SDIR Réunion de comité
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 8 mai 2012
[Enregistrement électronique]
[Français]
Nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Aujourd'hui, le 8 mai 2012, c'est notre 36e séance.
[Traduction]
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur la situation des droits de la personne en Birmanie. Nous accueillons M. Aung Din, le directeur exécutif de l'organisation U.S. Campaign for Burma.
Comme je vous ai vu parler à notre greffier, je suppose que vous êtes maintenant au courant de nos modes de fonctionnement. Je vous invite donc à débuter votre déclaration.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de tenir cette audience aujourd'hui. Je suis très heureux d'être ici pour présenter mon témoignage sur la situation actuelle en Birmanie, pays d'Asie du Sud-Est où je suis né et où j'ai grandi
Je vous soumets ma déclaration écrite pour vos dossiers. Je vais essayer de la résumer en 10 minutes.
Des élections partielles historiques se sont tenues en Birmanie le 1er avril 2012. La chef démocrate Daw Aung San Suu Kyi et son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), ont remporté 43 des 44 sièges en jeu. Le parti au pouvoir, le Parti de la solidarité et du développement de l'union (USDP), n'a remporté qu'un siège.
Pour le régime birman, le fait de permettre à Daw Aung San Suu Kyi et à son parti de détenir près de 7 p. 100 des sièges au Parlement ne constituera pas une grande menace pour le maintien du pouvoir étant donné que l'USDP et les militaires continuent de détenir 80 p. 100 des sièges au Parlement et que l'armée a toujours un droit de veto pour rejeter toute proposition de modifications législatives.
L'élection partielle leur procure toutefois d'énormes avantages. La communauté internationale reconnaît que leur système politique est ouvert à tous les partis et légitime. La pression exercée et les sanctions imposées par les États-Unis, l'Australie, le Canada et l'Union européenne sont considérablement réduites, voire suspendues. Le gouvernement du Japon a annoncé que son pays annulera une dette de 3,7 milliards de dollars et prévoit recommencer à fournir de l'aide au développement.
Les généraux et leurs acolytes, qui contrôlent toujours le pays, pourront bientôt aller magasiner et envoyer leurs enfants dans des écoles aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Europe. À mon avis, le gouvernement birman dirigé par le président U Thein Sein est celui à qui les élections partielles profitent le plus.
Nous devons toutefois déterminer soigneusement si les récents changements justifient vraiment la levée des sanctions. La situation en Birmanie a beaucoup évolué au cours des neuf derniers mois, mais ce serait une erreur de présumer que les changements apportés sont irréversibles ou qu'ils signifient que le pays est sur la bonne voie. C'est une chose de réagir favorablement à une évolution positive, c'en est une autre de s'empresser de distribuer des récompenses.
Je vais d'abord traiter de la question des prisonniers politiques. Le régime birman a toujours nié qu'il y avait des prisonniers politiques dans ce pays. Il a pourtant libéré plus de 500 prisonniers politiques en octobre 2011 et janvier 2012, notamment des dirigeants bien connus du mouvement démocratique de Birmanie, ce qui est remarquable.
Leur libération n'est toutefois pas inconditionnelle. Beaucoup de prisonniers ont été libérés alors que leur peine tirait à sa fin, et un grand nombre ont été relâchés en vertu du paragraphe 401(1) de la procédure pénale du Code criminel, qui autorise la suspension temporaire de la peine de prison. Si le président est insatisfait de leurs activités, ils seront mis en état d'arrestation sans mandat par les agents de sécurité et devront purger le reste de leur peine d'emprisonnement en plus de se voir imposer une nouvelle peine.
En outre, plus de 600 prisonniers politiques, notamment le défenseur des droits de la personne bien connu U Aye Myint, le leader étudiant Aye Aung et de nombreux moines bouddhistes sont toujours derrière les barreaux. Les décrets et les lois iniques que le régime a adoptés et dont il se sert pour emprisonner ces gens sont toujours en vigueur.
Le système judiciaire inefficace et corrompu a été et continue d'être un instrument d'oppression auquel le régime a recours contre ses propres citoyens. Des juges corrompus dirigent les tribunaux sans assurer une application régulière de la loi et rendent les décisions que leur dictent leurs supérieurs ou statuent en faveur de la partie qui leur offre le plus d'argent. Les agents d'application de la loi sont violents et dangereux; la détention arbitraire et la torture sont les outils qu'ils utilisent pour obtenir des aveux des accusés.
J'aimerais vous donner des éclaircissements sur les accords de cessez-le-feu et le processus de rétablissement de la paix. Il est vrai que le gouvernement birman a signé des accords de cessez-le-feu avec plusieurs groupes ethniques armés. Toutefois, ces accords sont préliminaires et fragiles. La guerre entre l'armée birmane et l'Organisation Kachin pour l'indépendance (KIO) fait toujours rage dans l'État de Kachin et l'État de Shan Nord. Elle a obligé des centaines de milliers de personnes à fuir leur domicile et leur village.
Sans l'établissement des droits ethniques, les pourparlers de paix en cours entre les groupes ethniques armés et le régime pourraient ne pas aboutir à la fin permanente de la guerre civile. Ces droits comprennent certains niveaux d'autonomie, l'autodétermination, le juste partage des revenus tirés des ressources naturelles dans les territoires des groupes ethniques, qui représentent 60 p. 100 de la superficie totale du pays, de même que la cessation complète des violations des droits de la personne commises par les militaires birmans.
Les accords de cessez-le-feu ne dureront pas tant et aussi longtemps que le gouvernement de Birmanie ne retirera pas ses troupes des territoires des groupes ethniques et qu'il n'essaiera pas d'arriver à un règlement politique négocié avec les groupes ethniques à l'extérieur du Parlement.
La réconciliation nationale ne passe pas seulement par le dialogue et des accords de cessez-le-feu entre le gouvernement et les groupes ethniques armés. Elle devrait être un processus qui met fin à des décennies de violence, d'abus et d'impunité pour les violations systématiques et répandues des droits de la personne, qui se préoccupe de la souffrance des victimes, et qui tient responsables ceux qui ont commis les crimes horribles. Tout effort de rétablissement de la paix qui ne porterait pas sur la vérité, la justice et la responsabilité ne serait pas crédible.
Parlons maintenant des élections partielles. Il est vrai que ces élections partielles ont été historiques du fait que Daw Aung San Suu Kyi et son parti étaient candidats et ont remporté une victoire écrasante. Par contre, cette victoire n'a procuré à Daw Aung San Suu Kyi qu'environ 7 p. 100 des sièges du Parlement. Nous ne pouvons célébrer une aussi modeste victoire alors que ces élections ont effectivement détruit l'objectif et l'aspiration de longue date des forces démocratiques et des groupes ethniques de Birmanie, à savoir l'établissement d'un dialogue constructif et assorti d'un échéancier entre l'armée, les forces démocratiques dirigées par Daw Aung San Suu Kyi et les représentants des groupes ethniques pour arriver à une véritable démocratisation et à une réconciliation nationale durable.
