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FINA Rapport du Comité

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MANDAT

Le traitement fiscal des familles ayant des enfants à charge est devenu l'objet d'un grand débat dans la presse, au sein de la population et à la Chambre des communes. Des craintes ont été exprimées au sujet du niveau de vie des familles canadiennes, de la politique fiscale et du sentiment que le soutien du gouvernement aux familles ayant des enfants s'est dégradé avec le temps.

Le 4 mars 1999, l'opposition officielle a déposé à la Chambre des communes la motion suivante : Que, de l'avis de la Chambre, le régime fiscal fédéral devrait être réformé afin de mettre fin à la discrimination contre les familles à revenu unique. En raison de la multiplicité des opinions qui ont été exprimées lors du débat que cela a suscité, le ministre des Finances a demandé au Comité permanent des finances d'examiner la question. Le 17 mars 1999, le Comité permanent a adopté la motion suivante :

Que le Comité permanent des finances établisse un sous-comité en vue d'examiner les conséquences sur les familles canadiennes du régime d'impôt sur le revenu. Cette enquête portera sur l'impact des politiques fédérales et déterminera si elles traitent les familles ayant des enfants à charge de manière équitable.

Le Sous-comité examinera la situation des différents types de familles (familles monoparentales, familles biparentales à salaire unique, familles biparentales à double salaire) ayant divers niveaux de revenu, afin de déterminer si les objectifs mentionnés ci-dessus sont régulièrement atteints.

À cet égard, le Sous-comité entendra des témoins experts et d'autres parties intéressées, et transmettra ses conclusions au Comité permanent des finances avant le 15 juin 1999. Le rapport du Sous-comité devra comprendre des estimations de l'incidence financière sur les familles et des conséquences fiscales pour le gouvernement de toute recommandation qui pourrait être formulée.

Aux fins de notre étude, nous avons supposé que les caractéristiques fondamentales du régime fiscal actuel seront maintenues, notamment le principe de la structure progressive des taux et le fait que le particulier est l'élément fondamental du régime.

Pour amorcer son étude, le Sous-comité a entendu les représentants de Condition féminine Canada, puis du ministère des Finances, et de Développement des ressources humaines Canada. Par la suite, toute une gamme d'experts et de personnes ont comparu devant lui à Ottawa et partout au pays.

Comme l'indique le mandat du Sous-comité, l'étude était perçue initialement comme un travail de comparaisons fiscales. Pendant nos déplacements à l'intérieur du pays, nous avons rencontré beaucoup de citoyens qui nous ont aidés à donner une dimension humaine au problème. Nous avons pris connaissance des choix que les parents doivent faire lorsqu'ils ont des enfants, des sacrifices qu'ils s'imposent, et des défis qu'ils doivent relever. C'est pour cette raison que nous allons au-delà de notre mandat initial en présentant ce rapport.

Le débat en cours sur le traitement fiscal des familles ayant des enfants à charge s'est focalisé sur la Loi de l'impôt sur le revenu. Or les prestations versées aux familles n'étant pas accordées, pour un grand nombre d'entre elles, dans le cadre du régime d'imposition du revenu, il faut analyser ensemble le régime fiscal et les programmes de prestations sociales pour juger de l'équité du système.

Avant la réforme du système de prestations pour enfants opérée en 1992, le régime d'imposition du revenu des particuliers comportait un crédit non remboursable pour les enfants à charge dont pouvaient se prévaloir tous les contribuables. Les familles avec enfants étaient également admissibles à des allocations familiales et à un crédit d'impôt pour enfants. Ces mesures reconnaissaient le coût associé au fait d'élever des enfants. Toutefois, par suite des réformes de 1992, le crédit d'impôt non remboursable, les allocations familiales et le crédit d'impôt pour enfants ont été amalgamés, par mesure d'économie, en un seul programme aujourd'hui connu sous le nom de Prestation fiscale canadienne pour enfants. Depuis ces réformes, le régime d'imposition du revenu personnel ne contient plus de dispositions générales reconnaissant ce que coûte aux familles le fait d'élever des enfants. (Voir, à l'annexe C, l'historique des prestations pour enfants et, à l'annexe D, un résumé des paiements de transfert et des mesures fiscales visant les familles avec enfants.)

Au Canada, l'unité de base pour l'imposition du revenu personnel est l'individu, et non la famille. Bien que la situation familiale soit prise en compte dans l'établissement de l'admissibilité à certaines dispositions fiscales, chaque individu disposant d'un revenu imposable est soumis à l'impôt à titre individuel. De plus, le régime fédéral d'imposition du revenu personnel est progressif, ce qui signifie que le montant d'impôt à verser dépend de la capacité de payer du contribuable. Actuellement, la première tranche de 29 590 $ de revenu imposable est imposée au taux fédéral de 17 p. 100. La tranche suivante de 29 590 $ est imposée au taux de 26 p. 100. Le revenu imposable supérieur à 59 180 $ est imposé au taux de 29 p. 100. Les taux d'imposition provinciaux moyens représentent 50 p. 100 environ du taux d'imposition fédéral de base.

La Loi de l'impôt sur le revenu contient trois dispositions qui peuvent concerner directement ou indirectement les enfants. Lorsque son conjoint ne dispose d'aucun revenu ou que d'un revenu faible, le contribuable peut réclamer un crédit non remboursable de personne mariée, souvent appelé exemption de marié. Cette disposition s'applique aux couples dont l'un des membres assure personnellement les soins aux enfants à son domicile, mais également aux couples sans enfants ou aux couples dont les enfants sont adultes et dont l'un des membres seulement a un emploi rémunéré. Deuxièmement, les contribuables sans conjoint ayant des membres de la famille ou autres personnes à charge admissibles peuvent réclamer l'équivalent de l'exemption de marié. Chacune de ces mesures est appréciable, même pour les contribuables sans enfants, et ne concerne pas exclusivement les familles avec enfants.

La Déduction pour frais de garde d'enfants, dont peuvent se prévaloir les couples dont les deux membres gagnent un revenu et qui ont des frais de garde d'enfants, constitue la troisième disposition. Les familles monoparentales ayant un revenu gagné peuvent également la réclamer. N'y ont pas droit les familles dont un des parents assure personnellement les soins aux enfants à domicile, même s'ils ont des frais de garde d'enfants, comme des frais de maternelle. C'est la dernière disposition fiscale qui porte directement sur les dépenses engagées pour élever des enfants, mais, comme nous l'avons déjà noté, les familles avec enfants ne peuvent pas toutes s'en prévaloir.

À en juger par cet apperçu du régime fiscal, il semble que les familles ayant des enfants à charge versent pratiquement autant d'impôts sur le revenu que les familles sans personnes à charge disposant du même revenu. Par ailleurs, parce que l'impôt sur le revenu est progressif et personnel, à revenu égal, le couple à salaire unique paiera généralement davantage d'impôts sur le revenu que le couple à double revenu. Il en est ainsi que les couples aient ou non des enfants à charge.

