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INDU Rapport du Comité

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CHAPITRE 6 :

DROIT PRIVÉ D'ACTION

Dans le cas du Tribunal de la concurrence, le droit privé d’action pourrait être appliqué aux questions qui concernent essentiellement les acheteurs et les vendeurs et qui ne justifient pas une intervention publique. Les dispositions visées sont les articles 75, qui porte sur le refus de vendre, et 77, qui traite des ventes liées, de la limitation du marché et d’exclusivité. [Konrad von Finckenstein, 43:9:15]

Dans les discussions précédentes au sujet du bien-fondé du droit privé d’action […], les intervenants ont insisté sur la nécessité d’adopter des mesures pour éviter que ce droit ne donne lieu à des litiges stratégiques. Il faudrait assortir ce droit de mesures de protection, telles que l’autorisation du Tribunal de déposer une demande, l’octroi de dépens et le non-versement de dommages-intérêts. [Konrad von Finckenstein, 43:9:15]

Je propose donc modestement d’inclure dans la Loi une disposition qui accorderait des dommages doubles. Je suis sûr que cela stimulerait les recours collectifs. [William Stanbury, 47:15:50]

Selon le droit canadien actuel, seul le commissaire à la concurrence a le droit d’adresser une demande d’examen au civil au Tribunal de la concurrence. La question de savoir s’il y a lieu d’accorder cette qualité pour agir aux particuliers dans les affaires de droit civil que le Tribunal est habilité à examiner a fait l’objet d’un débat considérable. Les témoins qui ont comparu devant le Comité semblent généralement accepter les modifications en ce sens. Le principal argument contre l’attribution du droit privé d’accès est le risque d’abus sous la forme de « litiges stratégiques » (c.-à-d. des actions en justice entamées non pour obtenir réparation du préjudice causé par des agissements anticoncurrentiels, mais pour obtenir un avantage sur un concurrent). On cite le cas des États-Unis, où le plaignant peut parfois obtenir des dommages-intérêts triples. On estime que la perspective de dommages-intérêts largement supérieurs aux pertes réelles quantifiées pourrait inciter fortement à intenter des poursuites, d’autant que le plaignant, s’il obtient gain de cause, peut se faire indemniser ses frais de justice (alors que le défendeur qui obtient gain de cause n’y a pas droit; il est plutôt assujetti à la règle américaine traditionnelle selon laquelle les parties assument leurs propres dépenses).

Au cours des 25 dernières années, les actions en justice privées ont constitué plus de 90 % de toutes les affaires antitrust aux États-Unis, et leur nombre a dépassé celui des actions intentées par le secteur public dans un rapport de 9 à 1. Les chances de succès des plaignants ne sont pas très élevées (près de 90 % des demandes sont réglées hors cour ou rejetées, et plus de 70 % des affaires instruites se soldent par un jugement à l’avantage de certains ou de l’ensemble des défendeurs), mais rien n’indique que le rythme des demandes ralentisse. L’expérience américaine, toutefois, ne semble pas s’être étendue à d’autres pays ayant accordé des droits privés d’action. C’est probablement parce qu’aucun ne permet, comme aux États-Unis, l’attribution de triples dommages-intérêts avec dépens.

Demandes privées en dommages-intérêts découlant d’une infraction pénale

Un droit privé limité d’action existe en cas d’affaire criminelle, mais, pour les raisons indiquées plus bas, il est rarement appliqué. L’article 36 de la Loi sur la concurrence prévoit que toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite : a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI (Infractions relatives à la concurrence ); b) soit du défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la Loi, peut réclamer les dommages (et les dépens) devant tout tribunal compétent. Par conséquent, un droit privé d’action en dommages-intérêts peut naître dans trois cas : 1) le ministère de la Justice a gain de cause dans une poursuite fondée sur la violation d’une disposition pénale de la Partie VI (complot, trucage des offres, discrimination par les prix, prix d’éviction, publicité trompeuse, télémarketing trompeur, double étiquetage, vente pyramidale ou maintien des prix); 2) après que le commissaire et une partie ont consenti à une ordonnance et que cette ordonnance par consentement a été rendue par un tribunal, la partie ne la respecte pas; ou 3) si une partie lésée a gain de cause dans une poursuite privée.

