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FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 012 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 12 février 2014

[Enregistrement électronique]

(1535)

[Français]

    Bienvenue à la 12e réunion du Comité permanent de la condition féminine. Les troubles de l'alimentation chez les filles et les femmes sont le sujet à l'étude.
    J'aimerais informer les membres du comité qu'il a été convenu de modifier la façon d'organiser nos réunions avec les témoins. Dorénavant, nous allons accueillir des témoins de quatre organisations pour une durée de deux heures, ce qui va nous permettre de disposer de plus de temps pour les périodes de questions et de favoriser les échanges. Il a été impossible d'appliquer ce changement à la réunion d'aujourd'hui, étant donné que les salles de vidéoconférence et les témoins n'étaient pas disponibles, mais ce sera en vigueur à compter du 24 février 2014.
    J'aimerais également faire une mise à jour sur les témoins. Le processus d'invitation des témoins se déroule bien. Seules deux organisations ont refusé notre invitation, et ce, pour des raisons de disponibilité. Il s'agit de la Commission de la santé mentale du Canada et de l'Institut canadien d'information sur la santé. Ces organisations ont choisi toutefois de présenter un mémoire au comité, ce qui pourra contribuer à notre étude.
    Aujourd'hui, au cours de la première heure, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Noelle Martin, présidente et professeure au Brescia University College, qui est affilié à l'Université Western Ontario, ainsi que Mme Joanna Anderson, directrice exécutive de l'organisme Sheena's Place.
    Je vous remercie d'être parmi nous. Vous disposez chacune de 10 minutes pour livrer votre présentation.
    Nous allons commencer par Mme Noelle Martin.

[Traduction]

    Je vous remercie, madame la présidente et chers membres du comité, de m'avoir invitée à comparaître devant vous aujourd'hui. C'est vraiment un honneur pour moi.
    Je suis Noelle Martin, diététiste en pratique privée et professeure à temps partiel au Brescia University College de l'Université Western, à London.
    Dans le cadre de ma pratique privée, j'ai travaillé avec des gens de tous âges. Toutefois, depuis un certain temps, je ne vois que des clients d'âge universitaire. Je m'intéresse aux troubles de l'alimentation depuis plus de 20 ans, et je travaille directement à titre de diététiste avec des personnes atteintes de ces troubles depuis sept ans. Je crois que j'en ai appris autant au contact de mes clients qu'en lisant des articles et des livres, assistant à des conférences et visitant des centres de traitement.
    Dans le monde des troubles de l'alimentation, on parle souvent de « la petite voix ». Je parle de cette petite voix intérieure qui dit à une personne atteinte d'anorexie mentale qu'il serait tellement mieux pour elle de réduire encore un tout petit peu sa consommation d'aliments ou d'avoir le ventre un tout petit peu plus plat. Le problème, c'est que cette petite voix n'est jamais satisfaite; il faut toujours aller un peu plus loin, même si c'est fatal. De toutes les maladies mentales, c'est l'anorexie mentale qui présente le taux de mortalité le plus élevé. On estime que 10 % de ceux chez qui l'anorexie mentale est diagnostiquée meurent dans les 10 ans suivant le diagnostic.
    Pour une personne souffrant de boulimie mentale, la petite voix punit la consommation d'aliments après une période de restriction, entraînant une purge au moyen de vomissements ou d'exercice physique. Quand on vomit ou qu'on fait de l'exercice, le corps produit des endorphines. Les personnes souffrant de boulimie mentale passent par un processus de bourrage et d'évacuation. Le « bourrage » est la phase d'alimentation frénétique, et l'« évacuation » est le vomissement ou l'exercice qui s'ensuit. Les endorphines ainsi produites dans le cerveau ont un effet calmant sur la personne, qui, pendant un instant, sent que tout va bien. Il peut arriver que la phase d'alimentation frénétique disparaisse graduellement et que la personne ne fasse que se purger encore et encore, puisque le cerveau s'habitue et a donc besoin de toujours plus d'endorphines.
    Dans les programmes de prévention des troubles de l'alimentation, on essaie de faire taire la petite voix. En thérapie, on tente d'amener le client à faire parler sa propre voix plus fort que celle de la maladie.
    Comme d'autres témoins vous l'ont peut-être dit, les troubles de l'alimentation découlent de multiples facteurs. Ce sont des troubles mentaux liés à la relation de la personne avec son corps, la nourriture et d'autres éléments. Nous savons qu'il existe souvent un facteur génétique que je qualifie souvent de « bombe à retardement ». Il y a aussi des facteurs sociaux, culturels et environnementaux qui peuvent permettre au gène de s'exprimer, par exemple des commentaires de la part d'un parent, d'un ami, d'un entraîneur ou d'un enseignant qui déclenchent quelque chose dans l'esprit de la personne. Ce pourrait tout aussi bien être un article dans une revue, une publicité ou le contenu d'un film ou d'une émission de télé. Ce peut être très évident ou encore extrêmement subtil.
    On ne peut réduire les causes des troubles de l'alimentation à un seul facteur. Par conséquent, il faut que les stratégie de prévention aient différents volets.
    Ce que nous savons et comment nous agissons à l'égard d'autres maladies peuvent nous aider à prévenir, à enrayer et à traiter les troubles de l'alimentation.
    Par exemple, dans la stratégie de lutte contre le cancer, si on s'en tenait à cibler le tabagisme, on ne réussirait qu'à sensibiliser la population au lien entre la cigarette et le cancer. Au lieu de cela, on voit des programmes qui ciblent diverses causes à l'origine du cancer, de même que différentes stratégies de prévention. Nous devons faire la même chose dans le cas des troubles de l'alimentation. Les cancers ne sont pas toujours causés par le même facteur; il en va de même pour les troubles de l'alimentation.
    De plus, quand une personne a le cancer, on ne lui dit pas que c'est « seulement dans sa tête » et qu'elle devrait « tout simplement arrêter »; on l'incite plutôt à poursuivre les traitements et on lui offre de l'aide. Pourtant, les personnes qui souffrent de troubles de l'alimentation entendent parfois des commentaires de ce genre. Il faut avoir la même réaction et la même attitude par rapport aux troubles de l'alimentation que par rapport aux autres maladies.
    En ce qui concerne les traitements, comme pour toutes les maladies — ou du moins pour la plupart —, c'est le patient qui choisit la voie à suivre. C'est la même chose dans le cas des troubles de l'alimentation.
    Les personnes atteintes d'un cancer ont plusieurs possibilités, comme l'intervention chirurgicale, la chimiothérapie, la radiothérapie, etc. On encourage le patient à vaincre la maladie dans la mesure du possible. Pour les gens atteints de troubles de l'alimentation, le choix est difficile. Il est dur pour eux de prendre conscience que la maladie est en train de les tuer, puisqu'elle leur donne, du moins au début, une impression de contrôle. La perte de contrôle qui s'ensuit peut les plonger dans le désespoir et les laisser sans ressources pour trouver la voie à suivre.
(1540)
    La petite voix parle parfois si fort que c'est elle qui prend toutes les décisions, y compris la décision de vivre plus longtemps et en bonne santé. Ça brise le coeur de voir les personnes atteintes livrer cette bataille interne. J'ai parlé des facteurs multiples qui causent les troubles de l'alimentation. Les stratégies de prévention ne doivent pas se limiter aux personnes à risque; elle doivent cibler aussi les parents, les entraîneurs et les enseignants. C'est essentiel.
    On peut par exemple montrer aux parents comment parler à leurs enfants de manière positive de la croissance du corps, des différences normales entre les types de corps, de l'importance de bien nourrir leur corps. De plus, en tant que société, nous devons améliorer notre relation avec la nourriture. Par exemple, au lieu de mettre les « bons » aliments d'un côté et les « mauvais » de l'autre, on peut choisir plus souvent des aliments nutritifs et limiter les gâteries. Dire quelque chose comme « J'ai été très vilaine aujourd'hui, j'ai mangé un brownie » donne l'impression qu'on est une bonne ou une mauvaise personne selon ce qu'on mange. Ce n'est pas un message positif ni pour nous, ni pour la génération suivante. À cause de l'attention qu'on porte au rejet de l'obésité au Canada, des femmes et des jeunes filles qui ont un poids santé ont l'impression qu'elles doivent perdre du poids, et c'est regrettable.
    Il faut que les messages sur l'obésité soient accompagnés de messages favorisant le maintien d'un poids santé et renforçant l'idée qu'il faut se nourrir pour être en santé. J'adorerais voir des campagnes dans lesquelles on arrêterait de parler de grosseur. Je veux parler de phrases comme « Je me sens grosse aujourd'hui. » La grosseur, ce n'est pas un sentiment. Les personnes qui affirment se sentir grosses veulent vraiment dire qu'elles vivent une émotion négative. On devrait se demander quelle est cette émotion. La peur? La tristesse? La colère? La frustration? Quand on met le doigt sur la véritable émotion, on peut aller chercher ce qu'il y a en-dessous. Apprendre à mieux vivre ses émotions réduit l'incidence de toutes les maladies mentales, y compris des troubles de l'alimentation.
    Enfin, il faut envoyer à la génération suivante le même message que nous demandons aux parents, aux entraîneurs et aux enseignants de véhiculer à propos de la croissance du corps et des différences normales entre les types de corps. De plus, il faut enlever aux régimes leur côté à la mode et glamour. De plus en plus de jeunes sont conscients des dangers liés au tabagisme et à la conduite avec facultés affaiblies. Ces régimes à la mode comportent aussi leur lot de danger, puisqu'ils peuvent entraîner des troubles de l'alimentation. Il faut donc surveiller cela.
    Je pourrais continuer sur le sujet pendant des heures. Je vous remercie de m'avoir accordé de votre temps cet après-midi. Je suis très heureuse de voir que votre comité accorde une telle attention aux troubles de l'alimentation. Vos travaux sont utiles et pourront sauver des vies. Je répondrai avec plaisir aux questions que vous pourriez avoir sur mon intervention ou sur les troubles de l'alimentation en général.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Je laisse maintenant la parole à Mme Anderson, qui dispose de 10 minutes.
    Bonjour. Je suis heureuse de pouvoir vous parler de cet important dossier.
    Je m'appelle Joanna Anderson. Je suis une travailleuse sociale en clinique spécialiste du traitement des troubles de l'alimentation, et je suis directrice exécutive de Sheena's Place, un organisme à but non lucratif de Toronto qui offre des ressources et du soutien aux personnes aux prises avec des troubles de l'alimentation. Je vous félicite de souligner que les troubles de l'alimentation représentent un problème répandu au Canada auquel il faut s'attaquer sans tarder.
    Je vais vous parler aujourd'hui de la réalité des troubles de l'alimentation, une réalité à laquelle je suis confrontée chaque jour. En 2013, Sheena's Place a été le premier endroit où ont téléphoné des centaines de personnes à la recherche d'aide, de ressources ou de soutien pour elles-mêmes ou pour un être cher, comme un élève, un client ou un patient. Au total, 1 100 personnes se sont inscrites à l'un de nos groupes de soutien animés par un professionnel. De plus, quelque 22 000 personnes ont visité notre site Web pour obtenir des renseignements et des ressources sur les troubles de l'alimentation.
    Nous savons pourtant qu'il ne s'agit là que d'une fraction de la population qui a désespérément besoin d'aide. Seulement à Toronto, environ 170 000 femmes et 75 000 hommes vont être aux prises avec des problèmes d'anorexie, de boulimie ou de frénésie alimentaire au cours de leur vie.
    Voici ce que j'ai appris au sujet des troubles de l'alimentation dans le cadre de mon travail au sein du programme des troubles de l’alimentation de l’Hôpital général de Toronto et de l’Hôpital des enfants de Toronto, et maintenant en tant que directrice exécutive de Sheena's Place.
    Premièrement, les troubles de l'alimentation sont incroyablement mal compris. Il ne s'agit pas de régimes ayant mal tourné, ce que l'on voit beaucoup chez les jeunes femmes aisées. Ces troubles touchent des femmes comme des hommes, des adolescents comme des aînés, et peuvent survenir à tout moment de la vie. Trente-trois pour cent des clients de Sheena's Place ont plus de 40 ans, et 36 % sont aux prises avec leur trouble de l'alimentation depuis plus de 20 ans. Les données montrent que 30 % des jeunes filles de 10 à 14 ans et 80 % des jeunes femmes de 18 ans suivent un régime pour perdre du poids, même si elles ont un poids santé. L'exclusion sociale et l'incompréhension associées aux troubles de l'alimentation empêchent ceux qui en souffrent d'aller chercher de l'aide ou de suivre un traitement.
    Deuxièmement, l'approche actuelle préconisée par nos écoles, nos gouvernements et nos établissements de soins de santé est profondément erronée. Les personnes atteintes de troubles de l'alimentation n'ont pas besoin de cours de nutrition. Les approches basées sur le mode de vie ne font rien pour régler le problème.
    Voici un exemple. Quand j'étais à l'Hôpital des enfants, j'ai travaillé avec un jeune garçon de 13 ans qui avait été hospitalisé après que quelqu'un soit allé à son école pour parler aux jeunes de saines habitudes alimentaires. Cette personne avait dit aux enfants que le gras était mauvais, qu'il fallait éliminer le gras de l'alimentation. Six semaines plus tard, ce garçon s'est retrouvé dans un centre de soins médicaux tertiaires, branché sur un moniteur cardiaque, parce qu'il avait perdu trop de poids à cause du message qu'il avait reçu.
    La leçon qu'il faut tirer, c'est que les troubles de l'alimentation sont le produit de déterminants génétiques, biologiques, psychologiques, sociaux et sociétaux profondément ancrés. Les cours de nutrition ne sont pas la solution.
    Troisièmement, la vie avec un trouble de l'alimentation, c'est une vie de souffrances pour la personne en cause, sa famille et son réseau social. Une femme dans un de nos groupes de soutien a expliqué que les troubles de l'alimentation sont sources de douleurs incessantes, de haine de soi, d'isolement, de tristesse, de faim, de dégoût et de mépris de soi. Nos clients nous racontent que c'est la première chose qui leur vient en tête lorsqu'ils se réveillent le matin, et la dernière avant de s'endormir le soir.
    Les troubles de l'alimentation ont des effets débilitants. Nombre de nos clients doivent compter sur leur famille, un conjoint ou des prestations d'assurance invalidité ou d'assurance-emploi. Beaucoup sont incapables de travailler et ont été hospitalisés régulièrement pendant des années. Ces troubles ont des conséquences physiques et psychosociales. Seulement 44 % des clients de Sheena's Place ont un revenu suffisant pour subvenir à leurs besoins.
    Quatrièmement, Sheena's Place comble un vide sur le plan des services. Il y a un manque criant de ressources liées aux troubles de l'alimentation. Le système canadien actuel ne fonctionne pas. Les personnes souffrant de cette maladie débilitante n'ont pas accès à des soins appropriés en temps opportun. Elles, leur famille, leurs enseignants et même leurs médecins ignorent bien souvent les critères de diagnostic, les possibilités de traitement et les ressources qui s'offrent à eux.
    De nos clients, 60 % ne reçoivent actuellement aucun autre traitement ou service, et 40 % n'avaient jamais reçu de traitement ou de service auparavant. Malgré le manque de traitements et de services offerts à nos clients, nous savons que notre clientèle est hautement diagnostiquée: 17 % de nos clients ont reçu un diagnostic d'anorexie, 24 % de boulimie mentale, et 30 % de frénésie alimentaire. Dans une proportion ahurissante de 88 %, nos clients souffrent d'une ou de plusieurs maladies concomitantes, les plus courantes étant la dépression, l'anxiété et d'autres troubles liés à un traumatisme.
(1545)
    Pour bien des gens, Sheena's Place est le seul endroit où obtenir des services. Nous offrons une aide tangible à des personnes pour qui les ressources sont limitées, voire inexistantes. Pourtant, nous devons être constamment en campagne de financement pour continuer d'offrir une aide gratuite et immédiate aux personnes atteintes de troubles de l'alimentation. Quand nous offrons des traitements qui fonctionnent, les groupes se remplissent et des listes d'attente se forment dans les heures qui suivent l'ouverture des inscriptions. Nous savons que les seules autres possibilités sont des traitements dans le secteur privé qui coûtent des milliers de dollars, ce que la plupart de nos clients ne peuvent payer, ou encore attendre des mois pour obtenir une des rares places dans le secteur public.
    En l'absence d'une stratégie nationale, les personnes touchées sont laissées à elles-mêmes. De la minorité de nos clients qui reçoivent actuellement d'autres services, 82 % paient pour une thérapie individuelle dans le secteur privé. Nous savons que la détection et le traitement rapides de la maladie améliorent grandement les pronostics. Les délais d'attente ont des effets importants sur la capacité des gens à se remettre. Une jeune Ontarienne a récemment dû se tourner vers le sociofinancement pour obtenir les 60 000 $ dont elle avait besoin pour traiter le trouble de l'alimentation qui mettait sa vie en danger. Cet exemple nous montre que bien souvent nos clients ne peuvent pas se permettre d'attendre 18 mois avant de recevoir des traitements.
    Nous aidons les personnes concernées à se retrouver dans la panoplie de services publics et privés offerts. Nos clients nous disent souvent qu'il leur faut des années pour apprendre à connaître tous les différents traitements des troubles de l'alimentation. Le réseau informel, dont nous faisons partie, manque de structure, de financement et de coordination. Aider financièrement des organisations comme la nôtre contribuerait à bâtir une base d'information centralisée pour renseigner les gens sur les traitements et les systèmes de soutien qui s'offrent à eux. La collaboration entre les organisations qui oeuvrent sur le terrain s'en trouverait également améliorée.
    Voici un extrait d'une lettre d'un de nos clients, qui montre bien les problèmes et les lacunes de notre système actuel. Il s'agit de la mère d'un garçon de 10 ans, qui participe à un de nos groupes de soutien aux mères.

