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CHAPITRE DEUX : LES CRÉATEURS
La société canadienne a besoin des créateurs. Elle
en a extrêmement besoin parce que ce sont eux - plus que quiconque
- qui faconnent l'identité culturelle des Canadiens et leur font
prendre conscience de ce qui les caractérise et du groupe auquel
ils appartiennent.
Les créateurs, par leur tempérament inspirateur et intuitif,
bousculent souvent le statu quo et se placent à la fine pointe de
l'évolution sociale. Créateurs ou interprètes, les
artistes sont à la base de la vie culturelle du Canada, ils sont
la source du contenu culturel canadien. Sans leur engagement en tant qu'artistes
voués à leur talent et à l'expression de leur art,
les industries et les institutions culturelles du Canada seraient dominées
par une voix et une perspective étrangères.
Pierre-Marc Johnson, ancien premier ministre du Québec et aujourd'hui
président du Regroupement des événements majeurs internationaux,
l'a souligné devant le Comité lors d'une table ronde qui
a eu lieu à Montréal, en février 1999 :
La création et la production culturelles sont d'abord le fait
d'individus. Je suis profondément convaincu qu'il n'y a pas de création
et de production culturelles sans des personnes, que ce soit au niveau
de l'auteur, du compositeur, du danseur, du peintre ou de l'interprète.
Ce qui fait la force de la création, ce sont les personnes. C'est
pour ça que le milieu et l'État ont développé
une série de moyens de défense de la création1.
La Conférence canadienne des arts, a rappelé au Comité
qu'étant donné l'importance de leur contribution à
la vie culturelle du pays, les artistes canadiens méritent notre
appui :
L'un des objectifs primordiaux de la politique culturelle fédérale
doit être de bâtir une solide réserve d'artistes, de
créateurs et d'entrepreneurs qui 9uvrent pour promouvoir et développer
l'expression culturelle canadienne2.
Soutenir la créativité canadienne
L'histoire continue de l'expression créatrice et des réalisations
artistiques au Canada est riche et peuplée de personnages à
la vision singulière et au talent remarquable, comme le pianiste
innovateur Glenn Gould, dont les techniques d'enregistrement ont contribué
à modifier la relation traditionnelle entre les musiciens et leur
public, et Michel Tremblay, qui a montré que des dramaturges primés
peuvent aussi s'illustrer comme romanciers.
Quelle que soit la forme d'art, les artistes mettent leur génie
créateur au service du connu aussi bien que de l'inconnu. Ce qu'ils
produisent est perçu en fonction des traditions et des goûts
actuels mais souvent, leur travail ne reflète ni les pratiques passées
ni les tendances populaires. La politique culturelle est toujours plus
efficace lorsqu'elle peut réagir aux conditions changeantes. D'ailleurs
Iain Phillips, ainé mohawk, a affirmé au Comité que
même dans le contexte des traditions autochtones, « inévitablement,
de nouvelles formes d'expression culturelle naîtront »3.
Au cours de ses 40 ans d'existence, le Conseil des arts du Canada s'est
inscrit si profondément dans le paysage culturel que peu de Canadiens
savent à quel point la scène culturelle canadienne était
différente en 1950. L'historienne culturelle Rosemary Sullivan décrit
combien il était difficile de gagner sa vie dans le monde des arts
au Canada, au début des années 50 :
Dans les années 50, s'il vous prenait l'idée d'écrire,
la première solution était de vous enfuir du Canada à
toutes jambes. C'est ce que plusieurs ont fait : Mavis Gallant et Mordecai
Richler se sont imposés un exil en France et en Angleterre, Sinclair
Ross est parti en Espagne. Margaret Laurence a vécu hors du pays
pendant dix ans. Pourquoi? Parce qu'il n'y avait aucune assise culturelle
pour appuyer les écrivains; il n'y avait [. . .] qu'indifférence
de la part d'un public à qui on avait appris à croire qu'il
n'existait ici [au Canada] aucune culture. La littérature, c'est
quelque chose qui appartenait aux Américains et aux Européens,
morts de préférence4.
Carol Shields, distinguée romancière canadienne, a parlé
de l'époque, récemment, où les auteurs qui réussissaient
à faire publier une 9uvre au Canada faisaient plutôt figure
d'exception :
J'aimerais citer une de mes statistiques pour montrer l'ampleur de l'épanouissement
qui s'est produit peu après la création du Conseil des arts
du Canada. En 1960, on a publié cinq romans [en langue anglaise]
au Canada. C'était considéré comme une grosse année.
Il y a un an, cinq romans canadiens ont été publiés
à Londres en une semaine. Cela donne une idée du chemin parcouru.
