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SINT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL TRADE, TRADE DISPUTES AND INVESTMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DU COMMERCE, DES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 5 mai 1998

• 1535

[Traduction]

Le président (M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.)): Nous pouvons commencer.

Nous étudions aujourd'hui l'OMC et nous accueillons Mike Gifford, du ministère de l'Agriculture.

Avant de lui donner la parole, je voudrais souhaiter la bienvenue à nos invités de l'Université Concordia, qui sont accompagnés du professeur David MacDonald, un ex-député. Chers collègues, nous allons donner une quinzaine de minutes à M. Gifford pour sa déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions.

Comme vous le savez, monsieur Gifford, le comité étudie les prochaines négociations de l'OMC sur l'agriculture et sur les services. Nous avons déjà accueilli des représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, et nous continuerons nos audiences cet automne puis, plus que probablement, l'année prochaine, étant donné que les négociations ne commenceront pas avant 1999. D'ici là, nous aurons entendu les représentants de différents groupes du pays qui s'intéressent directement aux prochaines négociations. Je précise que vous avez participé de près aux dernières.

De fait, je me trouvais le mois dernier à une autre réunion concernant le commerce international où quelqu'un de l'extérieur du gouvernement m'a dit: «Vous avez vraiment le meilleur négociateur de tout l'OMC: Mike Gifford.» Je tenais à vous le dire. Ce sont les termes mêmes qu'il a employés.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Ça ne fait pas monter le salaire.

Le président: C'est vrai. Je vous souhaite cependant la bienvenue et je vous donne la parole.

M. Mike Gifford (sous-ministre adjoint suppléant, Direction des marchés et des services industriels, ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire): Merci beaucoup, monsieur le président. Je vais tenter d'être bref car je sais que vous préférez consacrer la majeure partie de la réunion à une période de questions. Je vais donc essayer cet après-midi de vous donner un bref aperçu du contexte dans lequel nous engagerons les prochaines négociations de l'OMC, de vous dire ce que nous faisons actuellement pour nous y préparer, au Canada, et d'indiquer les principales préoccupations du Canada dans ce contexte.

Comme vous le savez, monsieur le président, nous avons envoyé au greffier du comité des exemplaires de certains documents de réflexion que le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire a distribués dans le secteur privé afin de mettre en relief les principales questions qui feront l'objet des prochaines négociations, et d'en exposer le contexte historique.

Bien que cela soit peut-être difficile à croire aujourd'hui, lors du lancement de l'Uruguay Round au milieu des années 80, le commerce des produits agricoles venait en grande mesure de connaître 30 ou 40 années d'anarchie. Certes, les règles du GATT devaient théoriquement s'appliquer au commerce agricole mais, en réalité, elles étaient plus souvent bafouées que respectées du fait du caractère hautement politique de l'agriculture. Les règles n'étaient pas efficaces. Il y avait toutes sortes d'exceptions particulières à certains pays. Lorsque le secteur industriel a décidé d'éliminer et d'interdire les subventions à l'exportation, au milieu des années 50, le monde agricole a décidé quant à lui de les conserver.

• 1540

De ce fait, il n'y avait pas vraiment de règle de droit qui s'appliquait au commerce agricole. Mieux encore, une véritable guerre de subventions agricoles régnait entre les Américains et les Européens, et cela avait manifestement des conséquences sur des exportateurs agricoles tels que le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Brésil et l'Argentine, ainsi que sur d'autres pays occupant une place moins importante dans l'exportation des produits agricoles.

Rétrospectivement, on peut dire aujourd'hui que l'Uruguay Round, qui s'est conclu en décembre 1993, a marqué un point tournant dans la manière dont la collectivité internationale a décidé de régir le commerce agricole. Du fait de l'accord de l'Uruguay Round, nous avons aujourd'hui un système de règles efficaces qui s'appliquent également à tous les pays, sans aucune exception, grands ou petits. Nous avons un ensemble de règles en vertu desquelles toutes les conditions d'accès au marché sont consolidées. Nous avons même des règles qui, à certains égards, vont au-delà de celles du secteur industriel puisqu'elles touchent les subventions intérieures. Nous avons commencé à réduire les subventions à l'exportation de produits agricoles.

Les trois thèmes de l'accord de l'Uruguay Round étaient l'accès au marché, les subventions à l'exportation et les mesures de soutien internes. Je mentionne aussi l'autre accord associé, qui est très important pour le secteur agricole, l'accord sur les règlements sanitaires et phytosanitaires car, à l'époque, on s'est bien rendu compte que, si les obstacles traditionnels au commerce, comme les tarifs douaniers et les quotas d'importation, devaient tomber, on constaterait probablement une certaine tendance à ériger des obstacles techniques, comme des mesures relatives à la santé des plantes et des animaux, qui seraient en fait des obstacles déguisés au commerce. Nous avons donc obtenu une structure à quatre piliers, les quatre éléments de l'Uruguay Round.

L'agriculture est dans une situation particulière. De fait, cela vaut autant pour l'agriculture que pour les services dans la mesure où, à la fin de l'Uruguay Round, les parties s'étaient entendues pour reprendre rapidement les négociations sur ces deux questions—fin 1999 dans le cas de l'agriculture, et en l'an 2000 dans le cas des services.

Parallèlement à cela, il convient de se souvenir que, vers le milieu des années 80, nous avions beaucoup de difficulté à convaincre les pays qu'ils auraient tout intérêt à négocier pour la première fois des règles efficaces sur le commerce agricole. Nous avons réussi à surmonter cet obstacle en intégrant à l'Uruguay Round l'engagement de reprendre les négociations.

Que s'est-il donc passé à l'échelle internationale? Pour préparer le lancement des négociations à la fin de 1999, nous participons à des échanges d'analyses et d'informations à Genève. Au fond, les pays participants qui sont membres de l'OMC s'efforcent d'évaluer les implications de l'accord de l'Uruguay Round et commencent, bien que très timidement, à se pencher sur certains des nouveaux domaines que l'on pourrait aborder lors de la prochaine ronde.

Je crois que la grande différence entre l'Uruguay Round et les négociations antérieures, celles du GATT comprises, est que l'on ne tenait pas compte auparavant du lien existant entre les programmes agricoles intérieurs et les problèmes commerciaux. Lors de l'Uruguay Round, on a admis pour la première fois de manière explicite que c'était la manière dont les pays choisissaient d'appuyer leur agriculture qui était à l'origine d'une grande partie des problèmes commerciaux. Je veux parler des programmes de soutien de l'agriculture.

L'une des caractéristiques particulières de l'Uruguay Round fut aussi que les pays admirent que les gouvernements allaient continuer d'appuyer leur agriculture mais qu'ils devraient s'efforcer de le faire à l'avenir de manière à moins fausser les échanges commerciaux.

En conséquence, l'un des résultats de l'Uruguay Round a été cette catégorisation des mesures de soutien intérieures dans ce qu'on appelle la catégorie verte, pour les mesures ayant peu d'incidence sur la production et le commerce, et la catégorie jaune, pour les mesures en ayant une. Les engagements de réduction des mesures de soutien intérieures s'appliquaient seulement à la catégorie jaune. Dans le cas des mesures de soutien vertes, elles ne pouvaient faire l'objet de mesures compensatoires. Au fond, on disait que, si le Trésor public était assez garni, un pays pouvait dépenser tout ce qu'il voulait pour appuyer son agriculture si cela ne faussait pas le commerce. Par contre, dans le cas contraire, il devait s'engager à des réductions et il s'exposait à l'application de droits compensatoires.

• 1545

Il existe un lien entre les politiques intérieures et les mesures commerciales. Les problèmes du commerce de l'agriculture étaient parfaitement clairs à l'époque de l'Uruguay Round et l'on savait qu'ils occuperaient le devant de la scène à l'étape suivante.

Avant de parler de nos préparatifs, je devrais peut-être signaler en passant qu'il y a actuellement un autre développement à Genève qui pourrait avoir une incidence sur la prochaine ronde de négociations et, très certainement, sur la position canadienne. Je veux parler de la question des prix d'exportation des produits laitiers.

À l'heure actuelle, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande ont demandé l'établissement d'un comité sur les prix canadiens d'exportation des produits laitiers en arguant notamment du fait que le système canadien est un mécanisme conçu pour court-circuiter nos engagements en matière de subventionnement des exportations. Pour notre part, nous prétendons que nos mesures sont parfaitement conformes à nos obligations internationales.

Il y a toute cette question des systèmes de prix double, c'est-à-dire que l'on veut savoir si les règles internationales relatives à ces systèmes en vertu desquels les pays utilisent n'importe quelle protection douanière qu'ils veulent à la frontière, que ce soit avec des droits de douane de 10 p. 100 ou de 100 p. 100, pour relever le prix tous droits acquittés, afin d'exporter ensuite sur les marchés internationaux au prix international en vigueur. Il est clair que toute la question des systèmes de prix double sera primordiale lors de la prochaine ronde.

