que nous concluons des accords internationaux prévoyant des mécanismes efficaces de règlement des différends sans savoir du tout quels critères juridiques s'appliqueront. Ce serait tout à fait irresponsable. Nous ne l'avons jamais fait jusqu'à présent, et je ne peux pas concevoir que nous le fassions à l'avenir.

En ce qui concerne les provinces, bien que les représentants de la Colombie-Britannique aient bien le droit d'avoir cette opinion, je rejette catégoriquement cette perception des choses et je vais d'ailleurs leur dire très clairement que je rejette la notion selon laquelle les provinces servent de monnaie d'échange dans ces négociations pour permettre au gouvernement fédéral d'obtenir quelque chose.

D'ailleurs, il est tout à fait faux de prétendre, à l'égard des questions les plus épineuses que soulève l'AMI—c'est-à-dire les réserves, les normes du travail et environnementales, et les autres éléments dont nous avons discuté—que l'intérêt du fédéral s'oppose à celui des administrations provinciales.

J'ai parlé tout à l'heure des services de santé et sociaux. D'après moi, nos intérêts sont identiques dans ce secteur. Pour ce qui est de l'exception culturelle, nos intérêts et ceux des provinces—notamment le Québec et l'Ontario, qui ont exprimé leurs préoccupations particulières à ce sujet, même si toutes les provinces y voient un enjeu important—ne sont guère différents.

Quand nous, en tant qu'équipe de négociation, nous affirmons qu'une exclusion ou une réserve non consolidée s'impose pour les services de santé, sociaux et d'éducation, nous représentons les intérêts du Canada dans son ensemble. Nous savons tous que sans être prépondérantes, les responsabilités du gouvernement fédéral dans ce secteur sont importantes. Mais le fait que le rôle fédéral ne soit pas prépondérant n'atténue aucunement nos importantes préoccupations concernant l'éventuel impact de cet accord sur ces différents secteurs.

Ce que nous essayons de faire—et je m'évertue toujours à en convaincre mes collègues des administrations provinciales—c'est rendre cet accord attrayant pour les provinces. Si nous opposons toujours une certaine résistance, c'est parce qu'un certain nombre de pays tiennent pour acquis... Il s'agit des États unitaires, qui sont dans la majorité. C'est normal, et ils pourront tirer toutes les conclusions qu'ils voudront. Quand un pays comme le Canada, les États-Unis ou l'Australie signe l'accord, ses provinces et ses États sont automatiquement visés par cet accord.

Mais je leur ai dit: non, la situation n'est pas la même au Canada. Vous allez devoir nous convaincre tous, c'est-à-dire tout le Canada et l'ensemble des administrations concernées, de la valeur de cet accord, ce que vous n'avez pas encore fait.

Telle est donc la position que nous avons adoptée et que nous continuons de défendre. Il n'est certainement pas vrai de dire que les provinces servent de monnaie d'échange dans ces négociations pour permettre au gouvernement fédéral d'obtenir un avantage quelconque.

Le président: Merci. Vous aurez un autre tour tout à l'heure, monsieur Blaikie.

Monsieur Sauvageau, je vous laisse poser une question rapide.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Merci, monsieur le président, et merci aussi à M. Nault. Vous êtes bien gentil. Je vais être bref parce que, malheureusement, je dois quitter bientôt. Comme je vous l'ai dit, je vais vous remettre les autres questions.

Lorsque vous avez comparu devant le comité le 5 novembre, vous avez dit que la clause française était une clause self judging, ce qui est un peu paradoxal. Les représentants de la SOCAN, jeudi dernier, nous ont présenté une proposition concrète sur l'exception culturelle qui reflétait surtout l'avis contraire, à savoir que la clause française n'était pas self judging.

Vous avez dit aussi que vous aviez lu avec attention les témoignages. Avez-vous revu votre position personnelle et la position du Canada sur l'aspect self judging de la proposition française?

[Traduction]

M. William Dymond: Oui, et cet examen est toujours en cours. Certains aspects de la proposition française m'ont beaucoup intéressé. Je pense que cela venait de la SOCAN. Mais lors d'une réunion avec nous, les représentants du Conseil des arts du Canada nous ont tout de même dit qu'à leur avis, la définition française était trop générale et vague pour assurer une bonne protection.

On peut aussi prétendre l'inverse: c'est-à-dire que plus le texte est vague, mieux on est protégé. M. Appleton était cependant d'avis que le libellé de l'exception française était satisfaisant.

Je pense qu'on peut dire que les avis sont toujours partagés à ce sujet. La SOCAN a demandé une exception autonome qui renferme néanmoins un certain nombre de définitions du secteur culturel. Il s'agit évidemment de notions fondamentalement contradictoires. Si un secteur est autonome, il est autonome. On ne précise pas ce qu'il englobe, parce que vous allez décider vous-même de ce qu'il englobe. Ou pour éviter tout doute, vous précisez qu'il s'agit du secteur de l'édition ou du cinéma, selon la définition qui a été convenue.

• 1625

Donc, nous sommes actuellement en train d'examiner tous ces éléments, et comme je vous le disais tout à l'heure, le ministre sera certainement ravi de bénéficier des conseils du comité à ce sujet; nous allons également consulter d'autres intervenants clés pour avoir leur opinion sur le sujet. Bref, nous examinons la question, mais cet examen n'est pas encore terminé.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: En ce qui a trait à Helms-Burton, avez-vous des appuis pour la proposition qu'on retrouve aux pages 162 et suivantes? Le Canada compte-t-il des appuis pour sa proposition? Et comment nos amis, les Américains, ont-ils réagi face à cette proposition?

[Traduction]

M. William Dymond: Sans grand enthousiasme, me semble-t-il.

En mars 1996, une semaine ou deux après la promulgation de la Loi Helms-Burton, nous avons lancé les discussions à Paris et présenté des propositions. Par la suite, ces propositions ont été modifiées par l'Union européenne, mais je peux affirmer que les propositions canadiennes ont l'appui de tous les membres de l'Union européenne et des pays signataires de l'ALENA. Bien que certaines délégations ne se soient pas prononcées, personne ne s'y oppose. Il reste que les États-Unis n'ont pas manifesté un grand enthousiasme pour ces propositions; je qualifierais leur appui de modéré. Il s'agit d'un domaine particulièrement problématique.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je sais que vous avez fait preuve de beaucoup d'optimisme et que vous allez continuer à faire preuve de beaucoup d'optimisme. Cependant, je ne sais pas si vous allez pouvoir ou vouloir répondre à la question suivante. Vous pourriez tout simplement y répondre par un oui ou un non.

Le Canada peut-il ne pas signer l'AMI?

[Traduction]

M. William Dymond: Oui, bien sûr; tout est possible.

Au terme de ces négociations, le gouvernement devra regarder le texte et se demander s'il le juge satisfaisant ou non. Il est tout à fait possible que le gouvernement refuse de signer. Le simple fait de participer à des négociations ne veut pas dire que votre signature sur l'accord est inévitable. L'accord doit absolument nous satisfaire. Ça, c'est bien évident.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Merci.

