Passer au contenu
;

SINT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL TRADE, TRADE DISPUTES AND INVESTMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DU COMMERCE, DES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 9 mars 1999

• 1538

[Traduction]

La présidente (Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.)): La séance est ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le comité poursuit son examen des intérêts prioritaires du Canada dans le processus de création d'une ZLEA.

Nous accueillons aujourd'hui M. George Haynal.

M. George Haynal (sous-ministre adjoint (Amériques), ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci beaucoup, madame la présidente.

Avant de dire quelques mots pour lancer la discussion, j'aimerais vous présenter les collègues qui m'accompagnent cet après-midi. M. Bob Anderson est vice-président (Amériques) à l'Agence canadienne de développement international. M. Paul Durand est directeur général, Bureau Amérique latine et les Caraïbes au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et M. Bob Clark est coordonnateur général des sommets de l'hémisphère au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Comme les gens qui m'entourent possèdent une vaste expérience de la région, j'espère que nous pourrons répondre à toutes les questions que le sous-comité décidera d'aborder sur les relations qu'entretient le Canada avec l'hémisphère.

Madame la présidente, je crois savoir que vous aimeriez consacrer notre séance au contexte dans lequel la ZLEA est actuellement négociée, et non sur la ZLEA même. La semaine dernière, vous avez entendu le témoignage du ministre Marchi qui faisait suite à celui des représentants du ministère; nous tenterons donc de nous concentrer sur l'ensemble de la situation, si je puis m'exprimer ainsi. Si vous m'accordez cinq minutes pour faire une entrée en matière, nous aborderons peut-être des questions qui revêtent un intérêt particulier pour vous.

Voici comment on peut décrire les années 90 dans une perspective canadienne. Si la décennie n'a pas été la décennie des Amériques pour nous, cela a certainement été le début de la décennie pour les Amériques. L'engagement du Canada dans l'hémisphère n'a jamais été aussi fort. Nous sommes membres de la plupart des institutions de l'hémisphère et à vrai dire, nous jouons un rôle de chef de file dans presque toutes ces institutions. Nous entretenons des relations avec tous les pays de l'hémisphère. Nous avons pris, je l'espère, une orientation positive dans les affaires de l'hémisphère et dans l'intensification des relations bilatérales dans la région.

• 1540

À mon avis, plusieurs raisons expliquent cette situation ainsi que notre présence dans l'hémisphère, présence dont bon nombre de Canadiens et de Canadiennes ne sont peut-être pas encore conscients. Mais il a fallu, et c'est là une des conditions préalables les plus importantes, que des changements énormes se produisent dans l'hémisphère. À une exception près, tous les gouvernements de l'hémisphère occidental sont aujourd'hui des gouvernements démocratiquement élus. Les réformes économiques ont permis l'établissement de relations économiques avec les pays de la région, ce qui n'aurait pas été possible avant. L'évolution de la société civile et le respect des droits de la personne, deux réalités qui ne sont toutefois pas universelles ni également présentes, sont remarquables et extrêmement importants. L'hémisphère s'est vraiment ressaisi. Il y reste encore des progrès à accomplir, mais nous nous sommes engagés dans une région qui est prête à nous accueillir et à nos conditions.

L'approche du Canada à l'égard de l'hémisphère a également été marquée par des étapes importantes au cours des dix dernières années. La décision du Canada de se joindre à l'OEA il y a dix ans s'est avérée un engagement historique au sein de la principale institution chargée d'élaborer et de coordonner les politiques des pays de l'hémisphère sur une vaste gamme de sujets. Nous avons en outre élargi notre représentation diplomatique dans l'hémisphère au cours des dix dernières années. Nous avons établi de très nombreux contacts politiques, Équipe Canada a effectué plusieurs visites dans la région. Nous avons augmenté considérablement nos échanges commerciaux et nos investissements, notamment au Chili, avec qui nous avons signé un accord de libre-échange après le succès, qu'on avait perçu, de l'entente conclue avec le Mexique dans le contexte de l'ALENA.

On a constaté un changement remarquable, je crois, dans l'attitude des Canadiens à l'égard de l'hémisphère. Beaucoup plus de Canadiens voyagent aujourd'hui dans la région qu'auparavant. L'espagnol est la langue étrangère la plus en demande dans les universités canadiennes, ce qui constitue un fait nouveau extraordinairement important. Les contacts personnels ont connu une croissance exponentielle. De façon très concrète, je crois que l'hémisphère est devenu notre région. Nous nous y sentons beaucoup plus à l'aise que jamais auparavant. Les Canadiens et les Canadiennes, que ce soit dans le secteur privé, le secteur universitaire, dans leur vie privée et, bien sûr, au niveau gouvernemental, voient dans l'hémisphère occidental une région naturelle, situation que nous envient probablement d'autres pays quand on voit l'accès que nous avons à la région, cette capacité que nous avons aussi de nous engager dans une région économique et sociale énorme, une région du monde qui est très dynamique.

Le commerce bilatéral dans l'hémisphère a connu une croissance incroyable. Il se chiffre aujourd'hui à quelque 20 milliards de dollars, soit le double de ce qu'il était il y a cinq ans. Nous nous assurons que ces relations économiques reposent sur des bases solides. Je vous ai parlé de l'ALENA. Cette entente nous a permis de conclure un accord institutionnel bien ficelé avec le Mexique, et nous avons une entente de libre-échange semblable avec le Chili. Nous avons pressenti les pays du MERCOSUR pour tenter d'établir avec eux des liens économiques et institutionnalisés semblables. Nous n'avons pas attendu la réalisation de mesures importantes comme celle à laquelle vous vous intéressez aujourd'hui, c'est-à- dire la zone de libre-échange des Amériques. Nous faisons de petits pas, mais qui sont quand même importants, avec plusieurs pays de la région. Nous avons conclu des accords de protection des investissements étrangers, des conventions préventives de double imposition ainsi que des accords sur les échanges commerciaux et les investissements qui facilitent le travail dans ces deux domaines dans la région.

Les pays de l'hémisphère occidental sont une série d'économies extraordinairement dynamiques et dont la croissance est remarquable, et même si nous avons accompli des progrès énormes, notre part des échanges commerciaux dans la région est toujours relativement modeste, à 5 p. 100. Par conséquent, notre potentiel de croissance dans la région est énorme, et nous essayons de l'exploiter. Ce potentiel de croissance n'est pas aussi intimidant qu'il n'y paraît car nous sommes vraiment les bienvenus dans la région. Et je crois que presque tous les Canadiens qui ont voyagé dans la région pourraient en témoigner. Nous sommes les bienvenus en tant que partenaires industriels dans le domaine de la technologie de pointe, en tant que partenaires de l'Amérique du Nord n'ayant aucune visée secrète. À vrai dire, nous sommes souvent perçus comme un contrepoids constructif à l'influence américaine, influence qui a joué un rôle historique dans l'hémisphère.

• 1545

Et on peut le constater à maints égards. Certes, le caractère indépendant de notre politique étrangère est très bien perçu et accepté. Qu'on en prenne pour exemples, bien sûr, l'accord de libre-échange avec le Chili et le rôle de chef de file que nous jouons à l'échelle nationale et mondiale, notamment au chapitre des mines antipersonnel et d'autres initiatives axées sur la sécurité humaine. Tous les pays de l'hémisphère, à l'exception de Cuba et des États-Unis, ont signé la Convention sur les mines antipersonnel et sont sur le point de la ratifier. Nous avons également pu compter sur l'appui de tous les pays lors de notre campagne au Conseil de sécurité. Tous les pays de l'hémisphère ont voté pour nous, ce qui est un témoignage extraordinaire de notre engagement. Nous avons instauré le dialogue entre les ministres des Affaires étrangères sur la question des drogues, initiative qu'ont appuyée l'ensemble des pays de l'hémisphère pas nécessairement pour la seule question de l'application des lois, mais du point de vue de la sécurité humaine, car les drogues sont tellement destructrices.

La liste de nos engagements est encore longue, et c'est une région dans laquelle le genre d'engagement du Canada, c'est-à-dire un engagement marqué par l'indépendance, est non seulement le bienvenu mais efficace. Cet engagement est efficace parce que, entre autres raisons, les différends territoriaux qui minaient auparavant les efforts permettant de s'assurer que les pays coopèrent en matière de sécurité humaine sont maintenant tous résolus. Le dernier des différends territoriaux en Amérique latine, celui entre le Pérou et l'Équateur, a été résolu à la fin de l'an dernier. C'est là une réalisation historique, quand on pense à quel point nombre de ces différends territoriaux entachaient les relations dans la région il y a seulement quelques années à peine.

Des progrès énormes ont été accomplis à l'égard de l'intégration économique au MERCOSUR, comme vous en ont déjà parlé mes collègues et le Ministre. Nous pouvons nous engager avec le MERCOSUR parce que les règles d'engagement sont compatibles avec les nôtres, dans l'ensemble.

