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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 016 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 5 mars 2014

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions la situation en Syrie.
    Nous allons entendre notre témoin. Nous accueillons aujourd'hui M. Nigel Fisher. Il est le secrétaire général adjoint, coordonnateur humanitaire régional pour la crise syrienne, pour les Nations Unies.
    Nous avons environ une demi-heure, mais je veux pouvoir faire au moins une série de questions. Nous allons peut-être dépasser un peu pour pouvoir avoir un tour complet.
    Bienvenue, monsieur Fisher. Merci d'être venu. Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui.
     Je vous donne la parole, monsieur. Après votre exposé, les membres du comité vont tour à tour vous poser des questions, et ce, au moins une fois chacun.

[Français]

    Monsieur le président, je vais m'exprimer en anglais, mais je pourrai répondre aux questions en français.

[Traduction]

    Je suis ravi d'être ici aujourd'hui. Merci de m'avoir invité.
    Mon exposé est bref et devrait, je l'espère, durer moins de 10 minutes, ce qui vous laissera suffisamment de temps pour poser des questions. Comme vous l'avez dit, je suis le coordonnateur humanitaire régional pour la crise syrienne, et je suis basé à Amman, en Jordanie.
    Monsieur le président, les travailleurs humanitaires en Syrie ont trois priorités.
    Premièrement, la population syrienne a besoin de protection. Quelque 5 000 Syriens sont tués chaque mois. Selon les observateurs, à ce jour, environ 140 000 Syriens ont été tués. Et je pense qu'il s'agit d'une estimation prudente.
    Deuxièmement, il est absolument essentiel de sécuriser l'accès aux civils touchés. Un quart de millions de Syriens au moins sont assiégés en ce moment.
    Récemment, l'ONU et ses partenaires ont évacué 1 400 personnes de la vieille ville de Homs, après neuf mois de négociation. Pendant l'évacuation, notre convoi a été la cible de tirs. De jeunes hommes qui quittaient les zones assiégées ont été rapidement arrêtés par l'armée syrienne et la milice prorégime.
    Au camp de Yarmouk, à Damas, c'est la destruction totale. L'UNRWA, l'organisation qui aide les réfugiés palestiniens au Moyen-Orient, arrive à distribuer quelques centaines de paquets de nourriture par jour, souvent sous les tirs, et toujours sous la menace. Les cessez-le-feu ne sont pas respectés, et les besoins sont criants.
    Le régime largue en toute impunité des bombes à baril très destructrices sur des quartiers résidentiels d'Alep à Yabroud, sur la frontière libanaise, jusqu'à Deraa dans le sud.
    Plus de 3 millions de personnes vivent dans des zones difficiles d'accès. Elles sont nombreuses à ne recevoir aucune aide humanitaire depuis des mois, voire plus d'un an.
    À la mi-février, nous estimions qu'il fallait de l'aide humanitaire d'urgence à 9,3 millions de personnes en Syrie, notamment à 6,5 millions de personnes déplacées à l'intérieur du territoire, dont la moitié sont des enfants. Compte tenu des personnes récemment déplacées d'Alep et de Yabroud, ce nombre dépasse maintenant les 10 millions.
    Le nombre de réfugiés ne cesse d'augmenter: les estimations du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés dépassent maintenant les 2,5 millions — et encore là, il s'agit du chiffre officiel; en réalité, ils seraient nettement plus nombreux.
    Il faut avant toute chose garantir la protection des Syriens, puis en deuxième lieu avoir accès à eux.
    Vient ensuite le financement de l'aide humanitaire. Sans financement, nous, les travailleurs humanitaires, ne pouvons faire notre travail. Nous sommes reconnaissants au Canada du financement généreux auquel il s'est engagé récemment pour 2014. Que ce soit pour leur apporter de la nourriture, des vaccins, de l'eau, des couvertures ou d'autres articles non alimentaires, les agences de l'ONU et nos partenaires, y compris de nombreuses organisations syriennes, le Croissant-Rouge arabe syrien, des ONG et des conseils locaux, parviennent à atteindre des millions de personnes en bravant barrages routiers, kidnapping et bombardements, mais des millions d'autres sont toujours inatteignables.
    Au début d'octobre dernier, il y a plus de quatre mois, le Conseil de sécurité de l'ONU, admettant l'ampleur de la tragédie humanitaire toujours croissante en Syrie, a adopté une déclaration présidentielle qui insistait sur la nécessité de prendre des mesures immédiates pour protéger les civils et assurer l'accès à ceux qui sont dans le besoin dans tout le pays.
    Pourtant, dans les mois qui ont suivi, le conflit s'est intensifié, et le siège a continué d'être utilisé comme arme de guerre. On continue de cibler systématiquement les villes selon leur appartenance religieuse. Rien n'indique que les violences aveugles vont diminuer, qu'il s'agisse des bombardements aériens, en particulier du recours aux bombes à baril par le régime, et des attaques au mortier ou à la voiture piégée dans les secteurs à forte densité de population. Les forces du gouvernement syrien et ses milices alliées sont responsables d'innombrables meurtres, disparitions, mutilations et actes de torture. Les institutions civiles sont la cible d'attaques, comme les écoles de l'UNRWA.