Nos écrivains sont maintenant reconnus internationalement5.
C'est dans ce contexte que le gouvernement fédéral est
entré sur la scène des beaux-arts et des arts d'interprétation
en créant un organisme indépendant - le Conseil des arts
du Canada. Le travail accompli par la Commission Massey-Lévesque
lors de son examen de la scène artistique et culturelle canadienne,
a préparé le terrain. Toutefois, la création d'un
conseil de l'envergure imaginée par la Commission exigeait beaucoup
de fonds de démarrage. La façon dont ces fonds ont été
réunis tient à la fois de la résolution ingénieuse
de problème et d'un heureux hasard.
Un matin de 1956 à Ottawa, J. W. Pickersgill, un des plus éminents
fonctionnaires fédéraux de l'époque qui travaillait
à faire du Conseil des arts une réalité, se rendait
à pied au travail quand il a croisé John Deutsch, secrétaire
du Conseil du Trésor. Deutsch s'est mis à parler des utilisations
possibles des droits de succession de 100 millions de dollars dont le gouvernement
venait récemment d'hériter de deux millionnaires en vue,
décédés l'année précédente -
Izaak Walton Killam et sir James Hamet Dunn, qui avaient tous deux été
des industriels et des investisseurs très prospères. Pickersgill
a proposé que le gouvernement verse 50 millions de dollars pour
satisfaire une partie des besoins en capitaux des universités canadiennes
et le reste en guise de dotation au Conseil des arts6.
Deutsch a retenu la suggestion de Pickersgill et peu après l'argent
a été versé au Conseil.
Cette façon ingénieuse d'élaborer une politique
est un thème qui revient souvent dans l'histoire du soutien fédéral
à la culture et aux arts. C'est une démarche qui tient compte
des besoins réels; elle est adaptée aux intérêts
du milieu et évite toute impression d'ingérence du gouvernement
fédéral en matière d'expression culturelle.
De nos jours, ces mêmes éléments - un leadership
gouvernemental, une façon novatrice de résoudre les problèmes,
un mélange de commandites commerciales, de dons et de financement
gouvernemental direct - font partie de la recette utilisée pour
appuyer la culture au Canada. Ce qui diffère toutefois aujourd'hui,
c'est l'envergure et l'intensité du secteur culturel. Il serait
exagéré de prétendre que l'épanouissement de
la vie artistique canadienne ne s'est réalisée que simplement
en raison de l'influence exercée par la Commission Massey-Lévesque
ou qu'à la suite de la création du Conseil des arts du Canada.
Cela ne rendrait pas justice aux nombreux pionniers canadiens qui, grâce
à leur dévouement et leur esprit inventif, ont réussi
à mener une carrière sans aucune aide gouvernementale de
quelque nature. Le fait demeure toutefois que depuis 1957, la contribution
du gouvernement fédéral aux arts a été énorme.
Depuis sa création, le Conseil des arts du Canada a bel et bien
soutenu le travail de milliers d'écrivains et d'artistes canadiens,
dont bon nombre sont maintenant connus à l'échelle mondiale.
Chaque année, s'ajoutent à la liste d'illustres artistes
canadiens reconnus tant sur la scène internationale que d'un bout
à l'autre du pays. Aujourd'hui, le milieu artistique canadien a
un caractère véritablement national avec ses écrivains,
ses compositeurs, ses musiciens, ses cinéastes, ses artistes et
ses interprètes 9uvrant dans tous les coins du pays. Leurs réalisations
et leur réussite attestent de la qualité de leur travail
au Canada et à l'étranger. Le Comité estime essentiel
de maintenir la vitalité actuelle des créateurs canadiens
et d'étendre, tant au pays qu'à l'étranger, l'appréciation
de leurs 9uvres culturelles. C'est avec cet objectif en tête que
le Comité s'est attelé à la tâche d'examiner
le rôle que doit jouer le gouvernement fédéral pour
soutenir les arts et la culture au Canada au cours des années à
venir.
Au cours de ses délibérations, le Comité a entendu
des créateurs indépendants et des représentants des
grands organismes fédéraux responsables des arts et des organismes
de services du domaine des arts7.
Leurs témoignages dépeignent un secteur culturel sain, vigoureux
et très mûr. En effet, l'impression principale qui se dégage
du milieu culturel canadien est celle du plein épanouissement.
Terry Cheney, chercheur à Ottawa, a cité des statistiques
intéressantes concernant la main-d'9uvre culturelle actuelle :
Quelles sont les caractéristiques particulières des travailleurs
du domaine culturel? Comme vous le savez sans doute, leur nombre est étonnamment
élevé. Même si on définit de façon assez
étroite cette catégorie de travailleurs, elle représente
environ 1,5 p. 100 de la population active, ce qui signifierait que les
travailleurs de ce secteur sont encore plus nombreux que ceux des fameux
secteurs des pêches, des mines et des forêts8.