Il y a aussi un processus très intéressant de sommets dont nous ne faisons pas seulement partie—et je vais conclure là-dessus dans un instant—mais qui prévoit également un mécanisme d'engagement. Nous en avons profité parce que—et je vous l'annonce—nous accueillerons et présiderons le prochain sommet de l'hémisphère au Canada, ce sera en fait le troisième.

Nous avons la chance incroyable de laisser notre marque, et je crois que c'est ce que nous ferons au cours des prochaines années. Les négociations sur la ZLEA sont un des volets qui nous permettront justement de laisser notre marque au niveau de l'hémisphère. J'aimerais également dire que le Canada sera l'hôte non pas seulement de la première réunion des ministres du Commerce qui négocient la zone de libre-échange des Amériques, mais également de l'Assemblée générale de l'OEA, qui est l'organe suprême de cette organisation. Les ministres des Affaires étrangères de l'OEA se réuniront au Canada en l'an 2000 pour planifier une coopération future. Bien sûr, et c'est là le plus important, nous accueillerons le sommet de l'hémisphère, dont le premier a été convoqué en 1994 par le président Clinton à Miami. Le deuxième a eu lieu à Santiago au Chili, il y a deux ans. Et pour le troisième, qui en un sens marquera le millénaire, ce sera le tour du Canada.

Donc, nous sommes fermement engagés dans cette région, comme dans d'autres, et je dirais davantage que dans la plupart des régions. Nous y sommes très bien accueillis. Nous en avons profité sur le plan économique et social, au niveau de la sécurité, et j'espère que ce n'est là que le début d'un engagement régional des plus fructueux qui pourrait, je l'espère, constituer un volet très important des relations internationales du Canada au cours de la décennie à venir.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Haynal.

[Français]

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): J'ai quelques questions.

Vous semblez passablement optimiste dans votre propos, monsieur Haynal. Je tiens à saluer vos confrères, en particulier M. Durand, avec qui j'ai eu la chance à participer à une mission.

Entre nous, les négociations ne semblent pas aller aussi bien que les discours optimistes ne le laissent présager.

• 1550

Pouvez-vous me dire où en sont les discussions des neuf comités de négociation pour la Zone de libre-échange entre autres sur l'implication de la société civile telle que défendue ardemment par le Canada au Costa Rica?

[Traduction]

M. George Haynal: Merci.

Je suis désavantagé ici. Je crois que la question des négociations mêmes pour la ZLEA a été abordée dans les témoignages antérieurs des fonctionnaires qui participent directement à ces négociations. Aucun de nous ici ne participe directement à ces neuf groupes de travail. Donc, si vous permettez que je vous donne plus tard cette information séparément, je me ferai un plaisir de le faire, mais je ne veux pas entamer de discussions qui ont déjà eu lieu.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je vais essayer de poser une question. Prenons, par exemple, les pays d'Amérique du Sud qui vivent des situations problématiques au niveau des finances comme le Brésil, ou d'autres pays qui vivent des élections lors desquelles des partis d'opposition peuvent dire: «Si vous votez pour nous»—on a déjà vu cela au Canada lors d'un certain accord de libre-échange—«nous nous retirerons de ces négociations-là, car nous sommes contre la Zone de libre-échange des Amériques.» Qu'adviendra-t-il si, au milieu des négociations, trois ou quatre pays d'Amérique du Sud décident de se retirer à la suite de nouvelles élections ou rencontrent d'autres problèmes économiques comme ceux du Brésil?

[Traduction]

M. George Haynal: Pour lancer les négociations, il n'est pas nécessaire que tous les pays qui y participent soient unanimes. En réalité, elles viennent de commencer. Nous en sommes aux premières étapes de la négociation de cette entente. Jusqu'à maintenant, les questions abordées n'ont pas suscité de divisions, et je pense que les négociations iront de l'avant. Quant à savoir à quel rythme, je crois que l'avenir le dira. Je crois que la réunion qui aura lieu ici, et que présidera M. Marchi, sera un jalon extrêmement important qui fera faire un grand pas à ces négociations.

Ces négociations seront suivies de près par le lancement de la ronde de négociations de l'OMC plus tard au cours de l'année; je pense donc qu'elles s'avéreront une contribution extraordinairement importante à cette ronde de négociations. Comme l'a dit le Ministre lors de sa comparution devant votre comité la semaine dernière, la première étape consiste à établir la structure de négociation sur une base solide que tout le monde accepte et à entreprendre des discussions sur la facilitation des échanges commerciaux entre les pays, question qui, je pense, recueille l'appui d'une bonne majorité de pays. Donc, en ce qui concerne les négociations de cette année, d'après tout ce qu'on me dit—bien que je ne sois pas un expert—les collègues qui sont devant moi se disent très satisfaits, et le genre de problème qui vous inquiète n'est pas à l'horizon.

Je ne sais pas si mes autres collègues ont quelque chose à ajouter.

La présidente: Monsieur Sauvageau, l'une des raisons pour lesquelles nous avons convoqué ces témoins aujourd'hui était pour avoir une meilleure idée de ce qui se passe actuellement dans les Amériques, plus que pour parler des négociations comme telles, mais je vous en prie, continuez.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Ma dernière question porte sur le fast track des Américains. Êtes-vous aussi optimiste et, si on n'obtient pas cette possibilité, de quelle façon les délais seront-ils prolongés ou les négociations modifiées?

[Traduction]

M. George Haynal: Lors de son témoignage devant le sous-comité la semaine dernière, je crois que le Ministre a dit douter que ce mécanisme soit utilisé rapidement. Quant à savoir si cette procédure aura un effet sur les négociations ou non à long terme, je crois qu'il s'est dit également assez optimiste qu'il n'en serait rien. Il arrive souvent que les États-Unis n'adoptent pas la procédure accélérée au début d'une ronde de négociations commerciales. À plus long terme, manifestement, l'absence d'une telle procédure pourrait avoir des répercussions sur les négociations, mais de là à dire que cela constituerait un problème dans l'immédiat, nous n'en sommes pas encore là, loin de là.

De toute évidence, l'absence de procédure accélérée aux États- Unis n'a pas facilité ce processus, pas plus que cela ne permettrait à un autre pays de tenter d'établir de nouvelles règles commerciales. Les choses semblent évoluer à Washington, mais nous allons devoir attendre pour voir quelle sera l'ampleur de cette évolution, et quand elle se manifestera et ce, sur divers points.

La présidente: Monsieur Speller.

M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): Merci, madame la présidente.

• 1555

Monsieur Sauvageau, vous n'étiez pas ici la semaine dernière lorsque le Ministre a comparu. Je sais que vous aviez un autre engagement important. Cependant, le Ministre a essayé de nous décrire cet aspect de la question, de nous dire où en étaient les négociations. Je crois que tout le monde ici se disait qu'avant d'aborder cet aspect de la question, c'est-à-dire le côté technique, nous devions comprendre ce qui se passe vraiment en Amérique latine et en Amérique du Sud, nous voulions comprendre quelle était la situation politique dans cette région. Est-ce que les pays ont des différends entre eux? Quel impact l'incertitude qui règne actuellement dans les économies mondiales a-t-elle, par exemple, en Amérique latine, et quel impact cela pourrait-il avoir sur les négociations futures?

Je pourrais peut-être demander d'abord à M. Clark, qui dans une vie antérieure a été un de nos ambassadeurs en Argentine, quel a été l'impact du ralentissement de l'économie dans la région. On entend toujours parler du Brésil. Mais que dire des autres pays comme le Paraguay et l'Argentine? Quel impact ce ralentissement économique a-t-il sur eux? En quoi cela peut-il influer sur leur capacité de négocier? Je vais d'abord commencer par cette question.

Deuxièmement, je sais que notre gouvernement s'est dit prêt à aider certains des petits pays de cette région à mener les négociations. Je parle ici de négociations de haut rang. Je crois, monsieur Clark, que c'est par l'entremise de l'ACDI que nous aidons ces pays. Peut-être pourriez-vous nous expliquer ce que nous faisons et quel rôle joue le Canada dans cette région.

Enfin, je veux simplement poser une question générale. Est-ce qu'il y a des différends entre les pays de la région? Quel impact cela aura-t-il? Dites-moi ce qu'est la dynamique dans cette région, à votre avis. Qui sont les gros joueurs? Qui sont les petits? Y a-t-il des différends entre l'un ou l'autre de ces pays?

M. George Haynal: Qui sont les gros joueurs et les petits? Monsieur Clark, voulez-vous commencer?

M. Bob Clark (coordonnateur principal des sommets de l'hémisphère, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci.

Je m'identifie davantage aux pays du MERCOSUR et aux autres pays de la région du Sud. Le ralentissement qui a affecté les marchés financiers et la confiance au Brésil, bien sûr, a eu un impact sur des pays comme l'Argentine, qui dépend du marché de l'Argentine pour plus de 30 p. 100 de ses exportations.

