Passer au contenu
;

FINA Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PARTIE II : ÉTUDES DE CAS

Le manque d’information est le principal obstacle qu’une étude sur le recouvrement des coûts à l’échelle de l’administration fédérale devra surmonter. Les données et l’information sur les programmes sont éparpillées dans des centaines de programmes gérés par des douzaines de ministères et d’organismes. Pour obtenir une idée aussi précise que possible de la situation du recouvrement des coûts, le Comité a concentré son attention sur les secteurs de la santé, de l’agriculture et de l’agroalimentaire, et des services maritimes, où les frais d’utilisation jouent un rôle important. C’est sur ces études, où les mêmes préoccupations reviennent sans cesse, que reposent les recommandations formulées dans la première partie du présent rapport.

PREMIER CAS : LE PROGRAMME DES PRODUITS THÉRAPEUTIQUES DE SANTÉ CANADA

De tous les ministères, Santé Canada se situe au deuxième rang pour l’augmentation, en pourcentage, des frais d’utilisation encaissés au cours des cinq dernières années. Depuis 1994-1995, ces rentrées ont augmenté de 118 % pour passer de 27,7 millions de dollars à 60,4 millions en 1998-1999. De nombreux services obligatoires comme l’évaluation des médicaments ont pour la première fois été frappés de frais d’utilisation.

Selon M. Michols (directeur général, Programme des produits thérapeutiques, Direction générale de la protection de la santé, Santé Canada), les frais d’utilisation représentent de 20 % à 80 % du coût des activités de Santé Canada, le reste provenant des crédits budgétaires. Des initiatives de recouvrement des coûts existent actuellement dans les programmes des produits thérapeutiques, de l’hygiène du milieu, de la réglementation de la lutte antiparasitaire, de la sécurité et la santé au travail, des services médicaux, de la sécurité alimentaire, et du contrôle des renseignements relatifs aux matières dangereuses. Dans celui des produits thérapeutiques (PPT), les frais d’utilisations représentent environ deux tiers des coûts.

M. Michols a informé le Comité que des pays industriels semblables « comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont tous […] établi une forme de politique de frais d’utilisation, et dans certains cas leurs programmes réglementaires sont financés entièrement par ces recettes, par opposition aux crédits budgétaires ».

Selon M. Michols, le recouvrement des coûts a contribué à imprimer au gouvernement un caractère plus proche de celui du secteur privé : « Il a en outre un effet important sur la mentalité des scientifiques et des personnes chargés de la réglementation au sein du programme, car il les oblige à voir le processus de

réglementation comme un processus qui est géré et dont les clients ont des besoins légitimes. Cela a également favorisé une hausse de la productivité ».

Il est toutefois bien difficile d’inculquer une attitude plus professionnelle à une administration que rien ne pousse dans cette direction. Comme le recouvrement des coûts a été imposé dans un contexte de compression générale des programmes, par exemple, quelle garantie un ministère peut-il avoir qu’une efficacité accrue n’entraînera pas simplement de nouvelles compressions budgétaires? Lorsqu’un service obligatoire est frappé de frais d’utilisation sans qu’il n’existe de concurrent, quel aspect de cette décision pourrait inspirer une mentalité plus proche de celle du secteur privé?

Le Comité s’est penché, dans le cadre de son étude, sur le PPT, et en particulier sur l’expérience des fabricants canadiens de médicaments de marque et de médicaments génériques, auxquels des frais sont imposés dans cinq cas différents depuis 1995 : pour autoriser la vente d’un médicament, pour évaluer des médicaments, pour établir la fiche maîtresse d’un médicament et les certificats d’exploitation (à partir de 1996 dans les deux cas), et pour agréer des établissements pharmaceutiques (à partir de 1998). Le montant total des frais perçus a été de 33 millions de dollars en 1998-1999, en baisse par rapport aux 37 millions encaissés en 1997-1998.

Tableau I : Frais d’utilisation relatifs aux médicaments et aux services de santé

Type de frais

1994-1995

1995-1996

1996-1997

1997-1998

1998-1999

(en millions de $)

Licences d’importation/d’exportation de médicaments

0

0

 0,1

 0,2

 0,3

Fiche maîtresse de médicaments

0

0

0,07

0,08

0,09

Agrément des établissements pharmaceutiques

0

0

0

0

 3,2

Projet de recouvrement des coûts du Programme des médicaments

2,5

7,1

6,7 

 8,5

 6,9

Frais d’évaluation des médicaments

0

3,5

17,8 

28,3

22,5

Montant total des frais — Médicaments

2,5

10,6

24,7 

37,1

33,0

Montant total des frais — Services de santé

27,7

35,5

49,6 

63,2

60,4

 

Source : Secrétariat du Conseil du Trésor

Santé Canada s’efforce de réviser et d’améliorer le programme de recouvrement des coûts par diverses initiatives et études, y compris l’examen en phase IV du PPT, dont le but est d’évaluer l’impact du recouvrement des coûts de ce programme sur les entreprises de toutes tailles, les consommateurs, les secteurs touchés, ainsi que les administrations publiques et les organismes de réglementation. L’examen portera à la fois sur les avantages et les coûts de la réglementation. D’autre part, la Direction générale de la protection de la santé a procédé à de nombreuses études et consultations au sujet des impacts sur les entreprises.

M. Michols a estimé que le passage aux frais d’utilisation a été réussi dans l’ensemble, quoique difficile, incluant la nécessité de « gérer une opération qui dépend des rentrées de fonds malgré les contraintes d’une administration publique, où le financement des activités vient habituellement de crédits budgétaires ».

D’après lui, le ministère a tenu compte des exigences de la santé et de l’aspect économique pour établir le barème des frais : « Le contexte général dans lequel s’inscrit l’industrie canadienne est un facteur bien réel. Cela dit, notre mission consiste à protéger la santé et la sécurité des Canadiens, à veiller à ce que les médicaments qui leur sont proposés soient efficaces et de haute qualité, et ne présentent aucun danger. C’est notre mission première ».

Dans le portefeuille de la santé, d’autre part, un des principaux rôles des frais d’utilisation est de produire des recettes, ce qui semble contraire à la politique du Conseil du Trésor.