Compte tenu de ce qui précède, une fois la progressivité de l'impôt sur le revenu prise en compte, la question qu'il faut se poser est de savoir si ce que les régimes d'impôt sur le revenu et de transfert apportent aux familles avec des enfants à charge est juste et équitable pour les familles où les deux parents gagnent un revenu et celles où l'un des parents prend personnellement soin de ses enfants à domicile. Deux critères sont habituellement utilisés pour juger si un système fiscal est équitable. Un régime répond au critère de l'équité verticale si le fardeau fiscal des contribuables les mieux nantis (c.-à-d. ceux qui jouissent d'un revenu disponible plus élevé) est plus lourd que celui des moins fortunés. Il répond au critère de l'équité horizontale s'il frappe également tous ceux qui se trouvent dans une situation financière analogue. Le système conjugué d'impôt et de transfert est jugé de la même manière.

LE RÉGIME FISCAL ET LE SYSTÈME DE TRANSFERTS : AUCUNE INTÉGRATION SYSTÉMATIQUE

Afin d'effectuer une évaluation générale de la situation nette des ménages, il est nécessaire d'appréhender globalement la fiscalité et le système de transferts. Le régime fiscal ne se limite pas à la perception de recettes pour le gouvernement. Il s'agit d'un mécanisme à travers lequel divers avantages sociaux sont distribués aux particuliers et aux familles. Avec le temps, ces programmes de prestations ont été modifiés, mais ils ne constituent toujours pas un complément global au régime fiscal.

Il est largement reconnu que le revenu familial est la base appropriée en vertu de laquelle les transferts sont distribués aux ménages. Les prestations subordonnées aux ressources sont plus précisément distribuées à ceux qui en ont besoin quand on se réfère au revenu familial. Mais les programmes de transferts gouvernementaux ont été conçus, et ont évolué avec le temps, pour satisfaire un ensemble de besoins et pour répondre à un éventail de circonstances. Ainsi, ce que l'on appelle le régime fiscal/système de transferts n'est qu'un amalgame d'un grand nombre de programmes différents qui n'ont ni objectif commun ni logique. Il est par conséquent difficile de concilier tous ces éléments.

POURQUOI LES FAMILLES NE VERSENT-ELLES PAS LE MÊME MONTANT D'IMPÔTS?

Conformément au mandat du Comité, nous avons demandé au ministère des Finances de nous fournir une explication détaillée du régime d'impôt sur le revenu, en indiquant les facteurs qui font que la charge fiscale varie selon la configuration des familles. Selon les données fournies par le ministère des Finances, il y a deux raisons principales qui expliquent le traitement fiscal différent des couples à salaire unique et des couples à double salaire. Une famille à double salaire dont le revenu s'élève à 60 000 $, où la contribution des deux salariés au revenu familial dans une famille de cette configuration est respectivement de 60 et 40 p. 100, pourrait payer 3 850 $ d'impôt de moins qu'une famille à salaire unique. Il en va ainsi qu'ils aient ou non des enfants, et cela est dû au fait que l'impôt sur le revenu des particuliers est, d'une part, progressif et que, d'autre part, il frappe les particuliers et non les familles.

Dans cet exemple où le total du revenu familial était de 60 000 $, le couple à revenu unique sans enfant voyait plus de la moitié de son revenu total imposé au taux marginal moyen d'imposition, soit un taux combiné fédéral/provincial d'environ 39 p. 100. Moins de 11 p. 100 du revenu total d'un couple à double revenu sans enfant est imposé à ce taux. La majorité de son revenu familial est soumis à un barème d'imposition moins élevé, dont le taux combiné est de 25 p. 100.

Si, dans le cas de la famille à double salaire, le revenu était réparti également entre les deux conjoints, leur fardeau fiscal chuterait encore plus. Aucun revenu ne serait soumis au taux combiné fédéral/provincial de 39 p. 100, 70 p. 100 du revenu serait imposé au taux minimal, et le solde serait exonéré d'impôt.

Si l'on ne tient compte que des familles ayant des enfants et que l'on reconnaît que la Déduction pour frais de garde d'enfants (DFGE) peut servir à réduire encore plus les impôts, l'écart peut aller jusqu'à 5 875 $. Seules les familles qui satisfont à certains critères peuvent se prévaloir de la DFGE, notamment en fournissant à Revenu Canada le nom et le numéro d'assurance sociale de la personne ou le nom de l'établissement qui assure la garde des enfants. Cette déduction n'est généralement accordée qu'à un parent qui travaille ou qui poursuit des études; aucune déduction n'est consentie pour les autres dépenses liées aux enfants, ni pour les dépenses encourues par les parents au foyer.

La Prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE) est calculée à partir du revenu familial net, et non du revenu familial global. Par conséquent, la famille à double revenu, dans cet exemple, perçoit près de 200 $ de plus au titre de la PFCE que la famille à salaire unique. Il en est ainsi même si la famille à salaire unique a droit à une prestation supplémentaire pouvant aller jusqu'à 213 $ par enfant de moins de 7 ans, du seul fait que cette famille n'a déduit aucuns frais de garde d'enfants ou seulement un montant faible à ce titre.

Dans l'exemple fourni par le ministère des Finances, les deux tiers de la différence d'imposition entre le couple à salaire unique et le couple à double salaire sont une conséquence du caractère progressif du régime fiscal. Seulement un tiers de la différence est dû aux effets de la Déduction pour frais de garde d'enfants.

Ces résultats sont manifestement fonction des exemples chiffrés utilisés. Ils donnent toutefois une idée de l'importance relative des divers facteurs qui peuvent aboutir à ces résultats.

Le tableau suivant s'appuie sur des données fournies par le ministère des Finances. (Il faut noter dès le départ que le Comité ne croit pas que ce type d'analyse est appropriée.)

Il repose sur les hypothèses suivantes :

  • Dans la famille où les deux parents gagnent un revenu, celui qui a le revenu le plus élevé gagne 50 p. cent de plus que l'autre.
  • Chaque adulte faisant partie de la population active engage des dépenses supplémentaires liées à son travail qui s'élèvent à 125 $ par mois (soit 1 500 $ par an).
  • Chaque famille a deux enfants, l'un de 8 ans et l'autre de 4.
  • La famille à revenu double assume des frais de garde d'enfants qui équivalent à la déduction maximale prévue en 1996, soit 5 000 $ par enfant de moins de 7 ans et 3 000 $ par enfant de plus de 6 ans. Il faut noter que les familles s'étant prévalues de cette disposition au cours de l'année d'imposition de 1996 ont réclamé en moyenne 2 600 $ au titre de la DFGE.
  • Les cotisations au titre du RPC/RRQ et de l'AE sont considérées comme des dépenses non discrétionnaires, auxquelles on n'attribue aucune prestation.