M. Bob Speller: Qu'est-ce que vous avez dit?

M. Bob Clark: Qui dépend du marché brésilien, pardon.

Mais nous en sommes à la fin d'au moins quatre ans de rajustements, de restructurations et de réformes dans tous ces pays qui ont fait face non seulement aux coups durs, mais qui ont également profité des périodes de croissance. Et avec l'aide du Canada, des États-Unis et d'autres pays, ils ont entrepris la libéralisation des investissements, ce qui a permis d'accroître les capitaux en Amérique latine comme cela ne s'était jamais vu. Ces pays ont entrepris une réforme fiscale, ce qui a accru leurs recettes, ils ont diminué leurs taux d'imposition et élargi l'assiette fiscale afin d'être en meilleure posture. En fait, bien que cela soit difficile à croire, beaucoup de provinces ainsi que le gouvernement fédéral de l'Argentine prévoyaient présenter des budgets équilibrés l'an dernier, et d'autres pays étaient au moins capables de viser de tels objectifs.

En ce qui concerne leurs tarifs et toute la restructuration et l'ouverture de leur marché à la concurrence, les tarifs ont été baissés conformément aux engagements qu'ils avaient pris et à leurs obligations lors de la dernière ronde de négociations de l'OMC.

Ces pays veulent offrir une plus grande sécurité juridique aux investisseurs et aux gens d'affaires chez eux. En ce qui concerne la privatisation, il y a eu des exemples de campagnes de privatisation pays par pays en Amérique latine qui sont non seulement en réalité historiques de par le moment où elles se déroulent, mais de par les réalisations qu'elles ont amenées dans toute la région. Des économies étatisées et excessives sont aujourd'hui privatisées, réformées, plus concurrentielles et plus ouvertes. Autrement dit, ces économies sont capables d'absorber des chocs. Et cette privatisation s'est accompagnée d'une réforme de leur système bancaire, pas uniquement pour permettre l'arrivée d'intérêts étrangers, mais pour réformer les régimes bancaires mêmes de ces pays. Il y a eu restructuration des banques qui a permis, si vous voulez, leur consolidation. On a assisté à une recherche de sécurité. Il y a eu fuite de capitaux. Et les capitaux, lorsqu'ils sont revenus, ont été investis dans les banques qui pouvaient offrir un plan d'entreprise à long terme, ce qui veut dire que les bonnes banques ont été renforcées. Les gouvernements ont commencé à appuyer les bonnes banques à l'aide de bonnes réformes bancaires. De façon générale, le système financier est en bien meilleure posture aujourd'hui qu'il ne l'était, par exemple, il y a six ans.

• 1600

Donc en un mot, l'Amérique latine est plus souple, elle est plus en mesure de réagir aux chocs et à la turbulence des incertitudes des marchés mondiaux des capitaux ainsi qu'aux fluctuations des échanges commerciaux et des investissements qu'elle ne l'était dans le passé. Je pense que de façon générale, on peut dire la même chose de la plupart des pays d'Amérique latine.

M. Bob Anderson (vice-président, Amériques, Agence canadienne de développement international): En réponse à votre question, monsieur Speller, je crois que je ferais une distinction entre ce que j'appellerais l'aide directe pour préparer particulièrement les petits États aux négociations sur l'OMC ou le libre-échange, et d'autres initiatives connexes.

Pour ce qui est de l'aide directe, nous avons entrepris un certain nombre d'initiatives au cours des trois dernières années axées particulièrement sur les petites îles et les petits pays des Caraïbes, parce qu'à notre avis, c'étaient ces pays-là qui risquaient le plus d'avoir de la difficulté à aborder les grandes questions de mondialisation et à faire face aux mouvements de libre-échange.

En ce qui concerne les Caraïbes, voici quelques exemples du genre de choses que nous avons faites. Nous avions un projet qui s'appelait le projet des problèmes commerciaux des Caraïbes. Essentiellement, ce projet visait à aider des petites îles à identifier certains des grands problèmes qu'elles allaient devoir affronter et à élaborer des mécanismes et des choix stratégiques. Un autre projet, qui est simplement un exemple de l'aide apportée pour le règlement des problèmes commerciaux grâce à certaines des organisations régionales, consistait à appuyer ces pays afin qu'ensemble, par l'entremise de leurs institutions régionales, ils puissent adopter des positions susceptibles de les aider dans leurs négociations sur l'OMC.

De même, pour ce qui est de l'Amérique centrale, nous avions un projet de formation sur la politique commerciale pour aider ces pays à se préparer aux négociations sur l'OMC et, un jour, au libre-échange. La première phase portait principalement sur l'agriculture, parce que c'était le principal secteur de l'économie qui serait touché.

Tout compte fait, si on regarde l'aide directe que nous avons apportée, je crois qu'elle se chiffre à quelque 4 ou 5 millions de dollars, et qu'elle porte principalement sur les petites îles et l'Amérique centrale pour ce qui est de la formation et de l'établissement des options et des problèmes. Si on regarde d'autres questions étroitement liées, et je pense ici à des choses comme l'établissement de cadres de réglementation, nous avons beaucoup fait. Et ce, dans toute la région.

Quelqu'un a demandé ce qui s'est passé dans la région au cours des dernières années. Comme l'a dit M. Haynal, c'est une région qui a évolué très rapidement. Presque tous les pays ont accepté le consensus de Washington sous une forme ou une autre. Le consensus de Washington implique toute une série de réformes ordonnancées. À l'ACDI, nous avons essayé d'identifier les réformes pour lesquelles le Canada possède une expertise particulière, des avantages comparatifs; nous avons également essayé de voir les pays qui considéraient le Canada comme l'un de leurs fournisseurs privilégiés des connaissances dont ils avaient besoin.

• 1605

Par exemple, nous avons concentré nos efforts sur les cadres de réglementation liés aux lois sur les hydrocarbures, en utilisant essentiellement la loi de l'Alberta dans ce domaine, et dans le secteur minier, où le Canada possède une très bonne expertise en ce qui a trait à la réglementation et aux lois environnementales. Nous recevons des demandes de presque tous les pays de l'Amérique latine dans ces trois domaines, et nous les avons beaucoup aidés.

C'est une aide indirecte, mais qui permet d'établir les règles du jeu qui nous intéressent. Cela les aide à établir leurs règles du jeu, si bien que lorsqu'ils entreprendront les négociations, ils seront mieux préparés à négocier.

Enfin, le Chili est un autre exemple, pays avec lequel nous avons déjà conclu une entente. L'un des secteurs de l'économie chilienne, de la société civile, qui était le plus réticent, si vous voulez, à s'engager dans cette voie, c'étaient les petits agriculteurs. L'une des mesures que nous avons prises à la demande du gouvernement chilien a été d'établir son programme d'assurance- récolte semblable à celui que nous avons, qui est axé sur certains des petits agriculteurs.

Donc, nous avons adopté diverses mesures dans des domaines qui sont liés au commerce. Nous avons aidé les pays à établir les règles et le cadre de réglementation et à cibler certains secteurs. À cet égard, nous avons beaucoup fait au cours des quatre ou cinq dernières années—nos activités se chiffrent probablement à plus de 40 millions de dollars.

La présidente: Madame Folco.

M. Bob Anderson: M. Durand veut répondre à la question qui a été posée sur les différends entre les pays. C'est lui notre expert.

La présidente: Je m'excuse, bien sûr.

M. Paul Durand (directeur général, Bureau Amérique latine et les Caraïbes, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Heureusement, tous les différends frontaliers de la région ont été réglés. Il n'y a pas de menace de conflit à cet égard. Et cela est attribuable en grande partie aux nouveaux gouvernements qui sont maintenant à la tête de ces pays.

Au début des années 1980, le Chili et l'Argentine comptaient 24 différends frontaliers non résolus, qui risquaient tous de dégénérer en guerre ouverte. Bien sûr, ces pays avaient à l'époque une dictature militaire à leur tête, toujours prête à utiliser ses troupes. Ils avaient une façon très militariste de régler les problèmes. Aujourd'hui, 23 de ces 24 différends ont été résolus de façon pacifique, et le dernier est en voie de règlement. C'est là simplement un bon exemple de la façon dont ces pays règlent leurs différends frontaliers.

Le plus récent à avoir été réglé, comme l'a dit M. Haynal, était celui entre le Pérou et l'Équateur, qui a dégénéré en guerre en 1995 mais qui a été réglé à la fin de l'an dernier. Il ne reste que quelques petits différends qui ne risquent pas de dégénérer en guerre ouverte.

Il y a des problèmes dans les pays mêmes qui s'expliquent par une détérioration générale de la société civile. Le meilleur exemple, ou le pire, est celui de la Colombie où l'on enregistre un taux extrêmement élevé d'homicides. La guérilla ouverte menace le pays, et aucune solution apparente n'est en vue.

