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CHER Rapport du Comité

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CHAPITRE SIX : CONSOMMATEURS ET CITOYENS

Les Canadiens ont maintenant l'habitude de disposer d'un remarquable éventail de produits culturels, dont une bonne partie provient de l'étranger. Comme l'a fait observer Terry Cheney :

Les gens ont tendance à croire que la culture est réservée à une élite, mais en fait, la culture, ce sont les bibliothèques publiques, les musées où l'on amène ses enfants, les livres et les magazines, la télévision, le cinéma, bref, la culture a une incidence sur la vie de tous les Canadiens où qu'ils se trouvent. Un nombre important de Canadiens s'adonnent à ces activités. Ainsi, 50 p. 100 des gens visitent un musée à un moment donné au cours de l'année1.

Avant d'aborder le rôle du gouvernement fédéral dans son appui à la culture, il serait utile de jeter un coup d'9il sur les types de choix culturels que font les Canadiens à l'heure actuelle.

Profils de consommateurs canadiens

Le nombre de Canadiens qui participent à des activités culturelles est de beaucoup supérieur à ce que l'on suppose en règle générale. Le Comité n'est pas de l'avis voulant que la culture soit réservée à une élite, mais estime plutôt qu'elle touche les activités quotidiennes de presque tous les Canadiens : lire, écouter de la musique, écouter la radio, regarder la télévision et assister à des spectacles. Les tableaux 6.1 à 6.5 montrent dans quelle mesure les Canadiens participent à de telles activités2.

La lecture

Les données sur les habitudes de lecture en 1992 montrent que, dans la semaine précédant le sondage, les Canadiens avaient lu : plus de 80 p. 100, un journal, plus de 60 p. 100, une revue, et plus de 40 p. 100, un livre. Le tableau 6.1 donne une ventilation de ces habitudes de lecture3 :

Tableau 6.1
Habitudes de lecture des Canadiens (1992)




La télévision

Les données sur l'écoute de la télévision révèlent que les Canadiens regardent, en moyenne, 22,7 heures de télévision par semaine (1997)4 et que 69 p. 100 des ménages canadiens sont abonnés à la télévision par câble (1996)5. Le tableau 6.2 montre la répartition de ces heures de télévision selon l'origine du signal et la langue du téléspectateur6 :

Tableau 6.2
Écoute de la télévision par les Canadiens (1996-1997)





La radio

Les Canadiens écoutent la radio en moyenne 19,9 heures par semaine7. Le tableau qui suit montre en pourcentage le temps que les Canadiens passent à écouter différents types de stations radio8 :

Tableau 6.3
Écoute de la radio par les Canadiens (1997)




Les spectacles d'arts d'interprétation

Les Canadiens assistent à divers types de spectacles. Le tableau 6.4 indique le nombre de spectateurs recensés au Canada entre 1993 et 1997, et répartit ces spectateurs entre le théâtre, la musique, la danse, l'opéra et les films9.

Tableau 6.4
Spectacles d'arts d'interprétation (1993-1997)





Musées, archives, sites patrimoniaux

Le tableau 6.5 qui suit montre combien de Canadiens ont visité les musées, les archives, les sites patrimoniaux et les parcs naturels de 1992 à 199610 :

Tableau 6.5
Visites de musées, d'archives et de sites patrimoniaux du Canada
(1992-1996)




Voilà qui met en lumière l'envergure du secteur culturel et montre qu'un nombre appréciable de Canadiens participent régulièrement à différentes activités culturelles. Le soutien financier apporté par le gouvernement du Canada aux organismes voués aux arts d'interprétation contribue dans une large mesure à attirer des auditoires plus nombreux. Il peut en effet aider à ce que le prix des billets demeure raisonnable et parfois à offrir des spectacles gratuits. Il peut aussi permettre à des troupes de présenter des spectacles de danse, de musique et de théâtre dans des parcs, des centres commerciaux et dans d'autres lieux.

Les taux de participation indiqués dans les tableaux ci-dessus changeront sans doute à mesure que les facteurs démographiques modifieront la nature, la composition et la croissance des auditoires. En fait, l'évolution démographique apportera aux entreprises culturelles des possibilités et de nouveaux défis.

L'évolution démographique

Bien que le nombre des Canadiens de moins de 15 ans représente un pourcentage plus faible de la population totale que ce qu'il a déjà été, le nombre d'enfants continue d'augmenter. Jusqu'ici pourtant, on a relativement peu parlé des intérêts des enfants dans les discussions sur les orientations de la politique et les programmes en matière de culture au Canada. Il faudra remédier à cette lacune étant donné que l'accès des jeunes Canadiens à la technologie en fera des consommateurs plus avertis de produits culturels.

