TRAN Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
STANDING COMMITTEE ON TRANSPORT
LE COMITÉ PERMANENT DES TRANSPORTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 2 novembre 1999
Le président (M. Stan Keyes (Hamilton-Ouest, Lib.)): Bonjour, chers collègues.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions l'avenir de l'industrie aérienne au Canada. Ce matin, nous accueillons deux témoins: un à 9 heures et l'autre à 10 h 30. Le premier est M. Douglas Reid, professeur à l'École de commerce de l'Université Queen's.
Bonjour, monsieur Reid, et bienvenue au Comité permanent des transports. J'espère que vous allez pouvoir faire votre exposé en dix à douze minutes pour que mes collègues puissent vous poser des questions.
M. Douglas A. Reid (professeur, École de commerce, Université Queen's): Je vais faire de mon mieux, monsieur le président, et je vous remercie de me donner la parole.
Avant de commencer, j'aimerais m'excuser de ne pas avoir de traduction de mon exposé. Ce n'est qu'hier que j'ai pu intégrer certaines informations définitives et le terminer. Je crois comprendre, d'après ce que m'a dit la greffière, que ce texte va être traduit, mais je m'excuse de ne pas avoir eu en main la version française lorsque je suis arrivé ici.
Le président: Bon. Chers collègues, si vous voulez écouter cet exposé en français, vous avez vos appareils de traduction simultanée.
Monsieur Reid, vous pouvez commencer quand vous voudrez.
M. Douglas Reid: Vous me permettrez de commencer par remercier deux de mes collaborateurs qui m'ont aidé à préparer cet exposé. Le premier est Michael Athersych, mon adjoint aux recherches, dont les précieux conseils m'ont permis de peaufiner la base de données sur les compagnies aériennes qui la source d'information sur laquelle s'appuient mes propos. Le second, Ryan Doersam, étudiant en commerce de l'Université Queen's, m'a aidé dans mes recherches sur le contexte financier des compagnies Air Canada et Canadien International. Je tiens à souligner leur contribution à cet exposé, même si, bien évidemment, je reste seul responsable de toute erreur ou omission.
Aujourd'hui, j'aimerais aborder brièvement le rôle joué par les alliances dans la concurrence qui s'exerce au sein de l'industrie aéronautique mondiale. Pour ce faire, je vais adopter le point de vue d'un chercheur universitaire qui s'intéresse aux aspects stratégiques de la collaboration entre compagnies aériennes. N'appartenant pas moi-même à l'industrie aéronautique, je n'ai pas d'opinion favorable ou défavorable sur l'un ou l'autre des transporteurs aériens du Canada, leurs partenaires au sein des alliances qu'ils ont conclues, ni à l'égard de l'une ou l'autre des diverses propositions examinées actuellement par leurs actionnaires. Mes commentaires se fondent donc strictement sur mes recherches personnelles et s'inspirent directement de ma connaissance du domaine de la stratégie économique.
Permettez-moi de commencer en signalant qu'à l'heure actuelle, les alliances entre compagnies aériennes sont un mode privilégié de concurrence dans l'industrie aéronautique mondiale. De nos jours, au sein de cette industrie, l'appartenance à une alliance est aussi importante pour une compagnie aérienne que sa flotte, sa structure des coûts ou son accès à des marchés lucratifs. La coopération, dans le secteur de l'aéronautique, remonte au tout début de l'aviation. À cause de la fragmentation des réseaux aériens internationaux, les transporteurs ont depuis longtemps été amenés à coopérer dans le cadre de ce que l'on appelle des accords intercompagnies, lesquels ont précédé les alliances de commercialisation ou le partage des codes.
• 0905
Mes recherches ont porté avant tout sur quelque 1 051 accords
de partage de codes conclus entre 1978 et 1997 et, secondairement,
sur des accords de commercialisation; leurs résultats m'ont amené
à la conclusion que l'industrie aéronautique mondiale était passée
par trois phases de coopération. La première a été caractérisée par
la conclusion d'alliances de commercialisation. Ces dernières ont
proliféré dans les années 80, après le lancement, en 1981, par la
compagnie American Airlines, du programme Advantage, destiné à
récompenser les grands voyageurs. La plupart de ces alliances de
commercialisation permettent aux passagers d'une compagnie
d'emprunter les vols d'une compagnie concurrente, tout en
accumulant des points de grand voyageur sur la première. Ces
alliances étaient faciles à former et, puisqu'elles ne concernaient
qu'un seul aspect des activités d'un transporteur—habituellement,
les services de commercialisation—il n'était pas difficile d'y
mettre fin.
