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ENVI Rapport du Comité

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14.    BESOINS D'INFORMATION PARTICULIERS DES TRAVAILLEURS ET DES PROFESSIONNELS DE LA SANTÉ


Droit des travailleurs de savoir

14.1    Le besoin de pleinement informer les Canadiens sur les pesticides utilisés dans leur milieu est particulièrement important dans le cas des travailleurs qui peuvent être exposés en permanence, au travail, à des substances potentiellement nocives.

14.2    En 1988 a été créé le Système d'information sur les matières dangereuses utilisées au travail (SIMDUT), système national destiné à informer les travailleurs. Les principaux éléments en sont l'étiquetage de mise en garde sur les contenants de matières dangereuses, la production de fiches signalétiques et les programmes de formation pour les travailleurs. Au niveau fédéral, la Loi sur les produits dangereux a été modifiée de façon à obliger les fournisseurs voulant vendre ou importer les produits contrôlés à produire les étiquettes et les fiches signalétiques voulues. Les législations fédérale, provinciales et territoriales complémentaires en matière de santé et de sécurité au travail ont également été modifiées pour exiger des employeurs qu'ils étiquettent les matières dangereuses au travail, qu'ils mettent les fiches signalétiques à la disposition des travailleurs et qu'ils offrent à ces derniers des programmes de formation.

14.3    Malheureusement, les produits antiparasitaires n'étaient pas visés par le SIMDUT au moment de sa création. Ils en sont demeurés exclus après l'examen parlementaire du début des années 1990, et continuent de l'être. Le Comité, toutefois, n'est pas d'avis que cette exclusion soit maintenue. La récapitulation des événements expliquera, en partie, sa position.

14.4    La loi fédérale créant le SIMDUT est entrée en vigueur en octobre 1988. Elle prévoit notamment qu'un comité parlementaire fasse l'examen des produits exclus du programme du SIMDUT, deux ans après la promulgation de la loi. En prévision de cet examen, le ministre de la Consommation et des Corporations de l'époque a lancé un examen administratif en janvier 1990, de concert avec l'industrie, les syndicats, les provinces et les territoires, ainsi que les ministères fédéraux pertinents. On a créé cinq comités sectoriels pour étudier les exclusions, dont le Comité sectoriel des pesticides.

14.5    Présidé par Agriculture Canada, le Comité sectoriel des pesticides a entrepris une consultation tripartite à laquelle ont participé les fabricants de pesticides, les syndicats et les agents provinciaux de la santé et de la sécurité au travail. Le Comité avait pour mandat :

  • d'étudier le besoin d'une information de type SIMDUT pour les produits antiparasitaires;
  • d'harmoniser les exigences de la Loi sur les produits dangereux et de la Loi sur les produits antiparasitaires en donnant la priorité à la sécurité des travailleurs;
  • d'établir un rapport exposant comment les deux systèmes pouvaient être harmonisés.

14.6    Fort d'un consensus des intéressés, le Comité sectoriel des pesticides a recommandé dans son rapport d'appliquer des mesures de type SIMDUT aux produits antiparasitaires, y compris de procurer aux travailleurs des fiches signalétiques et d'exiger des fournisseurs qu'ils déclarent les ingrédients (formulants) selon les critères du SIMDUT.

14.7    Le 10 avril 1991, les cinq comités sectoriels ont présenté un rapport unique au Parlement, qui l'a fait parvenir pour examen au Comité permanent de la consommation, des affaires commerciales et de l'administration gouvernementale, qui a présenté son rapport à la Chambre des communes le 27 avril 1992. Signalant que le consensus des parties faisait partie intégrante du SIMDUT au moment de sa création, le Comité a exprimé l'avis qu'il serait non seulement peu réaliste, mais aussi contraire à la philosophie du SIMDUT de défaire tout accord auquel seraient parvenus les participants à l'examen. Le Comité de la Chambre n'a pas remis en question les recommandations du Comité sectoriel des pesticides et s'est borné à demander que le gouvernement fédéral les accepte et y donne suite.

14.8    Le Comité désire insister sur le fait que la question de continuer d'exclure les pesticides du SIMDUT ne semble pas avoir été considérée de façon spécifique, compte tenu du mandat du Comité sectoriel des pesticides. Celui-ci a plutôt étudié la possibilité d'appliquer des mesures parallèles en dehors du SIMDUT.