Monsieur Nault.

M. Robert Nault (Kenora—Rainy River, Lib.): Merci, monsieur le président. Je voudrais tout d'abord remercier M. Dymond et ses collaborateurs de leur présence.

Je vous demanderais de sortir votre copie de l'ALENA et de passer tout de suite à la page 11-10, c'est-à-dire l'article 1114 intitulé «Mesures environnementales». Pouvez-vous me dire de quoi il s'agit? Est-ce une exception, une exclusion, une réserve non consolidée? Qu'est-ce que c'est au juste?

Le texte est tout de même très précis, et je vais vous en lire la première partie pour que ce soit consigné au compte rendu:

    1. Aucune disposition du présent chapitre ne pourra être interprétée comme empêchant une Partie d'adopter, de maintenir ou d'appliquer une mesure, par ailleurs conforme au présent chapitre, qu'elle considère nécessaire pour que les activités d'investissement sur son territoire soient menées d'une manière conforme à la protection de l'environnement.

    2. Les Parties reconnaissent qu'il n'est pas approprié d'encourager l'investissement en adoucissant les mesures nationales qui se rapportent à la santé, à la sécurité ou à l'environnement.

Et ça continue, bien entendu. Il est clair que l'inclusion de ces articles était tout à fait intentionnelle. Devons-nous en conclure qu'en vertu de l'article XI, les gouvernements ne permettront pas que l'environnement devienne une sorte de hochet politique pour les investisseurs? Mais cet article est censé constituer quel genre de mesure au juste? Est-ce simplement un article du chapitre et rien de plus, ou constitue-t-elle une exception? Ce texte indique très clairement qu'on ne peut pas faire certaines choses. J'essaie de bien comprendre son sens et ses éventuelles conséquences.

M. William Dymond: En fait, les articles 1 et 2 traitent d'aspects différents de la même question.

• 1630

L'article 1 est une affirmation qui s'inspire, d'après moi—bien que je n'aie pas rédigé ce paragraphe—de la notion qu'on retrouve dans l'article XX du GATT, à savoir «le présent accord ne pourra en aucune manière être interprété comme étant de nature à...» C'est-à-dire de nature à vous empêcher de faire quelque chose. C'est donc une affirmation des droits des États d'adopter des règlements, si vous voulez.

L'article 2 concerne une mesure différente, ou plutôt un aspect différent de cette mesure. Ayant affirmé à l'article 1 que l'accord ne constitue en rien un obstacle au droit d'un État d'appliquer des lois environnementales—pour l'exprimer en termes plus simples—on dit maintenant que les États ne doivent pas non plus appliquer leurs lois ou abaisser leurs normes dans ce domaine de manière à attirer des investissements. Cet article se veut donc une mesure de sauvegarde, en quelque sorte.

Les deux articles vont de pair. En réalité, vous pourriez éventuellement changer la forme... c'est-à-dire qu'il n'y a pas de protocole ou convention qui vous oblige à prévoir certains paragraphes dans certains articles. Donc en théorie, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas retirer tout simplement l'article 1 et en faire une exception. Cela ne changerait en rien ses conséquences en droit. Mais à mon avis, les rédacteurs et même les négociateurs trouvaient intéressant de pouvoir préciser ces deux notions dans un même paragraphe et un même article, pour éviter qu'on soit obligé de passer constamment d'une section à l'autre pour savoir exactement ce qu'il en est.

M. Robert Nault: Donc, pour les fins de notre discussion, vous diriez que l'article 2 constitue une exception.

M. William Dymond: Non, l'article 1.

M. Robert Nault: L'article 1. Comment définissez-vous donc l'article 2?

M. William Dymond: L'article 2 constitue...

M. Robert Nault: Cet article est censé reconnaître une certaine réalité?

M. William Dymond: Non, l'article 2 est une disposition de l'accord qui ne constitue pas tout à fait une obligation, puisqu'il n'est pas vraiment libellé dans ces termes-là, mais il indique bien aux parties contractantes, c'est-à-dire aux gouvernements... disons qu'il définit une activité particulière qui doit être exclue pour les parties contractantes. Il ne s'agit pas d'une exception; cet article se contente d'expliciter ce que les parties ne doivent pas faire.

C'est ce que j'essayais de vous dire la dernière fois. C'est ce que nous appelons une exhortation. On y prévoit comme seule pénalité des consultations. Le débat qui se tient actuellement à Paris—et nous consultons divers intervenants à ce sujet—concerne la nécessité ou non de prévoir des sanctions, auquel cas il faudrait que les rédacteurs proposent un libellé différent. À ce moment-là, on passerait d'une simple exhortation à une obligation en bonne et due forme.

M. Robert Nault: Bref, le chapitre XI fait référence aux mesures environnementales. Vous nous dites depuis de nombreux jours que l'AMI, c'est essentiellement l'ALENA en...

M. Bill Blaikie: Bien plus musclé.

M. Robert Nault: Oui, peut-être, mais c'est tout de même l'ALENA. Cela veut donc dire que le gouvernement fédéral doit avoir pris position sur l'environnement.

Je me permets d'aller un tout petit peu plus loin. Comme vous le savez, il n'y a pas si longtemps l'actuel gouvernement a demandé et obtenu des accords parallèles sur l'environnement et le travail dans le cadre de l'ALENA. J'aimerais donc savoir si nous avons présenté la même demande à nos partenaires de l'OCDE, c'est-à-dire des accords parallèles qui nous donneraient certaines garanties au sujet de l'environnement et du travail. Telle semblerait être l'actuelle position du gouvernement, puisque nous en avons signé il n'y a pas si longtemps, en tant que gouvernement et parti au pouvoir.

Il a été assez difficile jusqu'à présent de savoir quelle importance le gouvernement attache à cette question, mais il est clair qu'elle revêt une grande importance pour le parti que je représente, puisque nous l'avons demandé au président Clinton, c'est-à-dire le président actuel, et nous l'avons obtenu. Pouvez- vous m'assurer que cet élément fera bel et bien partie de notre stratégie de négociation?

M. William Dymond: D'abord, sur la question générale, le ministre a énoncé la position du gouvernement lorsqu'il a comparu devant le comité le 4 novembre, à savoir que le Canada demande un certain nombre de dispositions énergiques concernant l'environnement, qui figureront dans différentes sections de l'accord, y compris au préambule, où le travail de rédaction en est encore à l'étape préliminaire. Donc, notre position est très claire. La question précise sur laquelle nous cherchons à nous faire conseiller, avant que le gouvernement prenne position, est celle de savoir s'il doit s'agir d'une obligation ou non.

Quant aux accords parallèles sur le travail et l'environnement qui se rattachent à l'ALENA, comme je l'indiquais tout à l'heure, ces accords imposent l'obligation aux signataires d'appliquer leurs propres lois. Ils n'abordent pas la question de savoir si les normes sont élevées ou faibles ou les modifications qui pourraient y être apportées. L'objet de ces accords était de répondre à l'argument vigoureusement avancé au Canada et aux États-Unis, dans le contexte d'un débat public sur la question, selon lequel les lois mexicaines du travail et environnementales, malgré leur grande qualité, ne serviraient pas à grand-chose si elles n'étaient pas appliquées. C'est-à-dire que certains s'inquiétaient non pas du fond des lois déjà adoptées, mais de l'applicabilité de ces lois.

