JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent de la justice et des droits de la personne
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 4 février 2003
¿ | 0905 |
Le vice-président (M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.)) |
M. Keith Norton (commissaire en chef, Commission ontarienne des droits de la personne) |
¿ | 0910 |
¿ | 0915 |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Laurie Arron (président, Comité pour le mariage égal, Égale Canada) |
¿ | 0920 |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. John Fisher (directeur des affaires juridiques et politiques, Égale Canada) |
¿ | 0925 |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Michel Morin (Faculté de droit, Université d'Ottawa, À titre individuel) |
¿ | 0930 |
¿ | 0935 |
¿ | 0940 |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne) |
M. Keith Norton |
M. John Fisher |
¿ | 0945 |
M. Kevin Sorenson |
M. Michel Morin |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ) |
¿ | 0950 |
M. John Fisher |
M. Richard Marceau |
M. Keith Norton |
M. Richard Marceau |
Pr Michel Morin |
¿ | 0955 |
M. John Fisher |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD) |
À | 1000 |
M. John Fisher |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.) |
À | 1005 |
M. Michel Morin |
M. Derek Lee |
M. Michel Morin |
M. Derek Lee |
M. Michel Morin |
M. Derek Lee |
M. Keith Norton |
M. Derek Lee |
M. Keith Norton |
M. Derek Lee |
M. Keith Norton |
M. Derek Lee |
M. Laurie Arron |
M. Derek Lee |
M. Laurie Arron |
À | 1010 |
M. Derek Lee |
M. Keith Norton |
M. Derek Lee |
M. Keith Norton |
M. Derek Lee |
M. Keith Norton |
M. Derek Lee |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Michel Morin |
Le vice-président (M. John McKay) |
L'hon. Andy Scott (Fredericton, Lib.) |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Monte Solberg (Medicine Hat, Alliance canadienne) |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ) |
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.) |
À | 1015 |
Le vice-président (M. John McKay) |
Mme Marlene Jennings |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. John Fisher |
Pr Michel Morin |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Réal Ménard |
À | 1020 |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Réal Ménard |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. John Fisher |
Le vice-président (M. John McKay) |
Mme Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.) |
Laurie Arron |
À | 1025 |
M. Keith Norton |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Monte Solberg |
M. John Fisher |
M. Monte Solberg |
M. John Fisher |
À | 1030 |
M. Monte Solberg |
M. John Fisher |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Michel Morin |
M. Svend Robinson |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Réal Ménard |
Pr Michel Morin |
À | 1035 |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Laurie Arron |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Keith Norton |
M. Réal Ménard |
Le vice-président (M. John McKay) |
Mme Hedy Fry |
M. Laurie Arron |
À | 1040 |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Michel Morin |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Svend Robinson |
Laurie Arron |
Le vice-président (M. John McKay) |
M. Kevin Sorenson |
M. Keith Norton |
M. Kevin Sorenson |
Le vice-président (M. John McKay) |
Pr Michel Morin |
À | 1045 |
M. Kevin Sorenson |
Laurie Arron |
M. Kevin Sorenson |
Laurie Arron |
M. Keith Norton |
Le vice-président (M. John McKay) |
CANADA
Comité permanent de la justice et des droits de la personne |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 4 février 2003
[Enregistrement électronique]
¿ (0905)
[Traduction]
Le vice-président (M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.)): Je souhaite à tous la bienvenue à Ottawa, en cette horrible journée qui n'est agréable que pour les chauffeurs de taxi, les conducteurs de dépanneuses et les chirurgiens orthopédistes.
M. Scott, qui préside normalement ce comité, est au Nouveau-Brunswick. Vous l'avez peut-être vu hier soir à Fredericton avec certains de ses électeurs qui tentaient de se frayer un chemin dans toute cette neige que le Nouveau-Brunswick a reçue. Je ne m'attends pas à voir Andy arriver bientôt.
Nous accueillons un groupe d'éminents témoins. Certains d'entre vous ont déjà comparu devant notre comité, d'autres non. J'ai décrit notre procédure à certains d'entre vous déjà. Il y aura 10 minutes pour chaque exposé, puis, une période de questions. Pendant la première série de questions, chaque parti disposera de sept minutes et pendant la deuxième, de trois minutes.
Nous n'avons pas établi l'ordre dans lequel les témoins prendront la parole. Avez-vous des préférences? Devrais-je commencer par la gauche ou par la droite?
Une voix: Commencez par les plus âgés.
Le vice-président (M. John McKay): Je ne savais pas que notre comité examinait la question de l'âgisme.
Des voix: Oh, oh!
Le vice-président (M. John McKay): M. Norton commencera; il sera suivi de M. Fisher, de M. Arron et de M. Morin.
Monsieur Norton, vous avez la parole.
M. Keith Norton (commissaire en chef, Commission ontarienne des droits de la personne): Merci beaucoup, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de cette possibilité que vous m'offrez de comparaître devant vous ce matin pour discuter de la question du mariage et de l'égalité, de la question de savoir si le mariage doit demeurer une institution hétérosexuelle ou si on doit l'étendre et inclure les couples homosexuels, ainsi que pour discuter des changements possibles qui conviennent mieux aux objectifs de la législation sur les droits de la personne au Canada.
À titre de référence, permettez-moi de préciser que la Commission ontarienne des droits de la personne fut créée en 1963. En vertu du Code des droits de la personne de l'Ontario, nous sommes l'organisme de réglementation chargé de la mise en application des droits de la personne et de la prévention des pratiques discriminatoires dans la province de l'Ontario.
La commission réalise son mandat d'exécution en recevant premièrement ou en déposant les demandes dans les cas de discrimination. Nous enquêtons par la suite et nous nous efforçons de résoudre la plupart des demandes. Au besoin, nous plaidons devant le Tribunal ontarien des droits de la personne ou devant les autres tribunaux.
La commission assume également tout un éventail de fonctions plus générales et proactives touchant, par exemple, l'éducation du public sur les questions entourant les droits de la personne et la discrimination, ainsi qu'un examen des lois et règlements qui viennent en contradiction avec le code. Notre fonction légale consiste à favoriser la reconnaissance de la dignité et de la valeur de la personne et à assurer à tous les mêmes droits et les mêmes chances, sans discrimination contraire à la loi.
La commission a contribué activement à étendre les protections du code aux personnes qui s'identifient ou que les gens identifient comme étant gais ou lesbiennes. On a ajouté le motif de l'orientation sexuelle au code dans le cadre de la Loi de 1985 modifiant des lois en ce qui concerne les droits à l'égalité. Cette loi est entrée en vigueur le 18 décembre 1986.
Depuis lors, la commission a enquêté et plaidé dans plusieurs cas de plaintes en rapport avec l'orientation sexuelle. Parmi ces plaintes, certaines étaient logées par un plaignant homosexuel ou une plaignante lesbienne qui demandait, et à qui on refusait, une forme quelconque de reconnaissance conjugale pour son ou sa partenaire de même sexe. D'autres plaintes consistaient à remettre en question la définition homosexuelle de «conjoint(e)» dans une loi ou un règlement.
À l'exception de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse au Québec, qui applique depuis 1977 l'interdiction de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, la Commission ontarienne des droits de la personne a enquêté et plaidé dans un plus grand nombre de plaintes en rapport avec l'orientation sexuelle que tout autre organisme canadien oeuvrant dans le domaine des droits de la personne.
On a accordé à la commission la permission d'intervenir devant la Cour suprême dans la cause M. c. H. La commission soutenait que la définition hétérosexuelle d'un conjoint dans cette affaire violait les principes fondamentaux de l'égalité, constituant ainsi une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et contrevenant aux dispositions de la Charte.
Les travaux de la Commission ontarienne des droits de la personne ne s'étendent pas nécessairement aux questions fédérales. Cependant, en tant qu'organisme chargé de la mise en application des droits de la personne au niveau provincial, la commission peut enquêter dans tout cas de violation des droits à l'égalité, y compris le droit ne pas faire l'objet de discrimination en raison de son orientation sexuelle.
Ainsi, alors que la commission ne peut enquêter sur des plaintes ayant trait au droit des gais et lesbiennes de se marier, elle peut appliquer le droit des gais et lesbiennes de se marier, elle peut appliquer le droit des gais et lesbiennes de vivre à l'abri de la discrimination lorsque ces questions surviennent en vertu de la loi provinciale ou dans le contexte privé en Ontario.
Je n'entends pas présenter ici une analyse juridique complète, que ce soit dans le cadre de la Charte des droits et libertés ou des divers codes des droits de la personne, des options mises de l'avant dans le document de travail du mois de novembre 2002 du ministère de la Justice. Je n'ai pas non plus l'intention de vous présenter un survol jurisprudentiel canadien sur la question de l'égalité et du mariage. Le document de travail du ministère de la Justice s'en charge aux pages 13 et 14 lorsqu'on fait référence aux décisions contraires rendues en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec.
Je crois cependant qu'il est utile de faire référence à une décision rendue récemment par la Cour suprême du Canada et qui, selon moi, constitue un appui général à ces progrès en faveur d'une pleine reconnaissance du mariage homosexuel. Cette cause concerne la décision rendue très récemment par la Cour suprême du Canada dans la cause du procureur général de la Nouvelle-Écosse contre Walsh et qui a été publiée en décembre 2002.
Je souhaite également faire référence à une décision rendue dans ma province d'origine, soit cette décision révolutionnaire rendue par la Cour divisionnaire de l'Ontario dans la cause Halpern c. Canada et publiée en juillet 2002.
La commission considère qu'en tenant compte de ces deux décisions importantes, de l'objectif qui consiste à améliorer l'égalité et des difficultés qui surviennent autrement, la meilleure façon d'aborder ces questions devant ce comité consiste à accorder aux couples homosexuels la capacité légale de se marier.
¿ (0910)
Commençons par la décision rendue récemment par la Cour suprême du Canada dans la cause Walsh. Alors que cette décision ne touchait pas directement les couples homosexuels, elle demeure toutefois révélatrice en ce qui a trait à la question dont vous êtes saisis.
Dans la cause Walsh, la cour a retenu que les lois provinciales touchant le partage des biens en cas d'échec du mariage ne devraient pas s'appliquer aux gens qui ont décidé de ne pas se marier, soit à ces personnes qui ont choisi de vivre dans ce qu'on qualifie habituellement d'union de fait. Le terme clé dans l'analyse de la cour était la question du choix. Selon la cour, le «choix doit primer». La cour a reconnu que la décision de se marier ou non est intensément personnelle. La cour a souligné que de nombreuses personnes ne se marient pas précisément parce qu'elles ont choisi d'éviter l'institution du mariage et les conséquences juridiques qui en découlent.
La commission considère que selon les principes énoncés dans la cause Walsh, il devient évident qu'on devrait accorder à tous les Canadiens le choix d'embrasser l'institution du mariage s'ils le désirent. Si on refuse ce choix aux partenaires homosexuels, on les empêche de vivre dans le même régime juridique que celui qu'on offre aux couples hétérosexuels. On leur refuse, par exemple, l'accès aux règles juridiques régissant le partage des biens au moment de la dissolution de la relation ou du décès du conjoint. Un couple hétérosexuel peut décider d'adopter ou de rejeter ces droits juridiques en se mariant ou en refusant de le faire, alors que les couples homosexuels se voient refuser un tel choix.
Nous considérons ainsi qu'on doit réformer la loi fédérale pour offrir un tel choix aux gais, aux lesbiennes et aux personnes bisexuelles.
Pour y parvenir, l'approche la plus directe consiste à reformuler la règle fédérale de la common law afin de permettre aux couples homosexuels de se marier. Cette option fait du choix un élément suprême conformément aux principes énoncés dans la cause Walsh. Cette option rejoint également les lois actuelles régissant le mariage et elle ne nécessiterait ainsi pas de modification générale aux actuelles lois provinciales et territoriales. Par exemple, la plupart des lois provinciales, sauf en Alberta, concernant la personne autorisée à célébrer un mariage, demeureraient inchangées. De plus, un couple homosexuel marié aurait les mêmes droits que les couples hétérosexuels en vertu de la Loi sur le divorce et des lois provinciales touchant le partage des biens et autres responsabilités semblables.
Il est vrai qu'on pourrait ne pas reconnaître ces mariages à l'extérieur du Canada. Il s'agit là, cependant, d'une question dont les couples homosexuels pourraient tenir compte en prenant la décision de se marier ou non.
Nous abondons dans le même sens que le document travail, à savoir qu'aucun prêtre ne serait obligé de célébrer un mariage contraire à ses croyances religieuses fondamentales. La Cour divisionnaire de l'Ontario a déjà adopté cette loi comme étant celle de l'Ontario. Dans sa décision dans la cause Halpern, la cour a statué ce qui suit au paragraphe 263:
Je ne peux conclure que la liberté de religion se trouverait menacée ou en danger en sanctionnant légalement le mariage homosexuel. Aucun organe religieux ne serait forcé de célébrer un mariage homosexuel contre sa volonté et toutes les personnes religieuses—de toutes les confessions—conserveraient leur liberté de croyance. |
Dans tous les cas, je considère qu'on retrouve à l'article 18 du Code ontarien des droits de la personne une exception touchant les organismes religieux qui leur permettrait de refuser de célébrer les mariages avec lesquels ils sont en désaccord. Advenant qu'ils doivent le faire, je serais prêt à recommander à l'Assemblée législative de l'Ontario qu'on rende explicite une telle exception au code afin de protéger la liberté de religion.