Deux constatations importantes peuvent être faites à la lecture de ce tableau. D'abord, comme il est mentionné ci-dessus, le principal facteur de différence d'imposition a sa source dans des éléments de la fiscalité qui n'ont rien à voir avec les enfants. Cela est apparent à la quatrième ligne du tableau, libellée « Impôt sur le revenu (à l'exclusion de la DFGE) ».

L'autre constatation est que les couples à double revenu sont plus susceptibles d'être financièrement défavorisés que les familles à revenu unique, bien que l'importance de l'écart ne soit pas parfaitement claire. Le ministère des Finances calcule le revenu disponible en déduisant les impôts versés et les autres dépenses du revenu global. Certaines de ces déductions sont toutefois arbitraires. Ainsi, les cotisations au Régime d'assurance-emploi et au RPC/RRQ, bien qu'elles soient non volontaires, représentent des achats de services importants, soit une protection contre la perte de revenu due au chômage ou pour élever des enfants, soit un revenu futur sous la forme d'une pension. Les familles à double revenu sont en mesure d'acheter plus de ces services que les familles à revenu unique ayant le même revenu global, et pourtant le calcul du revenu disponible par le Ministère ne tient pas compte de cette prestation. Ainsi, en lisant ce tableau, on peut conclure que la famille qui achète le plus de ces services est perdante.

Le concept de revenu disponible n'est pas bien défini. Dans la mesure où il s'agit d'un revenu discrétionnaire, la dernière ligne du tableau est contestable. Par exemple, la garde des enfants en dehors du foyer entraîne des dépenses qui sont, dans une certaine mesure, également engagées lorsque la garde des enfants est assurée à la maison. Pourtant l'exemple mis en avant par ce tableau n'en tient pas compte.

Le tableau fait ressortir deux aspects non satisfaisants du débat. Celui-ci a d'abord été suscité, dans une certaine mesure, par des craintes mal placées. Autrement dit, la fiscalité ne semble pas, globalement, privilégier un type de famille ayant des enfants, par rapport à un autre type1. Selon nous, la comparaison entre une famille à deux revenus et une famille à revenu unique dont le revenu total est identique n'est pas une façon adéquate d'aborder l'imposition des familles ayant des enfants.

La défense ou du moins l'explication du statu quo par le ministère des Finances brouille par ailleurs les pistes dans une certaine mesure en se fondant sur le revenu disponible, défini de façon très arbitraire, pour comparer la situation fiscale des familles ayant des enfants. Cette défense s'embourbe également dans sa distinction entre les familles à double revenu et les familles à revenu unique.

D'après le Comité, cette analyse et ces conclusions sont erronées, non seulement en raison de l'arbitraire de certaines des hypothèses de départ, mais aussi parce que le problème est mal posé. Le débat n'est pas représentatif des choix qui s'offrent aux familles avec enfants. Les membres d'un couple avec enfants n'ont pas la possibilité de choisir entre gagner 60 000 $ par an au moyen d'un seul revenu ou gagner la même somme au moyen de deux revenus. Ce qu'ils choisissent, c'est le type de garde de leurs enfants. Ils ont le choix entre continuer d'avoir tous les deux un emploi rémunéré et de recourir à un tiers pour s'occuper de leurs enfants, et se passer d'un revenu pour que l'un d'entre eux s'occupe des enfants.

Dans le tableau ci-dessous, on examine les conséquences pour une famille dont les deux parents choisissent de travailler pour un revenu total de 60 000 $ et pour une famille dont un parent décide de ne plus travailler, entraînant une baisse du revenu total, qui tombe à 36 000 $. Dans ce dernier cas, le revenu disponible global de la famille diminue de plus de 8 650 $. Même si cette famille paie moins d'impôt, reçoit davantage de prestations au titre de la Prestation fiscale canadienne pour enfants, engage moins de dépenses liées au travail et cotise moins au RPC/RRQ et à l'AE, tous ces avantages ne réussissent pas à compenser le recul du revenu disponible. C'est le chiffre figurant à la dernière ligne qui est déterminant dans cet exemple. Il n'est pas pertinent de se demander qui paie moins d'impôt.

Il est donc manifeste que les familles qui renoncent à un revenu pour s'occuper de leurs enfants font un sacrifice financier considérable. Et ce sacrifice ne se limite pas « aux familles qui peuvent se le permettre ». Comme l'ont illustré les données présentées au Comité par Richard Shillington, la proportion des familles qui font ce choix est presque la même dans toutes les catégories de revenu, et est indépendante du revenu du père. Le tableau suivant, tiré de la présentation de M. Shillington dans laquelle celui-ci a utilisé des données de 1994, montre clairement que le niveau de revenu de la famille n'influe pas sur les décisions des parents au sujet de l'activité rémunérée. Les données révèlent que la proportion de mères qui travaillent à plein temps toute l'année, dans les familles qui comptent des enfants d'âge préscolaire, varie de 25 à 40 p. 100 parmi les catégories de revenu. Le niveau de revenu du mari ne permet cependant de dégager aucune tendance systématique ou significative.








Dans son rapport de 1996 au Gouvernement du Canada, le Forum national sur la santé souligne que le Canada est le seul pays industrialisé de l'Occident qui ne prend pas en compte les coûts de l'éducation des enfants au moment de déterminer combien d'impôt devraient acquitter les familles ayant des enfants, par comparaison à celles qui n'en ont pas. Le Forum a conclu qu'il existait un besoin urgent d'investir dans les enfants et a recommandé que l'on apporte des changements au régime fiscal afin d'aboutir à une plus grande équité horizontale entre les familles, qu'elles aient ou non des enfants

Cette conclusion générale s'applique également aux familles à deux revenus qui se prévalent de la Déduction pour frais de garde d'enfants. Bien que cette déduction ait pour conséquence de rendre les fardeaux fiscaux plus égaux, il reste probable que les familles ayant des enfants acquittent un fardeau fiscal disproportionné par rapport à celles sans enfants.

Il faut également signaler que la situation du Canada n'est pas enviable par rapport à celle d'autres pays. Selon une étude de Shelley Phipps2, sauf au Royaume-Uni, les ménages ayant des enfants paient généralement beaucoup moins d'impôt que les ménages sans enfants dont le revenu avant impôt est le même.

RÔLE DES PRESTATIONS POUR ENFANTS

Le mandat de ce Comité n'est pas d'examiner le régime fiscal en général, mais plutôt de voir comment il affecte les familles avec enfants. Le mandat n'est pas d'envisager une réforme générale du système fiscal, bien qu'une telle réforme ne manquerait pas d'avoir une incidence sur les familles ayant des enfants à charge. En revanche, nous nous intéressons aux éléments de la politique gouvernementale visant les familles ayant des enfants, pour voir si ces éléments sont appropriés et appliqués de façon cohérente.