(1535)
    Les forces d'opposition, surtout les éléments extrémistes, sont responsables d'exécutions sommaires, du recrutement d'enfants-soldats, d'agressions sexuelles et d'utilisation de tactiques de terreur dans les zones civiles. Le secrétaire général a récemment présenté au conseil de sécurité son rapport sur les enfants et les conflits armés en Syrie, et il y dépeint ce qu'il qualifie de souffrance « inacceptable » subie par les civils.
    La situation humanitaire ne fait qu'empirer. C'est pourquoi, il y a 10 jours, le conseil de sécurité a approuvé à l'unanimité la résolution 2139 exigeant que toutes les parties autorisent un accès aux organismes humanitaires de l'ONU et à leurs partenaires, qu'il s'agisse de franchir les frontières ou de passer d'une zone à l'autre.
    En ce qui concerne le passage d'une zone à l'autre en Syrie, et depuis l'adoption de la résolution, nous avons à titre de partenaire et d'agence des Nations Unies rapidement élaboré un plan pour améliorer le passage des lignes de front en Syrie. Il faut constamment négocier avec le régime syrien et les groupes d'opposition, ainsi qu'à chaque blocage rencontré. Nous ne nous attendons pas à ce que le régime cesse soudainement de nuire à l'accès et de créer des blocages, mais nous signalerons assurément tout progrès et tout obstacle. Au moins, contrairement à la déclaration présidentielle mentionnée plus tôt, la résolution exprime l'intention du conseil de sécurité de prendre des mesures en cas de non-respect de la résolution.
    En ce qui concerne les opérations transfrontalières, ces derniers jours nous avons également élaboré des plans à jour indiquant où nous pouvons nous rendre et qui nous pouvons atteindre à partir des pays voisins, soit la Turquie, l'Irak, le Liban et la Jordanie, en plus de marquer l'emplacement des groupes armés afin de déterminer où il nous est possible ou impossible de passer.
    J'ai ici une carte que je peux distribuer. Nous avons conçu cette carte pour marquer l'emplacement exact... Cette carte indique l'emplacement des gens à risque et l'emplacement des différents groupes armés. Elle indique les endroits où nous tentons de nous rendre en passant par des pays voisins.
    Il y a des contraintes partout. Par exemple, où se trouve ISIS, la Turquie n'ouvre pas ses points de passage frontalier. Aux dernières nouvelles, le régime syrien répétait sans cesse que pour lui, les opérations transfrontalières provenant de la Turquie représentent une ligne rouge. La Syrie fait souvent valoir son droit de souveraineté pour autoriser ou refuser l'accès transfrontalier. Nous répliquons qu'au-delà des droits de la souveraineté, la Syrie a l'obligation souveraine, bien établie en droit humanitaire international, d'au mieux faciliter l'accès et d'au pire ne pas l'empêcher.
    Ce matin, j'ai obtenu une mise à jour du Programme alimentaire mondial selon lequel le gouvernement syrien aurait consenti à ce qu'un convoi d'aide alimentaire franchisse la frontière par Nusaybin en Turquie — dans l'extrême nord-est de la Syrie. Le convoi franchirait la frontière à Nusaybin, en Turquie, pour traverser un secteur contrôlé par les Kurdes de la Syrie et se rendre à la ville de Qamishli, dans le nord-est de la Syrie, où se trouve un entrepôt du PAM. L'organisme Programme alimentaire mondial tente en ce moment d'obtenir l'accord des autorités turques pour ce passage.
    Ce sera un précédent si le gouvernement syrien accepte qu'un convoi entre du côté de la Turquie, car, comme je l'ai dit plus tôt, cela a toujours été une ligne rouge. Je réitère que nous ne nous attendons pas à ce que la Syrie change du jour au lendemain et devienne un partenaire coopératif, mais c'est un petit pas en avant qui est encourageant depuis l'adoption de la résolution. Nous nous servirons de la résolution pour repousser les limites et continuerons d'utiliser nos contacts avec la Russie et l'Iran pour les amener à exercer leur influence sur la Syrie.
    Je m'arrête ici, monsieur le président, et j'attends les questions du comité sur la Syrie ou sur la situation dans les pays limitrophes, dont je n'ai pas parlé dans mon exposé.
    Merci.
(1540)
    Merci monsieur Fisher.
    Nous allons commencer par l'opposition. Madame Laverdière, vous avez sept minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie beaucoup, monsieur Fisher, de cette très intéressante présentation. Elle se termine heureusement sur une petite note d'espoir alors que la situation n'est vraiment pas rose.
    En matière d'accès, que ce soit à partir d'autres pays ou à l'intérieur de ceux-ci, y a-t-il quelque chose de plus que la communauté internationale, notamment le Canada, puisse faire?

