JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la justice et des droits de la personne
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 11 mars 2015
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour, mesdames et messieurs, et merci d'être avec nous. Je suis désolé de débuter la réunion en retard. Nous sommes le Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Il s'agit de la séance no 66. Conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 26 novembre, nous étudierons le projet de loi C-583, Loi modifiant le Code criminel relativement à l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation foetale. Nous avons quelques témoins, et puisque nous avons peu de temps, nous allons débuter sans tarder. Nous voulons entendre tous les témoins. Si nous avons le temps, il y aura une période de questions, mais sinon, nous débuterons.
Nous allons suivre l'ordre du jour. Veuillez vous présenter avant de commencer votre exposé. Nous recevons M. Rudin, des Aboriginal Legal Services of Toronto. La parole est à vous.
C'est bien. Dites-moi si je dépasse le temps. J'ai l'une de ces montres élégantes, mais imprécises. Mais elle est très chic.
Merci beaucoup de m'avoir invité. Je m'appelle Jonathan Rudin. Je suis directeur de programme aux Aboriginal Legal Services of Toronto. Aux Aboriginal Legal Services, nous travaillons avec de nombreux clients touchés par l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation foetale, ou l'ETCAF. Nous avons aussi un projet financé par la Fondation du droit de l'Ontario. Il s'agit d'un projet de recherche qui établit des diagnostics pour les détenues autochtones qui sont en détention préventive et qui sont en attente de leur peine. C'est un projet de recherche qui vise à évaluer l'incidence du diagnostic d'ETCAF sur la détermination de la peine. Quand les juges connaissent des choses au sujet des individus, cela change-t-il la peine?
Je pense que je suis également ici parce que je suis le président du FASD Justice Committee. Ce comité a un site Web, le FASDJustice.ca. C'est un site Web important au Canada qui contient de l'information au sujet de l'ETCAF et de la justice. C'est aussi un site visité par des gens du monde entier. Depuis sa mise en ligne il y a environ 10 ans, nous avons eu 1 710 650 visiteurs. C'est un site conçu pour les professionnels de la justice. Il contient une liste d'affaires judiciaires portant sur l'ETCAF de partout au pays, ainsi que de l'information précise utile pour les juges, les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense, pour les aider à travailler avec des gens touchés par l'ETCAF.
D'entrée de jeu, permettez-moi de préciser que, bien que je travaille avec les services juridiques venant en aide aux Autochtones, l'ETCAF n'est pas qu'un problème autochtone. Nous ne connaissons pas, et je sais que Mme Popova en parlera, les taux de prévalence de l'ETCAF dans la population canadienne. Il est impossible de présumer ou de deviner que ces taux sont plus élevés chez les Autochtones. Il n'y a aucun moyen de le savoir. Nous savons que les Autochtones sont surreprésentés dans le système de justice pénale. Nous savons aussi que les personnes atteintes de l'ETCAF sont surreprésentées dans le système de justice pénale. On peut donc conclure que parmi les personnes atteintes de l'ETCAF dans le système de justice pénale, beaucoup d'entre elles seront d'origine autochtone. Si vous examinez la jurisprudence répertoriée sur notre site Web, vous verrez que l'ETCAF est mieux connu dans l'Ouest du pays que dans l'Est, ce qui contribue à cette perception. Puisque les Autochtones représentent une proportion importante des personnes qui comparaissent devant les tribunaux dans l'Ouest, vous voyez plus de personnes atteintes de l'ETCAF qui sont autochtones, ce qui crée ce genre de préjugés. Il faut faire attention avec ce genre de présomptions. Il faut aussi noter que la communauté autochtone est un chef de file en matière de prévention et de création de stratégies pour travailler avec les personnes atteintes de l'ETCAF.
Notre compréhension de l'ETCAF, et par là j'entends notre compréhension en tant que professionnels de la justice ou de la santé, a changé au fil du temps. Nous pensions à l'origine que les personnes atteintes de l'ETCAF présentaient des caractéristiques physiques particulières. Or, ces gens ne représentent pas la majorité des personnes atteintes de l'ETCAF. La majorité des personnes atteintes n'ont pas de traits physiques qui les distinguent des autres. La difficulté et le défi pour le système judiciaire, c'est que devant les tribunaux, les personnes atteintes de l'ETCAF ont l'air de vous et moi. Dans la vie de tous les jours, comme au tribunal bien sûr, nous faisons des présomptions.