Le développement d'une société civile forte s'inscrit dans notre programme de sécurité humaine. Nous tentons, avec les ressources limitées dont nous disposons, de régler ces problèmes en créant des institutions, en établissant de bons systèmes judiciaires, des forces policières solides, etc., mais cela prendra beaucoup de temps.

Donc, pour répondre à votre question rapidement, il n'y a pas de différends frontaliers, mais il y a un peu de violence à l'intérieur des pays.

M. George Haynal: En ce qui a trait au règlement de ces différends, nous sommes maintenant en mesure d'éliminer certaines des horreurs créées par ces différends—par exemple, supprimer les mines antipersonnel en Amérique centrale qui ont été posées durant les conflits là-bas, et participer aux efforts de déminage au Pérou et en Équateur. Donc, les initiatives au chapitre de la sécurité humaine qu'a entreprises le gouvernement au niveau mondial ont une application très pratique dans la région.

Vous posiez également une question au sujet des gros joueurs et des petits, si vous permettez d'y revenir un instant. On peut réaliser des économies d'échelle très importantes dans les Amériques. Le Brésil est la huitième économie en importance au monde, ou du moins l'était jusqu'à la dévaluation de sa monnaie effectuée à la suite de la récente crise financière. Il n'en demeure pas moins que c'est un pays énorme, comptant au-delà de 160 millions d'habitants, qui possède une vaste économie moderne intégrée au MERCOSUR, qui englobe l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay pour en faire une grande zone de commerce. Donc, ces partenaires sont des partenaires très sérieux, des membres très sérieux de la communauté économique et politique internationale.

• 1610

Le Mexique a également une vaste économie qui est approximativement la moitié de la taille de la nôtre. C'est une économie puissante qui doit relever toute une série de défis sur le plan institutionnel et qui réussit très bien à se moderniser.

[Français]

La présidente: Madame Folco.

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Vous nous avez parlé des pays qui choisissent leur gouvernement par des élections. Vous avez dressé un portrait très positif de ce qui se passe dans la plupart des pays d'Amérique latine et aussi de l'intervention et de l'aide du Canada par rapport à un certain nombre d'éléments. On parle quand même d'accords économiques et culturels avec des pays dont certains sont très différents du Canada, surtout en ce qui concerne, par exemple, le système juridique qui pourrait être quelquefois qualifié d'archaïque comparativement au système que nous connaissons au Canada.

Ma question est la suivante. Compte tenu des disparités sociales qui existent dans ces pays, peut-on penser avoir des politiques communes entre le Canada et certains de ces pays sans être victime, par exemple, de dumping économique de la part de certains de ces pays où, à cause des disparités sociales, une certaine classe de personnes travaillent dans des conditions difficiles et à des salaires réduits en comparaison des salaires gagnés par nos employés au Canada?

[Traduction]

M. George Haynal: La course vers le bas est toujours un grand danger en période de difficultés économiques. Mais ce qui se produit dans l'hémisphère, et jusqu'à maintenant cela est très remarquable, est attribuable à certains des développements dont M. Clark a parlé; la libéralisation des économies a aussi fait en sorte que les règles internationales de commerce sont beaucoup mieux acceptées que dans le passé. Les monopoles d'État qui, essentiellement, envahissaient les marchés sont beaucoup moins nombreux qu'ils ne l'étaient.

L'acceptation de responsabilités internationales tant au chapitre de la gestion financière et économique et des normes internationales qui sont acceptées est beaucoup plus évidente que dans le passé.

Si vous me permettez de donner une estimation personnelle des tendances, je crois que l'on s'oriente davantage vers une réalité positive que vers une réalité négative. La conclusion d'accords de libre-échange implique également que les pays doivent accepter des obligations, à savoir ne pas faire de dumping ni utiliser injustement des avantages comparatifs. C'est à cela que servent les règles.

Je dirais que notre expérience directe, jusqu'à maintenant, est positive dans les pays avec lesquels nous avons signé nos propres accords de libre-échange. De façon plus générale, personne ne s'est encore engagé dans une course vers le bas pour en faire une politique systématique. Dans tous les pays qui ont éprouvé des difficultés, l'instinct immédiat et prépondérant a été d'axer leur croissance économique sur les règles et un processus durable, plutôt que de prendre le raccourci à court terme de la dévaluation et du dumping.

Je ne sais pas si quelqu'un veut ajouter quelque chose. Ma description n'est pas parfaite. Personne ici ne veut vous donner l'image d'un continent où tout est parfait, mais il faut tenir compte des tendances et des comparaisons historiques. Et ces tendances vont toutes dans la bonne direction.

Mme Raymonde Folco: Je suis revenue du Mexique cet automne où je suis allée au Chiapas pour les élections de l'État. On peut dire que le Mexique est un pays démocratique et qu'il y a des élections où tout le monde a le droit de vote, mais entre la théorie et la réalité, quand on tient compte du nombre de personnes qui exercent leur droit de vote et du nombre de personnes qui peuvent voter, il y a tout un écart.

M. George Haynal: C'est un fait.

Mme Raymonde Folco: C'est de cela dont je parle. D'une part, on voit que le Canada apporte de l'aide, en théorie—et vous avez parlé d'une aide se chiffrant à quelque 40 millions de dollars, ce qui de toute évidence est une bonne chose. D'autre part, quand vous regardez la réalité sur le terrain, c'est là que je me pose des questions.

• 1615

M. Bob Anderson: J'aimerais peut-être donner un complément d'information, car je crois que votre question est excellente. Elle va au coeur même de nombreux débats que nous avons à l'Agence.

Pour revenir à ce que disait M. Haynal, la première chose à observer, ce sont les tendances. Si vous regardez la carte de la partie latine des Amériques, si je me souviens bien, seulement trois ou quatre pays parmi plus de 20 avaient des gouvernements élus en 1980. Tous ces pays, sauf un, ont un gouvernement élu aujourd'hui. Je conviens qu'ils ne sont pas parfaits, mais je crois qu'il y a là un mouvement qui est très important.

L'autre tendance, dont nous avons parlé au sujet du volet économie, c'est l'augmentation énorme des investissements dans la région. En ce qui a trait aux réformes qu'ont entreprises ces pays, habituellement, au début, les réformes concernaient la stabilisation économique et financière. La plupart des pays ont mené ces réformes à bien et ont fait un assez bon travail. Certaines des dernières réformes sont les plus difficiles et sont les plus longues à mettre en oeuvre.

Je crois que ce que vous avez dit, c'est que l'on voit encore certaines disparités dans les revenus, on constate qu'il y a des couches de pauvreté. Les Amériques sont l'une des pires régions au monde où l'on compte de grandes disparités dans les revenus. L'un des principaux objectifs de nos projets à l'ACDI est de nous attaquer à ce problème, mais ce sont là des projets à long terme, je pense. L'élément clé de la solution à ce problème, c'est l'éducation. Si l'on devait consacrer de l'argent à une chose, c'est le volet qui, d'après nos recherches, a des impacts positifs. Bien sûr, cela prendra du temps avant qu'on en voie les résultats.

Nous participons à diverses autres activités qui font appel à la société civile. Là encore, il faut tenir compte de la tendance. Avant, les gouvernements... Les institutions étaient dirigées par l'État, et c'est l'État qui prenait pratiquement toutes les décisions qui touchaient la vie des gens. Bien sûr, aujourd'hui, on se tourne davantage vers le secteur privé, on prend des mesures qui sont davantage axées sur les marchés, etc., et ce que tout le monde commence à remarquer, c'est le rôle que peut jouer la société civile. Dans beaucoup de ces pays aujourd'hui, en ce qui a trait au rôle que joue la société civile comparativement à il y a dix ans, on constate une énorme différence. Mais oui, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, et cela prendra du temps.

Si vous regardez les statistiques, l'impact sur la pauvreté n'est pas encore considérable, mais il y a deux ou trois pays où la tendance commence à changer. On espère qu'avec des programmes ciblés, avec des programmes d'éducation, des programmes de crédits, etc., qui sont bien ciblés, et avec le renforcement de la société civile, les choses changeront avec le temps. Mais cela prendra du temps, cela ne fait aucun doute.

Mme Raymonde Folco: Vous parlez de plusieurs générations.

M. Bob Anderson: Pour certaines de ces tendances, oui.

La présidente: Avant d'entamer la deuxième ronde de questions, j'aimerais simplement ajouter qu'au comité aujourd'hui, nous avons parlé de la société civile. M. Blaikie, qui n'est pas avec nous, a demandé en quoi consistait cette société civile dont nous parlons. Certes, dans le témoignage de certains des fonctionnaires que nous avons entendus plus tôt, il a été question de la grande différence entre nos consultations auprès de la société civile et celles que mènent les autres pays. En fait, ces pays ne veulent pas engager la société civile dans les discussions. Je me demande si vous pourriez faire un commentaire à ce sujet.