Il est difficile de comparer les statistiques culturelles parce que
les critères pour rendre compte des données au fil des ans
ne sont pas uniformes. Différentes définitions ont été
utilisées et elles englobent souvent des activités comme
les sports et les activités récréatives. Malgré
tout, à partir d'une définition restrictive du terme «
artiste », les données de Statistique Canada montrent qu'en
1994 (l'année la plus récente pour laquelle il existe des
données comparatives complètes), le secteur contribuait pour
près de 700 000 emplois et générait une activité
économique de presque 22 milliards de dollars. Le secteur culturel
représentait aussi 5,2 p. 100 de la population active canadienne.
(Voir le tableau 2.1).
Tableau 2.1
Population active canadienne par branche d'activité précise,
19949
Le Comité abonde dans le sens des témoins qui soulignent
le plein épanouissement du secteur culturel au Canada. Toutefois,
les niveaux de revenus des créateurs ne reflètent pas toujours
cet état d'épanouissement, comme le montre le tableau A-2
à l'annexe 4. Par exemple, un sondage effectué en 1993 par
Statistique Canada sur la population active révèle que certains
artistes créateurs canadiens (p. ex. chez les peintres et les écrivains)
gagnent des revenus considérablement inférieurs (entre 25
et 50 p. 100) à ceux d'autres emplois dans le secteur culturel10.
Les subventions accordées à des créateurs
La plupart des créateurs se trouvent à soutenir financièrement
la création de leur poésie, de leurs peintures, de leurs
sculptures, de leurs scénarios et autres 9uvres d'art, et ce, sur
de longues périodes. Comme l'a souligné Heather Redfern du
Catalyst Theatre d'Edmonton :
[L]es plus gros subventionneurs des arts au pays sont les artistes [eux-mêmes]
et ceux qui travaillent dans le domaine des arts, en raison des salaires
peu élevés qu'ils reçoivent pour le travail qu'ils
font et en raison de tout le bénévolat qu'ils doivent faire
pour maintenir leurs sociétés à flot11.
La production de certaines 9uvres s'étend sur plusieurs années.
Le Comité est conscient que l'aide financière à court
terme offerte par le Conseil des arts du Canada en guise de soutien du
revenu est limitée. Du point de vue du Comité, il est tout
aussi important d'investir dans les arts que d'investir dans les sciences
sociales et humaines, dans les sciences pures ou dans la médecine.
Le Comité est également au courant des engagements à
long terme pris à l'égard des chercheurs et des boursiers
par d'autres organismes financés par les organismes du gouvernement
fédéral et aimerait que le gouvernement fédéral
s'engage de la même façon envers les artistes canadiens.
Au fil des ans, quelques efforts ont été déployés
pour soutenir le revenu des créateurs, mais les mesures actuelles
restent modestes. Le Conseil des arts du Canada verse de petites subventions
ponctuelles à des artistes à titre individuel, habituellement
sur décision d'un jury12.
Les écrivains peuvent toucher des subventions à court terme
d'une valeur maximale de 20 000 $, lesquelles sont destinées à
compenser les frais de subsistance et sont offertes pour une période
maximale d'un an13.
Cela fait nettement contraste avec les subventions offertes par les conseils
canadiens de recherches qui assurent un soutien important pendant de nombreuses
années. Ainsi, un chercheur qui reçoit une bourse de recherche
Killam peut toucher plus de 53 000 $ par année pendant plus d'un
an. Le Conseil s'attend à ce que le boursier continue de toucher
un plein salaire pendant toute la durée de la bourse14.
Le Comité estime que l'appui aux différents créateurs
devrait être substantiellement accru. Si les principaux conseils
de recherches au Canada - notamment le Conseil de recherches en sciences
humaines, le Conseil de recherches médicales et le Conseil de recherches
en sciences naturelles et en génie - voient la nécessité
d'offrir une aide substantielle aux chercheurs, il serait amplement justifié
d'apporter le même type d'aide aux communautés créatrices
du Canada. Comme il est mentionné précédemment, le
Conseil des arts du Canada administre déjà un programme destiné
à venir en aide aux artistes méritants. Cette aide n'est
toutefois pas comparable aux bourses d'études et aux autres programmes
d'aide administrés par les conseils de recherches - en particulier
le Conseil de recherches en sciences humaines. Le Comité appuie
les politiques mises en 9uvre par les différents conseils de recherches
et reconnaît la nécessité d'offrir aux chercheurs universitaires
un important appui financier sur de longues périodes. Le Comité
estime toutefois que les différents créateurs canadiens sont
tout aussi méritants, et que leurs besoins financiers sont tout
aussi grands. Par conséquent, ils devraient avoir droit à
des niveaux d'aide financière comparables à ceux offerts
à l'heure actuelle aux chercheurs universitaires.