Si on y regarde de plus près, il s’élève en fait d’importants obstacles au recouvrement des dommages par une victime. D’abord, le commissaire à la concurrence doit décider s’il poursuit ou non. Il n’est pas tenu de le faire; toutefois, l’article 21 prévoit que dans les cas où, à son avis, l’intérêt public l’exige, le commissaire peut demander au procureur général du Canada de nommer un avocat et de le charger d’aider dans le cadre d’une enquête visée à l’article 10. Le commissaire peut aussi discontinuer l’enquête à n’importe quelle étape. De plus, même s’il y a preuve d’une activité criminelle, le commissaire ne renvoie pas nécessairement l’affaire à un tribunal, mais peut la régler par négociation. Les conditions du règlement sont gardées confidentielles et aucune ordonnance par consentement n’est habituellement demandée au tribunal. Dans ce cas, même si une partie ne respecte pas les conditions du règlement, la partie lésée ne pourra se faire dédommager, puisque pour en avoir le droit, il faut d’abord qu’une ordonnance ait été délivrée par le Tribunal ou une cour.

Quand il reçoit une demande du commissaire, le procureur général peut aussi nommer un avocat et le charger d’entamer une enquête si le commissaire le juge nécessaire pour déterminer les faits. En vertu du paragraphe 23(2), le procureur général peut intenter et mener toutes les poursuites et autres procédures criminelles que prévoit la Loi. Mais il n’est pas tenu de le faire. Enfin, le procureur général peut ne pas engager de poursuite, surseoir à l’instance ou carrément renoncer aux accusations.

Ainsi, la capacité de recouvrer les dommages-intérêts dépend en grande partie de la décision du commissaire de chercher à obtenir une condamnation en renvoyant l’affaire au procureur général. Si le commissaire décide de ne pas le faire — ou si le procureur général décide de ne pas engager de poursuite — il ne reste à la partie lésée que l’option d’intenter une poursuite privée.

Les poursuites privées sont assez rares au Canada de nos jours. Afin d’obtenir une condamnation pour un acte criminel (catégorie des infractions les plus graves à la Loi), le dénonciateur privé doit d’abord obtenir le consentement écrit du juge. Il ne s’agit pas d’une simple formalité; le juge, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, est tenu de considérer la nature de l’infraction, si elle est « publique » ou « privée », s’il y a eu enquête préliminaire et quelle est la position de la Couronne dans l’affaire. Dans le seul arrêt rapporté d’une poursuite privée sous le régime de la Loi sur la concurrence, Lynk c. Ratchford [1995] N.S.J. no 238, la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse a confirmé que la Loi accorde un droit privé de poursuite. Le procureur général peut reprendre une poursuite privée afin de la continuer ou de la cesser ou de surseoir à l’instance.

Application publique de la Loi sur la concurrence

Les témoins ont unanimement convenu que la Loi est actuellement sous-appliquée par le commissaire à la concurrence et qu’il serait profitable à l’environnement concurrentiel canadien que plus de plaintes soient soumises au Tribunal de la concurrence. Comme l’a fait remarquer le professeur Trebilcock :

De 1976 à 1986, soit sur une période de 10 ans, seulement deux cas ont été soumis à l’entité qui existait avant le Tribunal de la concurrence […] deux cas en 10 ans. De 1986 à 2000 [...] le Bureau a saisi le Tribunal de neuf litiges — neuf cas en 15 ans. On ne peut pas dire que les pouvoirs publics se sont évertués à appliquer la loi. [Michael Trebilcock, Université de Toronto, 48:9:45]

Le commissaire à la concurrence convient des avantages de l’action privée :

À notre avis, le droit privé d’action favoriserait la mise en application de la Loi. Il permettrait d’augmenter l’effet dissuasif de la Loi et de créer une jurisprudence dont nous avons grandement besoin. Dans le cas du Tribunal de la concurrence, le droit privé d’action pourrait être appliqué aux questions qui concernent essentiellement les acheteurs et les vendeurs et qui ne justifient pas une intervention publique. [Konrad von Finckenstein, 43:9:10]