[Traduction]

    J'estime qu'il faut continuer à exercer des pressions et insister pour que la Syrie se conforme aux normes humanitaires internationales et aux droits de la personne.
    Comme je l'ai dit, la Syrie a toujours beaucoup insisté sur sa souveraineté, mais selon les pratiques bien établies du droit international humanitaire, elle a l'obligation de faciliter l'accès et non de l'empêcher. La Syrie a permis à des convois de franchir les frontières de la Jordanie et de l'Irak lorsqu'ils transportaient du matériel destiné aux zones contrôlées par le gouvernement.
    Nous insistons pour que nous puissions atteindre les personnes en fonction des besoins et non pas en fonction de l'emplacement. Ce message doit être répété continuellement, non seulement à la Syrie, mais à ceux qui appuient la Syrie — la Russie, l'Iran — et à toutes les parties prenantes dans ce conflit.
    Nous avons des problèmes avec les groupes d'opposition et, en particulier, avec l'ISIS, mais étant donné la prépondérance des forces, le régime syrien est le plus grand obstacle.

[Français]

    Merci beaucoup.
    Pour ce qui est du financement, quelle est la situation présentement? Dans quelle mesure vos besoins sont-ils satisfaits?

[Traduction]

    Une conférence pour les annonces de contributions a eu lieu le 15 janvier au Koweït. Près de 2,5 milliards de dollars ont été promis. Le Canada a depuis ajouté 150 millions de dollars à ses engagements pour cette année, ce qui en fait un des principaux donateurs à cette crise en Syrie.
    À l'heure actuelle, un très petit pourcentage de ces engagements s'est concrétisé. Par exemple, en ce qui concerne les réfugiés dans les pays limitrophes, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a jusqu'à maintenant reçu environ un demi-milliard de dollars même s'il en a demandé 4 milliards. Nous sommes encore loin du compte.
    Je dois admettre que même si nous recevions 100 % de ce qui a été demandé, la somme ne répondrait pas à tous les besoins des gens dans les pays limitrophes. Nous avons également demandé 2,5 milliards de dollars pour l'intérieur de la Syrie et, comme je l'ai dit, il y a des millions de personnes que nous ne pouvons atteindre en raison des conflits et des zones assiégées.
    Les besoins sont énormes et l'organisme pour lequel je travaille, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, est en train de cataloguer tous les engagements souscrits. Nous contactons les donateurs pour les exhorter à respecter leurs engagements.
(1545)

[Français]

    Merci beaucoup.

[Traduction]