J'ai fait référence à la décision de la Cour divisionnaire de l'Ontario dans la cause Halpern pour justifier qu'on étende le mariage aux couples homosexuels. Je désire maintenant revenir à cette cause, car je crois que ce raisonnement de la cour recoupe la notion d'égalité des droits et nous donne un aperçu de la façon dont on pourrait réaliser une parfaite égalité.
Les trois juges de la Cour divisionnaire de l'Ontario en sont venus à la conclusion que la règle fédérale de common law touchant la possibilité du mariage constitue un empêchement évident au mariage homosexuel. Dans cette règle, on définit le mariage comme étant «l'union d'un homme et d'une femme à l'exclusion de toute autre personne». Selon la cour, la règle contredit les valeurs constitutionnelles de la société canadienne contemporaine et est une violation des droits à l'égalité des gais et lesbiennes.
Alors que les trois juges étaient du même avis sur la question de la discrimination, ils différaient d'opinion quant à la solution idéale. Comme on l'indique dans la cause Halpern et dans le document de travail de novembre 2002, l'option qui consiste à imposer le statu quo par voie législative ne touche aucunement la question de l'égalité et contrevient vraiment à la Charte. Le Parlement ne peut en bénéficier que si on place sa confiance dans la clause dérogatoire avec toutes les difficultés que cela implique. Pour le Parlement, ce tout premier recours à la clause dérogatoire enverrait aux gais et lesbiennes un message dévastateur leur laissant entendre qu'ils ne sont pas des membres importants de la société canadienne.
¿ (0915)
La prochaine option, qui consiste à légiférer sur la notion d'«hétérosexualité» tout en créant un statut «équivalent au mariage» n'est pas en opposition absolue au principe d'égalité que la simple consécration du statu quo. Cependant, elle est assortie du même risque et nécessitera sans doute le recours à la disposition d'exemption.
Par conséquent, la Commission ontarienne des droits de la personne considère que pour améliorer l'égalité pour tous les Canadiens, pour respecter les principes mis de l'avant dans les deux causes récentes et importantes, et pour éviter les obstacles tangibles que présentent les deux approches, la meilleure option consisterait à imposer par voie législative une définition du mariage dépourvue de cette inégalité qu'on retrouve en common law et à déclarer que le mariage ne consiste plus exclusivement dans l'union d'un homme et d'une femme.
Merci beaucoup.
Le vice-président (M. John McKay): Merci, monsieur Norton.
Monsieur Fisher, vous avez la parole.
M. Laurie Arron (président, Comité pour le mariage égal, Égale Canada): Monsieur le président, je suis Laurie Arron.
Le vice-président (M. John McKay): Avez-vous échangé vos places?
M. Laurie Arron: Nous avons partagé les dix minutes et nous parlerons chacun cinq minutes, si vous le voulez bien.
Le vice-président (M. John McKay): Bien.
M. Laurie Arron: Je suis le président de la campagne Mariage Égal et John Fisher est directeur des affaires juridiques et politiques.
Égal est un organisme national voué à l'avancement des principes d'égalité et de justice pour les lesbiennes, les gais, les bisexuels ainsi que les transgenres au Canada.
J'aimerais vous remercier de nous donner l'occasion de vous parler aujourd'hui. Nous sommes ici pour vous demander de recommander au gouvernement de légiférer pour le mariage égal des couples de même sexe.
Notre exposé présente trois arguments: d'abord, les gais et les lesbiennes ont besoin du mariage égal, ensuite, l'inclusion des couples de même sexe n'affaiblira pas l'institution du mariage et troisièmement, c'est votre devoir de législateurs de nous laisser nous marier.
Pourquoi les gais et les lesbiennes ont-ils besoin du mariage égal? Tout d'abord, pour l'égalité. Historiquement, nous avons beaucoup souffert de la stigmatisation et des préjugés. Notre société a fait un grand bout de chemin pour régler ce problème, mais il en reste encore beaucoup à parcourir. Nous sommes encore victimes d'agressions verbales et physiques; beaucoup d'entre nous grandissent dans l'isolement et les enfants gays et lesbiennes ont toujours un taux de suicide plus élevé que les enfants hétérosexuels.
Je sais personnellement ce que c'est que de grandir en sachant qu'on est gai. Je me suis rendu compte que j'étais gai vers l'âge de 14 ans. J'ai été horrifié. Je ne voulais pas être gai et je pensais que je ne serais jamais accepté. Je n'en ai parlé à personne pendant des années. Je n'en ai parlé ouvertement qu'à l'âge de 27 ans. Jusque là, je n'avais eu aucun contact avec le milieu gai, pas plus qu'avec d'autres hommes gais.
Je veux vivre dans un monde où les gais et les lesbiennes ne sont pas stigmatisés et ce monde ne saurait exister si nous sommes exclus du mariage. Le mariage est la principale reconnaissance accordée aux relations d'amour et d'engagement.
Notre exclusion du mariage est éloquente. Elle fait comprendre à tous que nos relations sont inférieures, qu'il y a quelque chose d'anormal dans le fait d'être gai ou lesbienne. Et ce message, il vient du gouvernement du Canada.
Nous avons aussi besoin du mariage pour la reconnaissance sociale. Le mariage exprime la nature et la légitimité d'un engagement romantique et l'idée que vous et votre conjoint partagez un destin. Quand nous disons à quelqu'un que nous sommes mariés, on peut s'attendre à recevoir son appui. Les couples de même sexe ont tout aussi besoin de cet appui que les autres. Pourquoi notre amour et notre engagement ne seraient-ils pas reconnus par le mariage?
J'aimerais lire un bref extrait de notre mémoire, à la page 6. Il s'agit des propos de Tina Reilly, dont la soeur Elizabeth a une conjointe appelée Dawn:
Ma fille de cinq ans m'a demandé «Dawn et Elizabeth sont-elles mariées?». «Eh bien, oui, ai-je menti, elles sont mariées». Ce que ma fille veut vraiment savoir, c'est si la relation entre Elizabeth et Dawn sera durable. Dawn sera-t-elle près de nous pour le reste de nos vies? Je lui ai donc répondu que, oui, elles sont mariées, puisque c'est le seul langage que ma fille peut comprendre. Ce petit mensonge ne me laisse pas indifférente. Je ne devrais pas avoir à mentir à mes enfants pour leur présenter la vérité au sujet de leurs tantes. |
Nous avons aussi besoin du mariage à cause de la famille. Les couples homosexuels ont et élèvent des enfants. Nos enfants devraient avoir droit aux mêmes protections et aux mêmes avantages que les enfants élevés par des parents hétérosexuels. Nous voulons prendre soin de nos enfants et je suis convaincu que vous voulez le faire pour les vôtres, vous aussi.
Chacun d'entre vous pourrait avoir maintenant ou dans l'avenir des enfants ou des petits-enfants qui soient gais ou lesbiennes. Ne voulez-vous pas qu'ils vivent dans la joie, le bonheur et qu'ils soient comblés dans une société qui les accepte, et qu'ils aient le même droit au mariage que leurs frères et leurs soeurs?
Notre deuxième argument, c'est que les couples de même sexe n'affaibliront pas l'institution du mariage. À ce sujet, nous avons trois choses à dire.
Tout d'abord, le mariage égal ne modifiera pas les mariages existants. Il n'y aura aucun changement aux droits et responsabilités juridiques associés au mariage. Le mariage égal ne changera rien à ce qu'est le mariage, pas plus que l'admission des femmes en médecine n'a changé le rôle du médecin. Le mariage doit refléter une réalité sociale et en l'ouvrant aux couples de même sexe, ce ne serait qu'une adaptation.
Deuxièmement, le mariage égal n'empêchera personne de se marier. Les gens ne cesseront pas de se marier simplement parce que ceux qui sont admissibles au mariage ne répondent pas à leurs normes morales. Les meurtriers peuvent se marier, les violeurs et les athées aussi. Il est peu probable que des couples hétérosexuels se détournent du mariage simplement parce que des couples homosexuels peuvent se marier.
¿ (0920)
Troisièmement, le mariage égal ne limitera pas la liberté de religion. Comme l'a dit M. Norton, le mariage civil n'est pas un mariage religieux et en permettant aux couples homosexuels de se marier, on ne force pas les institutions religieuses à marier les couples homosexuels. Actuellement, le clergé n'est pas obligé de consacrer des mariages interreligieux et les prêtes ne sont pas tenus de marier des personnes divorcées. Les religions sont libres de fixer leurs propres exigences pour le mariage et le mariage civil des couples homosexuels n'y changera rien. La Charte des droits garantit cette liberté et Égale a officiellement adopté une politique appuyant la liberté religieuse de choisir si on doit ou non marier les couples homosexuels. Mais par ailleurs, les religions qui veulent marier des couples homosexuels auront la liberté de le faire.
Il est faux de prétendre que le mariage égal affaiblira l'institution du mariage. Quelle menace y a-t-il? En cour, les avocats du gouvernement n'ont pu répondre à cette question. C'est parce qu'il n'y a pas de réponse. Bien franchement, ceux qui prétendent que le mariage égal affaiblira l'institution craignent que le ciel leur tombe sur la tête. Eh bien, honorables députés, si vous nous laissez nous marier, le ciel ne vous tombera pas sur la tête.
Je cède maintenant la parole à John Fisher qui vous parlera de votre devoir de législateurs de nous laisser nous marier.
Le vice-président (M. John McKay): Monsieur Fisher, vous n'avez plus que quatre minutes, mais je serai indulgent.
M. John Fisher (directeur des affaires juridiques et politiques, Égale Canada): Merci, monsieur le président et merci aux membres du comité.
Pour certains, il s'agit d'une question juridique complexe. Elle est en fait très simple. La Constitution prévoit que tous les Canadiens sont traités également aux yeux de la loi. Les couples hétérosexuels peuvent se marier, mais pas les couples homosexuels. Ce n'est pas une égalité. C'est de la discrimination qui est interdite par la Charte des droits. Pour vous, législateurs, le respect de la Constitution n'est pas facultatif, c'est votre devoir.
Des membres du comité se sont demandé s'il s'agissait de discrimination. Vous avez dit qu'on ne vous avait pas convaincus. Je suis avec mon partenaire, Jerome, depuis plus de sept ans. Je l'aime. Quand le gouvernement nous dit que nous ne pouvons pas nous marier, le message est pour nous sans équivoque. Vous nous dites que vous nous accordez des droits financiers, et que vous nous accorderez certainement des responsabilités financières, mais que nous ne devrions pas nous imaginer que ce que nous ressentons l'un pour l'autre est valable et aussi réel que l'amour entre un homme et une femme.
La Charte nous garantit le respect des droits de la personne. Aucun hétérosexuel n'a à donner les raisons pour lesquelles il se marie. Je ne devrais pas avoir à venir ici quémander une reconnaissance égale de notre dignité humaine fondamentale, ni de notre droit égal de participer à cette institution canadienne fondamentale.
Nous savons, bien entendu, que les couples homosexuels pourront un jour se marier au Canada. Je vous réfère à la page 14 de notre mémoire, où nous examinons les tendances, les résultats de sondages et le soutien politique et international pour cette cause.
D'emblée, je dois dire qu'il est très clair pour nous qu'il ne s'agit pas d'une question de popularité. Il ne s'agit pas de gagner un quelconque concours de popularité. Il s'agit de faire ce qui doit l'être. Il s'agit des valeurs inscrites dans la Constitution.
Il reste que le gouvernement lui-même a mené un sondage sur la question qui a permis de constater que la majorité des Canadiens préconisent l'accès au mariage aux couples homosexuels, et nous avons cité dans notre mémoire un commentaire du président de Pollara, Michael Marzolini, qui a effectué ce sondage pour le compte du gouvernement libéral. Il a constaté que l'appui accordé au mariage homosexuel est plus élevé chez les jeunes Canadiens et qu'on s'attend à ce qu'il continue d'augmenter. Dans son analyse des données, il a dit ceci:
La tendance à ce niveau est évidente. Ce genre de mariage deviendra de plus en plus populaire et de plus en plus acceptable. Le gouvernement peut guider l'opinion populaire ou la suivre et la possibilité lui est maintenant offerte de la guider plutôt que de la suivre. |
Il est évident que l'humeur est en train d'évoluer. La nouvelle génération de Canadiens approuve davantage le mariage des gais et lesbiennes que la génération précédente. Ces chiffres continueront d'augmenter en même temps que la population. |
On voit aussi une augmentation de l'appui international pour cette question. J'étais ici jeudi, quand on a posé une question au sujet de la Belgique: Y permettait-on le mariage des couples homosexuels? Depuis vendredi, c'est bien le cas, et chaque fois qu'on pays modifie ses lois pour permettre le mariage homosexuel, les prétentions du Canada au titre de leader mondial des droits de la personne sonnent de plus en plus creux. Voici venu le moment de faire preuve de leadership et de reconnaître nos responsabilités.