Daw Aung San Suu Kyi et la LND ont promis de s'occuper de trois grandes questions au Parlement, à savoir la primauté du droit, la paix nationale et la modification de la Constitution de 2008. Ces trois grandes promesses électorales ne peuvent être réalisées sans que des modifications constitutionnelles et législatives ne soient apportées.
Cependant, la Constitution a délibérément été rédigée de façon à ce qu'il soit difficile de la modifier. Au moins 20 p. 100 des législateurs doivent présenter le projet de loi visant à modifier la Constitution au Parlement de l'Union, c'est-à-dire à une séance conjointe de la Chambre basse et de la Chambre haute, et les modifications ne peuvent être adoptées que par un vote récoltant plus de 75 p. 100 des voix de l'ensemble du Parlement, ce qui donne, dans les faits, un droit de veto aux militaires qui détiennent 25 p. 100 des sièges. Même si tous les représentants élus qui détiennent 75 p. 100 des sièges votaient en faveur des modifications, ils ne réussiraient pas à faire adopter le projet de loi sans obtenir au moins un vote de la part du bloc militaire.
On peut aujourd'hui observer une certaine liberté dans les principales villes de Birmanie, mais rien n'a changé dans les territoires des groupes ethniques. Les droits fonciers et les droits aux logements sont de plus en plus bafoués en raison de l'exécution de projets d'infrastructure et de développement, de l'exploitation des ressources naturelles et de la confiscation de terres par les militaires et leurs acolytes. Les décisions du gouvernement d'offrir des possibilités économiques aux entreprises appartenant aux militaires et à leurs acolytes sont toujours prises sans consultation des collectivités touchées et sans évaluation adéquate des incidences sociales et environnementales. Ces projets ont entraîné une pauvreté extrême, la privation de terres et des déplacements.
Plutôt que de se retirer des territoires des groupes ethniques, l'armée birmane y a implanté plus de soldats et leur a fourni des rations alimentaires et des armes. Les soldats ont obligé les villageois à transporter leur ravitaillement de la route jusqu'à leurs casernes, et leur ont ordonné de leur fournir des feuilles, du bambou et des poteaux de bois pour construire ou rénover des casernes, surtout avant la saison des pluies. Les soldats birmans ont aussi constamment attaqué les rassemblements religieux de groupes ethniques qui ne sont pas bouddhistes.
Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du sous-comité, j'appuie une levée graduelle des sanctions qui soit directement liée aux progrès accomplis. Une telle approche permet aux gouvernements de la communauté internationale de tendre la main au gouvernement birman et de l'inciter à adopter une voie qui appuie une véritable réforme politique soutenue vers la démocratisation, la paix durable et un plus grand respect des droits de la personne. Je crains toutefois que le gouvernement du Canada ne prenne des mesures qui compromettent l'atteinte de ces objectifs.
Deux jours avant les élections partielles, un journaliste a demandé à Daw Aung San Suu Kyi d'évaluer, sur une échelle de un à dix, l'état actuel des changements qui favorisent l'instauration de la démocratie en Birmanie. Elle a répondu: « Nous sommes presque rendus à un. » Elle sait très bien qu'il reste beaucoup à faire.
De plus, la levée prématurée des sanctions économiques peut nuire grandement aux fragiles négociations de paix actuellement en cours entre les responsables civils du régime et les groupes ethniques. La majorité de ces groupes en Birmanie croient que le régime a entamé ces négociations dans le but d'obtenir des concessions d'ordre économique de la part des groupes ethniques armés. Si la communauté internationale récompense le régime en lui procurant des gains économiques, elle annule d'importants moyens de pression favorisant la réconciliation politique et la paix au pays.
Je voudrais donc faire les recommandations suivantes et demander au Parlement canadien de faire contrepoids à la procédure accélérée du gouvernement du Canada.
Premièrement, la liste des personnes et des entités faisant l'objet d'un gel des actifs, associé à une interdiction d'effectuer des transactions, doit être mise à jour et comprendre un plus grand nombre d'acolytes et de partisans de la ligne dure. Elle devrait être obligatoirement consultée par les entreprises canadiennes faisant des affaires en Birmanie.
Deuxièmement, des exigences contraignantes ou des mesures obligatoires relatives à la manière responsable de conduire des affaires devraient être imposées à toute entreprise voulant investir en Birmanie.
Troisièmement, les entreprises appartenant à des militaires et à leurs acolytes contrôlent la plupart des secteurs économiques de Birmanie, et plus particulièrement les banques, les transporteurs aériens et les industries extractives, notamment les industries pétrolière, gazière, énergétique et minière. Le gouvernement du Canada devrait envisager de rétablir des sanctions relatives à ces secteurs.
Quatrièmement, le gouvernement du Canada doit exercer des pressions sur le régime birman pour qu'il mette fin à la guerre dans l'état de Kachin et appelle immédiatement à un cessez-le-feu dans l'ensemble du pays. Le gouvernement birman doit permettre aux anciens prisonniers politiques d'obtenir des passeports pour pouvoir aller à l'étranger, autoriser les membres de la société civile birmane à former et à faire fonctionner des organisations à but non lucratif, libérer sans condition le reste des prisonniers politiques, permettre aux anciens prisonniers politiques de retourner aux études ou de reprendre leur profession dans le domaine du droit, de la médecine, de l'enseignement, etc., et donner aux organisations internationales un accès sans entrave aux régions touchées par des catastrophes naturelles et des conflits armés.
Cinquièmement, le gouvernement du Canada doit rappeler sans cesse au régime birman que les seuls facteurs qui peuvent justifier la levée complète des sanctions sont la pleine collaboration avec Daw Aung San Suu Kyi et les députés démocrates au Parlement et un dialogue politique sérieux tenu à l'extérieur du Parlement et menant à un règlement politique négocié avec les groupes ethniques.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup.
Je regarde l'heure et je crois que nous pouvons faire des tours de sept minutes. Il faudra toutefois que je fasse respecter strictement le temps imparti.
Monsieur Hiebert, à vous de commencer.
Je vous remercie.
Merci à vous, monsieur Din, pour votre comparution aujourd'hui. Vos réflexions très probantes nous seront certes utiles pour l'étude de cette question.