La principale raison du peu de poursuites semble être le manque de ressources. La présentation d’une demande au tribunal coûte environ 1 million de dollars en moyenne au gouvernement du Canada. Le commissaire et d’autres témoins conviennent que l’actuel budget du Bureau ne permet pas la meilleure application de la Loi. On craint donc réellement que le Bureau en vienne à être perçu comme un « tigre édenté ». Ce n’est pas qu’il soit inactif. Le peu d’affaires soumises au Tribunal ne reflète pas les nombreux cas réglés par des négociations privées entre le commissaire et les parties. En fait, tout indique que le Bureau est plus actif que jamais. De nombreux facteurs l’expliquent, notamment le nombre accru de fusions :

Les gens qui assument les mêmes fonctions aux États-Unis sont tout aussi submergés de travail. Cela se produit en Europe. Cela semble être un phénomène mondial. Pour vous donner une idée de son ampleur, pour ce qui est des transactions de déclaration obligatoire, au cours de l’année financière qui vient juste de se terminer, nous avons eu en gros deux fois plus de cas que nous en avions il y a cinq ans. Nous assistons donc à une très grande vague de fusions. [Gaston Jorré, Bureau de la concurrence, 43:10:05]

Le fait que les seuils pécuniaires des transactions de déclaration obligatoire n’ont pas été corrigés en fonction de l’inflation n’y est peut-être pas étranger.

Si les ressources du Bureau sont à ce point taxées, c’est qu’on y passe beaucoup de temps à examiner les fusions. L’activité intense du Bureau dans ce secteur traduit bien le nombre élevé de fusions qui se sont produites et est due au fait que depuis 1988, lorsque les règles de préavis des fusions exigeant l’examen de certaines d’entre elles en fonction de leur importance ont été imposées, il n’y a eu aucun rajustement dans les seuils à partir desquels il faut examiner les fusions. Entre-temps, le dollar canadien ayant perdu environ le tiers de sa valeur, un nombre considérable de fusions se sont donc ajoutées à la liste, ce qui n’aurait pas été le cas si l’on avait indexé le seuil depuis 1988. [Tim Kennish, 44:9:20]

De plus, l’ALENA fait émerger des acteurs beaucoup plus considérables, dont les fusions de plus en plus complexes font intervenir plusieurs juridictions. Il s’ensuit que le Bureau affecte une partie croissante de ses ressources à l’examen des fusions et les détourne donc d’autres domaines d’application de la Loi.

Un autre facteur qui joue sur l’affectation des ressources est la tendance à la déréglementation et à la libéralisation :

En outre, dans le cadre de la déréglementation et de la libéralisation d’une partie de notre économie, par exemple le transport, les télécommunications et maintenant l’énergie, la responsabilité du bureau s’est en fait accrue. Dans la mesure où ces domaines ont été déréglementés et ne sont plus assujettis à un organisme de réglementation précis, il nous incombe de nous en occuper. [Konrad von Finckenstein, 43:9:35]

Le coût de la présentation d’une demande au Tribunal, élevé pour le gouvernement, l’est encore plus pour le secteur privé.

En moyenne — les affaires n’ont pas été tellement nombreuses — pour le seul Bureau, il en a coûté plus de 1 million de dollars pour aller devant le Tribunal. [...] Toutefois, je suis sûr que les coûts sont encore plus élevés pour ce qui est du défendeur. Par conséquent, lorsqu’on s’adresse au Tribunal, cela coûte cher. [...] ce ne sont pas les petits qui vont s’adresser au Tribunal; ce sont les grosses entreprises. Le gros problème, cependant, ne vient-il pas du fait que lorsqu’on va s’adresser au Bureau pour se plaindre d’une question qui relève véritablement de l’intérêt général, le Bureau va peut-être répondre que l’on peut intenter des poursuites, qu’il n’a pas à s’en mêler et que l’on dispose d’un recours? Oui, on a un recours comme on a toujours la possibilité de traverser à la nage les chutes du Niagara. Il y a pourtant certains risques [...]. [Warren Grover, 46:11:05]

Les affaires soumises au Tribunal prennent en moyenne 20 mois à être réglées, et, durant ce temps, les honoraires des avocats et des témoins experts peuvent devenir prohibitifs. Le simple coût de porter une affaire devant le Tribunal s’avérerait probablement une autre désincitation aux faux litiges.

