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FOPO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FISHERIES AND OCEANS

COMITÉ PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 15 novembre 1999

• 1535

[Traduction]

Le vice-président (M. John Duncan (Île de Vancouver-Nord, Réf.)): La séance est ouverte. Tout le monde se dirige vers son fauteuil—du moins ceux qui en ont encore un.

Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, étude concernant les implications de la décision de la Cour suprême rendue le 17 septembre 1999 concernant la gestion des pêches dans la région atlantique.

Nous accueillons aujourd'hui un éminent témoin, M. Chris Harvey, c.r., qui est né à Nanaimo et qui a grandi à Prince Rupert, en Colombie-Britannique. Il a été admis au barreau en Angleterre en 1968, et y a exercé sa profession jusqu'en 1975. Il a été admis au barreau de la Colombie-Britannique en 1976, et a été nommé conseiller de la reine en Colombie-Britannique en 1990. M. Harvey travaille pour Russell & DuMoulin depuis 1976. Au cours de sa carrière il s'est occupé surtout de la pêche autochtone et des litiges en matière d'environnement.

Pour ce qui est de sa formation, il a obtenu un baccalauréat de l'Université McGill en 1965; une maîtrise en droit de l'Université de Londres en 1970; et un doctorat de l'Université de Londres en 1975, à la Inns of Court School of Law, à Londres. Comme je l'ai dit, il a été admis au barreau en Angleterre en 1968 et à celui de la Colombie-Britannique en 1976.

Je n'ajouterai rien d'autre sinon que le mémoire de Chris Harvey que le comité a en main contient une énumération des activités professionnelles et de l'expérience connexe du témoin et je pense qu'elles sont dignes de mention. C'est donc un éminent témoin que nous accueillons.

Vous avez de 10 à 15 minutes pour nous présenter votre exposé après quoi nous vous poserons des questions. Vous êtes d'accord?

M. Chris Harvey (témoignage à titre personnel): Oui, c'est bien, monsieur le président. Merci beaucoup.

Je tiens d'abord à m'excuser du fait que je m'adresserai au comité que dans l'une des deux langues officielles. Malheureusement, mon mémoire n'est pas dans les deux langues officielles. J'espère qu'on pourra y remédier.

On m'a demandé qui je représentais. En fait, je ne représente que moi-même. J'ai travaillé dans le secteur de la pêche sur la côte Ouest, où je pêchais le flétan et le saumon quand j'étais à l'université. J'ai passé neuf saisons de pêche complètes dans le secteur des pêches. Je travaille depuis en tant qu'avocat et je m'occupe des affaires autochtones pour le gouvernement de la Colombie-Britannique, pour l'industrie et pour la communauté des pêcheurs sportifs et je crois avoir ainsi acquis une certaine compréhension de ces questions. J'étais conseiller juridique dans l'affaire Sparrow, dans l'affaire Gladstone et dans certaines autres affaires dont la Cour suprême du Canada a eu à traiter. Je comparais en tant que citoyen qui cherche à vous faire profiter de mon expérience et j'espère que vous la trouverez utile.

J'ai constaté, comme l'ont fait je pense tous les Canadiens, les problèmes résultants de l'arrêt Marshall. Il s'agit en réalité de problèmes très graves, et on ne saurait les sous-estimer. À mon avis, la réponse du gouvernement doit être bien ciblée et immédiate, sinon il y aura à l'avenir de très graves difficultés.

Dans mon mémoire je signale différents aspects de la situation, à commencer par la nature du problème, que je ne crois pas avoir à rappeler au comité.

Selon les données du registre des bandes, il y aurait plus de 26 000 membres dans les bandes micmaques et malecites, et il y en a peut-être aussi d'autres qui ont droit à la protection en vertu des traités reconnue par la Cour suprême du Canada. Si l'on inclut des membres non inscrits, cela en ferait certainement plus de 40 000. Ces chiffres doivent être mis en rapport avec la taille du secteur de la pêche commerciale, la taille des ressources de divers secteurs et le nombre de permis.

• 1540

Je crois savoir, selon les données du site Web du MPO, qu'il y a plus de 6 300 permis de pêche au homard en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et dans l'Île-du-Prince-Édouard. Tout d'abord, je dirais que même si tous les permis de pêche au homard étaient remis aux titulaires de droits issus de traités, il y aurait quand même atteinte. Il y aurait encore des membres qui se présenteraient en disant que leur grand-mère était micmaque et qu'ils n'ont pas obtenu de permis. Il n'y a tout simplement pas suffisamment de permis pour en donner à tous.

Je ne suis pas du tout en train de dire que c'est ce qu'il faudrait faire, mais je dis tout d'abord que le gouvernement a un très grave problème. Ce n'est pas quelque chose qu'un texte législatif ordinaire peut corriger, puisque les droits issus de traités sont constitutionnellement protégés. Le Parlement ne peut pas invoquer une clause dérogatoire, et nous ne pouvons pas envisager de modifications constitutionnelles, si bien qu'il n'y a rien qu'on puisse normalement faire sur le plan législatif.

À mon avis, la situation actuelle tient au fait que tout Micmac a le droit de pêcher sans permis. Ce n'est pas réglementé à l'heure actuelle, et c'est pourquoi la situation est pour l'instant désespéré. L'avenir de la ressource pourrait être compromis n'était-ce de l'attitude responsable des Micmacs, sur laquelle à mon avis on ne pourra pas compter indéfiniment, aucun groupe ne semblant être en mesure de toujours agir de façon responsable.

En l'occurrence, on a déclaré qu'ils avaient un droit, et comme il n'y a pas de réglementation effective, le gouvernement se trouve confronté à un défi de taille. Il doit trouver le moyen de tenir compte de ce droit. Parallèlement, il doit le faire de manière à ne pas épuiser la ressource ni empiéter sur les droits de tous les actuels titulaires de permis.

Comme je le dis dans mon mémoire, le gouvernement n'a que peu de possibilités, mais il y a un moyen—et un seul moyen—à mes yeux de régler la question. C'est-à-dire d'examiner les critères qui ont été établis dans l'arrêt Sparrow, qui ont été appliqués aux droits issus de traités dans la décision Badger, et qui ont été appliqués dans un contexte commercial dans l'affaire Gladstone, qui a été la première affaire de pêche où on a conclu à l'existence d'un droit de pêche commercial pour les Autochtones. Le tribunal donne des indications quant à la façon dont ce critère fonctionne dans un contexte commercial. Autrement dit, il a jeté les fondements d'un plan de justification.