La deuxième phase de coopération, née de la réussite quelque peu sporadique des alliances de commercialisation, concernait le partage des dénominations ou codes de vol. Comme l'expression l'indique, le partage des codes de vol consiste à annoncer un vol assuré par un transporteur au moyen de deux ou de plusieurs codes d'identification: un code pour le transporteur effectif et les autres pour les partenaires dont la fonction principale, dans le cadre de ce type de collaboration, est de commercialiser le vol.
Même s'il existe de nombreuses formules de partage de dénominations, lesquelles se différencient habituellement les unes des autres par l'étroitesse de la collaboration et le risque relatif auquel s'expose chacun des transporteurs, on constate qu'au Canada, pratiquement toutes les formes d'accords de ce genre ont été utilisées à un moment ou à un autre. Certains s'appliquent à un seul itinéraire, ce qui signifie que les compagnies associées continuent de se faire concurrence sur d'autres routes. Il existe aussi des accords qui s'appliquent à la majorité des itinéraires sur lesquels les deux transporteurs impliqués se font concurrence.
Bien qu'il y ait quelques rares exemples d'accords de partage de dénominations remontant aux années 50, leur généralisation est un phénomène relativement récent. Or, au plan des objectifs primordiaux du partage des codes de vol—coefficients de remplissage supérieurs, heures de départ plus nombreuses et possibilité de redéployer les aéronefs—l'on n'a obtenu que des résultats mitigés. Mon propre examen des tendances en matière d'alliances m'amène à conclure que dans les années 80 et au début des années 90, même si la plupart des principales compagnies aériennes ont noué de nombreuses alliances, elles ont commencé à les rompre au fur et à mesure que l'avantage concurrentiel temporaire qui en découlait disparaissait.
Le problème, c'est qu'un grand nombre d'alliances qui n'impliquaient que des engagements minimaux, non seulement coûtaient chers à gérer et à soutenir, mais ne dégageaient pas d'économies suffisantes à cause de la structure des coûts de la plupart des compagnies aériennes. Permettez-moi de développer brièvement ce point. L'aviation est un secteur commercial où les coûts fixes sont élevés. Si l'on ajoute à cette structure de coûts fixes élevés une demande qui, dans le domaine des voyages aériens, est dérivée, on voit qu'il est difficile de réduire la capacité de façon méthodique lorsque les marchés se contractent.
Avec ce type de structure de coûts, la plupart des compagnies aériennes ont un revenu net monochiffre les bonnes années, alors qu'en période de vaches maigres, la plupart subissent des pertes substantielles.
D'après les données recueillies par l'IATA, environ les deux tiers du budget d'exploitation d'un compagnie aérienne type sont consacrées à des dépenses liées directement aux opérations aériennes. Le tiers restant couvre les activités au sol—la billetterie, les ventes et les frais généraux. Même si les alliances ont amélioré les coefficients de remplissage sur les routes où les codes de vol sont partagés, pour la plupart des compagnies aériennes, avoir conclu toute une série d'alliances liées à certains itinéraires ne s'est pas soldé par une amélioration notoire de la productivité des ressources au sol. C'est la raison pour laquelle la dernière vague d'alliances à tant d'importance.
Cette troisième phase de coopération—ces alliances Nouvelle-Vague à l'échelle mondiale comme l'Alliance Oneworld et l'Alliance Star—va plus loin que l'intégration des meilleures activités de commercialisation et que le partage des codes. Non seulement sont-elles conçues pour tenter d'améliorer la productivité de la flotte grâce aux partages des codes et à l'effet multiplicateur que peut avoir la notoriété de certaines compagnies, dans le cadre d'activités de commercialisation à l'échelle mondiale, mais elles ont également pour objectif de bonifier le rendement des avoirs autres que les aéronefs, grâce au partage d'autres activités impliquant principalement divers types de coinstallation.
