JURI Rapport du Comité
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
OPINION DISSIDENTE DU BLOC QUÉBÉCOIS
DÉDOUBLEMENT ET EMPIÉTEMENT :
LA NAISSANCE D'UNE NORME NATIONALE
La criminalité est source de nombreux problèmes dans notre société. S'il est difficile de répertorier toutes les répercussions qu'engendre un tel phénomène, il est toutefois possible d'identifier ceux et celles qui en souffrent le plus : les victimes. L'affirmation suivante est donc tout à fait justifiée : « Les victimes souffrent à la suite d'un acte criminel. Elles sont les raisons de l'existence et de l'efficacité de la justice pénale. Leurs intérêts personnels sont affectés par la détermination de la peine et les décisions connexes. C'est pourquoi on reconnaît de plus en plus que leurs opinions doivent être prises en considération et respectées1. »
Cette affirmation, rendue par le professeur Irvin Waller dans une étude commandée par la Commission canadienne sur la détermination de la peine, aurait très bien pu jeter les bases des discussions du Comité permanent de la justice et des droits de la personne relatives aux rôles des victimes au sein du système de justice pénale. C'est du moins à la lumière d'un point de vue semblable que le Bloc Québécois a perçu le mandat octroyé au Comité quant à l'étude de cette importante question. Ce dernier est en effet d'avis que la législation fédérale en matière criminelle doit faire l'objet d'un examen minutieux afin de déterminer si elle répond convenablement aux attentes légitimes des victimes d'actes criminels.
Néanmoins, l'étude effectuée par le Comité, et plus précisément certains aspects du rapport qui en découlent, préoccupent le Bloc Québécois. En effet, nous sommes d'avis qu'une des recommandations du Comité porte ombrage à d'importants facteurs constitutionnels et fonctionnels qu'on ne saurait ignorer. Ainsi, le Bloc Québécois a jugé bon de présenter une opinion dissidente relative à cette recommandation pouvant donner naissance à une nouvelle norme nationale en matière d'aide aux victimes d'actes criminels.
RECOMMANDATION 3 DU RAPPORT DU COMITÉ2
« Le Comité recommande que le ministre de la Justice établisse, à l'intérieur du ministère de la Justice, un Bureau des victimes d'actes criminels (...) »3.
La recommandation 3 du rapport majoritaire, dont un extrait est reproduit ci-haut, propose la mise sur pied d'un organisme d'aide aux victimes d'actes criminels dont les fonctions devraient être définies conjointement par un comité consultatif et le ministre fédéral de la Justice. Cette définition de tâche serait sujette à la prise en considération des suggestions formulées par le Comité de la justice dans le rapport.
Tout d'abord, précisons que ni les discussions en comité, ni lesdites suggestions du Comité contenues dans le rapport nous ont permis de définir clairement le rôle que pourrait jouer un « Bureau des victimes d'actes criminels ». Tout au plus, ces explications n'ont servi qu'à nourrir nos craintes d'être témoins, à nouveau, d'un empiétement du gouvernement fédéral dans un champ de compétence qui relève exclusivement des provinces. Ces inquiétudes ne sauraient se dissiper du seul fait que le rapport fasse mention du respect des compétences constitutionnelles. Par exemple, il suffit de se reporter à la page 19 du rapport, plus précisément au point 6 de l'énumération des rôles que pourrait jouer le Bureau des victimes d'actes criminels, pour constater à quel point le Comité est loin de respecter les engagements constitutionnels qu'il a pris soin de rédiger quelques lignes auparavant.
En effet, en précisant que le Bureau pourrait « à la demande du ministre ou du conseil consultatif, examiner tout sujet lié aux victimes d'actes criminels » (nous soulignons), le Comité de la justice fait preuve d'une générosité telle que nous aurons droit sans aucun doute à un empiétement des compétences provinciales. Évidemment, pour en venir à cette conclusion, il faut connaître quelques notions constitutionnelles de base que nous nous permettons ici d'aborder.