Pour ce qui est des préparatifs intérieurs, monsieur le président, le gouvernement est parfaitement conscient qu'il doit se préparer, et bien se préparer. Il nous faut susciter un débat éclairé parmi toutes les parties prenantes du système agroalimentaire canadien, et c'est ce que le ministère de l'Agriculture a tenté de faire avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international en distribuant ses documents de réflexion.

Nous encourageons les associations de producteurs et de transformateurs à consacrer une partie de leur prochaine assemblée annuelle ou un certain nombre d'ateliers à l'examen des questions commerciales, en se concentrant sur les prochaines négociations de l'OMC. Nous avons offert un soutien financier aux provinces et au secteur privé pour organiser de tels symposiums et ateliers. Celui qui s'est tenu à Saskatoon l'automne dernier a connu un grand succès. Les gouvernements du Québec et de l'Alberta ont l'intention d'en tenir de semblables cet automne.

Nous espérons que tous ces préparatifs nationaux déboucheront sur une conférence fédérale-provinciale-sectorielle que nous avons l'intention de tenir au printemps de 1999. Suite à cette conférence tripartite, les fonctionnaires commenceraient à rédiger un mémoire au Cabinet afin d'obtenir un mandat préliminaire de négociation durant l'été ou au début de l'automne de 1999, ce qui nous permettrait d'entreprendre les négociations fin 1999.

Voilà pour les préparatifs intérieurs, monsieur le président.

Passons maintenant brièvement aux principales préoccupations du Canada dans ce contexte. Il y en a trois ou quatre qui existent depuis longtemps, et il y en a quelques nouvelles. Passons d'abord aux préoccupations traditionnelles.

L'une des questions les plus controversées pour le Canada sera probablement celle de l'accès au marché, c'est-à-dire l'établissement d'un consensus national sur une position de négociation canadienne. Vous vous souviendrez que, lors de la dernière ronde, l'une des percées effectuées dans le secteur de l'agriculture fut l'accord de convertir tous les obstacles non tarifaires en tarifs douaniers ou en équivalents tarifaires. Cela a débouché sur toute une série de quotas tarifaires, expression qui désigne simplement l'application d'un tarif à deux paliers, c'est- à-dire d'un tarif inférieur sur une certaine quantité puis d'un tarif beaucoup plus élevé, et généralement prohibitif, sur les quantités suivantes.

Depuis la fin de l'Uruguay Round, il est devenu parfaitement clair que les pays n'avaient pas vraiment réfléchi aux conséquences que pourrait avoir l'application d'une prolifération de ce qui ne sont, à toutes fins pratiques, que des quotas. Avec un tarif à deux paliers, avoir accès aux produits importés au tarif inférieur revient évidemment à avoir accès à de l'argent. C'est une sorte de rente économique que l'on obtient lorsqu'on réussit à mettre la main sur le permis d'importation de la quantité assujettie au tarif inférieur.

• 1550

Les gouvernements ont fait plusieurs tentatives pour surmonter ces problèmes. Dans certains cas, ils ont simplement levé les bras au ciel et dit: «Premier arrivé, premier servi». Les services douaniers se contentent de comptabiliser les produits arrivant à la frontière et, lorsque la quantité assujettie au tarif inférieur est atteinte, ils appliquent automatiquement le tarif élevé.

Dans d'autres cas, comme au Canada, on a essayé d'être un peu plus sophistiqué. Nous tentons en effet de veiller à ce que les parties les plus vulnérables de la chaîne aient accès à ces permis d'importation rares. Par exemple, si vous fabriquez des repas préparés ou des repas à base de poulet, vous faites face à l'accès en franchise de droits des mêmes produits américains arrivant au Canada en vertu de l'ALENA. Si vous voulez rester compétitif, vous devez avoir accès aux matières premières ou aux prix compétitifs des États-Unis. En attribuant ces permis d'importation du poulet, nous nous sommes assurés que c'étaient les transformateurs confrontés à la concurrence de produits finis entrant en franchise de droits qui les obtiendraient.

Bien que les quotas tarifaires s'appliquent à bon nombre de produits de la volaille et de produits laitiers, ils ne s'appliquent pas à tous, notamment aux produits les plus hautement transformés. Ce sont les fabricants de ces produits à forte valeur ajoutée qui font face à la concurrence en franchise de droits et qui ont donc besoin de l'accès à des produits importés aux prix compétitifs des États-Unis.

Il est clair, monsieur le président, que les problèmes que devront relever les négociateurs du Canada lors de la prochaine ronde sont les suivants: de combien devrions-nous réduire ces tarifs, aussi bien dans le cadre du quota tarifaire qu'au-dessus du quota tarifaire; et, ce qui est probablement plus important, de combien devrions-nous accroître la quantité pouvant entrer au tarif inférieur?

La question suivante sera de savoir si l'on accepte de réduire les tarifs. Doit-on utiliser une formule? Au cours des années, nos collègues du secteur industriel ont mis diverses méthodes de négociation à l'essai dans le cadre des négociations du GATT. En voici quelques-unes.

La plus simple est de demander une offre. Toutefois, lorsqu'on a réglé les tarifs faciles, il devient de plus en plus difficile d'obtenir que l'autre pays fasse une offre. On reçoit beaucoup de demandes mais personne ne veut vraiment faire d'offre. Lors des négociations passées, concernant notamment les produits industriels, des pays ont tenté de s'entendre sur des formules. Devrait-on réduire les tarifs douaniers d'une moyenne de 50 p. 100, par exemple, avec une réduction minimum—disons, pour la discussion, de 15 p. 100 ou de 20 p. 100—ou devrait-on adopter une formule tarifaire disant fondamentalement que, plus le tarif est élevé, plus forte est la réduction?

Voilà donc certaines des questions en jeu. Manifestement, le Canada se trouve des deux côtés de la barrière. Les secteurs souhaitant maximiser leur accès à l'exportation voudront maximiser les réductions tarifaires, alors que ceux qui sont plus exposés aux importations seront manifestement moins à l'aise avec une formule tarifaire.

Il existe déjà un consensus au Canada sur l'idée qu'il est préférable d'aller jusqu'au bout lorsque la négociation le permet—c'est-à-dire de négocier l'entrée en franchise de droits sur une base multilatérale. C'est en particulier le secteur des oléagineux et des produits dérivés qui a indiqué son appui pour cette démarche dite zéro-pour-zéro qu'on a utilisée pour un certain nombre de secteurs industriels et quelques secteurs agricoles lors de l'Uruguay Round. Par exemple, pour la bière, un grand nombre de pays se sont entendus sur l'entrée en franchise de droits, tout comme pour un grand nombre de spiritueux, par exemple les spiritueux bruns.

Vers la fin des négociations de l'Uruguay Round, nous avons tenté de négocier une entente zéro-pour-zéro pour les oléagineux et les produits dérivés. Malheureusement, c'était trop peu et trop tard et, en fin de compte, la négociation n'a pas vraiment démarré.

Il est cependant incontestable qu'il y a un consensus parmi les producteurs primaires et transformateurs du Canada sur l'idée qu'il vaut la peine d'essayer d'obtenir l'accès en franchise de droits et l'élimination de tous les obstacles à l'exportation. C'est certainement une possibilité.

• 1555

Si l'on va au-delà du secteur des oléagineux et des produits dérivés, le potentiel de négociation de l'entrée en franchise de droits sur une base multilatérale est beaucoup moins clair. Pour des secteurs comme les céréales, le sucre et les produits laitiers, les sensibilités de très nombreux pays importateurs sont telles que la possibilité de négocier un accord zéro-pour-zéro est fort douteuse.

L'assistance à l'exportation, c'est-à-dire les subventions à l'exportation, a probablement été l'une des techniques gouvernementales qui ont le plus faussé le commerce. Pour appuyer leurs secteurs agricoles, les pays ont fourni une aide financière directe et des subventions à l'exportation. Lors de l'Uruguay Round, nous avons pour la première fois commencé à réduire les subventions à l'exportation. Il y a beaucoup de pays agricoles exportateurs qui souhaitent vivement que les subventions à l'exportation de produits agricoles soient progressivement éliminées puis interdites, tout comme le furent les subventions industrielles au milieu des années 50.

Comme je l'ai dit plus tôt, si les gouvernements s'entendent pour éliminer les subventions à l'exportation pendant une période donnée, cela soulèvera un certain nombre de problèmes. L'un d'entre eux sera que, si les gouvernements qui ont recours aux subventions directes à l'exportation doivent les éliminer progressivement, on risque de faire face à des efforts désespérés pour essayer de contourner cet engagement, par exemple par des systèmes de prix double.