Le premier critère en vertu de la décision Sparrow consiste à établir si oui ou non il y a eu atteinte aux droits ancestraux ou issus de traités. Comme je viens de l'indiquer, j'estime que le gouvernement doit admettre qu'il y aura inévitablement atteinte aux droits issus des traités des Micmacs. C'est inévitable, et plus vite le gouvernement le reconnaîtra, mieux cela vaudra, car à ce que je vois on se demande comment respecter ce droit. Comme je l'ai dit, même si l'on annulait tous les droits de pêche de tous les pêcheurs actuels, cela ne serait toujours pas suffisant.

Pour ce qui est du critère d'atteinte aux droits, il vous faut admettre qu'il y aura atteinte. Alors, que faire? On passe au deuxième critère de l'analyse Sparrow, ce qu'on appelle le critère de justification. Il est essentiel de comprendre que ce n'est pas toute atteinte à un droit ancestral ou issu de traité qui rend invalide l'action gouvernementale. C'est une transgression injustifiable qui rend l'action gouvernementale invalide. Par action gouvernementale, en l'occurrence, nous entendons un régime d'attribution de permis et une interdiction de la pêche sans permis ou une interdiction de pêcher en dehors des saisons de pêche. C'est l'action gouvernementale, et elle est invalide à moins que l'atteinte aux droits issus de traités soit une atteinte justifiée. C'est ce sur quoi je me suis concentré dans mon mémoire, et je prie le corps législatif de notre régime constitutionnel de se concentrer également sur ce point.

• 1545

Pour comprendre ce qu'on entend exactement par «justification», je suis revenu principalement à l'arrêt Gladstone, et je me suis fondé sur le raisonnement suivi par la cour. C'est que, comme dans le cas de la pêche au homard, il s'agissait d'une activité de pêche bien organisée et aux nombreux adeptes, sur la côte Ouest, où l'on pêchait des oeufs de hareng sur varech. Dans le cadre de cette activité, seulement 28 permis de pêche commerciale avaient été accordés, et les requérants autochtones détenaient un permis.

La cour devait décider s'il était justifié de n'accorder qu'un permis. Naturellement, le fait de n'accorder qu'un nombre limité de permis est une atteinte. Comme je le disais, toutefois, le tout est de savoir s'il s'agit d'une atteinte justifiée. La cour a examiné l'objectif sous-jacent de protection des droits ancestraux et issus de traités pour voir comment pouvait être respecté le critère de justification. Ce qu'il en ressort clairement, c'est que la cour a dit sans ambages que le but de la protection des droits ancestraux et issus de traités consistait à les faire concorder, étant donné que les peuples autochtones s'étaient trouvés ici bien avant les autres et qu'ils avaient de ce fait priorité. Ces droits doivent être conciliés avec les droits généraux de l'ensemble des Canadiens. Comme c'est là l'objectif de la protection des droits à l'article 35, c'est ainsi qu'on explique et qu'on définit le droit et le critère de justification.

Ce qui signifie que ce que fera la cour—et je dirais que le gouvernement doit le faire aussi dans sa réglementation—c'est se concentrer sur tous les droits existants du secteur de la pêche dont on traite. Comme la cour l'a dit dans l'arrêt Gladstone, à propos des objectifs de réconciliation et bien sûr du maintien d'une économie existante,

    Dans les circonstances appropriées de tels objectifs sont dans l'intérêt de tous les Canadiens et, facteur plus important encore, la conciliation de l'existence des sociétés autochtones avec le reste de la société canadienne pourrait bien dépendre de leur réalisation.

La cour a donc transmis un message. Il n'apparaît pas aussi clairement que dans l'arrêt Marshall, mais si l'on examine les affaires qui ont précédé l'affaire Marshall, le message au pouvoir législatif semble être qu'un système doit être mis en place pour reconnaître le droit issu d'un traité et le droit ancestral mais qu'il faut le faire dans le contexte de tous les droits et il faut en arriver à un régime ou à un processus qui permette la conciliation. Autrement dit, il est très important qu'on fasse quelque chose qui soit acceptable eu égard à l'économie existante et aux pêcheurs actuels, tout en reconnaissant le droit en même temps.

Dans mon document, je traite des droits de tous les pêcheurs autorisés canadiens, car il en est également tenu compte dans l'arrêt Gladstone. On ne peut viser un processus de mise en équilibre, un processus de justification sans examiner les droits qu'exerce l'ensemble des pêcheurs.

J'ai inséré quelques citations aux pages 8 et 9. Au début de la page 8, la cour dit:

    En outre, il convient de signaler que les droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1) existent dans un contexte juridique ou, depuis l'époque de la Grande Charte, on reconnaît en common law un droit de pêcher dans les eaux à marée qui ne peut être aboli que par l'édiction de textes législatifs constitutionnels.

Puis la cour ajoute que le fait d'élever des droits ancestraux au rang de garantie constitutionnelle ne vise pas à éteindre les droits reconnus au public par la common law et on établit donc ainsi un processus de mise en équilibre.

• 1550

Mon document porte ensuite sur les droits de pêches des Micmacs tels qu'énoncés dans l'arrêt Marshall. Fait intéressant à noter, on établit une distinction entre le contenu des droits des Micmacs et la protection prioritaire qui leur est accordée. La cour a jugé que le contenu des droits micmacs n'est pas supérieur au contenu des droits de tous les autres pêcheurs canadiens. Autrement dit, c'est un droit à une ressource partagée.

La priorité dont on a débattue est une priorité de protection. On ne peut pas y passer outre aussi facilement qu'en ce qui concerne les droits des autres. C'est extrêmement important, parce que l'accent mis sur la priorité tient à cette idée qu'il s'agit là d'une priorité d'accès à la ressource. Il faut accorder un accès à tous les titulaires de droits issues de traités avant que quiconque ait accès à cette ressource. Ce n'est pas ainsi que ces concepts ont été abordés par la cour. Ce n'était pas là l'intention de la cour.

Ce que je veux dire par là c'est que le droit des Micmacs a toujours été un droit de participer à l'exploitation d'une ressource partagée selon les mêmes règles qui s'appliquent aux autres. Si donc on met en place un système appliquant les mêmes règles aux pêcheurs micmacs qu'aux autres pêcheurs, cela ne va pas à l'encontre de l'arrêt Marshall. Toutefois la protection accrue du droit issu de traités des Micmacs doit être reconnue et affirmée.

J'ai traité d'un autre point dont il est question dans l'arrêt Marshall, qui est que le droit issue de traités ne peut faire l'objet du seul pouvoir discrétionnaire du ministre. On ne peut faire en sorte qu'il dépende de politiques qui pourraient changer d'un jour à l'autre.

La cour a jugé qu'il fallait une nouvelle réglementation. La première étape doit être adoptée. De nouveaux règlements doivent être pris pour donner des directives établissant qui a le droit de détenir un permis de pêche.

