FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 7 mai 2013
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions la situation des réfugiés juifs des pays du Moyen-Orient.
Je tiens à souhaiter la bienvenue à Shimon Fogel, président-directeur général du Centre consultatif des relations juives et israéliennes. Bienvenue, monsieur. Je suis heureux de vous compter parmi nous aujourd'hui.
En outre, Gina Waldman, présidente de Jews Indigenous to the Middle East and North Africa, se joint à nous par vidéoconférence de Budapest, en Hongrie. Je crois savoir, Gina, que vous avez préparé vous-même tout le matériel pour la vidéoconférence. Vous nous avez facilité la tâche, et nous vous en remercions.
Nous allons maintenant commencer.
Nous allons commencer par vous, Shimon, et nous passerons à Gina ensuite. Vous allez pouvoir présenter vos déclarations préliminaires, puis l'heure suivante sera réservée aux questions.
Shimon.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Pour commencer, j'aimerais remercier le gouvernement pour son initiative sans précédent et essentielle, soit d'aborder l'importante question des réfugiés juifs des pays arabes, ici, devant le Comité des affaires étrangères.
Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes applaudit les efforts du comité. Nous encourageons tous les membres à bien écouter les témoignages qu'ils entendront et à recommander unanimement la reconnaissance officielle de la persécution et du déplacement de plus de 850 000 juifs du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Des témoins ont déjà établi les faits historiques dont il est question. Pour notre part, aujourd'hui, nous nous concentrerons sur la dimension canadienne.
Le conflit arabo-israélien a créé deux groupes de réfugiés: un qui est composé de Palestiniens, et l'autre, de juifs. Malheureusement, on a complètement oublié le sort des réfugiés juifs dans la politique canadienne sur le Moyen-Orient, tandis qu'elle fait grand cas de la situation des Palestiniens. Il faut absolument que les décideurs corrigent ce déséquilibre. La prise en compte équitable du sort des réfugiés juifs des pays arabes est un élément essentiel de tout accord de paix juste et durable entre Israël et les Palestiniens. Il convient de signaler que le processus de paix au Moyen-Orient n'est pas un jeu à somme nulle. Il ne faut pas reconnaître les droits et les revendications d'un groupe au détriment de ceux de l'autre.
Le processus de validation est au coeur du processus de paix: la validation de la légitimité de l'État juif d'Israël et la reconnaissance du peuple palestinien. Le processus de réparation pour les juifs déplacés des pays arabes en est un autre exemple, et il faut y voir si on veut réellement permettre une paix durable.
Comprenez-moi bien: l'objectif des revendications historiques des réfugiés juifs des pays arabes est non pas de minimiser les revendications des réfugiés palestiniens ou d'y faire concurrence, mais plutôt de compléter le tableau historique, sans visée révisionniste. Le silence de la politique étrangère canadienne sur l'expérience des réfugiés juifs des pays arabes est d'autant plus surprenant, compte tenu de tout ce que savait le gouvernement du Canada à ce sujet durant les événements.
En mars 1949, des diplomates canadiens déclaraient que des milliers de réfugiés juifs qui avaient fui l'Afrique du Nord affluaient en Palestine. En passant, toutes les communications et tous les documents mentionnés figurent dans les archives canadiennes, et nous serions heureux de les communiquer plus tard aux membres du comité, parce que mon exposé s'appuie principalement sur ces documents.
En mars 1952, le gouvernement du Canada a reçu des rapports selon lesquels Israël avait accueilli plus de 300 000 juifs des pays arabes, dont 120 000 de l'Irak, et 50 000 du Yémen.
Après des mois de demandes d'un de nos organismes prédécesseurs, le Congrès juif canadien, le gouvernement canadien a décidé, en août 1956, compte tenu de considérations humanitaires urgentes, de recommander le contournement des procédures de sécurité habituelles pour faciliter l'immigration des juifs d'Afrique du Nord au Canada. Cela a mené à l'immigration d'environ 25 000 juifs au Canada en provenance du Maroc dans le cadre de l'importante migration de plus de 200 000 juifs marocains de 1948 à 1967.
En décembre 1956, le ministère des Affaires extérieures a reçu des communications diplomatiques qui décrivaient l'expulsion des juifs d'Égypte. Ces juifs égyptiens, qui n'avaient pas de deuxième citoyenneté et qui avaient été rendus apatrides par le code sur la nationalité de 1926, un document discriminatoire qui visait environ 50 % des 75 000 juifs d'Égypte, ont été confrontés à un dilemme horrible. Les communications reçues par les Affaires extérieures indiquaient que les juifs sans nationalité avaient dû choisir entre l'exode ou le camp de concentration.
À l'époque, les juifs recevaient la visite d'un représentant officiel qui, par l'intimidation, les forçait à signer une déclaration d'intention de quitter l'Égypte, ce qui entraînait l'annulation de leur permis de résidence et les obligeait à quitter le pays.
En réaction à ces rapports, une note de service a été envoyée au ministre des Affaires extérieures en décembre 1956:
Selon nous, il serait approprié d'accepter le principe selon lequel les réfugiés juifs qui choisissent Israël devraient pouvoir le faire et que les autres devraient être accueillis ailleurs dans le monde libre, y compris au Canada.
Six jours plus tard, les Affaires extérieures ont reçu une autre communication qui décrivait une nouvelle situation urgente liée au déplacement de 10 000 juifs d'Égypte. La communication soulignait que la Grèce avait offert l'asile à un nombre indéfini d'entre eux, et que le seul organisme international qui facilitait le processus à ce moment-là était la Croix-Rouge internationale. En février 1957, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a déterminé que les réfugiés égyptiens avaient droit à la protection des Nations Unies.
Des communications canadiennes venant d'ailleurs dans la région ont continué à décrire des situations semblables durant la décennie suivante. Le 4 mai 1964, une note de service de l'ambassade canadienne en Suisse au sous-secrétaire d'État aux Affaires extérieures soulignait les conditions d'apartheid subies par les juifs en Tunisie.
Aussi tard qu'en mars 1973, des diplomates s'attendaient à une augmentation de l'immigration juive au Canada en provenance du Maroc. Ils précisaient que cela allait peut-être se faire plus rapidement et de façon plus importante qu'ils l'espéraient, en raison des nouvelles mesures du gouvernement marocain devant être appliquées au cours des mois suivants, qui allaient forcer toutes ces personnes non désirées à élire domicile ailleurs.
Cependant, malgré toutes ces preuves, malgré les dizaines de milliers de réfugiés juifs des pays arabes qui ont trouvé asile au Canada, la politique officielle des gouvernements qui se sont succédé a seulement reconnu le déplacement des Palestiniens. La situation n'a toujours pas changé.
Un examen rapide du site Web du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international permet de constater qu'il n'y a absolument aucune référence aux réfugiés juifs des pays arabes. La section qui définit notre politique officielle relativement au conflit israélo-palestinien fait grand cas des réfugiés palestiniens, mais reste silencieuse sur le sort des réfugiés juifs.
Le déséquilibre actuel de la politique canadienne tranche avec le rôle de leadership que le Canada a joué en matière de protection des réfugiés depuis le début du processus de paix au Moyen-Orient, à la présidence du Groupe de travail multilatéral sur les réfugiés. Créé dans le sillage de la Conférence de paix de Madrid, en 1991, le groupe de travail a appuyé les négociations bilatérales et a servi de tribune pour discuter de questions à plus long terme et des possibles contributions de la communauté internationale à une résolution efficace de la question des réfugiés. En tant que président, le Canada est dans une position unique qui lui permet de faire connaître la situation des réfugiés juifs et de s'assurer que toutes les parties qui tentent de favoriser une paix durable en tiennent compte comme il se doit.
Le fait de reconnaître officiellement la situation des réfugiés juifs dans la politique étrangère canadienne, en cette époque importante, enverra à toute la planète le signal que le Canada est prêt à assumer le leadership relativement à cette question cruciale et à faciliter le traitement en bonne et due forme de toutes les demandes d'asile.
Encore une fois, je veux que cela soit parfaitement clair: nous ne demandons pas qu'on fasse moins de cas de la question des réfugiés palestiniens. Il est évident qu'il s'agit d'un enjeu central à la résolution du conflit. Cependant, actuellement, la politique canadienne sur les réfugiés du Moyen-Orient n'est pas équitable, et il faut régler ce problème.
On n'est pas obligé de moins s'intéresser à la question des réfugiés palestiniens pour s'intéresser aussi à celle des réfugiés juifs et à leur expérience. En fait, c'est plutôt le contraire. En étant inclusive, la politique canadienne reflétera mieux la réalité globale des réfugiés et elle sera plus à même de favoriser une paix globale et durable, comme elle est supposée le faire.
Le premier ministre Paul Martin a été le premier dirigeant d'un pays à l'extérieur des États-Unis à soulever cette importante question. Le 3 juin 2005, au cours d'une entrevue auprès d'un média, M. Martin a déclaré:
Un réfugié est un réfugié, et il faut reconnaître la situation des réfugiés juifs des pays arabes. Tous les réfugiés méritent notre considération, parce qu'ils ont perdu à la fois leurs biens et leurs liens historiques.
Mesdames et messieurs, l'étude que vous entreprenez est une initiative sans précédent qui, bien qu'elle mérite nos applaudissements, n'aura l'impact voulu que si elle mène à la reconnaissance officielle des réfugiés juifs dans la politique étrangère canadienne. Si nous voulons vraiment régler la question des réfugiés au Moyen-Orient, nous devons respecter nos propres valeurs et affirmer dans notre politique officielle qu'un réfugié est un réfugié, peu importe son origine ethnique ou sa confession.
Monsieur le président, merci beaucoup.
J'aimerais exprimer toute ma gratitude au Comité canadien des affaires étrangères et du développement international, qui a organisé l'audience. J'espère que le gouvernement canadien actuel défendra les droits des juifs du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord.
Je suis une réfugiée juive de la Libye et cofondatrice de JIMENA, Jews Indigenous to the Middle East and North Africa, une organisation qui réalise des activités de sensibilisation et de défense des droits au nom de plus de 850 000 réfugiés juifs de la région. Aujourd'hui, j'aimerais vous raconter mon histoire, tout comme je l'ai racontée au Congressional Human Rights Caucus des États-Unis.
Je suis ici pour briser le silence entourant l'expulsion de près d'un million de juifs originaires du Moyen-Orient. Les juifs ont vécu dans ma Libye natale et le reste de la région pendant plus de 2 000 ans. Lorsque je suis née, en 1948, la Libye comptait environ 36 000 juifs. En 1967, il n'en restait que 6 000. Et aujourd'hui, mesdames et messieurs, ma communauté a complètement disparu.
J'ai grandi dans une communauté juive de la classe moyenne. Mon père, Rahmin Bublil, importait de l'équipement pétrolier pour des entreprises. Il parlait souvent du Mora'ot de 1945, un pogrom qui a eu lieu à Tripoli et durant lequel une foule antisémite est descendue dans les rues et a assassiné plus de 145 juifs libyens. Mon père a enterré les corps mutilés de ses amis. Durant le pogrom, ma mère a échappé à la foule en courant d'un toit à l'autre jusqu'à ce qu'une chrétienne lui sauve la vie.
À ma naissance, la communauté juive de Tripoli représentait près de 30 % de la population totale de la ville. Mes ancêtres avaient vécu en Libye pendant plus de deux millénaires, mais on nous a refusé la citoyenneté. On a bafoué nos droits fondamentaux. Nous ne pouvions pas voyager ni avoir de passeport, des droits dont bénéficiaient tous les musulmans libyens.