PROBLÈMES D’APPLICATION

A. Non-respect des engagements

Ni l’association des fabricants de médicaments de marque, les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada (Rx&D), ni celle des fabricants de médicaments génériques, l’Association canadienne des fabricants des produits pharmaceutiques (ACFPP), ne s’oppose au principe des frais d’utilisations; les deux ont même été consultées à fond sur l’établissement des barèmes. Afin de tenir compte des besoins de ceux qui acquittent les frais, le PPT a adopté, pour les processus d’agrément, des normes de rendement comparables à celles des principaux organismes de réglementation des drogues dans le monde.

Selon M. Jim Keon, (président de l’ACFPP), « Nous avons accepté de payer ces frais, car on nous assurait que le PPT redoublerait d’efforts pour accélérer l’examen des demandes d’agrément de médicaments génériques, la publication des avis de conformité et la mise en marché des médicaments ».

Ces objectifs n’ont pas été atteints. La cible fixée pour les médicaments de marque était de 355 jours civils. Selon John Stewart (vice-président exécutif et directeur général, Purdue Pharma), de Rx&D, leur agrément demande cependant en moyenne 591 jours. Il faut cependant signaler que, même si l’on est encore loin de l’objectif fixé et des délais atteints dans d’autres pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis et la

Suède, c’est une nette amélioration par rapport au sommet de 1 142 jours atteint en 1992.

Le Comité a appris que, s’il est vrai que l’agrément exige en moyenne près de 600 jours, à cause du manque de personnel, les médicaments attendent longtemps leur tour.

Les évaluations de médicaments se composent de deux parties : la présentation et l'évaluation, d'une part, et le contrôle de la qualité chimique et manufacturière, d'autre part. Si ces deux étapes peuvent être menées de front, comme l’illustre le schéma ci-dessus, elles sont menées l’une après l’autre pour le moment et sont séparées d’un délai considérable. Comme le montre aussi le schéma qui précède, le PPT n’aurait aucune difficulté à respecter les délais qu‘il s’est fixés si les tests étaient menés de front. M. Michols le reconnaît, mais prétend que le manque de crédits budgétaires l’en empêche.

La situation est semblable pour les médicaments génériques. Leur agrément devait prendre 225 jours civils, auxquels s’ajoutaient 195 jours si un problème quelconque rendait un deuxième examen nécessaire. Les résultats se sont d’abord

améliorés en 1995 et 1996, pour ensuite régresser d’après l’ACFPP. Comme l’affirmait M. Keon, « le rapport annuel de 1999 sur le rendement du PPT indique que les premiers examens d’agrément de médicaments génériques ont nécessité en moyenne 458 jours, soit plus de deux fois l’objectif fixé. À notre connaissance, il faut environ 30 jours pour évaluer un médicament générique, mais le PPT en prend 458! Le reste du temps, c’est du temps mort. »

Rx&D fait valoir que, à cause des délais de traitement du PPT, les citoyens malades doivent attendre plus longtemps les médicaments. Sur le plan économique, il faut aussi plus de temps aux entreprises pharmaceutiques pour rentabiliser leur R-D. Le Canada y perd aussi, indirectement, sur le plan des investissements, de la fabrication et de la création d’emplois puisque les sociétés peuvent obtenir plus rapidement l’agrément de leurs médicaments sur de plus grands marchés. Les Canadiens se voient aussi, bien sûr, privés de nouveaux médicaments, en principe meilleurs, pendant ce temps. Un processus d’agrément des médicaments excessivement lent n’ajoute rien sur le plan de la sécurité. Les longs délais ne découlent pas d’un examen soigné des demandes, mais plutôt de la mauvaise gestion du processus.

Les lenteurs constatées dans l’agrément de nouveaux médicaments et de médicaments génériques, qui coûtent jusqu’à moitié moins que les médicaments de marque, entraînent des délais de commercialisation de médicaments moins coûteux, d’où des frais accrus pour le régime d’assurance-maladie, puisque les malades doivent continuer pendant ce temps de prendre des médicaments de marque plus coûteux. En outre, l’ACFPP estime que depuis 1995 les délais excessifs du processus d’agrément ont entraîné un manque à gagner total de 250 millions de dollars sur le plan des ventes et des coûts de 100 à 140 millions aux consommateurs et aux régimes d’assurance, ce à quoi s’ajoute un potentiel d’environ 140 emplois et de 57 millions en investissements et en R-D qui s’est évaporé. Par surcroît, il y aurait eu, sans cela, 75 demandes d’agrément de médicaments génériques de plus.

Ce n’est qu’une des promesses du recouvrement des coûts qui n’a pas été tenue. Par le Règlement fixant le prix à payer pour la prestation de services d'évaluation des présentations de drogues (JUS-95-297-02), le gouvernement s’engageait à ce que : « Lorsqu’on aura élaboré des nouvelles normes, celles-ci seront dans les plus brefs délais associées au barème des frais inclus dans le présent projet de règlement. De cette façon, les frais seront réduits relativement aux présentations qui ne seront pas traitées dans les délais prescrits par les normes ».

L’un des objectifs déclarés de la politique de recouvrement des coûts est que ces sommes servent à améliorer le service en rendant les fonctionnaires conscients des besoins de leurs clients. « L’imposition de frais d’utilisation permet d’améliorer les services et d’en accroître la pertinence parce que les utilisateurs tiennent à en avoir pour leur argent. Ainsi, en mettant en application des suggestions des clients en vue d’améliorer la prestation de services et l’efficience, le gouvernement se met davantage au

service de ses clients ». Au sujet des services obligatoires, le texte précise : « Le gouvernement peut les adapter aux besoins de ses clients ».

Les frais perçus ne peuvent contribuer à améliorer le service que si les clients peuvent faire connaître leurs doléances. Comme la politique sur les frais d’utilisation ne comporte pas de mécanisme efficace de règlement des griefs, les clients n’ont guère de moyens d’exiger de meilleurs services.

La Politique présente aussi une énigme pour les décideurs. Il se trouve que les frais d’utilisation sont devenus, pour certains programmes, une source importante de recettes. D’un autre côté, le montant des frais est en principe lié à l’atteinte de certaines normes. Si celles-ci ne sont pas atteintes, les frais doivent être réduits, ce qui, en réduisant les recettes, rendra l’organisme ou le ministère moins apte à fournir des services qui avantagent l’ensemble des Canadiens.