Je dis dans mon document que ce n'est pas contraire à certaines autres tendances. C'est une tendance que je crois constater en droit environnemental, c'est-à-dire de prévoir des prescriptions dans la réglementation. C'est conforme au rapport du Comité mixte permanent sur l'examen de la réglementation qui recommande qu'il y ait des directives dans les règlements afin que l'administrateur ne soit pas complètement dépourvu, comme le sont maintenant les administrateurs du MPO.

La fonction de la réglementation concernant l'attribution de permis consiste à traiter des droits existants, à les contrôler et à les réglementer. À la page 13, je traite de la question des réformes nécessaires pour revenir à une réglementation effective. Je traite de la réglementation sur la pêche au homard qui a été en vigueur jusqu'en 1974. Cette année-là, les premiers règlements sur le secteur de la pêche au homard sont entrés en vigueur pour restreindre l'entrée dans ce secteur de la pêche, et on en a limité l'accès à ceux qui participaient au secteur de la pêche en 1968 ou qui avaient des bateaux en construction au plus tard le 20 janvier 1969. Auparavant, personne n'aurait pu dire qu'il y avait atteinte aux droits issus de traités des Micmacs ou aux droits de quiconque reconnus en common law parce que tout le monde pouvait être admis dans le secteur de la pêche. Il n'y avait aucune limite au nombre de permis.

Ce genre de régime a dû prendre fin dans presque toutes les zones de pêche sur les deux côtes du Canada, tout simplement parce qu'il y avait trop de bateaux de pêcheurs pourchassant trop peu de poissons. C'est ainsi qu'a vu le jour un régime d'attribution de permis de pêche à un nombre restreint de pêcheurs, et c'est ce dont nous traitons maintenant. Mais il a vu le jour avec une réglementation qui fournissait des directives quant à ceux qui avaient droit à un permis. Ce sont ces règlements qui ont été abrogés quelques années plus tard, puis tout a été laissé au pouvoir discrétionnaire du ministre, bien que le ministère ait poursuivi la politique qui était énoncée dans les règlements antérieurs.

Maintenant que la cour a dit que le ministère doit à nouveau prendre des règlements établissant le droit, je vous dirais que ce que l'organisme de réglementation devrait faire c'est de prendre des règlements semblables aux anciens règlements—ou qui s'appuieraient sur ceux-ci—qui définissaient qui avait le droit d'obtenir des permis. De cette façon, on maintiendra en vigueur le même nombre de permis. Contrairement aux règlements en vigueur dans les années 70 et au début des années 80, ces règlements doivent contenir une disposition qui reconnaisse et qui affirme le droit issu de traités.

• 1555

Il doit y avoir une disposition, il me semble, concernant la cession des permis. Je suggère qu'on rachète les permis, afin de ne pas exproprier les pêcheurs existants, et qu'on transfère ces permis aux Micmacs. Le nombre de permis à céder doit être jugé acceptable par les communautés touchées. On revient donc à la question de la conciliation. Ce doit être un chiffre propre à contribuer à la conciliation. On reconnaît le droit et admet que le droit doit être restreint par la limitation de l'accès à la pêche, mais en même temps on permet un processus qui reconnaîtra le droit.

Je termine mon document en présentant deux exemples de ce qu'il ne faut pas faire, deux exemples provenant de la côte Ouest. Cela se trouve à la page 16. Le premier concerne la récolte de la rogue de hareng sur varech. Après l'arrêt Gladstone, la cour a renvoyé la question aux tribunaux inférieurs pour qu'ils établissent s'il était justifié d'accorder un permis à la bande Heiltsuk, dont on avait reconnu le droit commercial autochtone.

Plutôt que de débattre de la question devant les tribunaux, comme on aurait dû le faire, je pense, les chefs d'accusation ont été suspendus, et le ministre a émis sept nouveaux permis de pêche. Cela a créé un remous dans le secteur de la pêche du fait que tout un lot de nouveaux produits sont arrivés sur le marché, que les prix ont chuté, et que les pêcheurs en place, qui s'estimaient évincés, ont menacé d'intenter des poursuites. Parallèlement à cela, les Heiltsuk, qui détiennent maintenant neuf permis de pêche, menacent aussi d'intenter des poursuites en justice—ou il serait plus approprié de dire qu'ils envisagent d'intenter des poursuites—parce qu'ils n'ont toujours droit qu'à neuf permis. Personne ne s'est penché sur la question de la justification.

L'autre exemple est la pêche au saumon où l'on s'est appuyé sur la réglementation concernant les permis communaux autochtones pour établir une pêche commerciale distincte réservée aux Autochtones. Il en est résulté une vaste controverse, des protestations, un litige, et un tribunal de première instance a jugé qu'on avait affaire à des Autochtones qui n'avaient pas de droit ancestral commercial ni de droit issu de traité spécial, qu'il fallait donc traiter les Canadiens autochtones tout comme les autres Canadiens. On ne peut pas créer de pêche commerciale spéciale réservée aux Autochtones. L'affaire suit son cours.

Je dirais que c'est un autre exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Je crois que ce serait une grave erreur d'instaurer un régime distinct qui s'appliquerait aux droits conventionnels dans l'affaire Marshall, car cela ne tiendrait pas compte comme il se doit de la justification.

Voilà ce que j'avais à dire, et je répondrai volontiers aux questions.

Le vice-président (M. John Duncan): Merci beaucoup de l'excellent résumé que vous avez fait d'un document exhaustif.

Commençons par le Parti réformiste. Monsieur Cummins, voulez- vous y aller?

M. John Cummins (Delta—South Richmond, Réf.): Oui.

Merci de votre exposé, maître Harvey, car vous nous avez beaucoup éclairés.

Le gouvernement réagit au jugement Marshall en laissant entendre qu'il pourrait se tirer de la situation en négociant. Il y a quelques semaines, le sous-ministre comparaissait à notre comité et disait ceci:

    La principale obligation qui découle du jugement Marshall est d'accommoder le droit de pratiquer la pêche commerciale que la Cour a reconnu aux Autochtones bénéficiaires du Traité. Nous avons l'intention de respecter cette obligation.

C'est ce qu'a dit le sous-ministre mot pour mot, avant de passer ensuite au défi à court et à long terme que devait relever le gouvernement.

La solution n'est pas encore définie, à ce qu'il semble dire, mais il semble croire qu'il s'agit—et je le cite encore—«d'établir un climat propice à la coopération et au dialogue».

Que diriez-vous de ce qu'a fait le gouvernement à ce jour?