La Prestation fiscale canadienne pour enfants, qui est versée en fonction du revenu familial net, est quasiment neutre par rapport à la structure familiale. Les couples à revenu unique sont pour la plupart traités de la même façon que les ménages à deux revenus, et les familles monoparentales sont généralement traitées de la même façon que les familles biparentales. Le seul élément de non-neutralité est attribuable au fait que, étant calculée à partir du revenu net et non du revenu total, la prestation se trouve affectée par les dépenses pour garde d'enfants et les contributions au REER déduites du revenu.

Beaucoup de confusion a entouré la Prestation fiscale canadienne pour enfants et le Régime national de prestations pour enfants (RNPE) au cours de nos audiences. Le Régime national de prestations pour enfants a été mis en place pour remplacer le supplément du revenu gagné qui faisait précédemment partie de la Prestation fiscale canadienne pour enfants. Ce supplément du revenu gagné était destiné à aider les familles à faible revenu qui faisaient partie de la population active. Ce supplément a été conçu à l'origine comme une indemnisation d'un grand nombre de prestations en nature (assurance dentaire, assurance médicament, etc.) versées aux bénéficiaires des allocations familiales et dont les travailleurs ne bénéficiaient pas.

Les Canadiens qui touchent des prestations d'aide sociale bénéficient du Régime national de prestations pour enfants, mais cette assistance est souvent déduite de leurs prestations au dollar près par les provinces. Selon des fonctionnaires de Développement des ressources humaines Canada, toutes les provinces sauf le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve réduisent actuellement les versements d'assistance sociale aux familles qui bénéficient du Régime national de prestations pour enfants. Les provinces qui imposent ces réductions sont censées réinvestir les économies ainsi réalisées dans d'autres programmes destinés aux familles à faible revenu. Il n'y a pas, de la part des provinces, de « recouvrement » des prestations fiscales pour enfants. Le revenu familial est seulement frappé d'une réduction de 5 p. 100 (2,5 p. 100 dans le cas des familles n'ayant qu'un enfant).

En conséquence, notre crainte porte surtout sur la Déduction pour frais de garde d'enfants. Les statistiques de Revenu Canada pour l'année d'imposition 1996 montrent qu'environ 760 000 demandeurs se prévalent de cette déduction, ce qui représentait environ 2 milliards de dollars de déductions totales en 1996. Un faible pourcentage seulement (moins du tiers) des familles qui pourraient se prévaloir de la DFGE en ont effectivement fait la demande. Nous ne pouvons, pour expliquer cette situation, que nous livrer à des conjectures. Environ 30 p. 100 d'entre elles disposaient d'un revenu annuel se situant entre 20 000 et 30 000 $. Les trois quarts des demandeurs avaient un revenu se situant entre 10 000 et 40 000 $. La déduction moyenne est de 2 600 $, et la valeur des prestations pour cette moyenne se situait entre 650 $ et 1 300 $. Comme déduction, la valeur de la prestation est supérieure pour ceux qui ont des revenus plus élevés.

D'après la publication du ministère des Finances intitulée Dépenses fiscales du gouvernement du Canada 1998, cette déduction a coûté environ 415 millions de dollars au gouvernement fédéral en 1996, soit environ 685 $ par demandeur imposable moyen. Quand les impôts provinciaux sont également pris en compte, l'allégement fiscal moyen s'élève à un peu plus de 1 000 $.

Cependant le caractère régressif de cette mesure dépend de la nature de la prestation. Si, comme le prétendent un grand nombre de ses partisans, il s'agit d'une dépense liée à une activité professionnelle, il est logique d'accorder une déduction. La DFGE est utilisée dans le calcul du revenu discrétionnaire, base sur laquelle l'impôt individuel sur le revenu doit être appliqué.

Pendant ses audiences, le Comité a entendu des témoignages appuyant le maintien de la Déduction pour frais de garde d'enfants, mais nous recommandons quand même de la réexaminer afin de déterminer si elle atteint bel et bien ses objectifs de politique. Nous tenons simplement à ce qu'elle soit un élément valable des programmes gouvernementaux d'aide aux familles qui ont des enfants. Le présent examen devrait porter sur l'impact possible d'un programme national de garderies sur la DFGE. Au Québec, par exemple, l'administration provinciale a lancé un programme de garderies qui coûte 5 $ par enfant par jour. Grâce à de fortes subventions provinciales, les frais de garde d'enfants sont très faibles pour les parents qui font appel à ce service. La valeur globale de la prestation d'impôt de la DFGE sera donc minimale pour ces familles. La subvention que constitue le réseau de garderies assuré par le Québec est la même pour toutes les familles qui s'en prévalent, alors que la valeur de la DFGE varie selon les familles.

APPROCHE ACTUELLE

L'approche actuelle à l'égard des prestations pour enfants reflète pour beaucoup le contexte de l'important déficit des années 80 et du début des années 90. Confrontés à des déficits qui paraissaient pratiquement impossibles à contrôler ou à éliminer, les gouvernements ont cherché à restreindre la portée des politiques de manière à concentrer les prestations sur les familles qui en avaient le plus besoin. L'universalité vint à être considérée comme inabordable. La sélection était nécessaire, voire une caractéristique souhaitable des programmes sociaux.

Toute reconnaissance globale du coût que représentait pour les familles l'éducation des enfants et de son importance pour la société fut abandonnée. La sélectivité qui caractérise actuellement le régime des prestations pour enfants est maintenant perçue par nombre d'analystes et de témoins qui ont comparu devant le Comité comme une grave erreur, non seulement parce qu'elle ne reconnaît pas le coût que représente pour les familles l'éducation des enfants ni son importance pour la société, mais aussi parce qu'elle génère une inefficacité économique en soumettant les familles à des taux d'imposition marginaux extrêmement élevés, qui handicapent sérieusement les mesures destinées à améliorer leur situation économique. La participation à la population active est découragée chez un important segment des familles à faible revenu. En conséquence de la sélectivité des prestations pour enfants, ces taux marginaux d'impôt élevés frappent principalement les familles ayant des enfants. Frances Woolley, de l'Université Carleton, est arrivé à la conclusion que des prestations universelles seraient préférables, du fait qu'elles parviennent aux familles avec des enfants et qu'elles ne génèrent pas les taux marginaux d'imposition élevés associés aux prestations sélectives et proportionnelles aux ressources.

La Déduction pour frais de garde d'enfants, bien qu'elle soit principalement considérée comme une déduction relative aux dépenses professionnelles, peut également être envisagée comme une prestation gouvernementale pour ceux qui élèvent des enfants, et pas uniquement pour couvrir les coûts marginaux associés à une participation à la population active. Cela est dû au fait que certaines des dépenses admissibles vont au-delà de celles qui ne feraient que permettre à un parent de se joindre à la population active.