La coinstallation comprend le partage de biens d'équipement situés dans les aéroports, par exemple, les installations des portes d'embarquement, où se trouvent des équipements pour la manutentions des bagages et le mouvement des appareils au sol qui valent des millions de dollars, ainsi que de ressources situées ailleurs, comme les billetteries et le personnel des ventes.
La collaboration existe aussi maintenant au plan des services électroniques. Je crois savoir que, depuis quelques semaines, on peut réserver une place sur un vol assuré par l'un des transporteurs qui font partie de l'Alliance Star en passant par son site Web. Peut-être est-ce possible en ce qui concerne l'Alliance Oneworld, mais si ce n'est pas déjà le cas, je suis sûr que cela ne saurait tarder.
Ce que je cherche à montrer, c'est que ces nouvelles alliances, qui impliquent des engagements contraignants, exigent une collaboration et une coordination infiniment plus étroites que jamais auparavant. Elles offrent aux transporteurs qui en sont membres la possibilité de réaliser des économies importantes, à condition de transférer le pouvoir de prendre certaines décisions—liste des itinéraires, investissements en capital et activités de commercialisation—au niveau de l'alliance. Cela signifie le partage de la régie interne des biens détenus par une compagnie aérienne. Légalement, les transporteurs en restent propriétaires, mais concrètement, la régie de leurs biens est partagée par les membres de l'alliance.
À noter que ce type de gestion s'exerce indépendamment du fait qu'un compagnie aérienne participe ou non au capital des autres membres de l'alliance. Il n'est pas nécessaire qu'un transporteur possède une part du capital d'une autre compagnie pour exercer une influence sur la façon dont cette dernière mène ses affaires. Le contrôle des capitaux propres et le contrôle de l'exploitation sont deux choses tout à fait distinctes et très différentes.
• 0910
Cela dit, cette nouvelle génération d'alliances représente
également pour l'industrie le moyen le plus prometteur de parvenir
à un niveau acceptable de rendement économique, étant donné les
conditions qui prévalent au plan de la réglementation. Même si les
alliances se sont révélées avantageuses jusqu'ici pour les
compagnies aériennes et pourraient l'être encore plus pour
certaines d'entre elles à l'avenir, du point de vue de nombreux
transporteurs, elles ne sont qu'un pis-aller par rapport à des
droits de propriété assurant le contrôle des opérations. S'il en
est ainsi, c'est qu'à travers le monde, l'aviation commerciale a
souffert d'une sur-réglementation chronique des décisions
concernant la propriété et l'entrée sur les marchés, une situation
qui a empêché l'industrie de rationaliser ses capacités en réaction
aux fluctuations de la demande, de la même façon que presque toute
autre industrie du monde, en ayant recours aux fusions, aux
acquisitions, à la faillite ou à des formes de regroupement
quelconques.
Permettez-moi de mettre cette observation en contexte. Je me souviens que lorsque j'étais étudiant à l'Université de Toronto, dans les années 70, on nous disait que le Canada avait une économie de succursales: nous avions des installations de production dont l'envergure était trop petite pour opérer de façon efficiente, nos coûts de production était élevés et nous nous en remettions à d'autres pour trouver des produits ou des procédés véritablement novateurs. Depuis lors, les progrès de l'économie mondiale et l'intégration des marchés par le biais de l'ALE et de l'ALENA ont eu pour effet de permettre la répartition de la production à travers l'Amérique du Nord sur une base plus rationnelle.
Le président: Monsieur Reid, pourriez-vous parler un petit peu moins vite pour faciliter la tâche de nos interprètes.
M. Douglas Reid: Oh, je m'excuse.
Le président: Il faut qu'ils traduisent tout ce que vous dites.
M. Douglas Reid: Je vais essayer d'aller un peu moins vite, mais mon exposé va prendre un peu plus de temps. Je demande donc votre indulgence, monsieur le président.
Le président: Je vous remercie, monsieur Reid.