Pendant les séances hebdomadaires de 90 minutes, je me sens écoutée, comprise et accompagnée. Je ressens l'espoir des autres mères et leur bravoure, leur débrouillardise et leur intelligence me réconfortent. Je reçois de véritables conseils et de bons renseignements sur une maladie que notre système de soins de santé complexe et manquant de ressources a de la difficulté à cibler.
    Nous sommes fiers des services que nous offrons, tout en étant parfaitement conscients que nos efforts pour combler les lacunes dans le domaine du traitement des troubles de l'alimentation n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan. Il est clair que nous avons besoin d'un registre national des personnes atteintes de troubles de l'alimentation afin que nous puissions suivre leur progression. Nous avons besoin d'une stratégie de recherche financée à l'échelle nationale, d'une formation adéquate et de transfert des connaissances, sans parler d'une campagne nationale de sensibilisation.
    Sheena's Place s'emploie à atténuer la stigmatisation, à sensibiliser le public et à renseigner les gens sur les ressources et les services qui leur sont offerts. Nous sommes le premier point de contact pour les médias ainsi que pour les enseignants, les parents et les travailleurs sociaux qui s'inquiètent. Chaque jour, on nous demande de faire des présentations à des écoles secondaires, des universités et des organismes publics sur les troubles de l'alimentation et les préoccupations liées au poids. Comme nous sommes une petite organisation qui ne reçoit aucun financement public, nous ne pouvons accéder à toutes ces demandes. Nous avons désespérément besoin d'une campagne médiatique nationale pour que le public sache que les troubles de l'alimentation sont un problème de santé mentale très grave. Il faut changer le discours ambiant erroné à propos des troubles de l'alimentation et de ce qu'est un corps en santé.
    Les centres de soutien et de ressources comme le nôtre ont besoin d'aide financière. Sheena's Place s'efforce de fournir des soins et de l'information à toutes les étapes du processus de guérison. Et nous savons qu'avec le bon traitement, nos clients peuvent guérir. Nos services sont précieux et sauvent des vies, mais nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour élargir et renforcer notre gamme de services. Pourtant, la situation actuelle l'exigerait.
    Les troubles de l'alimentation sont des troubles mentaux très dangereux qui sont mal compris et dont la gravité est minimisée. Les services sociaux et de santé que nous offrons ne suffisent pas pour les traiter. Avec un financement stable, Sheena's Place pourrait élargir ses programmes novateurs afin de prévenir l'apparition des troubles de l'alimentation, fournir des services aux populations mal servies ou isolées et aider ses clients à combattre la discrimination systématique dont ils sont l'objet.
(1550)
    Je vous félicite d'avoir entrepris cette étude et je suis heureuse de prendre part à la conversation. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
    Merci.
    Merci beaucoup à toutes les deux pour vos témoignages.
    Nous passons maintenant à la première ronde de questions.
    Madame Truppe, vous avez sept minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Merci à vous deux pour vos exposés.
    Madame Martin, merci d'être ici. Je connais très bien Brescia. Je suis fière de représenter la circonscription, London-Centre-Nord, où se trouve la seule université pour femmes de tout le Canada. Je sais que votre directrice pense énormément de bien des travaux que vous avez menés sur les troubles de l'alimentation.
    Mme Noelle Martin: Merci.
    Mme Susan Truppe: Je crois vous avoir entendu dire que vous vous intéressez aux troubles de l'alimentation depuis une vingtaine d'années. Pendant ces 20 ans, avez-vous pris note de pratiques exemplaires?
    Au début, mon intérêt a été piqué par les médias. Je me souviens d'avoir vu une émission de télé quand j'étais jeune et de m'être demandé ce qui était en train de se passer, ce que j'étais en train de voir.
    J'en ai immédiatement parlé à mes parents. Je suis enfant unique, et nous parlons beaucoup à la maison. Mes parents m'ont beaucoup aidé à commencer à me renseigner sur le sujet. Voilà comment mon intérêt s'est manifesté. Je dirais que c'est vraiment là que mes recherches ont commencé.
    La première chose que j'ai retenue, c'est la quantité de préjugés. Quand j'ai commencé à travailler concrètement avec des personnes souffrant de troubles de l'alimentation, j'ai vraiment compris la différence entre leur réalité et les préjugés.
    Pour ce qui et des pratiques exemplaires, je crois que le principal élément est qu'il faut éviter de placer tous ceux qui souffrent d'un trouble de l'alimentation ou qui sont à risque dans une seule catégorie. Il ne faut pas oublier que certains des préjugés entretenus par la société sont vrais, comme tous les stéréotypes, mais il faut traiter chaque personne comme un cas individuel et écouter son histoire.
(1555)
    Merci.
    Vous travaillez au collège Brescia, où il n'y a que des filles. Avez-vous eu des cas de troubles de l'alimentation chez certaines étudiantes?
    Certainement. En plus de donner des cours, j'offre des services de counseling aux étudiantes. J'en vois beaucoup qui souffrent de troubles de l'alimentation, tant dans ma salle de classe que dans mon bureau de counseling. Fait intéressant, plusieurs d'entre elles sont inscrites au programme de nutrition. Leur intérêt pour la santé, l'alimentation et la nutrition peut parfois toucher à l'obsession.
    Comme le disait Mme Anderson, la première chose à laquelle les personnes atteintes pensent en se réveillant, c'est leur trouble de l'alimentation. C'est une torture constante. Peut-être que, pour elles, en savoir plus sur leur condition serait un moyen de s'en libérer.
    Donc, pour répondre à votre question, dans une école fréquentée seulement par des femmes et des filles, on voit effectivement de nombreux cas de troubles de l'alimentation.
    Mais comment leur venez-vous en aide? Nous avons souvent entendu que la famille joue un rôle très actif dans de tels cas. Bon nombre des étudiantes viennent d'ailleurs au pays, voire même de l'étranger, et leur famille n'est donc pas présente pour les aider. Comment les aidez-vous? Avez-vous mis sur pied une campagne de sensibilisation au collège Brescia ou à l'Université Western pour que les filles qui n'ont pas de problème soient au courant de la gravité de la maladie et ne finissent pas par en souffrir elles aussi?
    Mme Noelle Martin: Tout à fait.
    Mme Susan Truppe: Pourriez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet?
    Bien sûr.
    Il y a plusieurs aspects. Il y a le counseling individuel, payé par le conseil étudiant de l'université, qui permet à des étudiantes de nous rencontrer, ma collègue ou moi. L'accès est libre. Les filles peuvent donc venir nous voir chaque semaine et nous parler pendant une demi-heure ou une heure. L'accès constant est un élément clé: les services sont offerts toute l'année civile, pas seulement pendant l'année scolaire. La communication peut se faire par téléphone — pendant l'été, par exemple — et nous pouvons aussi référer les étudiantes à un diététiste de leur région, si elles le souhaitent.
    En ce qui concerne le soutien familial, nous incitons la mère, le père, le frère, la soeur, le conjoint ou peu importe qui d'autre à assister aux séances, lorsque le moment est approprié pour la cliente. Dans ces situations, je me considère un peu comme une animatrice. Parfois, certaines conversations sont difficiles à tenir à la maison. Un environnement professionnel peut faciliter les choses, tout en donnant à la personne un sentiment de sécurité.
    Je travaille aussi étroitement avec Hope's Garden. Nous avons mis sur pied des programmes de sensibilisation et des thérapies de groupe sur le campus. C'est un autre service offert aux étudiantes.
    Merci. J'allais justement vous poser une question sur Hope's Garden. Je crois que vous en avez été la directrice exécutive pendant plusieurs années.
    J'étais chef de la direction, c'est exact.
    Pouvez-vous nous parler de certains des programmes que vous avez offerts aux personnes atteintes de troubles de l'alimentation? Quel était le programme le plus efficace et le plus utile, selon vous?
    Celui que nous avons mis en place à l'université a eu un énorme impact, c'est certain, parce qu'il est offert directement sur le campus et que nous avons eu l'aide financière du conseil étudiant. C'est vraiment formidable.
    Deux autres me viennent en tête. Le premier est l'art-thérapie. Nous avons eu la chance d'avoir une art-thérapeute qui faisait du bénévolat pour nous. Son programme était, et est toujours, très solide.
    Le deuxième est le groupe des amis et des membres de la famille, parce qu'il vient combler un certain vide. Comme les troubles de l'alimentation reçoivent un peu plus d'attention, on voit que l'accès s'améliore un peu. Il reste certainement beaucoup de chemin à parcourir en ce qui concerne les personnes atteintes, mais le soutien aux familles et aux amis n'est tout simplement pas là. Bien souvent, les parents ne savent pas quoi dire. Ils ont l'impression d'avoir perdu leur fils ou leur fille et ils ne savent pas comment réagir. Discuter avec d'autres proches de personnes souffrant de troubles de l'alimentation peut leur redonner espoir.
(1600)
    Madame Anderson, je serai très brève. Je crois que vous avez dit qu'il y a 30 % de cas de frénésie alimentaire et quelque chose comme 17 % d'anorexie. Est-ce exact? Ces pourcentages me semblent élevés.
    Ce sont des pourcentages de nos clients.
    Pardon?
    Je veux dire que ce sont des pourcentages des clients de Sheena's Place, pas de la population en général.
    Oui, je comprends, mais je suis surprise d'apprendre qu'il y a plus de cas de frénésie alimentaire que d'anorexie. C'est la première fois que j'entends cela.
    Est-ce que mon temps est écoulé?
    Oui.
    Bon, merci beaucoup.
    Merci beaucoup.