La population canadienne vieillit. Le baby boom a eu une incidence marquée sur la distribution et la structure de la population générale. Dans les années 50, l'âge médian - l'âge qui sépare la population totale en deux parties égales - oscillait entre 25 et 27 ans. Depuis 1970, l'âge médian augmente régulièrement et a atteint, en 1991, 38 ans. D'après diverses projections, il devrait être de 50 ans en 2036. Au début des années 60, près de 35 p. 100 de la population du Canada était constituée d'enfants de moins de 15 ans et seulement 8 p. 100 étaient des personnes âgées de 65 ans et plus11. Tout un contraste avec de récentes projections qui indiquent que près de 25 p. 100 de la population en 2036 seront des gens de 65 ans et plus. Si cette tendance se poursuit, le Canada comptera environ 8,7 millions de personnes âgées, dont 500 000 auront plus de 90 ans12.

L'immigration a elle aussi une incidence notable. Auparavant, les immigrants étaient encouragés ou appelés à s'établir dans les régions rurales tandis que, de nos jours, ils s'installent surtout dans les principales régions métropolitaines de recensement (RMR) de Toronto, de Montréal et de Vancouver, Toronto ayant attiré la plus forte part des immigrants (39 p. 100) entre 1981 et 1991. Depuis le début des années 60, la proportion des immigrants d'origine européenne diminue régulièrement. Les immigrants de nos jours proviennent davantage de l'Asie ou du Proche-Orient : c'est le cas de 48 p. 100 des immigrants qui sont arrivés au Canada entre 1981 et 1991.

Ces changements démographiques auront des répercussions marquées sur trois plans. Premièrement, à mesure que la population vieillit, le public pour les activités culturelles augmentera vraisemblablement. Si les projections avancées par Statistique Canada divergent à propos de l'effectif total de la population et sur la répartition par âge et par sexe en 2036, il ne fait aucun doute que le nombre des personnes âgées va augmenter de manière sensible dans les 20 prochaines années. En conséquence, ces gens vont probablement représenter un pourcentage croissant des consommateurs de produits culturels.

Deuxièmement, l'effectif et la composition de la population immigrante du Canada pourraient avoir des répercussions sur les choix culturels offerts (on peut penser par exemple à l'essor des musiques étrangères). Troisièmement, l'effort de commercialisation nécessaire pour atteindre les gens va nécessairement être plus intense que dans le passé. À mesure qu'augmentera le nombre de Canadiens qui disposent de temps, les choix qui s'offrent à eux se multiplieront.

La croissance du secteur culturel au cours des 50 dernières années a été vraiment remarquable, et les projections de Statistique Canada indiquent que ce taux de croissance rapide devrait se maintenir. Il importe donc de trouver les ressources financières et autres nécessaires pour appuyer une telle croissance. Le financement public continuera de jouer un rôle important, mais le gros des fonds devra provenir des particuliers, soit à titre de membres de l'auditoire, soit comme bénévoles ou comme mécènes.

La commercialisation, un défi

Les changements démographiques influent sur la façon dont les produits culturels sont mis en marché au Canada. Comme l'a fait remarquer Michèle Martin de l'Université Carleton :

Il s'agit d'élaborer et d'offrir des produits à contenu canadien aux Canadiens [. . .]. La stratégie de marketing dans ce genre de politique culturelle globale est extrêmement importante. [. . .] On vit dans une société [. . .] de consommation où tout le monde annonce son produit et dit que c'est le meilleur au monde. Pourquoi ne ferait-on pas la même chose dans le cadre de cette stratégie culturelle13?

En ce moment, les habitudes des consommateurs font l'objet d'une attention soutenue au Canada et dans les autres pays développés. Les secteurs tant privé que public étudient à la loupe les choix que font les consommateurs dans la poursuite de leurs intérêts, l'emploi de leur temps libre et la dépense de leur revenu, de manière à adapter les orientations de politique, les programmes et les services aux attentes en évolution. Il est donc normal que les réalisateurs de produits et services culturels et artistiques tiennent compte de ces attentes lorsqu'ils planifient ce qu'ils mettront sur le marché.

Tout achat équivaut, d'une façon ou d'une autre, à un geste de consommation. La transaction elle-même n'explique toutefois pas la motivation qui la sous-tend. On peut dire par exemple que certains aspects de l'intérêt d'un consommateur pour Leonard Cohen tient de la consommation. Le consommateur achète un disque compact ou un livre, ce qui est une activité typique de consommation. La même personne peut cependant aussi ressentir de la curiosité intellectuelle à l'égard de la poésie, de la musique ou de la carrière de l'artiste. L'expression artistique touche les gens à titre personnel parce que, comme l'a dit éloquemment Sandra Macdonald, présidente de l'Office national du film, elle se rattache à leur géographie, à leur politique, aux liens particuliers qu'ils entretiennent avec le monde qui les entoure14.