J'aimerais revenir à quelques-unes des observations que vous nous avez faites. Vous nous avez notamment dit que même si les 75 p. 100 de représentants élus au sein du Parlement font front commun pour apporter une modification, ils ne peuvent avoir gain de cause que s'ils parviennent à obtenir ne serait-ce qu'un vote du bloc militaire. Vous soulignez ainsi le fait que les militaires se voient attribuer 25 p. 100 des votes.
Je voudrais savoir comment cela fonctionne exactement. Pourquoi 75 p. 100 des représentants élus ne suffiraient pas?
La Constitution a été conçue de manière à confier le pouvoir suprême aux militaires. Le commandant en chef peut ainsi diriger les militaires, les forces armées, comme bon lui semble. En vertu de la Constitution, il est également autorisé à nommer trois ministres au cabinet ainsi que 25 p. 100 des députés au Parlement, non seulement au niveau national, mais également à l'échelon des états et des régions. Il devient alors difficile de faire modifier la Constitution étant donné que tout amendement doit être approuvé dans une proportion supérieure à 75 p. 100.
Certains peuvent soutenir que 75 p. 100 sera suffisant pour faire changer la Constitution si l'on peut faire élire nos représentants, mais ce n'est pas la réalité. Même si l'ensemble des représentants élus formant 75 p. 100 du Parlement font front commun, ils n'auront gain de cause que s'ils parviennent à obtenir ne serait-ce qu'un vote des militaires. Et nous savons tous de quel côté ira le vote des militaires. Ils voteront conformément aux instructions du commandant en chef.
Ce bloc correspondant à 25 p. 100 des voix accorde donc aux militaires un pouvoir de veto similaire à celui détenu par les cinq membres permanents des Nations Unies.
Vous avez formulé quelques recommandations fort à propos, mais je retiens la deuxième qui traite des exigences contraignantes ou des mesures obligatoires relatives à la manière responsable de conduire des affaires.
Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Je ne suis pas sûr d'avoir très bien compris.
Comme ce fut le cas lors de la ruée vers l'or au Canada, de nombreuses entreprises étrangères aimeraient bien pouvoir se précipiter en Birmanie pour exploiter les ressources naturelles du pays.
En outre, les Birmans ont l'impression que les investisseurs occidentaux vont mieux se comporter que ceux en provenance de l'Asie. Les investisseurs asiatiques, ceux de la Chine, de Taiwan, de la Malaisie et de Singapour, ne se préoccupent pas des droits de la personne. Ils ne s'intéressent pas aux questions ethniques. Ils ne s'inquiètent pas des impacts environnementaux pour la Birmanie.
Mais si nous n'imposons aucune règle aux investisseurs occidentaux, ils vont se comporter de la même manière. Lorsque ces entreprises viennent en Birmanie, c'est pour y réaliser un bénéfice. Je ne crois pas qu'elles vont tenir compte des droits du travail, des incidences environnementales et du bien-être de la population. Nous voulons que ces entreprises se conduisent de manière responsable du point de vue social et environnemental et qu'elles tiennent compte du bien-être de la population locale et des avantages que cette dernière peut tirer de leurs activités. Ce sont les principaux points.
C'est la raison pour laquelle nous voulons imposer ces exigences contraignantes à toutes les entreprises qui veulent faire des affaires en Birmanie.
Je vois.
Dans votre déclaration, vous n'avez pas vraiment abordé le problème de la violence dans l'état de Kachin. J'ai toutefois vu qu'il en était question dans les portions que vous n'avez pas lues. Vous avez indiqué que la violence fait toujours rage et qu'elle a obligé des centaines de milliers de personnes à fuir leur domicile et leur village.
Quels seraient selon vous les objectifs ultimes du régime relativement à ces groupes minoritaires, mais principalement dans le contexte du conflit dans l'état de Kachin? Pourquoi y a-t-il toujours des combats dans cet état après 17 ans de cessez-le feu et les efforts de réforme déployés dans tout le pays?
Une des membres de la délégation de l'Union nationale karen (UNK) vient de se rendre à Yangon pour des pourparlers de paix. Elle m'a indiqué qu'on a pu discuter là-bas avec U Aung Min, le ministre régional des chemins de fer qui était à la tête de la délégation gouvernementale.
Elle leur a demandé pourquoi ils agissaient de manière à ce que l'histoire se répète. À une certaine époque, alors qu'un accord de cessez-le-feu avait été conclu avec la KIO, l'organisation Kachin pour l'indépendance, le régime avait déployé toutes les forces disponibles pour attaquer les quartiers généraux de l'UNK à Manerplaw. Et on assiste au même scénario aujourd'hui. Pendant que le régime essaie de conclure un accord de cessez-le-feu avec l'UNK et d'autres groupes ethniques, il utilise toutes les forces à sa disposition pour s'en prendre aux quartiers généraux de la KIO.
M. Russ Hiebert: Pourquoi?
M. Aung Din: Parce que ces gens-là n'ont aucune intention d'en arriver à un règlement politique.
Un cessez-le-feu n'est pas à lui seul une mesure suffisante. Le régime se dit qu'il va interrompre les combats et laisser ces groupes gérer eux-mêmes leur territoire et leurs affaires, et que tout sera ainsi réglé. Mais les groupes ethniques revendiquent un certain niveau d'autonomie et d'autodétermination. Ils ne veulent pas mettre en péril leur culture et leur identité nationale. C'est un combat pour l'identité. Ils ne veulent pas se séparer de la Birmanie. Ils souhaitent demeurer à l'intérieur du pays, mais sur une base égalitaire. Nous formons une majorité birmane, mais ils ne se considèrent pas comme une minorité; ils se voient sur le même pied que nous. Ils sont moins nombreux que la majorité birmane, mais ces groupes ethniques possèdent 60 p. 100 des terres du pays.
Ils s'intéressent donc d'abord à l'égalité. Ils désirent également conserver leur identité propre et ne pas être régi par d'autres. Ils veulent administrer leur territoire sans l'intervention de représentants du gouvernement central.
Lors d'un cessez-le-feu conclu avec le gouvernement birman, la KIO a essayé d'obtenir une résolution politique. Toutes les demandes de discussions politiques ont été rejetées. On a ensuite permis à l'organisation de participer au congrès national. La KIO en a profité pour soumettre ses propositions de changements politiques pour la région de Kachin et les autres secteurs occupés par les groupes ethniques. Le gouvernement n'a toutefois pas retenu ces revendications, ces recommandations.
En fin de compte, toutes ces demandes formulées par la KIO et d'autres groupes ethniques ont été rejetées et n'ont pas été incluses dans la constitution de 2008. Enfin, la KIO s'est rendu compte qu'en attendant... [Note de la rédaction: Inaudible]... après les accords de cessez-le-feu, il n'y avait aucune chance qu'un règlement politique intervienne.