Et encore au comité d'aujourd'hui, nous avons parlé de culture. À la lumière du rapport du Groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur (GCSCE) au sujet de l'élaboration d'une entente internationale, les participants autour de la table disaient que l'OMC n'était pas vraiment l'endroit pour négocier cette entente. L'une des questions que j'ai posées était de savoir si oui ou non la ZLEA serait l'endroit où on pourrait entreprendre ce genre de discussions techniques, et quelqu'un a dit que nous n'y avions vraiment pas d'alliés. Pourtant, monsieur Haynal, dans votre introduction, vous avez parlé de «notre région» et de la façon dont nous sommes «les bienvenus». Je me demandais si vous pourriez faire un commentaire.

Je vais m'arrêter ici.

• 1620

M. George Haynal: En ce qui concerne la société civile, je crois que M. Clark a entamé les discussions sur notre engagement, à savoir que nous devons nous assurer que les tendances positives que l'on constate se poursuivent, et l'ACDI fait beaucoup de travail à cet égard. Manifestement, l'éducation constitue un volet extraordinairement important du développement d'une société civile, tout comme les institutions, les mécanismes de gestion, la démocratie et la culture de la démocratie. Nous essayons d'être actifs sur tous ces fronts, soit directement, soit par l'entremise de l'OEA.

Je vous ai parlé de l'OEA tout à l'heure, et je vous dirais à nouveau que c'est notre hémisphère en un sens. Par exemple, le Canada a aidé l'OEA à s'engager dans la promotion de la démocratie dans l'hémisphère grâce à la création d'une unité de défense de la démocratie. Nous nous sommes engagés à appuyer la croissance d'un système judiciaire indépendant et bien fondé dans plusieurs pays en accordant de l'aide au système judiciaire, ce qui constitue un volet important d'une approche durable à l'égard de la société civile—et il s'agit «d'une» société civile, et non pas de «la» société civile. Il faut ici faire des distinctions.

Pour ce qui est de savoir ce qu'est la société civile et comment les pays de l'hémisphère sont prêts à s'y engager, j'aimerais maintenant céder la parole à mes deux collègues qui ont énormément d'expérience en Amérique du Sud et en Amérique centrale. Je pense que tout le monde trouvera une façon de s'engager dans la société civile.

Comme l'a dit M. Clark tout à l'heure, la tendance vers une structure sociale et une économie durable est remarquablement positive depuis quelques années, mais il s'agit là de phénomènes relativement récents. Nous ne parlons pas ici de sociétés qui ont comme nous la même histoire du développement d'institutions démocratiques, d'un système judiciaire indépendant, d'une structure démocratique viable et du respect des droits de la personne. Nombre de ces pays sont des pays qui ont été conquis. Leur évolution historique est celle de peuples conquis qui n'ont pas le même genre d'institutions et de traditions de démocratie acceptées, qui n'ont pas ce respect des droits individuels que nous considérons comme naturels. Ces pays n'ont pas tous cela, mais je pense qu'il y a des différences qui sont visibles dans la façon dont les gens abordent toute la notion de société civile, d'engagement des puissances qui sont à l'extérieur du cadre institutionnel.

Cependant, la société civile est bien vivante, très dynamique de façon différente dans l'hémisphère. Très souvent, l'Église est le pilier de la société civile, si vous voulez. Les médias indépendants font maintenant partie de la vie dans presque tous les pays de l'hémisphère, sauf un. Des organisations non gouvernementales sont présentes dans de nombreux domaines. Les établissements d'enseignement jouissent d'une grande indépendance. Donc, je pense que nous allons trouver des façons différentes de nous engager, et à cet égard, il y a là un domaine dans lequel nous sommes véritablement capables de jouer un rôle de chef de file.

Et si vous me permettez d'ajouter ceci, pour ce qui est de la question de la société civile, nous n'avons pas à porter le même fardeau que les États-Unis. Je pense que beaucoup de pays d'Amérique latine doutent beaucoup du degré d'engagement des organisations non gouvernementales des États-Unis qui sont souvent perçues, à tort ou à raison, comme prônant des idéologies qui perturbent beaucoup l'ordre social de nombreux pays qui n'ont pas d'antécédents de stabilité et qui sont mis au défi de maintenir l'ordre et de faire état de leurs progrès, au gouvernement brésilien, par exemple. Le défi est énorme. On ne se méfie pas autant de nous, si bien que nous sommes capables de jouer un rôle de chef de file à l'égard de la société civile, rôle que les États- Unis ne peuvent probablement pas se permettre de jouer.

Nos organisations non gouvernementales sont perçues comme des organisations qui n'ont pas d'autre motif à défendre, mais qui ont des programmes directs. En tant que gouvernement, notre propre engagement à l'égard de la société civile est respecté. Il est clair, il repose sur la défense de la sécurité et des valeurs humaines, et il est clairement perçu comme tel. Donc, nous n'avançons pas à la même vitesse, mais le Canada peut se permettre d'accélérer cet engagement à l'égard de la société civile comme bon lui semble. Cet engagement se définit de nombreuses façons, comme vous l'avez entendu aujourd'hui, j'en suis certain.

En ce qui a trait à la culture, je n'ai pas les compétences pour parler des négociations commerciales à cet égard. Je vous demanderai donc de m'excuser de ne pas faire ce commentaire. Mais la culture est certainement une question qui préoccupe tout le monde, bien que de façon différente.

• 1625

Le Mexique, si vous me permettez un exemple anecdotique, est perçu comme un impérialiste culturel aux États-Unis, aussi étrange que cela puisse paraître. Le Mexique produit des quantités énormes d'émissions de télévision en espagnol qui occupent une bonne partie des ondes aux États-Unis; et il exporte ces émissions ailleurs également. Les États-Unis sont très préoccupés par la culture pour d'autres raisons, pas nécessairement des raisons commerciales pour l'instant.

Je ne sais pas si d'autres aimeraient ajouter des observations à ce sujet.

Une voix: Non, ça va.

La présidente: Monsieur Jaffer.

M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Réf.): Merci, madame la présidente.

Dans l'analyse que vous nous avez donnée, vous avez parlé des tendances que l'on dénote en Amérique du Sud et en Amérique centrale en ce qui a trait à la démocratie, à l'ouverture des marchés, à la libéralisation des marchés des dictateurs. C'est la même tendance que j'ai constatée en Afrique lors de ma récente visite là-bas.

Il y a une ou deux questions qui me préoccupent. Les tendances, c'est bien beau, mais peuvent-elles être durables et à l'abri de tout changement rapide? On voit aujourd'hui que dans certains pays d'Amérique centrale, des présidents élus pour deux mandats essaient de modifier leur constitution pour briguer un troisième mandat, etc. Y a-t-il des institutions indépendantes qui peuvent résister à ces changements, est-il possible que les changements politiques n'aient pas d'impact sur la société en général?

La deuxième chose qui m'inquiète, c'est le niveau de transparence dans ces pays, ou la corruption que l'on constate en général dans le monde des affaires. Est-ce que cela est considéré comme un problème majeur là-bas? Est-ce une préoccupation majeure?

Dernière question. Comme vous le savez, des dirigeants d'entreprises ont été kidnappés en Colombie au cours des derniers jours. Je suis sûr qu'à long terme, lorsqu'on parlera de la ZLEA en dernière analyse, les questions de sécurité vont faire surface. Maintenant que des entreprises du Canada vont là-bas et que nous avons signé cette entente de libre-échange dans la région, est-ce que ce sera un obstacle?

M. George Haynal: Il y a un lien entre toutes vos questions, c'est clair, et chacune d'elles est extraordinairement importante. Je vais tenter d'y répondre rapidement d'abord, après quoi je céderai la parole aux autres autour de la table, parce que ces gens-là ont beaucoup d'expérience.

Les institutions peuvent-elles résister au changement? Elles sont plus en mesure de le faire qu'elles ne l'étaient il y a dix ans, voire cinq ans. Peuvent-elles absorber un choc radical? Jusqu'à maintenant, on a des preuves qu'elles ont été capables de résister à un choc radical. Prenez la dévaluation du réal et considérez-la comme un choc radical qu'a subi l'économie brésilienne, par exemple. Les structures politiques du Brésil, aussi confuses et difficiles à comprendre qu'elles le sont souvent, ont résisté. Tout comme la présidence. Les relations plutôt délicates entre le gouvernement central et les États, qui sont extrêmement ténues parfois, fonctionnent. Jusqu'à maintenant, les institutions étatiques brésiliennes ont subi le test de la crise économique, et il y a d'autres exemples.