Lorsque, dans un monde de marchés concurrentiels, les normes ne sont pas atteintes, les clients peuvent se tourner vers d’autres fournisseurs. Ce n’est pas le cas lorsque l’administration publique a le monopole des services offerts. Il n’y a pas, dans l’administration publique, les mécanismes régulateurs ou les incitations qu’offre le jeu des forces du marché. Il est donc beaucoup plus difficile, même dans le contexte des frais d’utilisation, d’amener un ministère, par opposition à une entreprise, à adopter un comportement empirique.

B. Structure des frais

Dans la Politique de recouvrement des coûts, les frais d’utilisation sont perçus comme une façon d’améliorer l’efficacité gouvernementale et non pas comme un moyen d’accroître les recettes de l’État. Il ne faut pas oublier cependant qu’elle est issue d’une période de réduction des services gouvernementaux où les programmes étaient menacés de compressions budgétaires.

En réalité, le PPT s’est servi des frais d’utilisation pour compenser les compressions budgétaires. Selon le Business Coalition on Cost Recovery, « en avril 1995, le PPT a communiqué au secteur un état détaillé du coût de son programme, dont une ventilation des intérêts privés et du bien public par activité. Bien que la méthodologie utilisée pour déterminer les intérêts avantages privés soit inconnue, l’évaluation indiquait que, globalement, les coûts du programme étaient partagés à parts égales [...]. Le montant final des frais a toutefois été établi en multipliant les coûts par un facteur de majoration de 1,35 afin de produire les recettes nécessaires au programme ».

Au sujet du barème des frais, M. Michols a affirmé devant le Comité : « Nous partions du principe que nous allions perdre la moitié de nos crédits dans le cadre de l’Examen des programmes, et qu’il fallait essayer de récupérer au moins ce montant par le biais du recouvrement des coûts pour maintenir le même niveau de productivité. Et comme je vous le disais, nous avons en fait doublé notre productivité au cours de cette même période ». En réalité, a-t-il ajouté, c’est ce manque de crédits budgétaires qui empêche d’atteindre le niveau promis de traitement des demandes d’agrément.

M. Stewart l’a appuyé sur ce point : « Il s’agit d’un service (le PPT) complexe, dont beaucoup d’activités, extrêmement importantes par ailleurs, n’ont rien à voir avec l’examen et l’agrément des nouveaux médicaments. Je pense que certaines d’entre elles ont d’ailleurs pris de l’expansion. Je ne crois pas que les crédits budgétaires, le budget, le financement global du service, n’aient augmenté de façon proportionnelle».

Sans faire de commentaire sur le niveau optimal de financement de ces programmes ou d’autres services, il semble clair que cette façon de faire va à l’encontre de l’esprit de la Politique de recouvrement des coûts, et notamment du principe selon lequel les frais d’utilisation devraient reposer sur a) les coûts et b) les avantages qu’en tirent ceux qui les acquittent. La personne ou l’entreprise pourrait ainsi se trouver, dans ce cas, à subventionner ce qu’en tire le grand public. S’il est vrai que les entreprises doivent assumer une « part équitable » des services reçus, le public doit aussi, par les recettes fiscales de l’État, apporter un niveau approprié de financement. Il n’y a donc pas lieu que l’État enlève aux programmes assortis de frais d’utilisation un montant disproportionné de crédits budgétaires pour l’affecter à des programmes dépourvus de cette forme de financement. Les niveaux cibles préétablis de recettes compliquent, dans le processus d‘établissement des barèmes, les efforts pour les rendre équitables ou efficients.

L’analyse d’impact sur les entreprises est la clé du succès de tout programme de frais d’utilisation, la règle étant que si les coûts dépassent les avantages produits, il faut soit modifier les frais, soit abandonner l’idée d’en imposer. Santé Canada a eu du mal, sur ce plan également, à mettre la Politique en œuvre. Selon M. Michols, les analyses d’impact sur les entreprises ont produit « de l’information de qualité incertaine et de caractère surtout anecdotique. Les ministères et organismes gouvernementaux ne sont habituellement pas habilités à exiger les chiffres d’affaires, d’où la difficulté d’évaluer l’impact économique des droits proposés sur une société, et encore moins sur l’ensemble d’un secteur ».

C. Rôle du Conseil du Trésor

Le PPT semble s’être heurté, pour établir son programme de recouvrement des frais, à deux grandes difficultés : l’établissement d’un tel programme à partir de rien dans un contexte bureaucratique tout en cherchant à réduire les coûts, et une pénurie d’indications de la part de l’organisme chargé de veiller à la mise en œuvre de la Politique, le Conseil du Trésor. M. Michols nous a parlé de la difficulté de « travailler en

tenant compte des exigences de la politique générale du Conseil du Trésor sans lignes directrices détaillées ni guère d’indications sur la façon de donner suite aux diverses initiatives ».

Le sentiment général que les ministères ne reçoivent pas un appui suffisant du Conseil du Trésor transparaît également; autrement dit, alors que des programmes particuliers fonctionnent sous un régime de recouvrement des coûts, l’administration fédérale dans son ensemble ne s’est pas adaptée de manière à les appuyer. Selon M. Michols : « La mise en œuvre a posé un problème. [...] Les difficultés venaient en grande partie de l’absence d’infrastructure, au sein de l’administration fédérale, pour appuyer les gestionnaires chargés d’établir les principes (de recouvrement des coûts), de fixer les objectifs et de mesurer les résultats».

Ce refrain a été repris par bien des participants à la table ronde. Les représentants du secteur privé et du ministère semblent convenir que les problèmes que pose la Politique viennent du Conseil du Trésor, qui ne l’applique pas comme il faudrait et n’a pas produit un texte assez précis. Si cet organisme veillait activement à l’application de la Politique, il se serait penché sur le fondement financier des barèmes. D’autre part, si la Politique elle-même était plus précise, il serait plus facile de définir les intérêts privés et le bien public, et d’uniformiser le traitement des analyses d’impact industrielles. Un tel texte permettrait aussi de parer au non-respect des ententes sur les frais d’utilisation que représentent, par exemple, les retards excessifs.

M. Michols a estimé, par exemple, que les attentes déraisonnables des utilisateurs sont attribuables à l’imposition de frais, ou au fait que les utilisateurs ne comprennent pas ce qu’on leur fait payer. Il faisait remarquer, pour donner un exemple, que : « Il faut souligner que les droits perçus pour délivrer un permis sont établis en vertu des pouvoirs et privilèges qu’accorde la Loi sur la gestion des finances publiques, et non pas en vertu des dispositions relatives aux services, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’associer les frais à des services particuliers ». C’est peut-être vrai de cette mesure, mais il s’agit ici de la politique gouvernementale sur les frais d’utilisation, qui exige l’établissement d’un lien entre frais et services.