Plus il y a de choix offerts aux consommateurs, plus ces derniers sont en mesure d'influencer le marché. Dans les années 50, par exemple, de nombreux Canadiens, principalement dans les zones frontalières, pouvaient regarder les grands réseaux de télévision américains, en plus de Radio-Canada. Maintenant, les consommateurs canadiens ont accès à un nombre sans précédent de services de télévision, et l'augmentation des choix possibles entraîne les conséquences suivantes :

  • la fragmentation de l'auditoire devrait se poursuivre;
  • la subtilité et les exigences des auditoires de ces marchés iront grandissant.

Le Comité est fasciné par le pouvoir des consommateurs de façonner le marché et il estime qu'il faudrait considérer les facteurs entourant l'augmentation des auditoires pour déterminer le niveau d'aide aux industries et aux organismes culturels du Canada. En 1996, Richard Baumgartel, producteur indépendant de vidéos à Vancouver, a tenté une expérience pour vérifier ce qui arrive quand les films canadiens sont annoncés comme tels ou simplement classés avec tous les autres. Le « Canadian Rack Project » a duré six mois et les films canadiens y ont connu un succès étonnant. Comme l'a fait observer Robert Everett-Green dans le Globe and Mail, l'étude montre qu'il est possible d'augmenter de façon marquée l'auditoire des films canadiens à l'échelle locale, au prix d'un petit effort publicitaire15. Étant donné qu'une bonne partie des gens qui vont dans les magasins de vidéos ne font que regarder, le défi est d'attirer leur attention. « L'important, c'est de "figurer au menu", poursuit M. Everett-Green; c'est un terme de restaurant mais qu'on entendra de plus en plus avec la convergence des médias numériques »16.

Micheline L'Espérance-Labelle a raconté au Comité ce qui s'est produit lorsque sa société a attiré l'attention sur l'origine de ses produits :

En 1996, 2 p. 100 des ventes de Quebecor DIL Multimédia étaient des ventes québécoises, de logiciels québécois. Comment a-t-on fait pour qu'en 1997, 25 p. 100 de notre chiffre d'affaires soit constitué de ventes de logiciels québécois? On a simplement affiché aux points de vente « Qualité Québec » pour faire reconnaître ce sceau, devant la boîte de CD-ROM à contenu québécois. Cela nous a donné une augmentation de 23 p. 10017.

Divers services et activités se disputent de plus en plus le temps et le revenu disponibles des Canadiens. Ces activités sont souvent qualifiées de récréatives, terme que le Comité considère juste. Que l'on participe à un sport, que l'on lise un livre ou une revue, que l'on visite un musée, que l'on passe du temps dans son jardin ou son atelier, que l'on aille au cinéma ou que l'on fasse un voyage ici ou à l'étranger, on se « recrée » soi-même. On refait le plein d'énergie, on ravit ses sens, on prend temporairement congé des exigences de la vie quotidienne. Le poète William Blake a exprimé l'essence du loisir en disant que c'est la « gratification des souhaits du c9ur ».

L'importance de renseignements à jour

De récents rapports de Statistique Canada montrent comment le secteur artistique sans but lucratif s'en est tiré, au cours de la dernière décennie, pour ce qui est de contrôler et de réduire ses déficits sur une base annuelle. Les chiffres montrent combien de spectacles ont été donnés par tel ou tel groupe et à combien se sont élevées les recettes. Ils révèlent aussi combien de livres ont été publiés, combien d'argent a été dépensé au comptoir d'alimentation des cinémas, combien de visiteurs ont franchi les tourniquets des établissements patrimoniaux, combien de salariés et combien de bénévoles y travaillent. Ils illustrent également l'évolution du financement de la part des divers paliers de gouvernement.

Les statistiques sont utiles parce qu'elles procurent un instantané sous forme de données chiffrées d'un moment particulier dans le temps. Elles montrent combien les Canadiens ont dépensé pour leurs divertissements en 1986 et en 1996. Ce que les chiffres ne peuvent expliquer, cependant, c'est le pourquoi. Le Comité estime que les analyses de la politique culturelle ne s'intéressent pas suffisamment aux pourquoi en rapport avec le consommateur, l'auditoire ou les participants à des événements culturels.

Même si les conclusions en sont maintenant un peu dépassées, ce qui s'appelait à l'époque le ministère des Communications a effectué une étude de ce genre auprès des auditoires canadiens en 1991-1992, en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que les administrations municipales de Montréal, de Vancouver, d'Edmonton et de Toronto. Cette recherche donne un aperçu des goûts et des préférences des Canadiens concernant les « rencontres des gens et de l'art dans la société canadienne », comme on le dit dans le rapport final18. Le Canada a bien sûr changé dans l'intervalle, mais les grandes lignes de l'analyse contenue dans ce rapport ont influé sur la pensée du Comité au sujet de ces « rencontres ».