Par exemple, à moins qu'on nous dise le contraire, nous présumons que les personnes qui comparaissent devant les tribunaux sont pleinement aptes et compétentes, et ont atteint le même niveau de développement cognitif que vous et moi. On regarde quelqu'un et on dit, « Vous avez l'air d'avoir 22 ans, vous parlez comme quelqu'un qui a 22 ans puisque vous semblez bien vous exprimer, donc je vais présumer que vous avez 22 ans ». Le système de justice pénale va si vite que nous ne voyons souvent pas les signes. Rien ne nous permet de dire, « Attendons, et examinons cette personne de plus près ». Si vous arrivez au tribunal avec une canne et des verres fumés, nous saurons que vous êtes aveugle et nous en tiendrons compte. Or, l'ETCAF est en grande partie un handicap invisible, et c'est la raison pour laquelle il est primordial qu'il soit pris en compte dans le système de justice pénale. Si nous ne repérons pas ces personnes, nous n'allons pas leur imposer une peine adéquate.
Si vous regardez la jurisprudence, vous verrez que, même à l'heure actuelle, il y a beaucoup d'informations erronées au sujet de l'ETCAF. Il n'est pas rare d'entendre des juges ou des procureurs de la Couronne dire que quelqu'un devrait être envoyé en prison parce qu'il est atteint de l'ETCAF. On présume que leur comportement ne peut être géré par la communauté.
Certaines personnes, qui se trompent je crois, diront: « Si vous êtes atteint de l'ETCAF, vous avez un problème. Vous avez besoin d'avoir une meilleure structure dans votre vie. Où pouvez-vous obtenir cette structure? Je le sais: en prison. Il y a une structure en prison. » Mais cette analyse ne prend pas en compte que les personnes atteintes de l'ETCAF sont souvent très exploitées lorsqu'elles sont en prison, en raison de leurs difficultés sociales. Ces personnes tentent de se faire des amis et se retrouvent facilement exploitées.
L'autre problème avec la prison, c'est que la plupart des activités ne sont pas conçues pour les personnes atteintes de l'ETCAF. À l'heure actuelle, on observe une préférence pour le travail en groupe et les programmes basés sur la thérapie cognitivo-comportementale. Vous pensez à ce que vous avez fait, vous parlez de ce que vous avez fait, vous dites pourquoi les choses n'ont pas fonctionné, et tout ce genre de choses. Ces thérapies ne fonctionnent pas bien avec les personnes atteintes de l'ETCAF. Souvent, ces personnes ne travaillent pas bien en groupe parce qu'elles ne comprennent pas les indicateurs sociaux, et la thérapie cognitivo-comportementale ne fonctionne pas vraiment non plus. Cela ne signifie pas que les personnes atteintes de l'ETCAF ne peuvent pas apprendre; au contraire, elles peuvent. Ce ne sont pas elles le problème; le problème, c'est la façon dont nous les traitons.
J'aimerais aussi attirer l'attention du comité sur une décision récente rendue par le Comité judiciaire du Conseil privé du Royaume-Uni. On parle peu du Comité judiciaire du Conseil privé, parce qu'au Canada, on n'y fait plus appel depuis avant le début de la Deuxième Guerre mondiale. Or, ce comité vient de rendre une décision très intéressante dans une affaire néo-zélandaise, Pora c. La Reine. Cette décision a été rendue le 3 mars 2015. C'est une décision importante puisqu'elle porte sur une personne qui a été reconnue coupable de meurtre en Nouvelle-Zélande et qui, lorsqu'elle était en détention, a reçu un diagnostic d'ETCAF. Selon le Conseil privé, l'importance de ce diagnostic était telle que cela remettait en question la confession de l'individu. Bien qu'il ait avoué un crime, et que le jury ait cru cet aveu, le comité judiciaire a déclaré qu'on ne pouvait absolument pas se fier à cet aveu en raison des effets de l'ETCAF sur une personne.