    J'ai une dernière question. Quelles sont les difficultés de coordination entre le BCAH et les autres agences des Nations Unies sur le terrain? Y a-t-il des difficultés particulières?
    Je dois dire que la coordination s'améliore. Nous devons tenter de maintenir la solidarité au sein du pays devant le régime syrien, car, par exemple, le BCAH a déjà été très critique du régime par le passé et, par conséquent, le régime a dit aux autres agences: « Nous n'avons pas de problème avec vous, nous avons un problème avec le BCAH qui essaie de nous diviser. »
    Nous essayons de maintenir la solidarité. Nous avons un coordonnateur humanitaire sur le terrain à Damas qui représente toute l'équipe dans les démarches de demande d'accès à la Syrie.
    Je dois admettre que c'est toujours très difficile. Le régime nous a délivré davantage de visas, mais ça prend beaucoup de temps. Nous avons toujours des retards dans les approbations de convois qui tentent d'aider les gens dans le besoin. J'ai donné l'exemple de Homs. Il nous a fallu neuf mois de négociation pour arriver à une entente de base selon laquelle les personnes dans le besoin ont le droit d'obtenir de l'aide. Comme je le disais, une fois que l'opération a été lancée, nous avons été bombardés. Des gens ont été arrêtés. Il faut donc honnêtement travailler ensemble pour que tous demeurent solidaires devant ce problème persistant.
    Une de mes tâches principales dans les pays limitrophes est de mobiliser les agences, qu'elles dispensent de l'aide humanitaire immédiate aux réfugiés ou qu'elles travaillent à aider les collectivités qui accueillent des réfugiés puisqu'elles ont également grand besoin d'une démarche cohérente.
    Voilà à quoi nous travaillons. Il est impossible de faire une distinction entre les mesures humanitaires destinées aux réfugiés et l'aide aux collectivités. C'est pourquoi nous tentons de mobiliser tout le monde de sorte que, peu importe la source des fonds, nous pouvons avoir une démarche cohérente.
    Je dirais que la coordination s'améliore. Nous travaillons avec un grand nombre de donateurs qui appuient cette initiative. Nous travaillons avec les pays limitrophes pour les aider à gérer les interventions dans leur propre pays.
    Il me reste du temps pour une petite question. À la lumière de ce qui est arrivé à Homs, que jugez-vous que nous devrions faire à l'avenir? Devrions-nous refaire ce genre d'expérience? Quelles ont été les leçons apprises?
    Nous insistons tout le temps. Vous avez probablement vu cette incroyable photo de gens qui attendaient de l'aide au camp Yarmouk, un camp palestinien. Nous insistons constamment et nous nous butons constamment à une résistance. Nos collègues sont constamment en danger.
    Heureusement, nous sommes tout de même en mesure de travailler avec les réseaux d'organismes syriens locaux, surtout les conseils locaux. Qu'ils travaillent dans les zones contrôlées par l'opposition ou par le régime, nous arrivons à travailler avec eux. Nous essayons donc d'accroître notre aide par l'entremise d'organismes syriens. Notre approche de base est aussi d'essayer de travailler par l'entremise d'organismes locaux, car ils seront là longtemps après notre départ. C'est pourquoi nous devons les aider dès maintenant.
    Nous tentons également d'aider d'abord et avant tout les collectivités qui ne sont pas encore touchées par le conflit, mais dont les membres doivent être déplacés, faute de travail, de soins de santé, de services d'éducation, etc. Si nous pouvons fournir des ressources pour assurer un emploi aux gens et assurer le maintien des services communautaires dans la mesure du possible, nous pourrons prévenir dans une certaine mesure les déplacements de populations.
    Merci beaucoup, madame Laverdière.
    Nous allons maintenant passer à Mme Brown, pour sept minutes.
    Monsieur Fisher, il y a un certain temps déjà que nous avons été saisis de cette question. M. Conrad Sauvé a comparu il y a quelques semaines. Il a parlé du travail de la Croix-Rouge de concert avec le Croissant-Rouge et, évidemment, de la difficulté d'accès aux gens qui ont vraiment besoin d'aide en Syrie. Bien sûr, nous demandons aux deux côtés de permettre l'accès humanitaire, car il y a des gens qui souffrent et qui ont besoin de notre aide.
    Vous avez parlé de la région nord-est de la Syrie. Un de nos témoins nous a parlé des différentes factions qui divisent la Syrie, la région kurde dans le nord-est et d'autres groupes sectaires. Y a-t-il quelque chose de particulier chez ce groupe dans le nord-est qui fait en sorte qu'on a permis l'accès?