• 1635

Je dois vous dire en toute sincérité que les pays de l'OCDE sont généralement résolus à appliquer les lois—ou autres textes réglementaires—qui traitent de l'environnement et du travail. Autrement dit, nous n'avons pas été obligés de dire aux gouvernements allemand, américain ou hollandais qu'ils ont l'obligation d'appliquer leurs lois.

Cette question d'applicabilité ou l'obligation d'appliquer les lois nationales, pourrait très bien être mise sur le tapis. Nous y réfléchissons d'ailleurs dans notre petit groupe. Quelle que soit son importance dans le contexte de l'AMI, cette question revêtira sans aucun doute une grande importance dans le cadre des négociations mondiales sur l'investissement qui se dérouleront à l'OMC.

M. Robert Nault: Si vous me permettez, je voudrais revenir sur l'exposé que nous ont fait hier soir les représentants de la Colombie-Britannique, qui soulève une question qui constitue une préoccupation pour les membres du comité et pour moi, personnellement.

J'aimerais vous lire un extrait de leur texte où ils exposent leurs préoccupations concernant le libellé d'une partie de l'AMI. C'est à la page 5.

    Il y a encore énormément d'incertitude en ce qui concerne les éventuelles réserves qu'il sera possible d'apporter à l'AMI et de quelle façon cela pourra se faire. Même si le texte des réserves que propose le Canada était accepté par les autres parties à l'AMI (ce qui est loin d'être sûr), à notre avis, ces réserves ne peuvent constituer une protection suffisante de la souveraineté canadienne et de la marge de manoeuvre que doivent avoir nos décisionnaires.

Est-il vrai que, quand vous allez mettre nos réserves sur le tapis—et j'en reviens à celles prévues à l'article XI de l'ALENA—il n'est pas sûr que ce soit accepté, et qu'en réalité, nous sommes en train de négocier l'inclusion des mêmes réserves qui figurent actuellement dans l'ALENA? Est-il vrai que nous pourrions finir par avoir moins que ce que prévoit l'ALENA, étant donné que tout cela se négocie et qu'il n'est pas certain qu'on obtienne gain de cause?

Vous nous dites que c'est la même chose que dans l'ALENA et que ces réserves y figurent déjà, mais ce n'est pas du tout ce que nous disent nos collègues de la Colombie-Britannique. Ils prétendent qu'il n'est pas du tout certain qu'on les obtienne et que vous allez peut-être revenir de ces négociations en nous disant: «Désolés, nous avons dû sacrifier deux de nos réserves pour pouvoir conclure un marché avec nos partenaires.»

Ma question donne donc suite à ce que vous disait M. Blaikie tout à l'heure. Il faut absolument tirer les choses au clair. Ai- je bien résumé la situation?

M. William Dymond: Si le gouvernement de la Colombie- Britannique se contente de dire que les négociations ne sont pas encore terminées, il a parfaitement raison. Nous ne pourrons donner de garantie au comité en ce qui concerne ces réserves qu'au terme de ces négociations. Nous avons simplement affirmé que nous avons besoin de ces réserves-là.

On se rendra compte en les examinant que certaines d'entre elles sont plus importantes que d'autres. Les réserves qui touchent la culture—et nous avons dit que nous partons du principe qu'une exception générale sera accordée pour la culture, de même que les services de santé et sociaux—seront nécessairement considérées plus prioritaires par les provinces et le gouvernement fédéral que d'autres, que je ne nommerai pas.

Si le représentant d'un pays donné vient nous voir en disant: «Êtes-vous prêts à conclure un marché sur ces réserves?», je leur dirais: «De quoi parlez-vous au juste? Lesquelles vous intéressent?» Par contre, sur celles qui nous semblent vraiment critiques, notre réponse sera un non catégorique.

En réponse à votre question, si les négociations débouchent sur un accord prévoyant moins de réserves que l'ALENA, le gouvernement aura alors à prendre une décision sur l'importance des réserves concernées et dans quelle mesure elles influent sur l'équilibre général entre les droits et les obligations.

Quant aux questions soulevées par les témoins, du moins dans les mémoires écrits que j'ai examinés, je peux certainement assurer les membres du comité que les questions qui préoccupent le plus ces divers intervenants—soit les services de santé et sociaux, la culture et une série d'autres éléments—préoccupent tout autant le gouvernement. Je peux difficilement imaginer que le gouvernement signe un accord qui ne présente pas de solutions acceptables dans ces domaines-là.

• 1640

M. Robert Nault: Si je peux me permettre de résumer votre réponse, vous nous dites que oui, tout cela est négociable et peut donc disparaître, selon le marché qui sera conclu en fin de compte. C'est ça la réponse à la question que je vous ai posée.

M. William Dymond: Non, je...

M. Robert Nault: C'est bien cela que vous avez dit—de façon indirecte.

M. William Dymond: Non, je n'ai jamais dit cela.

M. Robert Nault: C'est bien cela que j'ai compris.

M. William Dymond: On ne peut écarter complètement la possibilité que le gouvernement du Canada ne soit pas satisfait de l'accord définitif, et c'est pour cela que je vous ai répondu de cette façon.

Puis-je concevoir que l'accord définitif ne satisfasse pas le gouvernement et qu'il refuse de le signer? En théorie, c'est tout à fait possible, bien entendu.

M. Robert Nault: Très bien.

M. William Dymond: Puis-je vous garantir que l'accord, qui devra convenir à l'ensemble des pays, ou disons à la grande majorité des pays concernés, sera parfaitement acceptable, à tous les points de vue, dans l'optique du gouvernement du Canada? Non. C'est évident que je ne peux pas vous donner de telles garanties. Ce sera au gouvernement de décider, au terme des négociations, si l'accord lui semble acceptable ou non. À mon avis, un élément clé de cet accord sera les réserves que nous aurons réussi à y apporter et la validité juridique que leur confère l'accord. Pour le moment, nous ne sommes pas en mesure de porter un jugement là- dessus.

M. Robert Nault: Monsieur le président, j'ai quelques autres questions à poser. Je voudrais parler de la notion d'exception par rapport à celle de la réserve non consolidée. Moi je pars du principe qu'une exception et une réserve non consolidée sont pareilles.

Nos amis de la Colombie-Britannique semblaient indiquer hier soir qu'il n'est pas du tout sûr qu'on puisse prévoir des réserves non consolidées dans l'AMI. Pourriez-vous nous dire si c'est vrai ou non? Est-il question de réserves non consolidées pour protéger ce que je considérerais comme les priorités du gouvernement canadien? Par exemple, une réserve non consolidée ou exclusion visant notre régime public d'assurance-soins médicaux et d'autres services sociaux auxquels tiennent tous les Canadiens. Prenons donc cet exemple-là. Il est certainement possible de savoir s'il s'agit d'une exclusion ou d'une réserve non consolidée.