J'ai assisté à toutes vos audiences jusqu'ici. J'ai écouté les questions des autres témoins. J'ai entendu des députés ministériels demander s'il pouvait s'agir de discrimination, quand on exclut les couples homosexuels depuis des milliers d'années.
J'ai entendu un député conservateur demander s'il n'y avait pas d'autres priorités, comme le sort des sans-abri. J'ai même entendu un député de l'Alliance demander à la présidente de la Commission du droit pourquoi nos lois devaient être rationnelles.
Là où je veux en venir, mesdames et messieurs, c'est que si vous cherchez un prétexte pour nous refuser l'égalité, vous en trouverez sûrement. Par ailleurs, je sais que beaucoup d'entre vous nous ont accordé un bon soutien et que certains d'entre vous sont vraiment déchirés par cette question et commencent à y voir un problème de droits de la personne.
Nous sommes ici pour vous aider, mais au bout du compte, vous devrez faire un choix clair entre l'inclusion et l'exclusion. Il n'y a pas de solution mitoyenne. Nous avons examiné les autres options proposées dans le document de discussion du ministère de la Justice et nous ne voulons pas d'un prix constitutionnel mystère: nous ne vous donnons pas l'égalité, mais il y a peut-être quelque chose d'intéressant dans l'enveloppe numéro deux? Les tribunaux ont déjà statué qu'il s'agissait d'une forme de ségrégation, comme il en a existé pour les gens de couleur aux États-Unis. Cette option a déjà été rejetée.
C'est une question d'égalité. Un jour, les couples homosexuels du Canada auront le droit de se marier. C'est inévitable. Comme pour toutes les grandes percées pour les droits de la personne, de l'élimination de la ségrégation raciale au droit de vote pour les femmes, les générations futures finiront par se demander comment on a pu s'opposer à ce droit fondamental. Le jour venu, j'espère que vous pourrez voir votre rôle dans l'histoire avec fierté, parce que vous aurez contribué à bâtir un Canada dont les assises sont les valeurs de justice, d'égalité et de respect.
Merci.
¿ (0925)
Le vice-président (M. John McKay): Monsieur Morin.
[Français]
M. Michel Morin (Faculté de droit, Université d'Ottawa, À titre individuel):
Je remercie les membres du comité de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Je dois dire que ma perspective est plus strictement juridique, étant donné que je suis professeur à la section de droit civil de l'Université d'Ottawa. Le mémoire qui vous a été distribué n'est qu'un résumé très bref d'un texte beaucoup plus élaboré de 51 pages que j'avais transmis en annexe mais qui, je crois, ne vous a pas été distribué parce qu'il était impossible de le faire traduire dans des délais extrêmement brefs. Donc si vous souhaitez obtenir plus de références ou d'informations, vous n'avez qu'à communiquer avec le greffier du comité, qui vous transmettra une copie de ce mémoire. J'imagine que si le besoin s'en fait sentir, vous pourrez en obtenir une traduction. Évidemment, ça ne relève pas du tout de ma compétence.
Je vais donc passer rapidement sur un survol historique. Encore une fois, les informations détaillées se trouvent dans l'annexe du mémoire. Je voudrais simplement rappeler que la notion de mariage entre conjoints de même sexe n'est pas absolument nouvelle dans l'histoire. Il faut bien reconnaître qu'elle a été plutôt rare, mais cela a été souligné dans l'affaire Halpern. Dans plusieurs sociétés, on trouve des formes de reconnaissances d'unions de même sexe, et pour ce qui est du monde occidental, des citoyens romains ont célébré des cérémonies de mariage jusqu'à ce qu'on interdise cette pratique, sous peine de mort, en 342 après Jésus-Christ. Il y a donc des précédents, au moins en ce qui concerne l'aspiration des conjoints de même sexe à faire reconnaître leur union socialement.
Je fais aussi un survol du droit canonique, qui est à l'origine du droit civil, mais aussi des règles de common law, puisque l'Église anglicane a recueilli les règles du droit canonique et les a conservées longtemps, jusqu'au XVIIIe ou XIXe siècle, pour établir ce que probablement tout le monde sait bien: jamais on n'a exigé des conjoints qui se marient qu'ils aient la capacité d'enfanter. La stérilité n'est pas un motif d'annulation du mariage, le refus d'avoir des relations sexuelles non plus. Il y a eu, à certaines époques et même encore aujourd'hui, dans une mesure limitée, une reconnaissance de l'incapacité d'avoir des relations sexuelles, mais encore là, le plus souvent, l'autre conjoint était libre d'accepter cette situation, de décider de se marier tout en sachant que son conjoint ne pourrait pas se livrer à cet acte sexuel.
Puisque ce survol historique m'a plongé au coeur de questions religieuses, je voudrais insister, comme l'a d'ailleurs fait Egale dans son mémoire, sur cet aspect important. Nous avons assisté, par l'entremise des médias, à un mariage entre hommes et entre femmes dans une église de Toronto, l'église métropolitaine communautaire de Toronto, et nous avons constaté qu'il y a des croyants sincères et convaincus qui veulent établir leur union devant Dieu. Ils croient que Dieu les aime tout autant que les autres, sans aucune discrimination, que l'amour de Dieu n'est pas un amour discriminatoire. Au moins une communauté religieuse--je n'en connais pas le nom exact--accepte de célébrer des mariages entre conjoints de même sexe. Et on peut se demander pourquoi le Parlement approuverait une vision traditionnelle de la religion quand des gens qui sont certainement sincères, des citoyens honnêtes, respectueux des lois, des gens qui se réunissent tous les dimanches pour célébrer le Seigneur, souhaitent se marier. J'avoue que je ne comprends pas au nom de quelles raisons, dans une société pluraliste de législateurs, on devrait demeurer accrochés à une vision traditionnelle de la religion.
Je signale que dans l'affaire Egale en Colombie-Britannique, il y a une coalition de rabbins libéraux qui est intervenue pour soutenir la position d'Egale et demander que l'on reconnaisse les unions de même sexe et leur droit d'être formalisées par un mariage. Il y a donc des controverses entre les croyants, entre les fidèles eux-mêmes. Je précise que je suis agnostique et que je ne souhaite pas personnellement aller me marier à l'église avec mon conjoint depuis douze ans. Je précise aussi que je parle ici aujourd'hui uniquement à titre personnel.
On a déjà souligné, dans la présentation précédente, que la jurisprudence est claire. Le refus de permettre aux conjoints de même sexe de se marier entre eux est discriminatoire et, en fait, dans l'annexe détaillée, je passe en revue les arrêts de la Cour suprême. Tous les arguments fondés sur la capacité de procréation hétérosexuelle ont déjà été étudiés par la Cour suprême et ils ont été rejetés.
¿ (0930)
Les juges des tribunaux de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec ont mis en application la jurisprudence de la Cour suprême de manière extrêmement logique, rationnelle et convaincante. Ils ont été unanimes à conclure que la règle d'exclusion était discriminatoire. Un seul des cinq juges, le juge Pitfield de Colombie-Britannique, a affirmé que cette interdiction était une mesure raisonnable dans une société libre et démocratique parce qu'à son avis, en permettant aux gais et aux lesbiennes de se marier entre eux, on affaiblirait l'institution du mariage. Je pense que les arguments qui ont été présentés tout à l'heure par M. Arron constituent une réponse parfaite à cet argument.
La Cour suprême avait dit dans M c. Hl'arrêt , au nom de six des neuf juges: quelle est la menace; qu'est-ce que cela va enlever aux couples hétérosexuels qui sont mariés? Le juge LaForme de la Cour divisionnaire de l'Ontario est même allé plus loin: il a déclaré qu'il avait beaucoup de sympathie pour l'argument d'Egale selon lequel toute cette question de procréation hétérosexuelle était une manière d'affirmer la supériorité d'un type de relation sexuelle et de relation de couple par rapport à un autre, et qu'un tel objectif était totalement inacceptable pour le législateur, si c'était bien l'objectif qui était poursuivi par le législateur.
Les quatre juges ont été d'accord pour conclure qu'il n'y avait aucun lien rationnel entre le cadre du mariage et la question de la procréation hétérosexuelle ou même l'application d'un cadre propice au bon développement des enfants et à leur éducation, puisque des couples gais et des couples lesbiens ont des enfants, les élèvent et ont tout autant besoin d'une reconnaissance juridique que les couples hétérosexuels qui élèvent des enfants.
Maintenant, quelles sont les options qui se présentent au Parlement? Ici je dois dire que ma position n'est pas exactement celle d'Egale. Je vous rappelle encore une fois que je ne présente qu'un point de vue personnel et que vous serez libres de l'oublier aussitôt que vous l'aurez entendu. Dans une université, nous sommes assez habitués à ce genre de traitement.
Donc, la raison pour laquelle il y a eu une suspension, pendant une période de deux ans, de la règle de common law qui interdit aux conjoints de même sexe de se marier, c'est que les juges voulaient que le Parlement puisse réfléchir et discuter de solutions possibles. Le juge LaForme était catégoriquement d'avis que seul le droit au mariage pouvait être une mesure qui assurait la pleine égalité des gais et des lesbiennes. Le juge Blair, le juge Smith et le juge Lemelin disent qu'ils ne veulent pas se prononcer à l'avance, que le juge LaForme a peut-être raison, mais que d'autres régimes législatifs pourraient être acceptables. Ils ont simplement dit qu'ils ne le savaient pas ou qu'ils ne voulaient pas le présumer sans avoir un texte législatif à examiner.
Je dois dire que pour moi, toute forme de partenariat enregistré ne serait qu'une perpétuation de la discrimination. Par définition, les partenariats enregistrés comportent une liste de droits moins étendue que le mariage. Donc, c'est une réaffirmation du fait que les couples de même sexe ne peuvent pas avoir les mêmes droits que les couples mariés.
Cependant, je crois qu'en ce qui a trait à l'union civile, la réflexion, qui est toute récente, mérite d'être poursuivie. La loi a été adoptée au Québec en 2002, et je pense que la distinction fondamentale entre l'union civile et les partenariats enregistrés n'est pas encore clairement comprise partout. L'union civile, c'est le mariage sous un autre nom. Dans mon esprit, pour parler de l'union civile, il faut changer seulement la désignation. Les conjoints s'unissent de la même manière que dans le cas d'un mariage, devant une communauté religieuse ou devant les autorités laïques provinciales compétentes, et il faut aussi que les conjoints unis par l'union civile soient traités exactement de la même manière que les gens mariés.
Vous vous demanderez peut-être pourquoi il faut changer le nom si on donne exactement les mêmes droits. Là-dessus, je suis d'accord avec vous et avec Egale: la meilleure solution, la solution la plus simple, celle qui ne pose aucun risque au plan constitutionnel, c'est de permettre à deux hommes ou à deux femmes qui s'aiment et qui le désirent de se marier. Encore une fois, cela pose beaucoup moins de difficultés sur le plan constitutionnel.
Maintenant, l'union civile a été adoptée d'abord au Vermont, dans un contexte politique où, en permettant aux conjoints de même sexe de se marier, on risquait de provoquer une réaction de rejet de l'électorat et où il semblait que c'était la seule option politiquement viable. On a donc changé le nom pour s'assurer que la mesure ait une certaine durée, une certaine viabilité politique.
Au Québec, la situation est différente. L'Assemblée nationale n'avait pas le pouvoir constitutionnel de permettre aux gais et aux lesbiennes de se marier, et on a donc utilisé la désignation de l'union civile. Il est certain que l'objectif poursuivi était d'assurer la pleine égalité. Je veux simplement signaler qu'il y a vraiment un débat aux États-Unis quant à la question de savoir si vraiment on peut comparer l'union civile et la ségrégation raciale aux États-Unis, dans les années 1950. Certains disent que c'est une forme de ségrégation aussi abominable que la ségrégation raciale, alors que d'autres disent que ce n'est pas le cas.
Je veux aussi signaler qu'il est très difficile de dire si le Parlement fédéral pourrait créer un régime d'union civile qui s'appliquerait tant dans le domaine fédéral que provincial, et qui serait le mariage pour les gais et pour les lesbiennes. Dans mon mémoire, je dis que si jamais le Parlement s'aventurait dans cette voie, il serait bon qu'on fasse un renvoi à la Cour suprême pour s'assurer que la compétence sur le mariage peut bien être étendue ou élargie à l'union civile. Il serait beaucoup trop risqué pour le Parlement de tenter de créer une union civile qui soit valable dans les domaines de compétence provinciale sans s'assurer que c'est un domaine de compétence attribué au gouvernement fédéral par la Constitution.
¿ (0935)
¿ (0940)
[Traduction]
Le vice-président (M. John McKay): Merci, monsieur Morin.
Monsieur Sorenson, vous disposez de sept minutes.
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie tous de votre présence ce matin et de vos exposés.
J'ai quelques questions à vous poser. Tout d'abord, je pense que MM. Arron et Norton ont déjà répondu à cette question, mais je vais quand même la poser pour que vos réponses figurent dans le compte rendu.