LES COMPÉTENCES PROVINCIALES
La recommandation 3 du rapport du Comité, soit l'établissement du Bureau des victimes d'actes criminels, ne peut être dissociée du contexte constitutionnel d'où émanent de nombreuses initiatives provinciales. À cet effet, les provinces seraient peut-être justifiées de légiférer en matière d'aide aux victimes d'actes criminels en vertu du paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette compétence provinciale en matière d'administration de la Justice est fréquemment opposée au pouvoir fédéral en matière criminelle lorsqu'un conflit juridictionnel est soulevé entre les deux paliers législatifs. Or, en adoptant la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, le Québec, à l'instar de quelques provinces, a plutôt légiféré en vertu de sa compétence relative à « la propriété et les droits civils », soit en regard de l'art. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.
En conséquence, tout service aux victimes d'actes criminels, outre ceux prévus par le droit et la procédure criminels où seul le fédéral est apte à légiférer, relève de la compétence des provinces. C'est ainsi qu'une coopération fut établie au Québec entre la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST), le ministère de la Justice et le ministère des Finances afin d'apporter un support financier aux victimes en application de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. De plus, le ministère de la Justice du Québec finance les centres d'aide aux victimes d'actes criminels qui offrent des services de nature socio-judiciaires aux victimes.
Le Bloc Québécois ne saurait donner son aval à la recommandation 3 du rapport considérant qu'il n'a pas été démontré qu'un Bureau des victimes d'actes criminels n'aura pas pour effet d'instaurer, à court ou moyen terme, des « normes nationales » dans un domaine où les provinces sont entièrement compétentes. Si le passé est garant de l'avenir, mieux vaut se méfier.
LES COMPÉTENCES FÉDÉRALES
À notre avis, les mesures proposées à la recommandation 3 du rapport ne correspondent pas à la compétence du gouvernement fédéral en matière criminelle. En effet, la mise sur pied d'un Bureau des victimes d'actes criminels ne rejoint pas l'interprétation qu'ont donné les tribunaux à l'art. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. À cet effet, nous transcrivons ici l'extrait d'une opinion rendue dernièrement par le Juge en chef de la Cour suprême et ce, en guise d'appui aux prétentions du Bloc Québécois :
« Le droit criminel au sens du par. 91(27) doit tenter d'atteindre un objectif public en matière criminelle par l'imposition d'interdictions et de peines. Les tentatives déguisées d'empiéter sur des champs de compétence provinciale sous le couvert d'une loi criminelle seront déclarées inconstitutionnelles » 4 (nous soulignons).
Malgré la portée étroite que semble revêtir cette définition jurisprudentielle, c'est sur cette base que le gouvernement fédéral, et plus particulièrement le gouvernement libéral, se permet régulièrement de légiférer dans les champs provinciaux. Que ce soit au niveau environnemental (ex : contrôle des substances toxiques dans l'environnement) ou en matière de santé (ex : projet de loi C-14 concernant les infractions en matière d'importation et de vente de produits reliés à l'eau potable), le gouvernement fédéral intervient régulièrement dans le domaine provincial sous prétexte de vouloir stigmatiser des conduites antisociales. Or, si du nombre de ces interventions quelques-unes peuvent être justifiées, le très large pouvoir du gouvernement fédéral en matière criminelle demeure un contentieux important lorsqu'il appert que ce dernier vise indirectement à réglementer un secteur d'activité relevant des provinces.
Ainsi, le Bloc Québécois est d'avis que l'établissement du Bureau des victimes d'actes criminels, dont certaines fonctions sont définies à la page 19 du rapport, ne peut se justifier dans le cadre des obligations législatives et constitutionnelles du Parlement fédéral5 en matière criminelle.
LA PERTINENCE DU BUREAU DES VICTIMES D'ACTES CRIMINELS
Les arguments constitutionnels ne traduisent pas, à eux seuls, l'opinion dissidente du Bloc Québécois à l'endroit de la recommandation 3 du rapport. Bien qu'il soit convaincu que le respect du partage des compétences sert les intérêts des victimes d'actes criminels, le Bloc Québécois considère qu'il existe d'autres motifs lui permettant de douter du bien-fondé de ladite recommandation.
Selon les membres du Comité, l'établissement du Bureau des victimes d'actes criminels favoriserait notamment « l'échange d'information »6, « l'élaboration de stratégies et de programmes d'éducation » en coopération avec les différents paliers de gouvernement7, ainsi que l'amélioration de la structure administrative en marge des Groupes de travail fédéral, provincial et territorial sur les victimes d'actes criminels8. Selon nous, il n'est pas nécessaire de mettre sur pied un Bureau national des victimes d'actes criminels afin d'assurer la réalisation de ces objectifs qui, nous en convenons, sont très importants.