En bref, l'enquête de 1991 concluait ce qui suit :

  • Les Canadiens montrent beaucoup de bonne volonté et de bonnes intentions au sujet des arts de la scène et des arts visuels.
  • L'accès aux productions culturelles est bon, mais les services à la clientèle entourant la transmission de ces productions ont besoin d'amélioration.
  • La mise en marché des arts ne tient pas suffisamment compte des besoins de l'auditoire.

Elle indiquait également ce qui suit :

Il est possible d'élaborer des méthodes adaptées qui permettront aux arts de la scène et aux arts visuels de mieux soutenir la concurrence des autres activités de loisirs au foyer et à l'extérieur et de garantir aux artistes canadiens une meilleure part du marché et une plus grande visibilité19.

Étant donné l'ampleur et l'importance de la collectivité culturelle du Canada, le Comité aimerait que Statistique Canada améliore l'actualité et la portée de ses statistiques sur la culture. Le Comité note qu'il n'y a pas autant de données aussi intéressantes sur la culture qu'il y en a sur d'autres secteurs de l'économie.

Recommandation 37

Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine canadien veille à la cueillette de données statistiques relatives à l'activité culturelle, qui soient d'une qualité et d'une actualité équivalentes à celles des données qui concernent les autres secteurs de l'économie canadienne comme les mines, l'agriculture et les industries manufacturières, les travaux étant réalisés par Statistique Canada ou par un organisme privé.

Recommandation 38

Le Comité recommande que le Profil des Canadiens consommateurs d'art du secteur des arts et du patrimoine réalisé en 1991-1992 soit mis à jour et qu'il soit étendu davantage.

Le Comité formule ces recommandations parce qu'il croit que l'existence de données à jour est essentielle à la réussite des efforts de commercialisation nécessaires à la survie et à la croissance du secteur culturel du Canada durant le prochain siècle.

Les bénévoles

Lorsqu'ils ne sont pas en train de vivre une expérience culturelle comme membres d'un auditoire, beaucoup de Canadiens participent activement à différentes formes d'expressions culturelles en tant qu'intervenants non professionnels (c.-à-d. non rémunérés) 9uvrant pour l'amour de l'art. On compte des milliers de chorales, d'orchestres, de troupes de théâtre ou de danse, d'ateliers d'arts visuels, de groupes d'auteurs, de collectifs de cinéma ou de vidéo, où les Canadiens expriment d'une façon active leur amour des arts. Pour certains, ces activités constituent une inestimable préparation à une carrière professionnelle dans le domaine artistique. Pour la plupart toutefois, cet exutoire créatif représente un genre de « participaction » culturelle, l'occasion de faire quelque chose qu'ils aiment vraiment.

Avant la Seconde Guerre mondiale, les activités communautaires constituaient dans une large mesure le pilier de la scène culturelle canadienne. Les compagnies de théâtre communautaires et non professionnelles ont existé au pays bien avant les compagnies professionnelles locales. Ainsi, à Edmonton il y avait le Walterdale Theatre; à Ottawa, le Ottawa Little Theatre; à Saint-Boniface, le Cercle Molière20. Tous ces organismes (et des dizaines d'autres) continuent de remplir une double fonction pour les Canadiens : ils permettent à l'auditoire de voir du théâtre en direct à bon marché et offrent en même temps à d'autres Canadiens la possibilité de s'exprimer sur le plan artistique. Partout au pays, ces compagnies de théâtre continuent de prospérer à côté des troupes professionnelles, vendant souvent bien à l'avance la totalité de leur saison.

La formation communautaire

Le Cercle Molière du Manitoba était une compagnie non professionnelle lorsque Gabrielle Roy y a joué dans les années 30. L'expérience qu'elle y a acquise durant sa jeunesse montre comment le théâtre non professionnel peut offrir aux Canadiens la possibilité de vivre une expérience formatrice et enrichissante pour sa carrière, un type d'expérience possible dans les deux langues officielles, comme ce fut le cas pour elle : « [. . .] j'avais eu quelque succès comme actrice dans nos troupes d'amateurs, au Cercle Molière d'abord [. . .] ensuite en anglais, au Little Theatre de Winnipeg »21.