M. William Dymond: Je compatis à votre situation. Je me rappelle la question que m'a posée la dernière fois M. Blaikie, quand il me faisait remarquer que nous avons tendance à utiliser tous ces termes sans trop de rigueur—des termes comme exclusion, réserve consolidée ou non consolidée, etc.—et je lui disais à l'époque que si vous regardez le texte de l'ALENA, vous n'y trouverez pas tous ces termes—exceptions, réserves consolidées et non consolidées. Ce sont des termes purement juridiques. Le texte des réserves, que nous avons déposé au comité, présente, à partir de la page 35 ou 36, l'ensemble des réserves non consolidées que demandera le Canada. On sait tout de suite qu'il s'agit de réserves non consolidées, parce qu'on retrouve toujours dans le texte les mots suivants: «Le Canada se réserve le droit d'adopter et de maintenir...».

Elles visent effectivement les domaines les plus critiques, et l'un de ces domaines—ici je me reporte à l'une des préoccupations exprimées par la Colombie-Britannique—et les programmes mis en place par le gouvernement à l'intention des peuples autochtones. Ces programmes sont protégés dans l'ALENA, et dans cet accord, ils seront tout aussi bien protégés grâce à une réserve non consolidée, ce qui veut dire que nous ne sommes pas limités aux programmes actuellement en vigueur. Ainsi le Parlement pourrait adopter de nouveaux programmes qui seraient également protégés.

Comme je l'expliquais au comité la dernière fois, l'un des aspects clés de la négociation sera la question des réserves non consolidées. Certains pays estiment en effet qu'il ne devrait pas y en avoir du tout. Nous estimons par contre—et nous avons clairement énoncé notre position à ce sujet—-que s'il n'y a pas de réserves non consolidées, les pays signataires de l'ALENA refuseront d'adhérer à l'accord. Il s'agit donc d'une condition essentielle.

M. Robert Nault: Je commence à m'habituer au jargon des négociateurs. Voilà un bon moment que je ne m'occupe plus de ce genre de chose.

Je tiens à vous dire, monsieur le président, que je n'ai plus de mal à lire entre les lignes. J'espère que tout le monde s'en tire aussi bien que moi.

J'ai une dernière question à vous poser au sujet des provinces. Ces dernières vous auraient-elles indiqué, soit par écrit, soit de vive voix, en quoi consisteraient leurs réserves? C'est justement la question que j'ai posée aux représentants du gouvernement de la Colombie-Britannique hier soir: si vous avez de nombreuses préoccupations à l'égard de cet accord, quelles réserves vous semblent nécessaires et les avez-vous communiquées aux représentants du gouvernement du Canada? Et on m'a répondu par la négative.

Mais là ces gens-là arrivent et nous disent qu'ils n'aiment pas du tout cela—même si ce n'est pas vraiment ce que nous disait le fonctionnaire. C'est l'homme politique à ses côtés qui disait cela. Le fonctionnaire ne disait pas grand-chose. En fait, il n'arrêtait pas de dire que vous vous entendez très bien, que vous travaillez en très étroite collaboration et de manière coopérative, etc. J'ai l'impression que le politique ne voulait pas que le fonctionnaire dise ce qu'il pensait de tout cela, et c'est justement pour cette raison que je voudrais tirer les choses au clair.

• 1645

De par notre structure politique, est-il normal que les provinces, après en avoir discuté avec vous et les autres négociateurs canadiens, vous communiquent par écrit leurs préoccupations ou leurs réserves, ou vous contentez-vous de leur dire: «C'est moi qui représente le Canada, et par conséquent je sais déjà ce que vous pensez de tout cela. Je communique avec vous, mais en fin de compte, nous faisons cavalier seul et vous verrez bien le résultat à la fin de tout ce processus»?

M. William Dymond: Non, absolument pas. Les communications entre nous sont constantes et intensives, non seulement au sujet des réserves mais sur tous les aspects de l'accord. Je n'ai pas reçu de listes de la part des provinces—je n'en ai pas demandé non plus—mais je crois comprendre que les réserves qu'exigent les provinces concernent les protections qu'offre actuellement l'ALENA.

Lors de rencontres avec nous, certains représentants provinciaux ont clairement indiqué que leurs gouvernements ne sont pas disposés à accepter d'autres obligations que celles qui leur incombent en vertu de l'ALENA. Cela nous amène donc à conclure que du point de vue des provinces, et même du gouvernement fédéral, les réserves qui figurent actuellement dans l'ALENA sont celles que nous devons exiger—et, bien entendu, les réserves de l'ALENA qui visent les provinces. D'après ce que j'ai pu comprendre, telle est la position des provinces à ce sujet, et aucun responsable provincial ne m'a indiqué jusqu'à présent qu'il lui faut des réserves autres que celles qui figurent déjà dans l'AlENA.

M. Robert Nault: Je peux donc supposer que la réserve touchant la culture sera une réserve non consolidée?

M. William Dymond: Oui.

Le président: Monsieur Reed.

M. Julian Reed: Monsieur le président, j'ai trouvé cette discussion fort utile et intéressante; il se trouve que toutes mes questions ont déjà été posées de façon très éloquente.

Je voudrais simplement dire à M. Dymond et à ses collaborateurs qu'une fois de plus, il a réussi à expliquer ses propositions fort complexes de manière succincte et claire, de sorte que les non-initiés que nous sommes avons réussi à comprendre de quoi elles retournent. Je tiens donc à vous remercier, monsieur Dymond.

Le président: Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Je ne suis pas sûr d'être du même avis que M. Reed. Je me dis parfois que ce langage diplomatique est probablement un mal nécessaire, étant donné ce qui est arrivé à l'ambassadeur du Canada au Mexique lorsqu'il s'en est écarté un peu.

Monsieur Dymond, je tiens à vous rappeler que nous avons reçu de nombreux groupes devant ce comité qui demandaient, d'abord, que l'on se contente d'un minimum d'exceptions et de réserves, et que le Canada cherche à signer un AMI qui fasse vraiment progresser la libéralisation des investissements, qui prévoie des exceptions dans les secteurs les plus vulnérables, à condition que ces exceptions soient réduites au minimum et justifiées. Après tout, si tous les pays arrivent à la table des négociations avec une longue liste d'exceptions et de réserves, à quoi tout cela nous avance-t-il? Ou alors il n'y aura pas d'accord, ou alors l'accord ne vaudra rien.

J'ai une question à poser au sujet du mécanisme de règlement des différends. Si je ne m'abuse, ce sont les représentants de l'industrie canadienne des pâtes et papiers qui nous faisaient part de leurs préoccupations dans ce domaine concernant... C'est à dire que si le gouvernement canadien ou une administration provinciale devait procéder à une expropriation, les entreprises étrangères n'auraient pas à suivre la même procédure que les entreprises canadiennes. D'ailleurs, ce n'est pas la première fois que ce genre de chose se produit.

En fait, je dirais même que nous arrivons à négocier au niveau international de meilleurs accords que ceux qui existent au Canada. Je songe en particulier aux problèmes que posent actuellement au Canada les échanges intérieurs.