Pour ce qui est des présidents qui souhaitent briguer un troisième mandat, je pense à un cas où votre problème du terrorisme constitue une question très importante. Il n'y a pas tellement longtemps, le président Fujimori a fait face à une grave crise de terrorisme. Encore récemment, la seule chose qui nous préoccupait vraiment était la survie de toute forme de société civilisée au Pérou. Ce pays a réussi à s'en sortir. Le système politique de ce pays aura-t-il un choc? C'est difficile à dire, mais jusqu'à maintenant, il n'en a pas eu. La seule chose que l'on puisse dire est que nous faisons tout notre possible pour nous assurer qu'il n'y ait pas de tels conflits entre l'ordre constitutionnel et la stabilité que quiconque puisse soulever.

• 1630

Là encore, on revient aux tendances. On ne peut donner aucune garantie, sauf dire que nous déploierons tous les efforts possibles pour que les choses se réalisent, indirectement par l'entremise des investissements, et grâce à notre travail avec l'OEA et d'autres institutions. Pour ce qui est de la sécurité personnelle, je vais céder la parole aux autres. Et je ne veux pas ici minimiser le problème, loin de là. M. Clark a donné l'exemple de la guerre civile, c'est ce qui se passe en Colombie, contestation radicale non pas seulement de l'ordre civil mais de l'existence même de la sécurité personnelle. Le défi est énorme, et c'est un défi très difficile pour quiconque regarde cela de l'extérieur.

Ce qu'on peut dire, c'est que l'investissement et la croissance économique peuvent s'avérer une contribution positive dans les pays où les problèmes de violence et de terrorisme sont enracinés dans la pauvreté. Lorsqu'ils sont enracinés dans les abus de pouvoir, l'aide accordée pour s'assurer que ce pouvoir est géré de façon conforme à nos valeurs devrait être efficace. Nous sommes également engagés là-dedans, comme l'a dit M. Anderson.

On ne peut donner aucune garantie pour la sécurité personnelle de l'investisseur individuel qui va dans ce pays, sauf la garantie très restreinte que nous essayons de faire notre possible pour contribuer à un environnement plus stable et plus pacifique, ce que les gouvernements eux-mêmes tentent de stimuler.

Je ne pense pas que l'on reverra cette période de terreur provenant des gouvernements qui, on s'en souvient, était une caractéristique de la vie en Amérique latine il n'y a pas si longtemps. Cette époque est révolue. Et cette terreur qui était à la base d'une grande partie des malaises sociaux de la région est maintenant de l'histoire ancienne, les gouvernements cherchant désespérément à maintenir une forme d'ordre basée sur la loi.

Je pense que l'on peut douter du fait que les tendances ne s'enclenchent pas assez vite dans certains cas, mais les tendances sont réelles, elles ont un impact positif et fondamental.

La présidente: Monsieur Anderson, vous vouliez faire un commentaire?

M. Bob Anderson: Je crois que c'est une très bonne question à laquelle il n'est probablement pas facile de répondre.

Il m'apparaît que ce que nous essayons de faire ici, c'est d'évaluer un peu les risques pour l'avenir. À mon avis, on revient à ce que MM. Haynal et Durand ont dit tout à l'heure: c'est une région qui, au cours des dix dernières années, a vécu des changements énormes.

Si je peux mettre ça un peu en perspective avec la réalité canadienne, prenons un pays, la Bolivie, qui a entrepris en l'espace de deux gouvernements, disons, des réformes majeures, notamment des changements majeurs à la constitution. Là encore, si on fait le parallèle avec notre réalité, il y a eu des changements majeurs à la constitution, des changements majeurs pour ce qui est du transfert de pouvoirs des autorités fédérales aux autorités municipales et aux gouvernements des États, des réformes judiciaires majeures, des changements majeurs concernant les politiques de privatisation de ce qui était habituellement des organisations étatiques, des changements majeurs en éducation—et je pourrais poursuivre la liste. Ce sont là toutes des choses qui se réalisent très rapidement dans une chronologie de réformes. Le pays est en changement, et tous les pays ne vibrent pas tous au même diapason. Certains ont pris de l'avance, d'autres tirent de l'arrière un peu. Ce n'est pas homogène.

Mais chaque fois qu'il y a des changements comme ceux-là, manifestement, il y a des choses qui, en cours de route, ne sont pas parfaites. Mais si vous voulez mon opinion, je m'intéresse à l'Amérique latine depuis maintenant 30 ans et j'ai examiné la situation, je dirais sans trop risquer de me tromper que je n'ai jamais vu au cours de ces 30 dernières années une période au cours de laquelle... Les choses se placent, elles sont fragiles, un peu chancelantes, mais la situation est probablement meilleure qu'elle ne l'a jamais été depuis 30 ans.

• 1635

À mon avis, cela se reflète dans le secteur privé, sur les marchés. Si vous regardez les investissements qui sont faits aujourd'hui comparativement à ceux d'il y a dix ans, il y a dix ans, la majeure partie de ces capitaux fuyaient le pays pour aller à Miami surtout, ou en Suisse ou ailleurs. Les sommes consacrées à l'aide et les investissements du secteur privé étaient sensiblement les mêmes en 1980.

Vous regardez ce qui se passe aujourd'hui, et les investissements du secteur privé ont augmenté considérablement, ce qui m'indique que les investisseurs se disent que la situation est un peu plus stable, etc. Cela ne veut pas dire que c'est parfait, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de sable dans l'engrenage parfois, mais au moins, en Amérique latine, en Amérique centrale et en Amérique du Sud, je pense que les conditions actuellement sont probablement aussi favorables que celles dont j'ai été témoin au cours des 30 dernières années. Je ne sais pas si vous êtes d'accord avec moi. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de risques, ça c'est sûr.

M. Rahim Jaffer: Que dire de la corruption, de la transparence?

M. George Haynal: Bob, pourquoi ne parlez-vous pas d'abord de la corruption après quoi Paul pourrait parler des présidents élus pour un troisième mandat.

M. Bob Clark: J'aimerais appliquer tout ce qui s'est dit en fait au thème très important de la corruption et de la transparence. En réalité, il faut envisager ce thème et tous les autres comme des tendances, à la lumière de l'approche systématique que les pays d'Amérique latine, le Canada et les États-Unis adoptent actuellement, par exemple, à l'égard de la corruption. Tout est interrelié. Ces pays ont tous entrepris ensemble les réformes que nous vous avons décrites cet après-midi. Donc, certaines des réformes se réalisent plus rapidement que d'autres dans des pays différents.

La privatisation a pour effet de faire en sorte qu'il y a moins d'incitations à la corruption et moins de possibilités de corruption parce que l'activité gouvernementale est réduite. La déréglementation a fait diminuer grandement le nombre de fonctionnaires susceptibles d'être soudoyés pour obtenir une faveur en matière de réglementation. La démonopolisation a provoqué un accroissement de la concurrence et de par sa nature même, a créé les conditions qui font ressortir la corruption.

Les médias posent des questions et font des reportages. La raison pour laquelle nous, en Amérique du Nord, sommes beaucoup plus au courant de la corruption en Amérique latine, c'est parce que des reporters nord-américains, d'Amérique latine et des Caraïbes font des reportages sur cette question. Les États-Unis et le Canada ont tenu des réunions internationales sur le blanchiment d'argent, le trafic des stupéfiants et la certitude juridique.

L'un des éléments essentiels des investissements étrangers qui se font en Amérique latine est l'importation, si vous voulez, de l'éthique de ces sociétés multinationales qui est appliquée aux systèmes commerciaux dans ces pays d'Amérique latine. Autrement dit, certaines des grandes sociétés transnationales n'iront tout simplement pas dans un pays si elles doivent se frayer un chemin à travers la corruption, et elles le font savoir aux gouvernements. J'ai déjà participé à des discussions à ce sujet qui se sont rendues jusqu'au président.

C'est une tendance qui est graduelle. Il y a toujours un manque flagrant de transparence. Il y a toujours beaucoup de reportages qui sont publiés sur la corruption. Mais le fait que de nombreux pays d'Amérique latine invitent aujourd'hui la GRC à les aider à contrer la corruption, qu'ils invitent le FBI, des forces d'enquête européennes, voilà tous des indicateurs positifs d'une situation qui n'était même pas enclenchée il y a dix ans. Ces pays n'en étaient même pas à la case départ. Je pense que la preuve est que certains progrès, qui vont tous dans la bonne direction, ont été enregistrés mais qu'il reste beaucoup de travail à faire.

• 1640

La présidente: Monsieur Durand, vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Paul Durand: Oui, sur les mandats consécutifs. En soi, ce n'est pas un acte politique condamnable que d'avoir un troisième mandat ou un président élu pour un quatrième mandat. Nous avons eu des leaders élus pour trois et quatre mandats au Canada sans que cela ne soit nécessairement mauvais. Mais les réalités sont variées...

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Paul Durand: Je ne ferai pas de commentaire là-dessus, bien sûr, mais en Amérique latine, on a vu toutes sortes de choses. Oui, en Argentine, le président Menem a été élu pour un deuxième mandat, il réussira peut-être à se faufiler pour un troisième, peut-être pas. Au Brésil, le président Cardoso a été élu pour un deuxième mandat. Au Pérou, grâce à ses manoeuvres, le président Fujimori pourrait se présenter une troisième fois. La différence d'avec avant, c'est que lorsqu'ils obtiendront le droit constitutionnel de se présenter pour un troisième, quatrième ou cinquième mandat...