Le Comité reconnaît qu'il est nécessaire d'appuyer
des chercheurs universitaires pendant de longues périodes, mais
de nombreux créateurs lui ont parlé de leur malaise devant
le manque d'appui accordé aux créateurs à titre individuel,
tout en exprimant leur gratitude pour les modestes sommes mises à
leur disposition.
Le Comité reconnaît que la prestation éventuelle
d'une aide financière importante aux artistes et aux créateurs
à titre individuel est une question complexe et que bien des aspects
de la politique actuelle ont été décidés il
y a bien des années. La question revêt toutefois une telle
importance que le Comité formule les recommandations suivantes :
Recommandation 1
Le Comité recommande :
1.1 Que le Conseil des arts du Canada, en tant que principale source
fédérale de soutien aux créateurs, continue de leur
verser des subventions leur permettant de consacrer tout leur temps à
un projet de création. Le gouvernement du Canada devrait encourager
le soutien à long terme aux créateurs, sous une forme durable.
1.2 Que les ressources additionnelles nécessaires pour que
le Conseil des arts puisse mettre en 9uvre la recommandation 1.1 lui soient
fournies.
1.3 Que le ministère du Patrimoine canadien, en collaboration
avec le Conseil des arts du Canada, élabore un plan afin d'obtenir
les ressources nécessaires au fonds dont la création a été
proposée à la recommandation 1.2, et fasse rapport au Comité
dans l'année qui suivra le dépôt du présent
rapport.
Il faut reconnaître l'importance non seulement de l'appui direct
recommandé ci-dessus, mais aussi du soutien assuré grâce
au travail d'organismes culturels comme l'Office national du film et la
Société Radio-Canada. Des responsables du Conseil des arts
ont fait savoir au Comité qu'un certain nombre de nouvelles initiatives
avaient été mises en 9uvre15.
Le Comité a été informé des nouvelles priorités
du Conseil en matière de financement et appuie l'augmentation annuelle
de 25 millions de dollars que le gouvernement fédéral a consenti
au Conseil des arts du Canada pour une période de cinq ans, à
compter de 1997-1998. Le Conseil pourra ainsi renforcer ses programmes
de base destinés à appuyer les créateurs, tout en
soutenant des domaines d'activités importants, soit le développement
des peuples autochtones, la diversité culturelle, les initiatives
internationales et les festivals. Le Comité estime toutefois qu'il
faut faire encore davantage dans le domaine du travail indépendant.
Le travail indépendant
Bien des créateurs, notamment des écrivains, des concepteurs,
des artisans et des musiciens, sont des travailleurs autonomes. Ils ne
sont pas uniques à cet égard. Selon les données de
1994 fournies par Statistique Canada, plus de 18 p. 100 de la population
active canadienne serait constituée de travailleurs autonomes, comparativement
à 12 p. 100 aux États-Unis. En fait, le travail indépendant
est la seule catégorie d'emploi qui ait connu une croissance soutenue
au cours des 10 dernières années. Au moins 80 p. 100 de la
croissance de la population active canadienne enregistrée dans les
années 90 s'explique par l'augmentation du nombre de travailleurs
autonomes, comparativement à moins de 10 p. 100 aux États-Unis
pour la même période16.
Cette transformation spectaculaire des tendances de l'emploi est en grande
partie attribuable à l'évolution des tendances démographiques
et aux changements structuraux qui se sont produits dans l'économie
canadienne.
L'augmentation du nombre de travailleurs autonomes au Canada engendre
des défis de taille à l'égard du filet de sécurité
sociale du pays, et soulève d'importantes questions en matière
de lois, de santé, d'assurance et de fiscalité. Au Canada,
le système d'assurance-santé, l'assurance-emploi, le droit
du travail et les régimes de retraite reposent en grande partie
sur l'hypothèse voulant que la main-d'9uvre se compose d'employés
salariés plutôt que de travailleurs indépendants. Bon
nombre de ces questions ont été soulevées par des
personnes s'intéressant au statut de l'artiste, mais elles ont des
répercussions sur une grande partie de la population active du Canada.
Même si ses préoccupations portent surtout sur la vie culturelle
au Canada, le Comité est également conscient que tous les
Canadiens doivent composer avec les importantes transformations des structures
de l'emploi au Canada. Il estime donc que la clarification des droits et
des obligations des travailleurs autonomes revêt une importance cruciale.