Si le Parlement décidait de retirer le rôle que joue l'État dans l'institution du mariage en créant un nouveau registre pour les couples homosexuels et hétérosexuels et en donnant la responsabilité des cérémonies religieuses aux institutions religieuses, qu'arriverait-il au sein d'une institution religieuse donnée si un couple homosexuel désirait célébrer son mariage dans une de ses églises? Il y a beaucoup de religions, et peut-être même beaucoup de confessions au sein de ces mêmes religions, qui ne permettraient pas une telle cérémonie à l'église. Y a-t-il atteinte aux droits de la personne, dans ce cas-là? Pensez-vous que la confession serait l'auteure de discrimination?
Il n'est pas nécessairement question de la liberté religieuse. Dans ce cas, la liberté religieuse serait protégée. Cela dit, diriez-vous quand même que le couple est victime de discrimination?
M. Keith Norton: Je vais répondre en premier, puis je vais céder la parole à Egale.
À prime abord, je pense qu'il s'agit bel et bien de discrimination, mais c'est de la discrimination licite. D'ailleurs, le Code des droits de la personne traite de discrimination licite. Il existe toutes sortes de formes de discrimination qui sont acceptables dans notre société.
La réalité, bien évidemment, quand on traite des droits de la personne, c'est qu'on doit composer avec des droits contradictoires. Dans le cas qui nous intéresse, la liberté religieuse est protégée de façon explicite dans le code de l'Ontario, par exemple, en protégeant les institutions religieuses et en leur permettant de discriminer, même dans le domaine de l'embauche. Si ces institutions religieuses ne veulent embaucher que les personnes pratiquant leur religion, alors elles peuvent écarter tous les autres pratiquants.
Pour ce qui est des institutions religieuses, je ne pense pas que la situation actuelle évoluerait de façon significative. De nos jours, certains mariages reconnus juridiquement ne le sont pas religieusement; par exemple, les mariages célébrés par un juge. C'est le cas dans la religion musulmane, par exemple. Il est donc erroné de penser qu'il existe à l'heure actuelle une forme de mariage qui soit reconnue par toutes les religions. Il existe déjà des critères dans les différentes religions définissant qui peut se marier et dans quelles circonstances. Les personnes qui décident de se marier en dehors de ce cadre, qu'il s'agisse d'une autre institution religieuse ou d'une cérémonie civile, ne sont pas reconnues. Je pense d'ailleurs que c'est toujours le cas pour l'Église catholique romaine.
M. John Fisher: Laurie vous a déjà fait part du point de vue de notre organisme, mais pour clarifier davantage les choses, je dirais que nous pensons aussi que les règlements établis par les différentes religions sont protégés par la liberté de religion.
Vous m'avez demandé s'il s'agit de discrimination. À mon avis, la discrimination est un concept juridique. Il est possible que certains pratiquants d'une religion donnée pensent qu'il existe des pratiques injustes, mais cela n'est pas nécessairement fondé du point de vue juridique, et actuellement les différentes religions ont le droit de célébrer le mariage selon leurs règlements. C'est reconnu dans le code civil québécois; mais c'est une loi qui s'applique au niveau national et la liberté de religion est protégée par la Charte.
Il est possible qu'il y ait des personnes—par exemple, certaines femmes, même catholiques, pensent sûrement qu'il est injuste que les femmes ne puissent pas devenir prêtres dans la religion catholique—qui travaillent au sein de leur religion pour soulever la question. Mais cette question n'est pas d'ordre juridique ni même politique, c'est plutôt une question d'ordre personnel ou religieux à la laquelle il faut trouver une réponse au sein de la religion.
Je pense que Mme Des Rosiers, de la Commission du droit du Canada, a dit très clairement que ce qui nous intéresse ce n'est pas l'institution du mariage dans un contexte religieux, mais plutôt le rôle que joue le gouvernement dans l'institution du mariage du point de vue étatique et juridique. Les religions sont libres de faire ce qu'elles veulent quand elles définissent leurs règlements, mais quand on traite d'une institution qui jouit d'un statut juridique et sur laquelle le gouvernement agit, c'est le devoir du gouvernement de s'assurer que personne n'est exclu de cette institution en raison de facteurs comme l'orientation sexuelle.
¿ (0945)
M. Kevin Sorenson: Une question rapide.
Nous discutons de l'église, de la cérémonie. Mais qu'en est-il de la reconnaissance du mariage homosexuel au sein d'une institution donnée? Vous risquez de me dire que je m'écarte du sujet, mais je pense aux quelques collèges religieux, pas nécessairement l'église à proprement parler, qui rejettent des demandes d'emploi, par exemple, parce que le demandeur, en plus d'être dans une relation homosexuelle, a épousé son partenaire. Est-ce que ce serait une pratique discriminatoire, monsieur Morin?
M. Michel Morin: Je vais répondre en anglais puisque la question a été posée en anglais.
Je pense que l'affaire Trinity College de la Cour suprême du Canada permet de répondre à bien des questions, dont la vôtre. Il s'agissait d'une institution, fondée sur la religion, qui estimait que les relations sexuelles homosexuelles étaient condamnables. Cette institution voulait être autorisée à décerner des diplômes permettant d'enseigner dans les écoles publiques. Cette autorisation n'a pas été donnée par les autorités de la Colombie-Britannique, en raison de cette croyance, mais la Cour suprême du Canada a tranché en disant que s'il n'y avait pas de discrimination à proprement parler, les croyances étaient un choix personnel.
Je pense que votre exemple ressemble à celui d'une personne divorcée qui ne peut se remarier dans une église catholique et, par conséquent, qui est victime de discrimination. Je ne pense pas qu'on n'ait jamais avancé un tel cas, mais si on le faisait, la liberté de religion serait primordiale, surtout à la lumière de l'affaire récente de la Cour suprême du Canada. Je ne pense que ça pose problème.
Il en va de même pour l'embauche. Je me souviens d'une affaire en Colombie-Britannique, en 1984,—je ne sais pas si on s'y réfère toujours—qui avait permis à l'époque aux institutions catholiques de refuser d'embaucher les personnes divorcées. On pense en général que les croyances ne devraient pas être imposées, et que chacun devrait prendre ses propres décisions au sein de sa communauté religieuse, tant qu'il n'exerce aucun pouvoir public.
Le vice-président (M. John McKay): Merci, monsieur Sorenson.
Monsieur Marceau, vous avez sept minutes.
[Français]
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ): Merci, monsieur le président.
D'abord merci pour votre présentation. Je vais commencer en m'excusant parce que d'ici quelques minutes, je devrai me rendre à la Chambre pour parler du divorce. On parle ici de mariage; je devrai me rendre à la Chambre pour parler de divorce. J'espère que vous aurez le droit aussi un jour, évidemment, de vous divorcer, si telle est votre volonté.
D'abord, la question de forcer une religion à unir, à marier deux personnes de même sexe est quelque chose qu'on entend régulièrement. Évidemment, on ne peut utiliser la Charte canadienne des droits et libertés pour forcer des Églises à marier deux personnes de même sexe, étant donné que la Charte ne s'applique qu'à l'État, que ce soit au niveau fédéral, provincial ou municipal.
L'autre chose qui semble un peu moins comprise, malheureusement, c'est qu'à l'heure actuelle--et vous l'avez dit, monsieur Fisher, de façon assez éloquente--, il y a des situations discriminatoires dans les religions qui sont acceptées, étant donné que la liberté de religion est protégée.
Par exemple, l'Église catholique ne permet pas à des catholiques de se divorcer. Or, l'État le permet. Personne ne force l'Église catholique à remarier des gens divorcés. Et Nathalie Des Rosiers, de la Commission du droit du Canada, faisait l'analogie qui, à mon avis, était très, très valide.
Cependant, afin de réduire ou même d'éliminer les craintes, y aurait-il, comme cela me semble, un consensus parmi les témoins ici en vertu duquel, advenant qu'on adopte une loi ou qu'on propose quelque chose, l'équivalent de l'article 367 du Code civil du Québec serait dans cette loi? Explicitement, y a-t-il consensus autour de la table pour que l'équivalent d'un tel article soit adopté afin de clarifier les choses et d'enlever certaines craintes?
¿ (0950)
M. John Fisher: Pour notre part, nous serions prêts à accepter une telle clause dans une loi pour, comme vous l'avez dit, préciser le fait que le mariage pour les couples de même sexe ne touche pas aux droits religieux.
Selon nous, ce n'est pas nécessaire car c'est la loi qui existe actuellement et qui est aussi protégée par la Charte canadienne des droits et libertés. Mais s'il faut avoir une telle clause pour rassurer des personnes religieuses, on est prêts à l'accepter.
M. Richard Marceau: Est-ce que c'est la même chose pour messieurs Norton et Morin?
[Traduction]
M. Keith Norton: Oui, je pense avoir indiqué dans mes remarques que je serais même disposé, au besoin, à recommander au Parlement auquel je fais rapport qu'une disposition expresse de ce genre soit inscrite dans le Code des droits de la personne, disposition qui n'obligerait en aucun cas un adepte d'une religion quelconque de célébrer un mariage contre ses croyances. Je ne pense pas que quiconque cherche à imposer quoi que ce soit à un groupe religieux. Nous sommes en train de parler de droit civil, du droit en vigueur dans le pays. La législation régissant les institutions religieuses varie d'un cas à l'autre.
[Français]
M. Richard Marceau: D'accord. J'aurais une autre question.
Dans les options qui nous sont présentées par le gouvernement dans son document de discussion, il y a celle de l'union civile.
Monsieur Norton, vous mentionnez que ce statut équivalant au mariage n'est pas aussi diamétralement opposé aux principes d'égalité que la simple consécration du statu quo, mais vous soulevez quand même certaines réserves.
Monsieur Morin, vous soulignez qu'on n'est même pas sûr que le gouvernement fédéral a le droit de faire ça. Il me semble qu'historiquement, à moins que je me trompe, la raison pour laquelle le fédéral a eu juridiction sur le mariage et le divorce, alors que tout le reste du droit de la famille était de compétence provinciale, c'était pour des raisons religieuses et, on peut se le dire franchement, c'est parce qu'au Québec, c'était catholique, et on voulait avoir le droit de divorcer, entre autres. C'était la raison principale.
J'ai deux questions.
Si ce comité devait faire une telle suggestion, d'abord, est-ce que ça ne soulève pas de grosses questions de constitutionnalité? Le gouvernement fédéral a-t-il le droit de faire cela? Pour ma part, j'en doute parce que la Constitution limite de façon très précise la juridiction fédérale au mariage et au divorce, dans tout ce qui touche le droit à la famille.
Deuxièmement, connaissant John Fisher comme je le connais, je sais très bien qu'il va continuer et se rendre jusqu'à la Cour suprême pour avoir le droit de se marier. Alors, si le comité suggère cela, ça ne sera finalement que de pelleter la neige en avant, faisant ainsi en sorte que les législateurs, donc nous, se seront retirés du débat et auront encore une fois laissé des gens non élus décider à la place des élus.
Est-ce que monsieur Morin pourrait...?
Pr Michel Morin:
Pour répondre à la première question, je pense qu'il y a un argument fondé sur la théorie de l'interprétation évolutive ou dynamique de la Constitution et des réalités nouvelles. Tout comme on a décidé que le terme « personne » pouvait s'appliquer aux femmes qu'on souhaitait nommer au Sénat, même si c'était inconcevable dans l'esprit du législateur de 1867, c'est évident que le Parlement peut changer la définition du mariage. Mais on peut soutenir qu'il peut aussi peut-être utiliser un terme différent pour décrire une réalité complètement nouvelle qui n'a jamais été associée au mariage. La nature de la compétence me semble essentiellement la même, c'est-à-dire qu'on utilise un terme juridique, les parties procèdent à une cérémonie pour avoir un ensemble de droits automatiquement et un ensemble d'obligations aussi automatiquement, et leurs relations avec leurs enfants s'en trouvent formalisées.
Donc, si on conçoit le mariage comme un ensemble de droits et d'obligations qui sont conférés automatiquement en une fois et qui sont prévus par une multitude de lois provinciales et fédérales, et qu'on dit que pour tenir compte d'une réalité nouvelle peut-être qu'une terminologie différente pourrait être acceptable, la théorie de l'interprétation évolutive pourrait permettre cela. Mais on pourrait aussi avoir une interprétation davantage historique qui dirai qu'il n'y a que le mariage qui donne cet ensemble de droits et qu'il ne faut pas confondre les choses en utilisant un terme différent. Donc, c'est pour cela que j'avais suggéré dans mon mémoire qu'on s'assure, dans un renvoi ou par un renvoi à la Cour suprême, de la possibilité pour le Parlement fédéral d'adopter une telle loi. À ce moment-là, au lieu d'aller devant les cours d'appel du Canada, on pourrait aussi soumettre la question suivante. Est-ce que l'adoption d'une loi sur l'union civile constituerait une violation du droit à l'égalité? Si le gouvernement fédéral a l'intention de se battre jusqu'en Cour suprême, aussi bien y aller directement. On sauvera au moins une étape si on fait un renvoi.