[Français]

    Madame Ashton, vous disposez de sept minutes.

[Traduction]

    Merci beaucoup. Je vais partager le temps qui m'est alloué avec ma collègue, Mme Sellah.
    Madame Anderson et madame Martin, merci à vous deux d'être ici aujourd'hui pour nous faire part de votre expérience et de vos recommandations dans ce dossier capital.
    Madame Anderson, je vais commencer avec vous. Notre comité a appris que les personnes souffrant de troubles de l'alimentation font l'objet d'une discrimination systémique dans notre système de santé. Des gens comme le Dr Blake Woodside nous ont dit qu'il y avait souvent 10 lits seulement et une liste d'attente de six mois à l'Hôpital général de Toronto pour les patients atteints de troubles de l'alimentation. Vous avez aussi abordé la question des listes d'attente.
    Pourriez-vous nous parler de la nature systémique du problème? C'est souvent un élément de discussion qui est passé sous silence.
    Certainement. Je crois que votre comité aborde les questions liées aux femmes et aux filles, mais les troubles de l'alimentation touchent aussi les garçons. Puisque nous parlons des femmes et des filles, on peut dire que la maladie est perçue comme ne touchant que des filles riches et superficielles et n'est pas associée à un grave trouble mental. C'est un des problèmes.
    Je vais vous raconter ce qui est arrivé à une de mes clientes. Elle avait des douleurs thoraciques, et j'avais peur pour elle. Je l'ai accompagnée à l'urgence. Je l'ai fait parce que je savais qu'elle serait vraiment mal traitée à l'urgence. Quand j'ai dit à l'urgentologue qu'elle avait été une de mes patientes à l'Hôpital des enfants et qu'elle souffrait d'un trouble de l'alimentation depuis des années, il m'a répondu de lui dire qu'il y avait une liste d'attente de six mois, puis ne l'a pas traitée avec le même respect que quelqu'un qui aurait seulement eu des douleurs thoraciques, sans trouble de l'alimentation.
    Donc, je crois que nos clients font l'objet de discrimination parce que ces troubles sont perçus comme étant quelque chose que les gens s'infligent eux-mêmes, comme les résultats de mauvais choix. De notre côté, nous essayons de faire comprendre au comité et au public qu'il s'agit d'une maladie mentale qui découle de facteurs génétiques et biologiques.
    Merci beaucoup.
    J'ai une question complémentaire. Je serai brève parce que je veux laisser du temps à ma collègue.
    Vous avez dit qu'il y a aussi des garçons et des hommes qui sont aux prises avec des troubles de l'alimentation. Si on s'en tient aux femmes, je me demandais si, dans votre travail, vous voyez des femmes qui ont des problèmes d'argent ou de garde d'enfants lorsqu'elles viennent chercher de l'aide.
    Je crois que c'est un des aspects qui différencient les femmes des hommes qui souffrent de troubles de l'alimentation. Comme le Dr Woodside l'a souligné, les bons traitements durent de neuf à douze mois. Si vous êtes une femme, que faites-vous de vos enfants pendant ce temps? Qui va s'en occuper? Où est le soutien social et économique qui vous permet de laisser votre emploi ou de quitter l'école pour aller suivre un traitement?
    Merci.

[Français]

    Je remercie les témoins qui sont présents aujourd'hui de nous éclairer encore davantage sur les troubles alimentaires.
    Je peux vous dire, de prime abord, qu'en tant que professionnelle de la santé, je connais un peu les troubles alimentaires. Toutefois, j'aimerais faire appel à votre expérience, madame Martin, en vous posant la question suivante.
     Je sais que la plupart du temps, les troubles alimentaires proviennent d'un déséquilibre ou d'une relation entre le corps et l'alimentation, mais ce n'est pas le seul facteur. Comme on le sait, c'est assez complexe.
    Dans votre domaine, quel facteur semble, plus que tous les autres, être à l'origine des troubles de l'alimentation?
(1605)

[Traduction]

    Excellente question. Je crois fermement que chaque cas est différent, mais si je devais choisir un seul facteur, je dirais que c'est l'attitude et les préjugés de la société qui se transmettent de génération en génération.
    Du point de vue de la génétique et de la biologie, on sait tous que les gènes peuvent s'exprimer ou non, en fonction de facteurs environnementaux et sociaux, entre autres, et du type de gène dont il est question. Je crois donc qu'en changeant notre attitude sociétale à plusieurs égards, nous pouvons contribuer à la lutte contre de nombreuses maladies mentales, y compris les troubles de l'alimentation.

[Français]

    Je vous remercie de votre réponse.
    Est-ce qu'il me reste du temps, madame la présidente?
    Oui, il vous reste presque deux minutes.
    Très bien.
    Mis à part la pression médiatique et sociale que vous venez de mentionner, que pourrait faire le gouvernement fédéral pour contribuer à atténuer ces troubles?

[Traduction]

    Je pense qu'une aide financière du fédéral serait la bienvenue dans tous les aspects de la lutte contre les troubles de l'alimentation. Pour ce qui est du côté médical, je crois comprendre que le financement devrait plutôt venir des provinces. Mais s'il était possible pour le gouvernement fédéral d'offrir du financement aux organismes qui ne font pas partie du réseau de santé, comme Hope's Garden ou Sheena's Place et bien d'autres encore un peu partout au pays, cela aurait un effet immense.
    Je sais que Hope's Garden — et c'est la même chose pour Sheena's Place, j'en suis sûre — dépend de bénévoles et de financement communautaire pour aider ceux qui souffrent de troubles de l'alimentation. Je crois que tout financement supplémentaire aiderait les organismes comme Hope's Garden et Sheena's Place à aider ces gens et à mener des campagnes de sensibilisation.

[Français]

    Merci.
    Madame Anderson, voulez-vous ajouter quelque chose?

[Traduction]

    Je seconde ce que vient de dire Mme Martin. J'ajouterais qu'il est essentiel de mener une campagne de sensibilisation nationale pour que les gens comprennent que les troubles de l'alimentation sont des maladies mentales aux taux de mortalité très élevés et qu'il n'est pas seulement question de jeunes filles superficielles et de régimes poussés à l'extrême. Il faut renseigner les gens sur ce qu'est la vraie nature des troubles de l'alimentation. On revient à ce que disait Mme Martin à propos du changement d'attitude de la société.
    Nous avons aussi besoin d'argent pour la recherche.
    Merci beaucoup.

[Français]

    Madame O'Neill Gordon, vous avez la parole pour sept minutes.

[Traduction]

    Je vous remercie, madame la présidente.
    Je vous remercie aussi, mesdames, de votre présence cet après-midi. Nous vous sommes reconnaissantes de prendre le temps de nous faire part de votre point de vue.
    Vous avez toutes les deux parlé notamment des parents, des enseignants, des entraîneurs et des travailleurs sociaux, qui, comme nous la savons tous, jouent un rôle très important dans la vie des gens. À votre avis, quels conseils ces gens devraient-ils recevoir et de quels outils ont-ils besoin pour aider leur prochain? Que devrait-on faire, surtout, pour que ces gens, qui sont très présents dans la vie des gens, comprennent bien leur rôle?
(1610)
    Il faut notamment faire comprendre aux entraîneurs qu'ils ont beaucoup d'influence, et que la moindre parole a beaucoup de poids sur les personnes qu'ils accompagnent ou qui font partie de leur équipe... La moindre parole peut avoir des conséquences.
    L'une de mes clientes avait le potentiel de devenir une excellente gymnaste, mais à cause des durs commentaires de son entraîneuse concernant son apparence physique, elle a décidé, sans demander l'avis d'une nutritionniste ou d'une diététiste que son équipe pouvait consulter, de faire des choix nutritionnels qui lui ont beaucoup nui. Elle a dû aller à l'hôpital à 9 ans. De 9 à 19 ans, elle y est souvent retournée. Elle a eu plusieurs fractures de la hanche, et toutes sortes d'autres problèmes médicaux. Tout ça à cause de quelques phrases prononcées dans sa jeunesse.
    Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Selon moi, il faut que les entraîneurs et les enseignants comprennent qu'ils doivent avoir les qualifications nécessaires pour conseiller leurs élèves, ou alors faire venir un diététiste ou un professionnel de la santé qui pourra employer les bons mots sans risquer de susciter un trouble de l'alimentation ou des habitudes alimentaires néfastes, comme la personne dont a parlé Mme Anderson et qui est allée parler à la classe du garçon de 13 ans.
    Ce que je trouve très inquiétant, c'est que nous, les employés de Sheena's Place, ne pouvons nous rendre que dans une école, un club sportif à la fois. Notre gestionnaire de programme est allée hier dans les locaux de l'organisme Elizabeth Fry pour rencontrer une femme qui sort de prison et qui a un grave trouble de l'alimentation. Les membres de l'organisme ne savaient pas comment l'aider.
    Il faut beaucoup de temps et de ressources. Comme il n'y a pas de campagne nationale de sensibilisation, Mme Martin, la Dre Pinhas et le Dr Woodside, à qui vous avez déjà parlé, doivent faire ce travail.
    Nous faisons tout ce qui est possible pour aider les gens de notre milieu, mais ce ne sont que des mesures individuelles. Selon moi, il faudrait lancer une campagne nationale, parce qu'on ne peut pas rencontrer individuellement les entraîneurs, les enseignants et les familles pour les sensibiliser à ce problème.
    Tout à fait. Et comme ces gens sont animés de bonnes intentions, ils ne savent pas que ce qu'ils disent pourrait faire du tort. Il faut donc qu'ils soient sensibilisés, car peu de gens connaissent bien les troubles de l'alimentation et savent ce qu'ils représentent pour les parents et les patients.
    J'étais déjà consciente du problème, mais ce sont les interventions des gens comme vous qui m'ont fait vraiment comprendre la gravité de la situation chez les jeunes filles.
    Les professionnels des troubles de l'alimentation se communiquent-ils entre eux les données scientifiques et mettent-ils suffisamment en commun leurs connaissances et leurs pratiques prometteuses? Que pourrions-nous faire pour accroître les connaissances et favoriser l'échange d'information pour que le savoir se diffuse?
    Je pose la question à qui voudra y répondre.
    Allez-y.
    À vrai dire, la communication n'est pas suffisante. Nous faisons de notre mieux pour collaborer avec les autres professionnels et mettre en commun nos connaissances.
    Mais il faut beaucoup d'argent pour organiser des conférences et faire des recherches. Je travaille à Sheena's Place depuis 2012 et nous ne faisons que commencer à consigner les données sur les clients et leur maladie. Lorsque je suis arrivée, personne ne pouvait me dire qui était anorexique ou boulimique parce que nous n'avions pas assez de fonds pour embaucher des employés pour recueillir les données.
    C'est donc tout au plus fragmentaire.
    Quant à moi, je... Désolée, allez-y.
    Non, j'allais seulement vous demander si vous aviez quelque chose à dire.
    J'allais dire que j'ai établi des liens avec plusieurs spécialistes nord-américains grâce aux congrès auxquels j'ai assisté et aux visites que j'ai pu faire dans les divers établissements de traitement des États-Unis.
    J'ai donc l'occasion de communiquer avec d'autres spécialistes, mais il pourrait certainement y avoir une meilleure communication, surtout au Canada, car la majorité des membres de la communauté d'internautes dont je fais partie sont Américains.
    Ce serait donc bien qu'on améliore la communication au Canada.
(1615)
    Je tiens à vous féliciter du travail que vous faites. J'ai surtout été très contente de vous entendre parler de ce que vous faites, des services d'aide par téléphone, des séances d'aide et des rencontres avec les parents.
    Pourriez-vous nous en dire davantage sur les soins après traitement et le suivi?
    Absolument. Avant d'intégrer le milieu universitaire, les gens pouvaient continuer à me voir aussi longtemps qu'ils le voulaient. Maintenant, les personnes que je rencontre à l'université ne peuvent venir me voir que pendant la période où ils y sont. Certains étudiants à la maîtrise et au doctorat continuent de venir nous consulter au cours de leur carrière universitaire.
    Je m'assure aussi de leur donner le nom d'au moins deux personnes-ressources dans leur milieu. Lorsqu'ils trouvent un emploi ou qu'ils retournent chez eux, j'essaie de leur donner le nom des personnes-ressources de leur région. J'essaie de leur donner au moins deux noms parce que la première personne que l'on consulte ne nous convient pas toujours.
    Je dois dire que mon rôle de diététiste n'est qu'un maillon d'une grande équipe. Les psychologues, les psychiatres et les médecins de famille doivent tous conjuguer leurs efforts pour véritablement soigner les malades.
    Merci beaucoup.