(1550)
    C'est une région kurde et il y a eu une entente informelle entre les autorités syriennes et les Kurdes afin que ces derniers puissent avoir une certaine liberté dans cette région. C'est du moins le cas par comparaison avec d'autres groupes, dans d'autres régions contrôlées par des éléments de l'opposition. Je dirais que le régime s'y sent moins menacé. Cela ne représente pas en quelque sorte une ligne rouge pour eux comme c'est le cas pour d'autres régions contrôlées par l'opposition ou comme ce serait le cas d'un passage par la Turquie. C'est un peu plus ouvert.
    Pour les mêmes raisons, ils nous ont également permis d'envoyer des convois à partir de l'Iraq et de réaliser des opérations de parachutage à Hasakah.
    Alors, oui, je dirais qu'il y a une sorte d'entente entre les Kurdes qui contrôlent cette région et le régime, ce qui n'est évidemment pas le cas ailleurs.
    Peut-on espérer de cela qu'il sera possible de faire entrer autre chose au pays?
    Il faut espérer. Je crois que nous espérons... Disons que la résolution du Conseil de sécurité n'est pas aussi musclée que nous le souhaiterions. La résolution fait en sorte que nous devons toujours demander l'autorisation des autorités syriennes pour tout passage transfrontalier ou activité transfrontalière, mais nous voulons vraiment insister. Nous estimons qu'en cas de refus, nous pourrons renvoyer cela au Conseil de sécurité. Nous devons présenter un rapport mensuel sur tous nos efforts pour atteindre les gens dans le besoin et indiquer si nous avons réussi ou non, et pourquoi. Nous espérons que ce sera un moyen d'accroître la pression sur le régime, mais aussi sur les éléments d'opposition comme l'ISIS. Dans ce dernier cas, notre influence est encore moins grande.
    C'est très préoccupant de voir que le financement promis ne se matérialise pas. Je sais qu'il y a eu une conférence pour l'annonce des contributions, il y a un an en janvier, et j'ai appris qu'environ 27 % de l'argent avait été reçu. Pouvez-vous nous parler de cela?
    Je crains que vous fassiez erreur.
    À la première conférence pour les annonces de contributions, qui a eu lieu au Koweït à la mi-janvier 2013, des contributions d'environ 1,5 milliard de dollars ont été promises. À la fin de l'année civile 2013, nous avions reçu environ 4,5 milliards de dollars. Certains pays n'ont pas respecté leurs engagements, mais en général, la plupart des pays ont donné davantage que ce qu'ils avaient promis et sont revenus à la charge deux ou trois fois. Nous avons la certitude de recueillir plus que les 2,5 milliards de dollars promis au Koweït cette année. Comme je l'ai dit, ce qui presse, c'est le respect des engagements.
    J'aimerais maintenant attirer votre attention sur les enfants.
    Jeudi dernier, j'ai eu l'occasion de prendre la parole à une conférence, ici à Ottawa, à la Fondation Aga Khan. Il s'agissait de l'initiative Non à une génération perdue. Contribuez-vous d'une façon ou d'une autre à cette initiative en matière d'éducation et, le cas échéant, pouvez-vous nous en parler un peu?
    Oui. Par l'initiative Non à une génération perdue, on cherche à assurer une éducation aux enfants syriens, surtout aux enfants syriens réfugiés. Avant le conflit, la Syrie affichait un taux de littératie et un effectif scolaire parmi les plus élevés. Après trois années d'un conflit dont nous ne savons pas combien de temps il durera encore, nous craignons que ce soit les enfants syriens qui en ressortent perdants. Il ne s'agit pas que des élèves au primaire, mais aussi des élèves au secondaire et des étudiants au niveau postsecondaire. Par cette initiative, on tente de faire en sorte que les enfants continuent de fréquenter l'école.
    Je pense qu'il sera plus facile de joindre les enfants réfugiés que ceux qui se trouvent toujours en Syrie et, comme je l'ai dit, il s'agit de tous les niveaux d'éducation. Par exemple, en Turquie, les Turcs forment actuellement les étudiants qui ont terminé la moitié de leurs études universitaires à la langue turque afin qu'ils puissent terminer leurs études dans des universités turques. Ce genre d'initiative a lieu partout dans ce pays.