Le Bloc Québécois estime plutôt que la coopération existante entre les différents ministères provinciaux, territoriaux et fédéral devrait permettre la réalisation de la plupart des objectifs identifiés par le Comité à la page 19 de son rapport. Dans cette perspective, la mise sur pied du Bureau des victimes d'actes criminels n'occasionnerait que des dépenses administratives supplémentaires pouvant être évitées si les outils actuellement disponibles étaient davantage valorisés.
À ce chapitre, soulignons que le Québec s'est doté d'un Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels qui veille à la défense des droits des victimes reconnus à la Loi sur l'aide aux victimes d'actes criminels et à l'élaboration de programmes d'aide. Cet organisme permet aussi la concertation et la coordination des personnes, organismes et ministères qui dispensent des services d'aide aux victimes. Enfin, le Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels encourage la réalisation de programmes d'information, de sensibilisation et de formation traitant des droits et des besoins des victimes ainsi que des services auxquels elles ont accès.
Ainsi, d'un point de vue strictement fonctionnel, est-ce nécessaire d'établir un organisme de coordination national, comme le propose la recommandation 3 du rapport, sachant qu'il existe déjà de telles structures à l'échelle provinciale? Le Bloc Québécois répond par la négative à cette question tout en précisant qu'il serait judicieux que le gouvernement fédéral transfère aux provinces les fonds disponibles pour l'application de la recommandation 3. De cette façon, comme l'a souligné Suzanne Dahlin du ministère de la Justice de la Colombie-Britannique devant le Comité 9, les provinces pourraient utiliser ces nouveaux revenus pour l'amélioration des programmes existants. Le Bloc Québécois endosse entièrement cette observation.
CONCLUSION
Les victimes d'actes criminels méritent qu'on leur porte une attention qui n'a d'égal que l'ampleur de la tragédie qu'elles ont vécue. Les politiques en matière de justice pénale ne peuvent être justes et équitables que dans la mesure où elles prennent en considération l'intérêt de la victime. C'est dans cette optique que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne devait aborder le mandat qu'on lui avait confié.
Cette importante mission, la majorité libérale l'aura accomplie non sans avoir écorché davantage le fragile partage des compétences constitutionnelles. En effet, si l'étude du Code criminel et des lois connexes s'inscrivait clairement dans le cadre des compétences du Parlement en matière criminelle, on doit admettre par contre que le Comité s'est égaré en se penchant sur l'opportunité d'établir un Bureau national des victimes d'actes criminels. La recommandation 3 du rapport ouvre la voie à une duplication des services existants dans plusieurs provinces.
Au-delà de l'aspect strictement constitutionnel que revêt cette question, on peut prétendre qu'un dédoublement de services ne servirait pas les intérêts des victimes d'actes criminels. C'est plutôt en favorisant la coopération entre les divers ministères et organismes qu'il sera possible d'améliorer leur sort. Ainsi, au lieu d'engager de nouvelles dépenses dans l'établissement d'un Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels, le gouvernement fédéral devrait transférer les fonds disponibles aux provinces qui sauront les administrer selon leurs besoins.
Michel Bellehumeur Député de Berthier - Montcalm |
Richard Marceau Député de Charlesbourg |
1 Waller, I., The Role of the Victim in the Sentencing and Related Processes, (1986), étude préparée pour la Commission canadienne sur la détermination de la peine.
A NAME="foot2">2 L'opinion dissidente du Bloc Québécois porte sur l'établissement du Bureau des victimes d'actes criminels tel que proposé à la recommandation 3. Par voie de conséquence, toute autre recommandation faisant mention du Bureau des victimes d'actes criminels, soit les recommandations 4 et 12, sont visées par cette opinion.
3 Comité permanent de la justice et des droits de la personne, rapport # 14.
4 Opinion du Juge en chef Antonio Lamer dans : R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 217, paragraphe 36.
5 Le gouvernement fédéral, en tant que pouvoir exécutif, est aussi lié au partage des compétences.
6 Suggestion # 3 de la page 19 du rapport.
7 Suggestion # 5 de la page 19 du rapport.
8 Suggestion #2 de la page 19 du rapport.
9 Voir séance # 71, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, en réponse aux questions posées par Michel Bellehumeur.