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CHAPITRE QUATRE : LA PRODUCTION ET LA DISTRIBUTION
Des partenaires inséparables
Dans l'introduction du présent rapport, on présente l'activité
culturelle comme un continuum - un processus dans lequel sont liées
la création, la formation, la production et la distribution, la
préservation et la consommation. Tous ces éléments
sont inséparables les uns des autres, mais la production et la distribution
le sont encore davantage. C'est pourquoi le Comité a choisi d'aborder
ces deux activités en même temps.
Bien des témoins qui se sont présentés devant le
Comité ont fait l'éloge de la politique du gouvernement fédéral
et de son appui aux programmes culturels. Quelques-uns d'entre eux ont
toutefois aussi fait état des changements fondamentaux qui s'opèrent
dans le contexte des activités culturelles. Le présent chapitre
traite de ces préoccupations, recense les défis qui attendent
le gouvernement fédéral en ce qui a trait à ses orientations
de politique et à ses programmes actuels et il renferme aussi un
certain nombre de recommandations.
Tout au long de ses audiences et de l'examen des nombreux mémoires
reçus, le Comité s'est fait donner maints exemples de Canadiens
dont l'apport à l'expression et à l'identité culturelles
canadiennes a été extrêmement déterminant. Ces
hommes et ces femmes peuvent servir de guides au gouvernement fédéral
dans l'orientation de son intervention en matière de culture. Leur
vision créative est de nature à faciliter la définition
de la mission du gouvernement fédéral dans le domaine de
la culture.
Sean Fordyce, président de Voyageur Publishing, a insisté
avec vigueur sur l'importance du lien entre la production et la distribution
:
La principale raison pour laquelle je suis ici c'est pour dire que nous
avons besoin d'aider la mise en marché, la distribution et la demande
de livres canadiens par opposition à simplement les produire et
les entreposer1.
En revanche, l'ancien ministre du Patrimoine canadien, Michel Dupuy,
considère pour sa part la production comme l'enjeu principal, faisant
valoir à cet égard que si l'on cherche à augmenter
le nombre d'heures réservées à la projection de films
canadiens dans les cinémas du Canada « ce n'est pas auprès
des distributeurs qu'il faut agir, mais plutôt du côté
des producteurs »2.
Le Comité est persuadé qu'un lien essentiel unit la production
et la distribution, en dépit de l'évolution du contexte général.
En d'autres termes, le lien entre la production et la distribution est
le même aujourd'hui - à l'ère des techniques de production
numérique et du commerce électronique - que ce qu'il était
à l'époque où les livres étaient produits manuellement.
Le Cirque du Soleil
Les liens entre le gouvernement fédéral et le Cirque
du Soleil illustrent bien les thèmes du présent rapport :
la formation, en vue de laquelle le gouvernement fédéral
a appuyé la création de l'École nationale du cirque
en 1986; l'importance des tournées internationales; la création
d'emplois; l'acquisition d'une renommée de portée nationale
et internationale pour le Canada en matière d'innovation.
L'histoire commence en 1984, avec un groupe d'amuseurs publics de
Montréal, dont les spectacles, qui combinent musique, danse, théâtre,
mime, pitreries et gymnastique, font le plaisir des passants. En fait,
ce groupe d'artistes renouvelait une formule qui remonte au XVIe siècle,
celle du théâtre populaire de la Comedia dell'arte. À
l'ordre du jour : spontanéité, improvisation, risque, énergie
sans borne et rire. Sous la direction de Guy Laliberté et de Daniel
Gauthier, la troupe a obtenu un succès foudroyant partout dans le
monde. Solidement branché à la vie culturelle du Québec,
installé dans l'est de Montréal, le Cirque du Soleil a ouvert
grand ses bras au monde entier pour lui faire connaître sa magie.
Depuis une première tournée dans la province de Québec
en 1984 pour marquer le 450e anniversaire de l'arrivée de Jacques
Cartier sur les rives laurentiennes, le Cirque du Soleil a visité
120 villes de la planète, vendu 17 millions de billets, fourni de
l'emploi à 1 300 personnes (dont 500 sont à Montréal)
et engendré des recettes de 175 millions de dollars en 1997.
Le Cirque du Soleil donne toute la place aux sensations. Ses spectacles
sont éphémères, comme des arcs-en-ciel après
une ondée d'été, et pourtant ils continuent de résonner
dans la mémoire longtemps après le départ du chapiteau.
Les enfants de tous âges sont amusés et enchantés.
Le Cirque du Soleil est une véritable fête de l'imagination
humaine sous ses multiples formes. Comme on dit au Québec : «
Faut l'faire ».
Dans l'article qu'il signe dans le numéro de juillet 1998
du magazine Maclean's, Brian D. Johnson cite l'un des directeurs fondateurs
du Cirque du Soleil : « Depuis 14 ans, nous n'avons rien fait. Ce
sont les 10 prochaines années qui seront le véritable test.
» M. Johnson termine ensuite son article par un commentaire personnel
qui saisit le visionnaire en plein vol : « Sous le chapiteau sans
cesse plus grand du Cirque, l'ancien cracheur de feu semble avoir trouvé
sa place au soleil, mais c'est aussi encore le petit garçon de Saint-Bruno,
qui s'est enfui pour rejoindre un cirque qui reste encore à inventer
».
Les Canadiens ont toujours dû trouver des débouchés
pour leurs produits culturels et artistiques. Ces dernières années,
le marché s'est de plus en plus internationalisés. En 1990,
les maisons d'édition canadiennes de langue française ont
engendré 7,3 millions de dollars en recettes d'exportation et en
ventes à l'étranger. Trois ans plus tard, les gains avaient
quadruplé pour atteindre près de 30 millions de dollars.
En 1993-1994, les recettes d'exportation et les ventes à l'étranger
enregistrées par les maisons d'édition canadiennes de langue
anglaise se sont accrues de 65 p. 100 pour un total de 321 millions de
dollars3.
De même, en 1996-1997, 45 p. 100 de l'ensemble des recettes de tournées
enregistrées par les compagnies canadiennes d'arts d'interprétation
sans but lucratif provenaient des tournées internationales - une
augmentation de 10 p. 100 en seulement deux ans4.
Aussi importants qu'ils puissent être, ces chiffres de ventes
ne sont pas les seuls indices de réussite. Lorsque des artistes
sont honorés par leurs pairs chez eux et à l'étranger,
leurs oeuvres gagnent en prestige. De nos jours, des récompenses
et des prix canadiens, notamment le prix du Gouverneur général,
le prix Giller et un certain nombre de distinctions prestigieuses offertes
aux artistes par les provinces et les grandes villes, trônent fièrement
auprès des East Coast Music Awards et des prix Génie, Juno
et Gémeaux.
Les oeuvres de création canadiennes sont aussi reconnues à
l'échelle internationale. Ces dernières années, des
artistes créateurs canadiens ont fait l'objet d'une mise en candidature
ou ont reçu un Oscar, la Palme d'Or, le Booker Prize, le prix Goncourt,
le prix du Commonwealth, le prix Orange, l'International IMPACT Dublin
Literary Award et le prix Pulitzer.
Les styles et les modes artistiques passent avec le temps, mais les
créateurs de spectacles ou d'art visuel, littéraire ou médiatique
sont désireux de se trouver un public. Lorsque T. S. Eliot a écrit
: « Aucun poète, aucun artiste quelle que soit sa discipline,
ne peut, seul, trouver tout son sens »5,
il faisait allusion à la façon dont le public devient partie
prenante de la signification culturelle d'une oeuvre.
Voir au-delà de la production
La production se taille à l'heure actuelle la part du lion de
l'aide fédérale consacré aux arts, notamment parce
que les coûts de production sont élevés. Un long métrage
peut coûter des millions de dollars à produire et à
commercialiser. La production individuelle de disques et de livres est
sans doute moins coûteuse, mais elle doit compter sur quelques titres
« à succès » pour financer les titres moins bien
reçus.
Dans l'industrie canadienne de l'enregistrement, on s'entend généralement
pour dire que sur dix nouveaux disques, trois seulement en moyenne engendrent
suffisamment de profits pour couvrir les frais d'enregistrement et de promotion6.
Puisque le lancement d'un disque coûte habituellement au moins 100
000 $, une maison de disques doit avoir plusieurs millions de dollars de
projets en chantier pour être viable économiquement. Un rapport
publié par Ekos Research Associates en 1995 renferme un certain
nombre de renseignements intéressants. On y mentionne ceci à
propos des coûts :
Le budget nécessaire pour produire un disque original varie beaucoup
selon le genre de musique. Un simple enregistrement peut nécessiter
un budget de 10 000 $, si l'artiste en assure lui-même le financement
(c'est-à-dire s'il agit en tant que maison de disques). Mais un
disque compact capable de soutenir la concurrence internationale coûtera
bien davantage. Les frais de production peuvent être de l'ordre de
200 000 $, l'artiste recevra peut-être une avance de 20 000 $ et
les frais de commercialisation (p. ex. une vidéo et une tournée)
s'élèveront en moyenne à 200 000 $7.
Il en va de même dans l'industrie de l'édition, bien qu'il
en coûte moins en moyenne pour publier un livre que pour lancer un
disque. Hervé Foulon, des Éditions Hurtubise HMH Ltée
a fait la remarque suivante :
Vous pouvez publier un roman [. . .] [pour] 10 000 $; vous ne pouvez
pas faire un livre pédagogique [. . .] [pour] 10 000 $. Vous parlez,
à ce moment-là, d'un investissement de 300 000 $ à
400 000 $. Donc, le problème est totalement différent. C'est
pour ça qu'il faut faire attention quand on dit que l'industrie
va mieux.8
Dans les marchés plus importants, les entreprises peuvent produire
un disque, un livre ou des copies d'un film à prix unitaire moindre
que les producteurs sur un plus petit marché. De plus, les producteurs
sur les grands marchés réalisent des économies d'échelle.
Les frais de promotion d'un film mettant en vedette Gérard Depardieu
ou Al Pacino sont pour la plupart payés en France ou aux États-Unis.
Les résultats de cette promotion débordent tellement les
frontières, qu'il en coûte très peu cher pour faire
la mise en marché du film au Canada. En revanche, les producteurs
de films canadiens ne profitent pas de telles économies d'échelle.
Les gouvernements canadiens ont toujours joué un rôle important
pour atténuer certains des désavantages concurrentiels évoqués
ci-dessus. En fait, la plupart des programmes de soutien culturel du gouvernement
fédéral ont d'abord été conçus pour
offrir aux producteurs culturels canadiens une compensation pour ces désavantages
concurrentiels. On peut citer à titre d'exemples la protection offerte
aux éditeurs canadiens de magazines, les subventions à l'égard
de la distribution et l'appui accordé aux industries de l'enregistrement
et de l'édition.
L'essor et le rayonnement des sociétes canadiennes de l'édition
et de l'enregistrement au cours des vingt dernières années
témoignent des avantages de la participation gouvernementale. Malgré
une vive concurrence internationale, le Canada compte maintenant un nombre
respectable de maisons d'enregistrement et d'édition aux reins solides.
Il en aurait été autrement si ces entreprises n'avaient pas
reçu l'appui du gouvernement fédéral. Il est important
de noter toutefois que l'essentiel de cette aide vise à encourager
la production d'9uvres, d'ouvrages ou d'enregistrements d'auteurs canadiens.