En dernière analyse, ils ont compris que le régime essayait de les éloigner du secteur contrôlé par les troupes en raison... [Note de la rédaction: Inaudible]... des projets de développement et des initiatives, et des entreprises pétrolières chinoises qui souhaitaient réaliser des projets hydroélectriques.
Ils vont... [Note de la rédaction: Inaudible]. Lorsque les troupes du régime leur ont demandé de s'éloigner de la région qu'elles contrôlaient, pour que les Chinois puissent mener à bien leurs projets de développement, ce qui aurait profité à l'industrie pétrolière chinoise, ils ont dû... [Note de la rédaction: Inaudible]... et maintenant ils vont mettre fin à la guerre.
Ils ne veulent pas que la guerre prenne fin sans qu'il y ait résolution politique. Le régime essaie de leur tendre la main en leur offrant un moyen d'en arriver à un accord de cessez-le-feu, mais la KIO ne fait plus confiance au régime. Ils ont déjà testé ce type de solution. Cette fois-ci, ils vont poursuivre le combat, mais en essayant de continuer parallèlement les pourparlers. Mais la guerre ne prendra fin que lorsqu'une solution politique aura été trouvée.
Malheureusement, votre temps est écoulé. En fait, nous sommes à huit minutes.
Nous allons passer à M. Marston.
Merci, monsieur le président.
Bienvenue, monsieur Din. Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui.
Dans votre exposé, vous indiquez très clairement que vous êtes préoccupé par le fait que le Canada n'imposerait plus de restrictions, car cela élimine, dans une certaine mesure, les moyens de négociations qu'on aurait pu avoir dans ce pays. Malheureusement, les mauvais sujets de la Birmanie sont toujours au pouvoir. À l'exception de ce qui pourrait être décrit comme de l'éthique de façade — une expression canadienne —, il s'est produit peu de choses qui vont aider à améliorer la démocratie dans le pays.
Toutefois, j'ai quelques préoccupations précises. Je vous ai entendu dire qu'il faut veiller à ce que les entreprises traitent de façon appropriée avec la population là-bas, c'est-à-dire qu'il faut mettre sur pied une sorte de système, par exemple, une liste de personnes désignées dont vous avez parlé.
Un projet de loi concernant la responsabilité sociale et d'entreprise a été déposé devant le Parlement, qui l'a rejeté; cela revient exactement et précisément à ce que vous dites.
Aujourd'hui, y a-t-il des entreprises canadiennes en Birmanie, et à votre connaissance, exercent-elles une responsabilité sociale?
Je sais que l'une des entreprises canadiennes, Ivanhoe, collabore avec le gouvernement birman dans le cadre d'une coentreprise.
Vous savez sûrement que Myanmar Ivanhoe Copper corporation figure sur la liste des sanctions ciblées du gouvernement des États-Unis. À mon avis, cela signifie clairement que l'entreprise n'agit pas... conformément à l'éthique, en Birmanie. De plus, en collaborant avec la junte militaire birmane, elle aide le régime birman à s'enrichir.
Aussi, je ne crois pas que ce sont... Vous savez, il y a tellement d'entreprises en Birmanie, surtout dans l'industrie de l'extraction, dans le secteur des mines, du pétrole, du gaz naturel, bref, dans tous les secteurs. Je ne pense pas qu'elles peuvent mener leurs activités conformément à l'éthique. Tout d'abord, elles doivent traiter avec le gouvernement. Elles doivent le soudoyer et travailler avec ses acolytes, afin d'obtenir les permis d'exploitation qui leur permettent de travailler dans ces régions. Il semble qu'au début, elles doivent fournir un grand appui financier ou une autre forme de contribution aux gens au pouvoir.
Depuis le début, elles ont eu à faire face à un grand nombre de questions sur le plan de l'éthique...[Note de la rédaction: inaudible]... dans le cadre de leurs activités en Birmanie.
On nous a signalé que dans d'autres pays, des entreprises canadiennes ont embauché des gens qui faisaient partie des services de sécurité paramilitaires et qui ont été accusés d'appartenir à des escadrons de la mort, etc.
Il me semble qu'en Birmanie, le gouvernement lui-même, l'armée, est en mesure de faire toutes ces choses sans faire appel aux services paramilitaires. Avez-vous des renseignements de première main ou savez-vous quelque chose en ce qui concerne les entreprises canadiennes et les types de services de sécurité auxquels elles font appel, là-bas?
Je ne sais pas, car je ne me suis pas penché sur cette question en particulier, mais je vais vérifier et vous revenir avec une réponse aussitôt que j'aurai les renseignements nécessaires.
D'accord. L'entreprise dont vous parliez, Ivanhoe, a été mentionnée dans d'autres pays aux prises avec d'autres problèmes, donc si vous apprenez quelque chose, nous aimerions certainement que vous communiquiez avec nous. En mars dernier, le rapporteur spécial des Nations Unies a dit qu'en ce moment, il n'y a aucune reddition de comptes sur le plan national dans ce pays. C'est probablement ce qui explique en grande partie pourquoi j'ai déclaré que les mêmes personnages étaient au pouvoir et que les choses n'avaient pas vraiment bougé. Mais on dit qu'on devrait mettre sur pied une commission internationale pour enquêter sur les violations flagrantes et généralisées des droits de la personne en Birmanie.
Qu'en pensez-vous? Êtes-vous d'accord?
Je suis tout à fait d'accord, monsieur. Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, les processus de paix qui ne font pas intervenir la justice véritable et la reddition de comptes ne seront pas crédibles ou acceptables. Nous devons donc mettre sur pied la commission internationale qui enquêtera sur les crimes contre l'humanité commis en Birmanie.
Nous avons collaboré dans ce but avec Quintana, le rapporteur spécial, mais récemment, nous avons subi un contretemps. En effet, le gouvernement birman a mis sur pied une commission nationale des droits de la personne, ce qui a mené un grand nombre de gouvernements qui avaient appuyé notre demande à se dire qu'ils pouvaient maintenant se contenter d'observer comment nous allions nous débrouiller avec notre propre commission.
Nous leur disons que, tout d'abord, cette commission a été nommée par le président, Thein Sein. Les membres de cette commission sont à son service. De plus, parmi ces membres, on retrouve l'ancien ambassadeur du régime birman qui a défendu le gouvernement devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU ou devant son assemblée générale, ainsi que d'anciens hauts fonctionnaires du gouvernement.
Je ne vois donc pas comment on peut leur faire confiance en ce qui concerne les droits de la personne. De plus, ils ont prouvé qu'ils n'étaient pas en mesure d'entreprendre de telles enquêtes, qu'ils n'en avaient pas le pouvoir. Nous devons donc maintenant retourner voir ces gouvernements et leur dire que cette commission des droits de la personne a prouvé qu'elle n'était pas crédible et indépendante, et qu'elle n'avait pas les pouvoirs nécessaires pour mener de telles enquêtes.