J'ai vécu la haine et l'intolérance pour la première fois en 1954, à six ans. J'assistais à une leçon de mathématiques dans une madrassa locale. L'enseignant faisait face au tableau et a dit aux petites filles musulmanes âgées de six ans: « S'il y a 10 juifs et qu'on en tue cinq, combien en reste-t-il à tuer? » J'avais six ans et j'ai été complètement traumatisée. Ce fut une expérience très difficile durant mon enfance: un avant-goût de la haine contre les juifs.
Les membres de ma communauté ne pouvaient pas quitter le pays. On nous refusait la citoyenneté, et nous ne pouvions pas avoir de passeport. On nous refusait le droit de nous déplacer, mais nous devions vivre dans un environnement extrêmement antisémite. Nous nous adaptions comme nous pouvions, en vivant dans le déni et en nous faisant croire que tout allait s'arranger.
Le 6 juin 1967, la Guerre des Six Jours a éclaté entre Israël et ses cinq pays voisins arabes. J'avais 19 ans. À Tripoli et Benghazi, les gens sont descendus dans les rues et scandaient: « Edbah el Yehud, Edbah el Yehud », « mort aux juifs ». Armés de bidons d'essence, ils sont descendus dans la rue, ont entouré des résidences et des entreprises juives et en ont brûlé un grand nombre. Beaucoup de juifs ont été assassinés.
Au moment des émeutes, j'étais au travail et je n'ai pas pu rentrer chez moi. Mon employeur britannique m'a cachée dans son garage. J'étais temporairement en sécurité, mais totalement apeurée. Pendant que j'étais cachée, la foule a brûlé l'entrepôt de mon père et s'apprêtait à brûler ma maison quand un voisin musulman a arrêté la foule à l'extérieur. L'essence avait déjà été répandue autour du bâtiment. Ce musulman vertueux a sauvé la vie des membres de ma famille. Je serai éternellement reconnaissante à ce musulman honorable et gentil qui s'est opposé au mal.
Un mois après le début de la Guerre des Six Jours, je suis sortie de ma cachette et j'ai rejoint ma famille. Nous étions totalement dévastés par les émeutes qui n'en finissaient plus et la destruction qui s'abattait sur notre très vieille communauté sans défense.
Immédiatement après ma réunion avec ma famille, le gouvernement libyen a ordonné l'expulsion de tous les juifs et la confiscation de tous nos biens. On nous expulsait du pays où nos familles avaient vécu pendant plus de 2 000 ans. Au départ, bien sûr, nous étions heureux de fuir toute cette violence, mais notre bonheur s'est transformé en angoisse, puis en peur, en colère et en désespoir. On nous prenait tous nos biens, toutes nos propriétés, nos maisons et nos effets personnels. Nous n'avions pas d'argent et nulle part où aller. Pendant des jours, ma famille et moi sommes restés assis sans bouger à la table de la cuisine, nous demandant ce qui allait nous arriver. Où allions-nous aller? Comment allions-nous vivre? Nous n'avions pas d'argent. Quel pays allait nous accepter?
Quelques jours plus tard, c'est avec une valise et l'équivalent de 25 $ par personne, que nous avons pris l'autobus vers l'aéroport. Nous étions les seuls passagers. Nous étions sept. À mi-chemin, le chauffeur et le chef d'autobus ont arrêté le véhicule sur le bord de la route et nous ont dit qu'il y avait un problème mécanique. L'un d'eux est parti, supposément pour aller chercher de l'aide.
J'ai suivi le chef d'autobus jusqu'à une station d'essence, où il a téléphoné. Il ne voulait pas me laisser téléphoner, et j'ai dû me battre avec lui. C'est les mains tremblantes que j'ai appelé mon ami Brian, mon ange gardien. Je lui ai parlé en anglais afin que personne ne puisse comprendre ce que je lui disais. J'ai fini par lui dire: « Viens rapidement, nous sommes en danger de mort ». Puis j'ai raccroché aussitôt.
Quand j'ai essayé de quitter le petit bureau, trois hommes m'empêchaient de passer. Encore une fois, j'ai dû me débattre pour sortir et retourner en courant à l'autobus. Quand je suis arrivée, j'ai vu le chauffeur debout à côté d'une flaque d'essence sous l'autobus. Il avait siphonné toute l'essence de l'autobus. Il avait une boîte d'allumettes à la main. Le sort de toute ma famille, de nous sept, tenait dans cette boîte d'allumettes.
Au bout du compte, Brian, mon sauveur britannique, et un ami, sont venus à notre rescousse. Ils nous ont aidés à monter rapidement dans leurs jeeps et ils nous ont conduits à l'aéroport, où nous avons eu la vie sauve. Je suis ici aujourd'hui parce que deux braves chrétiens britanniques nous ont sauvé la vie.
Les bagagistes, à notre arrivée à l'aéroport, nous ont crié « Al Yahud Kelabna Arab », « Les juifs sont les chiens des Arabes ». Ils ont refusé de charger nos bagages.
Nous avons finalement pu nous rendre en Italie, où nous avons vécu sans un sou. Nous étions totalement démunis. Nous vivions tous les sept dans une très petite pièce. Puisqu'il n'y avait pas d'endroit où nous pouvions tous les sept dormir à même le plancher, ma soeur et moi avons dormi dans un bain pendant deux ans. Je ne le vous conseille pas, ce n'est pas très confortable.
Nous avons enduré la discrimination, l'intolérance, la disparition d'une communauté vieille de 2 000 ans et de notre culture. Nous avons aussi surmonté les violations de nos droits de la personne pour l'unique raison que nous étions juifs. Tout ce qui nous restait, c'était notre dignité. Nous avons fait le deuil de notre propre identité. Nous nous sentions exclus de la civilisation, exclus du monde et de l'histoire pour toujours.
Malgré l'oppression dont nous avons été victimes, malgré nos souffrances et notre humiliation, nous nous sommes relevés et avons refusé de rester des victimes. Nous avons été persécutés, mais nous ne nous sommes jamais considérés comme des victimes. Nous nous sommes élevés par-delà le désir de vengeance. Nous avons travaillé pour recoller les pots cassés.
Personnellement, j'ai pardonné aux agresseurs qui ont tenté de nous assassiner, ma famille et moi. Je crois que la haine est une arme de destruction massive.
Mon récit n'a rien d'unique. C'est l'histoire de près d'un million de juifs qui sont devenus réfugiés de neuf pays arabes. Six cent mille ont fui en Israël, qui est devenu le camp de réfugiés le plus important et le plus efficace du Moyen-Orient, parce qu'on y voyait à notre intégration et on nous y a redonné dignité et espoir. Les 300 000 autres réfugiés se sont rendus dans des pays d'accueil un peu partout sur la planète. En tout, c'est 99 % de tous les habitants juifs du monde arabe qui ont fui les neuf pays arabes ou qui en ont été expulsés.
Deux ans après mon expulsion, je suis arrivée aux États-Unis en tant que réfugiée. Ma communauté juive de San Francisco a facilité mon intégration. J'ai consacré ma vie à la défense des droits de la personne partout sur la planète. Je ne me suis jamais considérée comme une victime. Mais savez-vous ce que j'ai trouvé le plus dur? C'est que je me suis rendu compte que la communauté internationale des Nations Unies a fait preuve d'apathie et d'indifférence relativement à notre sort. L'Occident a fermé les yeux sur tout ce que nous avons perdu. L'expulsion de près d'un million de juifs de neuf pays arabes n'a eu aucune conséquence politique.
Le fait que ces réfugiés juifs ont été oubliés n'a pas seulement des conséquences historiques. Cet oubli de près d'un million de réfugiés juifs de neuf pays arabes révèle que nous avons une vision extrêmement déformée du problème actuel des réfugiés au Moyen-Orient. Cela crée des distorsions politiques qui pourront avoir un impact réel sur le processus de paix futur au Moyen-Orient. Si nous voulons comprendre le problème des réfugiés au Moyen-Orient, y compris le problème des réfugiés palestiniens, et que nous voulons trouver une solution juste et équitable, il faut tenir compte du sort de près d'un million de réfugiés juifs. Aujourd'hui, je vous demande de redonner à notre expérience la place qui lui revient dans l'histoire, et de parler avec conviction de la discrimination dont ont été victimes les juifs du Moyen-Orient, de l'Afrique du Nord et de la région du Golfe et de leur expulsion.
J'aimerais formuler trois recommandations à l'intention du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
La première, c'est que le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international présente une résolution à la Chambre des communes du Canada semblable à la résolution 185 de la Chambre des États-Unis:
Attendu que [...]
pour qu'un accord de paix complet au Moyen-Orient soit crédible et durable, il faut qu'il aborde et règle toutes les questions en suspens concernant les droits légitimes de tous les réfugiés, y compris des Juifs [...]
[...] utiliser la voix, le vote et l'influence des États-Unis pour s'assurer que, dans le cadre des discussions sur le Moyen-Orient, toute référence explicite à la solution nécessaire au problème des réfugiés palestiniens [...] inclut aussi une référence explicite semblable touchant la résolution du problème des réfugiés juifs des pays arabes.
Vous pouvez consulter le texte intégral de la résolution 185 de la Chambre en ligne.
Ma deuxième recommandation, c'est que le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international fasse une déclaration publique sur les audiences qui ont été tenues sur le sort des juifs, des chrétiens et des autres réfugiés déplacés du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord et les injustices qu'ils ont subies. Le comité devrait indiquer qu'il cherche des façons de s'assurer que tous les réfugiés du Moyen-Orient sont reconnus et bénéficient d'un traitement juste et équitable.
Comme troisième recommandation, j'invite le premier ministre Harper à faire une déclaration publique sur le besoin de reconnaître la situation et les droits légitimes de tous les réfugiés du Moyen-Orient, y compris les juifs, les chrétiens et les autres groupes. Je demande au premier ministre Harper de suivre les traces de son prédécesseur, le premier ministre Paul Martin, qui a publiquement reconnu le sort des juifs déplacés du Moyen-Orient.
Pour terminer, j'aimerais vous dire à quel point nous tous, anciens réfugiés juifs de l'Afrique du Nord, et mon organisation, JIMENA, Jews Indigenous to the Middle East and North Africa, apprécions la façon dont le Canada se penche sur la question pour veiller au traitement équitable de tous et pour s'assurer que tous les réfugiés du Moyen-Orient bénéficient des mêmes droits et des mêmes mesures de réparation.
Merci.
Merci beaucoup pour votre témoignage.
Nous allons commencer par l'opposition.
Monsieur Dewar, vous avez sept minutes.
Merci, monsieur le président.
Merci aux deux témoins de leur témoignage d'aujourd'hui.
J'aimerais commencer par vous, madame Waldman. Vous nous avez présenté un témoignage émouvant sur votre expérience. Je pense tout particulièrement à deux des événements dont vous nous avez parlé: lorsque des gens ont voulu brûler votre maison et la leçon de mathématiques dont vous avez été témoin.
Je crois qu'il s'agit de récits importants, parce qu'ils donnent aux gens un point de référence. Je suis ce qu'on raconte dans l'actualité sur ce qui se passe actuellement dans votre ville. Étonnamment, lorsqu'on suit ce qui se passe dans la sphère politique en Hongrie récemment, on constate que la menace de l'extrémisme et de l'antisémitisme, disons-le sans détour, est loin d'avoir disparu.