En guise de dernière observation sur la question des ressources, il est bon de retenir qu’avec un budget de fonctionnement de 25,3 millions de dollars en 1999 :

Le Bureau de la concurrence est désormais un centre de profit qui a permis d’engranger 100 millions de dollars d’amendes au cours des 12 derniers mois. C’est assez conséquent. Ces affaires ne sont pas allées en justice, mais il y a des gens qui ont estimé que leur cause était suffisamment faible pour faire des offres de règlement se montant à 100 millions de dollars. C’est beaucoup d’argent. L’opération est rentable. [James Musgrove, 46:10:45]

 

En même temps, le commissaire souligne le besoin d’augmenter les budgets affectés à l’application de la loi :

Est-ce que cela grève nos ressources? Oui. Serait-il utile d’en vouloir plus? Absolument. [...] Tous mes collègues des autres agences antitrust font face au même problème. Personne n’a jamais été confronté à une telle vague de fusions, à un tel nombre de cas aussi complexes. [Konrad von Finckenstein, 43:9:20]

Vu son enviable réussite en matière de récupération des coûts, il est raisonnable de penser que d’augmenter le budget du Bureau relèverait d’une bonne planification financière. Ce qui ne veut pas dire qu’il faudrait instituer des affaires pour produire des recettes, mais plutôt qu’un meilleur financement permettrait au Bureau d’appliquer plus énergiquement la Loi de sorte que l’industrie et les consommateurs puissent continuer à jouir des avantages d’une saine concurrence.

Fonctionnement du Tribunal de la concurrence

Le Tribunal est actuellement perçu comme lent à réagir et procédurier : « nous avons besoin de certains pouvoirs pour agir rapidement lorsque des prix abusifs sont imposés, pour ménager la concurrence avant que la victime ne disparaisse ». [Tom Ross, 46:9:40].

Dans l’économie d’innovation d’aujourd’hui, la rapidité est importante, et des agissements anticoncurrentiels peuvent évincer un plaignant du marché avant que sa plainte soit instruite et une mesure corrective ordonnée. Il a été proposé plusieurs modifications de la procédure pour améliorer le règlement des différends : permettre des renvois pour régler hâtivement les principales questions dont dépend l’affaire, autoriser le Tribunal à allouer les dépens, ce qui lui donnerait un moyen de contrôler les tactiques dilatoires et les litiges stratégiques, et l’autoriser à disposer sommairement, et donc rapidement, d’une affaire si les dossiers de part et d’autre ne semblent pas fondés. À ce sujet, le Tribunal a invité à la discussion publique, en février 1999, concernant ses « propositions de modification des Règles du Tribunal de la concurrence. » Entre autres choses, il cherche à simplifier le déroulement des instances et à tenir compte « des commentaires et des recommandations déjà formulés par le commissaire à la concurrence et par les avocats exerçant en droit de la concurrence et visant à conférer plus de souplesse et d’efficience au Tribunal ». Il propose d’appliquer un régime actif de gestion des instances, d’adopter d’autres méthodes pour la présentation de la preuve par les témoins et les experts et d’éliminer les étapes inutiles, comme la communication de la preuve orale et écrite.

En outre, le commissaire a plaidé pour que la Loi soit modifiée afin de lui donner de nouveaux pouvoirs de délivrer une ordonnance de cesser et de s’abstenir quand il soupçonne l’application de prix d’éviction. Cette proposition s’est heurtée à une grande résistance de la part d’avocats et d’économistes qui ont témoigné devant le Comité. La question est étudiée plus en détail au chapitre 7.