• 1600

M. Chris Harvey: Au départ, le gouvernement a l'obligation de consulter sérieusement ses vis-à-vis, et c'est pourquoi cela me semble utile; toutefois, on a l'impression que l'on tient pour acquis que la coopération et la négociation avec l'un des groupes intéressés dans cette pêche partagée aboutiront à des résultats. C'est un peu naïf de le croire et je crois que l'on perdra beaucoup de temps précieux. La seule solution, à mon avis, c'est que le gouvernement gouverne dans le sens traditionnel, après avoir consulté les intéressés, dans un premier temps, puis gouverne en adoptant des règlements.

C'est bien beau de consulter, mais le gouvernement aurait tort de justifier la part des ressources qu'il accorde au peuple micmac en négociant avec un seul des groupes intéressés, à savoir les Micmacs eux-mêmes. Si, par ailleurs, le gouvernement cherchait à négocier avec les autres parties intéressées, comme il devrait le faire, c'est-à-dire avec l'ensemble du milieu de la pêche actuel, tout accommodement qui en résulterait résoudrait le problème immédiatement. Mais cet accommodement devrait être négocié, soutenu par des règlements, car il se trouvera toujours quelqu'un parmi les 26 000 Micmacs qui sera prêt à défier les règlements ou le régime d'octroi de permis instauré. Il faut que le gouvernement puisse résister à toute contestation.

M. John Cummins: Vous dites qu'il se trouvera certainement quelqu'un pour contester un accord qui aurait pu être négocié: c'est ce que le ministre a constaté à ses dépens, deux des bandes ayant refusé de souscrire au moratoire sur la pêche. Il n'a jamais réussi à obtenir le consentement unanime.

Étant donné qu'il est probable que quelqu'un cherchera à contester l'accord et étant donné que le jugement Marshall lui-même n'a pas réussi à établir des règles de base sur la façon dont le traité pouvait être mis en oeuvre—ou sur la façon dont les tribunaux pouvaient interpréter la mise en oeuvre du traité—n'aurait-il pas été plus prudent pour le gouvernement de demander que les tribunaux sursoient à leur décision quitte à demander une nouvelle audition pour tenter de définir certains des enjeux que vous avez identifiés?

M. Chris Harvey: Il y a deux volets à votre question. Vous avez d'abord parlé du sursis. Je crois en effet que le gouvernement aurait dû demander un sursis. Actuellement, les pêches sont complètement déréglementées, et je crois que de laisser les pêches déréglementées n'est pas une façon responsable de gouverner. Je suis d'avis que le tribunal aurait accordé le sursis; d'ailleurs, le régime d'octroi de permis qui existait au préalable aurait toujours été en vigueur et aurait pu être maintenu.

Vous parlez ensuite d'une nouvelle audition. Il est difficile de prédire ce qu'aurait fait la Cour suprême du Canada. Dans l'affaire Marshall, elle a mentionné seulement en passant le critère de la justification. Il aurait été plus utile que la Cour s'étende un peu plus longuement là-dessus, comme je l'ai fait dans mon propre mémoire, en remontant aux précédents et en en discutant, de façon à expliquer clairement au gouvernement comment il peut mettre au point un système qui se justifie et qui sera appliqué efficacement.

M. John Cummins: Dans votre mémoire, vous affirmez que le ministère des Pêches et Océans ne devraient pas instaurer un régime d'octroi de permis distinct pour tenir compte des droits issus des traités. Pourquoi, d'après vous, importe-t-il autant que le ministère maintienne un seul régime d'octroi des permis pour la pêche?

Me Chris Harvey: C'est pour deux raisons. D'abord, je suis personnellement convaincu qu'il serait extrêmement perturbateur pour l'économie du Canada d'accorder différents droits à différents secteurs de la population, en fonction de leur race. C'est une chose que je ne pourrais accepter.

Mais ce qui est encore plus important, à mon avis, c'est ceci: lorsque les tribunaux seront saisis de la prochaine contestation—et vous pouvez être sûrs qu'il y aura des contestations, peu importe le régime instauré—il faudrait que le régime puisse être maintenu devant les tribunaux. Or, la seule façon de le maintenir en regard du critère de la justification, ce serait d'instaurer un régime unique d'octroi de permis qui tiendrait compte des droits des Indiens assujettis au traité et des droits des autres, pour que tous puissent constater les efforts que le gouvernement déploie pour atteindre l'équilibre. Ce régime reconnaîtrait l'existence des droits conventionnels, et tenterait de les concilier avec les droits existants, qui doivent eux aussi être reconnus.

• 1605

Or, cela n'est possible que si on instaure un régime unique d'octroi de permis pour la pêche commerciale. S'il existait deux régimes d'octroi de permis, les tribunaux ne s'attarderaient de toute façon qu'à un seul des deux, ce qui ne donnerait rien.

M. John Cummins: Comment les tribunaux assureraient-ils l'équilibre dans un régime unique d'octroi de permis?

M. Chris Harvey: Ce serait difficile, et il faudrait, à mon avis, que ce soit le gouvernement qui détermine cet équilibre en consultant tous les utilisateurs actuels de la pêche, de même que les détenteurs de droits conventionnels.

Quant au pourcentage de la pêche visé, que l'on parle de 1 p. 100, de 5 p. 100, de 50 p. 100 ou de 75 p. 100 de la pêche qui serait éventuellement alloué aux détenteurs des droits conventionnels, ce pourcentage devra de toute façon être accepté par tous les pêcheurs tout en ne nuisant pas à l'économie. Le pourcentage ne doit pas perturber l'équilibre économique actuel. Par conséquent, il faudra au départ que le pourcentage soit très petit, à mon avis.

Il faudra d'abord qu'on constitue une banque de données après avoir déterminé le nombre de pêcheurs qui sont des Micmacs, ce qui obligera à leur poser des questions d'ordre personnel. J'imagine que cela ne touche actuellement qu'un très petit nombre d'entre eux. Il faudra que l'on s'arrange pour reconnaître l'existence d'un droit protégé par des mesures spéciales, sans toutefois perturber ni l'économie ni la pêche actuelle. Le nombre initial de personnes visées sera restreint, mais ce nombre pourrait fort bien augmenter au fil des ans. Pour obtenir la réconciliation des divers groupes, il faudra que cela se fasse petit à petit.

M. John Cummins: Vous parlez de l'équilibre qui a été reconnu dans l'arrêt Gladstone.

M. Chris Harvey: Oui.

Le vice-président (M. John Duncan): Il vous reste deux minutes, monsieur Cummins.

M. John Cummins: Pourriez-vous nous parler encore une fois des atteintes que vous considérez comme justifiées? Pouvez-vous nous expliquer plus clairement comment ces principes seraient appliqués dans le contexte de la pêche de la côte Est?