[Français]

    Je vais maintenant céder la parole à Mme Duncan pour sept minutes.

[Traduction]

    Je vous remercie, madame la présidente, et je vous remercie toutes les deux du travail que vous faites et de vos observations, aujourd'hui.
    Madame Anderson, je tiens à dire que vous avez formulé trois recommandations très précises: il faut lancer une campagne nationale de sensibilisation, créer un registre national et instaurer un programme national de recherche. Est-ce exact?
    Oui, tout à fait. Merci.
    Voilà donc trois recommandations pour le comité.
    Vous avez aussi parlé d'un quatrième aspect concernant la façon de communiquer l'information, pas seulement de mettre en commun les pratiques exemplaires, mais de recueillir des données scientifiques en un seul centre. Vous avez parlé d'une base de données ou d'un centre de renseignements. Pourrait-on recommander au comité qu'il y ait un centre national de renseignements sur les troubles de l'alimentation?
    Oui, ce serait selon moi une stratégie très efficace.
    Je vous remercie.
    Madame Anderson, vous avez parlé de traitements privés et de coûts. Pourriez-vous donner une idée au comité des traitements privés que les gens doivent payer? S'agit-il de services offerts par des psychiatres, des psychologues, des diététistes agréés? Pourriez-vous nous donner une idée du coût de chacun de ces services?
    Certainement.
    Les services de psychiatrie sont couverts par l'Assurance-santé de l'Ontario. Ces services sont couverts si vous trouvez un psychiatre et si vous réussissez à en trouver un qui soit prêt à s'occuper des troubles de l'alimentation. Comme il s'agit de longues maladies profondément enracinées, bien des psychiatres ne veulent pas prendre de patients ayant des troubles de l'alimentation. Les psychiatres considèrent ces patients comme des personnes à haut risque — leur taux de mortalité étant très élevé —, qui exigent des soins à très long terme.
    C'était le premier aspect.
    Par ailleurs, les psychologues demandent plus de 200 $ par séance au Canada. J'ai moi-même une pratique privée et je suis des patients. Je demande 150 $ l'heure. Ces services coûtent donc 600 $ par mois à raison d'une séance par semaine; or, ce n'est pas suffisant lorsqu'on est en crise. Une heure de consultation par semaine ne suffit pas.
    Les clients ont souvent besoin de consulter des diététistes. Mme Martin serait mieux en mesure que moi de parler des honoraires. Mais, comme elle a dit, il faut l'aide d'une équipe. Nous savons que les troubles de l'alimentation sont des troubles concomitants de l'anxiété, de la dépression et, souvent, des traumatismes. Il n'y a pas de médicaments qui permettent de traiter ces troubles — il faut bien manger —, mais on peut utiliser la médication pour contrôler les symptômes concomitants.
    Les gens ont donc besoin d'un psychiatre, d'un diététiste et d'un thérapeute. Les services offerts par cette équipe reviennent chers s'il faut les payer de sa poche.
    C'est très utile. Si vous pouviez faire une recommandation au comité — vous parlez d'une approche en équipe —, que diriez-vous concernant les traitements?
(1620)
    Comme je l'ai dit, nous savons que, moins les gens attendent sur une liste, plus le pronostic est bon. Cette maladie peut durer soit un ou deux ans, soit de nombreuses années. C'est ce qu'indiquent les données et c'est aussi ce qu'on constate à Sheena's Place. Donc, je recommanderais de réduire les listes d'attente, ce qui donnerait un meilleur accès aux soins et davantage de possibilités de traitement. Les personnes ne peuvent pas toutes aller à l'hôpital. Les gens vont à l'hôpital lorsque leur état médical est rendu très instable. Il faut qu'ils aient accès, près de chez eux, à des traitements gratuits.
    Vous recommanderiez donc que les gens aient accès près de chez eux à des traitements gratuits et adéquats, et que les temps d'attente soient courts. Est-ce exact? Y a-t-il quelque chose à rectifier?
    Non, c'est tout à fait exact.
    D'accord. Merci.
    Les gens qui viennent vous voir ont-ils tous le même profil? De quels types de personnes s'agit-il? Aboutissent-ils chez vous après de nombreuses démarches, êtes-vous le premier endroit où ils vont pour obtenir de l'aide ou s'agit-il d'une combinaison des deux? Je crois que vous avez dit que cela dépend. Si ces gens ont essayé d'autres traitements, combien de temps ont-ils dû attendre en moyenne avant de recevoir des services? Pendant combien de temps ont-ils reçu des traitements? Quel est le taux de rechute? Pourriez-vous nous donner une idée générale de la situation?
    Bien sûr. Je pourrais fournir plus de chiffres au comité. Je ne peux pas vous les dire de mémoire, mais je pourrais vous les transmettre.
    Une bonne part de nos clients — je dirais 30 % — sont aux prises avec cette maladie depuis un an ou deux. Une autre part — je dirais aussi 30 % — en souffrent depuis plus de 20 ans. Comme je l'ai dit, cette proportion concorde avec ce qu'on trouve dans les ouvrages sur les troubles de l'alimentation. Voilà pourquoi nous savons que l'intervention rapide et l'accès aux traitements sont très importants. Je ne le dirai jamais assez. Nos clients ont beaucoup fréquenté les hôpitaux. Ils ont recours aux soins d'urgence parce que les listes d'attente sont très longues. Ils vont à l'urgence, ce qui coûte probablement des millions de dollars au système de santé.
    Ne pourrait-on pas recommander aussi que les gens aient rapidement accès à des soins?
    Tout à fait. Le dépistage précoce et l'accès aux traitements... Lorsque je travaillais à SickKids, nous organisions chaque mois une rencontre avec les familles afin de pouvoir discuter avec les parents et leur présenter notre programme. Chaque mois, ils nous disaient la même chose: « Nous sommes allés voir le médecin. Nous lui avons dit que notre enfant n'allait pas bien. Le médecin nous a dit que ça allait. Il ne savait pas comment soigner notre enfant ni à qui nous adresser. »
    La première personne que consulte la famille, c'est le médecin de famille. Ne s'agit-il pas d'un des principaux enjeux?
    Tout à fait.
    Les médecins ne devraient-ils pas apprendre à détecter les troubles de l'alimentation? Ne devrait-on pas formuler cette recommandation?
    Oui, absolument.
    Mme Martin a parlé tout à l'heure des courbes de croissance des enfants. La première chose que nous faisons lorsqu'un enfant commence à suivre un programme, c'est de vérifier si sa croissance était normale jusqu'à ce que le trouble se manifeste. Il faut que l'enfant recommence à grandir selon sa courbe de croissance, et non pas en fonction d'une silhouette ou d'un poids qu'il souhaite atteindre ou qu'il juge idéal.
    Merci beaucoup.

[Français]

    Madame Ambler, vous disposez de cinq minutes.

[Traduction]

    Je vous remercie, madame la présidente.
    Je partagerai une partie de mon temps de parole avec M. Young.
    Je vous remercie aussi, mesdames, de votre présence aujourd'hui.
    Madame Anderson, pourriez-vous nous parler du spectre de la gravité des troubles. On dit souvent que les troubles commencent d'une certaine façon et qu'il n'y a que les cas les plus graves qui sont traités. Que pourrait-on faire pour détecter plus rapidement les troubles? Nous avons parlé de traitements médicaux, mais y a-t-il quelque chose que les parents pourraient faire, dire ou changer dès les premières manifestations des troubles?
(1625)
    Oui. Je crois que les parents ne connaissent pas bien les troubles de l'alimentation et ne savent pas en reconnaître les signes. Il faut d'abord que les parents comprennent qu'il y a un problème lorsque leur enfant saute des repas et que sa boîte à lunch contient encore de la nourriture lorsqu'il revient à la maison.
    Je crois que les enfants cherchent à cacher leur trouble à leurs parents. Il est donc important de rencontrer les familles afin de les sensibiliser.
    Admettons qu'ils se rendent compte du problème: l'enfant ne prend pas son repas ou il jette de la nourriture. Que peuvent-ils faire? Doivent-ils aller immédiatement consulter un professionnel de la santé?
    Je ne crois pas qu'il faille immédiatement aller consulter un professionnel de la santé, mais, vous savez...
    Mme Martin est diététicienne. Elle serait en mesure de vous dire que, d'après les données, les repas en famille sont très importants. Le fait de manger en famille, tout le monde ensemble, réduit les taux de toxicomanie, de grossesses chez les adolescentes et de troubles de l'alimentation.
    Je crois qu'il faut dire aussi aux jeunes filles à quoi ressemble vraiment le corps des femmes. Les femmes ont des hanches, des seins et des courbes. Nous ne sommes pas toutes censées être maigres comme des cure-dents. La plupart des jeunes filles ne se font pas dire de respecter leur propre corps et leur bagage génétique. Elles se font plutôt dire qu'elles pourront avoir un certain corps si elles y mettent suffisamment d'efforts. Or, c'est faux.
    Merci beaucoup.
    Joanna, pourriez-vous dire au comité quelle devrait être la norme minimale des soins offerts aux femmes et aux jeunes filles ayant des troubles de l'alimentation?
    Lorsqu'une personne est jugée à risque, elle devrait au minimum pouvoir consulter un médecin qui connaît bien les troubles de l'alimentation, les critères de diagnostic et les traitements possibles.
    Elle devrait pouvoir consulter au besoin un psychiatre qui peut traiter les symptômes concomitants comme l'anxiété, la dépression ou un trouble associé à un traumatisme. Elle devrait pouvoir consulter un thérapeute afin de corriger les distorsions cognitives qui accompagnent les troubles de l'alimentation. Elle devrait enfin pouvoir consulter un diététicien qui l'aiderait à élaborer un programme alimentaire qui lui permettrait d'obtenir un poids santé.
    Cette norme minimale devrait-elle aussi comprendre, au besoin, un programme pour les patients hospitalisés?
    Absolument.
    Docteure Martin, avez-vous quoi que ce soit à ajouter à cette liste?
    Mme Anderson a pas mal fait le tour, je crois. Il faut se rappeler que, bien souvent, les personnes qui ont des troubles de l'alimentation n’ont pas nécessairement l’argent requis pour se payer le traitement idéal. Leur problème peut prendre tellement de place dans leur vie qu’elles peuvent avoir du mal à garder leur emploi. Elles peuvent souffrir aussi…
    Je vous remercie. Il ne me reste que 40 secondes, et j’aimerais poser une dernière question à Joanna.
    Quand on voit les publicités auxquelles les jeunes enfants sont soumis, est-ce que les parents ne devraient pas envisager de bannir carrément la télévision et les magazines du foyer familial?
    Je ne pense pas que ce soit une bonne solution à long terme. Je crois que les parents doivent plutôt enseigner à leurs enfants que ce qu’ils voient à la télévision, ce n’est pas la réalité; que ce n’est qu’une image; que les images qu’ils voient dans les magazines et sur Internet sont truquées; et qu’ils font fausse route en voulant à tout prix que leur corps ressemble à ce qu’ils voient à la télévision, puisque les mannequins eux-mêmes ne ressemblent pas vraiment à ça.
    Je crois qu’il faut plutôt enseigner aux gens à bien comprendre ce qui est véhiculé dans les médias. C’est ce que je recommanderais au comité: que le gouvernement fédéral ajoute un volet « connaissances médiatiques » à une éventuelle campagne de sensibilisation.
(1630)
    Merci.