L'histoire du Festival de Stratford montre jusqu'à quel point
un appui modeste peut être utile. La naissance de cette manifestation
culturelle, son développement et son évolution constante
sont un exemple éloquent de l'esprit novateur qui anime les organismes
oeuvrant dans le domaine des arts d'interprétation au Canada.
La vision de Tom Patterson : Le Festival de Stratford
Le glas avait sonné pour Stratford, en Ontario. « C'était
encore, dans les années 30, une ville du CN », se remémore
Tom Patterson, originaire de Stratford, en 1987, « et nous savions
tous que le diesel s'en venait. Nous savions tous que ce n'était
qu'une question de temps avant que les ateliers de réparation des
énormes locomotives à vapeur, dans lesquels avaient travaillé
mon père, mon grand-père et mon arrière-grand-père
et dont dépendait la ville entière, ferment leurs portes
»9.
La décision de fermer les ateliers de réparation et
les bureaux divisionnaires du CN fut prise 20 ans plus tard, auquel moment
2 000 emplois disparurent. À l'époque (au début des
années 50), Stratford comptait quelque 18 000 habitants, et la perte
d'un si grand nombre d'emplois a touché presque toutes les familles10.
Plutôt que d'attendre passivement la mort économique de
leur ville, Patterson et un petit groupe de citoyens ont commencé
à chercher des solutions de rechange. Ils songèrent d'abord
à transformer l'aréna de la ville en une école de
hockey d'été, dont les instructeurs auraient été
des joueurs de la Ligue nationale de hockey. « Une autre idée,
la mienne », écrit Patterson, « fut la création
d'un festival shakespearien. Après tout, leur ai-je expliqué,
nous avions une ville appelée Stratford sur la rivière Avon
».
Poursuivant son récit dans son ouvrage intitulé First
Stage: The Making of the Stratford Festival, Patterson se décrit
comme un jeune journaliste d'un petit village, tout juste revenu de la
guerre, plein d'idées mais sans expérience, poussé
par l'état catastrophique de l'économie locale à faire
preuve de créativité et d'esprit d'entrepreneuriat. «
L'image qui me venait à l'esprit n'était pas d'un édifice,
ni même celle d'une scène puisque je ne connaissais absolument
rien au théâtre ou à son fonctionnement, mais plutôt
celle de foules de personnes venant de partout, et c'est cette image qui
a fait son chemin dans mon esprit ».
Le Festival fut officiellement lancé avec un chèque
de 125 $ du conseil municipal de Stratford. L'argent devait servir à
Tom Patterson pour se rendre à New York afin de s'entretenir avec
des gens de théâtre. Le Festival connut sa première
saison l'année suivante, en 1953.
En 1953, la première saison s'est étendue sur six semaines,
attirant quelque 68 000 spectateurs. La saison dernière, le Festival
a duré six mois et attiré au total 523 015 spectateurs11.
Dans l'ensemble, le Festival injecte plus de 120 millions de dollars
chaque année dans l'économie locale.
Le Festival de Stratford est maintenant la plus importante institution
d'arts d'interprétation au Canada. Le budget total de la dernière
saison s'est élevé à 29 107 275 $ dont 79 p. 100 environ,
c'est-à-dire 23 591 730 $, est venu de la vente de billets, soit
les plus importantes recettes tirées de la vente de billets de l'histoire
du festival. Le financement public provenant tant du gouvernement fédéral
que provincial représentait seulement 5 p. 100 du budget total,
soit 1 612 275 $. Les collectes de fonds constituaient quant à elles
16 p. 100 du budget, soit environ 4 888 000 $12.
Le Comité est conscient de la richesse des réalisations
artistiques du Festival. N'eut été des efforts et de la vision
d'un entrepreneur à l'esprit communautaire mais sans formation particulière
dans le domaine des arts, le festival n'aurait jamais vu le jour. Comme
Tom Patterson le rappelle à ses lecteurs, « bien entendu,
la plupart des théâtres sont fondés par des acteurs
ou par des metteurs en scène, en d'autres mots par des gens de théâtre
qui s'intéressent uniquement à ce qui se passe sur scène.
Mais parce que je ne savais pas ce que comportait la production d'une pièce,
mon esprit d'adolescent a pu se concentrer sur la façon d'attirer
les gens, pour les inciter à vouloir voir ce qui pourrait bien se
passer sur scène ».
L'approche de Patterson était très directe. Son plan d'affaires
visait à attirer le public; la tâche de l'équipe artistique
consistait à produire du théâtre que le public voudrait
voir. Dans ce cas, commercialisation et production allaient de pair. L'expérience
de Stratford prouve qu'une vision et un travail acharné conjugés
à une aide modeste permettent d'allier commercialisation et production
de qualité. Dans le cas de Stratford, cela a donné un succès
d'envergure mondiale.
Propriété et citoyenneté
Les réalisations à l'origine de la création du
Festival de Statford et d'autres réussites culturelles canadiennes
ont été rendues possibles grâce à diverses formes
d'aide du gouvernement du Canada. Un certain nombre de programmes gouvernementaux
sont assujettis à des critères de propriété
et de citoyenneté. Des témoins ont formulé des observations
à ce sujet devant le Comité. L'utilisation de la propriété
comme critère est importante pour les raisons qui suivent. D'abord,
la plupart des ouvrages ou des disques d'auteurs canadiens sont produits
par des entreprises canadiennes. Ensuite, cela évite au gouvernement
d'intervenir dans le choix des auteurs ou des musiciens dont le travail
mérite d'être soutenu.
L'éditeur canadien Jack Stoddart a fait prendre conscience au
Comité de tout le chemin parcouru par l'industrie au cours des 25
dernières années, en particulier compte tenu de la vive concurrence
de l'étranger, lorsqu'il a formulé l'observation suivante
:
Même si les ventes dans le secteur de langue anglaise sont dominées
par des livres qui proviennent de l'étranger, environ 30 p. 100
de tous les livres vendus chez nous sont des livres d'auteurs canadiens.
Au départ, c'est une position très importante parce que je
ne crois pas qu'il y ait d'autres industries culturelles où c'est
le talent créatif canadien qui contrôle 30 p. 100 du marché.
Je pense qu'il y a lieu de s'en féliciter, de s'en réjouir,
et d'être rassuré par le fait qu'il s'est fait beaucoup de
choses dans ce domaine au cours des 25 dernières années13.
Pour Stoddart, cette croissance n'aurait pas été possible
sans l'aide financière du gouvernement fédéral.
S'il y a du bon à privilégier le critère de la
propriété, il y a aussi un risque de mettre l'accent sur
les mauvais enjeux. D'abord, cela peut créer de la confusion par
rapport à l'objectif des programmes de soutien. Ensuite, le fait
de se concentrer sur l'industrie peut détourner l'attention des
préoccupations culturelles pour la faire porter plutôt sur
les difficultés liées à l'exploitation d'une entreprise.
Cette confusion risque d'introduire des ambiguïtés dans les
orientations de politique et de créer de l'incertitude quant à
la nature de la participation gouvernementale.
Voici ce qu'en pense un témoin :
Il me semble que le modèle que nous appliquons depuis une vingtaine
d'années pour déterminer l'appui à offrir à
nos industries culturelles, modèle essentiellement fondé
sur l'aide aux entreprises canadiennes, en fonction de la citoyenneté
des principaux actionnaires et de l'emplacement réel de leurs activités,
est peut-être juste dans le secteur industriel, mais réussit
beaucoup moins bien sur le plan culturel. Si nous attribuons notre aide
en fonction de ce que dit le produit plutôt qu'en fonction de celui
qui le crée, nous obtiendrons peut-être des résultats
plus prévisibles et plus satisfaisants14.
Les règles touchant la propriété, les systèmes
de points et le contenu sont des éléments importants de la
politique culturelle canadienne. Malheureusement, l'intransigeance des
mesures actuelles de soutien a pour effet de priver certains créateurs,
artistes et producteurs canadiens d'une place dans le foyer culturel canadien.
Par exemple, Céline Dion et Shania Twain ne sont pas considérées
comme des artistes « canadiennes » en vertu des règles
actuelles sur le contenu canadien. Le CRTC définit en effet le contenu
canadien selon un système de points qui tient compte de la nationalité
du personnel créateur participant à la production, le maximum
de points s'élevant à 10. Une série télévisée
intitulée Top Cops, qui met en scène des policiers
américains et dont le diffuseur est le réseau américain
CBS, reçoit le maximum de 10 points en vertu du système d'agrément
du CRTC parce que les émissions ont été réalisées
au Canada par des titulaires de passeports canadiens. Par ailleurs, un
diffuseur canadien qui présentait Never Cry Wolf, un film
de Disney inspiré du roman de Farley Mowat sur un biologiste qui
étudie les habitudes du loup commun dans le Grand Nord canadien,
n'a pas reçu un seul point pour le contenu canadien15.
Keith Ross Leckie, de Tapestry Films, a lui aussi signalé l'ambiguïté
de l'actuel système de points :
Cela revient encore une fois au système des points et au contenu
canadien. Le fonds de câblodistribution et Téléfilm
ont dit que le contenu canadien représentant 8 points sur 10, ce
qui à mon avis est une bonne chose. En fait, le fonds de câblodistribution
a pris une nouvelle initiative en exigeant que les scénarios soient
rédigés par des scénaristes canadiens, et c'est une
excellente idée. Toutefois, le CRTC applique encore à l'égard
du contenu canadien la politique des 6 points sur 10. À cause de
cette politique, la plupart des scénarios sont rédigés
par des producteurs américains et souvent, mais pas toujours, par
des metteurs en scène des États-Unis. Dans les faits, la
règle du 6 sur 10 du CRTC subventionne la production américaine16.
Marie-Josée Corbeil, de Cinar Films à Montréal,
a insisté sur l'importance de règles gouvernementales souples
:
Je ne voudrais pas que les règles soient plus rigides. Au contraire,
je pense qu'on doit avoir un peu plus de flexibilité17.
Ces exemples donnent à penser que le lien entre la propriété,
la citoyenneté et les objectifs culturels du Canada doit faire l'objet
de discussions plus approfondies. Le Comité estime qu'il convient
d'envisager un mécanisme additionnel en matière d'orientations
de politique.
Une approche d'appoint à l'égard de la propriété
L'attribution de points en fonction de la citoyenneté des principaux
intervenants ou de l'emplacement réel de l'activité s'est
révélée une méthode efficace pour atteindre
les objectifs de la politique culturelle, comme en font foi les exemples
susmentionnés. Si l'on faisait en sorte que les règles actuelles
en matière de propriété et de citoyenneté tiennent
davantage compte du contenu du produit, il serait possible, selon le Comité,
de parvenir aux résultats souhaités. Avec une telle approche,
Céline Dion et Shania Twain seraient considérées comme
des artistes « canadiennes », et un film sur le Nord canadien
inspiré d'un roman écrit par un auteur canadien serait un
film à contenu canadien.
Le Comité reconnaît la valeur des systèmes de points
et des règles en matière de propriété et de
citoyenneté. Un système complémentaire axé
sur le contenu culturel ne serait pas très différent des
méthodes qu'on utilise au Canada depuis de nombreuses années.
Si des organismes du gouvernement canadien peuvent recourir efficacement
à l'évaluation par des pairs dans le cas des artistes créateurs
et des chercheurs scientifiques, pourquoi une approche semblable ne serait-elle
tout aussi efficace dans le cas du contenu des 9uvres? Par conséquent
:
Recommandation 14
Le Comité recommande que, outre les exigences actuelles en
matière de propriété et de citoyenneté, le
ministère du Patrimoine canadien élabore des orientations
de politique et des programmes d'appoint qui privilégient et rehaussent
le contenu canadien des 9uvres culturelles.