Comme je ne veux pas empiéter sur le temps des autres témoins, je n'ai pas la chance de parler plus en détail de cette affaire, mais c'est une décision très importante. Aux pages 11 à 17 du jugement, on parle précisément de l'analyse et des preuves entourant l'ETCAF. Ce qu'il importe de noter, c'est qu'en l'absence de diagnostic, car M. Pora était en détention après sa condamnation lorsque le diagnostic a été rendu, le comité judiciaire n'a été saisi de ce fait que pendant le processus d'appel.
Le comité judiciaire, après avoir lu et entendu le témoignage des deux experts qui ont posé le diagnostic d'ETCAF, a formulé la conclusion suivante, au paragraphe 55:
Les témoignages du Dr McGinn et du Dr Immelman établissent sans ambages le risque d'une erreur de justice. Ces témoignages expliquent comment les aveux de M. Pora peuvent être faux. C'est une question cruciale et capitale dans le bien-fondé de sa condamnation.
Je vous recommande de prendre connaissance de ce jugement, puisqu'il est d'actualité, et qu'une décision d'une telle importance sur l'ETCAF n'a pas encore été rendue au Canada.
Avant de conclure, je veux souligner une dernière chose. Je répète que ce qui est important dans le contexte de l'ETCAF, c'est de poser un diagnostic, et non pas simplement d'évaluer une personne. Si je suis un avocat de la défense et que je dis, « Votre Honneur, mon client a reçu un diagnostic d'ETCAF », sans qu'il y ait en fait de diagnostic, ou sans que je sache comment se manifeste l'ETCAF chez mon client, le diagnostic n'aide en rien.
Si nous obtenons les diagnostics, il est très important de les fournir au tribunal car ce n'est qu'une fois que le diagnostic est connu que le tribunal peut véritablement prendre en compte les circonstances propres à chaque individu.
Merci. Meegwetch.
Merci de cet exposé, monsieur.
Avant de passer au prochain témoin, qui représente le Centre de toxicomanie et de santé mentale, vous avez devant vous un budget pour le remboursement de nos témoins. Quelqu'un peut-il en proposer l'adoption?
Une voix: J'en fais la proposition.
(La motion est adoptée.)
Le président: Merci beaucoup.
Professeure, du Centre de toxicomanie et de santé mentale, la parole est à vous.
Bon après-midi à tous. Je vous remercie de m'avoir invitée.
Je suis épidémiologiste et scientifique principale au Centre de toxicomanie et de santé mentale. Je suis aussi professeure adjointe à la Faculté de travail social à l'École de santé publique Dalla Lana de l'Université de Toronto.
J'avais préparé une présentation PowerPoint aujourd'hui, mais il est malheureusement impossible de vous la présenter. Toutefois, j'ai des copies papier pour tous les députés, et je vous serais très reconnaissante de les distribuer...
Nous ne les avons pas à l'heure actuelle, mais nous les aurons lundi. Ces documents doivent être bilingues.
Vous risquez d'avoir du mal à suivre.
Je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps, et mes premières diapositives sont consacrées au SAF et à l'ETCAF en général, mais je vais les sauter et passer directement à la prévalence du SAF et de l'ETCAF au Canada. Au fait, en ma qualité d'épidémiologiste, j'ai préparé des données sur la prévalence, sur le fardeau lié à la comorbidité et sur les coûts rattachés à l'ETCAF.
Dans les collectivités du Nord, où bien entendu la majorité des personnes sont autochtones, la prévalence est d'environ 4 à 12 %, ce qui est substantiellement plus élevé que dans la population générale, dont le taux est de 0,1 à 0,7 %. Toutefois, la prévalence de l'ETCAF, qui est le terme générique et qui inclut plusieurs diagnostics médicaux causés par l'alcoolisme, est également plus élevée dans les collectivités septentrionales, et atteint de 2,5 à 19 %, comparativement à une prévalence d'environ 1 % seulement dans la population générale.
Toutefois, il est vrai que ces études ont souffert d'un grand nombre de limites méthodologiques et qu'elles sont désuètes. C'est pourquoi nous avons besoin de meilleures études sur la prévalence au Canada. Il y a tout lieu de penser que la prévalence est beaucoup plus élevée, tant dans les communautés du Nord que dans la population générale.