[Français]

    Je vous remercie beaucoup de vos témoignages, qui nous ont donné beaucoup d'information, et des recommandations que vous avez faites au comité.
    Madame Anderson, vous avez donné plusieurs statistiques dans votre présentation. Vous avez dit que cela ne touchait pas seulement des personnes jeunes, mais également des personnes plus âgées. Nous vous avons déjà demandé de nous envoyer certains renseignements supplémentaires. Il serait bien d'y ajouter des détails à ce sujet, ou encore tout renseignement utile que vous jugerez bon d'envoyer au comité.

[Traduction]

    Ce sera avec plaisir.

[Français]

    Merci beaucoup.
    Nous allons suspendre la séance quelques minutes, le temps d'entrer en communication avec les prochains témoins.

(1635)
    Nous reprenons la séance.
    Les témoins sont avec nous par vidéoconférence. Nous entendrons tout d'abord la Dre Monique Jericho, psychiatre et directrice médicale du Calgary Eating Disorder Program. Nous entendrons également deux témoins du Department of Family Relations and Applied Nutrition de l'Université de Guelph, soit la Dre Carla Rice, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les soins, le sexe et les relations, ainsi que Mme Andrea LaMarre, candidate à la maîtrise en sciences.
    Bienvenue. Chacune des organisations disposera de 10 minutes pour sa présentation.
    Docteure Jericho, vous pouvez commencer.

[Traduction]

    Merci à vous, madame la présidente, ainsi qu’à vous, mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis ravie de pouvoir aujourd’hui vous parler des troubles de l'alimentation. C’est un sujet auquel j’ai consacré les cinq premières années de ma carrière.
    Aujourd’hui, je vais surtout vous parler du point de vue clinique. La majeure partie de mon temps, quand je travaille, je le passe à traiter des personnes souffrant de troubles de l'alimentation. Tous les jours, je rencontre des patients de tous les âges éprouvant toutes sortes de problèmes, des plus graves aux plus complexes. Je rencontre aussi des patients inquiets, pour ne pas dire désespérés. Je rencontre des maris et des femmes au bout du rouleau. Je rencontre les frères, les sœurs et les enfants de ceux qui tentent par tous les moyens de se remettre de leurs troubles de l'alimentation, ou simplement d’apprendre à vivre avec leurs symptômes. Je vois des gens qui ont peur ou qui sont en colère; je vois des gens qui ne savent plus où ils en sont ou qui nient carrément qu’ils ont un problème.
    Comme vous l’avez vu jusqu’ici, les troubles de l'alimentation figurent parmi les problèmes de santé mentale les plus mortels. Ils touchent surtout les jeunes femmes, dont ils perturbent considérablement le développement et l’adolescence, les rendant ainsi vulnérables aux maladies mentales pour le restant de leur vie. Les troubles de l'alimentation sont presque toujours accompagnés de symptômes concomitants, comme la dépression et l’anxiété. Il n’est toutefois pas rare de voir des cas d’automutilation, de consommation abusive d’alcool ou de drogue et de troubles du contrôle des impulsions.
    Il est cependant beaucoup plus difficile de quantifier la souffrance que vivent les patients et leurs proches, alors que c’est ce qui pèse le plus lourd dans la balance pour les personnes touchées et qui a le plus de répercussions sur la société en général. Mon métier fait que je suis particulièrement bien placée pour confirmer que la souffrance causée par les troubles alimentaires est immense.
    De par mes fonctions à l’Université de Calgary, je peux sensibiliser les étudiants et les résidents aux différents stades de leur formation médicale. Dans mes cours, je commence généralement par déboulonner les mythes associés aux troubles de l'alimentation. J’explique qu’ils ne résultent pas de choix personnels, qu’ils n’ont rien de glamour, qu’ils ne vont pas s’en aller d’eux-mêmes, qu’ils ne sont pas causés par de mauvais parents, etc.
    J’ai souvent l’impression de commencer avec deux prises. Je lutte contre la toute-puissance des médias, voire, dans certains cas, contre certaines croyances sociales associées aux troubles de l'alimentation et à ceux qui en souffrent. Sans entrer inutilement dans les détails, j’aimerais rappeler quelques évidences.
    De nos jours, nous associons beauté féminine et pouvoir. Hélas, comme les gens sont convaincus qu’il faut être mince pour être beau, les étudiants en médecine ont souvent bien de la difficulté à comprendre ce qu’il y a de mal à vouloir être mince.
    Je crois que c’est là que commence le traitement: au début. Tous les intervenants, et plus particulièrement les médecins, doivent comprendre la véritable nature des troubles de l'alimentation. Ils doivent être capables de les diagnostiquer et de les gérer jusqu’à ce que les patients puissent se faire traiter dans un centre spécialisé.
    Mais surtout, ils doivent être prêts à poser un diagnostic que le patient ne voudra pas entendre ou qu’il va refuser de croire. Autrement dit, ils doivent s’attendre au malaise qui s’installe souvent quand on traite un patient qui est incapable de suivre les directives qu’on lui donne ou qui refuse d’accepter un diagnostic. Ils doivent aussi apprendre à parler des troubles de l'alimentation aux patients et à leurs proches, parce qu’autrement, leur influence va se limiter aux quelques minutes durant lesquelles ils vont être assis là, dans leur bureau.
    Il n’y a pas que les omnipraticiens, les pédiatres et les psychiatres qui devraient connaître les troubles de l'alimentation. La quasi-totalité des médecins vont rencontrer, un jour ou l’autre, un patient souffrant de troubles de l'alimentation. Et ceux qui vont prendre le temps de poser un diagnostic et de franchir les étapes une à une pourraient bien réussir à sauver des vies.
    Pour vous prouver que tous les médecins, peu importe leur spécialité, doivent apprendre à mieux traiter les troubles de l'alimentation, je vais vous raconter une anecdote, qui est arrivée pour vrai, et pas plus tard qu’hier.
    J’ai reçu un appel d’une interne d’expérience qui s’inquiétait pour une patiente qu’elle avait vue récemment. La patiente en question était âgée de 18 ans, et elle avait perdu beaucoup de poids de manière inexpliquée au cours des deux dernières années. Elle était si mal en point que son IMC était rendu à 13 et qu’elle était en insuffisance rénale. Après un examen complet, l’interne de ma connaissance était convaincue d’avoir devant elle un cas d’anorexie mentale. Or, quand elle a tenté d’en parler avec la patiente et sa mère, les deux se sont mises en colère à la seule idée que ce soit ce mal qui rongeait la jeune fille.
    Inquiète et ne sachant pas quoi faire, mon amie interne a appelé les deux autres spécialistes que la jeune fille avait consultés auparavant ainsi que l’omnipraticien qui l’avait envoyée à elle. Aucun des trois n’avait pensé à l’anorexie. Au contraire, ils avaient ordonné toute une batterie de tests aussi coûteux qu’invasifs pour tenter de trouver ce qui avait bien pu causer une telle perte de poids.
(1640)
    Elle s’est adressée à l’un de ses collègues, qui lui a dit de faire bien attention avant de poser un diagnostic d’anorexie. Il lui a plutôt recommandé de poursuivre la piste de rares et invraisemblables syndromes de malabsorption – ce qu’on appelle des « zèbres » dans le jargon médical. La réaction de ce médecin est révélatrice. Au lieu d’envisager l’anorexie, il a voulu « donner une autre chance à la patiente », selon ses dires, et entretenir l’espoir qu’il pouvait s’agir d’autre chose.
    Mon amie interne m’a appelée parce qu’elle ne savait plus quoi faire. Elle était certaine de son diagnostic, mais personne – ni la patiente, ni les autres médecins – ne voulaient appeler les choses par leur nom et admettre qu’au lieu du zèbre tant espéré, il s’agissait d’une anorexie mentale classique, un mal qui touche de 5 à 10 % des femmes. Voilà qui montre à quel point les médecins peuvent échouer à diagnostiquer les troubles de l'alimentation – quand ils n’évitent pas carrément de le faire –, compromettant du coup les chances de rétablissement des personnes concernées. Dans le cas qui nous intéresse, la jeune fille était malade depuis deux ans, elle avait abandonné l’école, ne faisait plus de sports, alors qu’elle y excellait jusque-là, et errait dans les rues de Calgary avec un IMC dangereusement bas. Sa situation aurait pu s’aggraver du jour au lendemain, jusqu’à en mourir.
    J’espère que les membres du comité comprennent maintenant la réalité des médecins et voient à quel point il est difficile de fournir à ces derniers le soutien et l’information dont ils ont besoin à un moment critique de leur formation.
    Comme si ce n’était pas assez, imaginez-vous que les cours sur les troubles de l'alimentation sont facultatifs, même dans les programmes de résidence en psychiatrie.
    Passons maintenant à l’aspect « traitement ». J’occupe le poste de directrice médicale du programme des troubles de l'alimentation de Calgary depuis deux ans. À ce titre, je m’intéresse à deux choses. Premièrement, je dois m’assurer que le traitement offert dans le cadre de notre programme repose sur des données éprouvées. Deuxièmement, je dois faire en sorte que nos services répondent aux besoins de toute la population de la partie sud de l’Alberta. Autrement dit, si nous nous apercevons que les patients doivent poireauter sur une longue liste d’attente avant d’être traités, c’est que nous ne faisons pas bien notre travail, parce que, pour les patients, chaque jour sans un traitement complet et efficace fait augmenter les risques que leurs problèmes n’empirent et les éloigne encore un peu plus de la personne qu’ils étaient avant de connaître l’horreur des troubles de l'alimentation. Pendant que les patients attendent, leur souffrance s’accroît.
     L’accès rapide à des soins adéquats et de qualité est essentiel au traitement des troubles de l'alimentation. Or, dans la plupart des régions du Canada, nous sommes loin de cet objectif.
     Selon moi, nous pouvons faire quelque chose pour que la situation s’améliore.
    Premièrement, une partie des études de tous les étudiants en médecine et résidents devrait obligatoirement porter sur les troubles de l'alimentation.
    Deuxièmement, il faudrait absolument qu’au lieu de reposer sur la dernière tendance à la mode ou sur les caprices de ceux qui les prodiguent, les traitements financés par l’État soient fondés sur des données éprouvées. Le financement des infrastructures et de la formation devrait toujours avoir pour objectif la prestation de soins fondés sur des données éprouvées, et les ressources devraient être proportionnelles à l’ampleur du problème et à l’échelle de la solution. Troisièmement, les médecins doivent pouvoir compter sur de meilleurs mécanismes afin de traiter les patients dans leur milieu de vie, y compris dans les régions rurales ou éloignées.
    Finalement, il faut des mécanismes permettant aux programmes de communiquer, d’échanger des données et de collaborer à divers projets de recherche afin de faciliter la compréhension commune qui doit voir le jour.
    Sur ce, je vous remercie infiniment de me donner ainsi l’occasion de contribuer à une étude aussi importante.
(1645)

[Français]

    Merci beaucoup, docteure Jericho.
    Je cède maintenant la parole à la Dre Rice et à Mme LaMarre pour 10 minutes.