Gabrielle Roy s'est rendue en Europe puis à Montréal où elle a travaillé comme journaliste-pigiste pendant qu'elle écrivait son premier roman, Bonheur d'occasion, publié au Québec en 1945. Deux ans plus tard, l'ouvrage paraissait en anglais sous le titre The Tin Flute et, comme l'ont fait remarquer les auteurs du rapport Massey-Lévesque en 1951, « [. . .] c'est un éditeur américain qui prit l'initiative de faire traduire et de publier en anglais Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy »22. La grande carrière littéraire de Gabrielle Roy en français et en anglais était lancée.

De petite troupe de théâtre amateur de langue française, le Cercle Molière est devenu au fil des ans une troupe professionnelle très respectée qui présente en français des pièces contemporaines et certains classiques et qui commande aussi de nouvelles oeuvres.

Le théâtre communautaire non professionnel offre également aux gens qui ne veulent pas se contenter de regarder la possibilité de se produire sur une scène. Il est un lieu de formation pour les jeunes artistes et techniciens. Feu George Ryga, auteur d'une pièce qui a fait marque dans l'histoire du théâtre canadien, The Ecstasy of Rita Joe, a monté sa première production au Walterdale Theatre d'Edmonton en 1966. En 1980, Brad Fraser, un jeune auteur albertain qui est maintenant l'un des dramaturges canadiens qui réussit le mieux du point de vue commercial, y a produit sa première pièce23.

Comme le montre l'esquisse se rapportant à Gabrielle Roy, les troupes non professionnelles continuent d'être un élément important des activités culturelles du Canada. Ces compagnies et de nombreux organismes artistiques professionnels comptent sur une petite armée de bénévoles.

Le Comité souscrit à l'idée formulée par bon nombre de témoins que les organismes artistiques et patrimoniaux du Canada doivent posséder de solides assises locales. L'appui communautaire s'imposait lorsqu'ils ont été créés et il est encore vital aujourd'hui. C'est un défi constant à relever pour ces organismes de continuer à servir les collectivités qui les soutiennent car, sans elles, il leur serait difficile, voire impossible, de survivre.

L'étroite relation qui existe entre une collectivité et ses organismes artistiques et patrimoniaux peut être en partie comprise en évoquant le modèle producteur-consommateur. D'après les témoignages entendus par le Comité, l'attrait qu'exercent les organismes artistiques et patrimoniaux locaux est attribuable en grande partie au fait qu'ils enrichissent la vie de ceux qui s'en servent. Ils stimulent la curiosité intellectuelle de l'auditoire qu'ils désirent attirer avec la promesse d'une expérience divertissante. Ils transmettent également un sentiment de fierté civique.

Les artistes, tout comme les auditoires, ont besoin de sentir qu'ils appartiennent à une collectivité. Ainsi que l'a dit Carol Shields au Comité, les artistes doivent sentir « qu'ils font partie de leur communauté, qu'il y a autour d'eux des gens qui font ce qu'ils font [. . .] Il est important pour moi de sentir une communauté d'écrivains autour de moi »24.

L'infrastructure culturelle du Canada compte pour une grande part sur la contribution de milliers de bénévoles. Ce sont des gens qui consacrent d'innombrables heures à des organismes culturels d'envergure et de types différents dans de petites et grandes localités partout au Canada. Un grand nombre de Canadiens font par ailleurs des dons aux arts de la scène et aux activités patrimoniales au Canada. À Terre-Neuve, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et au Yukon, les bénévoles sont plus nombreux que le personnel rémunéré25. Et il ne s'agit pas seulement de culture. L'Enquête nationale de 1997 sur le don, le bénévolat et la participation peint un portrait de la générosité des Canadiens. Cette année-là, huit Canadiens sur dix âgés de plus de 15 ans ont fait un don à au moins un organisme de bienfaisance et, la même année, les Canadiens ont donné quelque 4,5 milliards de dollars en appui direct à des organismes de bienfaisance et à des organismes sans but lucratif. Ils ont en outre consenti 1,3 milliard en aide indirecte comme les tirages.

Des milliers de Canadiens ont contribué au développement des organismes artistiques et patrimoniaux du Canada dans les 40 dernières années. L'apport des bénévoles et des donateurs est un élément fondamental de ces organismes. Les partenariats efficaces et productifs qui s'établissent entre le gouvernement fédéral et ces organismes populaires sont vitaux pour la croissance de ces derniers.

Les hommes est les femmes de tous âges qui offrent gratuitement leur temps et leur énergie pour aider les organismes culturels communautaires le font en qualité de simples citoyens. En 1997, trois Canadiens sur dix de plus de 15 ans ont fait du bénévolat, chacun travaillant en moyenne 149 heures26. En outre, 11,8 millions de Canadiens - une proportion incroyable de 49,5 p. 100 de la population âgée de 15 ans et plus - ont déclaré être membres d'un organisme local ou communautaire.