J'aimerais maintenant vous présenter des données sur la prévalence de cas d'ETCAF au sein de la population carcérale dans notre système de justice pénale. Il existe plusieurs estimations empiriques. Dans un cas, on estime qu'environ 50 % des jeunes contrevenants au Canada souffrent d'ETCAF. Une étude américaine a révélé que parmi 253 personnes atteintes de l'ETCAF, environ 60 % avaient indiqué avoir été inculpées et condamnées ou avoir eu des démêlés avec la justice, et 42 % des adultes atteints de l'ETCAF avaient déjà été incarcérés pour avoir commis un crime.
Nous avons effectué des recherches documentaires approfondies afin de connaître la prévalence de personnes atteintes de l'ETCAF au Canada et nous n'avons trouvé que quatre études épidémiologiques. La prévalence de l'ETCAF est assez élevée chez les jeunes en détention. Elle va de près de 11 % à 23 %. Il n'y a qu'une seule étude au Manitoba qui ait indiqué la prévalence au sein de la population carcérale adulte, qui s'élève à environ 10 %.
Afin de nous renseigner sur le nombre et le type de cas de comorbidité liés à l'ETCAF, nous avons réalisé une autre recherche documentaire et avons trouvé qu'au total, plus de 400 maladies étaient associées à l'ETCAF. Cette étude et l'article en question ont été soumis à la publication The Lancet. C'est le plus important facteur de risque dans le domaine médical. Nous nous sommes aperçus que les facteurs de comorbidité couvraient 18 des 22 chapitres de la classification internationale des maladies. Les problèmes les plus courants qui ont été diagnostiqués chez les personnes atteintes de l'ETCAF sont des malformations congénitales. Ensuite, le deuxième groupe en terme d'importance est celui des troubles mentaux et comportementaux.
J'ai ici une jolie diapositive que j'espère que vous consulterez plus tard lorsque vous aurez une copie du document. Vous y verrez effectivement que le deuxième groupe de maladies en importance chez les personnes atteintes de l'ETCAF est celui des troubles mentaux et comportementaux, mais vous verrez aussi d'autres groupes de maladies tels que le cancer et les maladies du système nerveux, du système circulatoire, du système génito-urinaire, et bien d'autres. Évidemment, je vous laisse imaginer l'énormité des coûts que cela entraîne en termes de soins de santé, et je vais d'ailleurs aborder cette question dans quelques minutes.
Ma diapositive suivante porte sur les conditions rattachées aux troubles mentaux et comportementaux. Elle montre qu'environ 90 % des personnes atteintes de l'ETCAF ont des problèmes de comportement et d'impulsivité. De plus, 80 % des personnes souffrent d'un déficit du langage réceptif et expressif, 70 %, de troubles cognitifs et de retard du développement, 55 %, de dépendances à l'alcool et à la drogue, 50 %, de troubles d'hyperactivité avec déficit de l'attention et 45 %, de troubles psychotiques brefs.
Plus de 40 % souffrent de retards de développement et de la motricité fine et globale et de troubles de l'acquisition de la coordination. Plus de 40 % ont un retard mental et souffrent d'une déficience intellectuelle. Plus de 40 % souffrent de troubles dépressifs majeurs.
On a également comparé la prévalence des facteurs de comorbidité chez les personnes atteintes de SAF au sein de la population générale des États-Unis. On s'est aperçu que par rapport à la population générale des États-Unis, les troubles du comportement chez les personnes souffrant du SAF sont environ 10 fois plus élevés, les troubles du langage réceptif sont 10 fois plus élevés, les troubles du langage expressif sont 11 fois plus élevés, les troubles non précisés du développement psychologique sont 97 fois plus élevés, la surdité de transmission est 126 fois plus élevée, la dépendance à l'alcool et aux drogues est plus de 4 fois plus élevée et les troubles de l'attention sont environ 8 fois plus élevés.
Permettez-moi maintenant de vous présenter certaines des estimations de coûts tirées de l'étude que nous avons récemment menée sur le fardeau et sur les coûts associés à l'ETCAF.