La question de savoir vers qui se tourner pour régler les différends sur les attentes, le service et le montant des frais d’utilisation semble source de frustration dans le secteur privé. Dans l’ensemble, le Conseil du Trésor est jugé inefficace et le ministère se trouve en situation de conflit d’intérêt dès qu’on se tourne vers le ministre pour se plaindre d’un programme qui relève de lui.

D. Bureau des médicaments vétérinaires

Selon des témoins du secteur privé, la situation est semblable au Bureau des médicaments vétérinaires (BMV) de Santé Canada. Mme Jean Szkotnicki (présidente, Institut canadien de la santé animale) a fait remarquer que « les frais imposés par le BMV sont excessifs comparativement à ceux exigés dans d’autres pays. Au Royaume-Uni, par

exemple, l’homologation d’un nouveau médicament vétérinaire coûte en moyenne — et il s’agit d’estimations pour les aliments et les produits vétérinaires — environ 30 000 $. En Australie, le coût dépasse légèrement 20 000 $. Au Canada, le même service coûte plus de 54 000 $. Par rapport à la taille du marché, le programme de recouvrement des coûts applicable aux médicaments vétérinaires au Canada est le plus coûteux au monde. Aux États-Unis, notre principal concurrent en matière d’agriculture, où le marché de l’agriculture est 10 fois plus grand qu’au Canada, l’homologation des nouveaux médicaments vétérinaires ou de produits biologiques est gratuite ». Elle ajoutait que ces frais élevés ont un effet dissuasif sur l’homologation des produits et l’innovation.

Comme dans le cas du PPT, le niveau des services fournis par le BMV a empiré depuis l’imposition du recouvrement des coûts. Selon Mme Szkotnicki, il faut maintenant compter en moyenne 926 jours pour faire homologuer un médicament vétérinaire, contre 427 jours en 1995, avant le début du recouvrement des coûts, et encore plus loin de l’objectif de 180 jours fixé au moment de l’introduction du programme de recouvrement des coûts. Malgré ces problèmes, le Comité s’est fait dire que le BMV a décidé de ne pas participer à l’examen du programme de recouvrement des coûts lancé par Santé Canada.

DEUXIÈME CAS : L’AGRICULTURE ET L’AGROALIMENTAIRE

Dans le secteur de l’agroalimentaire, les frais d’utilisation perçus par le gouvernement fédéral ne sont pas nouveaux : depuis plus de 60 ans, les agriculteurs versent des droits de pacage à l’Administration du rétablissement agricole des Prairies (ARAP) pour l’utilisation de ses pâturages naturels communautaires; et, depuis près de 90 ans, la Commission canadienne des grains (CCG) impose des droits pour ses services d’inspection des grains d’exportation.

Les trois principales entités du secteur qui perçoivent des frais d’utilisation sont Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), la CCG et l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA). En 1998-1999, les frais d’utilisation imposés dans le secteur agroalimentaire ont totalisé 127 millions de dollars. Cela le classe au septième rang des secteurs du gouvernement fédéral qui, ensemble, recueillent 3 706 milliards de dollars au titre des frais en question. En 1998-1999, l’ACIA a perçu 49,7 millions de dollars pour ses services d’inspection aux producteurs d’aliments, la CCG a récupéré 36,1 millions de dollars, principalement pour l’inspection et la pesée des grains destinés à l’exportation, et AAC a recueilli le solde.

 

Tableau II : Recouvrement des coûts au ministère de l’Agricultgure et de l’Agroalimentaire

Ministère/organisme

Nombre de programmes

1994-1995

1995-1996

1996-1997

1997-1998

1998-1999

1994-1999

en million de $

Changement (%)

Agriculture et Agroalimentaire

24

 36,1

 43,0

 45,2

 42,8

 41,2

 14,0

Agence canadienne d’inspection des aliments

19

 20,8

 27,3

 34,1

 42,4

 49,7

138,9

Commission canadienne des grains

1

 56,6

 46,6

 42,8

 56,4

 36,1

-36,3

Total

113,5

116,9

122,1

141,6

127,0

12,4

 

Source : Secrétariat du Conseil du Trésor

Les frais d’utilisation suscitent énormément de problèmes dans le secteur agroalimentaire. Les producteurs protestent contre la façon dont ces frais sont imposés et critiquent leur effet cumulatif, lequel a fait l’objet d’une étude d’AAC en 1998. Lorsqu’ils ont témoigné devant le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire, les auteurs de cette étude ont conclu que l’impact dépendait du secteur de production et que la réduction des revenus nets d’utilisation attribuable aux frais d’utilisation pouvait varier de pratiquement nulle à 3,4 %.

Dans tous les organismes d’AAC, les frais d’utilisation ont été gelés jusqu’en 2002, sauf pour la CCG, où ils le seront jusqu’en 2004.

DIFFICULTÉS LIÉES À LA POLITIQUE

A. Le Rapport de septembre 1999 du vérificateur général

Dans l’examen des programmes de recouvrement des coûts d’AAC qu’il a effectué en septembre 1999, le Bureau du vérificateur général (BVG) a constaté de graves lacunes à bien des égards.

Premièrement, a indiqué Denis Desautels, « chaque organisme doit améliorer sa capacité d’établissement des coûts et ainsi être mieux en mesure de gérer ses frais d’utilisation et de rassurer la population. Bien que le Secrétariat du Conseil du Trésor et mon bureau aient insisté sur l’importance de bons systèmes d’établissement des coûts, nous avons trouvé un système acceptable dans un seul secteur de programme. »

En deuxième lieu, selon le vérificateur général, « les normes de service ne sont pas largement utilisées. Troisièmement, les organismes doivent également améliorer leur façon d’évaluer l’incidence possible de l’imposition de frais. Les évaluations des impacts que nous avons examinées étaient imprécises et contenaient peu d’information pour aider le lecteur à comprendre les impacts prévus des frais.»