Il n'est pas exagéré de dire que, lors de la dernière ronde de négociations, les systèmes de prix double en agriculture n'ont fait l'objet d'aucune discussion. Nous pouvons cependant presque garantir qu'il y aura un débat sur les modalités et conditions qui devraient s'appliquer à tout pays ayant essentiellement un tarif douanier si l'on décide d'éliminer ou de réduire progressivement les subventions à l'exportation. Comme je l'ai dit, qu'il s'agisse d'un tarif de 10 p. 100, de 50 p. 100, de 100 p. 100 ou de 1 000 p. 100 n'a aucune importance. Quiconque détient un pouvoir de commercialisation sur le plan intérieur peut toujours faire monter ses prix jusqu'au niveau du prix du produit rendu droits acquittés. Or, quand on exporte, on exporte au prix mondial. Il y aura toujours une grosse différence. En conséquence, le problème sera de savoir s'il faudrait appliquer des disciplines internationales renforcées sur l'utilisation des systèmes de prix double.

Finalement, monsieur le président, en ce qui concerne les secteurs traditionnels de négociation et de soutien intérieur, et aussi bizarre que cela puisse paraître, on est plus avancé dans l'agriculture que dans l'industrie. Il existe en effet un engagement international de réduction de certains types de subventions, celles qui sont censées fausser le commerce. La question sera de savoir jusqu'où on peut réduire ces niveaux de soutien.

Comme nous sommes proches des États-Unis, l'un des principaux objectifs du Canada lors de l'Uruguay Round avait été d'obtenir un accord international sur ce qu'est effectivement une subvention ne pouvant faire l'objet de droits compensatoires. En conséquence, la décision d'établir des critères pour déterminer si une mesure intérieure de soutien de l'agriculture faussait le commerce ou non nous a certainement aidés dans nos relations avec les États-Unis, du point de vue de l'éventualité de mesures compensatoires.

Je réalise que mon exposé est assez long, monsieur le président, et je vais donc conclure rapidement en attirant votre attention sur certaines questions nouvelles qui seront probablement abordées pendant les négociations.

Il s'agit d'abord de ce qu'on appelle les entreprises commerciales d'État. Je veux parler d'organisations de vente et d'achat à guichet unique. Sur le plan des importations, il s'agit de l'Agence alimentaire du Japon, qui est responsable de l'importation du riz et du blé, entre autres. Il existe une organisation similaire en Chine qui s'occupe de tous les achats de blé de ce pays. La question qui se pose est celle-ci: si on a un acheteur unique, peut-il à toutes fins pratiques annuler tout engagement d'accès qui aurait pu être négocié?

Cela dit, c'est probablement le problème des exportations qui suscitera le plus de discussion au Canada étant donné que les États-Unis et quelques autres exportateurs, comme l'Argentine, ont clairement indiqué qu'ils souhaitent négocier des disciplines renforcées au sujet des organisations de vente à guichet unique, comme la Commission canadienne du blé, la Commission du blé de l'Australie et la Commission laitière de la Nouvelle-Zélande. Par exemple, les États-Unis et l'Argentine affirment que ces agences de vente à guichet unique jouissent d'un avantage injuste par rapport aux pays qui ont des systèmes de commercialisation fondés sur ce qu'on appelle un système d'entreprises de marché.

• 1600

Des règles ont été adoptées au sujet des agences de vente et d'achat à guichet unique, en vertu du GATT, devenu l'OMC. Toutefois, ces règles n'ont pas été révisées depuis 1947. Je crois pouvoir affirmer qu'un débat très sérieux va s'engager sur la question de savoir si et dans quelle mesure les règles existantes s'appliquant aux entreprises commerciales d'État devraient être modifiées ou renforcées.

Voici ma dernière remarque, monsieur le président. Depuis environ un an, je pense qu'il est devenu très clair que les progrès scientifiques dans le secteur de l'agriculture causent des problèmes commerciaux d'ordre très concret. Je veux parler notamment de la biotechnologie et du fait que tous les pays tirent de plus en plus profit des progrès de la science qui nous permettent de mettre au point des produits améliorés par la génétique.

Bien qu'il existe des systèmes très rigoureux de réglementation et d'approbation en Amérique du Nord, et nonobstant le fait que la sécurité des consommateurs soit primordiale, nous avons réussi à mettre au point un processus d'approbation réglementaire qui permet à ces progrès scientifiques d'être soumis aux autorités pertinentes et, après les contrôles nécessaires, de déboucher sur des usages autorisés.

En Europe, cependant, et surtout depuis les problèmes de la maladie de la vache folle, la science a perdu un peu de sa crédibilité. En conséquence, le canola canadien ainsi que le maïs et le soja américains génétiquement renforcés ont de plus en plus de difficulté à entrer sur le marché de l'Union européenne depuis trois ou quatre ans—et ils représentent aujourd'hui une bonne partie de la production nord-américaine. Cela s'explique en grande mesure par le processus d'approbation très byzantin—je pense que c'est le seul mot qui convient—mis en oeuvre par les Européens pour les produits de biotechnologie.

À l'heure actuelle, par exemple, le Canada se voit à toutes fins pratiques empêché d'exporter du canola vers l'Europe parce que la vente de nos variétés améliorées par la génétique n'y est pas autorisée. De ce fait, un commerce qui valait entre 400 et 500 millions de dollars pour les producteurs de l'Ouest canadien il y a quelques années ne vaut maintenant plus rien parce que le processus européen d'amélioration de ces produits a été gelé.

Cela pose un problème de fond. Les décisions relatives aux produits améliorés par la génétique devraient-elles être prises en fonction de la science ou en fonction de l'adoption obligatoire de mesures qui, tout en protégeant la santé humaine, végétale et animale, représente ce qui est le moins destructeur pour le commerce, ou devrait-on laisser les préférences des consommateurs primer sur la science?

Voyez les exemples européens. Prenons le cas des hormones de croissance du boeuf, dont l'utilisation est approuvée au Canada mais pas en Europe. De ce fait, les éleveurs canadiens et américains ne peuvent exporter de viande de boeuf vers l'Europe à cause de ces hormones de croissance. Les Européens affirment qu'il s'agit d'une préférence des consommateurs. C'est-à-dire, au fond, que ces derniers préféreraient ne pas consommer ces produits.

Le problème est que, si la société détermine que les consommateurs préfèrent ne pas utiliser ces produits, il devient très difficile de faire la distinction entre une préoccupation de santé véritable et l'utilisation d'une mesure sanitaire comme obstacle déguisé au commerce.

En conclusion, monsieur le président, toute la question des produits améliorés par la génétique va certainement faire l'objet de discussion.

Il existe un accord séparé sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. D'un point de vue pratique, cela fera probablement l'objet de négociations parallèles à celles de l'agriculture.

• 1605

Je réalise, monsieur le président, que j'ai abordé toutes sortes de questions différentes dans mon exposé. Ma toute dernière remarque consistera simplement à dire que, lors des dernières négociations, qui ont duré sept ans, comme vous le savez, on peut dire clairement, avec l'avantage de la rétrospective, que le facteur qui a permis aux négociations de l'agriculture et à l'Uruguay Round de manière générale d'arriver à conclusion, a été la décision de l'Union européenne de réformer des éléments de la Politique agricole commune. Autrement dit, c'est parce que les Européens ont finalement admis qu'ils ne pourraient pas ratifier l'accord de l'Uruguay sur l'agriculture s'ils ne modifiaient pas leurs politiques agricoles intérieures.

Il ne faut pas oublier non plus, ou il convient de souligner aujourd'hui, que M. Fischler, le commissaire européen à l'Agriculture, dit foncièrement la même chose—c'est-à-dire que l'Europe, qui est le deuxième exportateur mondial de produits agricoles après les États-Unis, doit poursuivre sa réforme de la Politique agricole commune si elle veut rester compétitive dans ce secteur à l'aube du siècle prochain, et ce, pour deux raisons.

Premièrement, elle peut s'étendre vers l'Est. On s'attend à ce que tous les anciens pays de l'Union soviétique, à l'exception de la Russie, finissent à un moment ou à un autre par se joindre à une Union européenne élargie. Or, bon nombre de ces pays seront des producteurs agricoles potentiellement très compétitifs. Les Européens d'aujourd'hui ne pourront pas se payer le luxe d'une Politique agricole commune aussi riche qu'elle l'est s'ils doivent l'appliquer à ces nouveaux membres.

Deuxièmement, la Commission de l'Union européenne réalise que la Politique agricole commune d'aujourd'hui doit être modifiée si elle veut que l'agriculture européenne continue de se développer dans un monde où l'on ne cesse d'abolir des obstacles plutôt que d'en créer de nouveaux.