Les participants aux rassemblements organisés la fin de semaine dernière par le parti extrémiste ne nient pas seulement l'Holocauste, ils font aussi des déclarations extrêmes au sujet des juifs, d'Israël et des Roms. J'ai été bouleversé par les événements de la fin de semaine et par tout ce que j'ai pu lire.
J'aimerais que vous nous renseigniez sur ce qui se passe actuellement... Vous êtes à Budapest. J'aimerais que vous nous en parliez, parce que, si je ne m'abuse, notre gouvernement a récemment décidé de retirer la Hongrie de la liste des pays préoccupants en ce qui a trait à l'extrémisme. Le gouvernement a simplement dit que la Hongrie allait être sur une liste de pays sécuritaires.
Diriez-vous que, actuellement, la Hongrie est un pays sécuritaire pour les juifs et les Roms?
Vous savez, le Canada, qui a un très bon bilan en matière de droits de la personne... Je dirais que la Hongrie est peut-être le pays le plus antisémite.
Personnellement, j'ai été humiliée par l'omniprésence de la police. Toute la ville a été bloquée par des véhicules de police. Il m'a fallu beaucoup de temps pour venir ici aujourd'hui, simplement parce que je ne pouvais pas aller dans des endroits où il y avait quelque chose qui rappelle la culture juive, que ce soit un quartier juif ou une synagogue, ni en sortir d'ailleurs.
Si le gouvernement de la Hongrie — et je sais que ce n'est pas lié à ce dont nous parlons aujourd'hui — ne peut pas faire la paix avec son passé... On n'y enseigne absolument rien au sujet des juifs. La Hongrie a déjà compté l'une des populations juives les plus importantes et les plus riches de l'histoire juive européenne. Sous les nazis, 600 000 juifs ont été assassinés. La Hongrie n'a pas eu besoin d'aide, parce que les Croix fléchées en Hongrie s'en sont occupées.
J'aimerais bien vous en parler à l'avenir. Je ne suis pas Hongroise, mais je crois que ce qui se passe ici est extrêmement préoccupant.
Merci de ces précisions.
J'aimerais aussi poser une question sur l'idée selon laquelle la prise en compte équitable du sort des réfugiés juifs des pays arabes est une composante nécessaire de tout accord de paix juste et durable. Dites-moi rapidement comment, selon vous, cela se ferait concrètement.
Je vais peut-être aussi demander à M. Fogel s'il a quelque chose à ajouter à ce sujet. Madame Waldman, vous pourriez peut-être nous dire comment cela pourrait se faire, parce que c'est un point très important que vous avez souligné.
Tout à fait. Je ne suis pas politicienne, mais je crois savoir que, à un moment donné, le président Clinton a eu l'idée, qui a été mise en oeuvre d'ailleurs, de créer un fonds pour les gens qui avaient été victimes de la guerre précédente en Irak.
Lorsque des missiles, par exemple, tombaient sur des résidences en Israël ou à d'autres endroits, il y avait un fonds pour compenser ces victimes. Certains se sont dit que ce serait très bien si des organismes internationaux se réunissaient, y compris, bien sûr, les Nations Unies et les partenaires du Quatuor, de façon à ce que, au moment de négocier des réparations ou d'autres mesures pour les Palestiniens, il y aurait un fonds au profit de toutes les victimes, qu'elles soient palestiniennes, juives ou chrétiennes; elles en seraient toutes bénéficiaires. De cette façon, il ne s'agirait pas d'une compensation, et ça n'en aurait pas l'air — et effectivement, ce n'en est pas une — parce que les réfugiés juifs ont tout aussi droit à une réparation, et il faut aussi se pencher sur la question palestinienne, évidemment. Je crois donc qu'il faudrait envisager de créer un fonds où tous pourraient piger, pour peu qu'ils prouvent qu'ils sont des réfugiés. Ce serait peut-être une façon d'exclure les questions politiques, si je peux m'exprimer ainsi, et je serais pour un tel fonds.
Bien sûr, il faut faire connaître la situation et aborder la question devant des organismes internationaux comme le vôtre. Sinon, on n'ira nulle part, parce qu'on ne peut pas tout simplement dire à la dernière minute: « Nous avons oublié quelque chose: il faudrait inclure les réfugiés juifs ». Si nous réussissons à convaincre votre gouvernement, par exemple, de commencer à se pencher sur la question, puis, si nous arrivons à faire la même chose aux États-Unis et en Europe, alors le sujet fera partie du dossier. Actuellement, nous n'existons tout simplement pas.
J'aimerais simplement ajouter que, selon moi, il serait dangereux pour nous de dire ce qui doit ressortir du processus. Si nous reconnaissons que la résolution constructive découlera des négociations directes, c'est aux intervenants en cause d'y voir.
Je crois que, pour nous, l'enjeu important, c'est en quelque sorte d'obtenir une validation. Selon moi, c'est cela plus que toute autre chose qui fera en sorte que les gens auront l'impression que leur expérience est reconnue, qu'elle est validée, qu'on en tient compte et qu'on en tire des leçons. À l'avenir, je crois qu'il sera important pour la communauté internationale de pouvoir tirer des leçons de toute cette expérience, d'en tirer des leçons pour analyser ce genre de problème à l'avenir.
Merci, monsieur le président.
Bonjour, monsieur le rabbin Fogel et madame Waldman. Merci beaucoup de participer à la séance d'aujourd'hui. J'aimerais commencer par le rabbin Fogel.
Pour commencer, monsieur le rabbin Fogel, je tiens à prendre une minute — et j'espère que je ne vais pas trop vous mettre dans l'embarras — pour vous dire que je suis heureux de vous revoir et vous féliciter au nom de mes collègues du Comité des affaires étrangères pour le prix que vous a remis hier soir le gouvernement polonais afin de souligner les efforts que vous déployez pour qu'on n'oublie pas les juifs polonais qui ont perdu la vie tragiquement durant la Deuxième Guerre mondiale et à la fin des hostilités. Ce que vous avez fait pour que ces personnes restent dans notre mémoire est merveilleux. Il est important pour les gens de connaître l'histoire, et je sais que c'est dans le même esprit que vous venez ici aujourd'hui nous parler des réfugiés juifs du Moyen-Orient.
Nous recevons régulièrement des représentants d'organisations de défense des droits de la personne comme Amnistie Internationale, Human Rights Watch et beaucoup d'autres groupes de défense des droits de la personne à l'échelle internationale. Ils ne nous ont pas beaucoup parlé de la question du sort des réfugiés juifs. Savez-vous si certaines organisations en ont parlé? Savez-vous quelles sont les positions d'Amnistie Internationale et de Human Rights Watch à ce sujet?
Je ne crois pas qu'ils ont adopté une position, et ce n'est pas vraiment surprenant. L'expérience des réfugiés juifs des pays arabes, après avoir eu le statut de réfugié, est très différente de celle des réfugiés palestiniens. J'ai hésité à aborder devant le comité ce point, qui est un peu hors sujet et extrêmement politique, mais l'expérience des réfugiés palestiniens est facile à comprendre pour quiconque s'intéresse à la question. De façon générale, ceux qui n'ont pas quitté la région ont bénéficié d'occasions limitées dans les pays où ils se trouvent, alors le problème a grossi et dégénéré au fil des générations.
Dans le cas des réfugiés juifs des pays arabes, la plupart se sont rendus à Israël, mais l'expérience de ceux qui ont élu domicile en Occident après avoir eu le statut de réfugié est très différente. Comme Mme Waldman l'a mentionné, c'est davantage une question de reconnaissance de ce qui est arrivé et du fait que des événements précis, la création de l'État d'Israël et le conflit arabo-israélien, ont produit deux groupes de réfugiés distincts, mais tout aussi importants. L'un est reconnu dans la version des faits officielle de pays comme le Canada, l'autre non. Pour trouver un juste équilibre, à des fins d'équité, et pour pouvoir aller de l'avant et affirmer qu'une résolution tient compte comme il se doit de l'expérience de tous ceux qui ont été touchés par le conflit, il faut passer par une reconnaissance officielle de l'expérience des juifs.
Merci encore une fois, monsieur le rabbin Fogel.
L'ancien vice-ministre des Affaires étrangères israélien, Danny Ayalon, a dit:
Le problème des réfugiés est probablement le plus épineux et le plus difficile. Tout le monde est d'accord: si on ne règle pas ce problème, on ne peut pas espérer une vraie paix ni la normalisation de la situation au Moyen-Orient.
Êtes-vous d'accord avec lui? Selon vous, que faut-il faire pour favoriser un processus de paix plus général et de quelle façon cet enjeu s'inscrit-il dans le processus de paix au Moyen-Orient?
Nul doute que la question des réfugiés est au coeur d'un règlement du conflit. Prétendre le contraire reviendrait à nier la réalité, plus particulièrement celle des Palestiniens qui continuent de souffrir dans des camps de réfugiés, non seulement en Cisjordanie ou à Gaza, mais dans tous les pays voisins d'Israël. Il est urgent qu'on règle le problème.
Je crois qu'il y a d'importantes différences entre les approches recommandées par certains et celles qui, je pense, s'appuient sur une interprétation juste du droit international et sur une façon pratique d'aller de l'avant. Les Palestiniens devraient être rapatriés dans un État palestinien, de la même manière que la plupart des réfugiés juifs sont rapatriés dans un État juif. Ceux qui choisissent de vivre ailleurs — il y a de nombreux réfugiés palestiniens qui ont déménagé de façon permanente — en sont déjà à leurs troisième et quatrième générations aux États-Unis, au Canada, en Europe et ailleurs.
C'est une situation semblable à celle des réfugiés juifs de pays arabes, qui se sont également installés ici au Canada, de même qu'en Europe et aux États-Unis. En ce qui concerne les juifs qui vivent dans la région, ils ont déjà un règlement. Ils vivent en Israël en qualité de citoyens à part entière, qui contribuent de manière productive à l'État. Donc, naturellement, notre attention est portée sur ce que nous devons faire pour améliorer la qualité de vie des Palestiniens qui croupissent toujours dans des camps de réfugiés. Cependant, cela fait partie du règlement, contrairement à la reconnaissance du fait d'avoir été un réfugié.
Merci. Je crois qu'il ne me reste qu'une minute. Je vais donc rapidement passer à Mme Waldman.
Madame Waldman, j'aimerais d'abord vous offrir, au nom de mes collègues du comité ici présents et en mon nom, nos condoléances pour la façon dont votre famille et votre communauté ont été traitées en Libye. C'est infiniment triste. Cependant, je vous remercie d'avoir raconté votre histoire à notre comité aujourd'hui et, par notre intermédiaire, au Parlement du Canada et au peuple canadien. Nous veillerons à ce que cette histoire soit entendue et comprise.
Bon nombre de gens ont demandé pourquoi vous veniez comparaître devant notre comité ainsi que devant des comités semblables dans d'autres pays. Cherchez-vous une compensation? Cherchez-vous de la reconnaissance? Que cherchez-vous exactement en venant devant notre comité aujourd'hui?
Nous cherchons sans aucun doute une reconnaissance. Mon organisation ne cherche pas vraiment à obtenir une compensation, mais nous cherchons à sensibiliser le public, de sorte que notre histoire soit prise en compte. C'est très douloureux pour moi, lorsque je m'adresse à des étudiants universitaires où que je sois invitée pour discuter du problème. Les jeunes, et particulièrement des gens scolarisés, des docteurs en politique, me disent: « De quoi parlez-vous? Nous ne savions même pas qu'il y avait des juifs en Afrique du Nord, et encore moins des réfugiés. » C'est une situation dont il faut parler.