Défis stratégiques
Les réalisations accomplies en ce qui a trait notamment à
la création du Festival de Stratford et aux industries du livre
et du magazine au Canada ont été rendues possibles grâce
à diverses formes d'aide du gouvernement. Les efforts à venir
se déploieront dans un contexte de plus en plus influencé
par la mondialisation, l'évolution technologique et la société
du savoir. De nouveaux défis surgiront, et bon nombre d'entre eux
seront différents de ceux que les Canadiens ont eu à relever
par le passé.
Les propos de Jack Stoddart à l'effet que 30 p. 100 des livres
vendus au Canada sont des ouvrages d'auteurs canadiens illustrent l'un
des résultats positifs de l'aide consentie aux maisons d'édition
canadiennes. Sans nier ces réussites, d'autres témoins affirment
que même si l'appui à la production doit se poursuivre, il
faut maintenant se concentrer davantage sur les autres défis que
doivent relever les industries culturelles du Canada :
Ce n'est pas un problème de production que le Canada a depuis
20 ans. C'est un problème de distribution. C'est ça notre
principal problème. Ce n'est pas la production. Toutes proportions
gardées, les Canadiens produisent énormément. Notre
problème c'est la distribution. Notre problème de cinéma,
ce n'est pas que nous ne faisons pas de films, c'est que nous n'arrivons
pas à trouver de salle pour les diffuser18.
La politique fédérale d'appui au développement
culturel au Canada a toujours accordé une place de choix à
la production. Mais le fait de privilégier la production n'est pas
suffisant en soi. Jefferson Lewis, scénariste, a expliqué
au Comité à quel point il importe que les industries culturelles
canadiennes fassent la promotion de leurs produits de façon à
trouver de nouveaux publics. Dans le secteur du cinéma, les coproductions
et les partenariats internationaux contribuent à l'essor de l'industrie
tout en attirant de nouveaux publics :
Oubliez les États-Unis. Nous pourrons peut-être un jour
travailler sur un pied d'égalité avec les grands studios,
mais nos partenaires naturels sont les Français, les Brésiliens,
les Irlandais et les Anglais. Tous ces pays sont à peu près
de notre taille et veulent faire à peu près le même
type de films que nous. Et ils adorent travailler avec nous. [. . .] Nous
trouvons merveilleux tout ce qui peut être fait pour favoriser les
coproductions, parce qu'elles mènent à des productions vraiment
internationales, ce qui nous donne le crédit supplémentaire
dont nous avons besoin19.
Le Comité constate que le Conseil des arts du Canada a reconnu
l'importance de la diffusion lors d'un récent examen stratégique
de ses programmes. Comme Joanne Morrow, du Conseil des arts, l'a expliqué
au Comité :
Après avoir examiné nos secteurs prioritaires, le Conseil
et le personnel ont convenu que le maillon sous-développé
de cette chaîne était la diffusion. Nous utilisons le terme
« diffusion » dans son sens large et y incluons toutes les
activités créatrices de liens entre les oeuvres des artistes
et leur public : tournée des arts d'interprétation, exposition
d'arts visuels et médiatiques, promotion de livres et de périodiques,
tournées d'auteurs et traduction de livres canadiens d'une langue
officielle à l'autre.
Ainsi, nous avons fait de la diffusion la grande priorité et
avons redistribué les fonds à l'interne à ces fins,
avant même d'en avoir reçu de nouveaux. Les nouveaux fonds
permettront au Conseil de renforcer cette activité pour qu'encore
plus de Canadiens et de Canadiennes aient la possibilité de voir
les oeuvres qu'ils financent par le biais des impôts20.
Le Comité reconnaît que la production culturelle nécessite
une planification stratégique pour obtenir les résultats
voulus et que, indépendamment de la qualité de l'9uvre, une
commercialisation et une promotion bien menées sont essentielles.
Il y a toutefois aussi une importante distinction à faire entre
les organismes à but lucratif et ceux qui ne le sont pas. La rubrique
suivante aborde quelques-unes des différences entre ces deux secteurs.
Le secteur des organismes sans but lucratif
Dans le domaine des arts d'interprétation au Canada, comme dans
bien d'autres pays, les sociétés sans but lucratif et les
entreprises commerciales fonctionnent côte à côte. De
façon générale, le cadre de fonctionnement des industries
culturelles est à but lucratif, tandis que la plupart des organismes
du domaine des arts d'interprétation et du patrimoine sont le plus
souvent sans but lucratif. Les créateurs d'art visuel, comme nombre
d'autres artistes au Canada, travaillent dans les deux contextes. On peut
voir leurs oeuvres, ou leurs spectacles, dans un cadre commercial aussi
bien que dans un contexte sans but lucratif. Cette caractéristique
en fait une main-d'oeuvre extrêmement souple, mobile et entreprenante,
dont l'adaptabilité et la mobilitié peuvent très bien
servir de modèle aux autres secteurs de la population active canadienne.
En revanche, il ne faut pas confondre le statut d'organisme « sans
but lucratif » avec celui d'organisme « non viable ».
La désignation « sans but lucratif » indique que l'organisme
est doté d'un conseil d'administration communautaire, a habituellement
le statut d'organisme de bienfaisance et est admissible au financement
public.
Au cours des dix dernières années, l'une des réalisations
les plus remarquables des organismes artistiques canadiens sans but lucratif
a été la façon dont ils sont parvenus à réduire
leur déficit. En 1993, par exemple, il y avait environ 470 compagnies
de théâtre, de danse, d'opéra et de musique sans but
lucratif au Canada. Ensemble, elles ont terminé l'année avec
un déficit global d'environ 5,5 millions de dollars. Fait intéressant,
dès 1996-1997, le nombre de compagnies avait grimpé à
602, mais leur déficit global avait diminué pour se situer
autour de 655 000 $ - un peu plus d'un dixième du total enregistré
en 199321.
Il importe de préciser que le secteur des organismes sans but
lucratif est plus important qu'on pourrait le croire; par exemple, comme
on le voit au chapitre six, plus de 13 millions de personnes ont assisté
à des spectacles de théâtre, de musique, de danse et
d'opéra en 1996-1997. Les membres du Comité ont noté
que la réduction des déficits peut imposer des contraintes
aux compagnies d'arts d'interprétation. Ainsi, elles peuvent devoir
écourter les heures de répétition et réduire
la taille de leurs productions en faisant appel à moins de comédiens
et à plus de bénévoles. Ces contraintes pourraient
avoir pour effet de faire baisser le taux de fréquentation des spectacles
d'arts d'interprétation.
Le secteur des organismes à but lucratif
Toute décision de lancer une entreprise commerciale se fonde
sur l'hypothèse voulant qu'après une période initiale
plus ou moins longue, l'entreprise deviendra une entité commerciale
viable et rentable. Le Canada a un ensemble bien structuré de règles
et de procédures juridiques et financières qui s'applique
aux entreprises à but lucratif. Elles comprennent notamment des
principes comptables et des règles régissant les rapports
hiérarchiques et les obligations envers les investisseurs. Le Comité
croit que les entreprises à but lucratif doivent se conformer à
ces règles, à ces procédures et à ces vues
communes pour avoir droit à l'aide fédérale et que
le soutien fédéral offert à ces organismes doit être
structuré différemment et être assujetti à des
exigences et à des attentes différentes en matière
de rendement que celles imposées aux organismes sans but lucratif.
Le Comité constate que près du tiers des maisons d'édition
de langue anglaise et le quart des maisons d'édition de langue française
qui touchent une aide fédérale n'atteignent pas le seuil
de rentabilité, c'est-à-dire que, même avec un soutien
fédéral, elles perdent de l'argent22.
Le Comité y voit, non pas une situation propre à la scène
culturelle canadienne, mais bien la preuve que l'existence même de
certaines entreprises culturelles à but lucratif n'est possible
que grâce au gouvernement fédéral23.
Bref, celles-ci ne sont pas viables sans l'aide du gouvernement.
Le Comité constate aussi que cette situation dure depuis longtemps.
Tout d'abord, elle montre qu'une confusion s'est installée entre
le secteur des organismes à but lucratif et celui des organismes
sans but lucratif. Ensuite, il est difficile de savoir si l'aide fédérale
consentie sert à stimuler la production et la distribution de produits
canadiens ou à compenser les lacunes de fonctionnement d'une entreprise
donnée. Par exemple, si l'objectif de l'aide est d'augmenter les
ventes de livres d'auteurs canadiens, elle doit alors être employée
à cette fin. L'aide fédérale doit être ciblée
vers des initiatives et des projets précis et compatibles avec les
objectifs de la politique gouvernementale - et il devrait être possible
aux compagnies qui bénéficient de cette aide de démontrer
que celle-ci est utilisée aux fins prévues.
Recommandation 15
Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine
canadien revoie ses mesures de soutien financier pour préciser la
distinction existant entre les entreprises culturelles à but lucratif
et les organismes sans but lucratif.
Recommandation 16
Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine
canadien, en consultation avec les organismes culturels concernés,
crée des mécanismes pour assurer un financement pluriannuel
à long terme et durable aux organismes culturels sans but lucratif.
Recommandation 17
Le Comité recommande que le soutien accordé à
l'étape du lancement d'une entreprise (démarrage) soit assujetti
à des objectifs de rendement précis et que l'attribution
d'une aide fédérale à cette étape soit visée
par une disposition de temporarisation.
Recommandation 18
Le Comité recommande que, dans le cas des entreprises commerciales
à but lucratif qui sont viables, l'aide fédérale soit
ciblée vers des initiatives ou des projets précis.
Équilibrer les orientations de la politique gouvernementale
Le Comité a entendu à maintes reprises des témoins
lui dire que la mise en marché assurait un lien vital entre la production
et la distribution. Les 9uvres artistiques et culturelles canadiennes doivent
être mises en marché de façon efficace, si l'on veut
qu'elles continuent à bien soutenir la concurrence des 9uvres culturelles
des différentes régions du monde sur la scène nationale
et internationale.
À cet égard, Hervé Foulon, des Éditions
Hurtubise HMH Ltée, a fait état de la nécessité
pour les éditeurs canadiens d'exercer un contrôle sur la production
et la distribution de leurs produits :
On est parti, non pas de zéro mais de pas grand-chose pour arriver,
avec l'aide des gouvernements, à créer une industrie du livre
avec tous les composants au Canada, c'est-à-dire avec tout ce que
cela représente au niveau de l'industrie, du monde que ça
fait travailler et également de la défense culturelle de
notre identité. [...] D'un point de vue économique, il y
a tout un problème. Si demain, on se retrouve avec une liberté
totale, sans que l'on puisse aider pour pouvoir obtenir ce que l'on veut,
je ne vois pas quelle entreprise - et je vais parler de la distribution
même avant l'édition - pourra faire face à ce qu'on
appelle les majors américains ou les multinationales européennes24.
Martin Bragg a fait part au Comité de son expérience avec
la Canadian Stage Company et des changements dans les sources de financement
:
Je pense que le gouvernement a un rôle à jouer dans le
financement des arts, et cela devrait être la pierre angulaire de
la politique culturelle de notre pays. Toutefois, je ne suis pas disposé,
alors que nous sommes en 1998, à m'enfouir la tête dans le
sable en me faisant croire que nous sommes encore en 1972. En 1972, 80
p. 100 des revenus de mon entreprise venaient des trois paliers de gouvernement.