La question du travail indépendant est complexe et relève
à la fois de la compétence du gouvernement fédéral
et des provinces. Le Comité est au courant des importants travaux
qu'effectue à l'heure actuelle le Réseau canadien de recherche
en politiques publiques sur la question de la transformation des relations
de travail au Canada. Cela étant dit, il estime qu'il devrait y
avoir d'autres initiatives.
Recommandation 2
Le Comité recommande :
2.1 Que le ministère du Patrimoine canadien veille à
ce que les initiatives fédérales permanentes servant à
l'examen des questions relatives au travail indépendant visent aussi
les intérêts des artistes et des créateurs qui sont
des travailleurs autonomes.
2.2 Que le ministre du Patrimoine canadien crée un groupe
d'étude sur le travail indépendant dans le secteur culturel.
Le groupe d'étude devrait comprendre des représentants du
ministère du Revenu, du ministère des Finances et du ministère
du Développement des ressources humaines, et il devrait présenter
des recommandations au bout d'un an au plus tard.
De nos jours, les créateurs canadiens peuvent trouver rassurant
de savoir qu'il existe un cadre solide pour encourager et soutenir leurs
réalisations artistiques et culturelles. Loin d'être parfait,
ce cadre s'est tout de même révélé utile pour
soutenir les efforts de quelques milliers d'artistes créateurs.
Le Comité a à c9ur de renforcer et d'améliorer ce
cadre. Bien sûr, les conditions dans lesquelles les créateurs
évoluent peuvent aussi être améliorées. Le Comité
est conscient du fait que les niveaux de revenus des créateurs canadiens
- en particulier ceux des écrivains et des créateurs d'art
visuel - sont souvent inférieurs à ceux d'autres personnes
qui travaillent dans le secteur culturel17.
Il n'appartient pas au gouvernement de déterminer quelles réalisations
artistiques valent plus ou moins que d'autres mais, de l'avis du Comité,
les disparités frappantes de revenu d'une discipline culturelle
à l'autre justifient une étude et la prise de mesures appropriées.
Un autre domaine dans lequel il faut agir est celui des possibilités
que les nouvelles technologies offrent aux créateurs.
Nouvelles technologies - Nouveaux défis
La rencontre des nouvelles technologies - notamment la technologie informatique,
la technologie numérique, Internet, les systèmes de communication
par câble et par satellite, la radiodiffusion numérique comprimée
et la technologie des fibres optiques - risquent de modifier pour toujours
les liens traditionnels existant entre les créateurs et leurs publics.
Or il est difficile de suivre toutes ces transformations. Dans le passé,
on a eu tendance à imposer des régimes de réglementation
afin de régir l'utilisation de ces techniques. Les gouvernements
en particulier sont mis à l'épreuve à cet égard
car leur mode de fonctionnement n'est pas conçu pour réagir
rapidement aux changements. Cependant, de tels délais sont souvent
coûteux. Par exemple, le gouvernement fédéral a mis
presque 10 ans à faire passer de la première phase à
la deuxième les nouvelles dispositions législatives en matière
de droit d'auteur au Canada.
Le Comité a reçu des témoignages intéressants
mais contradictoires concernant le rôle des nouvelles technologies
sur différentes formes d'activités créatives. Un témoin
a affirmé que la technologie n'avait absolument aucune incidence,
du moins dans son domaine : « La nouvelle technologie [. . .] faisait
partie intégrante de notre mode de vie dès que nous avons
cessé de taper sur des os pour en sortir des sons »18.
Un autre témoin a déclaré que la nouvelle technologie
a eu de profondes répercussions sur le processus créateur
: « Notre rôle a changé avec l'arrivée [de nouvelles]
technologies. On ne garde plus uniquement du papier. On garde de l'information,
quel que soit le support sur lequel elle se trouve »19.
Selon un autre encore, les nouvelles technologies sont principalement des
vecteurs de changement quant à la façon dont les produits
artistiques sont créés :
« [C]e qui a véritablement changé dans notre secteur,
c'est la technologie qui sert à faire des livres. Je pense ici à
la capacité de composition et aux techniques de balayage [c.-à-d.
numérisation] qui permettent de produire des livres à moindre
coût qu'auparavant. Nous pouvons produire des livres en deux semaines,
ou même deux jours, si cela est vraiment nécessaire. La technologie
a ainsi permis au secteur de l'édition d'améliorer sa capacité
de produire des livres »20.