Je suis ici aujourd'hui, mais, il y a 10 ans, je n'aurais jamais rêvé que je serais ici pour témoigner. C'est grâce au travail de gens qui ont mis le problème au premier plan que nous espérons obtenir un règlement. Je ne peux pas rester là les bras croisés. Je me suis battue pour faire respecter les droits des victimes du régime de Pinochet.
Je suis une défenseure des droits de la personne. J'ai reçu toutes sortes de prix pour mon travail de défense des droits de la personne. Le temps est venu pour moi, sur le plan personnel, de me battre pour notre peuple et d'obtenir une reconnaissance. Il est très important que l'on tienne compte de notre histoire.
Je veux également aborder la question des réfugiés palestiniens. Il est important que les gens sachent que, au Liban, aujourd'hui, par exemple, 300 000 réfugiés palestiniens vivent dans des camps de réfugiés. Ils sont considérés comme les gens les plus pauvres du pays simplement parce que le gouvernement libanais refuse de leur accorder la nationalité et un permis de travail et qu'il les considère comme des citoyens de deuxième ordre. Ils n'ont même pas accès aux écoles publiques ou aux services de santé publics. Ils font l'objet de discrimination de la part du pays qui les héberge, sauf s'ils se dirigent vers l'ouest. C'est vraiment très triste.
J'aimerais remercier notre invitée de la Hongrie, Mme Bublil Waldman, et également M. Shimon Fogel, d'être ici.
J'espère que personne ne fera une mauvaise interprétation de la question. Au cours de son exposé, M. Fogel a beaucoup parlé du fait que des diplomates canadiens étaient, bien sûr, au courant de la terrible discrimination qui existait dans de nombreuses capitales et villes où des juifs avaient vécu pendant des milliers d'années et dont ils quittaient le pays, et que, jusqu'à ce que M. Martin fasse sa déclaration, il n'y avait aucune déclaration officielle de la part du Canada au sujet de la situation des réfugiés juifs des pays du Maghreb et d'autres pays du Moyen-Orient.
Je dois dire que, lors de mes rencontres avec des dirigeants israéliens, en 1979, je n'ai jamais entendu un seul Israélien, de quelque allégeance politique que ce soit, demander que la question des réfugiés juifs des pays arabes soit incluse dans les discussions sur les solutions ultimes. Cela n'a pas semblé faire partie de la discussion à Oslo — si je ne m'abuse — cela ne faisait pas partie de la Conférence de Madrid, en 1993.
Je n'essaie pas d'ouvrir un débat. Je ne fais que demander que... Nous devons reconnaître qu'il s'agit d'un problème relativement récent dont il faut tenir compte sur le plan politique non seulement au Canada, mais presque partout.
Éclairez-moi s'il vous plaît. À quel moment, historiquement, a-t-il semblé nécessaire et approprié d'intégrer cette question dans un règlement global ou politique de la situation au Moyen-Orient?
Est-ce que je me trompe? Y a-t-il quelque chose qui m'échappe?
De manière descriptive, je pense, vous faites une évaluation assez juste. La seule chose que j'aurais à dire quant à la prémisse de l'observation, c'est que je me souviens que, au début du processus d'Oslo, lorsque le Canada a été invité à jouer le rôle de président du Groupe de travail sur les réfugiés, il y a eu des discussions ciblées sur ce que la portée du mandat du groupe de travail devrait être et quant à savoir s'il devait tenir compte de la situation des juifs qui étaient devenus des réfugiés de pays arabes.
La conclusion, que, pour être francs, nous avons appuyée, était que le groupe de travail s'attachait surtout à fournir une aide matérielle aux réfugiés palestiniens de sorte qu'ils puissent eux aussi tirer profit des dividendes de la paix à mesure que la situation évoluait et en vue de pouvoir les comparer à d'autres aspects du processus de paix afin qu'il y ait une certaine uniformité au moment de proposer des règlements.
On a décidé de manière délibérée de ne pas aborder la question des réfugiés juifs des pays arabes puisque ceux-ci avaient déjà bénéficié d'un règlement significatif du seul fait de leur accueil en Israël ou dans d'autres pays de l'ensemble de la diaspora.
Ce que j'aimerais dire, c'est que, d'abord, je pense que nous devrions diviser la question en deux catégories. En tant que Canadien, il est important pour moi de faire une distinction entre la réaction du Canada à l'égard de la réalité des réfugiés juifs des pays arabes et sa réaction face à la situation des juifs qui ont éprouvé des difficultés semblables en Europe avant la Seconde Guerre mondiale.
En ce qui concerne les réfugiés juifs des pays arabes, les autorités canadiennes ont été très attentives à l'évolution de la situation. Elles l'ont reconnue rapidement. Elles ont recommandé que l'on prenne des mesures pour y remédier. Cela a donné lieu à un processus accéléré d'immigration au Canada. À cet égard, il n'y a rien à redire relativement à l'approche du Canada.
Ce que nous voulons, c'est que la situation soit reconnue de manière officielle, et c'est essentiellement le coeur de votre question. À ce sujet, j'aimerais simplement ajouter quelque chose.
La réaction instinctive et immédiate lorsqu'on fait face à un problème de réfugiés, c'est de le régler, de leur fournir une aide matérielle et d'appuyer leur transition vers un environnement sécuritaire, et ainsi de suite. En ce qui concerne les réfugiés juifs des pays arabes, la situation était moins urgente puisqu'on y avait remédié, tandis que, et je pense que nous serons tous d'accord, les réfugiés palestiniens sont aux prises avec de graves problèmes auxquels il faut prêter attention aujourd'hui afin d'améliorer concrètement leur qualité de vie.
Ce n'est que lorsque nous arrivons au point où nous commençons véritablement à nous pencher sur ce à quoi ressemblerait un règlement global que nous dressons une liste de tous les problèmes en suspens auxquels il faut prêter attention. Selon nous, l'attention portée aux revendications des réfugiés juifs des pays arabes commence, et pourrait se terminer, par une reconnaissance officielle du récit dont nous a fait part Mme Waldman.
Le président Clinton a proposé une sorte de formule. Elle est plutôt complexe. Je ne sais pas si le comité aurait intérêt à l'examiner. Cependant, je pense que, pour permettre à des intervenants de trouver une solution globale au conflit, qui serait complète et entière, il faut en quelque sorte valider leur expérience.
Je crois que c'est pourquoi nous nous sommes penchés sur la question davantage au cours de la dernière décennie qu'auparavant.
C'est ce que je faisais valoir la semaine dernière. Je crois que nous avons eu une discussion historique très utile sur la façon dont le terme « réfugié » est apparu dans la résolution de 1967 sans qu'il soit assorti d'un adjectif. Nous pouvons affirmer en toute légitimité que la Résolution 242, qui est la pierre de touche de nombreuses discussions encore aujourd'hui au sujet de la façon dont nous atteindrons notre objectif, est une résolution pour laquelle nous pouvons dire qu'il n'y a aucune raison que le monde ne reconnaisse pas la situation des réfugiés juifs des pays arabes. Il n'y a rien qui justifie que cela ne puisse ou ne devrait pas être fait dans le cadre de cette résolution.
Selon moi, après avoir écouté attentivement ce que Mme Waldman avait à dire, et j'ai grandement apprécié sa description, il y a une importante différence entre le fait de reconnaître un récit comme faisant partie de quelque chose que l'on doit faire dans le monde et celui d'examiner en quoi consiste le problème politique quant à savoir si nous allons réunir des gens pour discuter des difficultés que rencontrent les Palestiniens et les Israéliens, et le gouvernement israélien. Je crois que c'est une chose à laquelle il faut réfléchir au moment de concevoir notre propre résolution.
Il me semble qu'il faut y réfléchir soigneusement. Nous ne pouvons pas dresser un parallèle exact entre la situation des réfugiés palestiniens, qui conservent leur statut de réfugié, et celle des centaines de milliers de juifs, qui ont quitté le Moyen-Orient — une grande proportion est allée en Israël, et un grand nombre est allé dans les pays de l'Amérique du Nord et ailleurs — et qui en sont maintenant à leurs deuxième et troisième générations établies.
L'histoire doit absolument être racontée. Cette histoire doit être comprise. La forme politique que cela prend me semble toujours être une question que nous devons, nous, les membres du comité, prendre en considération à mesure que nous progressons.
Merci, monsieur Rae. C'est tout le temps que nous avons. Nous allons terminer avec M. Van Kesteren, pour cinq minutes, s'il vous plaît.
Merci, monsieur le président, et merci aux deux témoins d'être ici.
Tout comme M. Rae, je dois avouer que j'en connaissais très peu, ce qui serait probablement une exagération, concernant votre situation et ce qu'il est advenu de la communauté juive en Afrique et dans d'autres régions. Tout comme lui, je n'arrive pas à comprendre pourquoi cela n'a pas été évoqué. J'ai une idée, et je ne veux pas influencer vos pensées, mais, madame Waldman, peut-être que vous pourriez en dire davantage sur le sujet. J'hésite à vous le dire ainsi, et je vais peser mes mots, mais c'est presque comme un enfant maltraité qui aurait souffert si longtemps, qui aurait grandi et qui, enfin, ferait face à son agresseur.
Il y a également quelque chose de semblable ici aussi, puisque la victime hésite beaucoup à assumer cette responsabilité et à accepter le fait que cela s'est produit. Y a-t-il un peu de cela? Nous parlons du syndrome de Stockholm. Je ne sais pas comment vous appelleriez ce syndrome, mais n'est-ce pas aussi un peu pour cette raison que cela n'a pas été au premier plan dans nos manchettes lorsque nous discutons de la politique sur le Moyen-Orient et des choses du genre?
Madame Waldman.
D'abord, ce n'est peut-être pas politiquement correct de le dire, mais les Nations Unies n'ont jamais été amies avec les juifs. Les Nations Unies se sont toujours assurées que, chaque fois qu'elles ont adopté une résolution concernant les Palestiniens — plus de 190, je crois... il n'y a jamais eu une seule résolution à notre égard. À deux reprises, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés nous a reconnus comme réfugiés, mais jamais l'UNHCR ne nous a reconnus de quelque autre façon ni donné le bénéfice d'une résolution. Lorsqu'il est question de réfugiés, les gens se tournent toujours vers les Nations Unies comme étant l'expert. Je crois que cela a beaucoup à voir avec l'effacement total, pour ainsi dire, de notre histoire.
L'autre chose, et, là encore, il s'agit d'une opinion personnelle, c'est que nous ne nous sommes jamais perçus comme étant des victimes et avons eu très honte de notre histoire. Je ne peux parler qu'en fonction de mon expérience personnelle. Lorsque ma famille est sortie et qu'elle s'est établie en Israël ou à d'autres endroits, elle a eu le sentiment que ce qui s'était produit était vraiment honteux. Elle a perdu beaucoup de sa dignité. Elle a perdu beaucoup de sa fierté. Elle a perdu sa culture. Elle a souffert et ne voulait pas y repenser.
En fait, ce qui est assez surprenant, parallèlement à ce que vous disiez, c'est que mon organisation, Jews Indigenous to the Middle East and North Africa, vient tout juste de commencer avec un autre groupe, Sephardi Voices, un programme dans le cadre duquel nous réalisons des vidéos de témoins, des gens comme moi-même, de tous les pays arabes. Il nous a fallu 40 ans pour parler parce que nous avons vraiment souffert. Ce n'est peut-être pas la seule raison, bien sûr. Cependant, je sais que, au début, ma mère ne voulait pas raconter son histoire, qui est bien plus dramatique que la mienne. Ce n'est qu'il y a deux ans que j'ai pu la convaincre de s'asseoir devant une caméra vidéo et de raconter son histoire.