    J'aimerais signaler que j'ai travaillé auprès de l'UNICEF pendant de nombreuses années. J'ai travaillé aux droits des enfants dans les zones de conflit. J'étais fier d'être associé à la Convention relative aux droits de l'enfant et à d'autres conventions visant à protéger les enfants lors de conflits armés. Je dois dire que j'estime que nous avons suffisamment de principes. Nous disposons de suffisamment de normes. Nous en avons assez. Nous faisons maintenant face à une situation où il faut trouver un moyen de les appliquer.
    Je suis abasourdi. J'ai connu de nombreuses crises, mais je trouve que jamais on n'a tant ignoré les normes et critères internationaux que dans celle-ci. C'est vraiment troublant. Les enfants sont ciblés, violés et torturés ad nauseam, et les gens ne disent rien ou ne réagissent presque pas. Même lorsque des rapports sont soumis au Conseil de sécurité, comme le plus récent portant sur la situation des enfants, cela ne soulève presque aucune réaction.
    Je pense que le Canada doit profiter de chaque possibilité pour rappeler au monde qu'il ne s'agit pas de remporter une guerre. Il faut respecter les normes internationales. Comment les partisans du régime ou de l'opposition peuvent-ils s'attendre à faire partie d'un futur gouvernement s'ils agissent en criminels de guerre? Ils ont commis des crimes de guerre. Ils ont commis des crimes contre l'humanité. Ils ont commis des actes allant à l'encontre de toute norme humanitaire.
    Je pense qu'il faut se faire entendre pour rappeler au régime et à ses partisans, ainsi qu'à l'opposition, que les gens qui gouvernent un pays le font dans les intérêts de la population. Je pense que cela a été totalement ignoré dans cette crise, et ce, d'une façon tout à fait inédite.
(1555)
    Merci, c'est tout le temps dont vous disposiez.
    Nous cédons maintenant la parole à M. Scarpaleggia. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui.
    Monsieur Fisher, merci beaucoup de votre description de la situation sur le terrain.
    J'aimerais mieux comprendre ce qui se passe. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 2139. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette résolution? Je pense que vous avez dit qu'elle exigeait de la part du gouvernement syrien qu'il coopère à la livraison d'aide humanitaire, sans quoi il risque des sanctions.
    Ai-je bien compris?
    À l'heure actuelle, la résolution ne mentionne aucune sanction.
    Non, mais on cherche quand même à faire de l'intimidation...
    Essentiellement, le Conseil de sécurité demeure saisi de la question, et il prendra des mesures supplémentaires...
    M. Francis Scarpaleggia: Exactement, il prendra d'autres mesures.
    M. Nigel Fisher: ... si jamais les recommandations n'étaient pas suivies.
    Si la résolution a des dents, je dirais qu'il s'agit plutôt de dents de lait que de dents de sagesse. Je pense que cela exige un suivi agressif.
    Ma question alors est la suivante. Comment pouvons-nous nous attendre à ce que cette résolution soit efficace? Manifestement, c'est mieux que de ne pas en avoir du tout, mais nous faisons face à un gouvernement très endurci qui, si j'ai bien compris votre témoignage, ne laissera entrer l'aide humanitaire que dans les régions qu'il contrôle. Manifestement, il veut se ménager la loyauté des personnes vivant dans ces régions.
    Que peut faire une résolution comme celle-là? Bien sûr, il est important que le Conseil de sécurité soit saisi de la question, mais peut-on vraiment dire que le gouvernement syrien, quand il accepte de laisser entrer l'aide humanitaire dans des régions non contrôlées par le gouvernement, le fait parce que le Conseil de sécurité l'a à l'oeil?
    Comme question de suivi, j'aimerais savoir quel type de réponse nous obtenons de la Russie et de l'Iran aux incitations pour qu'ils persuadent le gouvernement syrien de permettre l'entrée de l'aide humanitaire dans les zones non contrôlées par le gouvernement syrien? La Russie et l'Iran se montrent-ils utiles, ou bien font-ils de l'obstruction?
    Selon vous, que se passe-t-il à l'échelle de ces voies diplomatiques?
    Aucun membre des Nations Unies n'aime être visé par une résolution du Conseil de sécurité, parce qu'ils estiment qu'on empiète sur leur souveraineté. Dans le passé, le Sri Lanka, par exemple, a toujours essayé d'éviter à tout prix une résolution du Conseil de sécurité parce que cela érode leur prétention à la souveraineté absolue sur leur territoire et qu'ils ne veulent notamment aucune interférence étrangère.