Le Comité prend note de ce niveau élevé d'appui de particuliers et de participation de citoyens, et il applaudit à leur générosité. Toutefois, il y a eu une baisse marquée entre 1987 et 1997 - de 191 à 149 - du nombre moyen d'heures de travail bénévole. Cette diminution témoigne de la complexité croissante de la vie moderne. Robert James, du musée Glenbow de Calgary, a proposé un programme d'encouragement :

[L]e gouvernement pourrait accorder un dégrèvement fiscal pour le bénévolat, sinon pour les heures de bénévolat, au moins pour les dépenses des bénévoles. Notre organisme ne pourrait s'en tirer sans les bénévoles, dont le travail vaut au bas mot 300 000 $ par année [. . .] nous proposons de leur accorder un dégrèvement fiscal soit pour leurs heures de travail, soit au moins pour leurs dépenses27.

Recommandation 39

Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine canadien, en consultation avec les ministères fédéraux compétents, étudie la possibilité de créer des incitatifs qui offriront aux bénévoles des dégrèvements fiscaux pour les dépenses légitimes liées à leurs activités bénévoles dans le secteur culturel.

Les enfants et les jeunes

Quelques témoins ont souligné l'importance de sensibiliser les gens aux arts dès la petite enfance. Le fait d'être exposé tôt aux arts et à la culture peut avoir de profonds effets sur la personnalité. Et l'expérience culturelle dans la tendre enfance est aussi un outil essentiel pour bâtir un auditoire. Le Comité est d'accord avec l'observation suivante dans le mémoire de la Conférence canadienne des arts :

La prospérité et la survie des arts et des entreprises culturelles dépendent pour une large part de la manière dont nous saurons intéresser la nouvelle génération de sympathisants, d'auditoires et de mécènes. C'est pourquoi la frêle infrastructure actuellement en place mérite une injection de créativité, d'imagination et d'aide gouvernementale28.

Dans son mémoire au Comité, l'Alliance pour l'enfant et la télévision a insisté sur l'importance culturelle et économique d'atteindre les jeunes Canadiens :

Nous faisons respectueusement remarquer que, si nos télédiffuseurs ne suscitent pas chez les jeunes téléspectateurs une appréciation pour des émissions télévisées traduisant le caractère unique de leur expérience en tant que jeunes Canadiens, il est peu probable que ces jeunes, lorsqu'ils seront adultes, s'intéressent à la télévision canadienne [. . .] Les émissions canadiennes pour enfants sont souvent le lieu le plus immédiat et le plus fréquent de rencontre de nos enfants avec leur culture. Elles sont d'une importance énorme pour eux et pour les créateurs de ces productions, qu'il s'agisse de musique, d'histoires, de chansons ou de films29.

Aujourd'hui, les livres, les revues, les émissions de télévision et autres supports pour enfants canadiens sont tenus en haute estime au pays comme à l'étranger. En fait, la demande étrangère offre maintenant aux créateurs canadiens de produits culturels pour enfants des débouchés sur le marché international. Au cours des 30 dernières années, le gouvernement fédéral a contribué à développer du matériel culturel pour enfants par l'intermédiaire de programmes comme celui des rencontres littéraires du Conseil des arts du Canada et les prix littéraires du gouverneur général. Cependant, le Comité a entendu répéter maintes fois qu'il fallait en faire davantage et que les programmes fédéraux ne mettaient pas suffisamment l'accent sur les auteurs et illustrateurs pour enfants.

Le Comité propose que les programmes fédéraux actuels comme ceux dont il a été question ci-dessus élargissent leur perspective de façon à englober davantage de matériel culturel pour les jeunes Canadiens. On a suggéré au Comité que les illustrateurs de livres pour enfants (en plus des auteurs) soient admissibles à un appui en vertu du programme de rencontres littéraires du Conseil des arts du Canada, et que cette admissibilité soit fondée sur l'importance de leurs illustrations dans les livres eux-mêmes.

Certaines provinces ont des programmes bien établis qui permettent d'envoyer des artistes dans les écoles pour y présenter des spectacles ou y diriger des ateliers. Ces initiatives sont précieuses car elles forment le futur public et peuvent inspirer les artistes de demain. Le Comité estime que les programmes d'artistes dans les écoles, institués par les gouvernements provinciaux, les organismes artistiques ou les artistes eux-mêmes, ou encore par une combinaison de ces trois intervenants, constituent un investissement très souhaitable qui présente de grands avantages à long terme sur le plan de la participation aux activités culturelles.

Recommandation 40

Le Comité recommande que les programmes et services fédéraux assurent l'accès aux activités et aux documents culturels pour enfants.