M. Chris Harvey: Il s'agit d'abord de se demander s'il s'agit d'une atteinte à un droit conventionnel. L'affaire a permis de constater que tout régime d'octroi de permis qui ne permette pas au détenteur des droits conventionnels de pêcher selon leur méthode préférée constitue une atteinte à ces droits. Voilà pourquoi j'ai dit que le gouvernement et les intéressés devaient tous accepter qu'il y aura inévitablement et toujours empiétement.

Il faudrait changer de point de vue. Toutefois, je ne pense pas que l'on ait déjà changé de point de vue, d'après ce que j'ai lu des transcriptions des délibérations du comité ou des déclarations du gouvernement. On n'est pas encore passé au critère de la justification. Lorsqu'on y sera passé, tout ce que je puis dire, c'est que l'on pourra revenir à la réconciliation.

Vous comprenez, je ne suis pas vraiment au courant, mais il y a une enquête en cours et une certaine personne a été chargée de déterminer la portée de ce droit, ou quelque chose de ce genre. D'après ce que j'ai vu à ce sujet, il me semble que les termes du mandat ne sont pas d'une très grande aide. On aura beau organiser une enquête et déterminer la portée de ce droit, on ne sortira pas de ce que le tribunal a déterminé: le droit existe et continue à exister jusqu'à ce qu'une proportion suffisante de la ressource soit exploitée et vendue, permettant ainsi un niveau de vie raisonnable—des maisons, de la nourriture, des vêtements, une aisance raisonnable—sans que cela conduise à une accumulation de richesses.

Or, pour les 26 000 détenteurs de droits de traités possibles, cela représente des millions et des millions de dollars. Il ne sert à rien d'essayer de déterminer ce que cela représente car, sur la base de ces chiffres, personne ne pourra dire s'il y a eu atteinte aux droits. Dans ces conditions, pourquoi perdre du temps à organiser une enquête pour déterminer ce qui empêcherait une atteinte aux droits?

Le vice-président (M. John Duncan): Monsieur Bernier.

• 1610

[Français]

M. Yvan Bernier (Bonaventure—Gaspé—Îles-de-la-Madeleine—Pabok, BQ): Merci, monsieur le président. Je ne sais pas si notre témoin comprend le français, mais il pourrait utiliser les écouteurs s'il croit en avoir besoin.

M. Chris Harvey: Merci bien.

M. Yvan Bernier: Je ne suis pas parfaitement bilingue.

Je sais que le temps qui nous est imparti est relativement court, mais j'ai pu constater que la question vous tenait à coeur à vous aussi.

Mes questions s'enchaîneront à celles que M. Cummins a enclenchées. Je trouve un peu bizarre d'entendre dire qu'on doit accepter qu'il y aura toujours violation des droits des traités. Peut-être ai-je mal entendu la fin de votre dernière réponse, mais j'aimerais savoir comment nous ferons pour régler cette situation. Je suis incapable de penser qu'on va accepter qu'il y aura violation. J'ai cru noter que vous parliez de principes de réconciliation et j'aimerais que vous précisiez votre pensée là-dessus.

J'aimerais également vous tendre la perche par ma prochaine question. Dans votre document, vous affirmez qu'il y a moyen d'encadrer par réglementation la cohabitation de la pêche autochtone et de la pêche non autochtone. À la lumière des différents articles de loi que vous avez pu voir dans le passé, pourriez-vous nous dire quels outils se trouvant dans le coffre à outils du ministre des Pêches pourraient amener les autochtones à pêcher en fonction des saisons, comme le font déjà les pêcheurs non autochtones?

Vous allez dire que je saute peut-être une étape et qu'on permet aux autochtones de pêcher. Je pars du principe qu'ils ont des droits, mais on va devoir trouver une façon de gérer la cohabitation. Je voudrais savoir comment on peut harmoniser nos règlements afin de respecter à la fois les droits des traités et notre façon de faire la pêche en tenant compte des saisons.

Ce sont mes deux questions.

[Traduction]

Le vice-président (M. John Duncan): Monsieur Harvey.

M. Chris Harvey: Merci.

Je comprends bien ce que vous dites, et je comprends en particulier votre question au sujet de la nécessité de se résigner à une violation du droit. Ce n'est pas très agréable, mais c'est inévitable, à mon avis. Il n'y a tout simplement pas suffisamment de poissons dans la mer pour maintenir les droits de traités et accorder des droits à d'autres intéressés qui ont fait des investissements dans ce secteur, etc.

Dans cette affaire, il est bon de se souvenir que le droit du traité a toujours été un droit partagé, un droit à participer à l'exploitation d'une ressource partagée. En effet, c'est également le cas dans l'affaire Marshall. J'imagine que d'autres cas se produiront et qu'on en viendra à se dire, attendez un instant, vous dites qu'il y a eu violation du droit, mais vous ne comprenez pas que depuis le début, cela a toujours été un droit à partager une ressources.

Les tribunaux l'ont observé dans d'autres cas:

    À cet égard, les droits des traités indiens sont identiques à n'importe quel autre droit reconnu par notre système juridique. L'exercice des droits d'un particulier ou d'un groupe de personnes est limité par les droits des autres. Les droits n'existent pas dans le vide et l'exercice d'un droit, quel qu'il soit, exige un compromis entre les intérêts et les valeurs que supposent les droits des autres.

Si on se souvient de cela, il n'est pas aussi difficile d'accepter une violation. D'une certaine façon, il faut dire la même chose à n'importe qui en Nouvelle-Écosse, aux enfants qui sont élevés dans cette province, les garçons et les filles qui veulent devenir des pêcheurs et qui n'ont pas de permis. Le droit commun leur donnera toujours le droit de pêcher, mais nous sommes forcés de leur dire: désolé, ce droit est limité car nous ne pouvons plus donner des permis à tous ceux qui en veulent, nous avons dû arrêter cette pratique en 1974.

• 1615

Dans la seconde partie de votre question, vous avez dit que des outils existaient; il y a peut-être d'excellents exemples sur la côte Ouest également, car là-bas, environ 30 p. 100 du saumon est pris par des pêcheurs commerciaux autochtones. Ils pêchent en même temps que tout le monde, ils ont le même type de permis que tous les autres, mais au cours des années, les programmes du gouvernement destinés à aider les Autochtones à acquérir des permis ont fait que leur proportion des prises est passée de 20 à 30 p. 100.

Ils constituent un élément bien intégré de l'ensemble de la pêche commerciale. Comme je l'ai dit, ils ont les mêmes permis, les mêmes dates d'ouverture et de fermeture de la pêche, les mêmes restrictions en ce qui concerne les engins, etc. Grâce à cela, la pêche est beaucoup plus facile car les agents du ministère savent que les mêmes règles s'appliquent à tout le monde, ce qui facilite beaucoup leur application. C'est donc un modèle que j'encouragerais le gouvernement à adopter.