¿ (0955)
M. John Fisher: Vous avez raison aussi en ce qui concerne l'engagement légal envers la pleine égalité. La clé pour comprendre ce qui s'est passé dans le cas de l'union civile au Québec, c'est que le gouvernement du Québec n'avait pas la juridiction d'accorder le mariage aux couples de même sexe le mariage, que c'est une question fédérale. Ce n'est pas que ce n'était pas voulu par la communauté gaie et lesbienne au Québec. Je pense qu'il y aura quelques témoins qui vont se présenter et qui vont dire la même chose, c'est-à-dire que le fédéral continue à chercher le mariage et que le Québec a fait sa part. Au Québec, la communauté a certainement appuyé l'union civile quand on a reconnu que c'était tout ce que pouvait faire le gouvernement du Québec.
Je suis d'accord aussi qu'il y a deux grands problèmes au niveau fédéral en ce qui a trait à l'union civile. D'abord, le gouvernement fédéral a juridiction sur la question du mariage. Alors, nous accorder seulement l'union civile, c'est un deuxième rang, ce n'est pas la pleine égalité. Deuxièmement, il y a la question soulevée par le professeur Morin à savoir si le gouvernement a même la juridiction de créer un tel statut.
[Traduction]
Le vice-président (M. John McKay): Monsieur Robinson, la parole est à vous.
M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Merci monsieur le président.
Je voudrais remercier les témoins pour leur éloquent exposé et pour leur lutte depuis des années pour l'égalité des gais et des lesbiennes. C'est tout à fait opportun. J'ai le privilège de travailler avec Egale sur ce dossier depuis un certain temps.
La semaine prochaine, je présenterai encore une fois à la Chambre un projet de loi d'initiative parlementaire, comme je le fais depuis des années déjà, pour que l'on donne aux couples de gais et de lesbiennes le droit de se marier. J'ai fait coïncider ce projet de loi avec la Saint-Valentin pour des raisons que les membres du comité comprendront, j'en suis sûr.
Nous disposons que de sept minutes, je trouve difficile d'approfondir mes questions, et c'est pourquoi je me contenterai de mettre l'accent sur quelques aspects, notamment la question de l'union civile, et de dire qu'à mon avis ce serait une perte de l'argent des contribuables et, disons-le franchement, qu'on ne saurait trouver une issue à cette question en recourant à la Cour suprême du Canada. Je ne connais pas beaucoup de gais et de lesbiennes, et cela est plus vrai pour de nombreux organismes de gais et de lesbiennes au Canada, peut-être M. Fisher pourrait-il me corriger si je me trompe, mais je ne connais donc personne qui recherche une union civile. C'est, à mon sens, accepter le statut de citoyen de seconde classe, et je ne suis pas prêt à devenir citoyen de seconde classe dans mon propre pays. Je me refuse catégoriquement à cela.
À vrai dire, l'une des raisons pour lesquelles l'union civile a été élargie dans certaines provinces, c'était davantage pour garantir l'ensemble des droits et responsabilités afférents à la province. Au niveau fédéral, nous les avons déjà tous. En effet, le projet de loi C-23 a couvert tout cela, c'est-à-dire tous les droits et responsabilités. Il restait néanmoins quelques plis, à mon avis, autour de la Loi sur la preuve au Canada et d'autres textes législatifs du genre. Il ne reste donc plus rien d'autre. On n'a pas besoin de créer ce statut.
Je trouve insultant que d'aucuns laissent entendre que d'une certaine manière, ma relation avec mon partenaire, Max, que bien d'entre vous connaissent, n'est pas tout aussi solide, aussi affectueuse et aussi sérieuse qu'une autre relation, et que nous ayons à plaider notre cause pour obtenir une sorte de statut équivalant à l'union civile. Non, nous n'allons vous laisser vous marier, mais pour vous amadouer, on vous permettra d'avoir une union civile.
Désolé, mais cela ne marche pas. À un niveau très personnel, cela fait toute la différence. Je vous donne quelques exemples.
J'ai un neveu, Jason, qui s'est marié en novembre dernier à une femme merveilleuse, belle, qui s'appelle Sarah et qui est issue d'une famille pentecôtiste très croyante. Max et moi avons été invités au mariage, non sans inquiétudes. Mais mon propre neveu avait l'impression qu'il ne pouvait même pas me présenter, moi, son oncle et mon partenaire qui partage ma vie depuis huit ans, de peur d'offenser les gens qui allaient être présents.
Cela fait mal, très mal. Que ma relation n'existe même pas aux yeux des autres, ça je ne l'admets pas!
Je vous donne un autre exemple. Je parle beaucoup à des enfants, à des écoliers et j'ai récemment parlé à une classe de troisième à l'école élémentaire Parkcrest à Burnaby. Les enfants peuvent être très perspicaces, et leurs questions peuvent être pointues. En effet, l'un d'entre eux m'a demandé si j'étais gai et si j'avais un partenaire. J'ai répondu: «Oui, j'en ai un, et nous vivons ensemble depuis un certain temps déjà».
C'était tout juste après l'accident que j'ai eu, et Max avait joué un rôle capital en contribuant à me sauver la vie, ce qui n'est pas rien. Ils étaient au courant de cela, et ils l'avaient vu dans les bulletins d'information. Ils m'ont alors demandé: «Bon, alors êtes-vous mariés?». J'ai hésité pendant un instant puis j'ai répondu: «Non, nous ne sommes pas mariés, parce que nous n'avons pas le droit». Une jeune fillette m'a alors dit: «Mais ce n'est pas juste!».
Ce n'est pas juste! C'est ce que je dis à mes collègues, monsieur le président. Ce n'est pas juste! En quoi cela vous menace-t-il, vous qui êtes mariés, si mon partenaire et moi-même avions le droit de nous marier? Cela n'affaiblit pas votre relation. Cela ne signifie pas non plus que vous arrêterez de procréer du coup, en tout cas ceux d'entre vous qui ont encore la capacité de procréer, comme je l'ai indiqué tout à l'heure.
Les couples de lesbiennes, comme l'a signalé Mme Des Rosiers, n'ont de toute façon pas besoin des hommes pour avoir des enfants. Elles peuvent se passer d'eux. Je suis obligé de dire à mes collègues hommes, mais elles n'ont pas besoin des hommes tant qu'elles ont une poire à jus et le reste, si vous voyez ce que je veux dire?
Pour l'amour du ciel, débarrassez-vous de cette idée d'une union civile. J'espère qu'on s'en débarrassera, et je le dis à mes collègues, ne suivez pas cette voie. Ce n'est pas la bonne. Je ne peux pas prétendre parler au nom de tous les gais et lesbiennes. Peut-être certains le souhaitent-ils, mais moi personnellement je n'en veux pas, et je recommanderai au comité, avant même de considérer cette option, de sonder soigneusement les communautés de gais et de lesbiennes.
Voilà ce que j'avais à dire. Je demanderais simplement aux témoins ici présents de nous dire s'ils connaissent des groupes au Canada—et je parle bien de groupes et non de particuliers, car il existe certainement des personnes qui le pensent—, là encore dans les provinces et les territoires, qui réclament le statut d'union civile par opposition au droit de se marier.
À (1000)
M. John Fisher: Je connais certainement des groupes et des personnes qui ne sont pas enthousiastes à l'idée du mariage. Certains membres de notre communauté choisiraient de se marier, tandis que d'autres ne le feraient pas. S'agissant d'une question de choix fondamental, pratiquement tous les groupes et les personnes à qui j'ai parlé durant mes périples partout au Canada m'ont dit qu'ils souhaiteraient avoir le même droit de choisir que les hétérosexuels. Tout le monde n'est pas contre l'idée d'un partenariat enregistré ou d'une union civile comme solution de rechange au mariage. Ces institutions ont peut-être leur raison d'être, dans la mesure où l'on reconnaît des relations non conjugales. Pour ce qui est des relations conjugales ou du mariage, nous voulons avoir les mêmes choix.
Un des exemples utilisés par un des députés l'autre jour tournait autour de la question de savoir si nous devrions édifier de nouvelles institutions—comme on construirait de nouvelles fermes—ainsi on envisagerait une multitude d'options. Au fond, on peut créer de nouvelles institutions—ou construire autant de fermes qu'on le souhaite—, mais ce qu'on ne peut pas faire, ce que le gouvernement ne peut pas faire, à l'une de ces institutions, à un segment de la société canadienne, pour des motifs de race, de sexe ou d'orientation sexuelle. Tant que le mariage est une institution sanctionnée légalement par l'État fédéral, on ne pourra pas nier l'accès à cette institution à des membres de notre communauté sans nous marginaliser, sans nous exclure.
Comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, je ne recherche pas une sorte de statut de citoyen de seconde classe. La Loi sur la modernisation de certains régimes d'avantages et d'obligations nous donne déjà tous les droits et responsabilités. Il y a peut-être une ou deux choses mineures qui pourraient être améliorées, mais cela n'ajouterait rien. Cela ne répondrait pas aux revendications constitutionnelles du droit à l'égalité, et disons-le franchement, s'il n'était question que de cela, je ne suis même pas sûr que nous serions ici devant vous. Si nous ne pouvons confirmer notre égalité par la voie politique—et nous espérons pouvoir le faire—, il y aura toujours les tribunaux, après tout, ils sont là pour garantir que nos droits à la pleine égalité en tant que minorité sont respectés.
Le vice-président (M. John McKay): Je vous remercie.
Monsieur Lee, allez-y.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Je vous remercie.
J'aime bien entendre toutes les anecdotes et les histoires de la Saint-Valentin, mais nous devons revenir au domaine juridique. Je vais être un petit peu pointu sur certaines des dépositions que nous avons entendues dans les quelques minutes dont je dispose.
Premièrement, je m'adresse à M. Morin, et à M. Morin uniquement, vous qui avez parlé dans votre mémoire du prétendu droit de se marier—le droit. Je remets en question cette notion. Je veux essayer de vous persuader qu'il ne s'agit pas d'un droit, que ce n'est pas un droit constitutionnel. Le mariage est un privilège, n'est-ce pas?
À (1005)
M. Michel Morin: Les tribunaux de première instance ont déterminé que le droit de se marier pour les gais et lesbiennes était un droit constitutionnel. Autrement, nous ne serions pas ici. Certaines conditions sont peut-être rattachées à ce droit, mais il reste que la Cour suprême des États-Unis a déclaré que le droit de se marier était un droit constitutionnel, même à l'époque où il était interdit d'épouser quelqu'un d'une race différente.
Je ne pense donc pas que le mariage soit un privilège. Comme c'est le cas pour bien des droits, il faut parfois satisfaire à certaines conditions avant de pouvoir exercer ce droit.
M. Derek Lee: Parlons-en justement. À mon avis, un droit, c'est un droit. Si une personne a un droit, on ne peut pas le lui retirer. Je maintiens donc que le mariage n'est pas un droit, puisqu'il n'est dit nulle part dans nos lois que c'est un droit. Je me moque de ce que les juges de la Cour suprême des États-Unis ont à dire à ce sujet. Au Canada, dans notre système juridique, si vous avez le droit de vous marier, c'est que vous avez le droit de vous marier. Toutefois, il y a des conditions. Il y a des exigences juridiques imposées au privilège du mariage, et cela comprend des obstacles comme la consanguinité, le sexe et l'âge. Bien entendu, il ne faut pas être déjà marié, car si on est déjà marié, on ne se remarie pas.
Je m'adresse au juriste que vous êtes et je vous demande si vous pensez toujours que le mariage est un droit ou est-ce que vous voulez nuancer cela?
M. Michel Morin: Je m'en tiendrai simplement à ma déclaration; il s'agit d'un droit si vous répondez aux conditions.
M. Derek Lee: Très bien, il s'agit d'un droit assorti de conditions.
M. Michel Morin: Et si les conditions sont discriminatoires et interdites par la Charte, alors bonjour les dégâts.
M. Derek Lee: Très bien. J'accepterai cette réponse. Je ne suis pas nécessairement d'accord avec vous, mais j'accepterai la réponse.
J'aimerais passer à M. Norton. J'essaie d'éviter certains des propos exagérés qui entourent cette question. Dans votre mémoire, vous avez indiqué que la Cour divisionnaire de l'Ontario en a déjà fait une loi en Ontario—à savoir le fait de ne pas priver les gens de leur liberté de religion. Mais ce ne sont pas les tribunaux qui font les lois, et certainement pas les tribunaux inférieurs; c'est la responsabilité des assemblées législatives. Il s'agissait d'un tribunal inférieur, et la partie du jugement dont vous avez parlé est obier dictum; elle ne faisait même pas partie du jugement.
Pourquoi nous laisseriez-vous entendre, au comité de la justice de la Chambre des communes, que la Cour divisionnaire de l'Ontario en a déjà fait une loi de l'Ontario alors qu'elle n'est pas habilitée à prendre des lois? Les tribunaux interprètent et règlent des litiges.
Pouvez-vous m'apporter des éclaircissements à ce sujet?