C'est pourquoi nous devons commencer à demander aux Nations Unies de mettre sur pied une commission d'enquête.
La situation ressemble assez à celle du Sri Lanka, où l'on a mis sur pied la commission de vérité et de réconciliation après la guerre qui a duré presque 30 ans, là-bas. Elle n'avait aucune crédibilité, et je doute très fort que le groupe dont il est question sera en mesure d'être le moindrement crédible.
Je crains que les projets d'investissement dans l'exploration minérale et pétrolifère relèguent les projets relatifs aux droits de la personne aux oubliettes, et c'est pourquoi je vous ai posé des questions plus tôt au sujet de la situation des entreprises canadiennes.
Combien de temps me reste-t-il, monsieur le président?
Vous êtes un homme très bon, monsieur Marston.
Bienvenue, monsieur Din. Merci de vous être déplacé jusqu'ici.
Je dois dire que l'espoir diminue au fil des témoignages. Votre témoignage était certainement très différent de celui de nos fonctionnaires, et de notre dernier témoin, qui représentait aussi une ONG qui se consacre à la Birmanie.
Voyez-vous une lueur d'espoir dans les actions qui ont été entreprises jusqu'ici, par exemple, les élections partielles et le fait que le Canada et d'autres partenaires ont éliminé les sanctions? Je sais que les Américains maintiennent leurs sanctions, mais l'UE nous a emboîté le pas.
Tout d'abord, j'aimerais vraiment être optimiste. Je veux retourner chez moi, avec ma famille, mais je ne peux pas. Je suis né et j'ai été élevé dans mon pays. J'ai dû faire affaire avec le gouvernement actuel et avec tous les gouvernements militaires qui se sont succédé pendant toutes ces années. Je suis au courant des changements et de ce qu'on fait en ce moment, mais je ne peux pas y croire — pas encore.
Mais je ne me découragerai pas; je crois en mon peuple. C'est une ouverture, et mon peuple s'efforcera d'ouvrir la porte toute grande à la liberté. Je crois en mon peuple.
Vous m'avez posé une question au sujet de la participation de Daw Aung San Suu Kyi au parlement. Même maintenant, avant qu'elle participe à la session parlementaire, elle a exigé qu'on change la langue du serment, car si on ne le faisait pas, elle n'y participerait pas. Toutefois, l'armée et le USDP ont refusé de changer la langue, et elle a fini par participer au parlement sans changer la langue du serment.
Pour moi, elle a perdu sa première bataille. Cela semble être un enjeu peu important, car la langue a déjà été changée dans les lois sur l'enregistrement des partis politiques, et elle est présente seulement dans la constitution. L'armée et le USDP trouvaient difficile de répondre à ses exigences, et ils ont refusé d'apporter les changements. Il est très difficile de modifier la constitution. En fait, ils la rendent délibérément difficile à modifier.
Si elle n'a pas pu effectuer ce petit changement de langue dans le serment, comment peut-elle proposer des changements concernant des enjeux plus importants, par exemple, à l'égard du pouvoir suprême du commandant en chef? Elle doit changer un si grand nombre de choses, et nous aussi, mais je n'ai pas grand espoir pour...
Je lui fais totalement confiance. Elle est notre dirigeante d'expérience. Elle est vraiment la meilleure, et elle fera de son mieux. C'est pourquoi je ne veux pas que les gouvernements internationaux s'empressent de récompenser le régime. Ils doivent maintenir la pression.
Elle participe à un jeu très compliqué. Il est préférable qu'elle collabore avec U Thein Sein, U Shwe Mann et U Khin Aung Myint lorsqu'il s'agit d'apporter des changements au pays, mais elle sait qu'il y a beaucoup d'obstacles. Elle a besoin d'appui. Elle doit avoir des moyens de négociation. Ces moyens sont la pression internationale exercée par les gouvernements internationaux et la société civile à l'extérieur du parlement. Ce sont les moyens de négociation dont elle dispose. Si vous éliminez les sanctions, vous ne diminuerez pas ses moyens, vous ne les lui enlèverez pas.
À ce sujet, on a dit qu'Aung San Suu Kyi se réjouissait de l'élimination des sanctions.
A-t-on déformé ses propos?
Pas exactement, mais je crois qu'elle... [Note de la rédaction: inaudible]. Ces gouvernements ont fait une visite historique. Ils sont allés voir Aung San Suu Kyi et lui ont parlé de ceci et de cela. Je ne pense pas qu'ils lui ont donné tous les renseignements dont elle a besoin.
De plus, je ne pense pas qu'elle a le temps de consulter ses collègues pour peser le pour et le contre, ou pour parler de l'élimination, de la diminution, de la suspension des sanctions, ou peu importe. En ce moment, elle appuie la demande de David Cameron visant la suspension des sanctions. Elle nous a dit que la suspension... [Note de la rédaction: inaudible]... s'améliore. Mais la suspension n'est que de l'éthique de façade, n'est-ce pas? Il s'agit d'une façon diplomatique d'éliminer les sanctions; on les suspend, et on ne les remet jamais en oeuvre.
Si vous permettez aux gens d'affaires de s'installer en Birmanie, ils n'en sortiront plus. Lorsque le ministre canadien des Affaires étrangères dit que le pays est prêt à réimposer des sanctions... mais s'il le fait, il trouvera cela très difficile. Les entreprises canadiennes qui sont déjà en Birmanie ne seront pas d'accord, et s'opposeront à toute tentative de ramener des sanctions. La suspension constitue donc une façon d'être diplomatique, de faire de l'éthique de façade... [Note de la rédaction: inaudible]... les éliminer, complètement.
Je crois donc qu'elle n'est pas bien renseignée ou qu'il lui manque des renseignements. Aung San Suu Kyi n'a pas eu la chance de consulter un grand nombre d'autres personnes.
Le deuxième point, c'est que lorsque des gouvernements étrangers prennent ces décisions, ils consultent Aung San Suu Kyi, mais pas les dirigeants ethniques. Ils sont pourtant des intervenants clés de la politique birmane. Avant de prendre une décision de cette importance pour le pays, ils devraient consulter les dirigeants ethniques à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Ils ont pratiquement écarté ces intervenants très importants des discussions concernant la prise de décisions politiques. C'est vraiment dommage.
Monsieur Din, vous avez passé une bonne partie de votre exposé à parler des partisans de la ligne dure et des acolytes. Hier, le vice-président Tin Aung Myint Oo a démissionné.
Voyez-vous sa démission comme un signe positif?