Je crois qu'il y a une part psychologique. Ce n'était peut-être pas la bonne façon de s'y prendre. Nous y sommes-nous pris de la bonne façon? Non. Aurions-nous dû nous exprimer haut et fort avant? Oui. Des juifs libyens me demandaient parfois: « Avez-vous peur que Khadafi se lance à vos trousses? » Après tout, il était en vie à l'époque où je faisais ce travail. J'ai reçu des menaces, des lettres. Deux de mes amis juifs libyens, qui ont fui à Rome, ont été tués par Khadafi. On avait toujours peur de s'exprimer. Malheureusement, cela fait également partie de ce qui s'est passé.
Je crois que, puisque nous étions absorbés par le succès de nos affaires, et parce que nous avions une vie et que nous ne restions pas assis dans un camp de réfugiés, la douleur n'était pas toujours vive. Après tout, nous avons réussi. Je crois que c'est ainsi qu'Israël, de nombreuses manières, voyait aussi la situation: « Eh bien, vous êtes des citoyens d'Israël maintenant. Nous sommes fiers de vous. Vous faites partie de notre réalisation. Vous n'êtes plus des réfugiés. » Ou, à tout le moins, on ne nous voit plus de cette façon, mais, je crois que, légalement, nous sommes des réfugiés, et notre histoire et nos droits doivent retrouver la place qui leur revient.
Merci beaucoup.
Je sais que Mme Laverdière souhaite poser une question rapide. Je vais donc la laisser le faire avant de conclure.
Merci à vous deux pour vos exposés très intéressants. C'est toujours un plaisir de vous voir, monsieur le rabbin, et d'être témoin de votre sagesse et de votre intelligence.
J'ai une question très brève au sujet de la Résolution 185, qui a été adoptée par le Congrès américain. Quelles ont été les suites de la résolution? Qu'est-il advenu après?
Il y a une organisation appelée Justice pour les juifs Originaires des Pays Arabes, et nous travaillons de concert avec un membre du Congrès, M. Nadler. Un projet de loi a été rédigé, et nous nous attachons à le faire adopter. Le projet de loi est très semblable à la Résolution 185 originale, mais il serait beaucoup plus contraignant puisqu'il s'agirait d'un projet de loi. Nous travaillons à atteindre cet objectif.
Madame Waldman, je me demandais également si vous étiez en contact ou si vous travailliez en collaboration avec d'autres organisations semblables qui traitent des problèmes de réfugiés.
Oui. En fait, il y a certains groupes en Israël qui représentent, par exemple, leurs groupes respectifs, que ce soit des réfugiés juifs égyptiens, tunisiens, algériens et ainsi de suite. Nous coordonnons certains efforts, et nous coordonnons également une histoire orale en recueillant les témoignages de gens qui ont purgé des peines dans des prisons, qui ont fui, ou peu importe leur histoire [Note de la rédaction: difficultés techniques ]
Même si je sais que vous surveillez le temps, j'aimerais simplement clore la discussion en 30 secondes.
Cela procède de ce que Bob Rae a mentionné tantôt. Je crois qu'il faut se demander comment le Canada peut contribuer à cet égard. Je ne voudrais pas prétendre que nous pouvons élaborer ou définir une manière d'obtenir une solution satisfaisante. La contribution que nous pouvons faire, c'est de mettre fin au conflit, de faire en sorte que tous les intervenants aient le sentiment d'avoir été pris en considération, reconnus et validés.
La contribution que le Canada peut offrir, selon moi, et que le comité pourrait envisager en formulant une recommandation à la Chambre, c'est simplement la reconnaissance de la réalité de leur expérience et du fait qu'il faut en tenir compte dans le cadre d'une résolution globale du conflit.
Si nous pouvions offrir cette contribution et en faire un modèle que les autres pays pourraient suivre, je crois que nous aurions apporté quelque chose de significatif au dialogue pour la paix.
Merci beaucoup du temps que vous nous avez consacré.
Je ne crois pas que nous avons pu ramener Mme Waldman. Donc, merci beaucoup. Nous allons suspendre la séance pour nous préparer en vue de la prochaine.
[Français]
Monsieur le président, j'aimerais préciser que, jeudi prochain, je vais présenter une motion à ce comité pour que celui-ci soumette un rapport à la Chambre pour lui demander d'accorder au Comité permanent des finances le pouvoir de séparer le projet de loi C-60 en six projets de loi distincts qui pourraient être renvoyés aux comités appropriés. Ma motion va préciser à quels comités le tout pourrait être renvoyé.
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Traduction]
Merci.
Mesdames, bienvenue. Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. Nous avons Mme Lisette Shashoua et Mme Gladys Daoud, qui témoigneront à titre personnel.
Nous allons commencer par Mme Daoud, et, après votre témoignage, nous allons prendre un peu de temps pour faire un tour de table. La parole est à vous, madame Daoud, puis, ensuite, nous allons passer à Mme Shashoua.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, en 1970-1971, le gouvernement du Canada de l'époque a décidé d'intervenir en faveur de 17 familles juives très désespérées, qui étaient coincées en Irak, en vue de les réunir avec leurs fils et filles canadiens. Vos prédécesseurs ont échangé notre liberté contre des balles de blé avec un pays qui avait un besoin urgent de nourrir sa population. Je dois ma vie aujourd'hui à cette initiative.
Je m'appelle Gladys Daoud. Je suis arrivée au Canada le 28 août 1971. Je suis conseillère en gestion et conférencière de profession. J'ai deux diplômes, un baccalauréat ès arts et une maîtrise en administration des affaires, les deux obtenus à McGill. J'ai deux enfants, un avocat et un directeur des finances ainsi que deux petits-enfants. Je me considère bénie d'être citoyenne du Canada.
Cela contraste fortement avec ma vie en Irak.
Je suis née à Bagdad au sein d'une famille juive riche et importante. Du côté de mon père, mon grand-père était un riche propriétaire foncier qui détenait d'importantes étendues de terre partout en Irak. Du côté de ma mère, mon grand-père était un banquier qui était responsable du trésor national.
Après la Première Guerre mondiale, l'Irak a obtenu son indépendance de l'Empire ottoman. Les juifs ont joué un rôle important dans la vie financière, culturelle et politique du nouveau pays. Les juifs irakiens occupaient des postes de premier plan au sein des ministères des Finances et de la Justice ainsi qu'au Parlement. En outre, certains avocats juifs ont largement contribué à la rédaction de l'ébauche de la constitution du nouvel État.
Mon grand-père a envoyé mon père et ses deux frères en France pour qu'ils y fassent leurs études. Mon père est devenu médecin et a eu la chance de retourner à Bagdad avant la Seconde Guerre mondiale. Ses deux frères, un promoteur immobilier et un étudiant en médecine, ont terminé leur courte vie dans un camp de concentration, en Allemagne, mais ça, c'est une autre histoire.
Mon père est retourné en Irak et s'est employé à l'exercice de la médecine après avoir servi dans l'armée irakienne en tant que colonel. La vie de mes parents en Irak jusqu'à la création de l'État d'Israël était relativement heureuse, même si elle a été gâchée par des événements tragiques qui ont eu lieu à divers intervalles. Par exemple, mon grand-père paternel a été assassiné. La police n'a pas mené d'enquête sur son assassinat, et son assassin n'a jamais été traduit en justice.
En 1941, les habitants de Bagdad, encouragés par le gouvernement pro-nazi de l'époque, se sont livrés à une folie meurtrière dans le quartier juif, tuant près de 200 juifs et pillant des maisons et des entreprises. Mon grand-père maternel a miraculeusement survécu, même s'il a été pourchassé par des rebelles qui tentaient d'obtenir la clé du trésor national. Malgré cela, mes parents ont persévéré et prospéré.
Après la création de l'État d'Israël, le gouvernement irakien s'est engagé dans une politique de nettoyage ethnique et de persécution de la population juive. Des juifs occupant une position importante ont été pendus sur la place publique. Des entreprises juives ont été confisquées. Des permis d'importation ont été annulés. Des fonctionnaires juifs ont été congédiés.
On interdisait aux juifs de quitter le pays sous le prétexte qu'ils se joindraient à l'ennemi sioniste et qu'ils attaqueraient l'Irak. Sous la pression internationale, le gouvernement est finalement revenu sur sa décision et a permis aux juifs de quitter l'Irak, pourvu qu'ils abandonnent tous leurs biens à la faveur de l'État. Parmi les 150 000 juifs, 140 000 ont quitté le pays, abandonnant toutes leurs possessions, à l'exception d'une valise de vêtements.
Ceux qui sont restés étaient des optimistes qui, hélas, croyaient que la violence dirigée contre les juifs passerait, et que la coexistence harmonieuse avec leurs voisins musulmans et chrétiens était toujours possible.
La situation a pris une mauvaise tournure en 1963, après que le régime de Baath a pris le pouvoir. Ses dirigeants avaient pour première priorité de s'engager dans une politique de nettoyage ethnique à l'égard des juifs irakiens. Ils ont banni tous les visas de sortie des juifs et fait la promotion active d'une culture de haine et d'incitation à la haine à leur égard.
En 1967, lorsque la Guerre des Six Jours a éclaté, j'étais une adolescente qui fréquentait l'école. J'ai vu tout mon monde s'écrouler autour de moi. Tous les juifs à Bagdad étaient déclarés des espions et des ennemis du peuple. La radio hurlait toute la journée, appelant les gens à tuer les juifs. Il va sans dire que nous étions terrifiés et n'avions nulle part où aller.
Le gouvernement a mis en oeuvre un plan d'isolement total et d'asphyxie économique. Les employeurs avaient l'ordre de congédier leurs employés juifs. Les collègues et les partenaires d'affaires chrétiens et musulmans étaient terrifiés d'être associés à des ennemis de l'État, et, par conséquent, toutes les entreprises appartenant à des juifs ont fermé leurs portes, et notre école a perdu tous ses enseignants. Nos amis musulmans et chrétiens avec qui nous avions grandi n'osaient plus nous parler.
La clinique médicale de mon père était adjacente au bureau du renseignement de l'administration locale. Ses patients avaient peur d'y être aperçus. Donc, les seuls patients qu'il traitait étaient des policiers et des agents du renseignement, qui étaient soignés gratuitement tout en le surveillant de près.
En tant qu'étudiants juifs, on nous refusait l'accès à tout programme d'études supérieures. Les rares étudiants qui étaient déjà à l'université étaient régulièrement battus par leurs condisciples, tandis que les enseignants et l'administration fermaient les yeux.
J'ai terminé mon examen gouvernemental du secondaire en juin 1967. J'ai obtenu le deuxième rang de tout l'Irak et j'ai été acceptée immédiatement à l'Université de Bagdad. En fait, j'avais également posé ma candidature pour McGill et le MIT, et j'ai été acceptée à ces deux universités. Cependant, lorsqu'on a appris que j'étais de foi juive, mon admission à l'Université de Bagdad a été retirée, et on a refusé de me délivrer un passeport pour étudier à l'étranger. Au cours des quatre années qui ont suivi, j'ai enduré la vie d'une non-personne et regardé tous mes espoirs et toutes mes aspirations s'envoler en fumée, tandis que j'étais confinée à ma chambre, entre quatre murs, à penser à ce que d'autres jeunes du monde entier faisaient.