Comme vous pouvez le voir sur cette diapositive, l'ETCAF touche quasiment tous les secteurs de notre société. Il entraîne des coûts directs pour les soins de santé, des coûts directs pour l'application de la loi, ce qui comprend les services de police, les tribunaux et les services correctionnels, dont les services de probation, ainsi que d'autres coûts directs, notamment pour les enfants placés et pris en charge, l'éducation spécialisée, les services de soutien à domicile, l'aide à la vie autonome, la formation professionnelle, l'aide sociale, la prévention et la recherche, et de nombreux autres coûts. Les coûts comprennent également la perte de productivité des parents, des fournisseurs de soins et des personnes concernées. Il y a également des coûts intangibles, à savoir le coût de douleur, de la souffrance, du stress, de la frustration et de la culpabilité ressentis par les mères, ce qui ne peut pas être chiffré en termes pécuniaires.
L'étude a révélé que les coûts liés à l'ETCAF sont énormes; ils s'élèvent entre 1,3 et 2,3 milliards de dollars par année. Il s'agit là d'estimations très prudentes. Le facteur qui contribue le plus à l'ensemble des coûts liés à l'ETCAF, ce sont les coûts indirects de la perte de productivité liée au handicap et à la mortalité prématurée des personnes atteintes de l'ETCAF. Toutefois, le deuxième coût en importance est celui des coûts des services correctionnels, qui s'élèvent à environ 378 millions de dollars, ce qui représente 30 % des coûts totaux liés à l'ETCAF.
Permettez-moi également d'examiner de plus près les coûts des services correctionnels associés à l'ETCAF au Canada. Comme vous le savez, l'ETCAF est lié à des troubles cérébraux qui ont une incidence négative sur les fonctions d'abstraction, sur la mémoire, sur le traitement de l'information, sur la compréhension des règles et des attentes sociales et sur la capacité d'établir un lien de cause à effet dans les relations. Avec tous ces facteurs, si l'on ne met pas en place, très tôt dans la vie et tout au long de la vie, les services appropriés de diagnostic, d'intervention et de soutien, alors un grand nombre de personnes atteintes de l'ETCAF courent le risque d'avoir des démêlés avec la justice, soit à titre de délinquant, soit à titre de victime. Les personnes atteintes de l'ETCAF connaissent généralement un taux de récidive plus élevé car elles sont habituellement incapables de tirer des leçons de leurs expériences passées, en plus de leurs autres problèmes de santé mentale.
D'après les données disponibles en épidémiologie et les données du Centre canadien de la statistique juridique, nous avons pu calculer que les jeunes atteints de l'ETCAF étaient 19 fois plus susceptibles d'être incarcérés que les jeunes qui n'en souffrent pas, dans une année donnée.
En résumé, les données épidémiologiques et médicales font ressortir trois points principaux.
Tout d'abord, Il y a de l'éducation à faire sur les personnes atteintes de l'ETCAF, notamment en ce qui concerne leur prévalence et leurs handicaps. Ensuite, il faut intervenir pour cibler les personnes atteintes de l'ETCAF afin de réduire les taux de récidive. Enfin, le dépistage de l'ETCAF doit se faire le plus tôt possible dans le processus de justice pénale.
Merci beaucoup de votre attention.
Merci, professeur, de cet exposé du Centre de toxicomanie et de santé mentale.
Maintenant, nous allons passer à notre première délégation par vidéoconférence. Du Fetal Alcohol Syndrome Society of Yukon, nous recevons Mme Bradley qui, je crois, en est la directrice principale. J'espère qu'elle a été en mesure de se joindre à nous.
Vous avez la parole.
Monsieur le président, honorables membres du comité, mesdames et messieurs, au nom de la Fetal Alcohol Syndrome Society of Yukon, je tiens à remercier le comité de nous avoir invités à comparaître. J'aimerais également remercier notre député, Ryan Leef, qui parraine ce projet de loi très important.