Robert Lepage
Robert Lepage est un exemple remarquable d'un créateur canadien
innovateur qui est devenu l'un des artistes de la scène les plus
recherchés partout dans le monde. Lepage a été un
pionnier de la création collective, une façon nouvelle de
concevoir et de présenter des pièces avec une troupe de comédiens.
Ses productions franchissent les frontières traditionnelles du théâtre,
de la danse et des arts du spectacle. Lepage travaille en étroite
collaboration avec des comédiens, des créateurs de décor
et de costumes, des chorégraphes et des musiciens. Ensemble, ils
créent des 9uvres d'art qui ont leur racine dans les riches traditions
culturelles du théâtre, de la danse et du cinéma.
Outre les productions révolutionnaires comme La trilogie du
dragon, Les plaques tectoniques et Les sept branches de la rivière
Ota, Lepage a dirigé un opéra pour la
Compagnie d'opéra canadienne (Canadian Opera Company) et il
a réalisé des films novateurs comme Le Confessionnal, Le
Polygraphe et Nô.
Lepage et ses collaborateurs continuent de faire appel aux nouvelles
technologies pour créer de nouvelles formes de spectacle. Durant
un atelier à l'intention des gens de théâtre à
Toronto, en 1997, Lepage a déclaré :
Nous avons affaire aujourd'hui à un auditoire qui a assimilé
une multitude de modes d'expression narratifs très avancés.
Je ne dis pas qu'il faille devenir plus filmiques ou plus télévisuels,
mais nous devons trouver un moyen d'attirer cet auditoire au théâtre.
Le film était censé avoir tué le théâtre,
mais il l'a plutôt libéré. Chaque fois qu'il se produit
une révolution technologique, l'artiste a une raison de plus d'espérer21.
La population canadienne a toujours été exposée
aux nouveautés technologiques, et a dû en tenir compte. La
génération actuelle n'est pas la première à
cet égard. Lorsque sir Wilfrid Laurier était premier ministre,
les « nouvelles » technologies du jour étaient la téléphonie,
le cinéma et l'enregistrement sonore sur des cylindres de cire.
De la même façon, pendant le mandat de sir Robert Borden,
la nouvelle technologie, c'était la radio.
Il est essentiel que le gouvernement du Canada soit capable d'accélérer
sa réaction. Pour ce faire, il doit planifier afin de mettre en
place les personnes voulues, de disposer de l'information nécessaire
et d'examiner au préalable toutes les options de politique pertinentes.
Protéger les créateurs dans la société de l'information
Quand ils pensent aux produits culturels, les Canadiens songent habituellement
à des objets précis comme des livres, des films, de la musique
en feuille, des enregistrements ou des peintures. Toutefois, le fait d'appliquer
la technologie numérique à de tels produits comme les livres,
les photos, les enregistrements sonores et d'autres ajoute dorénavant
une dimension électronique aux produits culturels traditionnels.
Cela signifie qu'ils peuvent être facilement copiés et transmis
pratiquement n'importe où dans le monde. Il devient donc extrêmement
difficile pour les artistes et autres créateurs de produits culturels
de protéger leurs 9uvres.
Comme on l'a souligné dans un des documents de travail soumis
au Comité :
[L]es changements technologiques actuels sont encore plus profonds que
ceux auxquels nous avons fait face par le passé. L'adoption de ce
qui se résume à un langage informatique commun et universel
qui permet la transmission continue de « bits » numériques
à partir et à destination de n'importe quel endroit dans
le monde constitue un changement clé22.
Certains estiment qu'en cette nouvelle ère, la capacité
d'exercer les droits prévus par la Loi sur le droit d'auteur
sera source de fortune pour les nations23;
le Comité est du même avis. Lors d'une table ronde, Eddie
Bayens, un musicien, a exprimé son point de vue sur la législation
destinée à protéger les artistes :
Il faut protéger [la part des recettes de l'exécutant
dans le cadre] des droits des interprètes, des droits voisins, des
droits d'auteur, sans oublier les droits de recherche et de récupération
numériques et de reproduction24.
Bien qu'il faille protéger les exécutants, il importe
tout autant de donner à tous les créateurs le droit de contrôler
l'exploitation numérique de leurs 9uvres. Lorsqu'il s'est présenté
devant le Comité, l'auteur John Gray a abordé la question
en ces termes : « ce qu'il faut en réalité, c'est un
ensemble d'interventions nationales et d'accords internationaux »25.
Dans le domaine de l'édition de livres, le ministère du
Patrimoine canadien offre un appui à la production de livres imprimés
et reliés traditionnellement, alors qu'il existe relativement peu
de fonds pour la conception de produits sous forme électronique.