Tout d'abord, en tant qu'être humain, je suis triste pour lui. D'après ce que je comprends, il est revenu de Singapour, où il recevait des traitements contre le cancer. Son cancer est tellement avancé que c'est ce qui l'a poussé à démissionner. Toutefois, ce n'est pas encore officiel. On ne l'a pas encore annoncé officiellement. En tant qu'être humain, je compatis donc avec lui.
Il y a tellement de partisans de la ligne dure. Si Tin Aung Myint Oo part, de nouveaux partisans de la ligne dure le remplaceront. N'oubliez pas que Tin Aung Myint Oo a été élu, et nommé par le bloc militaire, au cours des élections présidentielles. Je pense que vous êtes au courant, n'est-ce pas? Il s'agit d'une combinaison de la Chambre basse et de la Chambre haute, qui composent le Collège électoral. Il y avait trois éléments; une personne élue de la Chambre basse, une autre personne élue de la Chambre haute et un représentant militaire qui siège à la fois à la Chambre basse et à la Chambre haute.
Après avoir reçu chacun une nomination, il y avait trois candidats à la présidence. Ensuite, le Collège électoral a voté. La personne qui a reçu le plus de votes est devenue président; il s'agit de Thein Sein. Tin Aung Myint Oo a été nommé par l'armée, et il a obtenu le deuxième plus grand nombre de votes.
Selon la constitution, si Tin Aung Myint Oo démissionne, l'armée peut nommer l'un des siens pour le remplacer. Il s'ensuit qu'un partisan de la ligne dure s'en va, mais un autre le remplace aussitôt.
Merci beaucoup, monsieur Din, de votre exposé.
J'ai vécu en Afrique du Sud et je suis venue au Canada en 3e année. J'ai évidemment suivi avec grand intérêt le processus qui a mené à la démocratie en Afrique du Sud. Mon collègue, le député libéral Irwin Cotler, a fait partie de l'équipe d'avocats qui a travaillé avec l'ancien président Nelson Mandela.
Avez-vous étudié le processus, ce long trajet vers la démocratie qui comprend des sanctions internationales et d'autres mesures auxquelles le Canada a participé? Pouvez-vous nous donner quelques exemples analogues ou quelques leçons apprises de l'expérience vécue en Afrique du Sud, nous parler de ce qui a fonctionné et comment on peut appliquer cela à la situation qui prévaut dans votre pays?
Ce qui est différent, c'est qu'en Afrique du Sud, il s'agissait de Blancs et de Noirs — c'est-à-dire des occupants blancs et des résidents noirs. La lutte se passait entre eux, n'est-ce pas? Mais en Birmanie, nous nous battons entre Birmans. L'armée birmane qui dirige le pays est aussi composée de Birmans. Nous nous battons contre eux, et non contre des étrangers. C'est différent.
Ce que j'admire vraiment au sujet de l'Afrique du Sud, c'est son long parcours vers la liberté. Je comprends vraiment que la pression internationale l'a aidée à se libérer de l'apartheid. C'était notre rêve. Nous avons appris de l'expérience sud-africaine; nous l'appliquons de toutes les façons possibles à la situation de notre pays. Mais la communauté internationale est tellement divisée au sujet de la Birmanie. En fait, en Afrique du Sud, au début, la communauté internationale était assez divisée, mais plus tard, ses membres se sont unis et ont exercé une pression politique sur le régime de l'apartheid.
En ce qui concerne la Birmanie, la communauté internationale est toujours divisée. Toutefois, elle souhaite que le pays s'en sorte, et la Birmanie a changé, alors elle veut saisir l'occasion de stabiliser les choses sur le plan politique. C'est pourquoi de si nombreux dirigeants gouvernementaux ont fait un si grand nombre de visites historiques dans mon pays. Enfin, je crois que ces visites historiques ne peuvent pas faire l'erreur historique d'éliminer trop tôt les sanctions économiques, qui constituent en ce moment notre moyen de négociation.
J'admire vraiment le mouvement sud-africain, mais malheureusement, nos deux pays présentent de grandes différences.
D'accord, merci.
Je précise brièvement que le conflit opposant les blancs et les noirs n'avait rien à voir avec une occupation étrangère, car la plupart des blancs étaient là depuis des générations, voire des centaines d'années. Mais je comprends que la situation de l'Afrique du Sud est quelque peu différente, vu les facteurs raciaux en cause.
Pour ce qui est des moyens de pression, je veux d'abord vous féliciter, au nom de votre pays, pour les progrès réalisés et la tenue d'élections partielles démocratiques. Il semble évident que vous préconisez une amélioration progressive.
Dans tous les pays, la démocratie est un enjeu constant, et il faut y travailler sans cesse. Au Canada, nous sommes aussi confrontés à cette réalité. Nous ne nous entendons pas sur la validité démocratique de certains mécanismes, comme les projets de loi omnibus. Ce dialogue n'est pas encore terminé au Canada non plus.
Considérant qu'il s'agit d'un processus évolutif, j'ai noté dans votre présentation que vous demandiez au Canada d'appuyer différentes choses. Est-il possible d'avoir plus de détails à ce propos? Comment pourriez-vous concrètement mesurer les interventions que vous réclamez?
Par exemple, la liste des personnes et des entités désignées devrait inclure davantage d'acolytes et de partisans de la ligne dure. Avez-vous des chiffres ou des données plus précises à ce sujet?
Dans le même ordre d'idées, quand vous parlez de rétablir les sanctions, cela implique probablement différents niveaux. Avez-vous déterminé ce que vous demandez exactement au gouvernement canadien, de façon à ce qu'il soit possible de mesurer les progrès réalisés, tout en permettant une approche progressive pour éviter de tomber dans les extrêmes?
Où pouvons-nous trouver les documents expliquant précisément les mesures que vous réclamez, pour que le gouvernement canadien puisse y revenir et déterminer, de façon objective et mesurable, si telle ou telle chose a été effectuée ou non?
Comme je l'ai dit dans mon témoignage, j'appuie une approche mesurée face aux changements à opérer au pays. Essentiellement, je crois qu'il ne faut rien précipiter, mais quand même faire avancer les choses, et en faire juste assez, ni plus ni moins.
Comment trouver l'équilibre à travers tout cela? Ce sera à votre gouvernement et aux autres d'y voir. Mais j'espère que vous aurez consulté la société civile et les principaux intervenants avant de décider des mesures à prendre. Il faut des mesures encourageantes, sans pour autant être trop payantes. La ligne entre les deux est très mince.