M. Rahim Jaffer: Le droit constitutionnel limite le mandat à deux ans. Si Fujimori réussit à manipuler la constitution pour être élu pour un autre mandat, alors à quoi sert-il de changer? Il manipule la constitution pour réussir à se présenter de nouveau.

M. Paul Durand: Dans ce cas, il interprète la constitution de façon telle qu'il pense pouvoir briguer un troisième mandat. C'est très douteux, j'en conviens, mais la différence est que maintenant, par opposition à avant, il doit affronter la population au cours d'une élection qui sera honnête et transparente. Ça n'a pas toujours été le cas, et c'est pourquoi on a institué le principe d'un mandat, parce que l'on ne pouvait pas être sûr que les élections seraient honnêtes, ouvertes et transparentes. Cela a changé.

L'autre chose, c'est que les résultats sont mitigés. Le Panama a un président qui est très populaire. L'an dernier, il a essayé de changer la constitution pour pouvoir se présenter à nouveau. Il a subi une cuisante défaite lors d'un référendum. Au Costa Rica, on n'a jamais pu réussir à se débarrasser du mandat d'un an. De même, au Nicaragua, où on a eu une crise constitutionnelle il y a trois ans, le mandat est toujours d'un an.

Cela varie et dépend de l'appui qu'un leader en particulier obtient à un certain moment. Dans tous les cas, les changements constitutionnels, avec l'exception possible du Pérou, ont été faits selon la constitution.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Pouvez-vous nous parler de la situation de Cuba, du Canada par rapport à Cuba, dans toutes ces négociations de la Zone de libre-échange? Peut-on s'attendre à ce qu'il soit inclus un jour dans les négociations? Il y a eu la visite du premier ministre et du ministre des Affaires étrangères. Quelle est donc la situation?

[Traduction]

M. George Haynal: Cuba est membre de l'OEA, mais son adhésion est en suspension parce qu'il ne satisfait pas au critère de membre actif, qui est d'être une démocratie. Donc, Cuba ne fait pas partie de ces négociations, pas seulement pour une question de formalités, mais en réalité, il serait très difficile de voir comment Cuba pourrait devenir partie à la ZLEA, car il n'a pas une économie qui soit conforme aux principes de la ZLEA. Tant que cela ne se produira pas, il est peu probable qu'il sera capable de participer à ces négociations ou à cette entente.

Je ne sais pas si cela répond à l'essentiel de votre question. Est-ce que quelqu'un d'autre aimerait faire des commentaires plus généraux sur Cuba?

M. Paul Durand: J'aimerais seulement ajouter que vous parlez ici du premier ministre au Sommet de Santiago qui aurait dit que oui, il aimerait que les conditions puissent permettre à Cuba d'être inclus dans ce processus de sommet, mais ces conditions n'existent pas. Manifestement, ces conditions sont la transparence de la démocratie, ce que Cuba n'a pas encore.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: En Amérique latine et en Amérique du Sud, plusieurs accords et traités existent déjà entre les pays. Il y a le Pacte andin, le MERCOSUR et le CARICOM. Les pays qui concluent des accords et forment des groupes dans ces coins de l'Amérique continuent à négocier. Par exemple, au niveau du MERCOSUR, les différents pays négocient encore pour augmenter l'adhésion à ce traité.

• 1645

N'y a-t-il pas une problématique lorsqu'on négocie des pactes régionaux en même temps qu'un pacte hémisphérique? Ne risque-t-on pas de s'entremêler dans ces différents traités et négociations, surtout face à une prise de pouvoir de pays comme le Brésil?

[Traduction]

M. George Haynal: Il pourrait y avoir un problème, mais on peut l'éviter.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Comment?

[Traduction]

M. George Haynal: S'il y a contradiction entre les principes des ententes qu'un groupe sous-régional négocie et les principes qu'un groupe plus large tente de négocier, il y a bien sûr conflit et il est nécessaire de résoudre le problème. Mais si les principes correspondent, il n'y a pas nécessairement de conflit.

Pour l'instant, les discussions avec le MERCOSUR n'ont pas encore atteint le stade de négociation d'une zone de libre-échange des Amériques. Je pense que cela reste à venir. En même temps, l'OMC va être négociée. Tout le monde s'entend sur le fait que les systèmes régionaux devront être conformes à l'OMC. Cela s'applique également aux systèmes sous-régionaux.

C'est vraiment la meilleure réponse que je peux vous donner. La question est absolument pertinente, mais jusqu'à maintenant, elle ne s'est pas encore présentée. Si cela se produit, nous aurons un problème. Pour l'instant, nous n'avons pas à supposer que cela se produira.

La présidente: Je pourrais peut-être poser une dernière question. Vous avez parlé des changements énormes qui interviennent dans les régions. Qu'est-ce qui a provoqué ces changements? Comment pouvons-nous nous assurer que le changement se poursuive? Est-il trop tôt? Nous parlons de tendances et nous espérons que les choses continueront. Est-il trop tôt, ou la ZLEA arrive-t-elle simplement parce qu'il faudra que nous soyons à l'OMC et que cela peut servir de répétition? Pouvez-vous répondre à cela?

M. George Haynal: Pourquoi les changements sont survenus? Je ne suis ni un historien ni un visionnaire pour pouvoir répondre à cette question et vous dire autre chose que ce qui s'est dit ici. Je crois qu'il est évident que des forces historiques sont intervenues en Amérique latine. La société civile, que l'on soit ou non en mesure de la définir, s'est libérée en Amérique latine grâce aux progrès réalisés en technologie de l'information et à l'éducation. Comme l'a mentionné M. Anderson, les marchés libres ont été manifestement plus efficaces que les monopoles d'État. Le modèle de substitution des importations a été un échec. Il y avait donc des raisons organiques à ce progrès. Cela ne fait aucun doute. Les dictatures militaires se sont déshonorées, dans certains cas de façon plus horrible que dans d'autres, et en tant qu'institution, la démocratie a fait la preuve qu'elle était la meilleure de toutes les options possibles, simplement de façon empirique.

La conclusion que je peux tirer de cela est que la tendance est essentiellement irréversible. On ne peut pas revenir à cette politique, parce que manifestement elle a échoué. Le contrôle de l'opinion a échoué. Le contrôle des institutions politiques a échoué. Le contrôle des économies a échoué avec les vieux modèles. En ce sens, peut-être, bien que je trouve difficile de donner une réponse valable à la question de savoir s'il est trop tôt, je dirais qu'il n'est probablement pas trop tôt, parce que la tendance est bien établie. Si nous attendons, il pourrait être trop tard, parce qu'il n'y a pas de solutions de rechange. Celles qui existent sont infiniment moins souhaitables que celles que nous voyons apparaître dans la région. Les solutions de rechange ne sont pas nécessairement celles qui prévalaient dans le passé. Il pourrait s'agir d'une forme de désintégration de l'ordre et de la gestion gouvernementale que personne ne souhaite.

Ma réponse personnelle à votre question, madame la présidente, est que je pense que le processus est opportun et pertinent.

La présidente: Monsieur Durand.

M. Paul Durand: Tout ce que je peux ajouter, c'est que la raison essentielle est qu'ils ont essayé tout le reste, les dictatures, les économies fermées et les modèles étatistes les entraînaient toujours plus bas dans l'abysse. Ils ont réalisé à la fin de la guerre froide qu'ils devaient adopter un autre modèle, celui de la démocratie libérale. Et, comme l'a dit M. Haynal, il n'y a pas de solutions de rechange. Le processus semblerait donc actuellement irréversible, du moins pas réversible sans problèmes—irréversible dans ce sens.

• 1650

La présidente: Vous aviez une question?

M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.): J'en ai deux.

Je m'excuse de mon retard. Vous avez peut-être déjà traité de cette question.

De toute évidence, nous avons des audiences sur l'OMC, ainsi que sur la ZLEA, et tout le pays devra simultanément essayer de s'occuper des négociations qui se déroulent au niveau de la ZLEA et de l'OMC, une fois que ces dernières auront débuté. Ma question porte sur les ressources du Ministère, d'une part, pour être en mesure de mener deux ensembles de négociations très détaillées et étendues, dans lesquelles il y aura des convergences et des divergences, mais qui exigeront probablement différents négociateurs. Dans ce contexte, que pensez-vous de la capacité de l'industrie canadienne et du public de mener ces deux activités de front? Quel est l'intérêt du public canadien, et sommes-nous en mesure de nous en occuper? Voilà pour la première question.