J'ai postulé un emploi de secrétaire au consulat belge et j'ai été acceptée. Trois semaines plus tard, on m'a convoquée dans le bureau du consul et informée très poliment que, même si on ne me demandait pas de partir, on avait été avisé que mon père serait emprisonné si je ne partais pas immédiatement. Inutile de dire que c'est exactement ce que j'ai fait.
Les comptes bancaires de ma famille ont été gelés, notre propriété a été confisquée, et nous n'avons pu survivre que grâce à l'argent que ma mère avait eu la sagesse d'enterrer dans notre jardin. Il nous était interdit de quitter Bagdad. Notre ligne téléphonique a été coupée, et nous ne pouvions pas nous réunir avec d'autres familles juives puisque cela pouvait entraîner une accusation de conspiration contre l'État. Nous étions désespérés.
Pour aggraver la situation, le gouvernement a décidé, en 1969, d'exécuter, sur la place publique, 14 Irakiens, qui, pour la plupart, étaient des juifs innocents. Je connaissais personnellement deux ou trois d'entre eux, qui étaient des étudiants comme moi, incapables de travailler ou d'étudier et qui tentaient de rester occupés en apprenant une langue étrangère. Ils ont été pendus sur la place publique, et la population a reçu une journée de congé et a été invitée à se réunir et danser en célébration sous les corps pendus. J'ai toujours des cauchemars où je retourne à Bagdad et je revis l'angoisse de cette époque.
Ce ne sont pas les seuls juifs qui ont perdu la vie. De temps à autre, un juif était arrêté de manière aléatoire, et jamais plus on en entendait parler. Leurs familles n'ont à ce jour pas fait leur deuil.
La situation était tellement désespérée que nous n'avions d'autre choix que de chercher à nous enfuir par tous les moyens possibles. Bon nombre sont partis à pied ou à dos de mulet à travers les montagnes du nord de l'Irak et jusqu'en Iran, avec l'aide de guides kurdes. Certains ont été arrêtés et ramenés. Ceux qui portaient des diplômes ou des objets de valeur sur eux tentaient de les jeter dans les toilettes afin de ne pas fournir d'éléments de preuve de leur intention de fuir. Ces départs secrets exacerbaient le désespoir de ceux qui étaient laissés derrière. Ils voyaient leurs bons amis et des membres de leur famille disparaître tandis qu'ils restaient derrière sans savoir de quoi demain sera fait.
Le 17 avril 1971, avec une valise de vêtements et quelques pièces de monnaie, mes parents et moi avons verrouillé la porte d'entrée de notre maison à Bagdad pour la dernière fois et avons entamé un long périple pour venir à Montréal et commencer une nouvelle vie.
J'étais enfin libre de mener ma propre vie. Cette journée restera gravée dans mon coeur et ma mémoire pour toujours. Je suis reconnaissante à notre grand pays de nous offrir toutes ces bénédictions.
Au milieu des années 1970, la plupart des juifs avaient quitté l'Irak. Nous devons notre survie à tous les gens du monde libre qui ont manifesté en notre nom et fait pression sur les autorités afin qu'elles interviennent pour notre liberté.
Aujourd'hui, il reste cinq juifs âgés à Bagdad.
Les 2 500 ans d'histoire et de tradition juives aux abords des fleuves de Babylone ont connu une fin abrupte et horrible. Les sanctuaires religieux, les artéfacts et les livres d'enseignement qui restent en Irak devraient être les seuls vestiges, sauf que, en ce moment même, les autorités irakiennes tentent de détruire ces sanctuaires et d'effacer tout rappel de l'existence juive.
J'espère que cette histoire rappellera à chacun de nous de rester vigilant et de lutter contre toute incitation à la haine, tout racisme et toute discrimination. Efforçons-nous de toujours découvrir la vérité et de chercher la justice pour tous.
Merci beaucoup de votre temps et de m'avoir donné le privilège de pouvoir raconter mon histoire.
Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs.
Pendant 25 siècles, les juifs ont vécu en harmonie avec leurs concitoyens et ont contribué à l'essor économique, social et culturel de, dans un premier temps, Babylone, et, maintenant, de l'Irak. Il y a eu quelques pogroms contre les juifs en Irak, plus particulièrement en 1929, puis, plus tard, en 1941: le tristement célèbre farhoud incité par le mufti nazi de Jérusalem. En 1948, l'État d'Israël a été créé. L'Irak, de même que quatre autres pays arabes, a subi une défaite amère sur le front contre Israël. L'Irak avait donc besoin d'un bouc émissaire pour justifier cette défaite. On a jugé et pendu l'innocent M. Shafiq Ades, qu'on croyait être un espion israélien. On l'a pendu devant sa maison et on a forcé sa femme et ses enfants à regarder. Trois de ses enfants habitent aujourd'hui à Montréal. Soixante-cinq ans plus tard, cette famille porte encore les cicatrices et le traumatisme de cette tragédie inhumaine.
Je vais maintenant vous raconter ma propre histoire. Mon père était le fils d'un marchand bien nanti qui avait réussi par ses propres moyens et qui possédait des terres en Irak. Au début des années 1920, lorsque l'Angleterre a décidé de nommer un roi en Irak, le roi Faisal 1er, elle a choisi la maison de mon grand-père pour en faire sa résidence. Mon grand-père, Shaul Shashoua, est parti comme on le lui avait ordonné et a loué sa maison pour une somme symbolique au roi jusqu'à ce qu'un palais convenable lui soit construit et qu'il puisse y emménager.
Jusqu'à 1950, il y avait environ 150 000 juifs en Irak. Après le farhoud et la persécution des juifs par leurs concitoyens et le gouvernement, et après la pendaison de M. Shafiq Ades, l'Irak a annoncé qu'elle permettrait désormais aux juifs de partir vers Israël à condition qu'ils renoncent à leur citoyenneté irakienne. Près de la totalité des juifs ont demandé ce laissez-passer. Ils ont été dénationalisés, et leurs avoirs ont été gelés pendant qu'ils étaient toujours en Irak à attendre leur tour de partir.
Au moment de leur départ, ils ont été fouillés, puis dépouillés de leur argent et de leurs bijoux, et on leur permettait d'avoir une valise chacun et seulement 50 dinars irakiens à apporter avec eux. Le gouvernement irakien a, comme prévu, confisqué tous leurs biens immédiatement après leur départ. Cependant, mon père et ma mère ont décidé de rester et d'affronter la tempête en compagnie d'environ 7 000 autres juifs. La situation s'est tranquillement stabilisée dans le pays, mais des juifs, y compris mes soeurs, ont quitté l'Irak pour diverses raisons, pour ne plus jamais y revenir. Tous ceux qui sont partis ont tôt ou tard été dépouillés de leur nationalité irakienne et ont vu leurs avoirs être gelés. Étant la plus jeune, je suis restée avec mes parents.
Je dois insister ici sur le fait que nous, qui avons choisi de rester en Irak malgré toutes les persécutions, n'entretenions aucun lien avec Israël, particulièrement en raison du boycott total d'Israël par l'Irak. Même le fait de dessiner l'étoile de David était tabou, même dans l'intimité de nos foyers.
Le régime irakien a essuyé de nombreuses révolutions et coups d'État. Le dernier a eu lieu en 1962, lorsque le parti Baath est arrivé au pouvoir avec Saddam Hussein. Ce parti a rapidement limité les déplacements des juifs à nouveau. On a encore gelé les ventes de nos propres biens. En 1967, la Guerre des Six Jours a éclaté, et Israël l'a emporté. En guise de représailles contre Israël, les dirigeants irakiens ont resserré l'étau sur les 3 000 juifs innocents qui restaient. Ils ont coupé toutes les lignes téléphoniques. Ils ont refusé aux juifs l'accès aux universités. Ils ont retiré tous les permis commerciaux. Ils ont ordonné à toutes les entreprises de congédier leurs employés juifs. Il n'y avait pas d'assurance-chômage en Irak, donc ils n'avaient pas d'argent pour survivre. Ils ont gelé tous nos avoirs. Ils ont fini par nous permettre de retirer seulement 300 dinars par mois de nos propres comptes bancaires pour des dépenses quotidiennes. Bon nombre d'enfants juifs s'évanouissaient de faim à l'école parce que leurs parents n'avaient plus d'argent pour de la nourriture. Lorsque mon grand-père est décédé, en 1968, ma mère et ma grand-mère ont été forcées de payer au gouvernement un loyer pour la maison que mon grand-père avait bâtie en 1927. Elles payaient les parts dont les frères et soeurs de ma mère auraient dû hériter, mais qui appartenaient désormais au gouvernement irakien.
En plus, ils ont commencé à se rendre chez des juifs aléatoirement, habituellement après minuit. Ils fouillaient la maison, la vandalisaient et arrêtaient le père, le fils, parfois même la fille. On les accusait toujours d'espionnage pour Israël.
C'était rendu au point où chaque fois que j'entendais une voiture passer la nuit, je me réveillais, je m'agenouillais et je priais pour que la voiture ne s'arrête pas chez moi pour venir bouleverser nos vies. Ma mère et moi avions acheté des somnifères afin de nous suicider s'ils venaient nous arrêter.
En 1968, les arrestations aléatoires se sont intensifiées. Les hommes se faisaient torturer et ils étaient forcés d'avouer qu'ils étaient des espions. Ils étaient attachés à des ventilateurs de plafond qui tournaient à pleine vitesse. Certains se faisaient enlever les ongles aux doigts et aux orteils et les dents. Ils se faisaient électrocuter les organes génitaux. Un grand nombre d'entre eux sont morts sous la torture.
Toutes ces arrestations et cette torture ont mené à la tenue de procès à la noix en décembre 1968 et en janvier 1969. Les accusés n'étaient pas autorisés à avoir leur propre avocat. L'État en désignait un pour eux, puis les déclarait coupables d'espionnage pour Israël. Ils se voyaient infliger une peine et ils étaient pendus le soir même.
Lorsque nous nous sommes réveillés le 27 janvier 1969, nous avons appris à notre grande horreur que 14 hommes innocents avaient été pendus. Dix d'entre eux étaient juifs. Au moins trois des victimes étaient âgées de moins de 18 ans. Les tribunaux irakiens avaient modifié leur âge pour qu'ils puissent être pendus selon l'âge légal partout dans le monde. Toutes les accusations avaient manifestement été forgées de toutes pièces.
Les Irakiens, qui avaient soif de sang, étaient en pure jubilation. Ils étaient des milliers à danser, à chanter et à donner des coups aux cadavres. Des femmes allaitaient, et des familles entières pique-niquaient devant les corps suspendus des martyrs. On beuglait à la radio que le pays s'était maintenant débarrassé de ses espions et qu'il encourageait le public à continuer de dénoncer la cinquième colonne.
Nous allions toujours à l'université et nous étions au milieu de la période d'examens de mi-session, alors, nous n'avions d'autre choix que de nous présenter à l'université ce jour-là. Je me disais: « Nous comptons certainement parmi les gens scolarisés. Ils sont certainement assez intelligents pour se rendre compte que tous ces procès sont complètement absurdes. De plus, ce sont nos amis, nos collègues. Ils vont certainement compatir. Ils comprendront. » Mais, à notre surprise, lorsque nous sommes arrivés à l'université, nous avons été accueillis par des banderoles où on applaudissait à ce que le gouvernement avait fait et demandait d'autres gestes de ce genre. Ils nous regardaient et riaient. Le message était: « Vous êtes les suivants ». Nous étions horrifiés, mais trop terrifiés pour montrer notre peine.