14.9    Les pesticides continuent d'être exclus du SIMDUT, mais certaines mesures volontaires ont été prises. L'Institut canadien pour la protection des cultures, par exemple, nous a signalé que tous les entrepôts doivent être certifiés conformément au programme de normes d'entreposage créé en 1995 par l'Agrochemical Warehousing Standards Association (AWSA)247 pour que ses membres y expédient leurs produits. De plus, la production de fiches signalétiques fait partie des exigences de certification. L'Institut a aussi indiqué que l'industrie met sur pied une base électronique de données pour y verser les fiches signalétiques que les cultivateurs pourront consulter par l'intermédiaire des commerçants, sur papier et en version électronique. Les propriétaires d'entrepôts seront tenus d'y contribuer. L'Institut a aussi signalé que toutes les entreprises membres sont tenues de joindre les fiches signalétiques aux demandes présentées à l'ARLA. Si elles ne le font pas, les demandes sont rejetées248.

14.10    Le Comité appuie ces mesures volontaires, mais s'inquiète de ce que les travailleurs qui manipulent les pesticides ou y sont exposés ne bénéficient pas de la même protection complète offerte aux travailleurs couverts par le SIMDUT. Le Congrès du Travail du Canada a d'ailleurs insisté sur ce point :

Des règles très strictes s'appliquent aux fabricants relativement à ce qu'ils doivent divulguer et à ce qu'ils peuvent passer sous silence. On constate donc une énorme différence entre le contrôle exercé sur les produits chimiques industriels et les pesticides. Pourtant, ce sont tous des produits chimiques et beaucoup d'entre eux sont toxiques. Ce sont tous des polluants en puissance. Et pourtant, les pesticides ne sont absolument pas traités de la même manière que les produits chimiques industriels249.

14.11    Lorsqu'il a comparu devant lui le 23 novembre 1999, le Congrès du Travail du Canada (CTC) a fourni au Comité le rapport The Right to Know About Chemical Pesticides: A Discussion Paper établi en décembre 1998 par Mme Katherine Davies, d'Ecosystems Consulting Inc., pour le CTC. Mme Davies note dans son rapport que les recommandations de 1992 du Comité permanent de la consommation, des affaires commerciales et de l'administration gouvernementale visant à harmoniser le droit de savoir des travailleurs à l'égard des pesticides avec les critères du SIMDUT, n'avaient pas été mis en œuvre. Après avoir étudié les fiches signalétiques établies pour les pesticides, Mme Davies a conclu qu'à peu près aucune ne répond aux exigences du SIMDUT. Elle a comparé d'autres exigences du SIMDUT, telles que classification des risques, confidentialité de l'information, étiquetage, formation et information, avec les mesures adoptées à l'égard des pesticides et en est venue à la même conclusion. Mme Davies affirme ce qui suit :

Au Canada, le droit de savoir des travailleurs et du public [...] est très limité parce que le SIMDUT ne s'applique pas aux pesticides et que la Loi sur les produits antiparasitaires (LPA) [...] contient moins d'exigences en matière de classification d'étiquetage et de symboles de danger. De plus cette loi (de même que les lois et règlements provinciaux pertinents) n'exigent nullement la préparation des fiches signalétiques. En outre, comme la LPA ne traite pas de confidentialité, il y a une politique tacite du secret qui touche la nature des pesticides et l'information sur les dangers. Cela constitue une situation très inéquitable : au sujet des pesticides, les travailleurs et le public devraient avoir le même droit de savoir que pour les autres produits dangereux. Cette situation est au détriment de la santé et de la sécurité au travail et de la santé et de la sécurité du public250.

14.12    À partir de cette analyse, Mme Davies recommande que les pesticides soient inclus dans le SIMDUT et répondent à toutes ses exigences, en reconnaissant qu'il faudra apporter certaines modifications aux étiquettes et aux fiches signalétiques pour tenir compte des différences entre les pesticides et les autres types de substances dangereuses.

14.13    Le Comité trouve que les mesures prises volontairement sont valables. Selon lui, toutefois, elles doivent compléter et non remplacer les normes prescrites par la loi. Il est capital d'assurer la sécurité des travailleurs par de telles normes législatives, d'application obligatoire. Le Comité trouve inacceptable que les pesticides ne soient pas traités avec la même rigueur que les autres produits chimiques utilisés en milieu de travail. Selon lui, ils devraient être traités de façon identique et intégrés au SIMDUT.

Le Comité recommande que l'exclusion actuelle des pesticides du Système d'information sur les matières dangereuses utilisées au travail (SIMDUT) soit levée et que ceux-ci en satisfassent toutes les exigences, sous réserve des modifications nécessaires pour tenir compte de ce qui les différencie des autres types de substances dangereuses.

Professionnels de la santé

14.14    Les travailleurs susceptibles d'être constamment exposés à des pesticides ne sont pas les seuls à avoir besoin d'information spéciale sur les pesticides. Les professionnels de la santé doivent également avoir accès à de l'information bien plus détaillée que celle qui est offerte au public.