[Traduction]

    Je m’appelle Carla Rice, et je suis titulaire de la chaire de recherche de l’Université de Guelph sur les problèmes corporels, comme les troubles de l'alimentation et l’obésité.
    Mon nom est Andrea Lamarre et je suis actuellement en train de terminer une maîtrise à l'Université de Guelph, sous la supervision de la Dre Rice. Mes recherches portent sur le rétablissement de personnes souffrant d'un trouble de l'alimentation.
    Je travaille dans ce domaine depuis plus de 20 ans. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, j'ai été directrice du Centre national d'information sur les troubles de l'alimentation. J'ai ensuite été clinicienne au Women's College Hospital, où j'ai travaillé auprès de femmes aux prises avec une vaste gamme de problèmes liés aux aliments, à leur poids et à leur image corporelle. Maintenant, je suis chercheure. Au cours de cette période, j'ai été en contact avec des centaines de personnes souffrant de troubles de l'alimentation, avec leur famille et avec des fournisseurs de soins de santé qui s'occupent de ce genre de problèmes.
    Bien que j'aie observé pendant cette période de nombreux changements en ce qui concerne la prestation des services — davantage en matière de prestation des services que de modalités de traitement — il y a une chose qui est demeurée la même, c'est le cercle vicieux qui fait en sorte que de nombreuses personnes entreprennent sans cesse des traitements sans régler leur problème. Nombreux sont les amis et membres de la famille des personnes atteintes qui se sentent encore impuissants face à ces problèmes complexes. Un lourd poids pèse sur les aidants naturels, même si ceux-ci ne se laissent pas abattre et veulent ce qu'il y a de mieux pour leurs proches.
    Comme le démontre l'existence de la présente étude, l'élaboration d'une politique fédérale à l'appui de la prévention et du traitement des troubles de l'alimentation au Canada suscite un intérêt croissant, et nous souscrivons entièrement à ce projet. Nous sommes ici aujourd'hui pour recommander l'adoption d'une stratégie qui reconnaît, respecte et accepte les expériences complexes vécues par les personnes souffrant de troubles de l'alimentation. Nous considérons qu'il faut placer ces expériences au coeur de toute stratégie.
    Il demeure extrêmement difficile d'obtenir des renseignements précis sur les programmes, y compris le nombre de lits disponibles, des estimations fiables concernant les temps d'attente, et les types de traitements précis qui sont offerts, et ce, malgré d'importants efforts déployés pour créer des répertoires de services en ligne sur le traitement des troubles de l'alimentation. Les personnes atteintes et leur famille peuvent aussi avoir du mal à obtenir des renseignements sur les services qui sont offerts partout au Canada.
    Cette difficulté peut être accentuée lorsqu'on cherche à obtenir des services dans une province autre que la sienne, comme c'est le cas pour les étudiants universitaires. Les patients et les familles ont parfois la dure tâche de naviguer dans un dédale de références et d'attente. Il y a assurément une pénurie de services accessibles et abordables pour les gens dont la santé peut être gravement menacée si des traitements adéquats ne sont pas fournis rapidement.
    Je ne pense pas qu'il est nécessaire de changer complètement le système ou de réinventer la roue. Plutôt que de remanier un système qui peut aider beaucoup de gens et qui est fondé sur des données probantes, nous recommandons de mettre aussi en place un réseau de traitement et de soutien communautaires. Ce réseau mettrait l'accent sur la prévention et sur l'orientation des gens avant que ceux-ci ne développent des maladies chroniques. De plus, d'autres approches en matière de soins pourraient être plus adéquates pour les personnes chez qui les approches courantes ont échoué.
    Bien que nous ayons des statistiques sur les personnes qui obtiennent un diagnostic, nos recherches montrent que de nombreux autres cas ne sont pas diagnostiqués. Ces autres personnes, anonymes et inconnues, peuvent faire face à des préjugés ou être rejetées par la collectivité, leur famille, les dispensateurs de soins médicaux et autres en raison de leur taille corporelle, de leur race ou de leur origine ethnique, ou de leur genre, entre autres choses. Pour que les services correspondent mieux à des besoins complexes, nous envisageons un système qui comporterait de nombreux points d'entrée et des approches multiples en matière de soins et de soutien, qui seraient adaptées aux besoins de ces différents groupes.
    Plusieurs obstacles peuvent empêcher les gens de chercher à obtenir les soins dont ils ont besoin, et la façon dont on parle des troubles de l'alimentation n'est pas le moindre. Bien que l'on commence à observer certains changements, de nombreux stéréotypes persistent dans l'imagination populaire. Par exemple, on s'attend encore à ce que les troubles de l'alimentation soient un problème qui touche des jeunes femmes blanches, hétérosexuelles, appartenant à la classe moyenne ou élevée et qui sont décharnées.
    Ceux qui ne cadrent pas avec ce stéréotype peuvent avoir l'impression que leur trouble n'est pas légitime face à cette version ou cette représentation unique. Cette perception peut être amplifiée si ces gens ont vécu de mauvaises expériences avec des professionnels de la santé, des membres de leur famille et d'autres.
    Permettez-moi de vous donner un exemple. Les personnes issues de groupes minoritaires, en particulier, peuvent être confrontées à un système qui ne croit pas à leur trouble de l'alimentation. Elles peuvent aussi avoir l'impression que le fait de chercher à se faire soigner va à l'encontre de leur identité ethnique ou raciale.
    Par exemple, pendant que je menais des recherches sur l'image corporelle et les préoccupations liées à l'alimentation auprès de divers groupes de femmes canadiennes, j'ai parlé avec plusieurs femmes d'origines raciales diverses — asiatiques, d'Asie du Sud et africaines ou caribéennes — dont les troubles de l'alimentation étaient mal diagnostiqués ou écartés par des fournisseurs de soins de santé, une situation qui compliquait leur rétablissement et qu'elles attribuaient à leur origine raciale. Autrement dit, elles disaient que les fournisseurs de soins de santé n'arrivaient pas à imaginer, à cause du mythe dominant, que quelqu'un de leur groupe racial puisse avoir un trouble de l'alimentation. Des personnes ayant participé aux recherches d'Andrea ont livré des témoignages semblables.
(1650)
    Au fil de mes recherches, j'ai parlé à des jeunes femmes qui ont été confrontées à des règles familiales et culturelles rigides en ce qui concerne les problèmes familiaux. Il ne fallait pas parler de ces choses-là en dehors de la famille, par crainte d'attirer la honte et l'embarras sur la cellule familiale. Il peut être extrêmement difficile de demander de l'aide pour les personnes qui font face à de tels discours familiaux et culturels. Dans les groupes minoritaires comme dans les groupes non minoritaires, les gens ayant des troubles de l'alimentation sont encore confrontés à beaucoup de préjugés.
    Chez les gens dont le corps ne cadre pas parfaitement dans les stéréotypes, le fait de chercher de l'aide peut être accueilli avec confusion et par des préjugés. Par exemple, les femmes ayant participé à nos études ont vécu d'importantes difficultés que les fournisseurs n'ont pas repérées parce qu'ils considéraient que leur corps était « normal ». Cela porte à croire que des comportements considérés extrêmes — par exemple de nombreuses séances quotidiennes d'entraînement ou une alimentation trop restreinte — peuvent être considérés ou perçus comme un problème seulement une fois que le corps d'une personne franchit la limite de la minceur extrême. On a parfois conseillé aux femmes qui étaient considérées comme obèses ou faisant de l'embonpoint de réduire leurs portions de nourriture et de faire davantage d'exercice, alors que ces recommandations ont déclenché ou exacerbé leur trouble de l'alimentation.
    Ces pratiques sont prescrites dans les bureaux médicaux et les gymnases de tout le pays dans le cadre de la lutte contre une épidémie apparente d'obésité. Toutefois, les stratégies qui s'en prennent à la graisse offrent bien peu de solutions et peuvent même perpétuer des comportements qui nuisent à la santé des femmes.
    Par exemple, au cours de mes propres recherches, toutes les femmes que j'ai interrogées qui ont été des fillettes rondes ont développé un trouble de l'alimentation au cours de leur enfance ou de leur adolescence parce que des gens avaient essayé de contrôler leur poids.
    Le fait d'avoir un corps qui fait en sorte que le trouble de l'alimentation n'est pas facilement perceptible peut aussi compliquer le processus de guérison. Le rétablissement du poids et la régularisation de l'alimentation sont généralement des piliers des programmes de traitement des troubles de l'alimentation. Les nouvelles directives qu'on donne aux personnes pour créer de nouveaux comportements relativement à la nourriture et à l'exercice vont souvent directement à l'encontre des recommandations en matière de santé destinées à la population en général. Dans un tel contexte, la guérison peut être extrêmement difficile. Pour reprendre les mots d'une de mes participantes: « On demande à des gens qui se sentent déjà très seuls et qui veulent se sentir acceptés de faire quelque chose qui va à l'encontre de la culture, et cela peut être très effrayant. »
    La guérison elle-même est mal comprise. Bien que les gens perçoivent la guérison comme un processus plutôt qu'un résultat, les cliniciens exigent des critères biomédicaux pour la mesurer.
    L'augmentation du financement consacré à la recherche dans ce domaine permettrait d'explorer comment les personnes atteintes et leur famille perçoivent la guérison et les ressources dont elles ont besoin pour l'atteindre.
    Même si on constate que de plus en plus de données probantes confirment l'efficacité d'approches courantes comme la thérapie cognitivo-comportementale, les modèles qui existent à l'heure actuelle ne conviennent peut-être pas à tout le monde. L'approche universelle ne fonctionne pas dans le traitement des troubles de l'alimentation. Nos connaissances sur les traitements découlent surtout d'études menées dans le cadre de programmes qui sont actuellement financés et qui sont généralement administrés en milieu hospitalier. Il se pourrait que d'autres formes de traitement, comme la thérapie du récit, qui est souvent offerte parmi les services rémunérés à l'acte dans la pratique communautaire, soient également très efficaces.
    L'expression « fondé sur des données probantes » signifie que quelqu'un a été en mesure de recueillir un échantillon d'une taille suffisante pour mener un essai clinique aléatoire sur une approche. Il n'y a pas encore assez d'études quantitatives solides qui mettent à l'essai diverses formes de traitement et qui les comparent.
(1655)
    Cela laisse entendre que nous devons établir des liens plus étroits avec les personnes ayant vécu certaines expériences pour vraiment comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Axer les recherches sur le vécu des personnes qui ont reçu des traitements ou qui n'en ont pas reçu suppose de nouer un dialogue approfondi avec ces personnes, ce qui exige de bonnes recherches qualitatives. Nous avons donc besoin de recherches qualitatives en plus des recherches quantitatives. Un dialogue accru entre les personnes, les familles et les fournisseurs de soins contribuerait aussi à combler les fossés qui existent entre ceux qui prodiguent les soins et ceux qui les reçoivent.
    Nous ne pouvons pas extraire les personnes du contexte social, particulièrement dans le cas des troubles de l'alimentation, car ce contexte est intimement lié à ces troubles chez les filles et les femmes. La mise en place d'un réseau de soutien efficace repose sur la reconnaissance du fait qu'on ne peut résoudre de façon isolée ni les problèmes des personnes ni ceux des systèmes. Nous devons travailler au point de contact entre les personnes et les systèmes pour mieux comprendre les besoins complexes des individus ainsi que pour élargir les possibilités de traitement au sein du système et aussi des soins au niveau communautaire.
    Nos solutions doivent être fondées sur une excellente compréhension de la situation sociale et du vécu de diverses personnes ayant des troubles de l'alimentation.
    Nous vous remercions et nous sommes prêtes à répondre aux questions du comité.

[Français]

    Je vous remercie de vos témoignages.
    Monsieur Young, vous avez la parole pour sept minutes.

[Traduction]