Or, telle a été l'histoire du commerce des produits agricoles pendant les 50 dernières années. Jusqu'à la fin de l'Uruguay Round, à la différence du secteur industriel où les obstacles sont tombés peu à peu au cours des années, la situation était pire en 1986 qu'en 1947 en ce qui concerne l'agriculture. Elle est aujourd'hui légèrement meilleure qu'en 1986 mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour rattraper le secteur industriel.

C'est tout ce que j'avais à dire, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup. C'était un exposé très exhaustif. Considérant votre grande expérience de négociateur commercial, sachez bien que nous ferons probablement encore appel à vous au cours des prochains mois.

Nous allons donc maintenant ouvrir la période des questions avec des tours de 10 minutes. Pour commencer, cependant, je voudrais poser une question d'ordre général.

Le comité vient de terminer son examen de l'AMI. L'une des critiques formulées par les groupes que nous avons entendus portait sur le secret qui entoure ce genre de négociations. Je suis sûr que vous êtes au courant. Considérant votre expérience de négociateur, pourriez-vous nous donner une idée du degré de transparence que l'on pourrait imprimer à ces négociations?

M. Michael Gifford: Certainement, monsieur le président. Je ferai une comparaison avec le Tokyo Round du milieu des années 70, lorsque j'étais membre de l'équipe de négociation canadienne. À l'époque, l'offre canadienne en matière de tarifs douaniers agricoles n'était connue que de trois personnes environ: deux à Ottawa et une à Genève. À l'époque, les tarifs douaniers étaient considérés comme une sorte de secret budgétaire car, traditionnellement, c'était dans le cadre des budgets qu'on y apportait des réductions, et les négociateurs considéraient les offres tarifaires comme un processus quasi budgétaire.

Je crois pouvoir dire aussi que, lorsque les gens ont commencé à réaliser, surtout dans l'agriculture, qu'un nombre croissant de problèmes du commerce agricole étaient directement reliés aux programmes intérieurs de soutien de l'agriculture, ils ont peu à peu compris qu'il était quasiment impossible de traiter une négociation commerciale comme un document budgétaire. Autrement dit, il fallait que les parties prenantes soient sensibilisées au problème, ce qui exigeait plus de transparence.

Cela nous a amenés à l'Uruguay Round où, même si les négociateurs du gouvernement fédéral voulaient garder le secret sur tout ce qu'ils disaient à Genève, cela leur fut quasiment impossible à cause de la technologie moderne. Tout ce que je disais à Genève pouvait être relayé le lendemain aux producteurs laitiers ou aux producteurs de blé du Canada par télécopieur ou par téléphone, par leurs contacts en Europe.

• 1610

Je crois pouvoir dire que les négociations menées depuis quatre ou cinq ans sont de plus en plus transparentes. Pour ce qui est du Canada, nous avons un processus de consultation très structuré, le GCSCE agricole. De fait, les groupes de consultations sectorielles sur le commerce extérieur, qui relèvent du ministre du Commerce international et du ministre de l'Agriculture, sont tenus constamment informés de tous les développements.

En outre, nous consultons régulièrement et largement les provinces, étant donné le partage de compétence entre les gouvernements fédéral et provinciaux dans le secteur de l'agriculture. Nous avons indiqué très clairement à toutes les firmes et à tous les groupes de producteurs primaires de l'agriculture que les négociateurs peuvent être consultés à tout moment à titre individuel.

Telle est la réalité contemporaine, monsieur le président. Il existe par ailleurs un certain nombre de publications spécialisées sur les politiques commerciales, comme Inside U.S. Trade et Agra Europe Weekly. Si vous voulez savoir comment avancent les négociations sur le commerce agricole, il vous suffit de vous faire télécopier un exemplaire de ces publications et vous en saurez autant que les négociateurs.

Le président: Merci.

Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Je voudrais à mon tour, au nom de mon parti, le Bloc québécois, souhaiter la bienvenue aux étudiants de Concordia et au professeur MacDonald mais aussi au professeur Salee, que je vois dans la salle et qui est un collègue et un ami, en espérant qu'ils trouveront cela intéressant. En tout cas, cela deviendra plus intéressant pendant la période d'échange avec les témoins qui vont se présenter devant le comité.

J'ai quatre questions, dont la première fait suite à celle du président. Il y a eu des débats au sein de ce sous-comité et au sein du comité sur le rôle des parlementaires dans l'examen des textes de négociation pendant les négociations. Je comprends et j'ai constaté moi aussi que les négociations sont plus ouvertes, moins secrètes qu'avant, moins secrètes qu'elles ne l'étaient au Tokyo Round et qu'elles ne l'ont été pendant l'Uruguay Round.

J'aimerais savoir si la dernière expérience de l'Uruguay Round a révélé que les textes mêmes de négociation pouvant faire l'objet d'un examen public étaient soumis aux groupes et à l'industrie, et si vous pensez au Parlement, que ce soit ce sous-comité ou le Comité des affaires étrangères, qu'il est possible d'examiner de tels documents pendant la négociation. Vous savez que cela soulève un débat qu'un de mes jeunes collègues a suscité en emportant sa chaise hors de ce Parlement, et c'est celui du contrôle parlementaire sur des négociations internationales, qu'il s'agisse de négociations de l'AMI ou des négociations des futurs accords dans le cadre de l'OMC. C'est ma première question.

Ma deuxième question sera peut-être un exercice pédagogique intéressant pour tous ceux qui participent. Moi qui représente une circonscription rurale, je vais souvent voir des agriculteurs, des producteurs laitiers, et je peux vous dire qu'ils ont beaucoup de difficulté à comprendre la gestion des quotas. Je vous avoue très humblement que j'ai autant de difficulté qu'eux. En effet, je voudrais savoir comment la question des quotas laitiers est gérée dans les négociations de l'OMC. Est-ce que ces quotas sont remis en question ou non pendant les négociations?

J'aimerais donc que vous nous expliquiez le plus simplement possible le système qui existe en la matière, car il est important pour le Québec de savoir si on le remet en question pendant ces négociations.

Ma troisième question est simple. Est-ce que les crédits à l'exportation qu'octroie la Commission canadienne du blé sont considérés par d'autres partenaires commerciaux du Canada comme des subventions à l'exportation? Est-ce qu'il y a des groupes spéciaux qui se sont penchés sur cette question, et est-ce que ce sera un sujet de négociation important lors de la prochaine ronde?

Quant à ma dernière question, vous n'avez pas abordé le sujet et je ne sais pas s'il mérite de l'être. Il s'agit des relations entre cette négociation et l'ALENA, ainsi que la négociation d'un accord de libre-échange pour les Amériques dans leur ensemble. Comment est-ce que ces réseaux de négociation s'entremêlent?

• 1615

D'autre part, que faites-vous, au ministère ou ailleurs, pour coordonner vos positions en matière d'agriculture pendant toutes ces négociations?

[Traduction]

M. Mike Gifford: En réponse à la première question, concernant le moment où les députés peuvent se pencher sur les textes, je crois que cela dépend de la nature des textes. En règle générale, pendant les négociations, les pays prennent certaines positions au départ, puis ils développent leurs idées, leurs préoccupations et leurs intérêts. Cela peut se faire en séance plénière, avec une centaine de pays, mais aussi dans des groupes beaucoup plus restreints.

Il arrive cependant un moment où le président du groupe de négociation doit finalement sortir de l'expectative et proposer une démarche.

Lors de l'Uruguay Round, par exemple, Arthur Dunkel, le directeur général du GATT et, avant lui, Art De Zeeuw, président du groupe de négociation sur l'agriculture, avaient formulé une proposition entérinant l'existence de vastes fossés entre les Européens, en particulier, et l'Amérique du Nord et le Groupe Cairns. Ils ont donc proposé un plan détaillé pour parvenir à une entente sur l'agriculture.

Cette proposition a été déposée un soir et, je ne vous mens pas, les groupes de producteurs d'Ottawa l'avaient entre les mains le lendemain matin. Les fuites se font extrêmement vite. Il est impossible de garder le secret. Autrement dit, dès que les textes de négociation apparaissent, ils tombent quasiment dans le domaine public.

Certains d'entre vous se souviennent peut-être de l'évolution du texte sur l'investissement à Paris. Il s'agissait d'une sorte d'arbre de Noël. Tout le monde voulait proposer son propre texte et l'on se retrouvait finalement avec une dizaine de propositions différentes pour une même phrase.

À Genève, l'expérience a montré que l'on ne peut formuler un texte de cette manière. Il faut essayer d'amener toutes les parties à exprimer dans un texte de négociation ce qu'elles pensent avoir tiré du processus. De cette manière, on peut travailler sur un texte unique.

Je pense que c'est le genre de texte que l'on pourrait mettre largement à la disposition des parlementaires dès qu'il est communiqué aux négociateurs, étant donné qu'il tombera de toute façon très rapidement dans le domaine public.