M. Keith Norton: Évidemment, les tribunaux ne légifèrent pas comme le font les assemblées législatives, mais dans le cadre de l'interprétation et de l'application, ils contribuent effectivement à l'évolution du droit. Et bien qu'il s'agisse d'une décision de...
M. Derek Lee: La Cour divisionnaire de l'Ontario, qui est une cour inférieure. Nous ne sommes pas en train de parler de la Cour suprême du Canada ici.
M. Keith Norton: Même s'il s'agit d'une cour inférieure—et je n'ai pas dit que c'était la loi du Canada ni qu'elle s'appliquait ailleurs à l'extérieur de l'Ontario—dans la province de l'Ontario, la décision de cette cour, à moins qu'elle soit renversée, ou un principe énoncé par cette cour, s'applique. Cette décision pourrait être renversée par une cour d'appel ou en dernier lieu par la Cour suprême du Canada, mais si cette cour énonce un principe de droit, il s'applique dans la province de l'Ontario.
M. Derek Lee: La décision pourrait être renversée par la même cour. Elle pourrait même être étudiée par le même groupe et la même cour ne suivrait peut-être même pas le même jugement. Donc elle n'en a pas fait une loi, elle a interprété la loi dans ce cas en particulier, n'est-ce pas?
M. Keith Norton: C'est exact.
M. Derek Lee: Très bien.
M. Keith Norton: Je ne crois pas que nos vues soient opposées.
M. Derek Lee: Je voulais simplement éviter toute exagération.
Monsieur Arron—et en passant, par les questions que je pose nous ne différons pas d'opinion autant que vous pourriez le croire—, vous avez dit que les athées et les trafiquants de drogue peuvent se marier, alors pourquoi pas les gais et les lesbiennes? Mais je maintiens que les athées ne peuvent pas se marier s'ils ne sont pas de sexe opposé. Donc, je ne comprends pas pourquoi vous utiliseriez cette analogie. Faisons-nous preuve de discrimination envers les athées du même sexe parce qu'ils ne peuvent pas se marier?
M. Laurie Arron: Je ne laisse pas entendre que les athées pourraient contester la Constitution. Je dis que les gens n'évitent pas le mariage parce que certaines personnes qui se marient n'ont pas la même moralité.
M. Derek Lee: Très bien. Je comprends votre position, mais je voulais simplement éviter qu'on exagère ici.
M. Laurie Arron: Par contre, si vous aviez exclu précisément les athées du mariage, ils pourraient probablement revendiquer une atteinte à leur liberté de religion...
À (1010)
M. Derek Lee: Ce qui m'amène à la prochaine question, que j'adresse à M. Norton. Dans ses remarques, il indique «Nous considérons ainsi qu'on doit réformer la loi fédérale doit être réformée pour offrir un tel choix aux gais, aux lesbiennes et aux personnes bisexuelles».
Il n'y a rien qui empêche les personnes bisexuelles de se marier. Si vous avez des bisexuels hommes et femmes qui se marient, rien ne les en empêche. Il n'existe absolument aucun obstacle pour les bisexuels. Donc, je me demande pourquoi vous parlez ici des bisexuels alors que de toute évidence il n'existe rien qui empêche les bisexuels de se marier, à condition qu'ils soient de sexe opposé. Est-ce exact?
M. Keith Norton: C'est exact. Mais s'ils étaient du même sexe, ils ne le pourraient pas.
M. Derek Lee: Nous n'avons donc pas à offrir de choix aux personnes bisexuelles, si elles sont de sexe opposé? N'est-ce pas exact?
M. Keith Norton: C'est exact.
M. Derek Lee: C'est déjà prévu. Il n'y a donc pas de discrimination contre les bisexuels.
M. Keith Norton: Il y en a si ces personnes veulent épouser quelqu'un du même sexe.
M. Derek Lee: C'est exact. Oui, j'accepte cet argument.
J'ai donc pu poser des questions assez précises. Je vous laisse le temps de parole qui me reste.
M. Keith Norton: Monsieur le président, j'aimerais répondre brièvement à la question de M. Lee qui voulait savoir si le mariage est un droit.
Qu'il s'agisse d'un droit ou d'un privilège, certains pourraient le considérer comme un privilège, parce que pour se marier il faut obtenir un permis de l'État, mais même si c'était le cas et que selon vous le mariage est un privilège, il n'en reste pas moins que les lois en vigueur interdisent la délivrance de cette licence fondée sur un motif de distinction illicite, ce qui constitue de la discrimination.
M. Derek Lee: Je comprends. Je vous remercie de cet éclaircissement.
Le vice-président (M. John McKay): Je vous remercie, monsieur Lee. Je crois toutefois que M. Morin aimerait dire quelque chose.
M. Michel Morin: Oui, en tant qu'historien de droit imprégné de la tradition du droit civil, je trouve un peu étonnant d'entendre que les lois sont uniquement le fait des assemblées législatives. Je croyais que l'Ontario était une province de common law où les tribunaux ont établi des règles progressivement, et cela représente précisément une grande partie du débat qui se déroule dans l'affaire Halpern—à savoir si les tribunaux modifieraient immédiatement la règle de common law ou attendraient que le Parlement intervienne.
Donc, à ma connaissance, il existe clairement deux sources de droit en Ontario, de même que dans le reste du Canada mis à part le Québec—la législation et la common law.
Le vice-président (M. John McKay): Je vous remercie, monsieur Morin.
Je tiens à préciser que M. Scott vient d'arriver après avoir bravé les éléments...
L'hon. Andy Scott (Fredericton, Lib.): Malgré l'absence d'électricité.
Le vice-président (M. John McKay): ... malgré l'absence d'électricité et divers autres obstacles, il s'est joint à nous, donc bienvenue monsieur Scott.
Monsieur Solberg.
M. Monte Solberg (Medicine Hat, Alliance canadienne): Je n'ai pas de question à poser pour l'instant.
Le vice-président (M. John McKay): Je vois.
Monsieur Sorenson. Non?
De retour chez les Libéraux. Madame Jennings.
Attendez un instant. C'est au tour de l'opposition. Monsieur Ménard.
[Français]
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Je n'ai pas d'objection à être le deuxième à intervenir. Ce qui compte, c'est que je puisse poser mes questions.
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Je vais d'abord remercier mes collègues de l'autre côté. Ensuite, j'aimerais m'excuser de mon retard auprès de nos témoins; j'ai eu de la difficulté à trouver un taxi pour me rendre au travail, ce matin. J'ai attendu 35 minutes, ce qui fait que j'ai manqué une partie de vos présentations. Mais, pendant que d'autres témoins faisaient leur présentation, j'ai quand même lu les mémoires. Je vous remercie beaucoup.
J'aimerais simplement poser la question suivante: le mariage est-il un droit ou un privilège? À mon avis, c'est secondaire par rapport à la possibilité d'exercer ce droit ou ce privilège sans qu'il y ait de discrimination à l'égard de l'orientation sexuelle des personnes. Je crois qu'en tant que législateurs, on n'a pas le choix: on se doit d'amender notre loi afin de permettre ou de reconnaître le mariage entre personnes de même sexe.
Ensuite, c'est M. Fisher, je crois, qui a mentionné le fait que certaines personnes, hétérosexuelles et homosexuelles, pour des raisons qui leur sont propres, ne veulent pas se marier, mais aimeraient avoir la possibilité de choisir l'union civile. J'aimerais par conséquent que vous abordiez cette question, et on devrait, à mon avis, légiférer pour faire en sorte que le mariage entre les conjoints de même sexe soit reconnu.
Mais, en ce qui concerne l'union civile, j'ai constaté que dans certains mémoires, on posait la question suivante: légiférer dans le domaine du mariage et du divorce, et créer un nouveau statut ou un nouveau type de relation échappe-t-il à la compétence fédérale?
Pour ma part, je connais des gens de sexe opposé ainsi que des personnes du même sexe qui ne sont pas intéressés au mariage. Cependant, ces personnes aimeraient avoir un statut légal qui leur donne tous les droits inhérents au mariage. À cet égard, j'aimerais savoir si le Parlement pourrait reconnaître le mariage entre personnes de même sexe et, soit à la même occasion, soit ultérieurement, créer légalement et constitutionnellement un nouveau statut qui permettrait à certaines personnes de faire d'autres choix.
À (1015)
[Traduction]
Le vice-président (M. John McKay): J'aimerais rappeler aux témoins qu'il s'agit d'un tour de trois minutes.
Mme Marlene Jennings: Oh, vous ne m'en n'avez pas averti, cela s'applique donc au prochain intervenant.
Le vice-président (M. John McKay): La députée a déjà parlé pendant deux minutes 53 secondes; il ne lui reste que sept secondes...
Mais je n'ai pas avisé le témoin que nous étions passés à un tour de trois minutes, je serai indulgent.
Mme Marlene Jennings: Merci, monsieur le président.
[Français]
M. John Fisher: Pour ce qui est de savoir si le mariage est un droit ou un privilège, il faut préciser que le droit appliqué par la Constitution est le droit à l'égalité. Le fait que le mariage soit une institution juridique reconnue par l'État implique que nous ayons, de façon égale, le droit d'accéder à cette institution.
En ce qui concerne l'union civile, si le gouvernement crée des institutions supplémentaires et s'assure que tout le monde a, de façon égale, accès à chacune des institutions, il n'y aura pas de violation du droit à l'égalité. Cependant, si c'est une question de compétence, je ne peux pas répondre.
Ce qui est fondamental pour nous, gais et lesbiennes, c'est d'avoir accès à tous les choix dont disposent les hétérosexuels.
Pr Michel Morin:
Je vais résumer ce que j'ai dit plus tôt. J'aimerais bien savoir si le Parlement fédéral a la compétence nécessaire pour édicter des dispositions sur l'union civile; je n'en ai pas la moindre idée. Je ne suis pas expert en matière de partage des compétences, mais je ne crois pas qu'il existe de décision judiciaire claire, même à l'égard d'une question relativement semblable.
Par conséquent, la réponse peut être oui ou non. On peut proposer des arguments dans un sens ou dans l'autre. Comme je l'ai indiqué, il serait presque irresponsable de la part du Parlement de créer cette institution sans s'assurer d'abord qu'il a les compétences pour le faire. Il est tout à fait possible, pour faire cette vérification, de procéder à un renvoi.
En outre, toute cette question de registre me semble extrêmement difficile, étant donné que la célébration du mariage est de compétence provinciale. J'ai beaucoup de difficulté à imaginer la création d'un registre qui ne soit pas une forme de célébration du mariage. On utilise en anglais le terme solemnization; son sens est un peu plus large que celui du mot « célébration ».
Il reste qu'il s'agit d'une voie semée d'embûches. Je suis tout à fait d'accord pour dire que le mariage donnerait aux conjoints de même sexe l'égalité à 100 p. 100. L'union civile, c'est différent, peut-être moins. L'égalité se situe peut-être à 90 p. 100 ou 85 p. 100. Mais, dans votre perspective, on accorde d'abord le droit au mariage et on crée ensuite une union civile.
Le vice-président (M. John McKay): Monsieur Ménard, trois minutes.
M. Réal Ménard: Monsieur le président, vous êtes généreux, c'est connu.
Je ne pense pas qu'il y ait lieu de rappeler tous les arguments juridiques que l'on connaît et j'y souscris. Pour moi, l'exercice qu'on vit en comité me mène à rappeler qu'il y a eu quatre grands débats sur les droits des gais depuis que je suis au Parlement: les crimes haineux; l'orientation sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne; le jugement Rosenberg; et la loi sur les conjoints de même sexe, l'union de fait. Il y a toujours une cohorte d'une quarantaine de députés qui ont voté contre quelque forme de reconnaissance que ce soit.
Donc, le mandat du comité, pour moi, n'est pas tant au niveau de la légalité qu'au niveau de la citoyenneté, parce que je suis d'accord qu'il n'existe pas un droit constitutionnel au mariage. Il existe un droit à l'égalité et un droit à l'égalité qui est rattaché à une valeur, qui est la qualité de citoyen.
Dans mon environnement, les homosexuels que je connais qui veulent se marier ne veulent pas se marier pour des raisons juridiques, car un contrat d'union peut nous avantager et nous pouvons avoir à peu près les mêmes avantages. On veut se marier parce que qualitativement, on n'accepte pas de se faire dire que quand on est un homosexuel et qu'on aime une personne de même sexe, on n'a pas droit à cette reconnaissance. Pour moi, le pas additionnel à franchir par le mariage, c'est une question de rétablissement de la citoyenneté à part entière. C'est fondamentalement pour cela que ce débat est important.
Ça nous amène aussi à se rappeler que, contrairement à ce qu'on peut penser, il y a des gens qui sont attachés aux valeurs rattachées au mariage. Je souhaiterais qu'on fasse aussi ce débat-là. Avec le mariage viennent des valeurs, des valeurs qu'on peut trouver conservatrices ou pas, mais des valeurs de soutien réciproque, d'engagement et de fidélité, et c'est ça que le législateur doit reconnaître.