Aujourd'hui, cela ne représente plus que 18 p. 100 [...]. Il y a
donc quelque chose qui se passe25.
Le Comité craint également que l'aide fédérale
soit insuffisante aux chapitres de la commercialisation et de la distribution,
notamment pour ce qui est de permettre aux organismes artistiques et culturels
de soutenir la concurrence à l'échelle nationale et internationale.
Pour que ces organismes puissent survivre et continuer de croître,
ils devront recevoir de l'aide tant du secteur public que du secteur privé
afin de pouvoir s'adapter aux changements démographiques en cours
dans la société.
Il existe un lien entre créer une 9uvre d'art et la rendre accessible
à un public. Toutefois, cela se concrétise de différentes
façons. Ainsi, la publication et la distribution des exemplaires
d'un livre est un processus matériellement différent de celui
qui consiste à réaliser et à distribuer un film. Le
gouvernement fédéral a toujours tenu compte de ces différences
et distinctions et a su adapter ses programmes pour faciliter la production
et la distribution d'9uvres artistiques et culturelles dans un vaste éventail
d'industries culturelles.
Un certain nombre de témoins ont parlé de la nécessité
de prendre appui sur les réussites actuelles pour commercialiser
les réalisations canadiennes dans le domaine des arts et de la culture.
L'idée derrière cette proposition est simple : un théâtre
doit annoncer ses prochaines pièces s'il ne veut pas risquer de
jouer devant des salles vides ou à moitié vides. Comme l'a
souligné Theodore Levitt : « Si vous ne faites pas de mise
en marché, il se passe quelque chose de terrible : rien »26.
L'explorateur bien connu Ernest Shackleton connaissait le pouvoir de
la publicité, comme en témoigne l'annonce qu'il a placée
dans les journaux de Londres en 1900 :
Hommes recherchés pour un voyage périlleux,
maigres salaires, froid mordant,
longs mois d'obscurité absolue, danger toujours présent.
Aucune garantie de retour.
Honneur et reconnaissance en cas de réussite.
L'on pourrait qualifier de « voyage périlleux » le
fait de lancer une compagnie de théâtre appelée à
préparer et à présenter une pièce. Une façon
de rendre le voyage moins dangereux consiste à former des partenariats.
En un sens, le gouvernement fédéral a toujours travaillé
en partenariat dans le domaine des arts. De l'avis du Comité, les
orientations de politique devraient encourager de telles initiatives et
non y faire obstacle.
D'après les témoignages recueillis auprès des représentants
des secteurs des arts, du patrimoine et des industries culturelles, le
Comité constate qu'il y a un vaste consensus au sujet de la nécessité
d'axer l'aide fédérale vers les principales activités
de production, de distribution, de commercialisation et de promotion de
façon stratégique et cohérente. Les musées
et les organismes oeuvrant dans le domaine des arts d'interprétation
ainsi que les cinéastes et les éditeurs comprennent les liens
entre ces activités et cherchent à en tirer pleinement parti.
Le Comité croit qu'un examen attentif des programmes fédéraux
actuels serait grandement profitable et, il présente les recommandations
suivantes :
Recommandation 19
Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine
canadien commande une analyse indépendante, objective et multisectorielle
afin d'élaborer des stratégies de nature à favoriser
l'établissement de liens essentiels entre la production, la distribution
et la commercialisation.
Recommandation 20
Le Comité recommande que, dans l'année suivant le dépôt
du présent rapport, le ministre du Patrimoine canadien veille à
ce que les objectifs de programme du ministère ayant trait à
l'établissement de liens essentiels entre la production, la distribution
et la commercialisation d'une part, et les objectifs des organismes relevant
de son portefeuille d'autre part, soient complémentaires.
La société du savoir
En 1657, sir Isaac Newton formulait la réflexion suivante dans
une lettre à son collègue Robert Hooke : « Si j'ai
pu voir plus loin, c'est en me tenant sur les épaules de géants
». Sa façon de décrire le savoir qu'il avait acquis
grâce aux autres est encore plus pertinente de nos jours. On utilise
d'innombrables instruments inventés par des centaines sinon des
milliers de personnes. Cette capacité de progresser en s'appuyant
sur les connaissances apprises et utilisées par d'autres est devenue
l'une des caractéristiques de la société moderne.
Cette idée n'est pas nouvelle, pas plus que celle voulant que la
connaissance soit inscrite dans un produit ou une technologie. Ce qui est
nouveau, c'est la rapidité avec laquelle la connaissance peut être
diffusée et exploitée.
Le Comité est conscient qu'il est possible d'acquérir
le savoir d'une autre personne, sans pour autant lui dérober quoi
que ce soit. Des entreprises forment d'ailleurs des alliances stratégiques
pour répondre à leur besoin de savoir comment accomplir quelque
chose ou pour pouvoir participer à l'élaboration d'une gamme
de produits. Lors de son témoignage, Ken Stein, de Shaw Communications,
s'est attardé plus en détails sur cette pratique :
Ils disent que la nouvelle économie sera axée sur la connaissance
et l'information. [. . .] Nous devons faire sauter les verrous afin de
créer des entreprises intégrées au Canada semblables
à celles qui seront nos concurrents à l'avenir [à
l'étranger]27.
Ce besoin de former des alliances stratégiques est aussi important
pour les entreprises culturelles du Canada qu'il ne l'est pour le secteur
de la technologie de pointe. Ces alliances sont souvent profitables à
toutes les parties concernées. Par exemple, le cédérom
interactif L'histoire en marche : Louis Riel et la rébellion
du Nord-Ouest de 1885, fait partie d'une série consacrée
à des épisodes de l'histoire canadienne (produite dans les
deux langues officielles). Cette production est conçue pour donner
aux étudiants divers points de vues et diverses interprétations
de l'événement en question et des personnages qui y ont participé.
À partir de documents d'archives, de techniques documentaires et
d'extraits d'entrevues, ce projet multimédia a été
créé en partenariat avec une entreprise de production indépendante,
Monro Media, de Vancouver, l'Office national du film et Terra Nova, qui
fait partie du Programme des études canadiennes au ministère
du Patrimoine canadien.
Il importe de considérer ce genre d'initiative dans le contexte
de l'essor que connaissent à l'heure actuelle les multinationales
du divertissement qui mettent au point elles aussi des produits et des
services multimédias. Voici ce qu'en dit un récent article
du magazine The Economist :
[S]ept immenses entreprises de divertissement ressortent - Time Warner,
Walt Disney, Bertelsmann, Viacom, News Corp, Seagram et Sony. Elles couvrent
pratiquement tous les aspects du monde du divertissement, sauf la pornographie.
Trois sont américaines, une australienne, une canadienne et une
japonaise. « Ce que nous voyons, affirme Christopher Dixon, directeur
général des recherches et des médias chez PaineWebber,
courtier, est la création d'un oligopole mondial, comme cela s'est
produit plus tôt au cours du siècle dans l'industrie du pétrole
et de l'automobile. La même chose se répète maintenant
dans l'industrie du divertissement28.
Le président de la Société Radio-Canada, Perrin
Beatty, appelle ces énormes organisations des « constellations
»29.
Leur croissance pose un défi aux petits intervenants du marché,
où qu'ils soient. Elles ne se contentent pas d'être à
l'arrière-plan de l'entreprise culturelle au Canada, mais occupent
résolument l'avant-scène, offrant des produits très
prisés au public et aux consommateurs et des rendements aux actionnaires.
Micheline L'Espérance-Labelle, qui représente Quebecor
DIL Multimédia, a souligné l'importance de former des partenariats
et des alliances stratégiques afin de faire en sorte que la production
canadienne repose sur une base économique solide :
Il m'apparaît donc important, dans un contexte semblable, que
le gouvernement encourage le regroupement de ces industries [culturelles]
pour que chacune d'entre elles y trouve son avantage dans l'avenir. Nous
devons trouver des moyens pour protéger la culture et la véhiculer.
Il faut être capable de la vendre30.
Le défi que doit relever l'industrie culturelle canadienne réside
dans la façon de s'y prendre pour former de nouvelles alliances
créatives qui renforceront les constellations canadiennes actuelles
et permettront d'en créer de nouvelles. Une petite maison d'édition,
une librairie indépendante ou une entreprise de production vidéo
ou d'enregistrement est en concurrence non seulement avec les autres entreprises
de sa catégorie mais aussi avec l'« oligopole mondial »
dont il est question ci-dessus. La responsabilité de relever ces
défis incombe à plusieurs ministères fédéraux
et doit être assumée à la grandeur de l'administration
fédérale.
Cependant, la plupart des structures gouvernementales en place à
l'heure actuelle dans les pays développés reposent sur des
institutions dont la création remonte au XIXe ou au début
du XXe siècle. C'est le cas par exemple des ministères voués
à la santé, à l'éducation et à l'agriculture.
Par le passé, les choses évoluaient lentement, les gens n'étaient
pas aussi instruits et les pays étaient dans une large mesure à
l'abri des influences de l'étranger. Les transformations importantes
s'étalaient souvent sur des dizaines d'années.
Un des principaux défis que doivent relever les gouvernements
au cours du prochain millénaire consistera à adapter les
structures du XIXe siècle en fonction des besoins du XXIe siècle.
Un membre du comité, John Godfrey, a décrit ce défi
dans les termes suivants :
Nous sommes en présence d'un gouvernement fédéral
du XIXe siècle formé de ministères qui ne comprenaient
pas grand chose à l'environnement ou aux télécommunications
ou aux autres complexités de la fin du XXe siècle. Dans le
cas du moratoire sur les forages, par exemple, le gouvernement fédéral
devra agir par l'entremise non seulement du ministère des Ressources
naturelles, mais aussi du ministère des Pêches et Océans,
du ministère de l'Environnement et de Parcs Canada. Autrement dit,
nos structures gouvernementales tant au niveau fédéral qu'au
niveau provincial ne sont pas très bien adaptées aux problèmes
de la fin du XXe siècle31.
Le ministère du Patrimoine canadien a besoin de resserrer ses
liens horizontaux avec les autres ministères fédéraux
: les enjeux culturels occupent en effet de plus en plus de place dans
le commerce international. Même s'il est le principal responsable
des questions culturelles, le commerce international relève du ministère
des Affaires étrangères et du Commerce international. Or,
les accords commerciaux internationaux ont de profondes répercussions
sur la culture. Cela exige de la part de ces ministères une collaboration
au moment opportun.
Recommandation 21
Le Comité recommande que le gouvernement fédéral
crée un comité spécial du Cabinet regroupant le ministre
du Patrimoine canadien, le ministre du Commerce international, le ministre
de l'Industrie et le ministre des Finances, afin d'élaborer un cadre
stratégique, qui offrira aux industries culturelles canadiennes
des conditions optimales pour qu'elles puissent poursuivre leurs activités
et prendre de l'essor tant au Canada qu'à l'étranger.
Le gouvernement du Canada peut compter sur de multiples personnes compétentes
pour l'aider dans l'élaboration de sa politique culturelle. Il lui
faut toutefois un mécanisme ou un modèle qui lui permette
de tirer parti de ces talents tout en respectant le mandat des ministères
et l'autonomie des organismes gouvernementaux. Le Comité est convaincu
de la nécessité de trouver des mécanismes pour réviser
les structures actuelles du gouvernement fédéral, dont bon
nombre sont essentiellement désuètes. Même s'il s'intéresse
d'abord à ce problème parce qu'il a une incidence sur les
questions culturelles, le Comité estime qu'il se manifeste à
divers degrés dans d'autres domaines de compétence fédérale.