Il y a environ un an, un comité parlementaire étudiait justement la question du commerce international. On cherchait à savoir pourquoi les petites et moyennes entreprises connaissent des difficultés et les restrictions qui les visent du côté des exportations. Les représentants de certaines entreprises sont venus nous en parler. Dans un cas, une entreprise ontarienne s'était implantée au Michigan et les responsables de cette dernière nous expliquaient qu'il leur est beaucoup plus facile maintenant de traiter avec les différentes provinces du Canada qu'à l'époque où l'entreprise était implantée en Ontario et ses produits devaient traverser les frontières provinciales.

Je m'inquiète de ce que nous établissions une norme plus élevée, c'est-à-dire une meilleure norme, à l'échelle internationale, et il en va de même pour le mécanisme de règlement des différends. Dans le cas d'une expropriation opérée au Canada, une entreprise canadienne passerait par un tribunal canadien, alors qu'une entreprise étrangère aurait accès à un groupe d'examen. Je crois que ce sont les représentants de l'industrie canadienne des pâtes et papiers qui nous disaient que ce mécanisme permettrait sans doute de régler la situation beaucoup plus rapidement. N'y aurait-il pas moyen de s'assurer dans le cadre de ces négociations que ces entreprises canadiennes aient accès au même mécanisme rapide de règlement des différends?

• 1650

M. William Dymond: Merci, monsieur Penson.

Pour ce qui est du langage diplomatique, cela me rappelle ce qu'a dit une fois feu Sir Harold Macmillan: «Le diplomate aussi est toujours entre la banalité et l'indiscrétion.» Mais je suppose qu'on est payé pour ça.

Une voix: Très juste.

M. William Dymond: Sur la question de savoir si les entreprises canadiennes implantées au Canada devraient ou non avoir un meilleur accès ou un accès plus rapide à ce genre de mécanisme de règlement des différends, je ne m'estime pas suffisamment compétent pour me prononcer là-dessus, alors je ne le ferai pas. Je n'étais pas surpris de voir ce qu'il proposait, mais je ne prétends pas savoir si cette association aurait ou non pris position sur l'opportunité pour les investisseurs d'un mécanisme étatique de règlement des différends.

En règle générale, les entreprises canadiennes par l'entremise d'un organisme tel que le CCI—le Conseil canadien pour le commerce international—la Chambre de commerce et d'autres qui nous ont parlé de cette question ont surtout demandé une meilleure protection pour les investissements que nous faisons à l'étranger, protection qui peut passer par un bon mécanisme étatique de règlement des différends intéressant les investisseurs. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons cela dans l'ALENA et dans nos accords bilatéraux.

Tout accord international crée nécessairement certains droits et certaines obligations, et il en va de même pour celui- ci. Si nous voulons réaliser, comme nous l'avons fait pour nos investisseurs, une meilleure protection par l'entremise d'un mécanisme étatique de règlement des différends dans ce secteur, nous devons absolument offrir les mêmes possibilités aux investisseurs étrangers qui sont actifs au Canada. Si les entreprises canadiennes estiment qu'un mécanisme étatique de règlement des différends n'est plus dans leur intérêt, j'imagine qu'elles trouveront le moyen de communiquer leur nouvelle position au gouvernement.

Le président: Sur ce même point, est-ce que le mécanisme de règlement des différends que prévoit l'AMI pour les investisseurs fonctionnerait de la même façon que celui que prévoit l'ALENA? Y a-t-il des différences, ou s'agirait-il du même mécanisme que celui que prévoit actuellement l'ALENA?

M. William Dymond: Encore une fois, c'est le domaine de spécialisation de M. Hankey, mais disons simplement que nous cherchons à reproduire dans l'AMI la procédure étatique de règlement des différends que prévoit actuellement l'ALENA.

Il existe évidemment d'autres formules. Elles ont toutes le même objectif, mais les négociations ne sont pas encore terminées. Que je sache, aucune différence importante n'aurait encore été soulevée, mais nous continuons évidemment de travailler sur un certain nombre de questions de procédure qui restent encore à régler. Au terme de ces négociations, nous allons devoir examiner de très près le régime proposé pour nous assurer qu'il se compare favorablement à celui de l'ALENA.

Le président: Merci.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites, monsieur Dymond. Je sais que les entreprises canadiennes réclament un mécanisme rapide et équitable de règlement des différends. Je vous demande simplement si les entreprises canadiennes ne devraient pas avoir accès au même régime si un différend surgit au Canada. Ne devrions-nous pas appliquer la norme la plus élevée possible?

Vous êtes en train de nous dire, je suppose, qu'il y a une décision politique à prendre dans ce contexte, mais en même temps j'ai l'impression qu'il y a une possibilité de conflit. Si un problème surgissait où la décision prise par un palier de gouvernement touchait non seulement une entreprise canadienne mais une entreprise étrangère, il pourrait arriver que le dossier d'expropriation de l'une se règle rapidement alors que celui de l'autre s'étende sur plusieurs années. J'entrevois par conséquent un certain nombre de problèmes.

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Il ne me reste plus que deux ou trois points à soulever. Vous avez dit que les provinces ont indiqué qu'elles n'en voudraient pas. Quelque chose de comparable à l'ALENA conviendrait, mais n'est-il pas vrai qu'en ce qui concerne les obligations de résultats ou les obligations de résultats interdits, par exemple, l'actuel projet de l'AMI dépasse de loin ce que prévoit l'ALENA? D'après les informations que m'ont transmises les représentants du gouvernement de la Colombie-Britannique, les obligations de résultats de l'AMI englobent un certain nombre d'éléments qui ne sont pas actuellement prévus dans l'ALENA. Est-ce la position du gouvernement canadien que ces éléments-là doivent absolument disparaître?

• 1655

M. William Dymond: Oui.

M. Bill Blaikie: Au sujet des provinces encore une fois, vous avez dit en réponse à une question précédente qu'une réserve semblable à celle que prévoit l'ALENA serait apportée à l'accord pour protéger les programmes destinés aux peuples autochtones. Dans quelle mesure cette réserve permettrait-elle de protéger non seulement les crédits fédéraux consacrés au développement économique des Autochtones mais aussi, mettons, le règlement d'une revendication territoriale qui portait atteinte aux droits d'une entreprise particulière de maximiser ses bénéfices ou à toute stratégie tendant à ce but? Est-ce que ce genre de chose serait visé par l'exception que prévoit l'ALENA pour les programmes autochtones que vous avez mentionnés il y a quelques minutes? Il va sans dire que les administrations provinciales, et en l'occurrence, la province de la Colombie-Britannique, s'inquiètent de ce que l'AMI influe éventuellement sur les revendications territoriales.

M. William Dymond: Notre réserve, qui est une réserve non consolidée, dit ceci—c'est à la page 38 de la liste que nous vous avons remise l'autre fois—:

    Le Canada se réserve le droit d'adopter ou de maintenir [...]