Peut-être avez-vous vu que Statistique Canada a comparu devant notre comité pour nous rappeler des statistiques qui sont très intéressantes sur l'attachement que les individus ont vis-à-vis de l'institution du mariage, qui peut être vécu selon des modalités différentes sur le plan pratique. Mais les grandes valeurs philosophiques d'attachement, de soutien et d'engagement sont encore là. Ça, c'est très important, et on ne peut pas y arriver seulement en mettant cela dans un texte législatif; il faut y arriver en transmettant des valeurs. Et c'est ce qui m'inquiète parce que la quarantaine de députés, autant chez les libéraux que dans d'autres partis, qui votent contre cela peuvent dire qu'ils croient à l'égalité, mais ils ne voient pas de contradiction en votant contre.
Alors, qu'est-ce que vous voulez dire sur le plan des valeurs qui serait de nature à convaincre nos collègues parlementaires qui auraient tendance à voter contre l'institution du mariage dans une perspective de reconnaissance de la citoyenneté?
Et moi, si mon chum me demande en mariage, je vais dire oui, soit dit en passant.
À (1020)
[Traduction]
Le vice-président (M. John McKay): M. Ménard a profité de mon indulgence en parlant pendant neuf secondes trois minutes.
[Français]
M. Réal Ménard: Monsieur le président, laissez-vous donc aller un peu. Vous êtes un peu trop straight à mon goût.
[Traduction]
Le vice-président (M. John McKay): Vous allez me répéter que c'est votre anniversaire.
Qui aimerait répondre à la question de M. Ménard?
[Français]
M. John Fisher: Si je savais comment convaincre ceux qui s'opposent à ces questions, je l'aurais déjà fait, mais je dois souligner le fait que j'ai passé récemment mon épreuve pour obtenir ma citoyenneté. C'est une chose que je voulais faire depuis plusieurs années. Finalement, je l'ai faite et je dois dire que ce fut difficile pour moi de passer cette épreuve, alors que je savais que toutes les valeurs et tous les principes qui sont indiqués dans le document du gouvernement ne sont pas toujours reconnus par le gouvernement lui-même.
Dans la recommandation, on parle du Canada comme un pays où on reconnaît l'égalité, où on a ces valeurs relativement au respect de tous les citoyens, et je sais que quand ils sont gais, ce n'est pas toujours le cas. Alors, je ne sais pas comment convaincre ceux qui continuent à s'y opposer, mais je pense que ça vaut la peine de souligner le fait que c'est une question de valeurs, de citoyenneté, de partage avec tous les Canadiens et les Canadiennes hétérosexuelles de la même fierté d'être des citoyens de ce pays.
[Traduction]
Le vice-président (M. John McKay): Monsieur Ménard, j'ai été très généreux envers vous. Vous devrez trouver un autre moyen de répondre.
Madame Fry.
Mme Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.): Merci beaucoup. J'espère que cet échange ne sera pas soustrait de mes trois minutes.
Au comité, on a beaucoup parlé de droits et de privilèges. Que le mariage constitue un droit ou un privilège, il y a deux éléments qui nous devons examiner. D'abord, M. Morin a parlé de la délivrance d'un permis. Ensuite, la Loi constitutionnelle, article 91, point 26, dit que c'est l'union d'un homme et d'une femme à l'exclusion de toute autre personne.
Si vous allez faire des exceptions—M. Lee a dit qu'il existait déjà des exceptions fondées sur la consanguinité et sur l'âge—, vous devez les motiver. La consanguinité et l'âge sont deux bonnes raisons. Ce sont des mécanismes de protection: La consanguinité peut donner lieu à des maladies ou à des problèmes congénitaux, et l'âge, évidemment est inclus afin d'empêcher les jeunes d'être exploités.
Mais pourquoi empêcherait-on les couples de même sexe de se marier? Ce ne peut être pour des raisons ayant trait à la procréation—c'est une question sans objet, car les nouvelles techniques de reproduction permettent aux couples de même sexe d'avoir des enfants. Est-ce que quelqu'un peut donc me donner une raison valable pour empêcher les couples de même sexe de recevoir une licence de mariage?
Laurie Arron: Y existe-t-il quelqu'un qui puisse donner une raison valable de nous exclure? À notre avis, la réponse est non, il n'existe aucune raison valable de nous exclure. La seule raison de nous nier ce droit, c'est que certaines personnes ne sont pas d'accord que nous soyons gais ou lesbiennes. C'est tout.
À (1025)
M. Keith Norton: Je ne connais personne qui a présenté des arguments rationnels; on se base plutôt sur des convictions personnelles.
Je tiens à vous dire que je ne parle pas seulement en mon propre nom. Quoique j'appuie la position que j'ai présentée, j'ai consulté mes collègues au préalable. Nous sommes douze commissaires à la Commission des droits de la personne et notre composition reflète un vaste éventail de groupes sociaux, ethniques, raciaux et religieux. J'ai été agréablement surpris en prenant connaissance des options contenues dans ce document—soit dit en passant, il y a deux ecclésiastiques, un prêtre chrétien et un musulman, ainsi que des personnes qui appartiennent à toutes les grandes religions—et que nous en sommes arrivés à un consensus assez clair sur les options proposées.
En fait, j'étais surpris de constater qu'au terme de notre discussion, nous étions tous d'accord sur le fait que la définition du mariage devait être inclusive et que c'était la seule option qui assurerait l'égalité de tous et qui éviterait ainsi des problèmes potentiels associés aux autres options.
Le vice-président (M. John McKay): Merci.
Monsieur Solberg.
M. Monte Solberg: Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais revenir à un sujet soulevé un peu plus tôt par mon collègue concernant les libertés qui sont en conflit les unes avec les autres. Il semble que la liberté de religion, à notre avis, vienne toujours en dernier lieu. La décision Vriend est éloquente à cet effet.
Est-ce exact, monsieur Fisher, que dans l'affaire Vriend...? Je présume que votre groupe est intervenu pour appuyer M. Vriend. Est-ce exact?
M. John Fisher: C'est vrai. Mais la liberté de religion n'était pas mise en cause dans cette affaire. On se demandait si l'orientation sexuelle devrait être incluse dans la loi albertaine portant sur les droits individuels, la Individual's Rights Protection Act. L'affaire ne portait pas sur la validité de la plainte formulée par M. Vriend envers le Christian College selon laquelle ses droits de la personne auraient été violés.
Dans une décision unanime, la Cour suprême a statué que la loi albertaine devait inclure l'orientation sexuelle, mais que l'affaire Vriend était une question distincte et qu'il fallait d'abord établir le droit de M. Vriend de faire une plainte. Il craignait ne même pas avoir le droit de faire une plainte, car les gais et lesbiennes ne jouissaient d'aucune protection en Alberta.
M. Monte Solberg: Ça va, j'accepte.
J'ai lu avec intérêt le dernier paragraphe de la première page de votre introduction. Vous y indiquez que le groupe Egale est d'accord avec le fait que les églises ont le droit de décider de sanctionner ou non les unions homosexuelles. J'ai lu votre position et je m'en réjouis. Je vous demande si vous pouvez me garantir que vous allez refuser d'appuyer les groupes qui en appelleront de la décision des églises de décider d'elles-mêmes si elles veulent sanctionner ou non les unions gaies.
Je vous demande donc votre garantie personnelle.
M. John Fisher: Si je vous donne ma garantie personnelle, allez-vous me garantir d'appuyer les unions homosexuelles?
Des voix: Oh, oh!
À (1030)
M. Monte Solberg: Non, je n'irai pas jusque-là.
M. John Fisher: J'ai confiance qu'un jour nous aurons le droit au mariage au même titre que les hétérosexuels. Je vous garantis que nous ne cherchons pas à imposer aux religions des valeurs ou croyances qui contreviennent à celles de leur foi.
Pour ce qui est de l'importance relative qu'on accorde à divers domaines, je crois qu'il faille noter que divers droits et libertés sont garantis par la Constitution. Dans le cas qui nous concerne, je ne crois pas qu'il y ait conflit entre les divers droits et libertés, mais la liberté de religion garantit que les gens peuvent vivre selon leur croyance personnelle et leur religion personnelle. Mais les tribunaux sont parfois saisis de causes qui impliquent des activités que certaines personnes pratiquent et qui contreviennent à leur foi, ce qui les met en opposition à celles qui vivent leur foi à la lettre. C'est ce genre de situation qui donne lieu à des conflits entre les droits.
Le cas dont nous discutons ne porte pas sur l'égalité fondée sur l'orientation sexuelle, chose que nous ne voulons imposer à personne. Les gais et lesbiennes qui veulent s'unir ne seront pas obligés de se marier en vertu de ce projet de loi s'il entre en vigueur. La loi ne ferait que protéger le droit des gens de vivre selon leurs propres valeurs.
Le vice-président (M. John McKay): Merci beaucoup.
Est-ce qu'un membre du parti ministériel aimerait prendre la parole?
Avant de passer à M. Robinson, notre témoin aimerait ajouter quelque chose.
M. Michel Morin: J'aimerais simplement résumer ce que j'ai dit plus tôt. La Cour suprême du Canada s'est penchée sur une question semblable dans l'affaire du Trinity College. Vous n'étiez pas là lorsque j'en ai parlé, mais je crois que cette décision garantit le droit d'avoir des convictions religieuses à propos des gais et des lesbiennes avec lesquelles aucun d'entre nous n'est particulièrement d'accord, mais quoi qu'il en soit, peuvent servir de base aux règles internes d'une institution comme le Trinity College.
Je crois que le député a raison en mettant l'accent sur la liberté de religion dans la mesure où, dans l'affaire Halpern, le mariage a été célébré par une église de chrétiens très honnêtes et dévoués qui croient à la véritable égalité et qui sont allés devant les tribunaux pour faire reconnaître cette conception de leur foi chrétienne. Comment des législateurs peuvent-ils décider de la conception de la religion qui est la bonne et la sanctionner par voie législative?
M. Svend Robinson: Je voulais simplement reprendre l'argument présenté par Monte, et j'ai fait valoir cet argument à notre audience précédente. Je crois que cela va vraiment au coeur même de la question. J'estime qu'il est important, tant dans le contexte de cette question du droit au mariage des gais et des lesbiennes, et aussi dans le contexte de la loi dont est aussi saisi le comité en ce qui concerne la propagande haineuse, d'indiquer très clairement que personne d'aucune façon, en élargissant la portée de l'égalité, ne cherche à imposer une série particulière de convictions morales ou religieuses à des institutions religieuses existantes. Cela serait tout à fait inacceptable.
Et il ne s'agit pas d'une question de garanties personnelles. Il ne fait absolument aucun doute dans mon esprit—et je suis sûr que nos témoins seraient d'accord—que les tribunaux défendraient vigoureusement ce principe, ce qu'ils ont d'ailleurs fait dans le cas de la décision Trinity College. Il s'agissait d'une décision de la Cour suprême du Canada, et il en existe de nombreux exemples. Il y a des églises qui n'autorisent pas l'ordination des femmes. Théoriquement, cela représente une atteinte aux droits des femmes à l'égalité. L'Église catholique est une des églises les plus importantes au Canada et n'autorise pas l'ordination des femmes. Et pourtant, il est tout à fait clair—et je suis sûr que M. Norton en sa qualité de commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne serait d'accord avec moi—que les tribunaux considéreraient tout simplement irrecevable toute proposition selon laquelle cette philosophie de l'Église catholique pourrait être contestée avec succès en vertu de la Loi sur les droits de la personne.
Donc, qu'il s'agisse des femmes ou qu'il s'agisse des gais et des lesbiennes, si les institutions religieuses sont prêtes à enfreindre ce qui autrement constituerait des dispositions relatives à l'égalité, les tribunaux n'interviendront pas dans ce genre de circonstances. Certains soutiennent, en fonction des textes religieux, par exemple, que les femmes doivent obéir à leurs maris et se taire à l'église. C'était certainement l'une des recommandations formelles de Paul et de Timothée, dont certains membres du comité sont sûrement au courant.
Certains diraient qu'il s'agit de propos plutôt offensants à l'égard des femmes. Mais le fait qu'il s'agisse d'un comportement offensant et discriminatoire ne signifie pas qu'il puisse être effectivement contesté devant les tribunaux ou une Commission des droits de la personne. Je crois qu'il est vraiment important que nous précisions aussi cet aspect.
Le vice-président (M. John McKay): Y a-t-il d'autres commentaires?
Monsieur Ménard.
[Français]
M. Réal Ménard: Monsieur le président, comme vous m'avez interrompu, avec le sens des responsabilités qui vous caractérise, je me demandais si je ne pouvais pas demander aux témoins d'intervenir sur la dimension du message sur le plan des valeurs. Moi qui suis des cours à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, je comprends bien que comme législateurs, nous produisons du droit positif, mais un projet de loi n'existe pas de manière désincarnée; il renvoie à des valeurs, donc à des messages. J'aimerais entendre les témoins sur une dimension comme celle-là. Je crois que ce serait une erreur de ne vouloir voir ce débat que d'un point de vue juridique. Est-ce que je me trompe?