Accès privé, protection contre les abus et recours

À quelques exceptions près, les témoins se sont exprimés en faveur d’un droit d’accès privé au Tribunal, en particulier pour les motifs suivants :

[L]e but même des règles de droit en matière de concurrence et de la Loi sur la concurrence est bien sûr de remédier aux maux que présentent les monopoles privés. Il me semble tout à fait incongru dans ce contexte d’accorder un monopole public à une agence gouvernementale pour remplir cette fonction. [Michael Trebilcock, 48:9:45]

Et

Accorder aux simples particuliers le droit d’accès direct au Tribunal de la concurrence et la possibilité d’intenter directement des poursuites devant celui-ci est une façon de tenir les agences publiques — en l’occurrence le Bureau — responsables de l’exercice de leur pouvoir de mise en application. [Michael Trebilcock, 48:9:45]

Il y a d’autres raisons de favoriser le droit privé d’accès au Tribunal; elles sont résumées dans la pièce 6.1.

Pièce 6.1
Raisons en faveur d’un droit privé d’accès au Tribunal de la concurrence

Les études indiquent que le secteur privé est mieux placé que le gouvernement pour déceler les comportements contraires aux principes de la concurrence qui ont des effets directs sur les participants à un marché.

Les actions privées permettraient de libérer des ressources du Bureau pour les consacrer à des cas d’importance supérieure qui sont plus difficiles à déceler parce que dissimulés.

Le Tribunal de la concurrence est actuellement sous-utilisé.

La possibilité d’actions privées pourrait décourager les agissements anticoncurrentiels.

Le secteur privé pourrait concourir avec efficacité au respect des règles de la concurrence s’il peut compter, de façon assez rapide et peu coûteuse, sur un redressement par voie d’injonction provisoire ou sur des ordonnances de cesser et de s’abstenir.

Les recours privés donneraient lieu à des décisions judiciaires, lesquelles permettraient aux gens d’affaires de se faire une meilleure idée de leurs responsabilités aux termes de la législation en matière de concurrence.

L’augmentation des affaires offrirait de nouvelles occasions à un plus grand nombre d’avocats de se spécialiser en droit de la concurrence, ce qui contribuerait au développement d’un barreau plus diversifié représentant des intérêts socioéconomiques plus larges.

De la même façon, des occasions accrues pour les économistes et d’autres experts de communiquer des éléments de preuve dans des affaires favoriseraient le développement de constructions théoriques propres au Canada et réduiraient le recours à l’expérience de pays étrangers.

 

Malgré que la plupart des témoins étaient d’avis que la création d’un droit privé d’action n’inonderait pas le Tribunal de nouvelles affaires, ils ont suggéré plusieurs moyens pour décourager les litiges stratégiques. Les moyens sont exposés dans la pièce 6.2.

Pièce 6.2

Règles pour décourager les litiges stratégiques

Prescrire soigneusement les règles déterminant la qualité pour agir afin de limiter le droit d’action aux parties directement lésées par les agissements anticoncurrentiels présumés.

Assigner au Tribunal un rôle de « filtre », avec le droit de décider des questions de qualité pour agir.

Prescrire une procédure de jugement sommaire qui exigerait que l’arbitre étudie soigneusement le bien-fondé d’une affaire au début en vue de déterminer si elle concerne de véritables agissements anticoncurrentiels. Des affaires clairement frivoles ou vexatoires devraient être radiées à un stade précoce.

Prescrire d’importantes sanctions pécuniaires contre les demandeurs déboutés.

Accorder au commissaire un droit d’intervenir et de présenter une opinion sur le bien-fondé d’une affaire au Tribunal en qualité d’intervenant désintéressé.

Établir des règles concernant les dépens de sorte que les affaires non fondées qui sont rejetées entraînent certains frais pour le plaignant.

 

Si on approuvait généralement le principe d’accorder l’accès privé, on s’entendait moins sur le redressement à offrir. De nombreux témoins n’étaient pas en faveur du droit de réclamer des dommages-intérêts; ils ont plutôt proposé de n’accorder au plaignant qu’une mesure injonctive. Une telle mesure aurait pour effet d’interdire l’activité anticoncurrentielle à l’avenir. La raison première pour refuser les réclamations en dommages-intérêts serait de décourager les litiges stratégiques.