—encore une fois, ce sont les termes «adopter ou maintenir» qui nous indiquent qu'il s'agit d'une réserve non consolidée—

    [...] toute mesure visant à refuser aux investisseurs d'une autre Partie et à leurs investissements, ou aux fournisseurs de services d'une autre Partie, tous droits ou toutes préférences accordés aux Autochtones.

M. Bill Blaikie: Donc, cela comprend donc les revendications territoriales.

M. William Dymond: D'après ce que j'ai pu comprendre, oui.

Mais si cela semble présenter un problème particulier, il faudrait faire la comparaison avec ce qui se trouve actuellement dans l'ALENA, parce que la norme dont on parle ici est celle de l'ALENA. La réserve en question est celle qui figure actuellement dans le texte de l'ALENA. Je ne pense donc pas me tromper en vous affirmant cela. Mais si vous avez une question précise à nous soumettre, nous pouvons certainement l'examiner, même si notre réponse serait nécessairement fondée sur l'accord que nous connaissons plutôt que celui que nous sommes actuellement en train de négocier.

M. Bill Blaikie: Par exemple, une récente décision judiciaire—et cela n'a rien à voir avec la Colombie-Britannique; je vous cite cet exemple de mémoire—au Nouveau-Brunswick accordait des droits de coupe aux Autochtones, et cette décision s'appuie sur un traité. S'il se trouvait—et je ne sais pas du tout si c'est le cas—que les droits de coupe accordés aux Autochtones par suite de cette décision judiciaire visaient des terrains que possédait une entreprise étrangère, cette dernière ne pourrait-elle pas invoquer le mécanisme de règlement des différends en vertu des pouvoirs que lui confère cette exception?

M. William Dymond: Monsieur Blaikie, vous me posez en fait une question au sujet de l'ALENA. Il nous faudrait par conséquent nous pencher sur la question et vous transmettre un avis juridique à ce sujet.

En ce qui me concerne, cette exception—que nous avons rédigée à dessein en termes plus généraux, étant donné que les réserves ne sont pas encore tout à fait au point—confère au Canada le droit de prendre toute mesure qui a pour objet de refuser aux investisseurs étrangers des droits ou privilèges accordés aux peuples autochtones. Tel est notre objectif. Mais si votre question porte sur ce qui pourrait être considéré comme une expropriation aux termes de l'accord, nous allons malheureusement devoir l'examiner par rapport à la norme qu'on retrouve dans l'ALENA.

M. Bill Blaikie: Il est donc possible que cela puisse être considéré comme une expropriation.

M. William Dymond: Je n'en sais rien.

M. Bill Blaikie: Comment cela va-t-il être déterminé? En fin de compte, ce sera décidé par le biais de la procédure de règlement des différends.

M. William Dymond: Non. Je vous demande simplement de m'accorder un peu de temps pour examiner la question avec nos conseillers juridiques pour voir de quelle façon on réglerait la question aux termes de l'ALENA; c'est ça la question que vous me posez. Malheureusement, je suis dans l'impossibilité de vous répondre pour le moment.

M. Bill Blaikie: J'ai un dernier point à soulever qui rejoint ce que vous disiez tout à l'heure. Quand nous vous posons une question au sujet de l'AMI, vous avez tendance à nous dire toujours: eh bien, c'est assez semblable à une disposition du GATT, ou encore: c'est assez semblable à une disposition de l'ALENA, ou encore: c'est assez semblable à une disposition d'autres accords bilatéraux sur l'investissement, comme si cela pouvait nous rassurer.

• 1700

Une voix: Alors vous n'êtes pas encore rassuré?

M. Bill Blaikie: Non, pas encore.

Il me semble, toutefois, qu'il y a toute une différence entre l'AMI et le GATT, en ce sens que le GATT—non pas l'OMC mais le GATT—n'était pas obligatoire en fin de compte—du moins pas de la même façon que le seront les décisions de l'OMC et l'AMI. Les pays participants avaient une plus grande marge de manoeuvre dans le cadre du GATT qu'ils ne l'ont dans le contexte de l'OMC et de l'AMI.

Deuxièmement, il convient de préciser que l'ALENA prévoit une clause de sauvegarde de six mois. Quoi que nous découvrions au fur et à mesure de la mise en oeuvre de l'AMI, que nous découvrions que vos opinions au sujet de certains aspects de l'accord sont exactes ou inexactes, et surtout si elles s'avèrent inexactes, nous voilà pris avec cet accord pendant une vingtaine d'années.

À mon avis, vous ne nous dites pas tout si vous vous contentez d'assimiler cet accord au GATT ou à l'ALENA. Le fait est que sur le plan qualitatif, l'AMI est très différent de ces autres accords du point de vue de la période d'exécution obligatoire, n'est-ce pas?

M. William Dymond: Permettez-moi de vous répondre ainsi: si je me reporte constamment au GATT et à l'ALENA, ce n'est pas parce que je tiens à tout prix à vous sécuriser, mais plutôt parce que les concepts que nous examinons dans le contexte de l'AMI sont des concepts connus. Certains d'entre eux font l'objet de négociations depuis plusieurs siècles, et ce sont des concepts qui nous sont familiers au gouvernement.

J'estime en outre que les décisions de principe que suppose un AMI que le gouvernement jugerait satisfaisant ont en fait déjà été prises, et l'ont été lors de la négociation de l'ALENA.

La question que vous soulevez concernant la durée de l'accord est tout à fait pertinente. L'ALENA prévoit une clause de sauvegarde de six mois ou d'un an, et bien entendu, cette clause vise l'ensemble de l'accord, et non simplement le chapitre portant sur l'investissement. D'habitude, les accords bilatéraux sur l'investissement—et c'est certainement le cas de nos accords bilatéraux sur l'investissement—prévoient une plus longue période. Les raisons économiques qui justifient une plus longue période sont certainement très claires. En l'occurrence, on parle d'une période d'application initiale de cinq ans, de la possibilité de retrait avec six mois de préavis, et la protection des investissements effectués en vertu de l'accord—mais non des investissements faits après le retrait d'un pays—pendant une autre période de 15 ans. Il est donc inexact de prétendre qu'une partie contractante serait tenue de maintenir l'ensemble de ses politiques d'investissement pendant un minimum de 20 ans.

M. Bill Blaikie: Pourriez-vous répéter ce que vous avez dit au sujet des cinq ans et des six mois?

M. William Dymond: Oui. Selon l'ébauche actuelle—et elle reprend la formulation la plus courante, c'est-à-dire le libellé et le concept que nous et les Européens tendons à privilégier—la période d'application initiale est de cinq ans.

M. Bill Blaikie: Donc, une fois que vous avez signé l'accord, qu'il vous plaise ou non, vous en avez pour un minimum de cinq ans.

M. William Dymond: C'est exact.

M. Bill Blaikie: Ensuite vous devez donner un préavis de six mois.

M. William Dymond: Oui, ensuite vous donnez un préavis de six mois, et une fois les six mois écoulés, vous vous retirez. Tout investissement fait pendant cette période de cinq ans serait protégé aux termes de l'accord pendant une autre période de 15 ans. Il va sans dire que tout investissement fait après le retrait du pays concerné ne serait pas protégé; mais si l'accord prévoit cette protection, c'est parce que la période d'amortissement d'un investissement est normalement entre cinq et 15 ou 20 ans. Dans ce sens-là, vous avez tout à fait raison de dire que l'accord est différent.