De l'avis du Comité, le plus grand défi qui se pose au
gouvernement fédéral dans la sphère culturelle est
celui d'adopter une mode de planification et d'élaboration des orientations
de sa politique qui soit à la fois intersectoriel et interministériel.
Recommandation 22
Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine
canadien détermine les modifications qui pourraient être apportées
aux structures du gouvernement pour que le gouvernement canadien puisse
réagir de façon opportune aux changements survenant dans
la sphère culturelle.
Les nouveaux médias32
La création, la production et la distribution de produits multimédias
constituent un nouveau secteur commercial dont la croissance, bien qu'elle
se fasse à un rythme exponentiel, évolue sans arrêt.
Les conséquences pour la production et la distribution d'oeuvres
culturelles commencent à peine à se faire sentir. Les témoignages
entendus et les mémoires reçus par le Comité témoignent
de la vitalité des entreprises canadiennes qui élaborent
des produits liés aux nouveaux médias.
Stentor a présenté au Comité un rapport sur une
récente conférence sur les multimédias, qui donne
un bon aperçu de la situation de cette industrie au Canada :
[Les participants] représentaient des entreprises de toutes tailles
: des travailleurs autonomes jusqu'à des sociétés
qui emploient plus de 150 personnes exclusivement à la production
de médias interactifs numériques. Les types de produits et
services offerts par ces producteurs étaient les suivants : animation,
production de cédéroms (notamment des jeux, outils de référence
et titres éducatifs), services Internet de toutes sortes, présentations
d'affaires et formation assistée par ordinateur. Dans l'ensemble,
tout ce qui constitue un nouveau média au Canada aujourd'hui33.
Dans son ouvrage intitulé The Bagel Effect, Paul Hoffert,
expert canadien en technologies numériques, présente les
nouveaux médias de la façon suivante :
[La plupart des nouveaux médias sont] [. . .] numériques
et interactifs. Ils comprennent les cédéroms et Internet
mais excluent les disques compacts de musique, qui sont numériques
sans être interactifs. À un certain moment, ces médias
cesseront d'être nouveaux et le terme ne s'appliquera plus. Une désignation
plus descriptive serait : médias numériques interactifs »34.
Micheline L'Espérance-Labelle, de Quebecor, est d'avis que les
projets faisant intervenir les nouveaux médias peuvent avoir une
portée éducative et contribuer à l'épanouissement
personnel :
Je me réjouis, par ailleurs, de voir toutes les initiatives qui
ont été prises sur le plan de l'éducation, parce que,
si on veut préserver notre culture, il faut penser d'abord aux enfants,
à nos enfants. [. . .] Qu'on pense, par exemple, à des réseaux
comme SchoolNet/Rescol et à d'autres initiatives semblables qui
m'apparaissent extrêmement importantes. On doit mettre l'accent sur
l'éducation35.
Le projet d'Atlas national/Atlas des communautés canadiennes
Partout au Canada, des élèves se branchent au Rescol
pour télécharger certaines parties des plus récentes
cartes produites par Ressources naturelles Canada. En établissant
leurs propres paramètres et en appliquant une série de filtres
comme la densité démographique ou la composition géologique,
les élèves obtiennent des cartes redessinées électroniquement
selon leurs spécifications, et ils peuvent télécharger
et même imprimer ces cartes faites sur mesure. Il s'agit d'un projet
bidirectionnel : les élèves qui « prennent »
de l'information du site sont censés y remettre quelque chose. On
les encourage à y afficher leurs propres données, leurs propres
cartes, des photos et des descriptions de leur milieu. Afin que ces nouvelles
données puissent être interprétées et récupérées,
les élèves utilisent une série de modèles cartographiques
conçus par les enseignants et accessibles sur le site. Ces contributions
à la compréhension de la géographie canadienne sont
par la suite mises à la disposition de tous les utilisateurs.
Un projet pilote, ce site cartographique interactif est le résultat
d'un partenariat entre la Division GéoAccès, anciennement
appelé Service d'information sur l'Atlas national de Géomatique
Canada (Division du ministère des ressources naturelles), Rescol
et le Conseil canadien pour l'enseignement de la géographie, organisme
national d'enseignants. Il a fallu pour ce projet un appui de démarrage
du gouvernement fédéral, une base de données fédérales,
le soutien constant des enseignants, la présence d'écoles
ayant accès à des ordinateurs et à des modems et l'enthousiasme
des élèves. Dans l'océan de sources de renseignements
accessibles par voie électronique, ce petit projet est une exemple
intéressant d'un produit au contenu canadien, élaboré
pour et par des élèves. Et parce qu'il se trouve sur Internet,
le site peut être consulté par le monde entier.
Paul Hoffert décrit les différences entre les deux intérêts
distincts de l'industrie canadienne des nouveaux médias de la façon
suivante :
L'industrie de la télévision a une vaste infrastructure
d'affaires, des compagnies cotées en bourse et des tonnes d'argent.
[. . .] Les diffuseurs n'ont pas d'expérience avec des projets numériques
ou interactifs et comprennent mal comment les créer. Ce qu'ils ont,
ce sont des modèles viables pour réaliser des bénéfices
en se servant des réseaux de radiodiffusion36.
Hoffert a aussi formulé l'observation suivante à propos
des professionnels canadiens des nouveaux médias :
[Ils] [. . .] savent tout de la création de produits pour les
réseaux numériques et les médias interactifs, mais
ils sont extrêmement sous-financés et ne possèdent
pas de modèles viables pour produire des bénéfices
en se servant de réseaux numériques37.
Le Comité croit que les nouveaux médias sont un domaine
où un amalgame novateur de mesures pragmatiques s'impose. Il estime
aussi que c'est un domaine où le secteur culturel pourrait adapter
un train de mesures conçues et éprouvées dans les
domaines de la recherche et du développement, notamment l'idée
d'un réseau de centres d'excellence. Depuis 10 ans, le gouvernement
fédéral finance un programme connu sous la désignation
de Réseaux de centres d'excellence, un programme d'appui qui réunit
des chercheurs universitaires, le secteur privé et des étudiants
diplômés en un réseau qui n'est pas déterminé
par l'emplacement géographique de chacun.
« Metropolis » est un projet coopératif international
de recherche créé pour examiner l'intégration des
immigrants et les effets de la migration internationale sur les centres
urbains canadiens. Il regroupe quatre centres d'excellence situés
à Edmonton, à Montréal, à Toronto et à
Vancouver38.
Le financement de base des centres est assuré par un consortium
de ministères et d'organismes fédéraux, dont les suivants
: Citoyenneté et Immigration Canada, Santé Canada, Conseil
de recherches en sciences humaines Canada, Patrimoine canadien (Multiculturalisme),
Condition féminine Canada, Développement des ressources humaines,
Statistique Canada, Société canadienne d'hypothèques
et de logement, Service correctionnel du Canada.
« Metropolis » comprend également une importante
composante internationale puisqu'il compte des partenaires dans des établissements
publics et privés au Canada, aux États-Unis, au Danemark,
en France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Norvège, en
Suède, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, en Suisse, en
Israël et en Argentine.
Recommandation 23
Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine
canadien, en collaboration avec les organismes subventionnaires et les
organismes culturels concernés, constitue un réseau de centres
d'excellence pour les nouveaux médias. Il faudra à cette
fin réaliser une étude de faisabilité qui devra évaluer
la possibilité de créer d'importants partenariats avec des
établissements d'enseignement et le secteur privé.
Le processus d'autorisation
L'un des pires obstacles auxquels se heurtent les producteurs de nouveaux
médias est la difficulté d'obtenir le droit de reproduire
dans leurs produits des documents protégés par le droit d'auteur39.
Pour obtenir l'autorisation de reproduire un texte, une oeuvre musicale,
des images ou toute autre oeuvre protégée par le droit d'auteur
dans un produit de nouveaux médias, il faut établir qui en
détient le droit d'auteur, trouver comment entrer en communication
avec le titulaire, communiquer avec lui, puis négocier un contrat
pour la reproduction de l'oeuvre. Chaque étape du processus devient
une barrière presque infranchissable. Parfois, on ne peut déterminer
qui est le détenteur du droit d'auteur car les auteurs et les créateurs
ne sont pas toujours les titulaires du droit d'auteur. Parfois, même
quand il est possible d'établir qui en est le détenteur,
on ne peut le retrouver parce qu'il a déménagé ou
que la société en cause a cessé ces activités.
D'autres embûches peuvent se présenter une fois que la communication
est établie parce qu'il est impossible de s'entendre sur des conditions
financières ou parce que l'utilisation prévue n'est pas acceptable
aux yeux du titulaire.
En juin 1998, l'honorable Sheila Copps, ministre du Patrimoine canadien,
a produit une vidéo de trois minutes expliquant les nouveaux médias,
en rapport avec le lancement d'un programme quinquennal de 30 millions
de dollars administré par Téléfilm Canada, visant
à appuyer la production et la commercialisation, dans les deux langues
officielles, de produits culturels canadiens multimédias. Pour produire
cette vidéo, il a fallu obtenir une autorisation à l'égard
de quelque 130 photos ou segments vidéo et de sept segments d'oeuvres
musicales. Il a également fallu demander à certains artistes
l'autorisation d'utiliser leur prestation dans les segments vidéo.
D'ailleurs, le lancement du produit final a été retardé
jusqu'à l'obtention de l'autorisation d'une interprète qui
a insisté pour voir quels segments étaient utilisés
et dans quel contexte. Cet exercice d'affranchissement des droits a nécessité
le travail à plein temps de trois avocats pendant trois semaines.
La difficulté d'obtenir l'affranchissement des droits peut avoir
des conséquences fâcheuses. Les producteurs choisissent d'utiliser
du matériel dont le droit d'auteur est expiré pour s'éviter
d'avoir à demander l'affranchissement. Ils créent aussi du
nouveau matériel - musique et texte, par exemple - plutôt
que de s'attaquer à la fastidieuse tâche d'obtenir l'affranchissement
des droits du matériel existant, ou achètent du matériel
des librairies d'archives qui le leur fournissent déjà affranchi.
Cela risque de réduire le recours aux oeuvres culturelles canadiennes
existantes.
Donner accès au patrimoine canadien
De l'avis du Comité, le riche matériel contenu dans les
fonds de nos organismes patrimoniaux devrait être mis à la
disposition du monde entier. Or les nouveaux médias constituent
un moyen de mieux faire connaître les ressources des organismes patrimoniaux
du Canada et d'en faciliter l'accès. Les difficultés d'affranchissement
des droits pour les nouveaux médias exigent donc des solutions.
Moyennant des mécanismes efficaces de collection des redevances
et d'affranchissement des droits, les sociétés productrices
de nouveaux médias pourraient promouvoir et faire connaître
les collections patrimoniales du Canada ajoutant ainsi une nouvelle dimension
et, sur un plan plus vaste, contribuer énormément au développement
général du secteur des nouveaux médias. Du point de
vue culturel, les nouveaux médias représentent une véritable
occasion pour la population canadienne. Les productions de la Société
Radio-Canada et de l'Office national du film ainsi que les millions d'oeuvres
que renferment les collections et les fonds des bibliothèques, des
archives et des musées peuvent être traités et réaménagés
sur de nouveaux supports correspondants aux nouveaux médias, à
l'intention d'un tout nouveau marché d'ordinateurs personnels au
Canada et à l'étranger. Des gens qui n'auraient jamais visité
un musée auront désormais accès à de nombreux
trésors nationaux du Canada à partir de leur ordinateur,
par l'intermédiaire d'Internet ou de cédéroms.