Je m'appelle Wenda Bradley. Je suis actuellement directrice principale de la Fetal Alcohol Syndrome Society of Yukon, aussi appelée FASSY. Je possède plus de 35 années d'expérience à titre d'infirmière autorisée, principalement dans des centres de soins de santé des communautés rurales du Yukon. Au cours des 15 dernières années, ma carrière s'est orientée vers les questions liées à l'ETCAF. À cet égard, j'interviens directement auprès des clients, des familles et des communautés. J'ai aussi agi comme parent nourricier pour des enfants ou des jeunes qui ont, ou qui ont pu avoir l'ETCAF; ils m'ont enseigné ce qu'est la vie au quotidien lorsqu'on souffre de ce handicap.
À ses débuts, la FASSY était un organisme communautaire sans but lucratif, dirigé par un conseil formé essentiellement de parents et de quelques représentants communautaires dévoués. Créée en 1986 à titre de sous-comité de la Yukon Association of Community Living, elle est devenue une société autonome en 1996. À l'époque, l'ETCAF était peu connue au Yukon et ne faisait l'objet d'aucun financement.
Depuis 19 ans, la FASSY offre des services directs aux adultes atteints de l'ETCAF et elle a aussi élargi ses activités, qui comprennent la coordination des services de diagnostic chez les adultes et des services de prévention et de sensibilisation dans les communautés du Yukon. Toutefois, nous mettons principalement l'accent sur le soutien direct aux adultes atteints de l'ETCAF, ce qui comporte une participation accrue au sein du système judiciaire. À l'heure actuelle, nous comptons 37 clients actifs — 76 % ont eu des démêlés avec le système de justice et 36 % ont actuellement des démêlés avec le système de justice.
Une grande proportion de personnes atteintes de l'ETCAF ont affaire au système de justice au Canada, comme nous l'avons entendu. Fait révélateur, en 2014, le gouvernement du Yukon a lancé une étude de prévalence pour examiner l'incidence de l'ETCAF dans le système correctionnel du Yukon et nous attendons les résultats de cette étude avec impatience. La FASSY est intimement convaincue que les personnes atteintes de l'ETCAF dans le système de justice, en tant que victimes, témoins ou délinquants et parfois à plus d'un titre, doivent faire l'objet d'une attention particulière. Elles pourraient effectivement être victimes dans un cas et délinquantes dans un autre.
L'exposition prénatale à l'alcool est une cause importante d'anomalies congénitales et de retards du développement évitables en Amérique du Nord. Ces effets sont multiples et uniques à chaque personne, mais les recherches démontrent qu'une telle exposition entraîne des lésions physiques et cérébrales permanentes.
Les effets sur les fonctions exécutives du cerveau sont les plus importants. Ces fonctions interviennent dans le raisonnement, la planification, le contrôle des impulsions et la compréhension des liens de cause à effet. Cette lésion a un effet sur le comportement de la personne touchée. Les personnes atteintes de l'ETCAF peuvent présenter divers niveaux de capacités exécutives. Elles peuvent avoir une très bonne élocution et sembler comprendre, alors qu'en fait elles saisissent mal ce qui est dit. Il est difficile de concevoir qu'une personne puisse à la fois s'exprimer comme un adulte et comprendre une conversation comme le ferait un élève de 4e année. Le traitement de l'information peut être retardé, tout comme le processus de réponse aux questions.
Ces personnes ont souvent du mal à fonctionner correctement dans la vie quotidienne et semblent utiliser de mauvaises stratégies de résolution de problème. Certaines personnes sont peu susceptibles de tirer des leçons de leurs propres expériences négatives et la plupart ont des problèmes de mémoire, et ce, pour toutes les parties du processus de la mémoire. Peu de personnes atteintes de l'ETCAF sont en mesure d'appliquer leurs connaissances à divers scénarios, ce que l'on appelle le fonctionnement adaptatif.
Il est déconcertant de constater qu'une personne atteinte de l'ETCAF puisse jouer à un jeu aussi complexe que les échecs et ne pas être capable de comprendre les conséquences de ses actes ou de planifier un repas. Ce sont ces capacités partielles qui détournent notre attention, en tant que fournisseurs de services, y compris les intervenants du système de justice, des véritables problèmes des personnes atteintes de l'ETCAF. Nous avons tendance à interpréter leur comportement comme celui d'une personne de mauvaise foi plutôt que celui d'une personne qui ne comprend pas.