14.15    Il est évident pour le Comité que les médecins ne reçoivent pas -- et ne peuvent pas facilement se procurer -- le genre d'information détaillée dont ils ont besoin pour diagnostiquer et traiter les cas d'empoisonnement par des pesticides. L'ARLA a un numéro sans frais, mais il est peu connu et, selon les témoignages présentés, n'est pas particulièrement facile à consulter. C'est ce qu'a indiqué au Comité Mme Peggy Land de la Campagne pour la réduction des pesticides, qui a déclaré que « le numéro sans frais ne figure pas dans l'annuaire téléphonique et on ne s'empresse certainement pas de le faire largement connaître. Si malgré tout vous le composez, vous devez savoir exactement ce que vous devez demander251. » Mme Land a aussi décrit les nombreuses démarches qu'elle a dû faire pour obtenir de l'information sur le pesticide « Par 3 » au nom d'un médecin qui avait communiqué avec son organisme :

Je n'avais pas de dossier sur ce produit [le Par 3] et j'ai donc appelé la société Weed Man et d'autres encore, mais je n'ai obtenu que des renseignements contradictoires et en plus parfaitement inutiles. Une réceptionniste m'a dit qu'elle devait s'informer puis m'a dit que c'était le nom du produit d'entretien des pelouses. Je lui ai demandé ce que c'était exactement, et elle m'a dit que c'était le nom du produit, tout comme du bicarbonate de soude, c'est du bicarbonate de soude252.

14.16    Le Conseil canadien de la lutte antiparasitaire en milieu urbain a été très positif à l'égard de la ligne d'aide sans frais dont le numéro paraît sur l'étiquette de la plupart des produits canadiens. Selon cet organisme, si les consommateurs se posent des questions au sujet de l'environnement, de la santé et ainsi de suite, les compagnies sont heureuses de recevoir des appels téléphoniques. Elles ont des lignes de secours ouvertes 24 heures par jour et elles font le suivi des appels253. La propre enquête du Comité n'a toutefois pas été aussi encourageante. Le conseiller juridique d'un membre a acheté deux produits, un fongicide pour lequel aucun numéro sans frais n'était fourni et un produit avec un numéro sans frais dont la réponse invitait le conseiller à rappeler durant les heures d'ouverture.

14.17    Le Dr Kelly Martin, médecin en salle d'urgence et membre du conseil d'administration de l'Association canadienne des médecins pour l'environnement, a été catégorique en affirmant que, concernant l'information dont les médecins ont besoin, il n'y a rien ou presque rien à consulter, que ce soit sur les sites Web, les lignes d'aide sans frais ou auprès de la Direction générale de la protection de la santé de Santé Canada. Elle a déclaré au sujet de deux cas d'urgence :

La personne a communiqué avec la compagnie qui avait fait l'épandage dans son quartier et elle a rapporté le produit. On y trouvait très peu d'information. Il y avait un numéro sans frais, qu'on pouvait également obtenir par l'Internet, ce que nous avons fait à l'hôpital. On recommandait de se laver les mains et, en cas d'ingurgitation du produit par un enfant, de le faire vomir. En somme, des renseignements élémentaires. L'information fournie n'était pas de nature médicale et ne faisait pas état d'un risque de crise ou de toxicité cardiaque.
Un enfant, qui éprouvait beaucoup de difficulté à respirer et à qui il a fallu porter secours, a également eu une crise. Que fallait-il faire? Quelle devait être la nature de notre intervention? La documentation ne disait rien à ce sujet. À l'hôpital pour enfants, nous avons fait des tentatives auprès de l'organisme de prévention des risques pour la mère et l'enfant à Toronto et auprès du centre anti-poison et nous avons consulté un certain nombre de sites Web. Nous espérions trouver quelque chose sur les pesticides dans les sites Web du gouvernement, mais il n'y avait rien254.

14.18    Le Dr Kelly Martin a aussi dit au Comité que certains médecins sont si peu informés sur les empoisonnements par les pesticides qu'ils ne savent même pas qu'il existe des tests sanguins pour déceler la présence du pesticide dans l'organisme255.

14.19    Le Comité est très troublé par ce témoignage. À son avis, il est essentiel que les professionnels de la santé aient accès à des données toxicologiques détaillées pour pouvoir détecter et traiter les cas d'empoisonnement par des pesticides. Comme il a été mentionné au chapitre 13 intitulé « Information et participation du public canadien », il semble qu'une certaine aide pointe à l'horizon; l'ARLA a recommandé que la nouvelle loi permette de communiquer des renseignements commerciaux confidentiels à des fins de diagnostic aux médecins, à condition que ces derniers ne divulguent pas l'information256. Si les pesticides sont inscrits dans le SIMDUT, comme le Comité le recommande plus haut dans ce chapitre sous « Droit des travailleurs de savoir », le personnel médical aura également accès en cas d'urgence à des renseignements commerciaux confidentiels autrement privilégiés.