M. Douglas Reid: En conséquence, l'exercice de la concurrence s'est focalisé sur le développement d'une structure assurant des coûts peu élevés ou d'une capacité de différenciation poussée, dans le but de répondre aux besoins des consommateurs plutôt qu'aux impératifs de la politique gouvernementale qui mettait l'accent sur la fabrication d'origine nationale.
En pratique, ce changement de cap a eu les conséquences suivantes: les installations non rentables ont fermé leurs portes et leur personnel s'est redéployé dans d'autres sphères d'activité, les nouveaux venus sur le marché ont réveillé les entreprises en place qui s'étaient endormies sur leurs lauriers, on s'est débarrassé de la capacité non utilisée plutôt que de la laisser improductive, certaines entreprises ont fusionné lorsqu'une telle décision était judicieuse et les compagnies ont organisé leurs affaires en tenant compte, non plus des frontières, mais de la présence d'une clientèle.
Le résultat, c'est qu'aujourd'hui, l'économie de notre pays est plus forte et plus concurrentielle, les entreprises sont plus solides et véritablement capables de réussir sur le marché mondial et les consommateurs sont dans une situation beaucoup plus avantageuse qu'auparavant. Sauf dans le domaine de l'aviation commerciale. Là, pour des raisons qui ne sont pas claires, les frontières continuent d'exister. À travers le monde, sauf aux États-Unis, l'aviation commerciale n'a pas pu avoir recours aux procédés de rationalisation utilisés par d'autres industries: Acquisition, fusion et faillite. Par conséquent, le nombre des alliances semble augmenter, les compagnies aériennes n'ayant pas d'autres moyens pour améliorer le rendement de leurs affaires.
En bref, les règles qui définissent l'organisation de l'aviation commerciale s'inspirent du même modèle, aujourd'hui discrédité, que le Canada abandonna lorsqu'il décida de développer son activité commerciale et sa position concurrentielle à l'échelle mondiale, il y a plus d'une dizaine d'années. L'aviation commerciale canadienne est toujours structurée comme une industrie de succursales. Cette industrie ne sera jamais concurrentielle à l'échelle mondiale s'il continue de lui manquer, premièrement, l'envergure nécessaire pour améliorer son efficience et, deuxièmement, la discipline sur laquelle s'appuie une réelle compétitivité et qui requiert, de la part des dirigeants et du personnel des entreprises, la ferme volonté de répondre aux besoins des consommateurs. Sans cette envergure, nous resterons relégués au second rang de l'aviation internationale, et sans cette discipline, nous risquons de nous laisser distancer encore davantage, au détriment des Canadiens, d'un océan à l'autre.
Je vous remercie de votre attention et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président: Merci, monsieur Reid.
Monsieur Bailey, s'il vous plaît.
M. Roy Bailey (Souris—Moose Mountain, Réf.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Reid, vous avez dit qu'environ un tiers des activités d'une compagnie aérienne se déroulait essentiellement au sol, comme la billetterie, etc. J'ai deux questions à vous poser. L'une a trait à ce qui s'est passé depuis que toute cette affaire a commencé. Je suis sûr que chaque agent de billets de ma circonscription—ils se sont tous manifesté—est préoccupé par deux choses. La première est la solidité de leur position, étant donné que leurs commissions ont quelque peu baissé récemment. La deuxième est la possibilité de voir un jour la fonction qu'ils occupent disparaître entièrement ou devenir une activité non rentable étant donné que la clientèle peut réserver un siège par voie électronique.
M. Douglas Reid: Je pense qu'en ce qui concerne la deuxième éventualité, on peut dire que oui, il est tout à fait concevable que la popularité grandissante d'une billetterie électronique via l'Internet aboutisse à ce que l'on appelle une «désintermédiation», c'est-à-dire à la disparition des services d'intermédiaires très utiles que fournissent les agents de voyage.