Nombre de personnes atteintes de l'ETCAF ont du mal à comprendre ce que la société attend d'elles. Leur expérience du monde est marquée par la confusion et la contradiction. De nombreux adultes aux prises avec l'ETCAF ont vécu des interruptions sur le plan familial, scolaire et professionnel, et sont incapables de progresser sans aide dans leur vie.
Malheureusement, dans notre société, le problème de l'ETCAF n'a pas été diagnostiqué chez un bon nombre de ces personnes, qui vont et viennent sans cesse dans notre système de justice et dans beaucoup d'autres systèmes de notre société. À l'heure actuelle, un tribunal n'est tenu de considérer l'ETCAF comme un facteur atténuant que si d'autres tribunaux le font. Je suis d'avis que cela est insuffisant.
L’ETCAF ne devrait pas être considéré comme un facteur atténuant, mais plutôt comme un facteur dont il faut impérativement tenir compte dans le système de justice. Le respect des personnes atteintes de l’ETCAF par la reconnaissance des effets que ce handicap a sur leur vie est d’une importance capitale. Le fait que ces personnes puissent faire l’objet d’une évaluation dans le cadre du processus judiciaire permettrait de comprendre le déficit fonctionnel à la base des problèmes associés à l’exposition prénatale à l’alcool. Il importe de comprendre que l’ETCAF n’est pas un trouble psychologique que l’on corrige, mais une atteinte cérébrale organique permanente.
Madame Bradley, je vais devoir vous interrompre brièvement.
La sonnerie se fait entendre, ce qui signifie que nous devons retourner à la Chambre pour voter une fois de plus. Avec la permission des membres du comité, pouvons-nous entendre le reste du témoignage de Mme Bradley? Il reste environ cinq minutes. Ensuite, pour ce qui est de nos deux autres témoins, je vais voir s'il serait possible de les réinviter à une autre réunion du comité. Il se pourrait donc que je doive ajouter une demi-heure à notre réunion de lundi, à notre retour, de 15 h 30 à 18 heures, afin de nous permettre d'entendre tous nos témoins.
Des voix: D'accord.
Juste pour être clair, monsieur le président, est-ce que cela concerne tous les témoins qui sont ici aujourd'hui, même ceux qui viennent juste...
Madame Bradley, vous avez la parole pendant encore cinq minutes et nous devrons ensuite lever la séance.
Merci.
Lorsque le projet de loi C-583 sera approuvé, des demandes d’évaluation devront être présentées par les tribunaux. Une évaluation de l’ETCAF devrait être demandée et suivre les lignes directrices de l’Association médicale canadienne en matière de diagnostic. Selon ces lignes directrices, une équipe multidisciplinaire devrait évaluer toutes les aptitudes et tous les problèmes de la personne sur le plan du fonctionnement adaptatif, plutôt que de s’en tenir à une analyse strictement psychologique. Une évaluation psychologique seule n’est pas aussi efficace et peut même être nuisible parce qu’elle ne rend pas compte des lésions cérébrales et de leur effet sur le fonctionnement.
Il existe un fort taux de comorbidité avec les problèmes de santé mentale, mais ceux-ci doivent être envisagés dans le contexte des lésions cérébrales sous-jacentes causées par l’exposition prénatale à l’alcool. Certains problèmes de santé mentale peuvent surgir parce que l’ETCAF sous-jacent n’a pas été diagnostiqué plus tôt dans la vie d’une personne.
Une évaluation de l’ETCAF menée selon l’approche coopérative recommandée par l’AMC pourrait en outre permettre de diagnostiquer des problèmes génétiques, ou d’en éliminer la possibilité, et de tenir compte des effets d’autres traumatismes vécus par la personne. Si tous les aspects du système de justice — enquête, dépôt d’accusations, rapport présentenciel, tribunal, prononcé de la sentence, décision et modalités, emprisonnement et réinsertion sociale — tiennent compte des effets de l’ETCAF sur une personne, une aide et un soutien efficaces peuvent être offerts. Une personne peut arriver à éviter d’autres démêlés avec la justice, ou du moins les réduire, si des mesures pertinentes peuvent être prises.