« Quatrièmement, il n’existait pas de procédures d’appel officielles ou celles-ci n’étaient pas connues. Cinquièmement, les organismes doivent améliorer la qualité de l’information sur les frais d’utilisation mise à la disposition des parlementaires et du public. Entre autres, […] ils doivent rendre compte des normes de services atteintes, des recettes obtenues, de la façon dont les frais d’utilisation ont aidé l’organisation à atteindre ses objectifs et de la façon d’obtenir de l’information plus détaillée sur chacun de ces frais. »

« Enfin, nous avons constaté que ces organismes considèrent souvent les frais d’utilisation surtout comme un moyen de générer des recettes. »

En ce qui concerne le règlement des différends, l’ACIA et d’autres organismes d’AAC disent qu’ils ont effectivement des programmes en vigueur et que, même s’ils ne trouvent pas grâce aux yeux du vérificateur général, « la Politique de 1997 ne définit nullement le mécanisme de règlement [et cela dépend] donc beaucoup de l'interprétation qu'on en fera. » (M. Jean Chartier, vice-président, Affaires publiques et réglementaires, ACIA). Cette observation donne à penser que la politique devrait contenir des exigences plus explicites, comme le Comité l’a déjà recommandé.

M. Desautels a fait observer que, « selon les producteurs avec lesquels nous en avons parlé, ces derniers n'étaient pas vraiment au courant de son existence. Il existe donc un mécanisme, mais tout le monde n'est pas au courant et ne peut donc pas s'en prévaloir ».

Du côté positif, le rapport indique qu’AAC et ses organismes ont amélioré leurs processus de gestion et de consultation. On cite le transfert du classement du bœuf à une entreprise privée sans but lucratif comme mesure efficace de réduction des coûts. Le BVG fait également remarquer qu’AAC est le premier ministère à réaliser une étude des effets cumulatifs de ses frais, une mesure que, de l’avis du Comité, tous les autres ministères devraient imiter.

Toutefois, dans l’ensemble, le Comité est obligé de conclure que la Politique de recouvrement des coûts du Conseil du Trésor n’est pas entièrement appliquée. Le Comité est heureux d’entendre AAC et ses organismes lui déclarer, ainsi qu’au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire, qu’ils vont donner suite aux préoccupations du vérificateur général, mais il constate que leurs problèmes sont semblables à ceux de Santé Canada. Cela ajoute du poids au point de vue du Comité qui croit que les problèmes de mise en œuvre de la Politique sur le recouvrement des coûts et la tarification sont répandus et doivent être réglés à la source.

B. Le fardeau des petites entreprises

Des programmes de recouvrement des coûts qui ne tiennent pas compte des différences entre les entités touchées, peuvent avoir des effets disproportionnés sur les petites entreprises. D’après un sondage effectué par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) auprès de ses membres de l’agro-industrie, les frais d’utilisation créent des problèmes à tous les niveaux. Selon M. Rob Meijer (analyste de la politique agroalimentaire, FCEI), « des taux forfaitaires ou plafonnés pénalisent les plus petites exploitations, puisque ces frais représentent, en pourcentage, une part beaucoup plus élevée de leur chiffre d'affaires. À cet égard, les plus petites exploitations n'ont pas la capacité de transmettre à leurs clients les frais supplémentaires résultant des frais imposés par le gouvernement, comme le font les grosses entreprises, ce qui laisse un grand nombre d'exploitations dans une situation qui les rend beaucoup moins compétitives. »

M. Meijer a également explicité le lien entre les frais d’utilisation et la réglementation. Tout comme les frais en question, les règlements imposent une dépense de temps et d’argent aux réglementés. Il cite l’exemple d’une société du secteur agroalimentaire « qui disait récemment que les entrepreneurs de ce secteur sont assujettis à un taux de drawback imposé sur tous les sacs importés de polypropylène. Cela entraîne des frais de 35 000 $ par année, et encore 10 000 $ par année de plus en formalités administratives pour demander le remboursement. »

« Pour un peu plus de la moitié des membres du secteur agricole de la FCEI, trois heures par semaine ou plus en moyenne sont nécessaires pour répondre aux exigences du gouvernement. Au cours d'une année, cela élimine un minimum de 156 heures de productivité — près d'un mois du temps d'un employé salarié ordinaire. […] Dans l'ensemble, cette charge pèse plus lourdement sur les petites exploitations car, souvent, elles n'ont pas les ressources, le temps, les employés ou les renseignements à portée de la main pour répondre aux exigences des gouvernements.»

Comme dans le cas d’autres ministères, les producteurs et les consommateurs sont assujettis à des coûts directs et indirects, et à la disponibilité des produits. D’après M. Garth Whyte (vice-président principal, Affaires nationales, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante), « premièrement, ils doivent acquitter les frais directs et, deuxièmement, ils doivent acquitter les coûts indirects, qui ne peuvent être transmis aux consommateurs. Si les frais augmentent pour les produits chimiques ou autre chose, ils peuvent être transmis, mais l'agriculteur ne peut pas le faire. Voilà pourquoi nous disons, dans notre rapport, que, surtout lors de la crise agricole où 75 % des gens ont dit que les coûts d'importation étaient élevés — sans parler de la fiscalité —, les frais ont un effet défavorable pour deux raisons: d'abord parce que ce sont des taxes et ensuite parce

qu'ils constituent des coûts indirects ou des coûts à l'importation, et les agriculteurs ne peuvent tout simplement pas les refiler aux consommateurs. »

Paradoxalement, du fait qu’il en résulte un coût pour les agriculteurs, les frais d’utilisation peuvent neutraliser les meilleures intentions des gouvernements. Selon M. Whyte, la FCEI estime que les subventions accordées aux agriculteurs pour les aider à surmonter la crise sont presque entièrement annulées par les frais d’utilisation imposés par le fédéral et les provinces.

Mme Szkotnicki, présidente de l’Institut canadien de la santé animale (ISCA), qui représente les fabricants de produits pharmaceutiques et biologiques, d’additifs alimentaires et de pesticides destinés à l’agriculture et à la médecine vétérinaire, a fait remarquer que les délais promis pour l’approbation des médicaments n’ont pas été respectés. Cela engendre des coûts réels :

Un autre exemple concernait un vaccin de pointe pouvant être administré à des animaux destinés à l'alimentation qui avait été élaboré par une petite entreprise canadienne. Le vaccin a été soumis en même temps aux instances de réglementation canadiennes et américaines. Le vaccin a été approuvé par les autorités américaines dans les trois mois — et n'oubliez pas que le produit était fabriqué par une société canadienne. Au Canada, l'homologation a pris plus de 24 mois bien que le délai de réaction maximal pour de telles présentations est censé être de quatre mois. Pendant ces 20 mois de retard, les ventes du vaccin sur le marché américain se sont chiffrées à 4 millions de dollars US. Le retard dans l'homologation au Canada a coûté à la société canadienne 52 % des revenus qu'elle avait projeté de tirer de la vente du vaccin au Canada. Cela signifie moins d'argent pour la création d'emplois et la R-D au Canada.