Dans ce contexte, on peut se demander ce qui va arriver à l'aviation commerciale si le pouvoir de négociation au sein de l'industrie change. La raison pour laquelle je mentionne cela, c'est qu'à travers l'Amérique du Nord, de façon générale, le niveau des commissions touchées par les agents de voyage a baissé et est passé, en moyenne, de 8 p. 100 ou 9 p. 100 à environ 5 p. 100. C'est une perte assez lourde pour un agent de voyage. Les compagnies aériennes souhaitent récupérer cette économie car, généralement, leurs marges d'exploitation sont si minces que pratiquement tous les moyens d'économiser de l'argent les intéressent. C'est la raison pour laquelle à l'heure actuelle, elles cherchent à se restructurer. Elles essaient de rendre plus productives leurs ressources hors-vol ou encore leurs avoirs au sol, tout simplement parce qu'il existe très peu de moyens d'améliorer la productivité de l'exploitation des aéronefs qui représente les deux tiers de leurs dépenses.
• 0915
En bref, les agents de voyage ont tout à craindre d'un marché
monopolistique où leurs commissions peuvent baisser encore plus.
Comme la plupart des gens, les agents de voyage seront toujours
dans une position plus avantageuse s'ils ont la possibilité de
traiter avec plus d'un fournisseur.
M. Roy Bailey: Devrais-je alors présumer que s'il existe un transporteur dominant ou qui détient un monopole, il va éventuellement s'intéresser aux activités au sol, plus particulièrement à ce petit secteur qu'est la billetterie, et s'en charger lui-même?
M. Douglas Reid: Il est possible qu'un transporteur considère une intégration en aval qui absorbe la fonction d'agent de voyage. Toutefois, je ne vois pas pourquoi il voudrait procéder ainsi. Les agents de voyage font plus que vendre des billets d'avion, comme nous le savons tous. Qu'un transporteur dominant détienne un monopole ou soit simplement membre d'un oligopole, je ne crois pas que cela entre véritablement dans la ligne de ses activités. Je pense cependant que les transporteurs vont essayer de réduire le plus possible la marge que représente la commission sur la vente des billets et de récupérer ces sommes.
Il est indubitable que plus la concentration de l'industrie canadienne—notamment dans le secteur de l'aviation commerciale—augmente, plus le système de commissions dont vivent les agents de voyage est en danger.
M. Roy Bailey: Merci.
Le président: Merci, monsieur Bailey.
Monsieur Jackson, s'il vous plaît.
M. Ovid L. Jackson (Bruce—Grey, Lib.): Merci, monsieur le président.
Bienvenue, monsieur Reid. Nous n'avons pas eu la possibilité de jeter un coup d'oeil à votre exposé à l'avance. Les deux questions principales que nous posons sont les suivantes: quelles sont les mesures qui sont dans l'intérêt public et comment pouvons- nous procéder pour le satisfaire au mieux?
Vous avez manifestement réfléchi à la question d'un point de vue théorique. Vous avez mentionné que, peut-être, l'envergure d'une entreprise est un facteur important, et vous avez également évoqué la notion de réelle compétitivité.
N'ayant pas en main copie de votre exposé, je vous pose la question: comment pouvons-nous, au niveau de la politique gouvernementale et à l'heure où nous nous apprêtons à adopter une loi en la matière, améliorer au mieux le rôle que jouent les prix?
M. Douglas Reid: La meilleure façon d'envisager la chose est de reconnaître qu'en la matière, de multiples intérêts sont en jeu. Il est certain que les intérêts de la population seront toujours mieux servis si on lui offre des billets à un prix abordable et tout un choix d'heures de départ différentes. La recherche montre que cette possibilité est l'un des principaux facteurs qui poussent les gens à choisir un transporteur plutôt qu'un autre.
Je ne vois absolument pas ce que gagneraient les voyageurs, particulièrement dans un pays de la taille du Canada, à avoir un choix plus restreint de compagnies aériennes plutôt que de multiples possibilités. Ce n'est d'ailleurs pas, je pense, une idée très radicale. À mon sens, la plupart des gens préféreraient avoir le choix plutôt que d'être obligés de traiter avec un monopole quel qu'il soit.
En ce qui me concerne, l'intérêt public n'a rien à voir avec l'intérêt des actionnaires, celui des employés ou celui de la direction d'une compagnie quelconque. J'espère—et en disant cela, c'est mon point de vue personnel que j'exprime plutôt que celui d'un chercheur qui s'intéresse à la question—que quelles que soient les recommandations que formulera le comité, il se déclarera clairement, sans l'ombre d'un doute, en faveur de l'intérêt public, au lieu de simplement appuyer celui des actionnaires.