Le vice-président (M. John Duncan): Merci.

D'autres questions? Rose-Marie.

Mme Rose-Marie Ur (Lambton—Kent—Middlesex, Lib.): Je suis nouvelle venue à ce comité, je remplace quelqu'un d'autre, si bien que mes questions risquent d'être un peu différentes. Cette discussion m'intéresse beaucoup.

J'aimerais savoir comment vous pouvez calculer ce qui constitue «un mode de vie raisonnable»? Comment vous y prenez-vous?

M. Chris Harvey: Je vais vous répondre comme le ministre l'a fait lui-même, je crois: «Je ne veux pas me lancer dans ce genre de choses». En effet, ce n'est pas possible, tout simplement impossible. D'après les normes que nous comprenons et que nous respectons, nous avons le droit de voir notre vie privée respectée.

Pour commencer, lorsqu'un administrateur reçoit une demande de permis, il doit procéder à cet exercice, et c'est loin d'être agréable, il doit déterminer si la personne en question... Ce que je veux dire, c'est qu'il faut lui demander: Est-ce que vous êtes un Micmac, ou bien est-ce que votre mère ou votre père était Micmac, et votre grand-mère, etc. Ce n'est pas très agréable, mais c'est nécessaire, à mon avis.

Quand à l'aspect financier, il faut ensuite leur poser des questions sur leurs circonstances financières, quels autres types de revenus ils ont, et sur cette base, calculer leurs moyens financiers. Tout cela est loin d'être agréable. Cela dit, à mon avis le gouvernement n'est pas forcé de le faire car, de toute évidence, on ne réussira jamais à réaliser tous les droits de traité de tous les détenteurs de ces droits. C'est tout simplement impossible.

Pour être plus précis et répondre à votre question, quand j'ai parlé de mode de vie raisonnable, j'ai dit qu'il s'agissait de logements, de vêtements, de nourriture et de «possessions raisonnables», mais sans aller jusqu'à l'accumulation de richesses. Cela revient à dire que tant que l'on réussit à dépenser l'argent, cela constitue un mode de vie raisonnable, mais que ce si on ne réussit plus à le dépenser, c'est une violation des droits. Je plaisante, mais c'est dans cet ordre d'idée. Bref, je ne pense pas qu'il soit utile de poser des questions dans ce domaine.

Mme Rose-Marie Ur: Je trouve que c'est parfois très difficile de concrétiser ce genre de notion sur le papier. Si certains réussissent à le faire, c'est remarquable.

M. Chris Harvey: Je suis d'accord.

Mme Rose-Marie Ur: Ces gens-là méritent des félicitations.

La question de compromis dépend du gouvernement: c'est une chose que vous avez répété plusieurs fois dans votre exposé. Vous avez dit également que le pourcentage devait se fonder sur un raisonnement solide. Comment pensez-vous que cela soit possible? Est-ce que vous voulez dire que 50 p. 100 des pêcheurs devraient être des Autochtones et 50 p. 100 des non-Autochtones? Comment définissez-vous «raisonnable»? Qu'est-ce qui est un pourcentage raisonnable dans ce cas?

M. Chris Harvey: Eh bien, il faut commencer par déterminer le pourcentage qui existe actuellement. Je serais surpris qu'il y en ait aucun dans les 6 300 permis, mais si c'est le cas, il faut absolument corriger cette situation.

Ce que j'envisage, c'est un système, le seul à mon avis qui soit possible, qui permette de transférer progressivement les permis actuels dans le cadre d'un programme de rachat volontaire: le gouvernement récupère les permis et les transfère aux Micmacs d'une façon ou d'une autre.

• 1620

Je serais très surpris que les pêcheurs acceptent une proportion de 50 p. 100, ce serait tout à fait révolutionnaire. Il me semble que ce genre de choses ne risque pas de favoriser la réconciliation. À mon avis, s'il y a une chose qui puisse favoriser la réconciliation, c'est un changement lent, progressif, un ajustement de la situation actuelle qui reconnaisse l'existence de droits issus de traités, un système qui permette de ménager une plus grande place à ces droits qu'à l'heure actuelle.

Le vice-président (M. John Duncan): Bill Matthews a une question à poser.

M. Bill Matthews (Burin—St. George's, Lib.): Merci, monsieur le président.

À propos des questions et des réponses que nous avons entendues, vous parlez d'un rachat volontaire des permis. Il me semble que cela suppose les mêmes conditions de permis. Le ministre établirait le nombre des pièges et la taille minimum des homards, et la saison de pêche serait la même.

M. Chris Harvey: Oui, c'est exactement ce que je propose, et je crois même que c'est la seule solution utile et acceptable. Elle est utile, en ce sens qu'on peut l'appliquer plus facilement; nul besoin d'un escadron d'agents des pêches pour réglementer deux sortes de pêches distinctes. C'est en outre acceptable parce qu'il est très difficile, comme vous le savez sans doute, pour un pêcheur titulaire de permis de rester à quai, à en regarder d'autres exploiter la ressource pour laquelle il a obtenu un permis. C'est socialement et moralement inacceptable et certainement peu propice à la réconciliation.

Un régime unique, pour l'ouverture, la fermeture et les permis est vraiment la seule solution qui permettra la réconciliation tout en protégeant adéquatement la ressource.

M. Bill Matthews: C'est là l'autre question. J'allais parler de conservation et de durabilité de la ressource, du fait que si on n'adopte pas la solution dont vous venez de parler, la ressource elle-même, sera menacée.

M. Chris Harvey: Oui.

M. Bill Matthews: Il faut dire que les saisons de pêche au homard sont fixes. Il y a une raison pour laquelle on ne peut pêcher qu'à un certain moment de l'année, et si on permettait la pêche à l'année, on épuiserait complètement la ressource. Les mêmes raisons, les mêmes conditions: c'est la seule solution. Je suis d'accord, et je l'ai déjà dit. C'est aussi mon opinion.

Au sujet des autres questions dont vous avez traité, s'il doit y avoir un rachat volontaire ou un achat de permis, il reste à voir combien sont prêts à vendre le leur et si cela permet à un nombre raisonnable d'Autochtones, à leurs propres yeux, d'entrer dans le secteur de la pêche. On ne peut pas en arriver là avant de savoir combien de pêcheurs commerciaux sont prêts à sortir du secteur, à mon avis. C'est ce que je pense. Ce n'était pas une question mais plutôt un commentaire.

M. Chris Harvey: Je suis d'accord avec vous.

Le vice-président (M. John Duncan): Bien, maintenant nous allons revenir à...

M. John Cummins: J'aimerais poser une question supplémentaire à ce sujet, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Le vice-président (M. John Duncan): Allez-y.