Israël a confirmé que les victimes étaient innocentes et qu'elles n'espionnaient pas pour lui. Ces fausses accusations ont provoqué un tollé international, et le gouvernement irakien a eu l'audace de répondre qu'il y avait suffisamment d'arbres pour pendre le reste des juifs du pays.
Imaginez toute la terreur qui s'est emparée de notre vie quotidienne après cette horrible journée. Ce fut la journée la plus sombre de notre adolescence, une journée qui est gravée dans la mémoire de tous les juifs qui vivaient en Irak à l'époque.
Par la suite, en 1970, une petite occasion s'est présentée à nous. Une trêve temporaire avait été conclue entre les Kurdes vivant dans le nord de l'Irak et le gouvernement irakien. Les Kurdes étaient prêts à nous aider à nous enfuir, car ils étaient eux aussi un peuple minoritaire maltraité et ils comprenaient ce que nous vivions. Le gouvernement irakien a décidé de fermer les yeux sur les juifs qui prenaient la fuite en raison, d'une part, de la pression internationale et, d'autre part, du montant d'argent versé par des organismes juifs à l'étranger pour chaque juif qui quittait le pays. Mais il reste que le gros lot était les biens que les juifs laissaient derrière.
Ils réussissaient tout de même à nous terroriser, car ils procédaient à l'occasion à des arrestations massives de familles complètes.
Me rendant compte que je n'avais aucun avenir à Bagdad, j'ai décidé de tenter ma chance. Je savais qu'en quittant le pays illégalement, je mettais en danger ma vie et celle de mes parents, qui étaient restés en espérant un jour sauver une partie de leurs avoirs gelés. Nous avons agi par désespoir.
Je comptais parmi les personnes les plus chanceuses. J'avais réussi à m'enfuir avec une autre famille. Toutefois, un grand nombre de mes amis s'étaient fait prendre en tentant de prendre la fuite; certains d'entre eux avaient même été arrêtés deux fois. Imaginez les interrogatoires, la torture et la terreur qu'ils ont subis.
Je suis arrivée saine et sauve en Iran en novembre 1990 et je me suis arrêtée à Londres avant de me rendre en Amérique du Nord.
J'ai retrouvé de nombreux amis d'enfance et j'ai rencontré des oncles, des tantes et des cousins pour la première fois parce qu'ils avaient quitté l'Irak avant ma naissance et avaient été — comme c'était mon cas — frappés d'interdiction de retour en Irak.
Je suis finalement arrivée à ma destination finale, le Canada — cette magnifique utopie qui s'appelle le Canada —, où j'ai retrouvé mes soeurs, et même d'autres membres de la famille. Nous avons enfin savouré la liberté. L'Amérique du Nord était et est un havre où tout le monde est égal et libre. Nous étions arrivés dans ce glorieux pays où nous pouvions enfin clore un chapitre sombre de notre vie et en commencer un nouveau du tout début.
Je suis devenue hôtesse de l'air à Air Canada. Je pouvais aller partout dans le monde, sauf à Bagdad pour rendre visite à mes parents. Pendant 20 ans, il a été impossible de leur parler, car leur ligne téléphonique avait été coupée durant la Guerre des Six Jours. Les lettres que j'envoyais à mes parents et celles qu'ils m'envoyaient étaient censurées, et il fallait trois semaines avant qu'elles arrivent à Bagdad. Il fallait trois autres semaines pour obtenir une réponse. Je ne savais jamais s'ils étaient toujours en vie entre le moment où ils m'écrivaient et celui où je recevais la lettre. Durant 20 ans, le fait de penser à mes parents me faisait constamment mal. C'était comme une plaie au coeur qui ne voulait jamais cicatriser. Il y avait aussi cette inquiétude constante à l'égard de leur bien-être et de leur sécurité.
En fin de compte, un miracle s'est produit. Après la guerre entre l'Iran et l'Irak, des passeports ont été délivrés à tout le monde en Irak, y compris les juifs. Mes parents ont enfin pu quitter l'Irak. La première fois que je leur ai parlé au téléphone, je n'avais même pas reconnu leurs voix. Leur arrivée au Canada en 1990 était un miracle. Nous étions enfin réunis et heureux. Nous étions avec nos chers parents, qui avaient attendu 20 ans en vain pour vendre leurs propriétés. Mon père avait 80 ans. Il a laissé tout ce qu'il possédait en Irak et est venu ici les mains vides. Tous ses frères et ses soeurs avaient perdu tout leur héritage après avoir quitté l'Irak 40 ans plus tôt.
Ils sont arrivés sans un sou, mais le Canada leur a offert un havre après toutes ces années perdues durant lesquelles ils avaient constamment vécu dans la peur. Ils ont manqué toutes les occasions spéciales avec leurs enfants, comme le mariage de leurs filles, la naissance de leurs petits-enfants, les bar-mitsvah et les bat-mitsvah. Mes parents n'ont rencontré pour la première fois leurs petits-enfants que lorsqu'ils étaient des adolescents. Toutefois, ils ont pu descendre l'allée centrale avec moi lorsque je me suis mariée avec mon merveilleux époux.
Nous avons connu un dénouement heureux à de nombreux chapitres, car la plupart d'entre nous ont survécu à la tourmente, mais cela ne veut pas dire que nous n'avons pas souffert émotionnellement et financièrement, et nous avons toujours de la difficulté à assurer notre subsistance alors que nous avons toutes ces propriétés en Irak auxquelles nous ne pouvons pas accéder. J'aimerais également souligner qu'aucun juif d'Irak qui est arrivé au Canada ou aux États-Unis — ou en Angleterre d'ailleurs —, y compris mes parents, n'a demandé ni reçu le statut de réfugié ou des privilèges à titre de réfugié. Nous sommes tous arrivés en tant qu'immigrants et nous nous sommes immédiatement consacrés à refaire nos vies, à travailler dur, à payer nos impôts et à profiter de ce magnifique pays — et en étant à son service — qui a tant à offrir. Nous avons connu un dénouement heureux, car nous sommes arrivés dans un pays formidable qui s'appelle le Canada.
En conclusion, nous prions pour que Dieu veille sur le Canada et les États-Unis, deux grands pays où nous vivons librement et menons une vie normale, des pays formidables qui nous ont accueillis et dont nous sommes privilégiés de faire partie. Nous espérons continuer à contribuer à sa croissance et à son bien-être. Amen.
Je remercie le Canada.
Merci.
Nous allons commencer par la personne assise à ma gauche, Mme Laverdière.
Vous avez sept minutes. Allez-y, je vous prie.
Merci beaucoup pour ces deux histoires touchantes.
[Français]
Elles étaient extraordinaires.
Ma question est de nature presque personnelle.
Madame Daoud, si je comprends bien, vous vivez toujours à Montréal?
Merci, je vous accueillerai avec grand plaisir.
J'aimerais savoir comment vous êtes arrivée à Montréal. Malheureusement, il n'y avait pas assez de temps pour que vous racontiez votre histoire au complet. Je sais toutefois que vous avez été admise à l'Université McGill.
Comment avez-vous pu quitter l'Irak et arriver au Canada? Quelle est votre histoire?
[Traduction]
Je vais poursuivre en anglais, et ils peuvent traduire.
Mon frère a été chanceux de pouvoir partir en 1963 avant que le régime du Baath n'arrête de délivrer des visas de sortie aux juifs. Il était donc Canadien et il a présenté une demande en vue de notre réunification. Je serais curieuse de jeter un coup d'oeil aux archives canadiennes pour voir comment toute cette transaction s'est déroulée, car il a fallu trois ou quatre ans pour y arriver.
Le Canada n'avait pas de représentant en Irak, alors, l'ambassadeur était au Liban; il s'est rendu en Irak, et nous avons reçu un appel ce jour-là. Nous nous sommes rendus au bureau des passeports en apportant toutes sortes de documents, et il s'est entretenu avec nous durant cinq minutes. Dès qu'il est parti, tous nos documents ont été jetés dans un tiroir, et nous n'en avons plus jamais entendu parler.
Il a fallu au Canada trois ans pour tenter de nous faire sortir du pays. Comme je l'ai mentionné, 17 familles avaient déjà des enfants au Canada qui étaient citoyens canadiens et qui contribuaient au processus.
C'est la façon dont j'ai réussi à sortir de l'Irak. Même lorsque nous sommes partis, nous n'avions pas le droit d'avoir un visa canadien dans notre passeport. J'étais une réfugiée. J'ai ri parce que je n'avais aucune citoyenneté. Il a fallu aller en Europe et attendre d'obtenir un visa canadien dans notre passeport, qui nous a permis de nous rendre au Canada. C'est à ce moment-là que j'ai confirmé mon admission à l'Université McGill, car j'avais été acceptée auparavant.
Ce sont des expériences de vie très touchantes.
J'ai deux questions. Tout d'abord, combien y a-t-il à l'heure actuelle de juifs d'Irak ou de descendants au Canada? Deuxièmement, y a-t-il une tribune ou un groupe où vous pouvez vous rencontrer et parler de vos expériences, qui doivent être très traumatisantes?
Je ne peux pas vous donner le nombre exact parce que je crois que nous n'avons jamais fait le calcul. Je peux vous dire que nous faisons partie d'une synagogue à Montréal, une synagogue séfarade, et il y a au moins 400 familles, n'est-ce pas?
Au sujet d'une tribune, nous n'en avons jamais parlé, même pas entre nous. Je crois que nous étions trop occupés à refaire nos vies. Nous commençons tout juste à raconter comment nous nous sommes enfuis. Nous commençons tout juste à nous en parler, car personne ne se préoccupait de la façon dont les autres étaient partis. Tout ce qui nous importait, c'était de savoir que nous étions arrivés. Nous nous moquions de connaître la façon dont nous l'avions fait. Mais c'est devenu un film à suspense. Chacun a son histoire. Nous commençons tout juste à recueillir les histoires. Il n'existe aucune véritable structure; nous commençons à en entendre parler.
L'une d'entre elles était notre enseignante de mathématiques à l'école primaire à Bagdad, alors, elle doit avoir plus de 90 ans aujourd'hui.
Pouvez-vous communiquer avec ces cinq personnes pour...? Non. Je vois; c'est tout à fait impossible.
J'ai une dernière question. Vous avez également parlé de sanctuaires et de monuments. De ce que vous dites, je crois comprendre que certains d'entre eux ont été préservés jusqu'à aujourd'hui, mais je suppose que d'autres ont également été disparus. Comment voyez-vous l'avenir, et que peut-on faire pour préserver ces monuments et sanctuaires?
Je suis membre d'un comité international qui tente de préserver ces sanctuaires, car, comme je l'ai dit, lorsque l'armée américaine s'est rendue en Irak, elle a réussi à récupérer beaucoup de parchemins et de documents que Saddam avait confisqués. On les a retrouvés dans un sous-sol. Ils avaient été mouillés et endommagés dans une mesure importante, mais tout a été apporté aux États-Unis, et c'est là qu'ils sont. C'est le département d'État qui les détient, alors c'est une partie de bras de fer. Le gouvernement irakien en revendique la propriété, et nous tentons de les récupérer parce que nous estimons qu'ils font partie de notre patrimoine. Nous n'en avons aucune idée; le gouvernement irakien pourrait exercer des pressions et en revendiquer la propriété n'importe quand, alors, nous tentons de les restaurer et, au moins, de tenir une exposition afin d'en voir le contenu. On parle seulement des documents.