    Par exemple, si on se demande pourquoi la Russie et la Chine ont constamment opposé leur veto aux résolutions passées... cela porte moins sur ce qui se passe en Syrie que sur leur propre souveraineté et ce qui pourrait leur arriver à l'avenir. Je pense qu'une résolution du Conseil de sécurité crée un effet de levier. Une atteinte à la souveraineté qu'ils aiment protéger devient alors possible.
    Je vais vous faire part d'une opinion personnelle. Il faut peut-être une analyse plus approfondie que celle que je suis en mesure de faire, je pense que si l'on examine de près la Russie et l'Iran on peut constater qu'ils ne sont peut-être pas aussi liés au président Assad et à son régime qu'on le pense. Ce qu'ils veulent, c'est d'exercer une influence en Syrie pour des questions de religion ou de pouvoir régional. Par conséquent — et c'est ce que certains analystes ont dit —, je pense que si les personnes aux échelons supérieurs du régime Assad deviennent trop gênantes pour la Russie et l'Iran, ces derniers seraient peut-être prêts à les laisser tomber.
    Bien sûr, je ne pense pas qu'on puisse s'attendre à ce que l'ensemble de la structure de gouvernement en Syrie disparaisse. Je pense que cela se traduirait par un désastre, parce qu'il n'y a aucune solution de rechange. Mais on peut s'attendre à ce que les personnes aux échelons supérieurs qui s'agrippent au pouvoir par tous les moyens deviennent à terme trop gênantes pour la Russie ou l'Iran.
    Quelle est l'influence de la Russie? Lors de la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité, la Russie a en réalité joué un rôle très utile en essayant d'amener le régime syrien à collaborer. Cela a permis de relâcher certaines des restrictions bureaucratiques auxquelles nous faisions face. Par exemple, l'un de mes rôles consiste à faciliter les activités transfrontalières vers la Syrie. Je dis « faciliter » parce qu'à l'heure actuelle, les organismes des Nations Unies n'ont pas pu franchir la frontière en raison de cette question de souveraineté.
    Les Syriens ont prévenu les Nations Unies que nous ne devons pas être trop actifs. Mais je pense qu'il y a... Je suis désolé, j'ai perdu le fil de mes pensées.
(1600)
    Ma question est la suivante, les Russes et les Iraniens travaillent-ils avec...
    Ah oui, je suis désolé, c'est vrai.
    Les Russes ont été extrêmement utiles jusqu'à ce que leur pression soit telle que les Syriens ont dit, « Nous savons que les Russes vous ont dit qu'ils vont essayer de nous aider, mais au bout du compte c'est de notre pays qu'il s'agit. » L'effet est donc limité et, bien sûr, la Russie a ses propres objectifs dans la région.
    Pour ce qui est de la situation des réfugiés, il y en a 2,5 millions dans des camps. J'aimerais à des fins personnelles obtenir des éclaircissements.
    Le Canada a accepté d'accueillir 1 300 réfugiés. Proviennent-ils de camps ou s'agit-il du parrainage privé d'autres Syriens ou bien...? Eh bien, je suppose qu'il serait très difficile pour des Syriens de sortir du pays à l'heure actuelle et d'être acceptés comme réfugiés par un autre pays. Mais ils pourraient être parrainés par un Syrien qui n'est pas dans un camp, mais qui se trouve dans un pays voisin.
    Quand on parle de 1 300 réfugiés, ce ne sont pas 1 300 réfugiés provenant de camps comme tels, n'est pas?
    En réalité, la majorité des réfugiés dans les pays voisins ne sont pas dans des camps. Aucun de ceux qui vont au Liban n'aboutit dans un camp. Ils se retrouvent tous au sein des collectivités. Pour 80 à 90 % de ceux qui sont en Jordanie, c'est la même chose. Ils doivent être inscrits comme réfugiés.
    Les 2,5 millions de réfugiés sont ceux qui sont déjà inscrits auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. En réalité, nous estimons qu'ils sont encore plus nombreux que l'indiquent les données officielles.
    Les 1 300 réfugiés doivent figurer parmi les réfugiés inscrits. Honnêtement, je ne sais pas s'ils proviendraient... Je ne pense pas que le Canada fasse une distinction entre les réfugiés provenant de camps ou provenant des collectivités.
    Tant et aussi longtemps qu'ils sont inscrits.
    Oui.
    Merci.
    C'est tout le temps dont nous disposons.
    Monsieur Fisher, je suis heureux que nous ayons pu profiter de votre passage à Ottawa pour vous faire témoigner devant le comité. Nous sommes très heureux de vous avoir reçu aujourd'hui.
    Nous vous souhaitons la meilleure des chances. Merci.
    Nous allons suspendre la séance pendant quelques secondes pour permettre aux autres témoins de s'installer.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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