Le Comité est toutefois confronté à un dilemme. D'un côté, il est difficile de déterminer quelle portion de la Déduction pour frais de garde d'enfants est liée aux dépenses qui sont également engagées par les parents qui restent au foyer pour élever leurs enfants. D'autre part, contrairement aux autres prestations gouvernementales relatives aux enfants, nous ne pouvons pas calculer sa valeur pour les familles. Cette valeur dépend du coût des soins accordés et de la situation fiscale du parent qui peut réclamer cette déduction. Ce dernier point pourrait être résolu en convertissant la DFGE en crédit d'impôt non remboursable, ce qui assurerait une prestation uniforme à tous les demandeurs.

Le Comité souhaiterait d'abord éliminer toute incohérence éventuelle dans la façon dont les familles ayant des enfants sont traitées (ce qui cadre avec notre mandat) puis assurer une reconnaissance globale du coût que représente, pour les parents, l'éducation des enfants et de la valeur sociale de cette tâche (ce qui le dépasse).

SUPPRESSION DE LA DISPARITÉ ENTRE LES COUPLES À REVENU UNIQUE ET CEUX À DEUX REVENUS

Comme noté précédemment, les couples à deux revenus qui ont le même revenu familial que les couples à revenu unique paient moins d'impôt. Cela est dû à la nature progressive de notre régime fiscal et au fait que les impôts sont perçus des individus et non des familles. Le Comité a également soutenu précédemment que la distinction entre couples à revenu unique et couples à double revenu ayant le même revenu familial est trompeuse et qu'elle occulte le véritable problème. Néanmoins, toute réforme de la fiscalité, et toute réduction des barèmes d'imposition, affectera probablement cette disparité, et le ministère des Finances a présenté au Comité plusieurs perspectives de réforme.

Ainsi, une réduction du taux d'imposition des revenus moyens réduira l'écart pour les familles qui ont des revenus de cet ordre, toutes choses restant égales par ailleurs. Selon le ministère des Finances, la réduction du taux d'imposition des revenus moyens d'un point de pourcentage coûterait au gouvernement fédéral 1,1 milliard de dollars et réduirait la différence d'imposition d'environ 350 $. Cela représente moins de 10 p. 100 de la différence d'imposition calculée pour les familles ayant un revenu global de 60 000 $, comme l'indique le premier tableau.

Une autre manière de réduire l'écart est d'augmenter le montant pour conjoint de manière à ce qu'il soit équivalent au crédit de base. Cette réforme coûterait au gouvernement fédéral 430 millions de dollars et réduirait la différence de 180 $. On notera que les contribuables peuvent bénéficier de la totalité du montant pour conjoint, même si le revenu de leur conjoint atteint 538 $. Si le montant pour conjoint était équivalent au crédit de base, cette exclusion du revenu s'élevant à 538 $ devrait être supprimée.

L'écart serait également réduit si le régime fiscal était transformé en impôt uniforme. Toutefois, un impôt uniforme constituerait une refonte profonde de la fiscalité et devrait s'appuyer sur une raison beaucoup plus solide qu'une quelconque différence apparente dans le traitement fiscal des familles à revenu unique et à double revenu. Le ministère des Finances a également fourni des données sur les coûts de cette option. Un impôt uniforme neutre nécessiterait un taux d'imposition marginal de 22 p. 100 (5 points de pourcentage au-dessus du taux d'imposition marginal le plus bas actuellement) et aboutirait à une redistribution substantielle du revenu après impôt. Par exemple, 80 p. 100 des contribuables constateraient une augmentation de leur imposition. Un taux d'imposition uniforme de 17 p. 100, qui n'augmenterait pas la charge fiscale de quiconque, coûterait au gouvernement fédéral 17,8 milliards de dollars.

Le passage à un impôt uniforme représente une réforme notable du régime fiscal. Tout examen du genre reposerait sur des considérations qui dépassent de loin le mandat du Comité. Nous ne mentionnons donc cette possibilité que parce qu'elle nous a été présentée.

1. FRACTIONNEMENT DU REVENU

De nombreux témoins ont donné au Comité des exemples chiffrés comparant la situation fiscale des couples à un revenu et celle des couples à deux revenus. Ils ont signalé l'écart entre leur fardeau fiscal respectif, et plusieurs ont dit que le fractionnement du revenu serait un moyen de l'éliminer. Ils ont aussi recommandé au Comité d'étudier la question soigneusement eu égard au fait que le fractionnement du revenu peut ne pas être la solution dans tous les cas.

Le fractionnement du revenu permet aux couples dont les membres sont imposés à des taux marginaux différents de les aplanir de manière à réduire le montant total de l'impôt familial. En permettant le transfert de revenu au partenaire moins rémunéré, cette technique change la nature fondamentale du régime fiscal en ce sens que la progressivité diminue et que la famille devient l'unité de cotisation.

Comme l'illustre le premier tableau, un couple à deux revenus, dont le revenu global est le même qu'un couple à revenu unique, ne s'en tire pas aussi bien que ce dernier. Non seulement y a-t-il des dépenses additionnelles liées à l'activité professionnelle qui doivent être engagées par la deuxième personne, mais la valeur du travail non rémunéré à domicile, ou des loisirs, doit également être prise en compte. Bien que ce soit difficile à quantifier, le principe doit en être reconnu. Ainsi, le fractionnement du revenu doit être assujetti à certaines limites. Le ministère des Finances estime qu'un mécanisme simple de fractionnement du revenu, appliqué aux familles ayant des enfants, pourrait coûter 4 milliards de dollars au gouvernement fédéral. Cela n'offrirait aucun avantage aux familles monoparentales et ne serait à l'avantage que des familles où les deux parents travaillent et sont imposés à des taux marginaux différents.

2. DÉCLARATIONS CONJOINTES

Une autre façon de réduire cette différence serait de percevoir les impôts sur la base du revenu familial plutôt que sur celle du revenu individuel. Cette solution soulève également des problèmes particuliers. Elle découragerait la participation à la population active des salariés secondaires qui seraient assujettis à des taux d'imposition marginaux élevés même si leur revenu était faible, comme l'a expliqué Robin MacKnight de l'Association canadienne d'études fiscales. Ainsi l'imposition familiale, sous sa forme la plus simple (c'est-à-dire sans relèvement suffisant des exemptions de base et des limites des tranches d'imposition), ne serait pas neutre. Le ministère des Finances estime qu'une formule simple d'imposition fondée sur la famille n'aboutira qu'à multiplier le nombre de perdants (environ 84 p. 100 des producteurs de déclarations imposables) et se solderait par des recettes fiscales fédérales supplémentaires de 8,5 milliards de dollars. Un grand nombre de ces effets négatifs pourraient être compensés en faisant de l'imposition des familles une contribution neutre par rapport au revenu; toutefois elle aurait quand même pour effet d'imposer le mariage, puisque les couples mariés seraient tenus de combiner leurs revenus, mais pas les conjoints de fait.