Quant aux sanctuaires, il y en a un du prophète Ezekiel. Comme dans n'importe quelle religion — que ce soit le christianisme ou le judaïsme —, l'islam est arrivé après, et les musulmans se sont littéralement appropriés une église. Nous savons que l'église de Constantinople était à l'époque une église, mais c'est maintenant une mosquée. On érigeait automatiquement une mosquée sur chaque temple ou sanctuaire qui appartenait à une autre religion. En ce qui concerne la tombe, il y a deux ans, des amis irakiens ont pu prendre des photos qui montraient le texte hébreu marqué sur la tombe. Nous avons exercé des pressions par le truchement d'articles parus dans des journaux à l'étranger, et on a cessé de l'altérer.
La population estime que nous étions légitimement établis dans le pays. C'est drôle, car le premier gouvernement qui est arrivé après Saddam voulait nous rencontrer. Je me suis rendue en Angleterre pour rencontrer le ministre, qui nous a dit qu'il voulait que nous nous occupions de nos sanctuaires, car, à son avis, comme nous sommes partis, un mauvais sort s'acharne sur l'Irak et les Irakiens. C'est ce qu'il a dit. C'est pourquoi nous avons créé un comité qui tente d'atteindre ces objectifs, et nous devrions au moins tenter de prendre soin des sanctuaires qui restent en Irak.
Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai toutes sortes de questions, mais merci beaucoup, mesdames, d'être ici aujourd'hui et de raconter vos histoires. De ce que nous connaissons, nous aurions associé ce genre d'histoires à la Deuxième Guerre mondiale. Nous ne les associons pas à l'ère moderne ni à notre génération. C'est loin de notre réalité.
Madame Daoud vous avez cité: « Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis ». Ce n'est pas la première fois que les juifs font face à cette situation à Babylone, et le fait qu'elle se soit répétée est répréhensible. Ça l'est vraiment.
J'ai trois questions. Deux d'entre elles vont ensemble, et vous pouvez peut-être y répondre toutes les deux.
Tout d'abord, votre histoire sera toujours la vôtre, et personne ne peut vous l'enlever, mais y a-t-il quelque chose qui vous permettrait de tourner la page? Madame Shashoua, vous avez parlé d'avoirs gelés. La deuxième partie de cette question, c'est: « Songez-vous à faire appel aux gouvernements étrangers pour exercer de la pression sur le gouvernement irakien aux fins de remboursement, pour libérer certains biens appartenant aux personnes qui ont fui le pays? » L'autre question, c'est: « Compte tenu de votre expérience personnelle, craignez-vous que votre histoire se répète, peut-être pas en Irak, mais ailleurs, à un niveau semblable? »
Je crois vraisemblablement que l'histoire se répète. Cela se produit constamment, alors, je vous répondrais que oui, assurément. C'était la réponse à votre troisième question.
En ce qui concerne la première question, est-ce que je m'attends à une réparation pour les propriétés de ma famille qui ont été confisquées? C'est drôle, parce que je dirais qu'il a fallu 50 ans, 60 ans... Comme je l'ai dit, mon oncle possédait une propriété en France, et il a fini par obtenir réparation. Les Allemands nous ont versé une somme minimale pour la propriété qu'il avait en France. Cela nous arrivera-t-il? Personnellement, j'ai tourné la page. Ce n'est pas un problème.
Ce qui me préoccupe énormément, c'est la question de la justice. À mes yeux, c'était une situation unique où nous avons éprouvé des calamités semblables à celles des Palestiniens qui ont quitté leurs maisons. Nous savons à quel point c'est déchirant et dévastateur, sauf qu'ils sont toujours considérés comme des réfugiés. Ils sont toujours obligés de vivre dans des camps, des camps de réfugiés. Pour notre part, nous avons tourné la page. Nous avons connu un dénouement heureux, mais l'injustice est la même. Nous avons subi une grande injustice, et je n'en entends jamais parler. J'entends seulement parler de la Nakba et des réfugiés palestiniens. Je n'ai entendu personne parler des réfugiés juifs et de ce qu'ils ont subi.
Personnellement, je serais très heureuse de récupérer une partie de nos biens. Nous avons connu une période très difficile sur le plan financier, alors, pourquoi pas, si c'est possible? Comme Gladys l'a dit, je ne compte pas là-dessus, mais j'aimerais que cela se produise, peu importe le montant. Quel que soit le montant, ce sera un montant très important, car mes grands-parents étaient extrêmement riches, et c'est ce qui est triste. Mes parents ont attendu que quelque chose se produise et ils ont gâché leurs vies.
Selon vous, qui devrait s'en occuper? Le gouvernement israélien devrait-il le faire? Croyez-vous qu'il y a un gouvernement qui devrait régler le problème ou que c'est aux Nations Unies de le faire? Avez-vous une idée de qui devrait être responsable?
Comme madame l'a dit, je ne crois pas que les Nations Unies tenteraient de faire quoi que ce soit. Je ne le sais vraiment pas. Je sais que des avocats en droit international ou d'autres personnes pourraient le faire, car il y a beaucoup d'argent en jeu. Les juifs ont laissé beaucoup d'argent en Irak. Ce n'est pas une somme négligeable. C'est pourquoi l'enseignante est toujours là, mais, une fois qu'elle sera partie, j'ignore ce qui va se passer. Les juifs d'Irak ont laissé beaucoup d'argent. C'est vraiment un montant important.
Qu'en est-il des réfugiés qui viennent d'autres pays arabes? Si nous commençons à un endroit, nous devons le faire au suivant. Que devons-nous faire pour nous assurer que cela se produit? À quoi ressemblent les mesures à prendre?
À mon avis, comme l'histoire est maintenant connue, et vous avez entendu Gina Waldman parler des juifs en Libye, chaque pays s'organise pour fournir l'histoire, les récits et tout document existant. Vous recevrez beaucoup de soutien et d'aide des communautés pour raconter cette histoire.
Pour répondre à votre question précédente, je me considère comme une citoyenne canadienne. Mon histoire appartient aux Canadiens.
Avez-vous des observations à l'égard de la situation qui se répète? Voyez-vous des signes de danger? Parlez-en s'il vous plaît.
Je crois qu'on devrait mettre fin à la haine. Personne n'est en droit d'inciter à la haine. Je vois qu'elle s'insinue partout, et c'est terrifiant. Lorsque j'étais en Irak, je me sentais en sécurité dans leur pays, mais nous sommes arrivés ici et nous croyions que nous n'allions jamais revoir la haine ou l'antisémitisme, et elle est en train de se répandre. C'est la réalité. Je ne voulais pas le dire en public, mais je suis heureuse de l'avoir fait.
Puis-je simplement terminer?
Nous avions un comité qui a fait une étude sur le nouveau genre d'antisémitisme que nous avons remarqué. Un rapport a été présenté à la Chambre des communes. Vous aimeriez peut-être en obtenir une copie pour jeter un coup d'oeil à ce que notre étude a révélé et à certaines suggestions.
Désolée.
J'aimerais avoir une autre minute.
Vous demandez quelles sont les probabilités que cette situation se reproduise et survienne. Eh bien, laissez-moi vous dire qu'elle se produit en ce moment même.
J'entends tous les jours dire que les chrétiens, qui sont maintenant une minorité dans tous les pays arabes, se trouvent dans une situation aussi désespérée que celle que nous avons connue. En fait, ils disaient toujours qu'après le samedi vient le dimanche.
J'en ai entendu parler. Ils communiquent constamment avec moi et me disent que leurs familles se trouvent dans des situations désespérées, qu'ils sont toujours en Irak, qu'ils sont toujours ici et qu'eux sont toujours là-bas. Alors, l'histoire se répète, et la communauté internationale doit maintenant agir. C'est ce qui se produit.
Je vais faire une courte observation, puis vous demander de la commenter.
Monsieur le président, lors des deux ou trois dernières séances, nous avons eu une occasion extraordinaire d'entendre la véritable expérience vécue non seulement par des communautés, mais aussi par des personnes dont la vie a été terriblement touchée par les politiques de l'ensemble du Moyen-Orient, par la montée du nationalisme et par la xénophobie, qui comprend l'antisémitisme et qui exclut toutes les autres formes. Les dangers et les risques liés à l'extrémisme — non seulement au Moyen-Orient, mais partout dans le monde — sont constamment sous nos yeux.
Nous avons également entendu parler de l'importance pour le groupe, les députés et la Chambre des communes, de comprendre la nature de l'expérience historique et de ce qui s'est réellement produit, car je crois que les Canadiens doivent connaître l'histoire. Vous êtes nos compatriotes, et nous devons être en mesure de communiquer cette histoire aux gens.
Monsieur le président, permettez-moi d'ajouter que je viens de me rappeler que le rabbin Hillel se trouvait en Irak; il était à Babylone. Évidemment, il compte parmi les docteurs de la loi juive les plus connus qui a posé les trois fameuses questions. N'est-ce pas? Vous avez posé vos trois questions. Il avait ses trois questions: « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera? Et si je ne suis que pour moi, qui suis-je? Et si ce n'est pas maintenant, ce sera quand? »
Il me semble que les témoins qui ont comparu exigeaient que nous nous posions les mêmes questions et que nous respections l'importance accordée au fait que la communauté juive s'exprime et récupère sa mémoire historique. Ce n'est pas inhabituel.
J'ai demandé plus tôt pourquoi il a fallu autant de temps pour que les récits soient racontés, et je crois, en fait, que c'est tout à fait naturel. Il faut plusieurs générations pour bien comprendre les répercussions de l'Holocauste, et nous tentons toujours de faire face aux répercussions de l'Holocauste.
Je suis certain que la deuxième Nakba — celle des juifs et celle vécue par les gens qui sont partis — est celle qui a été effacée. Les gens ont tourné la page et gagné leur vie, que ce soit en Israël ou ailleurs. Au fil du temps, ils ont eu l'occasion de raconter leur histoire.
On devrait rappeler aux gens que le Moyen-Orient est, en fait, un endroit très complexe. Personne ne devrait prétendre que le Moyen-Orient est une seule entité. Il a évidemment un fort contexte historique arabe et musulman, mais il a aussi un contexte historique chrétien qui est lié non pas aux chrétiens qui viennent de l'Europe de l'Ouest, mais à ceux qui ont vécu au Moyen-Orient et qui y sont depuis des milliers d'années. C'est également le cas des juifs. Ils ne sont pas soudainement apparus de nulle part. Ils se trouvaient au Moyen-Orient depuis des milliers d'années. Ils y vivaient.
Ce sont ces histoires que nous devons entendre. Je crois que le comité doit tenir compte de ce que nous faisons et de la façon dont nous nous assurons d'accorder la reconnaissance appropriée pour montrer que nous comprenons la vitalité et la pertinence de cette expérience.
J'aimerais remercier personnellement les deux témoins. Je sais que, si mon collègue, M. Cotler, était ici, il aimerait également vous remercier. Il a aidé à mener la lutte en définissant la question pour les Canadiens, et je tiens à m'assurer que vous savez que nous comprenons ce que vous dites. Comme M. Martin l'a dit, un réfugié est un réfugié.
Par ailleurs, il nous importe de comprendre l'unicité de l'expérience de chaque réfugié. La situation palestinienne est unique en soi, et l'expérience est unique en elle-même. Nous devons comprendre les différents éléments qui la composent, et je crois que vos témoignages aujourd'hui sont extrêmement utiles.
J'espère que vous trouvez que vous avez été en mesure de nous présenter les faits tels qu'ils sont et de nous raconter une histoire qu'un grand nombre d'entre nous n'auraient ni connue ni comprise autrement. Je crois qu'il est très important pour nous de vous remercier pour cela.
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