Le Comité est conscient que le secteur des nouveaux médias
présente un potentiel de croissance extraordinaire. Bien entendu,
il y a des difficultés à surmonter lorsqu'il s'agit d'établir
qui sont les détenteurs de droits d'auteur, de communiquer et de
négocier avec eux. Le Canada est extrêmement bien placé
pour se tailler un créneau dans cette section du secteur mondial
de la technologie de pointe. Le gouvernement aura un rôle important
à jouer dans cette réalisation. Par conséquent, le
Comité estime que le gouvernement fédéral se doit
d'aider cette industrie naissante. L'institution d'une tribune pour échanger
des renseignements ayant trait à cette nouvelle sphère d'activités
pourrait être un pas important dans cette direction.
Recommandation 24
Le Comité recommande que :
24.1 Le ministère du Patrimoine canadien et le ministère
de l'Industrie travaillent en collaboration avec les parties prenantes
aux nouveaux médias afin de faciliter l'obtention de l'affranchissement
des droits et d'examiner le rôle des sociétés de gestion
collective dans l'administration du droit d'auteur.
24.2 Le ministère du Patrimoine canadien et le ministère
de l'Industrie financent conjointement une étude de faisabilité
visant la mise en place d'un mécanisme central d'affranchissement
chargé d'accorder les autorisations pour l'utilisation, dans les
nouveaux médias, des oeuvres qui sont protégées par
le droit d'auteur.
24.3 L'étude devrait comprendre au minimum une analyse des
mesures requises, la détermination de leur coût, une analyse
de viabilité financière et la conception d'un projet pilote
entièrement provisionné. L'étude de faisabilité,
conception du projet pilote comprise, devrait être mise en oeuvre
dans l'année suivant le dépôt du présent rapport.
S'adapter au nouveau contexte
Le gouvernement dispose d'une variété d'instruments efficaces.
Il reste à savoir lesquels serviront le mieux le développement
à long terme des nouveaux médias canadiens. De plus, le ministère
du Patrimoine canadien n'est que l'une des nombreuses parties prenantes.
De toute évidence, Industrie Canada et le ministère des Finances
ont eux aussi un rôle à jouer. Dans le domaine des nouveaux
médias, ils peuvent faire beaucoup pour aider les producteurs canadiens
à se tailler une place sur les marchés mondiaux.
Recommandation 25
Le Comité recommande
que, dans l'année suivant le dépôt du présent
rapport, le ministère du Patrimoine canadien et le ministère
de l'Industrie élaborent et fixent conjointement les objectifs et
les critères devant régir l'appui fédéral destiné
au secteur des nouveaux médias.
Les nouveaux médias peuvent contribuer à sensibiliser
les Canadiens et d'autres intervenants à l'existence du patrimoine
culturel du Canada. Ils sont aussi un moyen grâce auquel les utilisateurs
des nouveaux médias, au pays et à l'étranger, peuvent
avoir accès aux précieuses ressources des organismes patrimoniaux
canadiens. D'autres moyens peuvent cependant aussi être utilisés
à cette fin y compris un soutien continu à la Société
Radio-Canada, les tournées de troupes d'arts d'interprétation
et les expositions itinérantes.
Forger des liens pancanadiens
A. La Société Radio-Canada
Le Comité a entendu des Canadiens souligner à maintes
reprises l'importance de la Société Radio-Canada pour la
population canadienne. Ainsi, Mia Weinberg a expliqué ce qui suit
au Comité :
Je suis canadienne depuis trois ans. Lorsque j'ai passé mon examen
de citoyenneté, ce que je savais du Canada me venait de CBC. C'est
comme cela que j'ai appris des choses sur ce pays. J'en savais beaucoup
plus que ce qui était nécessaire pour passer cet examen,
et c'est parce que j'avais l'habitude d'écouter la radio de CBC40.
Ce témoignage, sans prétention, est la simplicité
même, et pourtant il exprime tout ce qu'est Radio-Canada. La société
d'État raconte à son auditoire l'histoire du Canada. Les
témoignages que le Comité a entendus à ce sujet ont
fait référence aux multiples aspects du rôle de ce
radiodiffuseur. Voici quelques exemples représentatifs de ces témoignages
:
S J'aimerais également souligner que CBC a constitué une
ressource énorme pour la communauté théâtrale
au Canada, certainement dans cette province et très certainement
dans la métropole. Les réductions des cinq dernières
années au financement de CBC ont eu une incidence profonde sur les
comédiens, les musiciens et les dramaturges. De plus, pour nous,
compagnie théâtrale, CBC finançait de nombreux projets.
La société finançait souvent une petite pièce
pour la radio que nos compagnies théâtrales pouvaient alors
reprendre et présenter sur scène. CBC permettait de lancer
des choses, ce qui est beaucoup plus difficile dernièrement41.
S Je vous demande aussi de maintenir le financement de Radio-Canada.
Comme vous l'avez entendu aujourd'hui, elle assure une mission essentielle
auprès des collectivités isolées. J'ai été
élevée à Toronto, où il suffit de tourner le
bouton pour trouver 400 stations de radio. On ne peut pas faire la même
chose dans le nord-ouest de l'Ontario. Il est essentiel que l'information
soit disponible pour tous les gens de cette région42.
S Radio-Canada a également permis l'éclosion de notre
culture, continue à s'impliquer et à développer et
à travailler avec des créateurs, il se doit d'avoir les moyens
pour continuer à le faire4343.
La teneur des témoignages indique au Comité que les Canadiens
considèrent la Société Radio-Canada comme faisant
partie intégrante du tissu national, et en outre que l'incommensurable
contribution de la SRC à la vie culturelle canadienne est un fait
dont les Canadiens et les Canadiennes sont bien conscients.
Le Comité reconnaît la place qu'occupe Radio-Canada au
coeur de l'expression culturelle au Canada. Il souhaite donc faire siennes
certaines recommandations contenues dans le rapport de 1996 du Comité
d'examen des mandats - SRC, ONF, Téléfilm :
S La radio de la SRC doit maintenir sa présence locale et régionale
et continuer d'exploiter quatre réseaux nationaux.
S Les services de radio de la SRC doivent maintenir leur caractère
distinctif et non publicitaire, conformément aux conditions attachées
à leur permis par le CRTC.
S Les deux chaînes de télévision de la SRC doivent
continuer d'offrir des émissions qui informent, éclairent
et divertissent leurs auditoires. Mais leurs émissions doivent être
authentiquement et presque exclusivement canadiennes; elles doivent constituer
une télévision claire et intelligente comme substitut à
la télévision commerciale; et elles doivent être axées
sur la qualité, l'innovation et le service public44.
Les membres du Comité jugent que les recommandations qui précèdent
répondent aux préoccupations qu'ont exprimées des
témoins lors des audiences tenues dans toutes les régions
du pays. Le Comité insiste donc vivement auprès du gouvernement
fédéral pour que ce dernier assure à la SRC le soutien
qui permettra à la société d'État de satisfaire
aux attentes que nourrit la population canadienne à l'égard
du radiodiffuseur public.
Recommandation 26
Le Comité recommande :
26.1 Que la Société Radio-Canada bénéficie
d'un financement continu et stable afin de pouvoir demeurer une société
publique sans but lucratif dans l'intérêt commun.
26.2 Que la radio de la SRC bénéficie de niveaux de
financement stables et soutenus de façon à ne pas avoir à
recourir à des commandites privées ou à la publicité
commerciale ou non commerciale.
26.3 Que la télévision de la SRC bénéficie
de niveaux de financement stables et soutenus de façon que le recours
à la publicité puisse être réduit au minimum.
B. Les tournées pancanadiennes
Lorsque les auditoires d'une région du pays sont exposés
à l'expression créatrice d'autres parties du Canada, il se
produit souvent des choses fantastiques45.
Ainsi, un témoin de la côte Ouest se rappelle, 20 ans plus
tard, la puissante impression que lui a laissée une pièce
de théâtre originaire de Terre-Neuve jouée en Colombie-Britannique
:
Dans le passé, lorsque la chasse aux phoques était une
activité énorme, j'ai pu faire venir ici même, au coeur
du pays de Greenpeace [la Colombie-Britannique], des artistes de Terre-Neuve
qui ont présenté un spectacle appelé They Club
Seals, Don't They? et je peux vous dire que bien des gens ont changé
d'attitude46.
À l'échelle nationale, l'Office des tournées du
Conseil des arts du Canada a eu une remarquable influence sur l'accessibilité,
dans toutes les régions du pays, aux arts d'interprétation
professionnels. Créé au début des années 70
grâce à un modeste fonds d'environ trois millions de dollars,
l'Office a contribué à l'organisation de tournées
partout au Canada, ce qu'il a accompli avec la collaboration d'autres paliers
de gouvernement et avec l'enthousiaste participation de bénévoles
soucieux de rendre les arts de la scène accessibles à leurs
concitoyens. Ces circuits établis avec l'aide du Conseil des arts
ont donné lieu à la tenue de « contacts régionaux
». Au cours de ces programmes d'activités de trois jours,
des représentants d'artistes de la scène et des imprésarios
ont l'occasion d'établir des contacts avec des présentateurs
communautaires à la recherche de troupes prêtes à se
produire dans leur collectivité l'année suivante. L'Office
accorde des subventions pour couvrir une partie des coûts des tournées
organisées par suite des « contacts régionaux ».
Pour l'optimisation des ressources et un soutien communautaire à
grande échelle, très peu de programmes fédéraux
peuvent se comparer à ceux de l'Office des tournées quant
aux résultats obtenus. Or, le financement de cet important programme
n'a jamais été augmenté en 20 ans, en dépit
de l'extraordinaire croissance du nombre d'organismes d'interprétation
artistique qui auraient pu se prévaloir de ses services. Heureusement,
comme on l'a dit précédemment, le Conseil des arts du Canada
projette d'attribuer des ressources supplémentaires au programme
de l'Office des tournées.
C. Les expositions pancanadiennes
Sur le plan du patrimoine, le Programme d'aide aux musées (PAM),
créé par la politique de 1972 sur les musées, s'est
révélé une initiative très heureuse pour la
constitution, la préservation, l'interprétation et la distribution
des collections des musées dans chaque région du Canada.
Des directeurs de musée de tout le pays ont parlé de l'importante
contribution du PAM, notamment pour les tournées interrégionales
et intrarégionales des expositions. Cette activité a aidé
à la création de solides relations de travail entre les musées
canadiens et a donné aux citoyens accès au splendide patrimoine
de chaque région du pays grâce aux expositions itinérantes.
Malheureusement, les fortes compressions imposées au programme ont
radicalement réduit les expositions itinérantes et celles
qui subsistent ne sortent habituellement pas de leur région.
Comme l'a dit au Comité, Candace Stevenson, directrice d'un musée
en Nouvelle-Écosse :
Je crois que nous sommes arrivés à un point critique :
soit le gouvernement fédéral joue ce rôle de premier
plan, soit le scénario de [. . .] déclin inexorable devient
réalité47.