M. Bill Blaikie: Nos accords bilatéraux englobent-ils une telle disposition?

M. William Dymond: Oui, absolument. Il ne s'agit pas d'une invention nouvelle qui a vu le jour avec l'AMI. C'est un concept qu'on retrouve couramment dans les accords européens et autres et que nous avons voulu reprendre dans cet accord qui suit le modèle de l'ALENA pour assurer la protection voulue, et comme vous le voyez...

M. Bill Blaikie: Pourquoi ne le retrouve-t-on pas dans l'ALENA?

M. William Dymond: L'ALENA s'applique à tout. Je ne peux pas vraiment vous expliquer pourquoi. Mais il y a une différence et je reconnais parfaitement que cette différence existe.

Je voudrais dire une dernière chose pour que ce soit bien clair. Nous avons toujours considéré le GATT comme un instrument obligatoire en droit international.

M. Bill Blaikie: Mais le mot clé est «considéré».

• 1705

M. William Dymond: Telle a toujours été notre position, et nous avons recouru au mécanisme de règlement des différends—par l'entremise duquel nous avons eu gain de cause dans certains cas mais pas dans d'autres—et ce en considérant le GATT de 1947 comme un accord obligatoire en droit international.

M. Bill Blaikie: C'était certainement très noble, mais le fait que vous l'ayez considéré comme tel ne le rendait pas obligatoire pour autant.

M. William Dymond: Je ne comprends pas.

M. Bill Blaikie: Autrement dit, d'autres pays ne voyaient pas le GATT de la même façon, n'est-ce pas?

M. William Dymond: Si.

M. Bill Blaikie: Il me semble qu'à plusieurs reprises, les Américains...

M. William Dymond: Il reste que les Américains se sont conformés aux décisions du GATT en notre faveur.

Le président: Merci.

M. Bill Blaikie: Mais pas nécessairement à toutes celles où d'autres ont obtenu gain de cause.

Le président: Je voudrais passer au prochain intervenant. Mais avant de donner la parole à Mme Bulte, j'ai une question à vous poser: vous dites sans arrêt, «dans ce texte de l'AMI, tel qu'il est actuellement libellé...». Quand le comité pourra-t-il voir un autre texte? Est-ce qu'un nouveau texte va être prêt à un certain moment ou...?

M. William Dymond: À Paris, il n'a pas encore été question d'une troisième version de l'accord. Nous en sommes pour le moment à la deuxième ébauche. Les délégations n'ont donc pas encore discuté de la possibilité ou même la nécessité d'une troisième version. Il va sans dire que dans l'éventualité d'un troisième texte, nous allons le communiquer au comité.

La difficulté qui se pose lorsque la décision est prise d'élaborer un nouveau texte, c'est que les pays participants n'ont pas nécessairement la même interprétation du processus. Pour ma part, j'ai toujours tenu pour acquis qu'un texte qu'on soumet à notre examen n'est que le résultat collectif du travail des divers groupes de travail.

Au Canada, cependant, certains estiment—peut-être le gouvernement de la Colombie-Britannique—que la préparation d'une ébauche comme celle-ci suppose l'accord des parties, ce qui n'est certainement pas le cas. Mais ils ne sont pas les seuls à être de cet avis, car je pense qu'on trouverait certainement un bon nombre de participants à Paris qui diraient: il faut faire très attention en préparant l'ébauche et en indiquant les éléments qui sont acceptés ou non. À ce moment-là, les participants pourraient bien finir par décider que les heures de discussion que suppose la préparation d'une troisième ébauche que tous trouveraient acceptables n'en valent pas la peine.

En ce qui concerne l'équipe canadienne, je dois dire que je n'y vois pas d'inconvénient. Je ne suis pas non plus sûr que ce soit particulièrement utile. Nous avons accès à tous les documents pertinents, et si le comité voulait examiner le nouveau libellé de divers articles de l'accord, au fur et à mesure qu'ils y sont incorporés, nous nous ferions un plaisir de les lui communiquer.

Le président: Merci.

Madame Bulte.

Mme Sarmite Bulte: Dans ce même ordre d'idées, certaines personnes trouvent inquiétant que cet accord se négocie en secret. S'il y avait moyen de dissiper les craintes de mes électeurs à ce sujet... C'est exactement comme vous dites. La perception des Canadiens est peut-être différente; ils estiment que tout devrait se dérouler en public et que la population devrait être en mesure de faire part de ses vues sur la question et de demander qu'on en discute. Je voulais simplement que vous sachiez que telle est la réaction de certains de mes électeurs.

Je voudrais maintenant passer à la question des dispositions en matière d'arbitrage et à l'article 1120 de l'ALENA qui, d'après ce que j'ai pu comprendre, a servi de modèle pour élaborer le mécanisme de règlement des différends de l'AMI. Il semble que si cet accord est nécessaire, c'est en partie pour assurer une plus grande transparence. La question que je me pose au sujet du règlement—et vous me corrigerez si je me trompe—le règlement, dis-je, d'arbitrage de la CNUDCI, c'est-à-dire celui qu'applique la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international en cas de différends commerciaux, c'est que l'un des articles de ce règlement prévoit, encore une fois, que tout se déroule en secret. Certaines personnes estiment au contraire qu'il faut assurer une plus grande transparence, en permettant au public d'assister aux audiences de conciliation et de soumettre des mémoires à l'examen de la Commission.

Encore une fois, pour ce qui est des préoccupations que m'ont exprimées différentes personnes, notamment au sujet de la définition de l'expropriation, il est peut-être vrai qu'il existe un règlement international, mais convient-il vraiment de laisser le soin à ces tribunaux de décider du sens du terme «expropriation»? N'y a-t-il pas lieu de prévoir dans toute cette procédure un rôle pour le législateur?

J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Y aurait-il moyen d'assurer une plus grande transparence dans le contexte de ces audiences?

• 1710

M. Blair Hankey: Pour ce qui est de ces procédures, les divers instruments arbitraux que prévoit l'article 1120, de même que l'ébauche de l'AMI, prévoient divers degrés de confidentialité. Par exemple, la CIOIC est un peu plus ouverte que la CNUDCI, alors qu'à la CCI, c'est-à-dire la Chambre de commerce internationale, les délibérations se déroulent en général à huis clos. En règle générale, les procédures se déroulent à huis clos à moins que les parties n'en décident autrement. Les parties peuvent évidemment accepter de les ouvrir au public.

L'une des caractéristiques classiques de l'arbitrage, par opposition aux poursuites judiciaires, c'est que la procédure se déroule à huis clos. Par le passé, on a généralement considéré que tel était l'avantage que présentait l'arbitrage, par rapport aux poursuites. Étant donné que tout se fait à huis clos et que l'intervention de tierces parties n'est pas permise, etc., on trouve que c'est un mécanisme moins coûteux, plus rapide et plus efficace. Telle est donc la distinction classique entre les poursuites, qui sont ouvertes au public, et l'arbitrage, où les procédures se déroulent normalement à huis clos.