L'un de nos clients a dit ceci pour ce qui est d’éviter le système de justice: « Je sais que j’ai fait beaucoup de mauvais choix et j’ai besoin que vous m’aidiez à ne pas en faire tant. » Le diagnostic aide aussi les personnes atteintes à connaître leurs forces et leurs faiblesses afin de pouvoir éviter les problèmes. Je suis au courant du cas d’un jeune homme qui, ayant des antécédents en matière d’attouchements sexuels sur des enfants, sait maintenant qu’il ne peut se trouver en présence d’enfants parce qu’il a du mal à contrôler ses pulsions; il se tient donc loin des endroits où des enfants peuvent se trouver.
En tant que société, nous devons surmonter notre sentiment de perte et notre chagrin à l’égard de ce qu’aurait pu être la personne touchée et accepter cette personne pour ce qu’elle est. Comme l’a souvent dit le Dr Sterling Clarren, « les personnes souffrant de l’ETCAF font ce qu’elles sont conçues pour faire ». La collaboration entre les services axés sur l’ETCAF et les fournisseurs de services liés à l’ETCAF représente la seule façon de progresser pour les personnes qui souffrent de ce handicap. Les interventions doivent être fondées sur des observations neutres et objectives.
Les personnes atteintes de l’ETCAF ont besoin de la compréhension, des soins et du soutien de tous les niveaux de services. Le cas d’un dossier judiciaire dont j’ai été au courant illustre comment la reconnaissance de l’ETCAF peut favoriser la collaboration entre les services. Le juge s’adressait à un client que la cour savait atteint de l’ETCAF; il lui énumérait les exigences d’une ordonnance de probation selon le niveau de langage et le débit appropriés. Le client écoutait attentivement, en approuvant les propos du juge par des signes de la tête. Le juge lui a ensuite demandé s’il avait compris. Le client, qui connaissait certaines de ses limites, lui a répondu: « Oui, juge, je comprends, mais je ne le retiendrai pas! » Le juge s’est empressé de répondre que c’était précisément la raison pour laquelle le travailleur de la FASSY récapitulerait avec lui l’ordonnance de probation tous les jours.
Cette histoire est instructive en ce sens que le juge a reconnu et compris le handicap du délinquant, que le délinquant a reconnu une partie de son handicap qui l’empêcherait de suivre les directives du juge et que les deux ont convenu qu’une aide serait requise à l’extérieur du tribunal.
On apprend que, avec de l’aide, les personnes atteintes de l’ETCAF peuvent mener une existence rangée dans le respect des lois et être des membres à part entière de leur famille, de leur communauté et de la société. En apportant cette importante modification au Code criminel au moyen du projet de loi C-583, les Canadiens aideront les personnes les plus vulnérables en les empêchant de causer d’autres torts, à eux-mêmes comme aux autres, et le système de justice pourra s’attaquer aux causes profondes de ces comportements fautifs qui ont un effet sur les victimes, les familles, les communautés et la société.
Je vous remercie de m'avoir accordé de votre temps.
Merci beaucoup.
Chers collègues, vous êtes libres de partir.
Pour nos témoins d'aujourd'hui qui n'ont pas eu la chance de témoigner, le greffier va vous contacter pour convenir d'un jour et d'une heure. Nous allons poursuivre notre étude. La semaine prochaine sera une semaine de relâche, mais à notre retour, nous tiendrons un certain nombre de séances sur le sujet. Nous vous contacterons afin de fixer une autre date où vous pourrez faire votre déclaration.
Pour ceux et celles qui ont déjà comparu aujourd'hui, le greffier vous contactera également pour voir si vous désirez être ici, par vidéoconférence ou autrement, pour répondre aux questions que nous n'avons pas eu la chance de poser aujourd'hui, ce que nous aimons faire normalement.
Au nom des membres du comité, je vous prie de nous excuser de l'interruption aujourd'hui, mais les votes ont préséance. Nous en sommes désolés. Merci beaucoup de vos exposés. Ils étaient tous excellents. Nous avons hâte d'entendre les autres déclarations, dans une semaine ou deux.
Sur ce, la séance est levée.
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