M. Daniel Turp: Pourrait-on trouver ce genre de texte sur les sites Internet de l'OMC, par exemple? Aujourd'hui, l'AMI se trouve sur le site Internet de l'OCDE et tout le monde peut y avoir accès.

M. Mike Gifford: Même l'OMC a pris l'habitude de diffuser ses documents sur des sites Internet. Je suppose donc—mais ce n'est qu'une simple spéculation de ma part—que l'une des questions qui se poseront probablement sera le rôle de la société civile et l'exigence de transparence, c'est-à-dire la nécessité de donner aux populations le sentiment que le fait qu'elles n'aient pas accès aux informations ne veut nécessairement pas dire qu'on leur cache quelque chose.

Pour toutes ces raisons, je pense qu'il y aura de plus en plus de transparence. En tout cas, diffuser ces textes sur l'Internet serait une évolution logique.

Je crois que votre question portait aussi sur les quotas de production et d'importation du Canada pour les producteurs laitiers. Chaque producteur peut acheter les quotas d'autres producteurs. Comme le prix canadien est supérieur au prix mondial, les avantages se trouvent capitalisés dans la valeur des quotas.

En conséquence, si vous vouliez par exemple acheter des vaches laitières au Canada, vous devriez payer 12 000 $ à 13 000 $ par vache pour avoir le privilège de les traire. Voilà la valeur de quota associée au quota de production.

Si vous vouliez exporter, étant donné que les organismes de gestion de l'offre veulent que l'on exporte de plus en plus et que de plus en plus de gens parlent de produire en dehors des quotas afin d'exporter—autrement dit, réserver le quota intérieur pour la consommation intérieure et produire en dehors des quotas pour l'exportation... C'est ce qu'on appelle le programme d'exportation optionnel.

• 1620

Votre question concernait toutefois les quotas d'importation. Comment les gouvernements décident-ils d'augmenter un quota tarifaire pour le beurre ou pour le fromage, par exemple? Il convient de rappeler ici que, lors de l'Uruguay Round, le Canada a offert d'appliquer la proposition Dunkel aux produits laitiers. Par exemple, Dunkel disait que les engagements d'accès, c'est-à-dire la quantité autorisée à entrer au tarif inférieur, devrait être équivalente à 3 p. 100 de la consommation pour monter jusqu'à 5 p. 100 de la consommation. Nous avons formulé des propositions équivalentes à cela mais les États-Unis, dans leur sagesse, ont décidé de faire une offre inférieure. De ce fait, nous avons dit que nous ne ferions pas mieux que les États-Unis et nous avons donc ramené notre offre à un niveau équivalent à l'offre américaine.

Au fond, le niveau de quota tarifaire que l'on peut espérer obtenir à la fin du processus dépend en fait d'un facteur: pensez- vous que les autres pays ont fait une proposition équitable? Si vous êtes importateur, comme l'est le Canada pour les produits laitiers, ainsi que les États-Unis et l'Europe, votre souci sera d'obtenir un engagement équivalent, eu égard à la taille du marché, entre les grands marchés d'importation, ce qui veut dire que l'Europe, le Japon, le Canada et les États-Unis, à la fin du processus, devraient jouir de conditions d'accès comparables pour les produits laitiers. Aucun ne devrait être plus exposé que les autres.

Certains de ces tarifs douaniers ou quotas sont attribués à des pays exportateurs individuels et il faut alors, je crois, solliciter l'avis de l'industrie concernée. Lorsqu'on accepte d'attribuer un quota tarifaire à un pays donné, il y a du pour et du contre. Dans le cas de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande, pays qui exportent du boeuf vers l'Amérique du Nord, il est avantageux d'avoir des quotas tarifaires spécifiques par pays pour les États-Unis et le Canada. En effet, elles n'ont pas ainsi à s'inquiéter de la concurrence du boeuf de l'Uruguay ou de l'Argentine sur le marché nord-américain. Elles ont l'assurance de leur quota national. Certains exportateurs diront que la meilleure chose que l'on puisse obtenir est un quota national alors que, si vous n'êtes pas un pays commerçant depuis longtemps, c'est-à-dire que vous êtes un tout nouvel exportateur, vous direz: «Je veux pouvoir faire concurrence aux autres et, si toutes les possibilités d'accès disponibles ont été attribuées en fonction des résultats historiques, moi, nouvel exportateur, je n'aurai finalement accès à aucun marché.»

L'une des questions de la prochaine ronde sera donc de savoir s'il devrait ou non y avoir des règles sur l'attribution des quotas tarifaires, et en particulier de savoir si l'on devrait interdire l'utilisation des quotas par pays, et si les quotas devraient fondamentalement être disponibles à tous les pays membres de l'OMC.

Parlons des crédits à l'exportation. Les crédits à l'exportation de produits industriels sont assujettis à un accord de l'OCDE. Il n'existe pas de tel accord pour les produits agricoles. Des négociations se poursuivent à Paris à ce sujet mais je pense que l'on s'attend à ce qu'elles n'aboutissent pas et à ce que, d'un point de vue pratique, la négociation des crédits à l'exportation se fasse dans le cadre de la prochaine ronde de négociations agricoles de Genève et de l'OMC.

Certains crédits à l'exportation peuvent être qualifiés de subventions dans la mesure où les taux d'intérêt sont subventionnés. D'autres peuvent être consentis sur la base des taux commerciaux. Aujourd'hui, par exemple, ce qui est important, c'est que, même si les États-Unis ont évité de rétablir des subventions à l'exportation des céréales, ils ont eu largement recours aux crédits à l'exportation, notamment en Asie. Quiconque veut vendre du blé en Asie aujourd'hui ne peut être compétitif sans fournir des crédits à l'exportation.

C'est donc une chose que nous faisons à l'heure actuelle, avec réticence. Nous préférerions que cela fasse l'objet d'une discipline internationale et nous sommes certainement tout à fait favorables à assujettir les crédits à l'exportation aux disciplines internationales.

Votre dernière question concernait la relation entre les négociations de l'OMC et l'Accord de libre-échange des Amériques. À ce sujet—et c'est là une opinion tout à fait personnelle, monsieur le président—je pense que les négociations vraiment difficiles sur l'agriculture ne commenceront pas dans le cadre de l'ALEA avant 2003 ou 2004, probablement, et que l'on saura alors quel a été le résultat des négociations de l'OMC dans ce secteur.

En conséquence, mon opinion personnelle est que, lorsque commenceront les négociations de l'ALEA, nous connaîtrons le résultat des négociations de l'OMC.

• 1625

M. Daniel Turp: Qu'en est-il du lien entre l'ALENA, pour sa partie agricole, et les négociations de l'OMC? La grosse question était de savoir quel traité primait sur l'autre. Il y a eu une décision de comité d'arbitrage à ce sujet. Quelle est la position du Canada?

M. Mike Gifford: Toutes choses étant égales par ailleurs, ce qui prime en droit international, c'est le dernier traité. Cela dit, ce n'est pas vraiment la question qui compte dans le cas de ce qu'on appelle les quotas tarifaires.

Ce qu'a dit le comité de l'ALENA, c'est que les Canadiens avaient raison lorsqu'ils disaient que l'accord d'origine sur l'agriculture devait déboucher sur le libre commerce des produits agricoles mais en conservant des quotas d'importation sur nos secteurs sensibles respectifs, soit les produits laitiers et le sucre pour les États-Unis et les produits laitiers et la volaille pour le Canada.

En conséquence, quand l'OMC nous a dit que nous devions convertir ces quotas d'importation en équivalents tarifaires, le comité a appuyé la thèse canadienne qui était que le fait que nous soyons obligés, du fait de nos engagements de l'OMC, de convertir ces quotas d'importation en tarifs douaniers ne voulait pas dire que ces tarifs devaient être réduits à zéro, étant donné que le Canada, comme membre de l'Accord de libre-échange, était censé réduire tous ses tarifs douaniers à zéro. L'accord d'origine est très clair: les tarifs normaux disparaissent mais les quotas d'importation demeurent, et le seul résultat de l'exercice du GATT sur les tarifs douaniers a été de convertir ces quotas d'importation en équivalents tarifaires.

Fondamentalement, le comité de l'ALENA a dit aux Américains qu'ils ne pouvaient obtenir par la voie judiciaire ce qu'ils n'avaient pas réussi à obtenir à la table de négociation.

La question n'est pas de savoir si l'OMC prime sur l'ALE. Ce qu'a dit le comité, c'est que l'ALE est très clair: il ne donne pas un droit d'entrée illimité sur le marché canadien aux produits laitiers et à la volaille, il donne simplement un droit d'entrée en franchise mais avec un quota. Or, comme le quota a en fin de compte été converti en équivalent tarifaire, on ne peut pas dire d'un seul coup que, puisque l'autre disposition veut que tous les tarifs douaniers soient censés disparaître, on doit automatiquement ramener ces équivalents tarifaires à zéro.