Par contre, le gouvernement a toujours été et continue d'être en faveur d'une plus grande transparence dans le contexte du règlement des différends internationaux. M. Marchi a d'ailleurs défendu cette position publiquement, et c'est cette même position que nous continuons de défendre dans différentes tribunes, y compris aux négociations de l'AMI à Genève. Par exemple, le régime de règlement des différends de l'OMC fera l'objet d'un examen l'année prochaine. À ce moment-là, nous allons chercher à y apporter une plus grande transparence.

Mme Sarmite Bulte: J'ai une autre question, si vous me permettez, au sujet de l'arbitrage. Certains des témoins qui ont comparu devant le comité ont exprimé leurs préoccupations au sujet de la possibilité qu'il s'agisse d'un arbitrage exécutoire sans droit d'appel. Que pouvez-vous me dire à ce sujet?

M. Blair Hankey: C'est exact, sauf qu'il est possible d'invoquer la procédure d'annulation dans des cas de conflit d'intérêts ou de corruption d'un arbitre, ou si jamais le groupe d'experts outrepassait les limites de sa compétence. Il existe donc une procédure qui permet d'annuler une décision arbitrale pour une raison de ce genre, mais il n'y a pas de procédure d'appel normale. Cette possibilité a déjà été envisagée. Encore une fois, l'un des avantages classiques de l'arbitrage, par rapport aux poursuites, c'est qu'il ne prévoit l'intervention que d'une seule instance, plutôt que plusieurs, de telle sorte que c'est un mécanisme plus rapide et moins coûteux.

Mme Sarmite Bulte: Pour poursuivre la discussion sur les procédures d'annulation, va-t-on exiger la communication des documents pour des raisons de transparence? Va-t-on également exiger que les motifs du jugement soient révélés? Sera-t-il obligatoire de communiquer les motifs des décisions qui sont prises?

M. Blair Hankey: Oui. Encore une fois, la procédure classique prévue ici n'exige pas la publication des jugements, mais l'AMI précise que toute décision arbitrale devra être publiée. Donc, les décisions proprement dites, de même que les motifs des décisions, devront être publiées. Ainsi toutes ces règles s'appliqueront dans la mesure où le texte de l'AMI n'y apporte pas de modifications, et ce que je peux vous dire, c'est que le texte actuel de l'AMI exige la publication des jugements.

Mme Sarmite Bulte: Merci beaucoup.

Le président: Et quelle est la définition d'investissement?

M. William Dymond: Le projet de définition d'investissement figure à l'article 2 et est présenté en deux parties. D'une part, la définition d'investisseur—il faut tout de même savoir de quel animal il s'agit—et d'autre part, la définition d'investissement. Comme le suggère le texte de bas de page, l'actuel projet de définition d'investissement pose d'énormes problèmes.

Par exemple, nous n'avons toujours pas réussi à nous entendre sur le traitement des investissements indirects et de la propriété intellectuelle, ni sur la question des concessions, de la dette publique et de l'immobilier. Comme je l'ai d'ailleurs signalé au groupe de négociation, tous ces concepts sous-tendent la définition d'investissement, et par conséquent les solutions retenues influenceront nécessairement la décision qui sera prise sur la définition d'investissement.

L'autre problème que pose cette définition, c'est que par contraste avec l'ALENA, il s'agit d'une définition ouverte, alors que nous militons en faveur d'une définition fermée. Dans l'ALENA, la définition d'investissement indique ce en quoi peut consister un investissement, mais c'est suivi d'un paragraphe qui explicite tout ce qui ne peut être considéré comme un investissement.

• 1715

Il s'agit là d'un domaine que je qualifierais presque de typique, mais il y en a également d'autres où le texte de l'accord et les réserves que nous allons y apporter seront étroitement liés. Voilà pour le moment l'ébauche avec laquelle nous travaillons. Elle s'est révélée utile en ce sens qu'elle a permis aux participants d'y voir plus clair pour ce qui est de continuer à progresser en s'attaquant à d'autres questions importantes. Dans sa forme actuelle, cet accord n'est pas considéré satisfaisant par le gouvernement du Canada.

Le président: Les responsables du gouvernement de la Colombie-Britannique nous ont dit qu'ils s'inquiètent des éventuelles conséquences des définitions, qu'ils trouvent extrêmement larges, sur les compétences provinciales. Mais vous nous avez dit essentiellement qu'il sera impossible d'en arriver à une définition, tant que vous n'aurez pas réglé ces autres questions.

M. William Dymond: C'est exact.

Le président: Monsieur Penson, une courte question.

M. Charlie Penson: Je voulais juste soulever un point qui donne suite à la question de Mme Bulte.

Les membres de l'OCDE qui négocient cet accord ont-ils exigé que le Canada évite de discuter de cet accord avec la population canadienne?

M. William Dymond: Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question.

M. Charlie Penson: Dans le cadre des négociations de l'AMI qui se déroulent à l'OCDE, les membres participants ont-ils exigé que l'ensemble des pays membres—comme le Canada, par exemple—évite d'expliquer cet accord à leur population?

M. William Dymond: Absolument pas. Les seules restrictions qui visent les négociations—et même celles-là sont de moins en moins respectées—sont les règles normales de confidentialité. C'est-à-dire que nous ne serions pas autorisés à révéler la position de négociation d'un autre pays membre de l'OCDE. Je serais donc très réticent à vous fournir beaucoup de détails au sujet de ce que les États-Unis cherchent à réaliser dans le cadre de ces négociations. Cela les regarde.

Par contre, la démarche que nous retenons pour nos consultations publiques relève entièrement de notre compétence. La seule restriction concerne le traitement des documents et, bien entendu, la divulgation des positions d'autres parties qui participent aux négociations.

Le président: Voilà qui termine cette séance. Le comité doit maintenant se réunir à huis clos pour poursuivre ces discussions.

Je voudrais donc vous remercier, monsieur Dymond, ainsi que vos collaborateurs de votre présence aujourd'hui. Avez-vous autre chose à dire aux membres du comité?

M. William Dymond: Un ou deux petits points, monsieur le président. Le ministère de l'Industrie a mené une étude sur les tendances en matière d'investissement étranger, étude qui a été distribuée lors d'une conférence tenue à Toronto il y a 15 jours. J'invite M. Ready à en laisser une copie au greffier pour que le comité puisse en prendre connaissance. Elle présente des faits et des chiffres de base, et une analyse qui sauront, je l'espère, intéresser le comité et dont vous voudrez peut-être tenir compte en rédigeant votre rapport.

Deuxièmement, en mon propre nom et au nom de mes collègues, je voudrais remercier tous les membres du comité pour leur temps, l'attention qu'ils ont bien voulu nous accorder et leur gentillesse. Merci infiniment.

Le président: Merci, monsieur Dymond.

Chers collègues, nous allons faire une pause de deux minutes avant de reprendre la discussion à huis clos.