Outre ces coûts directs, le retard a aussi entraîné des coûts supplémentaires pour le secteur de l'élevage. Comme le vaccin doit être administré par voie sous-cutanée, et non par voie intramusculaire, le gros avantage est que ce produit a réduit la perte de viande entraînée par le nettoyage de la carcasse autour du site de l'injection. On estime que le retard d'approbation de ce vaccin a coûté plus de 28 millions de dollars par an à l'industrie du bétail à cause de la quantité de viande qu'il a ainsi fallu rejeter alors qu'on aurait pu la garder.

C. L’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire

Bien qu’elle fasse partie de Santé Canada et non d’AAC, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) intervient directement dans le secteur agricole. Au cours de son examen d’AAC, le Comité a aussi pris connaissance de problèmes concernant l’ARLA.

 

Tableau III : Dépenses totales et coûts recouvrés de
l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire

 

1995-1996

1996-1997

1997-1998

1998-1999

1999-2000
(prévision)

 

en millions de $

Coûts recouvrés

 0.3

 0.3

 7,5

 7,8

 8,5

Dépenses totales

21,5

24,8

24,8

26,7

28,3

 

Source : Secrétariat du Conseil du Trésor, Comité permanent de l’environnement et du développement durable. Premier rapport, Les pesticides — Un choix judicieux s’impose pour protéger la santé et l’environnement.

Nota : Il n’y a pas eu de coûts recouvrés en 1994-1995.

À l’ARLA, les droits couvrent principalement l’homologation des pesticides. Dix pour cent des droits sont exigibles sur présentation de la demande, 25 % sur acceptation de son examen préliminaire et 65 % sur acceptation de son évaluation; autrement dit, tous les droits doivent être acquittés avant l’inspection, même si le produit n’est jamais homologué. Des droits précis sont exigés pour chaque composante du processus d’examen, des droits réduits sont prévus en ce qui concerne les produits spécialisés ou encore, ceux vendus en faible quantité. Certaines demandes sont parfois même exemptées de s’acquitter des droits.

Au sujet de l’ARLA, M. Whyte s’est dit d’accord avec les conclusions du vérificateur général touchant l’absence de processus d’appel. Il a également signalé une lacune plus fondamentale : le conflit d’intérêts inhérent au fait de devoir interjeter appel des droits auprès de l’organisme qui les impose.

Des témoins de l’industrie ont indiqué au Comité que les observations du vérificateur général concernant AAC s’appliquaient également à l’ARLA. L’Institut canadien pour la protection des cultures, qui représente les concepteurs, fabricants et distributeurs de produits chimiques et biotechnologiques dans les secteurs de l’agriculture, des forêts et de la lutte antiparasitaire, a constaté que les lignes directrices sur le recouvrement des coûts étaient interprétées et appliquées de façon incohérente. Par exemple, les entreprises doivent payer pour que l’ARLA approuve leurs pesticides, « alors que les Canadiens ont le droit de consommer des produits qui parviennent de l'étranger et de pays où ils sont utilisés localement ». Quelle menace l’ARLA est donc censée écarter? L’Institut a également mentionné au Comité que les tests d’impact, un élément vital du recouvrement des coûts étaient discrédités ou incomplets ou n'avaient tout simplement pas été faits. (M. Milne)

M. Milne a aussi fait valoir que le recouvrement des coûts à l’ARLA a souffert de la manière dont il a été mis en œuvre. « Le recouvrement des coûts a été imposé à l'ARLA alors que cette dernière se bâtissait en regroupant des éléments de quatre ministères fédéraux différents. En réalité, la création de l'ARLA était un fusionnement qui a occasionné tous les ajustements interpersonnels et de relocalisation inhérents au changement et au lancement d'une nouvelle entreprise. L'imposition faite à l'ARLA, dès sa création, de l'obligation de recouvrer les coûts alors qu'il n'existait pas de données historiques pour les processus de la nouvelle agence créait pour cette dernière le défi de recouvrer des coûts dont elle ignorait tout. »

Le Comité des finances n’est pas le seul à se préoccuper du recouvrement des coûts. Dans son étude sur la réglementation des pesticides, le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes s’inquiète de ce que le recouvrement crée des difficultés pour le ministère. En particulier, il craint que l’ARLA ne mette l’accent sur des activités de recouvrement à l’exclusion d’autres programmes importants. En outre, il dit craindre que les frais de recouvrement des coûts ne constituent un « irritant possible pour l’homologation de pesticides plus sécuritaires ».

Tout en faisant observer qu’il « n’a pas eu l’occasion d’approfondir la question du recouvrement des coûts », le Comité permanent de l’environnement et du développement durable arrive à la conclusion suivante :

De l’avis du Comité, il importe d’évaluer sans délai l’impact des frais de recouvrement des coûts sur l’homologation de produits plus sécuritaires et plus efficaces. […] Si les frais de recouvrement des coûts nuisent à l’homologation de ces produits, il faut prendre sans délai les mesures correctives qui s’imposent.

CAUSES DES PROBLÈMES

Des témoins provenant tant de l’industrie que du gouvernement ont indiqué que le recouvrement des coûts avait été mis en œuvre de façon inadéquate. On a instauré les frais d’utilisation à l’ARLA et à l’ACIA au moment même de la création de ces agences par suite de la fusion d’autres organismes gouvernementaux. D’après M. Chartier, la création d’un nouvel organisme, dans son cas l’ACIA, a retardé l’établissement d’un mécanisme de règlement des différends, bien que cela soit fait à l’heure actuelle.

Par ailleurs, le vérificateur général a signalé au Comité que, contrairement à la Politique de recouvrement des coûts, les frais d’utilisation de l’ACIA visaient principalement à produire des recettes, le recouvrement ayant été instauré à une époque de compressions importantes.