De la même façon, tel qu'indiqué au chapitre cinq sur
la préservation, les musées, archives et bibliothèques
ont besoin de ressources pour numériser leurs collections. Avec
ces considérations à l'esprit, le Comité formule les
recommandations suivantes26
:
Recommandation 3
Le Comité recommande :
3.1 Que les programmes fédéraux actuels appuient aussi
la création de produits traditionnels (livres, musique, films et
images) sous forme électronique. De plus, le ministère du
Patrimoine canadien, en consultation avec le ministère de l'Industrie
et le ministère des Finances, devrait encourager l'investissement
dans les entreprises qui commercialisent et vendent l'accès à
ces produits.
3.2 Le ministre du Patrimoine canadien, en consultation et conjointement
avec le ministre de l'Industrie et le ministre des Finances, élabore
une stratégie pour mettre en 9uvre la recommandation 3.1.
La propriété intellectuelle et la réforme de la législation sur le droit d'auteur
Cinq lois fédérales assurent la protection de la propriété
intellectuelle : la Loi sur le droit d'auteur, la Loi sur les
brevets, la Loi sur les marques de commerce, la Loi sur les
dessins industriels et la Loi sur les topographies de circuits intégrés.
L'une des plus importantes, du point de vue des créateurs, est la
Loi sur le droit d'auteur, laquelle subit sans cesse des modifications
en fonction des changements technologiques. Un des éléments
du processus de modification est la mise en 9uvre des obligations découlant
de deux nouveaux traités adoptés par l'Organisation mondiale
de la propriété intellectuelle (OMPI), soit le Traité
sur le droit d'auteur et le Traité sur les interprétations
et exécutions et les phonogrammes.
Ces traités ont été négociés dans
le contexte d'une action internationale face aux défis des technologies
numériques, particulièrement Internet. Ils représentent
une nouvelle série de règles internationales pour l'utilisation
et la protection d'9uvres numériques et visent à établir
dans les pays signataires un cadre juridique favorisant le développement
ordonné de l'échange d'9uvres numérisées à
l'échelle internationale.
Le Canada a signé les deux traités en décembre
1997. Cependant, en vertu des dispositions législatives canadiennes,
le fait de signer un traité ne suffit pas pour lui donner force
de loi au Canada. Il faut, pour donner suite aux obligations prises en
vertu d'un traité, adopter ou modifier des lois canadiennes à
cette fin27.
Recommandation 4
Il convient que, dès que possible, le gouvernement présente
et le Parlement adopte des mesures législatives mettant en 9uvre
les deux traités de l'Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle (OMPI).
Recommandation 5
Le gouvernement fédéral devrait prendre des mesures
appropriées pour faire en sorte que la législation sur le
droit d'auteur soit modifiée afin de tenir compte de l'évolution
technologique.
La Loi sur le droit d'auteur représente l'une des mesures
fédérales destinées à garantir les droits des
créateurs, rendre ces derniers admissibles à des indemnisations
en vue de l'utilisation de leurs 9uvres et les protéger contre l'exploitation
et l'utilisation non autorisées de leurs 9uvres. Une autre loi fédérale
qui reconnaît la contribution des créateurs est la Loi
sur le statut de l'artiste. Le Comité appuie les principes de
cette loi, qui figurent aux articles 2 et 3 de la loi, lesquels articles
sont reproduits ci-après :
a) l'importance de la contribution des artistes à l'enrichissement
culturel, social, économique et politique du Canada;
b) l'importance pour la société canadienne d'accorder
aux artistes un statut qui reflète leur rôle de premier plan
dans le développement et l'épanouissement de sa vie artistique
et culturelle, ainsi que leur apport en ce qui touche la qualité
de la vie;
c) le rôle des artistes, notamment d'exprimer l'existence collective
des Canadiens et Canadiennes dans sa diversité ainsi que leurs aspirations
individuelles et collectives;
d) la créativité artistique comme moteur du développement
et de l'épanouissement d'industries culturelles dynamiques au Canada;
e) l'importance pour les artistes de recevoir une indemnisation pour
l'utilisation, et notamment le prêt public, de leurs 9uvres.
Fondements de la politique
3. La politique sur le statut professionnel des artistes au Canada,
que met en 9uvre le ministre des Communications, se fonde sur les droits
suivants :
b) le droit des associations représentant les artistes d'être
reconnues sur le plan juridique et d'9uvrer au bien-être professionnel
et socio-économique de leurs membres;
c) le droit des artistes de bénéficier de mécanismes
de consultation officiels et d'y exprimer leurs vues sur leur statut professionnel
ainsi que sur toutes les autres questions les concernant28.