    Merci, madame. Je demanderais au greffier de me faire signe lorsque mes cinq minutes seront écoulées afin que je puisse partager mon temps avec ma collègue. Merci.
    Docteure Rice, j'aimerais que vous nous parliez des causes des troubles de l'alimentation, plus précisément en ce qui a trait à la chosification des femmes et de leur corps.
    Je vous remercie de votre question. Je trouve qu'elle est très bonne.
    Je pense que l'une des raisons pour lesquelles les troubles de l'alimentation touchent les femmes et les filles de façon aussi disproportionnée est la chosification des femmes, c'est-à-dire le fait que les femmes soient scrutées par le regard collectif et public dans notre société. Les jeunes filles sont soumises à ce regard à un très jeune âge, lorsqu'elles tentent d'assumer leur féminité. Dans la société, attirer l'attention des gens est l'un des critères principaux de la féminité. Je pense que cette chosification a un rôle à jouer. Cependant, je pense aussi que nous devons envisager ces troubles comme des problèmes compliqués et multidimensionnels dans lesquels les aspects social et culturel jouent un rôle très fondamental. Il y a d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte et qui sont liés à l'interaction et à l'intersection entre l'aspect biologique de l'individu, son psychisme, ainsi que la société en général.
    Oui, allez-y.
    Serait-il donc une bonne idée que les parents qui ont de jeunes enfants — disons deux enfants de moins de quatre ans — n'aient ni magazines ni télévision à la maison?
    Je pense que ce serait un début. Je pense toutefois que la culture en général fera en sorte que l'enfant socialisera et s'acclimatera en fonction des attentes liées aux rôles assignés à chacun des sexes quand il ira à la garderie et, plus tard, à l'école. C'est une bonne idée de ne pas avoir de magazines à la maison et d'éteindre la télévision, mais les enfants seront exposés à ces valeurs aussitôt qu'ils fréquenteront l'école publique ou d'autres lieux où ils rencontreront d'autres enfants.
    Les enfants apprennent eux-mêmes l'identité de genre qu'on attribue à quelqu'un, ou à eux-mêmes en tant que fille ou garçon, et ils apprennent à s'y conformer parce qu'ils veulent s'intégrer à l'ordre social, au monde social. Nous devons donc envisager la prévention de façon beaucoup plus générale, et pas seulement cibler les familles.
(1700)
    Notre système de santé discrimine-t-il les femmes et les filles qui ont un trouble de l'alimentation?
    Je ne me sens pas tout à fait prête à répondre à cette question.
    D'accord, je ne veux pas vous mettre dans l'embarras.
    Peut-être que je peux poser la question à la Dre Jericho.
    D'accord, vous pouvez me mettre dans l'embarras.
    Des voix: Oh, oh!
    Dre Monique Jericho: Je ne peux parler véritablement que de ma propre expérience. Je tiens donc à être prudente, mais je peux vous dire que j'ai eu cette discussion avec des gens dans tout le pays. Je pense que dire que quelqu'un fait l'objet de discrimination suppose un manquement délibéré ou une volonté délibérée de faire du tort. J'estime que cela ne se produit pas. Je pense toutefois que le problème, c'est le manque de reconnaissance de la gravité de ces maladies, un point c'est tout. Pour cette raison, nous ne disposons tout simplement pas des ressources dont nous aurions besoin, et en particulier des ressources nécessaires pour traiter les personnes les plus gravement malades.
    Docteure Jericho, quelle devrait être la norme de soins minimale pour les femmes et les filles qui ont un trouble de l'alimentation? La norme minimale de soins...
    Je pense que cela est relié à ce que je disais précédemment. Ces personnes méritent que leur diagnostic ou leur problème soit reconnu. Elles méritent qu'on donne une voix à ce problème. Si cela se produit, si le problème est reconnu, l'étape suivante consiste à pouvoir avoir accès à des soins sous une forme ou une autre. Par conséquent, la norme minimale est la reconnaissance du fait qu'il y a un problème et que celui-ci est réel, puis l'étape suivante consiste à obtenir un traitement ou un soutien.
    Merci.
    Ma collègue posera maintenant quelques questions.
    Merci beaucoup.
    Docteure Jericho, je me demande quels traitements pharmacologiques sont conçus ou utilisés pour les personnes ayant des troubles de l'alimentation. Sont-ils régis par la Loi sur les aliments et drogues? De quelle manière?
    Je m'intéresse à cette question parce que je voudrais savoir dans quelle mesure les antidépresseurs sont utilisés pour traiter les troubles de l'alimentation. Si d'autres médicaments sont utilisés, sont-ils efficaces? Quels sont les effets secondaires et les risques associés à ce genre de traitements des troubles de l'alimentation?
    Compris. Je pense que je peux dire pour commencer qu'il n'existe pas de médicaments. Il n'en existe pas pour guérir les troubles de l'alimentation. On ne peut pas traiter ou guérir un trouble de l'alimentation en donnant un médicament à la personne.
    On prétend pouvoir traiter efficacement la boulimie à court terme avec des antidépresseurs. Mais ce traitement ne fonctionne que pour une minorité de personnes, et on considère généralement que l'effet ne dure pas.
    Généralement, les troubles de l'alimentation doivent être traités avec de la nourriture. Alors, pour répondre à la question que vous me posez concernant les pratiques cliniques, je vous dirais que beaucoup de gens sont traités avec une variété de médicaments que l'on pourrait inclure dans la catégorie des antidépresseurs, des psychorégulateurs et des antipsychotiques. Mais ces médicaments servent à traiter les symptômes. Par exemple, j'ai parlé tout à l'heure de la comorbidité. Beaucoup de personnes entreprennent un programme de traitement avec une dépression ou des symptômes de dépression accompagnant leurs troubles de l'alimentation. Les cliniciens comme moi essaient parfois d'atténuer ces symptômes avec des médicaments. Je peux aussi essayer de traiter les symptômes du trouble de l'alimentation lui-même, comme une mauvaise expérience corporelle, à l'aide de médicaments. Par exemple, un antipsychotique pourrait donner de bons résultats.
    Les lignes directrices sur l'utilisation des médicaments pour traiter ces personnes sont quasi inexistantes. Je dirais que les pratiques cliniques varient d'un bout à l'autre du spectre. Certains de mes collègues ont abondamment recours aux médicaments. Pour ma part, j'ai plutôt tendance à les éviter. En somme, aucune norme n'existe et aucune donnée ne nous permet de croire que les médicaments sont nécessaires ou efficaces.
(1705)
    Merci beaucoup.

[Français]

    Madame Ashton, vous disposez de sept minutes.

[Traduction]

    Merci beaucoup et merci à tous nos témoins d'aujourd'hui, Mme Rice, Mme LaMarre et la Dre Jericho, qui sont très convaincantes et qui nous font bénéficier de leur expérience.
    J'ai quelques questions à vous poser, à toutes les trois, je crois. Je commence avec vous, madame Rice. Il est très intéressant d'entendre parler de votre travail et du travail de Mme LaMarre. Dans notre discussion, nous n'avons encore fait qu'effleurer les dimensions des troubles de l'alimentation que sont les stéréotypes et les images, je crois. Mais c'est un problème.
    Il ne fait aucun doute que l'image des femmes que véhicule notre société est liée à de nombreux problèmes auxquels notre comité s'intéresse. Pourriez-vous nous dire si l'image des femmes a eu tendance à évoluer au cours des dernières décennies et nous parler de l'influence des médias, si ce sont des sujets sur lesquels vous détenez de l'information. Évidemment, les médias prennent aujourd'hui diverses formes, notamment celle des médias sociaux, et ils exercent de la pression sur les femmes et les filles relativement à leur image corporelle.
    Tout à fait. Nous vivons de plus en plus dans un monde dominé par la culture du visuel et axé sur l'image, où notre identité est largement réduite à notre dimension physique, en particulier lors de l'adolescence, où l'apparence a une importance primordiale.
    Nous nous employons à construire notre identité avec Facebook et en diffusant des images de nous-mêmes. Nous vivons dans une société extrêmement visuelle où les gens se bâtissent leur identité autour de leur apparence. Ajoutons à cela que les filles et les jeunes femmes sont considérées comme des objets à contempler. Nous devons nous concentrer sur notre image et en faire un élément primordial de ce que nous sommes. Le problème a ainsi été exacerbé.
    Des études ont démontré que les mannequins sont de plus en plus minces. Ce sont des études célèbres, et elles ont porté sur les 30 ou 40 dernières années. Les filles et les femmes cherchent à se conformer à des représentations de plus en plus maigres de la beauté.
    Au-delà de la femme-objet, les psychologues qualifient maintenant le phénomène de sexualisation. Les femmes et les filles sont en quelque sorte hyperchosifiées. Elles ont comme rôle de se créer une image très séduisante. Il ne s'agit plus seulement d'être jolie et mince; elles doivent être ouvertement sexualisées.
    C'est très intéressant, et, dans d'autres discussions, nous avons entendu des témoins nous parler de la grande importance de véhiculer au foyer le bon type de message à l'intention des filles. C'est un problème qui a nettement une dimension sociale.
    Il ressort très clairement des travaux de notre comité — pas seulement dans ce dossier, mais dans d'autres également — que les enjeux propres aux femmes trouvent de moins en moins de porte-étendard. Je sais qu'il y a des années, des campagnes avaient lieu, à une échelle beaucoup plus grande, pour combattre les images dégradantes des femmes véhiculées par la publicité. Des porte-parole de cette cause faisaient entendre leur voix.
    Il est certain que, dans les blogues et les sites Web, on discute de cette question, mais on distingue de moins en moins de voix ayant le financement et la capacité nécessaires pour avoir une influence durable. En fait, les derniers vestiges de cet activisme résident probablement dans votre travail d'universitaires et dans le milieu de la recherche.
    Selon vous, est-il important que cette cause soit défendue publiquement pour aider les parents, les enseignants et les éducateurs, mais aussi pour agir à l'échelle de l'ensemble de la société?
(1710)
    Tout à fait. Nous avons entendu le glas sonner pour quelques organismes, comme Évaluation-médias. Je ne me souviens pas exactement quand ces organismes ont fermé boutique, mais cela s'est produit au cours des dernières années. Nous avons désespérément besoin d'organismes de surveillance pour s'attaquer au problème des images de ce genre qui circulent.
    Vous savez, je crois que nous avons également besoin de réfléchir à la représentation des troubles de l'alimentation dans la société en général. Nous devons y réfléchir de toute urgence. Dans mon exposé, j'ai parlé du portrait type de la femme qui souffre d'un trouble de l'alimentation. Dans la société canadienne d'aujourd'hui, qui est multiraciale et multiethnique, je pense que le portrait type de la femme souffrant d'un trouble de l'alimentation ne colle plus à la réalité.
    Lorsque j'étais clinicienne à Toronto, je travaillais avec toute une gamme de femmes issues de tous les groupes raciaux et culturels. L'idée que les troubles de l'alimentation touchent surtout les femmes de race blanche appartenant à la classe supérieure ou à la classe moyenne est dépassée.
    Je pense que nous devons en outre réfléchir à la représentation des troubles de l'alimentation dans la culture en général. Et Andrea a un mot à dire à ce sujet.
    J'espérais en fait laisser un peu de temps à la Dre Jericho.
    Andrea, voudriez-vous nous faire une observation rapidement?
    Oui. Mes travaux de recherche indiquent que ce constat est tout à fait vrai. Mes participantes le confirment. Des femmes issues de certaines minorités disent qu'elles n'ont jamais entendu parler publiquement de femmes comme elles ayant un trouble de l'alimentation. Elles sont déboussolées et se demandent même si elles ont un problème véritable. Elles éprouvent ce genre de sentiment: elles sont complètement perdues dans le système, ce qui fait qu'elles sont incapables de demander de l'aide.
    Merci beaucoup.
    Docteure Jericho, pourriez-vous nous parler rapidement des personnes issues de la communauté LGBT et de la population autochtone avec lesquelles vous travaillez, j'en suis sûre. Quelle approche adoptez-vous avec les femmes d'origines diverses?
    C'est une bonne question, et vous avez absolument raison: nous travaillons effectivement avec des personnes issues de ces groupes. Je dois dire que nous n'avons pas l'impression d'adopter une approche très différente avec ces femmes. Du moins, je peux certainement donner mon point de vue à moi et dire que je n'ai pas cette impression. Chaque personne a pour moi ses particularités propres, et c'est ainsi que je la vois.
    Comme nous l'avons indiqué tout à l'heure, il n'existe pas de traitement universel. Chaque personne est un cas différent des autres. Elle a acquis dans ce monde un bagage d'expériences unique, y compris l'expérience corporelle.
    Je dirais que je ne traite pas nécessairement ces personnes différemment, mais que je suis à l'écoute des difficultés particulières qu'elles doivent affronter.
    Merci.

[Français]