ÉLARGIR LE MANDAT DU COMITÉ EN VUE DE VALORISER L'ÉDUCATION DES ENFANTS

Dans le cadre de ces audiences, le Comité s'est rendu compte qu'il lui serait très difficile de s'en tenir à la portée de son mandat. Bien que le débat politique qui a abouti à notre étude soit assez limité, en se concentrant quasi exclusivement sur la comparaison de l'imposition des familles à revenu unique et des familles à double revenu, nos audiences nous ont amenés à nous rendre compte que le sujet ne pouvait être examiné que dans un cadre beaucoup plus vaste.

Certaines des suggestions mentionnées ci-dessus dépassent en fait la portée de notre mandat. Mais elles sont elles-mêmes trop limitées.

Il est important que le régime fiscal/système de transferts soit équitable, et perçu comme tel. Le régime des prestations pour enfants doit être plus qu'équitable. Il doit atteindre les objectifs sociaux appropriés, à savoir, reconnaître le bienfait social que représente l'éducation des enfants, particulièrement au cours de leurs premières années.

Si l'éducation des enfants comporte des bienfaits sociaux, et nous le pensons, la politique gouvernementale devrait viser à les maximaliser. L'éducation des jeunes enfants est cruciale pour la formation d'individus sains et bien équilibrés. Au cours des premiers mois et des premières années, les parents jouent un rôle essentiel. La question est actuellement étudiée par un autre comité de la Chambre des communes, le Sous-comité sur les enfants et jeunes à risque du Comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées, lequel présentera un rapport distinct à la Chambre.

Quand les parents ont un enfant, les choix auxquels ils font face ne sont pas d'être une famille à revenu unique gagnant 60 000 $ ou une famille à deux revenus gagnant la même somme. Ils doivent généralement choisir d'être une famille à salaire unique dont le revenu global sera de 36 000 $ ou une famille à deux revenus dont le total s'élèvera à 60 000 $, et engager des dépenses plus élevées. Et le choix entre rester à domicile ou se réintégrer à la population active est généralement une décision à court et à long terme. La plupart des parents qui restent au foyer finissent par réintégrer la population active.

Élever des enfants coûte cher et exige de nombreux sacrifices. C'est également un des rôles les plus importants dans notre société, et nous en bénéficions tous. En suggérant que l'éducation des enfants devrait être reconnue par le gouvernement, nous ne suggérons pas que tous ses coûts devraient être assumés par le gouvernement. Il n'en a jamais été ainsi dans le passé, et il ne devrait pas en être ainsi à l'avenir. Au cours des audiences tenues d'un bout à l'autre du pays, des témoins nous ont dit à Calgary qu'ils étaient prêts à faire des sacrifices lorsqu'ils ont décidé d'avoir des enfants, et notamment d'accepter une baisse du niveau de vie familial. Ils ne voulaient cependant pas que la décision qu'un des parents reste au foyer les pénalise davantage. Ce sentiment a hanté le Comité tout au long de ses audiences.

Des témoins ont exposé diverses façons de tenir compte, de façon globale, de l'importance de l'éducation des enfants dans le régime fiscal/système de transferts. Voici quelques-uns des arguments fondamentaux et des principales suggestions qui ont été évoqués pendant nos audiences.

1. ABATTEMENT UNIVERSEL POUR CHARGE DE FAMILLE ET CRÉDIT D'IMPÔT NON REMBOURSABLE

Il a été suggéré de rétablir un abattement universel pour charge de famille. Maintenant qu'après des années de restrictions, le gouvernement est en mesure de réinvestir dans les programmes sociaux, le retour à l'universalité semble approprié.

Une autre approche serait de rétablir un crédit d'impôt non remboursable à l'intention des familles ayant des enfants à charge. L'une et l'autre de ces mesures avantageraient les familles ayant des enfants et seraient conformes au système traditionnel de prestations pour enfants. Ces prestations viseraient toutes les familles avec des enfants, que les parents restent ou non réellement au foyer pour les élever. Le crédit non remboursable ne bénéficierait qu'à ceux qui sont imposables. Comme l'a souligné John Richards de l'Université Simon Fraser, un crédit aurait pour avantage d'être équitable. Verser une allocation à une famille et la soumettre à l'impôt laisserait un « arrière-goût » désagréable. Une simple crédit s'avérerait plus efficace et plus équitable. En outre, les familles à revenu moyen, qui souffrent plus que n'importe quelle autre de l'iniquité sociale, seraient les plus avantagées par cette approche.

Les deux options diffèrent également d'une autre manière très importante. Les allocations familiales ont traditionnellement été versées au principal pourvoyeur de soins, c'est-à-dire, généralement mais pas toujours, à la mère. Le crédit d'impôt est une prestation qui est accordée directement au contribuable qui la réclame. Dans une famille à revenu unique, ce ne serait pas le principal pourvoyeur de soins. Le Comité est d'avis que celui-ci devrait être le bénéficiaire de toute nouvelle initiative.

Avant la réforme de la présente décennie, le gouvernement fédéral offrait ces deux types de prestations simultanément. Dans chaque cas, il est présumé que la nouvelle prestation universelle remplacerait en partie l'actuelle Déduction pour frais de garde d'enfants.

Le C.D. Howe Institute a suggéré la mise en place d'une déduction universelle de 2 000 $ pour les parents ayant des enfants. La DFGE serait réduite d'un montant équivalent. D'après ce plan, ceux qui se prévalent actuellement de la DFGE ne seraient pas dans une situation moins favorable qu'actuellement. Ceux qui ne se prévalent pas de la DFGE seraient mieux nantis qu'auparavant. Cette proposition est toutefois régressive au sens où les contribuables à revenu élevé bénéficieraient d'une prestation supérieure. Ceux qui ne sont pas imposables n'en tireraient aucun avantage. Ce serait coûteux également; le C.D. Howe Institute en évalue le coût annuel à 3 milliards de dollars.

2. CRÉDIT REMBOURSABLE POUR LES PARENTS QUI RENONCENT À UN REVENU GAGNÉ

Un autre moyen d'améliorer l'équité horizontale est d'accorder une prestation non imposable uniquement aux parents qui abandonnent leur revenu marchand et leurs perspectives d'emploi pour élever des enfants. Dans un tel cas, les prestations seraient limitées aux parents qui renoncent à un revenu gagné. Par exemple, un parent pourrait avoir droit à une prestation pour chaque enfant admissible, pour chaque mois pendant lequel il n'a pas gagné de revenu. Le montant pourrait être fonction de la valeur de la prestation actuellement accordée sous la forme de la DFGE. Cela pourrait en outre, sans l'assujettir au critère du revenu familial, faire partie de la PFCE. Le Comité estime que cela serait plus équitable pour les parents qui assurent eux-mêmes des soins parentaux. Il faudrait évidemment régler certains problèmes d'ordre administratif et autres pour que cette proposition s'avère réalisable au plan administratif.