La seconde question porte sur la société civile, qui a été soulevée ce matin lors de la discussion sur l'OMC. Pouvez-vous nous dire pourquoi l'enveloppe de la société civile semble être aussi importante dans les négociations de la ZLEA, alors que dans les négociations de l'OMC elle semble très basse dans l'échelle d'intérêts? Est-ce simplement parce que l'OMC est beaucoup plus grande, comprend tellement plus de pays et est si diffuse qu'il est plus difficile d'avoir une vision cohérente de ce que la société civile est lorsqu'on rassemble tant de pays ayant des visions orientales, des visions occidentales, etc., alors que, au moins dans ce contexte, nous sommes peut-être différents, mais nous sommes hémisphériques, nos positions sont donc plus cohérentes? Ce n'est qu'une supposition.

M. George Haynal: Ce sont deux questions importantes et très pratiques. Vous ne vous attendez probablement pas à ce que je dise que nous avons suffisamment de ressources pour faire le travail.

M. Bill Graham: Je ne sais pas si vous considérez cela comme une sorte de pression modérée sur le Ministère: donnez-nous davantage d'argent. Mais je sais que M. Axworthy ne refuserait pas si vous disiez que vous manquez totalement de ressources.

M. George Haynal: Je crois que nous aurons beaucoup de difficultés. Cela ne fait aucun doute. On peut faire n'importe quoi si c'est nécessaire. Mais ce sera très difficile, et nous n'avons pas suffisamment de ressources pour cela. En tout cas, c'est ce que je pense. Mon collègue serait probablement en bien meilleure position que moi pour vous donner une réponse sûre à cela. Nous devons établir une équipe pour mener ces négociations. Mais cela a déjà été fait dans le passé, comme M. Anderson me l'a rappelé. Nous avons fait l'ALENA et l'OMC simultanément.

Je peux dire cela sans crainte de paraître servir nos propres intérêts, car je ne suis pas un négociateur commercial, mais nous avons un groupe exceptionnel de négociateurs commerciaux au Canada qui ont connu des expériences extraordinaires, en commençant par ce qui n'est pas la moindre, l'Accord de libre-échange, puis l'ALENA, et la première ronde de l'OMC. Voilà mon introduction à une brève réponse à votre seconde question, monsieur Graham, concernant le secteur privé et si l'économie privée est prête à se lancer dans la ronde de l'OMC.

Je crois que nous avons de la chance, car il y a des experts qui sont passés par le système de négociation auparavant et qui sont maintenant dans le secteur privé, et je pense que l'économie canadienne voudra s'engager pleinement. Bien sûr, nous avons le temps. La ronde de l'OMC n'a pas encore commencé, et ce sera un long processus. Je crois que ce sera difficile pour tous de comprendre ce qui est en jeu et quelles sont les possibilités. Mais je pense que nous sommes mieux placés pour comprendre ces questions par le fait que nous disposons d'un cadre de personnes qui sont déjà passées par des négociations commerciales de ce genre.

M. Bill Graham: Je vais maintenant vous interrompre, parce que je sais que vous allez passer à la question suivante. En la prenant dans l'autre sens, qu'en est-il des autres pays?

• 1655

J'ai entendu dire, par exemple, que le Chili est prêt pour ces négociations parce qu'il a déjà mené une négociation de libre- échange avec nous, alors que d'autres pays de l'hémisphère ne savent pas comment mettre sur pied leurs équipes et auront beaucoup de difficultés à mener ces négociations et celles de l'OMC. Peut- être serons-nous prêts, mais si nos interlocuteurs ne le sont pas, cela nous causera-t-il un problème?

M. George Haynal: C'est possible. M. Anderson a mentionné plus tôt le genre de soutien que nous apportons à certains de nos partenaires en les préparant à négocier. Ce sera sûrement très difficile, surtout pour les petits pays, de négocier deux ententes d'une aussi grande portée. Voilà ce que je pense, monsieur Graham.

Je pense que ce sera dur pour eux. Je suppose que chaque pays devra choisir où placer ses énergies, en fonction des enjeux les plus importants pour eux. Cependant, les deux processus peuvent avancer sans une participation universelle au même niveau d'intensité, ce qui est un aspect heureux de la façon dont ce système fonctionne.

En ce qui concerne la société civile, j'aimerais essayer de répondre à votre question, qui se trouve vraiment au coeur de nombreuses questions dont nous nous préoccupons ces temps-ci. Je ne sais pas où le volet de la société civile sera dans l'OMC. Je ne pense pas que cette question ait encore été abordée avec autant d'intensité que dans l'Accord de libre-échange, ce qui ne veut pas dire qu'elle ne le sera pas. C'est tout ce que je peux répondre à votre question.

C'est une partie importante du discours de la ZLEA parce que certains gouvernements ont choisi qu'il en soit ainsi. C'est un défi auquel les autres ont de la difficulté à faire face, c'est donc devenu un problème au niveau du principe. C'est devenu un problème sur le plan pratique, comme nous en avons discuté plus tôt. J'ai tendance à croire que vous avez probablement raison de dire que nous pouvons le faire plus facilement dans l'hémisphère, notamment dans le cadre de cette négociation, qui n'en est pas encore aux compromis très techniques et très complexes des questions sectorielles importantes. Donc, d'une certaine façon, nous avons eu le luxe de penser à ces questions au début du processus, au lieu d'être plongés subitement dans la substance des questions.

M. Bill Graham: Merci beaucoup.

La présidente: Monsieur Calder.

M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup.

M. Graham a touché exactement le point dont je voulais parler—les équipes de négociation elles-mêmes. Tous les pays membres de la ZLEA et de l'OMC qui connaissent la stabilité politique et économique, qui ont des compétences commerciales et qui savent où ils veulent aller peuvent mettre sur pied des équipes de négociation très crédibles. Je crois que c'est ce qui s'est passé dans l'Uruguay Round.

Les autres pays qui n'ont pas ces atouts ne seront pas capables de mettre sur pied des équipes de négociation crédibles. Ils établiront probablement des petites équipes, comme cela s'est produit dans l'Uruguay Round, constituées de quatre à six personnes au plus, et une personne devra devenir immédiatement un expert en tout, de l'agriculture à l'environnement, en passant par la transformation et l'industrie—vous voyez où je veux en venir—et se confronter à des équipes constituées d'experts sur chacun de ces sujets.

Les États-Unis, par exemple, ont imposé leur position sur les tarifs douaniers dans la dernière ronde et elle a été en fin de compte adoptée par les 117 signataires. Je crains que nous ne voyons la même chose se produire cette fois encore. Je me demande si nous pouvons faire quelque chose pour nous assurer que cela ne se produise pas. Il est certain que nous ne serons pas dans une position aussi précaire que certains pays du tiers monde. Vous pourriez peut-être faire des observations sur ce sujet.

M. George Haynal: Je pense qu'aucun de nous ne sait comment faire face à cette situation et nous essayons d'aider les petits pays à s'y préparer. Ils devront peut-être mettre leurs ressources en commun.

M. Paul Durand: C'est ce qu'ils font, comme le CARICOM sous Sonny Ramphal.

M. George Haynal: Je crois que les gens devront trouver leur propre voie en étant tous confrontés à la réalité. Je ne vois pas quelle autre réponse je pourrais vous donner, sauf de tenir ce que vous dites comme un avertissement très salutaire. Ce sera un problème et nous devrons y faire face.

• 1700

M. Murray Calder: Si les États-Unis sentent une quelconque faiblesse, ils essaieront de sauter sur l'occasion et de diriger les affaires dans tous ces théâtres de négociation.

M. George Haynal: Absolument. C'est un instinct naturel—ou contre nature.

J'aimerais revenir à un point soulevé plus tôt sur la question de la sécurité des personnes. Je crois que c'est un point vraiment important. J'essayais de déterminer si j'avais des chiffres fiables sur l'importance relative de cet aspect.

Pour 1997, j'ai une note qui indique que 1,5 million de Canadiens ont voyagé dans la région, ce qui est une augmentation énorme par rapport à l'année précédente. Je crois que plus de deux millions de Canadiens vont dans la région maintenant, ce qui est une présence énorme. Je me suis également informé de l'ampleur du problème consulaire que cela créait.

M. Bill Graham: Vous n'incluez pas la Floride dans cette région, n'est-ce pas monsieur Haynal?

M. George Haynal: Pas encore, bien que l'on puisse se demander où l'on est dans certains endroits de la Floride.

Il y a eu quelque 3 000 affaires consulaires sur deux millions de personnes qui sont allées dans la région. Ce n'est donc pas insignifiant, mais en ce qui concerne la sécurité des personnes et la capacité des Canadiens à voyager, à travailler, et à être dans la région, c'est étonnamment calme et serein. Cela ne diminue en rien votre argument; j'ai simplement pensé que ces chiffres pourraient être utiles pour mettre les choses en perspective.

La présidente: Merci. J'aimerais remercier tous les témoins d'être venus cet après-midi.

Merci, chers collègues.

La séance est levée à la demande de la présidente.