Rose Marie Sackela, éducatrice, s'inspirant de ses expériences
dans une région éloignée de l'Alberta, a souligné
un point important au Comité :
Alder Flats compte 150 résidants officiels. Nous avons fait venir
des collections de musée dans les classes. Nous avions accès
aux collections du musée mobile et c'était le seul musée
auquel les gens avaient accès. Ils ne sont qu'à deux heures
d'Edmonton mais les ruraux, et je pense surtout à l'Alberta du centre
ou du nord, ne considèrent pas ça comme une priorité48.
Voici la perspective de William Barkley, lui aussi directeur de musée
:
Nous avons une infrastructure complètement professionnelle mais
elle n'est pas utilisée. Elle reste isolée dans chaque province49.
Le Comité note que la ministre du Patrimoine canadien a augmenté
de deux millions de dollars, à partir de 1999, les ressources mises
à la disposition du PAM. Cependant, ce nouvel apport de ressources
financières ne suffira pas à compenser pleinement les réductions
budgétaires antérieures et ne procurera pas non plus les
résultats à long terme que pourrait procurer un examen de
l'appui fédéral au secteur de la distribution.
Recommandation 27
Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine
canadien augmente les fonds destinés à permettre d'accroître
les tournées et les expositions pancanadiennes.
Des liens au-delà des frontières du Canada
Tout comme les tournées et les expositions itinérantes
permettent de forger des liens entre Canadiens, la promotion efficace de
l'expression culturelle canadienne lors d'événements de portée
internationale permet de faire connaître des aspects de la culture
canadienne à l'étranger. L'oeuvre de Luc Plamondon est un
exemple éloquent à cet égard.
L'expression culturelle canadienne sur la scène internationale
La revue L'actualité a désigné Luc Plamondon
comme personnalité de l'année 1998. Sa remarquable carrière
dans la musique populaire, d'abord au Québec et maintenant en France
et dans l'ensemble de la francophonie, pourrait servir de modèle
d'un mariage réussi entre la production et la distribution dans
l'un des milieux les plus concurentiels qui soient, celui de la musique
populaire. Le succès à Paris de Starmania et de Notre-Dame
de Paris, où se produisent des talents québécois de
la mise en scène, de la conception et de l'interprétation,
montre éloquemment jusqu'où l'expression artistique et culturelle
est capable d'aller lorsqu'elle est appuyée par une diffusion et
une promotion efficaces.
Un article signé par Jacques Godbout, éminent commentateur
culturel du Québec, explique bien que le succès de Plamondon
à Paris fait suite à ses précédents succès
au Québec et que, au bout du compte, sa vision et celle de ses collègues
créateurs et interprètes pourrait s'imposer et s'imposera
effectivement à Paris comme elle l'a fait à Montréal.
À l'échelle internationale, le ministère des Affaires
étrangères et du Commerce international, par l'intermédiaire
de son Programme des relations culturelles internationales, fournit de
l'aide pour des tournées à l'étranger d'organismes
canadiens d'arts de la scène ainsi que pour des artistes individuels
de la création et de l'interprétation. Les industries culturelles
canadiennes reçoivent aussi des fonds supplémentaires en
vertu du programme de développement des marchés d'exportation.
Ces deux types de programmes offrent aux groupes culturels et artistiques
des possibilités de s'épanouir, de représenter à
l'étranger les intérêts canadiens et de vendre leurs
oeuvres et services dans le monde entier.
Des témoins ont signalé des lacunes au chapitre de la
promotion de la culture canadienne faite par le gouvernement fédéral
à l'échelle internationale :
Je me rappelle le moment où le ministre a annoncé que
la culture [était] le troisième pilier de la politique étrangère
du Canada. Jusqu'à présent, on n'a pas donné vraiment
à la culture le soutien financier dont profite d'autres aspects
de la politique étrangère. J'encourage le ministère
des Affaires étrangères et du Commerce international à
jouer un plus grand rôle dans la promotion internationale de la culture
canadienne50.
Curtis Barlow, du Centre des arts de la Confédération
à Charlottetown, a aussi parlé de cette initiative du troisième
pilier :
Pendant dix ans, j'ai dirigé le Programme de relations culturelles
internationales du Canada à Londres et à Washington [...]
Il y a plusieurs années, [le ministère des Affaires étrangères
et du Commerce international] a établi comme troisième pilier
de sa politique étrangère l'industrie des arts et de la culture,
le premier pilier étant d'ordre politique et le deuxième
d'ordre commercial. Toutefois, il n'y a jamais vraiment consacré
de fonds. Par conséquent, les attachés et les conseillers
culturels à l'étranger sont obligés de lutter pour
exécuter leur mandat parce qu'ils n'ont simplement pas les ressources
financières voulues. Je recommanderais donc au Comité qu'il
se penche attentivement sur la culture en tant que troisième pilier
de la politique étrangère du Canada et qu'il recommande que
le ministère des Affaires étrangères et du Commerce
international affecte les montants voulus pour concrétiser la décision
prise sur le plan politique51.
La communauté culturelle du Canada maintient depuis toujours
que l'appui gouvernemental à l'égard de la diffusion doit
être renforcé et ses objectifs élargis pour mieux refléter
l'importance de la distribution lorsqu'il s'agit de promouvoir l'activité
culturelle canadienne à l'échelle internationale. Le Comité
est également de cet avis : une importante composante de toute politique
culturelle à venir devrait être de fournir un appui financier
et logistique pour les tournées, les expositions et les échanges
commerciaux internationaux.
Le Comité souligne l'important travail effectué pour le
ministère des Affaires étrangères et du Commerce international
par le Groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur
(GCSCE). Cet organe de consultation réunit des femmes et des hommes
qui se sont distingués par l'impulsion qu'ils ont donnée
au développement des entreprises culturelles canadiennes, au pays
comme à l'étranger. Il conseille le ministre du Commerce
international au sujet d'une vaste gamme d'enjeux influant sur les entreprises
culturelles du Canada et contribue, grâce à son expérience
professionnelle et à ses connaissances, au ciblage et à la
promotion des intérêts canadiens à l'échelle
internationale.
En février 1999, le GCSCE a publié un rapport intitulé
La culture canadienne dans le contexte de la mondialisation, qui
recommande au gouvernement fédéral de « demander aux
autres pays de collaborer à la mise au point d'un nouvel instrument
culturel international qui reconnaîtrait l'importance de la diversité
culturelle et tiendrait compte des politiques conçues dans le but
de promouvoir et de protéger cette diversité »52.
D'après le rapport du GCSCE, deux approches s'offrent au Canada
:
- la stratégie de l'exemption culturelle, suivie par le passé,
qui consiste à soustraire la culture du champ des négociations
commerciales internationales;
- une nouvelle stratégie comportant la négociation d'un
nouvel instrument international qui porte expressément sur la diversité
culturelle et reconnaît le rôle légitime que jouent
les politiques culturelles nationales pour assurer la diversité
culturelle.
Il se peut que les approches et les mécanismes retenus par le
passé pour empêcher que les biens et les services culturels
ne soient assujettis au même traitement que les autres biens et services
ne suffisent plus. On ne considère habituellement pas de la même
façon les oeuvres de créateurs et les produits vendus par
les magasins à rayons et les fabricants d'automobiles. Dans une
très large mesure, la culture renvoie aux valeurs, à l'esthétique
et à la spiritualité, lesquels font partie des éléments
fondamentaux servant à définir la condition humaine.
Deux points de vues s'affrontent en ce qui concerne le traitement à
réserver aux oeuvres et aux services culturels dans les échanges
commerciaux internationaux. Selon les tenants de l'un, ceux-ci sont des
biens et des services au même titre que n'importe quoi d'autre; ainsi,
le commerce du blé, de la volaille et des cafetières n'est
pas différent de celui des livres, des films et des magazines. Selon
les tenants de l'autre point de vue, en contrepartie, les oeuvres et les
services culturels échappent aux règles commerciales classiques
en raison de leur importance pour l'identité nationale et, à
ce titre, ils ne devraient pas être assujettis aux règles
régissant les pratiques commerciales mondiales.
Le moment est venu pour les Canadiens de prendre des décisions
cruciales. Se considèrent-ils comme des producteurs et des consommateurs
de biens et de services culturels commerciaux? Ou alors sont-ils prêts
à faire reconnaître la valeur de leur diversité culturelle
et à affirmer leur droit d'obtenir que leur expression créatrice
soit accessible?
Les membres du GCSCE considèrent que le moment est venu pour
le Canada d'agir. Tout comme les pays ont uni leurs efforts pour protéger
et promouvoir la biodiversité, il importe maintenant qu'ils oeuvrent
de concert à promouvoir la diversité culturelle et linguistique.
Selon le Comité, le GCSCE propose des initiatives qui tiennent
pleinement compte des atouts des industries culturelles canadiennes et
qui avancent des hypothèses raisonnables sur leur capacité
de concurrencer à l'échelle internationale. Cela suppose
toutefois que le Canada réussira à conclure avec quelques-uns
de ses principaux partenaires commerciaux une entente sur le bien-fondé
d'établir un nouvel ordre pour appuyer et promouvoir leurs industries
culturelles respectives. C'est pourquoi le Comité appuie la démarche
que propose le GCSCE, lequel recommande que le Canada invite les autres
pays à élaborer un nouvel instrument international qui reconnaîtrait
l'importance de la diversité culturelle et tiendrait compte des
orientations de politique destinées à promouvoir et à
protéger cette diversité.
Recommandation 28
Le Comité recommande que le gouvernement fédéral
adopte la démarche que propose le Groupe de consultations sectorielles
sur le commerce extérieur (GCSCE), laquelle préconise que
le Canada invite les autres pays à collaborer à l'élaboration
d'un instrument international reconnaissant l'importance de la diversité
culturelle et tenant compte des orientations de politique destinées
à promouvoir et à protéger cette diversité.
Recommandation 29
Le Comité recommande que l'initiative prise par la ministre
du Patrimoine canadien pour garantir la diversité dans l'expression
culturelle à l'échelle internationale soit mise au centre
de la politique étrangère du gouvernement fédéral
et de son programme en matière de commerce international.
Recommandation 30
Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine
canadien forme un groupe de consultations, composé de personnes
ayant de l'expérience dans les domaines de la création, de
la politique culturelle et ceux de la commercialisation et de la distribution
d'oeuvres culturelles, pour conseiller le ministre sur les questions ayant
trait à la culture. La création de ce groupe devrait s'inspirer
des groupes de consultations sectorielles mis sur pied par le ministère
des Affaires étrangères et du Commerce international et par
Industrie Canada.
Le Comité estime qu'une tribune établie sur le modèle
des groupes de consultations sectorielles s'impose compte tenu de l'évolution
rapide du contexte culturel. Ce modèle devrait être aussi
utile à l'égard des problèmes sur la marché
intérieur qu'il l'a été dans le cas des enjeux internationaux.
L'initiative prise par la ministre du Patrimoine canadien en juin 1998
d'inviter les ministres de la culture d'un certain nombre de pays plus
petits à discuter de diversité culturelle est un premier
pas important vers la prise en charge de ces questions. Avec le temps,
cette initiative pourrait entraîner un meilleur équilibre
entre les avantages financiers considérables découlant du
commerce international des oeuvres et des services culturels du Canada
et la nécessité de maintenir la diversité dans l'expression
culturelle.