Pr Michel Morin:
Je veux simplement dire brièvement que je partage cette préoccupation, et je pense que la société canadienne souscrit à cet idéal d'égalité en l'appliquant au mariage entre conjoints de même sexe. Les sondages nous le disent, les tribunaux nous l'ont affirmé. Là, je reviens un peu au domaine juridique, mais je crois que la dimension symbolique ou pédagogique du mariage comme institution est essentielle. Les tribunaux nous disent qu'après avoir étudié des témoignages et des arguments qui ont duré des semaines, ils en arrivent à la conclusion qu'il n'y a aucun argument rationnel pour refuser aux conjoints de même sexe de se marier. Ça veut dire que la tradition est indéfendable et que l'évolution est inévitable et doit s'inscrire dans les lois. Donc, à mon avis, la société est plus avancée que le législateur fédéral.
C'est pour ça qu'au Québec, l'union civile a été adoptée à l'unanimité des partis à l'Assemblée nationale, sans aucune opposition de fond, ce qu'on n'avait pas vu en France, ce qu'on ne verra probablement pas au sein de ce Parlement, même si j'aimerais beaucoup qu'une loi sur le mariage entre conjoints de même sexe soit adoptée à l'unanimité. Mais je n'ai pas beaucoup de raisons d'être optimiste.
Je pense donc que les valeurs et les transformations sociales sont déjà présentes, et c'est le rôle du Parlement de cristalliser cela. Je dois dire que mes hésitations très personnelles sur la distinction entre mariage et union civile viennent du fait que pour moi, l'union civile transmet le message extrêmement positif que finalement, si on donne les mêmes droits et qu'on impose les mêmes obligations aux conjoints de même sexe, si on les traite en pratique de la même manière en les laissant célébrer des unions comme ils le veulent, le choix des termes n'est peut-être pas essentiel. C'est mon opinion. Je réalise tout à fait que beaucoup de gens croient qu'il faut utiliser le terme « mariage » pour que vraiment l'intégration parfaite des valeurs et l'égalité s'accomplissent. Moi, j'en suis encore à me poser des questions. Peut-être que je changerai d'idée. C'est la liberté de l'universitaire.
À (1035)
[Traduction]
Le vice-président (M. John McKay): M. Arron, puis M. Norton.
M. Laurie Arron: Je crois qu'il est assez clair que les valeurs contradictoires ici sont d'une part les valeurs de fair-play de l'égalité de l'inclusion, de la diversité et de l'autre côté les valeurs selon lesquelles il y a quelque chose de mal à être gai ou lesbienne. Il s'agit du conflit des valeurs.
Dans ce cas, il est très facile de régler ce conflit parce que le Canada a déjà déclaré dans sa Charte le genre de pays qu'il souhaite être. La Charte parle des notions d'égalité. Lorsque les juges et les Canadiens parlent du sens de la Charte, ils penchent nettement du côté de l'égalité, du fair-play, de la justice et de l'inclusion de tous les Canadiens dans la société. Cela revient à votre notion de citoyenneté.
La notion selon laquelle l'homosexualité est une chose répréhensible ne peut tout simplement pas être avancée par le gouvernement canadien, à moins qu'il veille modifier la Charte. Ceux qui sont de cet avis sont tout à fait libres d'entretenir une telle conviction, mais ce n'est pas une conviction qui peut être énoncée par le gouvernement du Canada. C'est tout simplement impossible.
Le vice-président (M. John McKay): Monsieur Norton.
M. Keith Norton: Je pourrais peut-être simplement adopter une approche légèrement différente. Je ne suis pas sûr si vous parliez des valeurs de façon générale, mais un argument qui est souvent soulevé lorsque l'on discute des questions qui entourent le mariage entre conjoints du même sexe, c'est la question des valeurs familiales et le fait que pour certains, la reconnaissance égale du mariage de conjoints de même sexe risque de porter atteinte d'une certaine façon aux valeurs familiales.
Je n'ai jamais vraiment bien compris cet argument, parce que je suis frappé de constater que c'est en fait l'inverse qui est en train de se produire, à savoir que nous avons un groupe de personnes qui souhaitent épouser les valeurs familiales tells qu'elles sont représentées par l'institution du mariage, et qu'on le leur interdit. En fait, cette institution en les accueillant se trouverait à consolider les valeurs familiales, au lieu de continuer à les marginaliser en considérant que leurs relations ne doivent pas être considérées dans le même contexte que les valeurs familiales en général.
Je crois souvent que l'on confond les valeurs familiales avec les structures.
[Français]
M. Réal Ménard: Si on me permet quelques éléments de [Note de la rédaction: inaudible] juridique, c'étaient vraiment les arguments de l'ex-juge Claire L'Heureux-Dubé. Ça va, merci.
[Traduction]
Le vice-président (M. John McKay): Y a-t-il d'autres questions?
Madame Fry.
Mme Hedy Fry: Je commence toujours par préciser que je ne suis pas avocate. Donc si ma question semble un peu hors de propos, c'est parce que je ne suis pas avocate.
Est-il valable d'avancer qu'étant donné que certaines églises sanctifient à l'heure actuelle ce mariage...? Il y a l'Église métropolitaine, et nous savons qu'à l'Église anglicane, l'archevêque de New Westminster commence à laisser entendre qu'il devrait marier les gens dans son église, et nous savons que l'Église unie le fait. Pourrait-on alors soutenir que le fait de permettre à ces personnes de se marier dans ces églises constitue une atteinte à la liberté de religion, si ces églises souhaitent le faire? Est-ce un argument? On se trouve à inverser l'argument.
M. Laurie Arron: C'est exact. C'est précisément l'argument que l'Église de la communauté métropolitaine de Toronto a fait valoir dans l'affaire Halpern. Je considère que cet argument est extrêmement valable.
À (1040)
Le vice-président (M. John McKay): Y a-t-il d'autres questions?
M. Michel Morin: Puis-je intervenir brièvement?
L'argument en faveur de la liberté de religion n'a pas été retenu, mais l'argument en faveur de l'égalité l'a été. On a indiqué que le déni du droit au mariage était une violation du droit à l'égalité.
Le problème avec ce genre d'argument, c'est qu'il est peut-être un peu trop général, parce que l'on ne veut pas soutenir que le Parlement devrait reconnaître tous les principes des différentes religions. On ne veut pas soutenir, comme on l' a fait dans les années 10 et 20, que les Catholiques ne devraient pas être autorisés à divorcer ou à se remarier, ni ce genre de choses. Par exemple, la polygamie se trouverait à enfreindre les valeurs fondamentales de la Charte, l'égalité des droits des femmes. Dans d'autres pays, il pourrait exister des religions qui font la promotion de la polygamie.
Donc, je crois que l'argument que l'on peut faire valoir, c'est que la violation du droit à l'égalité se trouve du même coup renforcée par le fait que l'on sanctionne une série de convictions religieuses plutôt que d'autres, ce qui ne devrait pas être le rôle du Parlement. On ne peut pas mettre uniquement l'accent sur l'argument fondé sur la liberté de religion.
Le vice-président (M. John McKay): Monsieur Robinson.
M. Svend Robinson: Je me demandais simplement si les témoins de Egale pourraient peut-être donner suite à la question importante que Mme Jennings a posée au sujet de la compétence fédérale et des unions civiles. Egale pourrait peut-être préciser sa position à cet égard.
Laurie Arron: En fait, nous avons examiné cette question. En somme, le mariage est accompagné de plusieurs droits et responsabilités, qui sont prévus par des lois fédérales et provinciales. Par exemple, les droits de propriété et les droits civils sont de compétence provinciale, et l'immigration de compétence fédérale. Il y a toutes sortes de pouvoirs qui sont divisés entre les deux paliers de gouvernement.
Afin de mettre sur pied un régime d'union civile, il faudrait faire entériner la reconnaissance de l'union civile fédérale par chaque province et territoire. Pour cela, il faudrait évidemment demander la permission. Le gouvernement fédéral pourrait donc mettre sur pied un régime d'union civile qui couvre seulement les droits et responsabilités fédéraux; vous pourriez agir indépendamment pour faire cela. Mais pour créer une institution intégrée qui prévoit tous les droits et toutes les responsabilités associés au mariage, il faudrait le consentement des provinces et des territoires.
Le vice-président (M. John McKay): Monsieur Sorenson.
M. Kevin Sorenson: J'ai une question très brève, qui m'est venue à l'esprit pendant l'exposé de M. Morin. Nous discutons aujourd'hui du mariage entre conjoints de même sexe et des raisons pour lesquelles nous autoriserions ou interdirions ce genre d'union. Mais qu'en est-il de l'aspect numérique de la définition de mariage? M. Morin vient de parler de la polygamie.
Ma question s'adresse à M. Norton. Est-ce qu'on enfreint les droits à l'égalité, en vertu des lois du Canada, de ceux qui voudraient participer à une relation polygame? Nous définissons le mariage comme étant une relation entre deux personnes. En ce moment, il s'agit d'un homme et d'une femme à l'exclusion de toute autre personne. Vous demandez que cela ne soit pas limité aux couples hétérosexuels. Mais qu'en est-il de l'aspect numérique?
M. Keith Norton: Vous savez, je ne crois pas qu'il y ait de réponse simple à cette question, mais rien n'empêche quelqu'un au Canada d'avoir plus d'un conjoint, sauf qu'on ne peut pas le faire légalement. En d'autres termes, dans le cas des membres d'une religion ou d'un groupe religieux qui croient à la polygamie, il n'y a rien, à ce que je sache, qui empêcherait leur clergé de solenniser secrètement ce genre d'union dans le contexte de leur foi. Cependant, cette union ne serait certainement pas reconnue par les lois du Canada, et ce n'est pas ce que nous proposons, bien sûr.
M. Kevin Sorenson: Mais voilà: pourquoi pas? Pourquoi ne pas reconnaître cette union en vertu de la loi?
Le vice-président (M. John McKay): Michel Morin d'abord, et ensuite Laurie Arron.
Pr Michel Morin: Il y a certainement un article du Code criminel qui porte sur la bigamie. Mais je ne suis pas tout à fait certain si cet article s'appliquerait à une cérémonie privée qui ne prétend pas être une reconnaissance légale. Il faudrait que je vérifie. Mais il est clair que la bigamie constitue une infraction criminelle. C'est cela d'abord.
Ensuite, je vais répéter ce que j'ai déjà dit: la polygamie, en vertu de laquelle un homme a plus d'une femme, constitue une perpétuation de la discrimination contre les femmes. Elle va tout à fait à l'encontre non seulement des valeurs de la Charte mais aussi du libellé très clair de certains articles de la Charte. Les tribunaux ne pourraient jamais, sous le prétexte de la liberté de religion, faire fi complètement des articles 15 et 28. Les tribunaux ont toujours déclaré qu'il faut examiner tous les droits et établir un équilibre entre eux.
À (1045)
M. Kevin Sorenson: Ce type de relation n'a peut-être rien à voir avec la religion. Il s'agit peut-être d'une relation consensuelle et amoureuse. Ce n'est pas que je donne mon aval à ce genre de rapport, qui est contre mes valeurs et mes croyances. Mais dans le contexte de nos discussions aujourd'hui, vous dites que le sexe des conjoints ne doit pas entrer en ligne de compte quand on parle du mariage, et vous fondez votre argument sur l'égalité des individus dans la relation. Un pourcentage minime de Canadiens participent à ce genre de relation. Nous savons aussi qu'il y en a un certain nombre qui croient à des rapports familiaux aimants et consensuels. Cela va à l'encontre de mes valeurs. Mais ouvrons-nous la porte en même temps, sur le plan des droits de la personne, à...?
Laurie Arron: Non, je ne crois pas qu'on ouvre la porte. C'est...
M. Kevin Sorenson: Pourquoi pas? Pourquoi devrions-nous ouvrir la porte?
Laurie Arron: Vous avez parlé de l'aspect numérique, et je crois que les chiffres sont très importants. Il y a une personne et une autre personne, et nous parlons ici du droit de se marier avec une personne et non deux personnes. Tous les Canadiens devraient avoir le droit de se marier avec une personne, puisque la Charte indique qu'on ne peut pas exclure un groupe donné de ce droit au mariage entre deux personnes en raison de leur orientation sexuelle. Il n'existe aucun droit à l'égalité qui stipule que si une personne peut avoir un conjoint, alors d'autres personnes peuvent avoir deux conjoints. Ce n'est pas une revendication d'égalité, et c'est justement l'égalité qui fait l'objet de nos discussions aujourd'hui.
M. Keith Norton: Il faut garder à l'esprit aussi le fait que nous abordons cette question dans le contexte de la loi canadienne existante, qui interdit la discrimination pour des motifs de distinction illicite, notamment l'orientation sexuelle. À ma connaissance, rien dans la loi canadienne interdit la discrimination en raison d'une formule numérique et quelconque. Cela veut sans doute dire que cette forme de discrimination est légale, si vous la considérez comme un type de discrimination.
Le vice-président (M. John McKay): Un autre comité commence sa réunion ici dans 10 minutes, et je vais donc devoir conclure la séance.
J'aimerais remercier tous les témoins d'avoir comparu devant le comité ce matin. Ces discussions ont été très fructueuses et ont apporté une contribution importante à notre étude. Je vous remercie tous.
La séance est levée.