M. John Cummins: Mon collègue de l'autre côté soulève une question intéressante: s'il y a un régime de rachat... Vous en parlez dans votre mémoire; vous dites que le programme doit être conçu d'une part pour indemniser les détenteurs de permis actuels qui pourraient devoir céder ce permis et, d'autre part, de manière à offrir suffisamment de permis aux Micmacs. Mais le problème, avec ce programme de rachat, c'est qu'on présume, ou c'est du moins le cas du gouvernement, que personne d'autre ne voudrait dudit permis, que si quelqu'un est prêt à rendre son permis, le seul acheteur possible, c'est le gouvernement.

En réalité, il y a d'autres membres de la communauté qui pourraient vouloir l'acheter. Il peut s'agir d'un père qui veut transférer son permis à son fils, ou un oncle à son neveu. Étant donné la notion de réconciliation, si je suis celui qui voulait racheter le permis et que je suis en concurrence avec le gouvernement, je pourrais être amer.

Je pense que nous avons beaucoup parlé de cette solution soi- disant industrielle sur la côte Ouest, mais cette solution a aussi ses propres problèmes.

M. Chris Harvey: Oui, j'en conviens, mais elle élimine dans une bonne mesure le sentiment d'expropriation, la situation d'expropriation résultant des autres solutions. Si de nouveaux permis sont tout simplement rajoutés, accordés aux Micmacs, il y a une expropriation concrète d'une partie de la ressource. Je suis donc d'accord avec vous là-dessus.

• 1625

Et il faut aussi tenir compte de ce que vous avez dit, au sujet des autres qui voudraient faire partie des pêches, puisque ces autres, comme je le disais, ont des droits, des droits de fait, dans le secteur de la pêche. Le système doit reconnaître l'existence de ces droits et l'existence des droits issus des traités, en accordant une protection prioritaire aux droits issus des traités. Et c'est là qu'on doit accorder plus de poids, il me semble, à ceux qui veulent devenir pêcheurs en vertu des droits issus des traités.

Le vice-président (M. John Duncan): Monsieur Gilmour.

M. Bill Gilmour (Nanaimo—Alberni, Réf.): Merci, monsieur le président.

Nous sommes encore une fois ravis d'avoir quelqu'un d'aussi expérimenté que vous devant nous, quelqu'un qui a contribué à l'élaboration de l'arrêt Marshall. Vous étiez là, vous avez représenté divers intérêts.

L'arrêt Marshall portait sur les anguilles, mais nous parlons déjà de homard et de crabe des neiges. La question qu'on me pose souvent, c'est jusqu'où peut-on aller? Cela s'étend-il aux droits non traditionnels que les Autochtones pourraient avoir, par exemple, pour la pêche hauturière? Cela comprend-il même l'Île-de- Sable et le gaz? Les discussions se sont arrêtées, il y a quelques semaines. Entre-temps, on coupe des arbres.

D'après votre expérience, jusqu'où cela ira-t-il? Avec ces traités, s'agit-il strictement d'un droit issu de traité pour la côte atlantique ou est-il possible qu'on aille plus loin?

M. Chris Harvey: Eh bien, il reviendra aux tribunaux d'en interpréter la portée, lors d'arrêts ultérieurs. Mais l'affaire Marshall s'étend aussi à la chasse, à la pêche et à la cueillette. Ce n'est pas limité, comme des droits autochtones, à ce qui fait partie de la communauté autochtone et de sa culture avant les contacts avec les Européens. Il semble que ce ne soit pas le cas.

Peut-être les tribunaux jugeront-ils que cette restriction existe, mais elle n'a pas été donnée dans l'affaire Marshall, puisqu'il s'agit d'un droit commercial qui existait en 1760, en vertu d'un accord. Le tribunal a dit qu'il s'agissait essentiellement du même droit dont jouissait tout citoyen avant la mise en oeuvre de règlements restreignant ce droit. En l'absence de lois ou de règlements, chaque citoyen du pays pouvait couper du bois, pêcher, chasser et cueillir ce qu'il voulait, et vendre les produits sans avoir à respecter de règles. Ce droit peut donc être d'une application assez large. Comme je le disais, il incombe aux tribunaux de le limiter. Il est difficile de dire ce qu'ils feront.

Comme je le disais, je pense qu'il faut cesser de penser aux violations, et porter toute notre attention sur les justifications. S'il faut parler de la réglementation de la coupe du bois... Tout d'abord, il faut qu'on décide—et seul un tribunal peut le faire—de la portée de ce droit. Mais disons qu'un tribunal déclare que ce droit porte aussi sur l'exploitation forestière. Il faudrait alors que ce soit reconnu dans les règlements sur l'exploitation forestière, qui pourraient être des règlements provinciaux, puis qu'il y ait un processus de consultation et de prise de règlements fixant les droits à des contrats d'exploitation des forêts.

Le code de pratiques forestières de la Colombie-Britannique a justement fait l'objet d'un examen à cause de cette question. C'est heureusement un code législatif qui oriente les pratiques administratives. Il était conforme à tous les critères, sauf celui de la consultation, dont j'ai parlé dans le mémoire.

M. Bill Gilmour: Puis-je poser une autre question?

Le vice-président (M. John Duncan): Très rapidement.

M. Bill Gilmour: Je trouve encourageante votre proposition de compromis de réglementation qui reconnaîtrait à la fois les pêcheurs existants et les droits issus de traités des Autochtones qui voudraient pêcher aussi. Je ne veux pas vous faire trébucher, mais personnellement, j'ai tendance à être découragé par l'attitude des tribunaux et du Parlement, particulièrement par la façon d'agir du MPO. Que pensez-vous, vous-même, en particulier de l'attitude des tribunaux? Les règles du jeu sont-elles les mêmes pour tous, ou y a-t-il des avantages dans un sens ou dans l'autre?

• 1630

M. Chris Harvey: Le problème, à mon avis, c'est que les tribunaux baignent dans le droit théorique et qu'elles ont une structure très perfectionnée de ce qu'est une violation, une justification et ainsi de suite. Pour le pêcheur de homards, c'est un monde complètement différent. Pour les tribunaux, je pense que la pêche au homard est un monde aussi différent. Il faut toutefois rassembler les deux, et c'est le rôle des règlements.

Voilà ce que j'ai à dire au sujet de la façon dont les tribunaux se sont occupés de la question. Ils ne l'ont pas fait. En toute justice, leur domaine, c'est plutôt la théorie du droit et les résultats de la logique juridique. Les conséquences sociales ne sont pas du ressort du tribunal. C'est la responsabilité du gouvernement et c'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui, pour parler des conséquences sociales.

Comme je le disais, ma théorie, c'est que malheureusement, le gouvernement ne peut pas agir de la façon habituelle, et ne pouvait donc suivre qu'une voie très étroite pour arriver à régler cette crise.