Dans les discussions précédentes au sujet du bien-fondé du droit privé d’action — et il y en a eu beaucoup — les intervenants ont insisté sur la nécessité d’adopter des mesures pour éviter que ce droit ne donne lieu à des litiges stratégiques. Il faudrait assortir ce droit de mesures de protection, telles que l’autorisation du Tribunal de déposer une demande, l’octroi de dépens et le non-versement de dommages-intérêts. [Konrad von Finckenstein, 43:9:15]

Toutefois, d’autres sont d’avis qu’il faut permettre au demandeur lésé d’introduire une action en dommages-intérêts :

Je sais que le secteur des affaires et certains juristes s’opposent à cette proposition, mais je ne parviens absolument pas à comprendre pourquoi des demandeurs dont les plaintes ont été jugées fondées par le Tribunal et qui ont subi des pertes devraient avoir à absorber ces pertes passées et se contenter d’une réparation future. Il y a eu perte, quelqu’un l’a subie, soit l’intimé ou le plaignant. Pourquoi le plaignant, dans les cas où l’on a reconnu le bien-fondé de sa plainte, devrait-il avoir à absorber ces pertes? [Michael Trebilcock, 48:9:50]

Les tenants de cette solution croient que ce sont les règles américaines concernant les triples dommages-intérêts et les dépens qui, ensemble, ont favorisé les nombreux litiges entamés aux États-Unis. Limiter le recouvrement aux dommages-intérêts que le plaignant pourrait quantifier et suivre la règle générale canadienne concernant les dépens, accordés après une victoire décisive dans l’affaire, freinerait suffisamment, selon eux, le litige à l’excès.

[L]es poursuites de ce genre sont très peu nombreuses, et ce, pour de très bonnes raisons. Tout d’abord, on ne peut obtenir que des dommages simples; aux États-Unis, on peut obtenir des dommages-intérêts triples. Deuxièmement, nous appliquons les règles anglo-canadiennes concernant les dépens, par opposition aux règles américaines, si bien que celui qui perd doit assumer les dépens de son adversaire. Troisièmement, de façon générale, nous sommes plus réticents à accepter les recours collectifs. [William Stanbury, 47:15:50]

Même quand le redressement est limité à des mesures injonctives, il reste à décider à qui l’offrir et relativement à quelles affaires. La question n’a pas fait l’unanimité. La plupart des témoins ont proposé une définition plutôt étroite qui ne permettrait qu’aux personnes directement touchées par l’activité anticoncurrentielle d’avoir recours au Tribunal. Toutefois, le Comité est conscient que ce n’est pas la seule solution possible; d’autres pays formulent des règles plus générales concernant la qualité pour agir, jusqu’à, par exemple, permettre à des simples citoyens de contester des activités comme des fusions dont les conséquences s’étendraient au public.

On a aussi discuté de la possibilité de permettre les recours collectifs. En 1999, deux tels recours ont été attestés par les tribunaux de l’Ontario conformément aux dispositions pénales de la Loi. Permettre l’attestation d’actions susceptibles d’examen au civil n’exigerait pas, semble-t-il, de beaucoup modifier les règles existantes.

D’après les témoignages entendus jusqu’à maintenant, le Comité estime qu’il convient peut-être de modifier la Loi sur la concurrence pour créer des droits privés d’action devant le Tribunal de la concurrence et qu’il y aurait donc lieu :

Que le gouvernement du Canada étudie plus à fond, en consultation avec les intervenants, la possibilité d’adopter les modifications législatives nécessaires pour permettre à des particuliers qui ont été lésés dans leurs entreprises par des agissements anticoncurrentiels de recourir au Tribunal de la concurrence afin d’obtenir un redressement dans des affaires susceptibles d’examen au civil. La question du redressement offert aux plaideurs privés, sous forme de mesure injonctive ou de dommages-intérêts, ou les deux, devrait faire l’objet d’autres consultations.