3. PENSIONS POUR L'ÉDUCATION DES ENFANTS

Une autre manière de reconnaître l'importance d'éduquer des enfants est de donner l'option de participer au RPC/RRQ au parent qui renonce à un travail rémunéré afin de s'occuper de ses enfants à domicile. Bien qu'elles ne fournissent pas une aide financière immédiate aux parents, de telles initiatives facilitent l'éducation des enfants en minimisant tous les coûts futurs potentiels liés à un retrait de la population active.

Le Comité a entendu beaucoup de témoignages au cours de ses déplacements sur les sacrifices financiers consentis par les parents qui décident de rester au foyer avec leurs enfants. Ces parents s'exposent également à une insécurité financière éventuelle en réduisant leurs droits à pension.

À l'heure actuelle, le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec contiennent des clauses d'exclusion à l'intention des parents qui restent à domicile pour élever des enfants afin de protéger leurs futurs droits à pension des réductions qui résulteraient de ces années sans revenu (jusqu'à sept années par enfant). On pourrait étendre cette mesure en permettant à ces parents de faire des contributions immédiates ou futures au RPC ou au RRQ pour les années passées à domicile. Une quantité de détails devront être résolus pour assurer, par exemple, que ces contributions ne font pas l'objet d'une double imposition. Autres détails à résoudre : base de la rémunération sur laquelle les contributions et les prestations de retraite sont calculées, et qui devrait verser les cotisations patronales.

De même, les sacrifices en matière de revenu consentis par les parents qui restent à domicile pourraient être pris en compte en leur permettant de faire des contributions à des REER. À l'heure actuelle, les contribuables peuvent cotiser à un REER de conjoint. Il est possible de se prévaloir de cette disposition, que le conjoint reste ou non à domicile pour élever des enfants. Une contribution supplémentaire à un REER pourrait être accordée au parent qui reste à domicile pour élever des enfants, et cette contribution pourrait être soit reportée, soit ajoutée à la contribution à un REER du conjoint qui travaille, à la condition qu'elle soit versée à un REER de conjoint. Il serait important de veiller, lors de la mise en place d'un tel programme, à ce qu'il soit avantageux pour le parent qui reste à domicile et que celui-ci ne puisse pas faire l'objet d'une double imposition. Le gouvernement devrait envisager divers scénarios permettant aux parents qui décident de s'occuper de leurs enfants à domicile de contribuer à des régimes de pension au titre des années pendant lesquelles ils élèvent leurs enfants. De telles dispositions permettraient à notre avis de reconnaître l'importance de l'éducation des enfants.

4. PRESTATIONS ÉLARGIES D'ASSURANCE-EMPLOI

Le programme d'AE vient en aide aux parents qui quittent temporairement la population active rémunérée pour s'occuper des enfants. Il le fait par le biais des prestations de maternité et des prestations parentales.

Les employés ayant accumulé au moins 700 heures de travail ont droit à ces prestations lors de la naissance ou l'adoption d'un enfant. Les prestations sont établies à 55 p. 100 des gains assurés, jusqu'à concurrence de 413 $ par semaine. Les prestations de maternité, accordées uniquement à la mère naturelle, peuvent s'étendre jusqu'à 15 semaines. Les prestations parentales de 10 semaines additionnelles sont payables à l'un ou l'autre parent, pour une naissance ou une adoption. Cinq semaines supplémentaires sont couvertes si l'enfant a des besoins spéciaux. Au total, la durée de ces prestations ne peut pas dépasser 30 semaines. Lorsque leur congé de maternité est terminé, les femmes doivent respecter l'exigence des 700 heures pour être admissibles à d'autres prestations de maternité et ce, même si elles travaillent sans interruption depuis longtemps. Le Comité estime qu'il y aurait lieu de revoir cette politique.

Afin d'apporter un soutien économique supérieur aux nouveaux parents, il a été suggéré que ces prestations soient étendues à une année au total, plutôt que limitées au 25 semaines actuelles (parfois jusqu'à 30 semaines) et que des assouplissements soient apportés à la période au cours de laquelle les prestations sont perçues, de manière à faciliter la transition entre le congé et la réintégration dans la population active rémunérée.

En outre, des changements additionnels ont été recommandés concernant le délai de carence avant que les prestations soient versées. Le Comité fait siennes ces recommandations. D'abord, nous ne voyons pas de raison pour laquelle un délai de carence de deux semaines devrait s'appliquer à ces prestations parentales. Si le gouvernement souhaite accorder des prestations de maternité pendant 15 semaines, pourquoi la mère devrait-elle passer 2 semaines sans revenu? Il n'y a pas de logique politique expliquant cette période de carence. Une autre anomalie concerne le deuxième délai de carence qui s'applique dans certaines circonstances. Si une mère décide de prendre un congé parental en plus du congé de maternité, il n'y a pas de délai de carence additionnel. Si, en revanche, le père choisit de se prévaloir des prestations parentales, un second délai de carence de deux semaines est imposé. Cela pénalise le couple à l'égard du partage de l'éducation des enfants. En outre, s'il n'est pas logique d'imposer le premier délai de carence, il est encore moins défendable d'en imposer un deuxième.

5. AUTRES QUESTIONS

Plusieurs questions ont été soulevées par les témoins se rapportant à quelques mécanismes particuliers au moyen desquels les programmes sont dispensés. Ce sont ces mécanismes qui aboutissent à certaines des inégalités apparentes.

Exemple, l'incapacité pour les couples divorcés de fractionner l'équivalent de l'exemption de marié entre ceux qui s'occupent des enfants ou les font vivre. Nous faisons part de cette préoccupation et demandons aux ministères des Finances et de la Justice de donner suite à la question dans le cadre de la législation en vigueur.

Une autre préoccupation fréquemment exprimée par les témoins concerne les retards constatés dans les ajustements de la Prestation fiscale canadienne pour enfants quand les circonstances familiales changent. Lorsqu'un parent quitte la population active pour s'occuper directement des enfants, les prestations mensuelles continuent d'être calculées à partir du revenu familial de l'année précédente. Même si cette situation finit par être rectifiée, les prestations ne sont pas versées lorsqu'elles sont le plus nécessaires.

CHOIX AUXQUELS FONT FACE LES FAMILLES AVEC ENFANTS

Quand les couples ont des enfants, ils font face à un éventail de possibilités. Un des parents peut décider de rester au foyer pour une courte période afin d'élever l'enfant et de réintégrer la population active peu après. La réintégration de la population active augmente les ressources financières dont dispose la famille, tout en soumettant cette dernière à diverses dépenses additionnelles.