Le vice-président (M. John Duncan): Monsieur Laliberte, du NPD.

M. Rick Laliberte (Rivière Churchill, NPD): Merci, monsieur le président. Je ne sais pas de combien de temps je dispose.

Le vice-président (M. John Duncan): Vous avez cinq minutes, puis nous passerons au deuxième tour de questions.

M. Rick Laliberte: D'après l'avis, on devait terminer à 16 h 30, et d'après l'horloge...

Le vice-président (M. John Duncan): Vous avez donc cinq minutes, puis nous lèverons la séance.

M. Rick Laliberte: Dans votre exposé, vous avez parlé des eaux de marée et de la haute mer. Je présume que, dans le cadre des négociations, le MPO a parlé à diverses entreprises de pêche de la côte Est, qui, je devine, ont dit franchement au MPO que si les pêcheurs autochtones allaient au-delà de la limite de trois milles, elles poursuivraient le ministère. S'agit-il d'un droit traditionnel ou d'une définition juridique? Puisque vous en parlez dans votre document, je voulais simplement avoir davantage d'explications.

M. Chris Harvey: Il n'est pas facile de vous répondre. En fait, il n'y a pas de réponse à une telle question. Les tribunaux n'ont pas rendu de décision à ce sujet, et il incombera donc au gouvernement de décider de questions de ce genre. Mais je dirais que cette question ne se posera plus si la structure de permis existante est adoptée comme je le propose, et si l'on prend des dispositions pour y intégrer des pêcheurs commerciaux micmacs. Alors des questions difficiles de ce genre ne se posent plus. Des décisions difficiles devront être prises au sujet des permis d'entreprises, par exemple. Je ne me suis penché que sur le régime de permis pour le homard, et j'ai constaté que ce ne serait pas trop compliqué. Je ne connais toutefois pas les autres types de permis de la côte Est, malheureusement.

M. Rick Laliberte: Dans votre exposé, vous nous avez dit qu'il y avait 26 000 membres inscrits, mais qu'il y en avait 40 000—je présume que ce sont des Indiens non inscrits. Est-ce qu'en vertu de cet arrêt, on pourrait faire reconnaître ces droits aux Indiens non inscrits?

M. Chris Harvey: Je crois que c'est certainement possible. Les tribunaux n'ont pas rendu de décision à ce sujet, et j'ai compris que l'association autochtone essayait d'obtenir une décision de la Cour suprême à ce sujet. Elle réussira peut-être. Je ne peux pas vous le dire, la décision pourrait aller dans un sens comme dans l'autre. J'ai donné le chiffre de 40 000, mais ce n'est qu'une approximation de ma part. Il pourrait y avoir deux fois plus d'Indiens non inscrits qu'il y en a d'inscrits. Je n'en ai aucune idée. Mais leur nombre sera beaucoup plus grand, assurément.

M. Rick Laliberte: Dans l'arrêt Marshall, vous dites précisément qu'il s'agit d'un droit issu des traités, puis dans le sommaire, vous parlez du paragraphe 35(1), qui définit les droits autochtones. Pourriez-vous nous donner quelques explications?

M. Chris Harvey: Le paragraphe 35(1) précise que les droits autochtones et les droits issus de traités sont reconnus et confirmés. Le même article traite donc à la fois des droits issus des traités et des droits autochtones. Pour résumer, je parle souvent des droits conférés par l'article 35, ce qui comprend à la fois les droits autochtones et les droits issus de traités.

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Il faut dire, au sujet des droits des Autochtones, que cela ne comprend pas tous les droits exercés par un Autochtone, puisque la plupart des droits exercés par les Autochtones canadiens sont ceux qui sont accordés à tous les citoyens canadiens. Seul un nombre infime de droits ainsi exercés sont protégés par l'article 35. Le droit issu des traités est certainement un droit en vertu de l'article 35.

M. Rick Laliberte: Donc pour ce qui est de prendre des règlements, vous dites que ce domaine relève du gouvernement fédéral par le truchement de son ministère des Pêches et Océans. Qu'en est-il des droits issus de traités?

M. Chris Harvey: Il est possible de réglementer les droits issus de traités. Cela ne fait aucun doute. Les tribunaux ont dit que les permis sont essentiels et qu'il est essentiel d'avoir une instance pour octroyer ces permis, en l'occurrence, le gouvernement, si on doit accorder une protection à la ressource. Les règlements gouvernementaux ne peuvent pas permettre une atteinte non justifiable aux droits issus de traités; mais si une atteinte est justifiée, à ce moment-là les règlements peuvent le permettre. Il nous faut donc un système de réglementation où les infractions seront inévitables, mais justifiables. Elles seront confirmées par les tribunaux et deviendront exécutoires.

M. Rick Laliberte: Sur ce point-là, vous avez mentionné une seule phrase. Vous l'avez citée au bas de la page 15 de votre mémoire. C'est la phrase complète qui, selon vous, portait sur la justification, et c'est tout.

M. Chris Harvey: Oui. Tout ce qu'a dit la cour, c'était qu'il fallait un régime de délivrance de permis qui serait discrétionnaire; c'est quelque chose qu'on ne peut pas justifier puisqu'on n'offre aucune consigne aux administrateurs et on ne reconnaît pas l'existence d'un droit issu d'un traité.

M. Rick Laliberte: Essentiellement, donc, on a fait certains efforts. Il est inévitable que les premières paroles prononcées par Donald Marshall Jr étaient à l'effet qu'il fallait se contrôler dans l'industrie de la pêche avant de se lancer. Il disait à son peuple de se contrôler.

Croyez-vous qu'il serait possible pour les collectivités autochtones dans ce pays de contrôler leurs propres droits et les obligations qui sont les leurs en vertu de traités?

M. Chris Harvey: C'est une très bonne question, puisqu'on dit souvent que c'est quelque chose qui est déjà inclus dans le droit des Autochtones—c'est-à-dire de créer leurs propres règles et de ne pas tenir compte des règles adoptées par le gouvernement du Canada. Mais ça n'a rien à voir avec ce qu'ont dit les tribunaux. Les tribunaux ont dit, au contraire, que seul le gouvernement a le pouvoir de contrôler les pêcheries, mais que cela doit se faire d'une façon justifiable.

Le vice-président (M. John Duncan): Sur ce, je constate que nous avons bien rempli l'heure. Nous vous remercions pour votre participation. Je crois que vous devez voyager. Serez-vous à New York demain?

M. Chris Harvey: Oui, c'est exact.

Il m'a fait grand plaisir d'être ici. Je vous remercie.

Le vice-président (M. John Duncan): Merci à tout le monde.

La séance est levée.