Les Américains ont agi différemment avec le Mexique. Lorsqu'ils négociaient avec eux, en 1986-1987, ils étaient tout à fait prêts... en fait, ils étaient beaucoup plus soucieux que nous de protéger leurs secteurs sensibles. Toutefois, entre cette période et le début des négociations avec le Mexique, ils ont changé de position du tout au tout et ont fondamentalement décidé d'obtenir un accord exhaustif sur l'agriculture avec le Mexique de façon à ce qu'il n'y ait absolument aucune restriction sur le commerce agricole. Même pour les secteurs de denrées les plus sensibles, par exemple le sucre pour les États-Unis et le maïs pour le Mexique, ils ont réglé la question en adoptant des périodes de transition de 17 ans.

Il n'y a donc pas d'exceptions au commerce en franchise de droits dans l'Accord États-Unis—Mexique, alors que notre propre accord avec le Mexique dispose que tous les obstacles tarifaires sont éliminés, à l'exception de ceux concernant les denrées assujetties à un système de gestion de l'offre—produits laitiers et volaille.

M. Daniel Turp: Merci.

Le président: Monsieur Reed.

M. Julian Reed: Merci, monsieur le président.

J'ai quatre questions à poser et je ne pense pas qu'elles prendront beaucoup de temps.

Premièrement, avez-vous une opinion quelconque sur la politique du plus-jamais de l'UE, qui existe depuis la Deuxième Guerre mondiale et qui est à l'origine des politiques de subventionnement si extrêmes qui existent en Europe?

Deuxièmement, j'ai appris l'an dernier une nouvelle expression, «subventionnement croisé», et il semble maintenant qu'on l'utilise pour l'une des questions les plus délicates de l'heure: l'importation de ce mélange de sucre et de crème de Nouvelle- Zélande qu'on appelle beurre émulsionné. J'ai entendu dire que d'aucuns soupçonnent qu'il y a subventionnement croisé du transport aérien étant donné que cette mixture arrive apparemment au Canada par avion.

• 1630

Troisièmement, la biotechnologie ou son interprétation englobe-t-elle l'hybridation? Dans l'affirmative, nous pratiquons cette forme de biotechnologie depuis fort longtemps et il n'y a là rien de nouveau. Je m'inquiète cependant quand j'entends dire que l'Europe s'oppose au canola biotechnologique, car je défie quiconque de le distinguer chimiquement de tout autre type de canola produit de manière dite naturelle.

Finalement, qui seront cette fois les alliés du Canada en agriculture, d'après vous? La dernière fois, c'était le Groupe Cairns. Avons-nous aujourd'hui une idée de la position qu'il adoptera?

M. Mike Gifford: En Europe, vers la fin de la guerre, plusieurs pays ont connu un rationnement sévère, si ce n'est la famine. Il est donc évident que leur souci de l'autosuffisance les a amenés à adopter bon nombre de politiques agricoles dont l'objectif très explicite était d'assurer l'autosuffisance intérieure.

Lorsqu'on a adopté la Politique agricole commune, les Français, qui sont dans l'ensemble les producteurs les plus efficients du secteur agricole européen, étaient prêts à accepter des prix beaucoup plus bas que les Allemands. Ces derniers voulaient des prix très élevés qui s'appliqueraient de manière générale. En conséquence, la Politique agricole commune a été établie sur la base de prix unitaires élevés qui ont engendré de tels excédents que les pays sont passés du statut d'importateurs nets de pratiquement tout ce qu'ils consommaient à celui d'exportateurs nets, si ce n'est de plus gros exportateurs mondiaux, de pratiquement tout ce qu'ils produisaient. Tel fut l'un des résultats tout à fait spectaculaires de leurs politiques agricoles intérieures.

Les arguments avancés aujourd'hui pour continuer d'appuyer le secteur rural, qui reposent sur l'idée d'autosuffisance intérieure, sont beaucoup plus sophistiqués. On dit aujourd'hui en Europe que les gouvernements doivent appuyer la multifonctionnalité de l'agriculture, ce qui veut dire en fait que les agriculteurs doivent être considérés comme les gardiens du monde rural, c'est-à- dire comme des protecteurs du potentiel touristique tout autant que des producteurs agricoles. Cela veut dire essentiellement que l'on doit être en mesure de justifier l'appui au secteur rural en invoquant des arguments beaucoup plus diversifiés que ceux reliés à la simple production agricole.

Je crois pouvoir dire que la Politique agricole commune change. Pour parler franchement, le commissaire Fischler a déclaré publiquement que, même si les ministres de l'Agriculture de ses États membres disent qu'ils n'accepteront jamais telle ou telle réforme, ils acceptent tous en privé que la PAC devra être réformée. La question est de savoir comment le faire, avec quelle rapidité et avec quelles variantes pour tenir compte des diverses sensibilités nationales.

Je pense que la réforme arrive et je suppose que c'est la raison pour laquelle je suis modérément optimiste en pensant que, pour ce qui est des subventions à l'exportation, et à condition que les Européens mettent en oeuvre les réformes intérieures que le commissaire Fischler souhaite appliquer cette année ou l'an prochain, l'Europe pourrait être en mesure d'accepter l'élimination des subventions à l'exportation. C'est parce qu'ils vont modifier leurs politiques agricoles intérieures qu'ils pourront accepter cette élimination, et non pas à cause d'un accord international quelconque. Ils sont obligés de modifier leurs politiques intérieures pour pouvoir accepter d'éliminer les subventions à l'exportation.

Pour ce qui est des subventions croisées, il est vrai qu'il existe cette mixture célèbre ou infâme qu'on appelle du beurre émulsionné, ainsi que des mélanges de sucres. Si je comprends bien, il s'agit d'un mélange granuleux qui provient essentiellement de la Nouvelle-Zélande et dont la majeure partie des importations arrive à l'Aéroport international Pearson.

• 1635

Je dois dire que j'ai été un peu surpris de constater que cette chose était tellement précieuse qu'il valait la peine de l'expédier par avion mais, cela dit, je suppose qu'il y a aussi beaucoup de viande d'agneau congelée qui voyage par avion entre la Nouvelle-Zélande et la Canada. Avec des avions réfrigérés ou semi- réfrigérés, on peut expédier beaucoup de produits pour lesquels ce type de transport pourrait sembler à première vue prohibitif.

En général, toutefois, on parle de subventionnement croisé dans le cadre, par exemple, des groupements de prix. Si vous vendez à des prix différents sur divers marchés, les économistes disent que c'est du subventionnement croisé. Dans le cas du beurre émulsionné et des mélanges de sucres, par exemple, je suppose que les Néo-Zélandais achètent du sucre à l'Australie au cours mondial, et qu'ils produisent du beurre émulsionné au cours mondial. Cette mixture est foncièrement une mixture tarifée au prix mondial et il n'y a donc pas de subventionnement croisé en soi. Quant à savoir s'ils obtiennent des tarifs de faveur pour le transport par avion, tout dépend du trafic assuré par ces avions et du fait que les transporteurs leur offrent ou non des tarifs spéciaux pour certains produits.

Pour ce qui est des hybrides biotechnologiques, comment les définir? Je ne suis pas un scientifique et je vais donc m'engager sur un terrain très délicat mais je crois pouvoir dire qu'une bonne partie de ce qu'on appelle la biotechnologie n'est ni plus ni moins que ce que les éleveurs font depuis des centaines de milliers d'années.

Toute la biotechnologie ne produit pas nécessairement des produits améliorés par la génétique mais, lorsqu'on introduit de nouveaux traits... Par exemple, dans le cas du canola, les variétés dont nous parlons sont des canolas dont on a assuré la résistance au Roundup grâce à l'introduction d'un trait qui n'est pas normalement caractéristique de ce produit. C'est donc l'introduction de nouveaux traits qui produit des produits améliorés par la génétique, alors que la biotechnologie—et je dirais que le maïs hybride en est un exemple—consiste à appliquer des techniques à la biologie.

Pour ce qui est de nos alliés, lors des dernières négociations nous en avions dans plusieurs camps. Pour défendre nos intérêts comme pays exportateur, nous avons collaboré étroitement avec le reste du Groupe Cairns et avec les États-Unis. Pour ce qui est de la promotion de la position du Canada pour préciser et développer l'article XI du GATT, nous avons collaboré très étroitement avec le Japon, la Corée, la Suisse, la Norvège, la Finlande et plusieurs autres pays européens.