    Madame Crockatt, vous disposez de sept minutes.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Dre Jericho, je vais reprendre le fil de la discussion et je vais peut-être en changer légèrement l'orientation.
    Est-ce que, selon vous, la solution consiste à amener la personne à recommencer à manger, à faire en sorte qu'elle arrête de penser que le poids est son ennemi — un peu comme un alcoolique que l'on amène à ne plus consommer d'alcool —, ou le refus de manger est-il un symptôme d'un problème sous-jacent que vous devez essayer de régler?
    Voulez-vous que je réponde à cette question?
(1715)
    Oui, docteure Jericho, merci.
    Merci. Désolée, je ne voulais pas marcher sur vos pieds.
    Je pense que le problème sous-jacent, ce sont les facteurs cognitifs et émotionnels qui poussent une personne à arrêter de s'alimenter. Ensuite, cela devient un processus réciproque, car moins la personne mange, plus son trouble cognitif s'accentue. Plus son trouble cognitif s'accentue, plus sa pensée est limitée et plus elle se préoccupe de son corps, de son alimentation, de son apparence et de son poids. C'est un cycle continu. C'est comme un effet boule de neige.
    C'est cette combinaison et cette réciprocité qu'il est difficile de briser. Ce que je veux dire, lorsqu'il est question d'utiliser la nourriture pour soigner la personne, c'est qu'il faut, dans bien des cas, désensibiliser la personne à l'égard d'un traitement nécessaire à sa survie. On désensibilise la personne à l'égard de quelque chose dont elle a besoin pour survivre et c'est là que la nourriture entre en jeu — on essaie, en quelque sorte, de changer son comportement —, puisque s'alimenter est la seule façon de guérir, il n'existe aucune autre solution.
    Il s'agit de désensibiliser des personnes gravement malades. Nous devons vraiment redoubler d'efforts avec ces personnes très malades, qui se restreignaient autant dans leur alimentation, pour qu'elles reprennent une alimentation plus normale, car le corps s'adapte à la malnutrition. Elles ne ressentent plus les signes de faim. Elles n'entretiennent pas la même relation, que vous et moi prenons pour acquise, avec les aliments. Nous devons vraiment leur réapprendre à manger.
    Cela résout-il le problème? Nous savons maintenant que les taux de guérison sont beaucoup plus élevés si la personne suit un traitement. Nous essayons de trouver comment amener les personnes à suivre un traitement. J'aimerais cependant savoir si on résout le problème en réussissant à les faire recommencer à manger.
    Au fond, ce que vous faites, c'est leur apprendre à ne plus penser que la nourriture est leur ennemi. Vous voulez qu'elles pensent que la nourriture est nécessaire à la survie. Est-ce qu'ensuite elles s'automutilent ou adoptent d'autres comportements destructeurs?
    Je pense que vous avez vraiment frappé en plein dans le mille.
    Il faut faire attention lorsqu'on dit qu'il s'agit de maladies liées à l'alimentation. Comme je l'ai mentionné, le fait de restreindre son alimentation est un symptôme de quelque chose de sous-jacent et de plus complexe, d'une sorte de problème ou de dilemme cognitif ou émotionnel. Là, on entre dans les zones grises. On parle de la personne et des raisons fondamentales, de la racine, du conflit, en raison desquelles elle a agi de la sorte.
    C'est là que les antécédents entrent en jeu, notamment les influences sociales et culturelles, la génétique, la biologie et les modèles. Tous ces facteurs contribuent à créer un besoin ou un conflit que la personne exprimera ou vivra sous forme de trouble de l'alimentation.
    Vous avez raison toutefois que si on se concentre uniquement sur l'alimentation, si on coupe cette branche de l'arbre sans examiner les problèmes sous-jacents, sans aider une personne à se comprendre, à comprendre son histoire et ses expériences émotionnelles, ou à les contrôler, le problème refera invariablement surface, sous une autre forme, comme l'abus d'alcool, la toxicomanie ou l'automutilation — d'une façon plus silencieuse, disons.
    J'aimerais, si possible, poser une autre question, car j'espère avoir le temps de poser une question à la Dre Rice.
    On a posé quelques questions concernant l'interdiction de certaines images. On s'est demandé si, en tant que société, il faut dire qu'on ne veut pas que nos enfants aient accès à certaines images pendant leur développement, parce que ces dernières risquent d'être un élément déclencheur. J'ai moi-même travaillé dans le monde des médias et je sais que nous sommes en quelque sorte génétiquement programmés pour être très attirés vers certaines images corporelles. Je ne sais pas si on peut reprogrammer la société, même si on interdisait complètement certains types d'images.
    J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.
    Je ne suis pas une experte en la matière et je ne suis pas une experte en recherches dans ce domaine, mais je pense que lorsque nous accordons trop d'importance au rôle des médias, on perd de vue la situation d'ensemble.
    En ce qui concerne la représentation des femmes, je suis évidemment contre le recours à des images montrant une émaciation extrême des femmes et j'appuie les idées qu'on a soulevées. Je pense cependant qu'il est très important que nous apprenions aux enfants, aux jeunes, aux éducateurs de la petite enfance et aux parents à aider les enfants à comprendre ces images — à leur apprendre la résilience, tant émotionnelle que cognitive, afin qu'ils comprennent ces images — et à se voir comme des personnes uniques et distinctes capables de faire des choix.
    On ne peut pas vivre dans une bulle. Je pense que nous devons également regarder la situation d'ensemble pour comprendre les facteurs de résilience chez les enfants. Je pense que les facteurs de résilience que les enfants développent à l'égard des troubles de l'alimentation sont les mêmes que l'on développe à l'égard de la toxicomanie et d'autres problèmes de santé mentale, entre autres.
    Je parle de la petite enfance.
    Je vous remercie de cette belle réponse. J'aurais aimé en entendre davantage.
    Docteure Rice, puis-je vous poser une question? Si vous le souhaitez, vous pouvez également répondre aux questions que j'ai posées à la Dre Jericho. Toutefois, j'aimerais également savoir si vous connaissez des pays qui utilisent des modèles que nous devrions adopter au Canada ou dont nous devrions nous inspirer.
    Vous pouvez répondre à la question de votre choix.
    C'est une très bonne question, tant sur le plan de la prévention que du traitement.
    Je ne peux pas vous donner une bonne réponse à cette question à l'heure actuelle. Je ne sais pas vraiment si de tels modèles existent.
    Pour en revenir à la question concernant l'interdiction de certains types d'images, comme interdire aux modèles émaciés de défiler, ce que l'Espagne a essayé de faire, je crois, en 2006, on a tenté de...
(1720)
    Très brièvement, docteure Rice.
    D'accord. Désolée.
    Je ne sais pas si c'est une bonne solution, car ce faisant, le corps de la femme continue, en quelque sorte, de faire l'objet d'une surveillance et d'une réglementation. Il faut plutôt réfléchir à la façon de jeter de nouvelles bases en apprenant aux filles de développer une relation plus saine avec leur corps.
    C'est une très belle réponse. Merci beaucoup.
    Merci beaucoup.

[Français]

    Je cède maintenant la parole à Mme Duncan pour sept minutes.

[Traduction]

    Merci, madame la présidente.
     J'aimerais remercier toutes les personnes présentes de leur témoignage et du travail qu'elles accomplissent.
    Docteure Jericho, je crois que vous avez déclaré qu'il faut adapter les ressources à l'ampleur du problème. Si vous pouviez faire des recommandations très précises que vous voudriez voir figurer dans le rapport de notre comité, à quelles fins voudriez-vous obtenir des ressources?
    Plusieurs idées me viennent immédiatement à l'esprit et, bien sûr, en ma qualité de clinicienne, je pense immédiatement au contexte clinique. Je pense au fait que, en tout temps, nous avons jusqu'à 10 personnes gravement malades qui risquent de ne pas avoir accès à des soins hospitaliers appropriés. C'est la première chose à laquelle je pense, car les personnes souffrant de troubles de l'alimentation ne cadrent pas avec les paradigmes psychiatrique et médical traditionnels. Il y a une lacune à ce niveau. C'est, je pense, un besoin criant et omniprésent au pays.
    Une autre bonne façon d'allouer les ressources, ce serait d'en affecter à l'élaboration de mécanismes favorisant la collaboration entre programmes, le réseautage et une meilleure compréhension du travail de chacun. Je pense que, chacun de notre côté, nous faisons du bon travail, n'est-ce pas? Dans notre programme, nous offrons un service de consultation aux intervenants dans la collectivité. Ils peuvent nous appeler et nous poser des questions. Je sais que beaucoup d'intervenants organisent des téléconférences et des thérapies pour les personnes dans les collectivités rurales de cette façon. Il faut cependant faciliter la communication entre nous.
    Si vous pouviez transformer ces deux idées en recommandation... Vous avez parlé de combler les lacunes entre le paradigme traditionnel et le paradigme de la santé mentale. Est-ce que ce serait une recommandation?
    Oui.
    Vous avez également parlé de l'un des principaux problèmes, à savoir la gamme de traitements, la poursuite du traitement, plus particulièrement pour les personnes gravement malades. Donc, combler les lacunes et un vrai traitement pour les personnes gravement malades.
    Voulez-vous préciser votre pensée?
    Oui. Par traitement réel, j'entends la capacité d'accueil dans les hôpitaux, autrement dit des lits réservés.
    C'est ce que je voulais entendre, merci.
    En ce qui concerne la collaboration, souhaitez-vous obtenir du financement et partager les pratiques exemplaires tirées de la médecine fondées sur des résultats probants?
    Ce que je souhaiterais... et je suis vraiment contente de votre intervention, docteure Rice, car je suis entièrement d'accord avec vous que nous n'avons pas la science infuse pour le traitement de ces maladies.
    Lorsque je dis fondé sur des résultats probants, je parle de l'application d'une norme commune et de se fonder sur cette norme pour innover. Si nous collaborons tous, nous pouvons partager nos découvertes concernant ces innovations et faire des progrès dans notre domaine. Or, actuellement, tout est si compartimenté que nous ne disposons pas de suffisamment de données pour étoffer la recherche. Nous réalisons de grandes choses chacun de notre côté, mais nous ne savons pas toujours ce que les autres font et nous devons nous contenter de données tirées de tests aléatoires.
    D'accord, je comprends.
    Vous avez parlé du financement pour la formation. Donc, une des recommandations que vous faites au comité, c'est qu'il devrait y avoir des fonds pour la formation. Je crois que l'Ontario a un bon modèle. Vous voudrez peut-être nous donner votre avis à ce sujet. Si je me souviens bien, vous avez également déclaré que la formation sur les troubles de l'alimentation est optionnelle en psychiatrie.
    Aimeriez-vous faire des recommandations précises à ce comité afin qu'elles soient incluses dans le rapport?
(1725)
    Je ne peux pas me prononcer sur la formation en Ontario. La raison pour laquelle j'ai insisté sur les psychiatres et leur formation, c'est que, à mon avis, le strict minimum serait que tous les psychiatres résidents soient tenus de consacrer une partie de leur formation au traitement des personnes atteintes de troubles de l'alimentation.
    Je vous remercie.
    C'est le strict minimum.
    Le strict minimum, je l'ai souligné. Merci.
    Nous entendons souvent que les gens atterrissent sur une autre planète. Ils atterrissent dans un monde inconnu. Les familles essaient désespérément de naviguer dans le système. Est-ce qu'il serait utile d'avoir des navigateurs?
    Voulez-vous dire des navigateurs pour orienter les gens dans la bonne direction? Autrement dit, une personne affiliée aux soins primaires...
    Oui.
    ... qui référerait les gens? Dans ma province, il existe déjà un service, appelé Access Mental Health. Il s'agit d'un service centralisé de triage. J'ai affaire à ce service. Il est très utile, car non seulement les médecins y ont accès par téléphone, mais également les particuliers qui y ont accès sans passer par un médecin.
    Ce service est-il offert partout au pays?
    Je ne crois pas.
    Merci.
    J'ai deux dernières questions. Nous entendons constamment parler des temps d'attente, des traitements adaptés et d'un programme de recherche national, mais nous n'avons pas approfondi le sujet. Quels sont les temps d'attente appropriés et de quel programme de recherche parlez-vous?
    Je peux parler du traitement et répéter qu'un traitement adapté commence par le diagnostic. Une fois le diagnostic posé, on peut commencer à fournir le strict minimum en stabilisant médicalement la personne et en évitant que son état ne se détériore.
    Vous me posez une question difficile, parce que les centres de traitement spécialisés... et je peux dire que le strict minimum devrait être une approche familiale pour les jeunes personnes, une thérapie cognitivo-comportementale plus une thérapie comportementale dialectique pour les personnes boulimiques. Ensuite, c'est selon le cas, car, je le répète, il n'y a pas de panacée. Voilà les approches probantes que nous devons continuer d'utiliser, parallèlement aux interventions axées sur le comportement associé aux aliments et aux repas, et à l'important travail nutritionnel. Pour moi, c'est le strict minimum pour un programme sur les troubles de l'alimentation.
    Je tiens cependant à souligner que la plupart des personnes qui souffrent d'un trouble de l'alimentation ne sont pas inscrites à ces programmes. Donc, le strict minimum c'est qu'elles...
    Merci.
    Nous avons peut-être le temps pour une très brève question de Mme Young avec une très brève réponse, car nous manquons de temps.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup de votre excellent témoignage.
    Étant donné que je dispose de très peu de temps, je voulais préciser que je suis sociologue. Ce que je voulais vous demander, à tous, c'est si vous pouviez nous envoyer — compte tenu de l'importance cruciale de cette question — toute l'information concernant les sujets que vous n'avez pas pu aborder en raison de la contrainte de temps. Plus particulièrement, j'aimerais que vous nous transmettiez davantage d'information sur les troubles de l'alimentation. On a dit que ces troubles sont un symptôme parmi d'autres, qu'ils ne sont pas la cause profonde du problème, et que des problèmes psychologiques jouent un rôle.
    J'aimerais également que vous nous donniez du contexte concernant l'affirmation que 1,5 % de la population souffre de troubles de l'alimentation — l'autre jour on a avancé le chiffre de 525 000 personnes au Canada. C'est un nombre considérable, associé, tel que discuté, à un taux de mortalité considérable.
    Est-ce que le nombre de malades augmente au fil des ans? Si oui, quelles sont — selon vous qui avez mené des études et travaillez dans ce domaine tous les jours — les raisons sociétales ou culturelles qui expliqueraient cette augmentation? Comment pouvons-nous régler le problème? Quelles mesures nous recommandez-vous afin que nous ne nous contentions pas de traiter les symptômes, mais que nous tenions compte de la cause profonde afin d'essayer de régler le problème?
(1730)
    Merci beaucoup, madame Young.
    Je demande au témoin de nous transmettre l'information par l'entremise de la greffière du comité.
    Je remercie encore une fois toutes les personnes présentes de leur témoignage. Tout le monde...
    Je me demande si Mme Young pouvait juste ajouter quelque chose, juste un autre petit commentaire?
    La cloche sonne. Vous pourriez peut-être formuler votre demande...
    J'invoque le Règlement.
    Je propose que Mme Young puisse aller au bout de son temps de parole. Nous avons amplement de temps avant de passer au vote.

[Français]

    Y a-t-il consentement unanime?

[Traduction]

    Elle est assise patiemment depuis deux heures.
    Des voix: Non.
    M. Terence Young: D'accord, nous nous en souviendrons. Merci.

[Français]

    Madame Young, vous pourrez envoyer votre demande à la greffière.
    Merci beaucoup de vos témoignages.
    La prochaine réunion aura lieu ici même, à 15 h 30, le lundi 24 février.
    La séance est levée.
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