Un des parents peut rester au domicile pendant une période prolongée pour se charger de l'éducation de l'enfant. Dans ce cas, les ressources financières dont dispose la famille seront moindres, mais il en sera de même pour ses dépenses.

Les familles ayant des enfants font des choix. Elles compensent le revenu financier par du temps et une plus grande quantité de travail à domicile non rémunéré, principalement la garde des enfants. Selon la situation financière de la famille, ils prennent la décision de renoncer au revenu marchand pour élever leurs enfants chez eux. Dans d'autres cas, les familles renoncent à leur temps pour gagner plus d'argent.

Ces décisions sont largement indépendantes de la position financière des familles. Richard Shillington a présenté des statistiques intéressantes au Comité, lesquelles figurent dans le tableau inséré au début du présent rapport. Selon ces statistiques, quel que soit le niveau de revenu des familles, approximativement la même proportion de familles compte deux parents qui travaillent à temps plein toute l'année. Envisagée d'une manière un peu différente, la probabilité qu'une mère choisisse de travailler à temps plein à l'extérieur est, globalement, sans lien avec le revenu du père. Cette réalité a été confirmée par les représentants de Condition féminine Canada qui, lors de leurs discussions des réalités familiales, ont déclaré que « le revenu des pères n'a pas un effet important sur la situation professionnelle des mères. » Là encore, ce choix est fait par les parents. Il n'est pas lié au revenu familial, et la société devra le respecter.

Ainsi, famille à revenu unique contre famille à double revenu ne veut pas dire riches contre pauvres ni revenus moyens contre revenus élevés. Ce qui est en question, c'est beaucoup plus les choix auxquels font face les parents et ce qu'ils considèrent comme l'intérêt supérieur de leur famille.

Le Comité est d'avis que ces choix doivent être faits par la famille. Le gouvernement ne doit ni encourager ni pénaliser les choix des fournisseurs de soins. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes en faveur d'une approche plus universelle des prestations pour enfants. L'universalité laisse les parents libres de choisir, autant que possible, la façon dont ils s'occuperont de leurs enfants. D'après nous, c'est à ce niveau que se situent véritablement les enjeux.

Néanmoins, nous reconnaissons que les prestations pour enfants, comme les autres politiques gouvernementales ne peuvent pas être entièrement universelles. La politique gouvernementale, de par sa nature propre, est discriminatoire. Sans que tous soient traités de la même façon, il faudrait que tous soient traités équitablement.

QUELQUES PRINCIPES ET CONSIDÉRATIONS QUI ONT INSPIRÉ LE COMITÉ

En tentant de parvenir à un consensus parmi les membres du Comité à propos de la nature du débat actuel et des solutions possibles, nous nous sommes inspirés de plusieurs principes généraux qui devraient selon nous, s'appliquer aux politiques relatives aux familles ayant des enfants.

    À savoir, de façon générale :

  • Notre politique devrait être centrée sur l'enfant et promouvoir le bien de l'enfant autant que faire se peut.
  • Notre politique devrait présumer que les parents sont les principaux pourvoyeurs de soins et qu'ils sont les mieux placés pour décider ce qui constitue la meilleure solution possible en matière de soins pour leurs enfants.
  • Notre politique devrait être souple et offrir des choix et des options qui permettront à l'un ou l'autre des parents de devenir le pourvoyeur de soins ou de faire partie de la main d'oeuvre rémunérée.
  • Notre politique devrait être à la fois globale et sensible aux réalités sociales ainsi qu'aux préférences et aux situations des parents et de leurs enfants. Elle devrait en particulier être ouverte à la situation des parents seuls, des parents qui restent au foyer, de ceux qui ont des enfants handicapés, des travailleurs indépendants, des étudiants qui ont des enfants, et des assistés sociaux.
  • Notre politique devrait être juste et équitable et n'encourager ni ne pénaliser les choix en matière de soins aux enfants.

RÉSUMÉ

Le Comité a reçu le mandat d'examiner le système fiscal et de transfert d'impôt afin de déterminer s'il est équitable pour les familles. Nous avons entendu les avis d'un grand nombre de témoins et avons soigneusement étudié la question. L'écart entre le traitement auquel ont droit respectivement les couples à un revenu et les couples à deux revenus tient surtout à la nature du régime de l'impôt sur le revenu. Ce dernier se caractérisant par sa nature progressive et étant appliqué aux particuliers, le Comité a conclu que le régime fiscal est équitable envers les familles, parce qu'elles sont imposées comme des particuliers. Tout changement aux fondements du régime de l'impôt constituerait une réforme fiscale poussée, qui déborderait largement le mandat de notre Comité. Il y a toutefois certaines de ses dispositions qui accordent à certaines familles des prestations plus avantageuses qu'à d'autres.

Certaines de nos suggestions excèdent les limites de notre mandat, mais nous sommes prêts, en nous appuyant sur les témoignages entendus et notre propre analyse, à faire ressortir quatre d'entre elles, que nous croyons conformes aux principes directeurs qui ont guidé le Comité tout au long de son étude.

I) Le gouvernement devrait réexaminer la Déduction pour frais de garde d'enfants afin de s'assurer qu'elle répond toujours aux objectifs de la politique du gouvernement dans les meilleures conditions d'efficience et d'efficacité pour les familles canadiennes avec enfants.

II) Le gouvernement devrait étudier diverses façons de permettre aux parents au foyer de contribuer à leurs régimes de pension au titre des années au cours desquelles ils s'occupent de leurs enfants. Ce serait une bonne façon, croyons-nous, de reconnaître la valeur de l'éducation des enfants.

III) Le gouvernement devrait étudier des moyens d'améliorer et d'assouplir les dispositions du programme d'AE relatives aux prestations de maternité et aux prestations parentales. Nous préconisons de porter à un an la période de congé indemnisée. Nous ne voyons en outre aucune raison d'imposer une période de carence à l'égard de ces prestations.

IV) Le gouvernement devrait envisager de faire bénéficier les parents qui s'occupent eux-mêmes de leurs enfants d'un nouveau crédit d'impôt remboursable en vertu de la Prestation fiscale canadienne pour enfants. Nous croyons que cela rendra le système de transfert d'impôt plus équitable en plus de reconnaître l'importance de l'éducation des enfants pour la société.


1 Comme on le signale plus loin, en cas de divorce, le régime fiscal assure une aide additionnelle aux familles avec des enfants, qui forment maintenant deux ménages, en permettant à l'un des parents de réclamer l'équivalent du montant pour conjoint.

2 Shelley Phipps, "An International Comparison of Policies and Outcomes for Young Children", étude no F05 des Réseaux canadiens de recherche en politique publique.