En fait, l'article XI, concernant l'utilisation de quotas d'importation pour appuyer la gestion de l'offre, n'existe plus sur le plan pratique. En conséquence, qui seront les alliés du Canada la prochaine fois dépendra essentiellement des instructions que les négociateurs recevront du Cabinet.

En ce qui concerne nos intérêts en matière d'exportation, il est clair que nos alliés naturels sont le reste du Groupe Cairns et les États-Unis. Les pays qui voudraient aller moins loin en matière de libéralisation du commerce agricole engloberont certainement des pays comme le Japon et la Corée. Pour ce qui est de l'Europe, elle est plus ou moins schizophrène. Les Hollandais, les Anglais et les Suédois sont manifestement plus soucieux de libéralisation du commerce de l'agriculture que certains autres pays membres. Il n'y a donc pas de position européenne homogène. Il y a un éventail d'opinions allant de pays qui sont presque plus proches du Groupe Cairn que n'importe quel autre jusqu'à ceux qui ne veulent fondamentalement rien changer au statu quo.

M. Julian Reed: Merci, monsieur le président.

Le président: Madame Bulte.

Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Je voudrais parler des produits améliorés par la génétique mais d'un point de vue totalement différent, celui du consommateur.

• 1640

Je crois comprendre que 5 p. 100 de nos produits alimentaires ont fait l'objet de manipulation génétique. Si on parle des négociations futures et de ce que l'avenir nous réserve en matière de manipulation génétique des aliments, cela comptera pour beaucoup.

L'une des choses que veulent les groupes de consommateurs—et ils fondent leur position sur l'exemple européen—est de ne pas engager de débat scientifique sur le degré de sécurité de nos aliments par rapport à ceux des autres. Pour eux, c'est l'étiquetage qui est important—en indiquant simplement s'il s'agit de produits ayant fait ou non l'objet de manipulation génétique—et l'Europe est leur exemple.

Je crois comprendre qu'il y a en Angleterre un magasin à rayons appelé Iceland où les produits alimentaires sont classés en deux groupes selon qu'ils ont fait ou non l'objet de manipulation génétique. Ce que souhaitent les groupes de consommateurs... Si l'on veut définir ce qu'est la manipulation génétique, on peut aussi commencer avec la semence. Comporte-t-elle une toxine ou a-t- on utilisé un pesticide? La question de l'étiquetage... Il y a au Canada et aux États-Unis un nombre croissant d'associations de consommateurs qui pensent que l'étiquetage est important. Dans nos épiceries—chez Loblaw's, vous voyez des aliments organiques qui sont des aliments n'ayant pas fait l'objet de manipulation génétique.

J'ai peur que l'on agisse avec trop de précipitation. Est-ce que les groupes de consommateurs vont pouvoir participer aux consultations publiques? Il ne s'agit pas seulement de discuter des risques pour la santé ou de savoir si cela peut causer... c'est juste le droit de savoir que ce n'est pas organique.

M. Mike Gifford: Il s'agit là de questions très complexes, monsieur le président. Le système de vente de l'alimentation au détail du Royaume-Uni est bien différent de celui du Canada. La majeure partie relève de marques privées, par exemple chez Marks & Spencers. Or, Marks & Spencers exige de pouvoir retracer l'origine des produits jusqu'à la ferme. Autrement dit, le Royaume-Uni a déjà beaucoup avancé vers l'exercice d'un contrôle de qualité par les détaillants en remontant jusqu'au point de production d'origine, et certains détaillants décident alors d'apposer sur leurs produits une étiquette indiquant s'ils ont été améliorés par la génétique ou s'ils contiennent ou non des produits améliorés par la génétique.

La question n'est pas tant de savoir si le détaillant décide de faire cela parce qu'il croit que ses consommateurs ont le droit d'être informés, elle est plutôt de savoir si les gouvernements devraient imposer ce type d'étiquetage. Pour l'exportateur, le problème est que l'étiquetage obligatoire risque de donner au consommateur l'impression qu'il y a au fond quelque chose de pas tout à fait normal avec les produits génétiques.

L'argument des pays exportateurs est que personne, et surtout pas les exportateurs, n'a intérêt à produire quelque chose qui ne soit pas totalement sécuritaire pour le consommateur étant donné qu'ils ont plus à perdre que quiconque s'ils donnent l'impression de vendre des produits non sécuritaires.

Par contre, si la science prouve que les produits sont sécuritaires, la question est de savoir comment, d'une part, répondre au droit d'information du consommateur et, d'autre part, le faire en évitant toute connotation négative du point de vue du vendeur. Cela devient très compliqué car des gens au Royaume-Uni diront: «N'êtes-vous donc pas capables, au Canada, de séparer les produits génétiques des autres?» Nous l'avions fait pendant quelques années avec le canola mais, une fois que la production du canola a atteint un certain niveau, il n'était plus possible, sur le plan économique, de séparer le canola génétique du canola non génétique tant que les consommateurs britanniques ou européens n'étaient pas prêts à payer une prime à ce sujet.

• 1645

Si le marché est prêt à accepter cette prime, les vendeurs sont plus que prêts à le faire. Aujourd'hui, par exemple, la Commission canadienne du blé vend à une boulangerie du Royaume-Uni du blé qui a été cultivé dans une région précise du Canada au moyen de variétés spécifiques et elle s'assure en fait qu'il y a une production suffisante de cette variété pour ce client particulier. Il s'agit là à l'évidence de production sur mesure, et la boulangerie anglaise paie une prime pour cela.

À mon sens, le facteur important est que le consommateur a toujours raison. Si vous vendez des produits agricoles, vous devez produire ce que le marché exige. Or, si le marché exige une identification claire et une séparation, et s'il est prêt à payer une prime pour cela—par exemple, les aliments organiques coûtent traditionnellement plus cher—il n'y a aucun problème.

Ce qui est extrêmement frustrant, du point de vue de l'exportateur commercial, c'est que, pour faire approuver un produit amélioré par la génétique, le système européen est tellement chaotique et tellement byzantin que l'obtention d'un agrément est plus une question de chance que de n'importe quoi d'autre. En fin de compte—et cela peut prendre jusqu'à trois ans—on peut obtenir l'agrément mais, pendant trois ans, on a été dans l'impossibilité pratique de vendre sur le marché concerné, ce qui est une source de frustration.

Les instances de réglementation canadiennes et américaines n'attachent pas moins d'importance que leurs homologues américaines à la santé humaine, végétale et animale, mais les gens de ce côté- ci de l'Atlantique semblent avoir mis sur pied un système d'approbation réglementaire qui est capable de traiter les dossiers de manière cohérente, alors que le système européen est complètement embouteillé. Voilà notre préoccupation.

Mme Sarmite Bulte: Mais ne pourrait-on aller dans l'autre sens, pas par l'Europe, où vous dites que le processus est très difficile—ce qui est aussi l'argument des producteurs—en essayant d'obtenir l'approbation en prenant la chaîne alimentaire par l'autre bout? N'y a-t-il pas un moyen terme quelque part?

Cette question ne devrait-elle pas aussi faire l'objet d'un débat au Canada? Je ne fais aucune recommandation dans un sens ou dans l'autre mais je sais que cette question préoccupe certains consommateurs. Donc, au lieu de passer par un processus d'approbation des produits ayant fait l'objet de manipulation génétique, ne serait-il pas possible d'étiqueter simplement ceux qui n'ont pas fait l'objet d'une telle manipulation? Ne vaudrait-il pas la peine d'envisager cette possibilité?

M. Mike Gifford: Je pense que c'est le problème qu'on essaie de résoudre. Bien des gens disent que la difficulté vient du fait que les sociétés fabriquant ces produits génétiques ont commencé à mettre au point des produits qui sont bénéfiques aux producteurs parce qu'ils permettent de réduire les coûts. Par contre, très peu sont bénéfiques aux consommateurs du point de vue du goût, par exemple. Mais cela n'est pas vrai dans tous les cas—par exemple, dans celui des tomates venant des États-Unis.

Dans l'ensemble, les bienfaits des produits améliorés par la génétique sont tout à fait clairs pour le producteur primaire mais beaucoup moins pour le consommateur. Comme un nombre croissant de produits sont mis au point pour être le mieux adaptés possible aux préférences des consommateurs, leur degré d'acceptation va peut- être augmenter. Les firmes productrices reconnaissent aussi qu'elles considèrent tout simplement que, si ces produits sont utilisés, les consommateurs les accepteront d'office, et on a évidemment pu prouver que c'est faux.

La maladie de la vache folle n'a rien à voir avec les produits améliorés par la génétique mais elle a considérablement terni la réputation de la science en Europe car, pendant des années, les scientifiques ont dit qu'il n'y avait aucune raison de s'inquiéter. La science a donc perdu beaucoup de crédibilité en Europe en ce qui concerne les produits alimentaires, et c'est un autre aspect du problème.