Débat critique entre Pierre-Marc Johnson et Robert Pilon
Lors de la table ronde de Montréal, Pierre-Marc Johnson, ex-premier
ministre du Québec et actuel président du Regroupement des
événements majeurs internationaux, et Robert Pilon de l'ADISQ,
ont eu un débat éclairant sur des sujets étroitement
apparentés. M. Johnson a lancé le débat de la façon
suivante :
Traditionnellement au Canada, le gouvernement a défendu la ou
les spécificités d'une façon défensive. Il
a bloqué l'entrée d'un certain nombre de produits, formellement
ou informellement, explicitement ou pas, de la façon qu'on appelle
japonaise ou pas. C'est le débat autour des revues. Ou encore, il
a soutenu la production de contenu canadien mais toujours en regardant
le marché canadien de l'univers de la culture et rarement en regardant
à l'extérieur.
Un des défis des prochaines années sera de passer d'une
approche essentiellement défensive à une approche visant
à insérer le monde de la culture dans le contexte de la globalisation
économique en permettant à des produits élaborés
ici d'avoir une chance sur des marchés extérieurs.
Je ne dis pas que c'est la seule chose qu'il faille faire mais je dis
que négliger de le faire, c'est manquer un bateau fondamental et
qu'ultimement, ceux qui en souffriront seront les créateurs, les
auteurs, les compositeurs. C'est une orientation qui présuppose
que le gouvernement canadien, compte tenu du rôle important qu'il
a joué historiquement dans ce domaine, et possiblement le gouvernement
du Québec, doit effectuer un changement assez radical. Il faut passer
d'une situation purement défensive dans l'utilisation de la fiscalité
et des subventions pour les institutions à une approche un peu plus
offensive sur le plan de la diffusion de la culture et des produits des
créateurs culturels canadiens53
Et M. Pilon de répondre :
Le débat est là et je pense que les choses ne sont pas
aussi simples que M. Johnson le dit. Je ne pense pas qu'on puisse dire
que nous avions autrefois une politique défensive et que nous devrons
désormais avoir une politique offensive.
[. . .] Pour revenir au cours d'Économie 101, je ne connais aucun
secteur de l'économie, dans quelque pays que ce soit, qui ait pu
avoir du succès en exportation sans avoir auparavant construit une
base domestique solide. Même si vous ne prenez pas cela du point
de vue culturel, M. Johnson, même si vous le prenez uniquement d'un
point de vue affaires, d'un point de vue vulgairement économique,
une stratégie qui serait axée uniquement sur la conquête
des marchés mondiaux n'aurait pas de bon sens. Il faut d'abord avoir
une stratégie de structuration sur le marché domestique.
L'actuel discours néo-libéral est une illusion, un miroir
aux alouettes. On ne cesse de dire : Arrêtez de vous faire protéger,
de vous faire soutenir par les gouvernements, de vous faire prendre par
la main par les gouvernements; soyez de grands garçons, soyez bons,
allez de l'avant et tout le monde va acheter vos produits sur le marché
international.
[...] Dans notre secteur, la plus grosse entreprise au Québec
a peut-être 5 millions de chiffre d'affaires, alors que ses concurrents
ont 5 milliards de chiffre d'affaires. C'est bien beau les règles
du marché et la mondialisation, mais on est loin d'Adam Smith. Elle
n'existe pas, la concurrence pure et parfaite54.
Le débat ne porte pas sur la nécessité de défendre
les intérêts canadiens dans des négociations bilatérales
ou multilatérales concernant les produits et services culturels
du Canada, non plus que sur les mesures nationales que pourrait prendre
le gouvernement fédéral pour garantir que les Canadiens continuent
d'avoir accès à leurs oeuvres et services culturels. Sur
ces questions, MM. Johnson et Pilon s'entendent.
Le débat s'articule plutôt autour des hypothèses
qu'il nous faudrait énoncer en formulant les orientations de politique
en matière de commerce international au XXIe siècle. M. Johnson
propose une démarche plus offensive et proactive pour compléter
les nécessaires mesures défensives adoptées jusqu'ici
par le Canada. M. Pilon croit, pour sa part, qu'il faudrait conserver les
mécanismes éprouvés.
Le Comité est d'avis que ce débat va au coeur même
de la question en ce qu'elle touche à l'expression culturelle canadienne
qui insiste pour conserver son identité et sa diversité.
Ces opinions divergentes captent l'essence de certains des enjeux les plus
difficiles qu'auront à affronter les industries culturelles canadiennes
à l'avenir.
1 Sean
Fordyce, éditeur, Table ronde sur l'édition, le 10 mars 1998.
2 Michel
Dupuy, Table ronde d'Ottawa sur le cinéma et le vidéo, 11
mars 1998.
3 Annuaire
du Canada, 1999, Statistique Canada, Ottawa, 1999, tableau 8.12, p.
294-296.
4 «
Arts d'interprétation 1996-1997 », Le Quotidien, Statistique
Canada, Ottawa, 4 mars 1999.
5 T. S.
Eliot, Tradition and the Individual Talent, dans The Sacred Wood
Essays on Poetry and criiticism, Methuen, 1920, p. 49.
6 Ekos
Research Associates, An Examination of Current Policies and Programs
and Legislation for the Canadian Sound Recording Industry, Ottawa,
1995, p. 37.
7 Ibid.
p. 36.
8 Hervé
Foulon, éditeur, Table ronde sur l'édition, 10 mars 1998.
9 Tom
Patterson (avec Allan Gould), The First Stage: The Making of the Stratford
Festival, McClelland and Stewart, Toronto, 1987, p.26.
10
David Prosser, « The Stratford Festival », Standpoints,
Paris, mai 1998.
11
Communiqué du Festival de Stratford, 24 novembre 1998.
12
Karen Farmer, relationniste, Festival de Stratford, 5 janvier 1999.
13
Jack Stoddart, éditeur, Table ronde d'Ottawa sur l'édition,
10 mars 1998.
14
Sandra Macdonald, présidente, Office national du film, vues personnelles
exprimées au Comité.
15
Sandra Macdonald, « For purposes of Discussion, Four Challenging
Questions for Canada's Audio-Visual Policy », inclus dans l'exposé
de Mme Macdonald au Comité.
16
Keith Ross Leckie, Tapestry Films, Table ronde d'Ottawa sur le film et
la vidéo, 11 mars 1998.
17
Marie-Josée Corbeil, Table ronde d'Ottawa sur le film et la vidéo,
11 mars 1998.
18
John Gray, auteur, témoin expert, 12 février 1998.
19
Jefferson Lewis, scénariste, Table ronde d'Ottawa sur le film et
la vidéo, 11 mars 1998.
20
Joanne Morrow, directrice, Division des arts, Conseil des arts du Canada,
présentation faite au Comité, 11 juin 1998.
21
« Arts d'interprétation 1996-1997 », Le Quotidien,
Statistique Canada, Ottawa, 4 mars 1999. (La répartition du déficit
des compagnies sans but lucratif pour 1996-1997.) Les 342 compagnies de
théâtre du Canada ont terminé l'année avec un
excédent collectif de 3,5 millions de dollars, comparativement aux
260 compagnies de musique, de danse et d'opéra qui, ensemble, ont
terminé l'année avec un déficit global de 1,6 million
de dollars.
22
Annuaire du Canada, 1999, Statistique Canada, Ottawa, 1999,
tableau 8.12, p. 294.
23
Dans le présent rapport, l'expression « sans but lucratif
» est utilisée pour désigner tous les organismes sans
but lucratif. C'est aussi la désignation utilisée par le
Programme de statistiques culturelles de Statistique Canada.
24
Hervé Foulon, Éditions Hurtubise HMH Ltée, Table ronde
d'Ottawa sur l'édition, 10 mars 1998.
25
Martin Bragg, Canadian Stage Company, Table ronde d'Ottawa sur les arts,
10 mars 1998.
26
Theodore Levitt, Thinking About Management, The Free Press, New
York, 1991, p. 137.
27
Ken Stein, Shaw Communications, Table ronde d'Ottawa sur la radiodiffusion,
12 mars 1998.
28
Emma Duncan, « Wheel of Fortune », The Economist, 21
novembre 1998.
29
Perrin Beatty, président, Société Radio-Canada, témoignage
devant le Comité, 2 avril 1998, p. 12.
30
Micheline L'Espérance-Labelle, Quebecor DIL Multimédia, Table
ronde sur l'édition, 10 mars 1998.
31
John Godfrey, délibérations du Comité, mardi 9 février
1999.
32
En mai 1999, le CRTC a rendu publiques les conclusions de son étude
sur les questions réglementaires soulevées par les nouveaux
médias, en particulier Internet. Le Comité a donc préféré
orienter l'objet de sa propre étude vers les questions relatives
aux entreprises et aux organismes culturels.
33
Froman & Associates, Rapport final, Sessions sur les nouveaux médias
à contenu canadien, dans le mémoire de Stentor, p. 1.
34
Paul Hoffert, The Bagel Effect - A Compass to Navigate Our Wired World,
Toronto, McGraw-Hill Ryerson, 1998, p. 185.
35
Micheline L'Espérance-Labelle, Quebecor DIL Multimédia, Table
ronde sur l'édition, 10 mars 1998.
36
Hoffert, op. cit. p. 189.
37
Ibid.
38
Pour de plus amples précisions sur Metropolis et chacun des centres
d'excellence, consulter le site Internet de Metropolis à l'adresse
suivante : <http://canada.metropolis.net/main_f.htm>
39
Les questions relatives au droit d'auteur sont aussi abordées au
chapitre deux.
40
Mia Weinberg, représentante du conseil national, CARFAC (Canadian
Artists' Representation/le Front des artistes canadiens), Table ronde de
Vancouver, 25 février 1999.
41
Gay Hauser, directrice générale, The Eastern Front Theatre
Co., Table ronde de Halifax, 23 février 1999.
42
Diane Imrie, directrice exécutive, Northwestern Ontario Sports Hall
of Fame, Table ronde de Thunder Bay, 22 février 1999.
43
Louise Baillargeon, présidente-directrice générale,
Association des producteurs de films et de télévision du
Québec, Table ronde de Montréal, 25 février 1999.
44
Faire entendre nos voix, Comité d'examen des mandats - SRC,
ONF, Téléfilm, Ottawa, ministre des Approvisionnements et
Services, 1996, recommandations 1, 2 et 11.
45
Il est aussi question de l'importance des tournées au chapitre cinq
portant sur la préservation.
46
Chris Tyrell, Table ronde de Vancouver, 25 février 1999.
47
Candace Stevenson, directrice, Nova Scotia Museum, Table ronde d'Ottawa
sur le patrimoine, 10 mars 1998.
48
Rose Marie Sackela, éducatrice, Table ronde d'Edmonton, 24 février
1999.
49
William Barkley, directeur de musée, Table ronde d'Ottawa sur le
patrimoine, 10 mars 1998.
50
Earl Rosen, Marquis Records, Table ronde d'Ottawa sur l'enregistrement
sonore, 12 mars 1998.
51
Curtis Barlow, Centre des arts de la Confédération, Table
ronde de Moncton, 24 février 1999.
52
GCSCE, La culture canadienne dans le contexte de la mondialisation,
Ottawa, février 1999.
53
Pierre-Marc Johnson, président, Regroupement des événements
majeurs internationaux, Table ronde de Montréal, 25 février
1999.
54
Robert Pilon, ADISQ, Table ronde de Montréal, 25 février
1999.