Recommandation 41

Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine canadien demande au Conseil des arts du Canada de revoir les orientations de sa politique et ses programmes pour garantir qu'ils reconnaissent, appuient et encouragent l'activité culturelle dans la vie des enfants.

Sources additionnelles de financement

Le gouvernement du Canada ne peut pas financer seul des initiatives aussi importantes. Le Comité reconnaît donc la nécessité d'établir et de renforcer d'autres sources de financement, par exemple les dons des secteurs privé et public, les partenariats, les consortiums, les fonds de dotation et les cercles d'« amis » d'établissements voués à la réalisation des objectifs des organismes culturels. Il est également essentiel de créer un contexte propice aux dons de particuliers.

Les organismes peuvent, en travaillant ensemble, accomplir une grande partie de ce qu'ils ne sauraient faire seuls. Plusieurs témoins ont souligné l'opportunité d'établir des liens entre les organismes culturels. Robert Janes, du musée Glenbow à Calgary, a d'ailleurs affirmé que : « cela [. . .] apparaît crucial, ajoutant que Glenbow est un établissement qui comporte quatre secteurs. Nous gérons la plus importante collection d'archives non gouvernementale au Canada »30.

Le Comité a constaté que la population canadienne, du plus petit village à la plus grande ville, est fière de son patrimoine et est souvent prête à manifester son soutien par divers moyens. Le Comité souhaiterait voir d'autres initiatives pour encourager les Canadiens dans cette voie. Comme l'actuelle période de compressions risque de durer, il faut apprendre de nouvelles façons de soutenir les organismes culturels.

Le Comité propose de pousser encore plus loin l'idée de l'établissement de liens entre les organismes, par exemple, entre les établissements publics et le monde des affaires. Le Conseil pour le monde des affaires et des arts du Canada a proposé au Comité une méthode intéressante qui pourrait être utile afin de multiplier les sources de financement des établissements du patrimoine :

[Voici à titre] d'exemple [. . .] un effort qui a eu beaucoup de succès en Angleterre. Notre homologue là-bas, soit l'Association for Business Sponsorships of the Arts, travaille de concert avec le ministère britannique du Patrimoine national à gérer un régime d'appariement dans le cadre duquel le gouvernement britannique double les fonds venus de nouveaux donateurs et commanditaires des arts. C'est une excellente façon d'attirer les gens, d'accroître le niveau de soutien de l'entreprise privée et de rendre visible le soutien fédéral des arts. La formule a donné d'excellents résultats. Elle a rapporté à peu près 110 millions de livres d'argent frais aux arts du Royaume-Uni31.

Le Comité sait que de nombreux organismes culturels du Canada ont déjà commencé à travailler en partenariat avec le secteur privé; ainsi, Bell Canada, l'Alliance Stentor et les Amis de la Bibliothèque nationale ont collaboré à l'établissement d'un fonds pour appuyer les projets de numérisation à la Bibliothèque nationale. Celle-ci réalise aussi plusieurs projets de ce genre qu'elle finance conjointement avec l'aide de dons privés et du Fonds des Collections numérisées du Rescol. D'autres projets ont donné lieu à des sites Web aussi divers que le « Fonds d'archives Glen Gould » et un autre sur la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada, (Massey-Lévesque) 1949-1951. C'est un bon début; le Comité souhaiterait que les projets de ce genre se multiplient.

Dans l'ensemble, les témoins ont transmis au Comité un message très clair : le gouvernement fédéral doit se montrer plus créatif et « nous devons définir ensemble des politiques d'avant-garde du point de vue de notre fiscalité et du point de vue d'un plus grand appareil de dons publics »32.

Recommandation 42

Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine canadien, de concert avec le ministère du Revenu et le ministère des Finances, élabore des modifications législatives afin d'encourager davantage les dons au secteur culturel.

Recommandation 43

Le Comité recommande que dans les deux ans qui suivront le dépôt du présent rapport, le ministère du Patrimoine canadien :

43.1 Parraine un projet de mise en commun de l'information en matière de collecte de fonds, d'établissement de partenariats et de sensibilisation du public;

43.2 Tienne des ateliers pour transmettre l'information recueillie aux organismes culturels canadiens, en tirant pleinement parti des plus récentes technologies.