Mme Sarmite Bulte: C'est une question très complexe. Cependant, je crains que ce problème ne devienne de plus en plus important, même si la proportion de produits génétiques dans notre alimentation est encore aujourd'hui très minime.

Je voudrais poser une deuxième question. En ce qui concerne les règlements sanitaires et phytosanitaires, vous avez dit qu'ils seront renégociés en même temps. Quelle est la situation actuelle en ce qui concerne nos conifères? N'y a-t-il pas eu un problème avec les nématodes européens, c'est-à-dire qu'il y avait toujours la menace ultime d'aller devant l'OMC? Est-ce toujours un problème pendant?

• 1650

M. Michael Gifford: Vous savez, l'Accord sanitaire et phytosanitaire dispose fondamentalement que les pays peuvent préserver leur droit absolu de prendre toute mesure nécessaire pour protéger la santé humaine, végétale et animale, mais à condition de prendre ces décisions sur la base d'études scientifiques et d'une évaluation du risque. Si vous n'aimez pas la décision prise par un pays importateur, vous pouvez toujours porter votre différend devant un comité de l'OMC, tout comme dans le cas d'un litige douanier ou de quota.

Voilà la différence entre l'ancien système du GATT et le nouveau système de l'OMC. Il y a aujourd'hui un mécanisme efficace de règlement des différends qui permet à l'importateur et à l'exportateur de s'adresser à une tierce partie pour obtenir une décision.

Cela dit, je n'irai pas plus loin à ce sujet car ce n'est pas un domaine que je connais bien. Le bois d'oeuvre ne relève pas du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire mais, si je me souviens bien—et Terry pourra me corriger si je me trompe—c'est un problème que nous avons encore avec nos amis européens. Ils exigent que tout le bois d'oeuvre canadien soit complètement écorcé. S'il subsiste le moindre bout d'écorce sur le bois arrivant en Europe, cela peut justifier le rejet d'une expédition complète à cause du risque, à leurs yeux, d'introduire en Europe des insectes qui n'y sont pas endémiques.

M. Daniel Turp: Vous parliez plus tôt de l'arbitrage utilisé par les Américains pour promouvoir leurs propres intérêts parce qu'ils n'avaient pas réussi à obtenir gain de cause par la négociation.

Qu'ont fait les Américains depuis la création de l'OMC, du point de vue de l'arbitrage? Y a-t-il déjà une jurisprudence qui s'est établie et sera-t-elle intégrée aux prochains traités?

Vont-ils changer leur attitude? Sont-ils devenus plus agressifs? À quoi devrions-nous nous attendre de leur part du point de vue du recours à l'arbitrage?

M. Michael Gifford: En règle générale, et ce n'est qu'une généralisation, on dit souvent que les Américains aiment bien aller en cour. À leur crédit, et dans notre intérêt ultime, les États- Unis ont jusqu'à présent scrupuleusement respecté leurs nouvelles obligations en vertu de l'OMC et, nonobstant de fortes pressions politiques, ils ont fondamentalement réussi à y résister lorsqu'il s'agissait de prendre des mesures qui n'étaient pas conformes à l'OMC. Comme ils sont tellement attachés à la règle de droit, ils ont accepté, bien qu'avec réticence, les règlements des comités à la fois de l'OMC et de l'ALENA même si, dans plusieurs cas, ces décisions n'étaient pas celles qu'ils souhaitaient.

L'une des grandes inquiétudes des autres pays était autrefois que les États-Unis usent de leur pouvoir politique et de leur statut de superpuissance pour prendre des mesures unilatérales en dehors des règles internationales du commerce. Lorsqu'il n'y avait pas de règles sur l'agriculture, en gros avant l'OMC, les États- Unis pouvaient quasiment faire ce qu'ils voulaient. En fait, ils avaient même obtenu une dispense pour la plupart des règles du GATT concernant l'agriculture, la plus importante concernant l'utilisation de quotas d'importation. Donc, les Américains n'ont jamais enfreint les règles du GATT, soit parce que celles-ci ne s'appliquaient pas à eux, soit parce qu'ils avaient obtenu une dispense.

Je ne peux cependant trouver aucun exemple, depuis la création de l'OMC, qui me permettrait de dire en toute honnêteté que les Américains ont enfreint l'accord de l'OMC ou l'ALENA. Ils n'ont pas eu recours à des mesures unilatérales, bien au contraire. Par exemple, dans le cas du différend relatif aux prix d'exportation des produits laitiers du Canada, même si l'action d'origine avait été prise en vertu de cette sorte d'infâme article 301, qui fait partie de la législation intérieure des États-Unis, ils ont porté le dossier devant les instances multilatérales conformément à leurs droits internationaux. Je veux dire par là qu'ils ont demandé des consultations avec le Canada puis, n'ayant pas obtenu satisfaction, ils ont porté l'affaire devant un comité de l'OMC. Or, il est bien préférable pour nous de traiter avec les Américains par le truchement d'un comité de l'ALENA ou de l'OMC que dans un rapport de force individuel, étant donné que nous serions alors confrontés à une superpuissance économique.

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Je pense que le mécanisme de règlement des différends a très bien fonctionné. Chaque décision de comité bâtit une jurisprudence. Ce qui est différent par rapport à l'ancien système c'est que, dans ce dernier, c'est-à-dire le GATT, tout pays qui n'aimait pas la décision d'un comité du GATT pouvait tout simplement en faire fi. C'est arrivé. Le Canada l'a fait, les États-Unis aussi, et les Européens.

Aujourd'hui, un participant à un comité ne peut bloquer l'adoption du rapport de ce comité. Toutefois, il y a quand même une soupape de sûreté. Le comité d'origine produit son rapport et l'une des parties peut le porter en appel devant un organisme qui se compose entièrement d'avocats et, dans la plupart des cas, d'ex- juges. L'organisme est alors appelé à produire une interprétation extrêmement restreinte des droits et obligations juridiques des parties. L'OMC ressemble donc aujourd'hui beaucoup plus à un contrat juridique que ce qui existait sous le GATT, système qui était beaucoup plus lâche mais moins équitable.

Le président: Je pense que M. Reed veut poser une question.

M. Julian Reed: Oui, je voudrais revenir à cette question phytosanitaire et au problème de nématodes avec l'Europe. Je sais que les exportations d'une société productrice de bois d'oeuvre sont limitées parce qu'elle ne peut faire que du séchage à l'air plutôt que du séchage au four, ce qui lui interdit d'exporter en Europe. Je me demande si ce n'est pas un peu hypocrite et si ce n'est pas tout simplement une tactique.

Si l'on considère les millions et millions de mètres cubes de bois qui ont quitté l'Amérique du Nord sous forme brute ou quasi brute, et les navires que l'on a construits pour sillonner les mers d'Europe et pour équiper la marine britannique, par exemple, il y avait des nématodes à l'époque. J'ai beaucoup de mal à accepter la légitimité de ce problème.

M. Mike Gifford: Comme je l'ai dit, je ne suis pas compétent en la matière. Toutefois, je sais qu'il y a souvent des scientifiques du pays exportateur qui n'ont pas la même opinion que les scientifiques du pays importateur. En cas de différends irréductibles, il faut faire appel au mécanisme de règlement des différends.

Dans le cas du saumon, par exemple, l'Australie interdit l'importation de saumon du Canada pour la raison qu'il a une maladie qu'elle ne veut pas. À notre avis, il s'agit là purement et simplement de pressions politiques exercées par les éleveurs de saumon de Tasmanie. Nous avons donc porté l'affaire devant un comité de l'OMC. Ce comité sera un comité très technique qui se penchera sur tous les détails techniques pour savoir si l'interdiction australienne repose sur des facteurs scientifiques légitimes et sur une évaluation du risque, et si elle est justifiée et appropriée en l'espèce.

Pour un exportateur, le recours ultime, si l'on pense que l'autre partie exploite des mesures qui pourraient dans d'autres circonstances constituer des obstacles techniques légitimes, est d'invoquer le mécanisme de règlement des différends.

M. Julian Reed: Est-ce ce que nous devrions faire pour le bois d'oeuvre?

M. Mike Gifford: Vous devrez poser la question à Jonathan Fried la prochaine fois que vous le verrez.

M. Julian Reed: Merci beaucoup.

Le président: Mike, merci beaucoup d'être venu devant notre comité. Nous sommes très heureux dÂavoir profité de vos connaissances et de votre expertise. Nous allons entendre d'autres témoins au cours des prochains mois et j'espère que nous pourrons vous inviter à nouveau pour pouvoir discuter avec vous de leurs préoccupations.

Chers collègues, la séance est levée jusqu'à mardi prochain. Nous essayons toujours de confirmer un témoin pour la semaine prochaine et nous vous préviendrons dès que ce sera fait.