Lors de sa présentation au Comité, la Conférence
canadienne des arts a formulé la remarque suivante :
Depuis l'adoption de la législation fédérale, ni
Ottawa ni les provinces n'ont accompli quoi que ce soit de nouveau à
[l'égard du statut de l'artiste]. C'est pourquoi les travailleurs
indépendants du secteur culturel pâtissent des conflits de
plus en plus aigus entre les orientations et les programmes gouvernementaux
sur des questions aussi cruciales que la fiscalité, la formation
et le perfectionnement, ou l'admissibilité à l'assurance-emploi29.
Le Comité est persuadé qu'il sera difficile d'améliorer
le statut de l'artiste dans la société canadienne sans la
collaboration et la participation des provinces. Les dispositions législatives
fédérales actuelles touchant le statut de l'artiste ne pourront
être efficaces que si elles sont conjuguées à des dispositions
provinciales complémentaires. Par conséquent :
Recommandation 6
Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine
canadien invite ses homologues provinciaux à adopter des mesures
législatives d'appoint relativement au statut de l'artiste.
Le chapitre a commencé en affirmant que « la société
canadienne a besoin des créateurs ». Le gouvernement du Canada
doit les soutenir, les reconnaître et les valoriser.
1 Pierre-Marc
Johnson, président, Regroupement des événements majeurs
internationaux, Table ronde de Montréal, 25 février 1999.
2 Conférence
canadienne des arts, Groupe de travail sur la politique culturelle au
XXIe siècle, présentation au Comité permanent
du patrimoine canadien (ci-après, le Comité), p. 17.
3 Iain
Phillips, témoignage, devant le Comité, 22 avril 1999.
4 Rosemary
Sullivan, Perspectives on Canadian Cultural Policies, conférence,
Ottawa, 20 mars 1997.
5 Carol
Shields, auteure, Table ronde d'Ottawa sur les arts, 10 mars 1998.
6 Paul
Litt, The Muses, the Masses and the Massey Commission, University
of Toronto Press, Toronto, 1992, p. 241-242.
7 Voir
la liste complète à l'annexe 2.
8 Terry
Cheney, témoignage devant le Comité, 10 février 1998.
9 Statistique
Canada, La santé et la vitalité du secteur culturel en
Colombie-Britannique, Division de l'éducation, de la culture
et du Tourisme, Victoria, 1997, p. 166.
10
Voir à l'annexe 4, le tableau A-2.
11
Heather Redfern, Catalyst Theatre, Table ronde d'Edmonton, 24 février
1999.
12
Selon le 41e rapport annuel du Conseil des arts du Canada, le Conseil a
versé en 1997-1998, 4 593 subventions à des artistes et à
des organismes artistiques; les artistes professionnels ont reçus
7 349 000 $ en subventions et les organismes artistiques 76 273 000 $.
13
Renseignements sur le programme tirés du site Internet du Conseil
des arts, <http://www.canadacouncil.ca>
14
Ibid., en 1998, neuf nouveaux boursiers Killam ont été
annoncés.
15
Conseil des arts du Canada, mémoire au Comité.
16
D. Sunter, « Comparaison entre les marchés du travail du Canada
et des États-Unis », L'observateur économique canadien,
Statistique Canada, décembre 1998, p. 3.1.
17
Voir les tableaux A-2, A-3 et A-4 à l'annexe 4.
18
Eddie Bayens, musicien, Table ronde d'Ottawa sur les arts, 10 mars 1998.
19
Diane Charland, présidente, Conseil canadien des archives, Table
ronde d'Ottawa sur le patrimoine, 10 mars 1998.
20
Jack Stoddart, éditeur, Table ronde d'Ottawa sur l'édition,
10 mars 1998.
21
Robert Lepage cité par Richard Ouzounian, « Theatre: Canada's
most renowed stage talent refuses to be a prisoner of convention »,
The Globe and Mail, 12 août 1997.
22
Stentor, document de travail soumis au Comité, avril 1998, p. 39.
23
Charles C. Mann, « Who will own your next good idea? », The
Atlantic Monthly, septembre 1998.
24
Eddie Bayens, musicien, Table ronde d'Ottawa sur les arts, 10 mars 1998.
25
John Gray, auteur, témoin-expert, 12 février 1998.
26
Les questions ayant trait à la préservation sont traitées
dans les recommandations portant sur la conservation.
27
Des éditeurs, des radiodiffuseurs publics et privés, des
écrivains et la Conférence canadienne des arts ont abordé
les questions relatives au droit d'auteur lors de leurs témoignages.
28
Loi sur le statut de l'artiste, L.R.C. 1995, ch. 19.6, articles
2 et 3.
29
Conférence canadienne des arts, Groupe de travail sur la politique
culturelle au XXIe siècle, présentation au Comité,
p. 20.