14.20    Ces initiatives devraient améliorer la situation, mais il reste à savoir si l'information sera accessible. Le personnel médical doit non seulement avoir accès à l'information, mais il doit aussi y avoir accès « en temps opportun ». À cette fin, le Comité est d'avis que le ministre de la Santé, de sa propre initiative ou en collaboration avec ses homologues provinciaux et territoriaux, établisse un service téléphonique 24 heures d'information médicale d'urgence sur les pesticides. Cela pourrait nécessiter la création d'un service téléphonique spécialisé sans frais ou d'un site Web spécialisé, comme le Réseau canadien de la santé. Par ailleurs, il faudrait peut-être désigner partout au pays certains hôpitaux comme « centres antipoisons ». Le Comité n'a entendu aucun témoignage à ce sujet et peut donc difficilement faire une recommandation précise sur les initiatives à entreprendre. Il importe toutefois de mettre sur pied un système d'information médicale d'urgence. Comme, en cas de détresse aiguë, les substances toxiques peuvent être autres que des pesticides, le Comité recommande qu'un tel service couvre toutes les substances toxiques et non seulement les pesticides.

Le Comité recommande que le ministre de la Santé, de sa propre initiative ou en collaboration avec ses homologues provinciaux et territoriaux, établisse un service 24 heures d'information médicale d'urgence sur les pesticides et les autres substances toxiques.

14.21    Il serait illogique d'offrir un service d'information médicale d'urgence sur les pesticides et les autres substances toxiques si les professionnels de la santé n'étaient pas en même temps informés de l'existence de ce service ou, de façon plus générale, des risques et des effets nocifs, connus ou potentiels, associés à l'utilisation de ces substances. Il importe que les membres de la profession médicale reçoivent la formation requise, tant dans les écoles de médecine que dans le cadre de programmes de perfectionnement professionnel. Il importe également de les encourager à déclarer les cas d'effets nocifs à l'ARLA pour que celle-ci les consigne dans sa base de données sur les effets nocifs dont le Comité recommande la création au chapitre 9 sur la gestion du risque. Comme il s'agit de champs de compétence essentiellement provinciale et territoriale, le ministre de la Santé devrait travailler en collaboration étroite avec ses homologues provinciaux et territoriaux à l'atteinte de ces objectifs. Les collèges de médecins et les associations médicales nationales, provinciales et territoriales pourraient également jouer un rôle capital en fournissant à leurs membres de l'information à jour sur les maladies liées aux pesticides et aux autres substances toxiques, et en les encourageant à déclarer les effets nocifs. Le ministre de la Santé devrait donc aussi compter sur leur participation active.

Le Comité recommande que le ministre de la Santé, en partenariat avec ses homologues provinciaux et territoriaux, les collèges de médecins et les associations médicales nationales, provinciales et territoriales :
(a) s'assure que les professionnels de la santé reçoivent l'éducation et la formation nécessaires pour diagnostiquer et traiter les maladies causées par les pesticides et les autres substances toxiques, ou découlant d'une exposition à ceux-ci;
(b) encourage les professionnels de la santé à déclarer les cas d'effets nocifs à l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire pour que celle-ci les consigne dans la base de données sur les effets nocifs dont le Comité recommande la création.

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247 L'Agrichemical Warehousing Standards Association (AWSA) a été créée pour prendre la relève des activités du Comité d'entreposage de l'Institut canadien pour la protection des cultures en matière de normes d'entreposage. Ses règles autorisent un Conseil de surveillance de 13 personnes ou moins représentant les détenteurs de certificats, les fabricants, les distributeurs, les entrepôts publics et le gouvernement. (Voir le site Web de l'Association.)

248 Institut canadien pour la protection des cultures, mémoire présenté au Comité; Témoignages, réunion no 9, le 25 novembre 1999.

249 Témoignages, réunion no 7, le 23 novembre 1999.

250 K. Davies, The Right to Know About Pesticides: A Discussion Paper, préparé pour le Congrès du Travail du Canada, décembre 1998, p. 24.

251 Témoignages, réunion no 3, le 4 novembre 1999.

252 Ibid.

253 Témoignages, réunion no 8, le 24 novembre 1999.

254 Témoignages, réunion no 11, le 1er décembre 1999.

255 Ibid.

256 Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, Modifications proposées à la Loi sur les produits antiparasitaires, janvier 1999.