Le rapport de septembre 1999 du vérificateur général indique :

La Direction générale de la production et de l’inspection des aliments a disposé de très peu de temps pour appliquer son barème tarifaire étant donné que, lors de l’attribution des crédits, le Parlement avait présumé que les frais d’utilisation seraient en vigueur et produiraient les recettes prévues. [Les] contraintes financières ont persisté après la création de l’Agence puisqu’on s’attendait à ce que la prestation des services d’inspection soit moins coûteuse pour le Trésor fédéral. L’Agence avait besoin immédiatement des recettes tirées de la tarification et jugeait secondaire de cerner les domaines où il serait possible de réduire ou d’éviter des coûts.

Cela renforce l’idée déjà avancée que les ministères et organismes devraient appliquer les frais d’utilisation aux fins de la discipline de marché, et non pour produire des recettes. Du côté du gouvernement, cela exige également que les programmes de recouvrement des coûts soient financés de façon adéquate.

TROISIÈME CAS : LES DROITS DE SERVICES MARITIMES DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE

On dit souvent que les frais d’utilisation sont des taxes déguisées. Bien que cela ne corresponde pas à l’esprit de la Politique et ne soit pas exact de façon générale, il y a de bonnes raisons de penser que, dans leur forme actuelle, certains droits de services maritimes imposés par la Garde côtière canadienne, en tant qu’élément du ministère des Pêches et des Océans, sont en réalité des taxes.

Les droits de services maritimes (DSM) sont imposés dans deux secteurs. Les services de navigation (p. ex. les bouées, les radars, les systèmes de navigation et les services du trafic — routes et autres services de régulation) et les services de brise-glace. On les a institués en juin 1996 « afin de recouvrer une partie du coût des aides à la navigation et des services au transport maritime commercial. Les droits pour les services de brise-glace n’ont été pas été perçus cette année-là, afin de donner à l’industrie le temps voulu pour se préparer et en attendant la réalisation d’une étude d’impact économique par des consultants du secteur privé. » (M. John Adams, commissaire, Garde côtière canadienne, ministère des Pêches et des Océans). Finalement, le 21 décembre 1998, on a commencé à percevoir les droits en question, mais à un niveau deux fois moins élevé que celui proposé à l’origine.

En 1998-1999, les droits de navigation ont totalisé 26,7 millions de dollars, soit 30,8 % du coût total des services à la navigation commerciale. En 1996-1997, le coût de l’ensemble des services maritimes a atteint 260,7 millions de dollars. Les droits perçus pour les services de brise-glace ont été de 13,3 millions de dollars, sur un total de 76 millions pour les services aux navires commerciaux. En 1996-1997, le coût total de tous les services de brise-glace s’est élevé à 163,5 millions de dollars.

Tableau IV : Droits de services maritimes, Garde côtière canadienne

1994-1995

1995-1996

1996-1997

1997-1998

1998-1999

en million de $

Droits de services maritimes

0

0

17,0

26,9

30,0

 

Source: Secrétariat du Conseil du Trésor

Ces données du Conseil du Trésor ne correspondent pas aux autres données dont dispose le Comité, par exemple celles fournies par le BCCR. Cela fait ressortir la difficulté qu’il y a à évaluer l’ampleur et la portée des frais d’utilisation au Canada.

D’après M. Adams, « ces droits visent à transférer une partie des coûts liés aux services maritimes commerciaux du contribuable à ceux qui en bénéficient, ce qui s’inscrit dans la normalisation de la demande et, évidemment, du recouvrement des coûts. »

En avril 1998, le ministre des Pêches et des Océans a annoncé plusieurs modifications au programme de droits de services maritimes, comprenant entre autres : le plafonnement des frais pour trois ans, une meilleure consultation, l’établissement d’un mécanisme indépendant de règlement des différends, une étude d’impact économique cumulatif par le Conseil du Trésor, une approche régionale de l’établissement des droits et l’instauration d’un droit pour les services de brise-glace. À l’heure actuelle, les DSM en sont à la deuxième année d’un gel de trois ans.

PROBLÈMES CONCERNANT LES DROITS

Le transport maritime est un secteur hautement compétitif qui touche les producteurs de minerai de fer, de céréales et d’autres produits de base. Quant aux DSM, ils peuvent influer considérablement sur les coûts et l’aptitude à concurrencer des producteurs et des expéditeurs. Selon M. Adams, une étude des opérations de la Garde côtière a révélé que les droits actuels, lesquels génèrent environ 33 millions de dollars, représenteraient moins de 1/10 de 1 % de la valeur des marchandises expédiées.

En 1995, le Comité permanent des transports a publié sa stratégie maritime nationale contenant la recommandation suivante : « Aucun programme national de

recouvrement des coûts ne devrait être mis en application avant que la Garde côtière n’ait clairement déterminé les coûts de ses services et leur importance à l’avenir, et qu’elle ait prouvé sa capacité de maintenir les coûts au plus bas niveau d’exploitation possible. »

D’après des intervenants de l’industrie du transport maritime, cela ne s’est pas matérialisé. Les coûts des services sont mal définis et la Garde côtière n’est pas devenue plus efficiente.

Pourtant, selon M. Adams, on a effectué d’importantes réductions à la Garde côtière. « Par exemple, nous avons réduit nos centres de services de trafic et de contrôle maritime de 43 à 22 à l’échelle du pays. Nous avons diminué notre effectif d’environ 1 400 personnes. Nous avons ramené notre flotte de 189 […] à 106 […] Toutes ces mesures ont permis d’abaisser les coûts de 20 à 30 %. »

Même si la Garde côtière dit avoir consulté activement les groupes commerciaux, l’industrie s’est plainte du peu d'uniformité du processus de consultation. Un comité mixte comprenant des représentants de l’industrie a déjà été à l’origine de mesures concrètes, y compris un meilleur déploiement de la flotte de la Garde côtière, mais les mêmes questions demeurent : « Quels sont les coûts véritables des services maritimes? Quelle est la part appropriée que doivent assumer les utilisateurs commerciaux? Quel est le niveau de service requis et le niveau de service approprié? » (M. Wayne Smith, vice-président et directeur général, Seaway Marine Transport, Association des armateurs canadiens)

D’autres plaintes ont été formulées, entre autres :

Outre la navigation commerciale, les activités de pêche et de plaisance devaient faire l’objet d’un recouvrement des coûts. Cinq ans plus tard, seule la navigation commerciale est mise à contribution.