Prenons la levée des sanctions par le Canada. Toutes les sanctions ont été levées, excepté l'embargo sur les armes. Lorsque l'Union européenne a levé ses sanctions, elle a maintenu celles appliquées aux industries extractives, car elles sont toutes impliquées dans des cas graves de violation des droits de la personne. C'est pour cette raison que l'Union européenne n'a pas levé les sanctions pour les industries extractives. Les États-Unis font la même chose. C'est pourquoi le gouvernement canadien devrait envisager de rétablir les sanctions imposées à ce secteur.
Vous m'avez posé une question sur les personnes désignées. J'ai aussi eu cette discussion avec le gouvernement américain, à Washington D.C. Le gouvernement des États-Unis a une liste de nations spécialement désignées, aux fins de l'imposition de sanctions ciblées. Le gouvernement canadien possède une liste semblable.
J'ai consulté ces listes. La liste des États-Unis concernant la Birmanie couvre environ 20 pages et contient quelque 500 entrées — des personnes et des organisations. Mais beaucoup de ces entrées se répètent. Après avoir fait un peu de ménage dans la liste des nations spécialement désignées des États-Unis, j'ai constaté qu'il n'y avait plus que 25 représentants du régime, actuels et passés, et 5 membres de leur famille, 12 acolytes, 11 entreprises d'État et 4 coentreprises militaires.
J'ai aussi jeté un coup d'oeil à la liste canadienne. J'ai fait le même constat: il n'y a plus que 40 représentants actuels et passés du régime, plus les acolytes.
Ce n'est pas suffisant. Il y en a beaucoup plus que cela en Birmanie. Ils se soustraient encore des sanctions des États-Unis, du Canada et des autres.
Alors que vous levez les sanctions, il faudrait mettre à jour la liste des personnes désignées et y inclure plus d'acolytes et ceux qui devraient s'y trouver.
J'ai la liste que j'ai soumise au gouvernement des États-Unis. Je vais vous la remettre également, à titre de référence.
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Din, d'être ici aujourd'hui et de nous faire part de votre point de vue sur la situation des droits de la personne en Birmanie.
Je comprends qu'en vertu de la Constitution de 2008, le quart des sièges des deux chambres du Parlement est réservé à l'armée, et que trois postes ministériels — ministres de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires frontalières — doivent être occupés par des généraux au service de l'armée. Cette manoeuvre a pour but d'implanter les forces militaires pour leur donner une influence indue sur le gouvernement.
Étant donné que le climat actuel est au changement, peut-on espérer une réforme de la Constitution?
Ce sera très difficile.
L'armée est au-dessus des lois et a le droit de s'ingérer dans toutes les décisions exécutives, judiciaires et législatives. Le commandant en chef a le pouvoir de diriger les forces militaires. Les forces militaires renvoient généralement aux forces armées, c'est-à-dire l'Armée, la Marine et les Forces aériennes, de même que les forces policières, les douanes, l'immigration, les services d'incendie et même la Croix-Rouge. La Croix-Rouge est considérée comme une force auxiliaire.
Le 27 mars a été désignée comme la journée des forces armées. Il y a eu une parade des forces militaires, à laquelle ont pris part la police, les pompiers et la Croix-Rouge. Tous les participants de la parade portaient l'uniforme.
Il est le commandant en chef de toutes les forces armées du pays. C'est lui qui autorise les gens qu'ils jugent aptes à intégrer les rangs des forces armées.
Selon la Constitution, le commandant en chef est dûment nommé par le Conseil national de défense nationale et de sécurité, qui est vu comme la plus haute instance au gouvernement. C'est comparable à la Commission militaire centrale du Parti communiste chinois. C'est cette entité qui prend les décisions finales.
Sur les 11 membres du Conseil national de défense nationale et de sécurité, 6 ont été nommés par le commandant en chef... Il y a le commandant en chef, le sous-commandant en chef, le ministre de la Défense, le ministre des Affaires intérieures et le ministre des Affaires frontalières, en plus d'un vice-président nommé par le bloc militaire au Parlement. Donc, sur les 11 membres, 6 appartiennent déjà à l'armée. C'est ainsi qu'il contrôle la structure gouvernementale.
Pour ce qui est de la nomination du commandant en chef, il n'y a pas de disposition ni d'article dans la Constitution concernant son licenciement. On ne fait nulle part mention de la destitution du commandant en chef.
C'est donc lui qui détient le pouvoir sans en démontrer la capacité officielle. De plus, ils ont fait en sorte de compliquer la modification de la Constitution en statuant qu'il fallait obtenir plus de 75 p. 100 des voix. Dans les faits, pour certains enjeux majeurs, ce n'est même pas suffisant d'obtenir plus de 75 p. 100 des voix. On procède ensuite à un référendum, où on doit obtenir la majorité des votes. Il faut donc franchir une étape supplémentaire.
C'est pour cette raison que j'étais très triste lorsque Daw Aung San Suu Kyi... [Note de la rédaction: inaudible] ... lors de ces élections, parce que je ne pense pas qu'on pourra changer les conditions actuelles avec la structure de pouvoir militaire en place.
La secrétaire d'État des États-Unis, Hillary Clinton, s'est rendue en Birmanie en décembre 2011. Elle a indiqué que certaines restrictions concernant les voyages et les transactions financières allaient être allégées, et que les dirigeants birmans pourraient visiter les États-Unis.
Les États-Unis ont entrepris de nommer un ambassadeur en Birmanie et d'établir un bureau pour une agence américaine de développement international. Les États-Unis ont aussi annoncé qu'ils autoriseraient maintenant des transactions financières à l'appui de certaines activités humanitaires et à but non lucratif.
L'Australie a aussi annoncé qu'elle allait alléger les restrictions concernant les voyages et les transactions financières pour environ 250 ressortissants birmans, notamment le président U Thein Sein.
Le premier ministre britannique, David Cameron, qui a visité la Birmanie il y a quelques semaines à peine, a annoncé que le Royaume-Uni envisageait de lever les sanctions.
À la lumière de tous les changements qui ont déjà eu lieu en Birmanie, est-ce que ces autres pays ont raison de lever les sanctions économiques? Pouvez-vous nous en parler?
Oui. Je sais que seuls les États-Unis, l'Australie, le Canada et l'Union européenne avaient imposé des sanctions à la Birmanie. Aucun autre pays ne l'a fait. Et bon nombre des sanctions imposées sont maintenant allégées, suspendues ou levées. C'est pourquoi nous avons dit au gouvernement des États-Unis qu'il en faisait trop, trop vite. C'est très frustrant.