Une dernière remarque

Les artistes canadiens savent ce que c'est que de dépendre du grand public. Chaque livre, chaque spectacle, chaque solo, chaque toile est une 9uvre incomplète sans une réaction d'un quelconque public. On trouve une des descriptions les plus poignantes de la vulnérabilité de l'artiste devant son public dans une chanson de Bruce Cockburn intitulée « Pacing the Cage », tirée d'un disque de 1996, The Charity of Night :

J'ai démontré tant de fois qui je suis
que la bande magnétique s'est usée
Et chaque fois j'étais quelqu'un d'autre
Et tout le monde se faisait prendre [. . .]
Je n'ai jamais su ce que vous voulez tous
Alors je vous ai tout donné
Tout ce que je pouvais piller
Tous les sortilèges que je pouvais chanter [. . .]33

Les images qu'évoquent les paroles de Cockburn donnent une idée des liens qui unissent les créateurs et leurs publics. Le Comité est persuadé qu'il est possible de créer une politique culturelle qui, tout en étant progressive, établit des liens entre les artistes, les collectivités et les publics. Un élément important d'une telle politique est un financement pluriannuel stable qui pourra être réalisé en partie en favorisant la collaboration entre les particuliers, le secteur privé et les organismes voués aux arts.


1 Terry Cheney, consultant, 10 février 1998.

2 Ces extraits sont tirés de tableaux de l'Annuaire du Canada, 1999, Statistique Canada, Ottawa, 1998. On trouvera des renseignements complémentaires dans Le Canada, sa culture, son patrimoine et son identité : perspective statistique, édition de 1997, Statistique Canada.

3 Statistique Canada, Enquête sociale générale, 1992.

4 Statistique Canada, « Écoute de la télévision, automne 1997 », Le Quotidien, Ottawa, 29 janvier 1999.

5 Statistiques Canada, « Les services de divertissement, un marché de consommation en croissance, 1986-1996 », Le Quotidien, Ottawa, 15 janvier 1999.

6 Statistique Canada, « Écoute de la télévision, automne 1997 », Le Quotidien, Ottawa, 29 janvier 1999.

7 Statistique Canada, « Radio, automne 1997 », Le Quotidien, Ottawa, 8 septembre 1998.

8 Statistique Canada, « Radio, automne 1997 », Le Quotidien, Ottawa, 8 septembre 1998.

9 Statistique Canada, Le Canada, sa culture, son patrimoine et son identité : perspective statistique, 1997, p. 100-108; les chiffres de 1996-1997 proviennent de « Arts d'interprétation, 1996-1997 », Le Quotidien, mardi 4 mars 1999. Sauf dans le cas des films, les chiffres s'appliquent au secteur sans but lucratif, c'est-à-dire les organismes artistiques qui sont admissibles aux fonds publics. Par exemple, le nombre de billets achetés dans le domaine de la musique exclurait la plupart des concerts rock.

10 Statistique Canada, Le Canada, sa culture, son patrimoine et son identité: perspective statistique, édition de 1997.

11 Terry Cheney, consultant, 10 février 1998.

12 Ibid.

13 Michèle Martin, Université Carleton, témoin expert, mardi 10 février 1998.

14 Sandra Macdonald, présidente, ONF, mémoire au Comité, 27 octobre 1998.

15 Robert Everett-Green, « The Great Canadian hunt for home-grown videos », The Globe and Mail, 13 juin 1996, p. C1.

16 Ibid.

17 Micheline L'Espérance-Labelle, Quebecor DIL Multimédia, Table ronde sur l'édition, 10 mars 1998.

18 Decima Research/Les Consultants Cultur'inc, Canadian Arts Consumer Profile, 1990-1991, mai 1992, p. 486

19 Ibid.

20 Oxford Companion to Canadian Theatre, Toronto, Oxford University Press, 1986, p. 86-87.

21 Gabrielle Roy, La détresse et l'enchantement, Boréal Express, p. 182.

22 Massey-Lévesque, Ottawa, 1951, p. 266.

23 Oxford Companion to Canadian Theatre, Toronto, Oxford University Press, 1986, p. 480.

24 Carol Shields, auteure, Table ronde d'Ottawa sur les arts, 10 mars 1998.

25 Statistique Canada, Le Canada, sa culture, son patrimoine, son identité : perspective statistique, édition de 1997, Ottawa, tableau 4.4.d., p. 103.

26 Statistique Canada, Le Quotidien, Ottawa, 24 août 1998.

27 Robert Janes, président, Glenbow Museum, Table ronde d'Ottawa sur le patrimoine, 10 mars 1998.

28 Conférence canadienne des arts, Rapport final du Groupe de travail sur la politique culturelle au XXIe siècle, Ottawa, juin 1988, p. 29.

29 L'Alliance pour l'enfant et la télévision, mémoire, avril 1997, p. 10.

30 Robert Janes, Glenbow Museum, Table ronde d'Ottawa sur le patrimoine, 10 mars 1998.

31 Sarah Iley, présidente, Business for the Arts, présentation, 27 octobre 1998.

32 Résumé du président du Comité, Table ronde sur le patrimoine, Ottawa, 10 mars 1998.

33 « Arpenter la cage », paroles de Bruce Cockburn. { Golden Mountain Music Corp. Utilisation autorisée.