On n’a tenu aucun compte des évaluations d’impact. M. Smith a relaté ce qui suit : « Le principal consultant (d’une étude effectuée en 1996 sur la Garde côtière) m'a fait parvenir, après la mise en place des droits, une lettre dans laquelle il écrivait : Je ne puis souscrire à la déclaration de M. Thomas — qui était alors commissaire de la Garde côtière — dans laquelle il affirme que le secteur maritime peut absorber les coûts. […] Il concluait de cette manière : "Avec des frais de cet ordre, je prévois une perte considérable dans le cas des marchandises névralgiques". »

Les services de dragage, les premiers à être privatisés, coûtent de plus en plus cher. Les droits sont appliqués à la surveillance de ce service par la Garde côtière. Les droits de dragage, a indiqué M. Adams ont été « pris en compte dans nos résultats nets, et nous avons répercuté la somme, entre 3 et 4 millions de dollars, sur le

secteur commercial. Il ne s’agit pas d’un montant phénoménal, mais c’est ainsi dans le Saint-Laurent. »

La Garde côtière n’a pas tiré parti des avancées technologiques; elle n’a réduit que dans une faible proportion le nombre de ses bouées (pour lesquelles elle fait payer), alors que tout le monde utilise le Système de positionnement global. M. Adams a indiqué au Comité : « Nous continuons de chercher des moyens de fournir des aides plus efficientes. Mais vous avez tout à fait raison, nos aides majeures sont extrêmement dispendieuses. Par contre, elles doivent être très perfectionnées à cause des variations du climat, de la glace, etc. Mais nous allons continuer de travailler avec l’industrie pour réduire ces coûts. »

Les méthodes de calcul des frais de la Garde côtière ne sont pas claires.

Par ailleurs, l’industrie se plaint du fait que, dans l’Est du Canada, les armateurs administrent les droits parce que la bureaucratie de la Garde côtière ne sait pas y faire, tout en versant 2 millions de dollars pour ce privilège. De plus, selon M. Smith, « la Garde côtière n'est pas équipée pour fixer ou administrer les droits. En fait, le Canada a maintenant un système tout à fait disparate, où les droits varient selon les régions, ou selon qu'il s'agit de navires canadiens ou de navires étrangers. C’est un désastre depuis le début. L’industrie a travaillé très fort pour rationaliser ces droits, mais la Garde côtière s'est contentée de dire: "Voici les droits, un point, c'est tout." »

Un exemple : les frais de brise-glace

Les frais de brise-glace constituent un bon exemple de frais laissant à désirer. Pour se distinguer d’une taxe, les frais d’utilisation doivent être liés au coût du service. Or les frais de brise-glace doivent être acquittés même si le service n’est pas utilisé. Par exemple, les bateaux qui naviguent sur le lac Supérieur doivent assumer ce coût même si aucun brise-glace canadien ne sillonne ses eaux. Les ports qui n’ont aucun besoin à ce chapitre doivent également verser les droits.

D’après M. Smith, à qui d’autres intervenants du milieu ont fait écho, « depuis que la Garde côtière impose des droits de brise-glace au Canada, nous nous trouvons dans la situation ridicule où un brise-glace canadien peut offrir gratuitement ses services à un navire américain transportant une cargaison américaine qui est en concurrence directe avec les navires canadiens transportant des cargaisons canadiennes. Mais, comme c’est souvent le cas, lorsqu’un de nos navires transportant une cargaison canadienne destinée au marché américain obtient l’aide d'un brise-glace américain, nous sommes facturés par la Garde côtière canadienne; nous payons de toute façon, et même s’il s’agit d'un brise-glace américain ou même d'un navire privé. »

En règle générale, les services visés par les DSM ne semblent avoir aucun sens, économiquement parlant, car quiconque navigue sur le Saint-Laurent en profite, alors que seuls ceux qui font escale dans un port doivent les assumer.

En l’absence d’un processus d’examen et d’un mécanisme d’appel indépendant, de tels droits sont difficiles à contester et à modifier.

RÉPERCUSSIONS SUR L’INDUSTRIE

Parmi toutes les industries qui ont témoigné devant le Comité, les expéditeurs maritimes sont les seuls à réclamer l’élimination pure et simple des frais d’utilisation. Cela tient au coût élevé qui peut en résulter pour leurs entreprises. Qui plus est, les représentants de l’industrie soutiennent que leur compétitivité à long terme peut en souffrir considérablement. Dans le cas du minerai de fer, l’expédition peut représenter jusqu’à 25 % du prix final. Compte tenu du fait que la teneur marchande du minerai de fer canadien n’équivaut qu’à la moitié de celles des principaux pays producteurs, ce facteur est très important.

Les ports sont également touchés. La concurrence avec d’autres ports et voies navigables, comme le Mississippi, qui n’imposent pas de frais, réduit leur marge de manœuvre. D’après M. Ross Gaudreault (président, Société du port de Québec), « nous exploitons une entreprise très concurrentielle. […] lorsque mes clients jugent que je suis trop cher, ils ne sont pas tenus de faire affaire au Canada et d'utiliser le Saint-Laurent. »

« Est-ce que nous sommes si fauchés au Canada que nous ne pouvons nous permettre de draguer le Saint-Laurent, une des voies navigables les plus importantes du monde qui rapporte des milliards de dollars en retombées économiques au Canada? Nous sommes complètement fauchés au Canada. C'est incroyable que nous ne puissions pas nous permettre de draguer le Saint-Laurent. Ça ne se peut pas. »

On a également fait valoir au Comité que les DSM pouvaient rendre attrayant ou non attrayant un port comme celui de la ville de Québec pour le secteur en plein essor des croisières touristiques. On a estimé qu’un navire qui propose des croisières deux fois par semaine à partir de Québec pouvait générer 140 millions de dollars pour l’économie. « Les nouveaux bateaux doivent se trouver un créneau. S’il est trop coûteux d'aller dans le Saint-Laurent, on va les envoyer dans la Méditerranée. […] Nous avons une des plus belles villes au monde et c'est pourquoi ils viennent dans le Saint-Laurent (pour le moment). Mais si nous sommes trop coûteux, nous n’obtiendrons pas notre part de ce nouveau marché. » (M. Gaudreault)

Les groupes du secteur maritime soutiennent aussi que le recouvrement des coûts a été un échec dans la mesure on voulait imposer une discipline grâce à des droits tenant compte des répercussions sur les entreprises et du coût réel des services. Étant donné leur impact important sur l’industrie, que les analyses d’impact sont censées faire ressortir, les droits en question devraient être éliminés.