Comme ils ont décidé d'alléger les sanctions, nous pouvons maintenant demander à ces gouvernements de dresser la liste des nations désignées, ou peu importe le titre qu'on leur donne. Les gouvernements doivent fournir aux entreprises une liste des personnes avec lesquelles elles doivent éviter de faire affaire, et entreprendre la transition avec elles. Beaucoup d'entreprises faisaient des affaires en Birmanie. Nous ne pouvons qu'essayer de limiter les dégâts. C'est tout ce que nous pouvons demander.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Monsieur Din, merci d'être venu nous éclairer sur la situation en Birmanie. À votre avis, y a-t-il des droits de la personne en Birmanie qui ne font pas l'objet d'une attention internationale suffisante? Pourriez-vous nous indiquer quelles sont ces questions, et nous dire pourquoi vous estimez qu'elles sont importantes?
[Traduction]
Il y a deux enjeux à souligner quand il est question de la situation en Birmanie. Le premier est l'absence de démocratie et le non-respect des droits de la personne, et le deuxième est la réconciliation nationale. La Birmanie est le pays qui détient le record de la plus longue guerre civile au monde, qui a éclaté en 1948. Donc, même si on arrive à instaurer des processus démocratiques et à faire valoir les droits de la personne, nous ne pouvons pas tenter une réconciliation nationale sans d'abord résoudre le conflit qui sépare les différents groupes ethniques. Je crois que c'est un problème majeur.
Si nous ne réglons pas cette importante question des groupes ethniques, nous n'arriverons à rien. Même si nous réussissons à instaurer des mécanismes démocratiques et à faire valoir les droits de la personne, nous ne serons pas plus heureux. Nous n'aurons pas un peuple unifié. Nous allons toujours nous sentir coupables de ne pas avoir réussi à régler cette question importante.
J'appartiens en fait à la majorité birmane. Il y a des années de cela, je ne réalisais pas à quel point les groupes ethniques pouvaient en souffrir. Je sais maintenant que la majorité birmane a le devoir de renverser la situation pitoyable dans laquelle se trouvent les groupes ethniques de la Birmanie. C'est un enjeu important pour moi, et ça l'est aussi pour tous les défenseurs de la démocratie.
[Français]
Merci, monsieur Din.
Ma deuxième question concerne la dernière phrase de votre intéressant exposé, à savoir:
L'appui aux prétendus réformateurs ne devrait pas nuire aux militants pour la démocratie, aux groupes ethniques ni aux défenseurs des droits de la personne, qui sont les véritables agents du changement en Birmanie.
Cela me laisse un peu perplexe. J'aimerais que vous m'expliquiez davantage votre point de vue concernant cette dernière phrase.
[Traduction]
Premièrement, beaucoup de gouvernements croient que le président U Thein Sein est un réformateur, que U Shwe Mann est un réformateur, et bien d'autres partagent cette impression.
Pour ma part, je n'en suis pas encore convaincu. Je veux qu'on m'en fasse la preuve avant de vraiment pouvoir les qualifier de réformateurs.
À mon avis, ce n'est qu'une stratégie de leur part. Ils ont établi un système politique leur permettant d'avoir mainmise sur tout. Le système politique qu'ils ont créé et conçu est aujourd'hui fonctionnel. La prochaine étape consiste à le rendre crédible et légitime, et à obtenir la reconnaissance de la communauté internationale. Ils ont donc décidé de concéder des sièges à l'opposition et de lui donner une voix.
Par exemple, nous avons maintenant la Ligue nationale pour la démocratie. Ses représentants ont accès au pouvoir, mais c'est un pouvoir qui demeure inchangé aux mains des forces militaires et du Parti de la solidarité et du développement de l’Union. L'opposition se joint donc au système, elle exprime son opinion, mais elle n'arrivera à rien. Au final, ce sont toujours les mêmes qui détiennent le vrai pouvoir.
C'est une tactique. Quand le président U Thein Sein a offert à Daw Aung San Suu Kyi d'examiner l'offre... [Note de la rédaction: inaudible] ... d'enregistrer son parti. Je vais changer la formulation de la loi régissant l'enregistrement des partis politiques qui contestent l'élection. Ceux qui détiennent le pouvoir au Parlement peuvent changer ce qu'ils veulent.
Une offre semblable a été présentée aux groupes ethniques. Faisons une trêve, d'accord? Nous allons conclure un accord de cessez-le-feu. Fondez un parti, contestez l'élection, joignez-vous au Parlement, puis exprimez vos préoccupations conformément aux mécanismes du système.
Mais le système a été conçu pour qu'il soit difficile de modifier la Constitution.
Donc, l'opposition est contenue et cooptée, et elle ne pourra rien faire changer au bout du compte.
Peut-être qu'ils finiront par aller plus loin, je n'en suis pas sûr. Mais pour le moment, je ne peux pas croire qu'ils sont de vrais réformateurs. Je veux que le monde adopte la même attitude que moi. Demandons-leur des preuves avant de les considérer comme de vrais réformateurs.
Avant d'être persuadés que ce soit réellement le cas, je ne veux pas qu'on perde aucun des moyens de pression que nous avons à notre disposition à l'heure actuelle.
[Français]
À votre avis, quels sont les défis les plus pressants qui se posent aujourd'hui en Birmanie en matière de développement?
[Traduction]
Ce développement devra s'opérer avec la... actuellement. Avec la confiscation des terres, les gens qui perdent leurs terres, leur demeure, leur village et leur statut, le développement devient vraiment important. La Birmanie est un des pays les moins développés au monde, alors nous voudrions assurer le développement de notre pays.
Mais comment y arriver quand la primauté du droit n'a pas sa place, qu'il n'y a pas de cadre commercial adéquat et que le système de gouvernance n'offre pas de chances égales à l'ensemble de la population du pays?
Quand on s'y rend en vue de mener des activités vouées au développement, il est possible que les efforts aillent dans le mauvais sens. Souvent, les gens qui reviennent de la Birmanie vont faire le commentaire que c'est totalement différent de la Corée du Nord. Exactement. Ce sont deux pays différents. En Birmanie, on peut voir des gens dans la rue se balader avec le sourire. C'est aussi là qu'on trouve le plus haut gratte-ciel au monde, et il y a des projets de développement un peu partout. Mais ces projets de développement ont été payés par les gens ordinaires.
Ce sont les principaux défis qui nous attendent en ce qui concerne le développement. Nous devons avoir un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Il faut instaurer la primauté du droit. Nous devons pouvoir compter sur un système qui protégera l'environnement, la population et les affaires sociales des gens de la Birmanie. Sans cela, les bons projets de développement pour notre pays ne pourront pas voir le jour.
[Français]
Merci, monsieur Jacob.
[Traduction]
Monsieur Din, merci beaucoup. C'est tout le temps dont nous disposions. Nous sommes très heureux que vous ayez pu prendre le temps de venir nous voir et de nous donner un autre point de vue de cette très importante transformation qui s'opère dans votre pays. Un grand merci à vous et à votre organisation d'être venus nous parler aujourd'hui.
La séance est levée.
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