Ce qu'il faut bien voir, c'est que le public est mieux servi par une chose qui n'a guère d'utilité pour des actionnaires: la concurrence. En fait, dans toutes les autres industries, les actionnaires assument le risque de voir l'entreprise dans laquelle ils investissent ne pas obtenir de bons résultats, mais ils sont également prêts à accepter les bénéfices qui découlent d'une bonne performance de l'industrie en question. Toutefois, dans le secteur de l'aviation, le risque assumé par un investisseur a été socialisé dans une certaine mesure du fait que la concurrence n'était pas assez vive pour donner aux consommateurs les multiples choix dont ils ont besoin.
M. Ovid Jackson: Le public et nombre de mes collègues ne savent plus où donner de la tête entre les revendications des syndicats de pilotes, des syndicats de mécaniciens et celles des compagnies—des gens qui essaient tous de faire de l'argent. En tant que député, je dois m'occuper en premier de l'intérêt public et chercher la meilleure solution pour tous. Même si je sais que, de temps en temps, il y aura des crises dans pratiquement toutes les industries, je préfère le changement qui va dans ce que j'appelle le bon sens et non le contraire. La plupart des gens n'aiment pas le changement, point final. Cela commence dès l'âge de onze ans.
• 0920
Nous avons maintenant deux compagnies aériennes, Air Canada et
Canadien International, et avant qu'elles ne se lancent en
affaires, nous les avons dotées de tous ces avoirs. La population
canadienne a investi beaucoup d'argent dans Air Canada et Canadien
International. Si Canadien International existe, c'est qu'entre
autre, on a injecté dans cette compagnie des centaines de millions
de dollars. Nous conseillez-vous de la soutenir encore un peu plus
longtemps, au nom de la concurrence? Y a-t-il un meilleur moyen de
procéder? Pourrait-il y avoir une meilleure solution au problème
qui se pose à l'heure actuelle?
M. Douglas Reid: Si j'ai un conseil à donner au gouvernement du Canada, ce serait de ne plus s'occuper de réglementer les compagnies aériennes, à part ce qui a trait à la sécurité. Si les transporteurs ne peuvent pas répondre aux exigences du marché en offrant des produits que les gens veulent acheter, je me demande bien comment les Canadiens seraient dans une meilleure situation si l'on conservait plus d'un transporteur, tout simplement pour préserver une structure de marché artificielle qui restreint l'accès de véritables concurrents.
Trouvez un moyen de ne plus être impliqués dans quoi que ce soit d'autre que la sécurité des aéronefs et des pratiques des compagnies aériennes. Je ne vois vraiment pas pourquoi l'industrie de l'aéronautique doit être traitée autrement que toute autre industrie du pays—en fait, que presque toute autre industrie du monde. La réglementation gouvernementale devrait être axée sur le maintien de la sécurité, et les pouvoirs publics devraient laisser jouer les mécanismes du marché pour assurer que les consommateurs ont un choix, bénéficient de bas prix et obtiennent effectivement ce qu'ils veulent.
M. Ovid Jackson: Les États-Unis couvrent une superficie dix fois plus grande que celle de notre pays. On y compte 250 millions d'habitants, le budget de ce pays se chiffre en billions de dollars, etc. Ce qui complique notre situation, c'est qu'au plan de la superficie, nous sommes le deuxième pays du monde et que nous sommes obligés de donner aux gens la possibilité de se rendre dans des collectivités de moindre importance. Or, si vous prenez tout cela en considération, il y a conflit avec la compétitivité pure et simple dont vous parlez. Qu'arrivera-t-il aux gens qui vivent dans des régions éloignées? Comment allons-nous les desservir?
M. Douglas Reid: Les régions éloignées seront desservies par toute compagnie aérienne, quel que soit le régime réglementaire en place, tant et aussi longtemps qu'il est rentable de le faire. À mon avis, l'une des meilleures mesures prises au cours des 15 dernières années par les compagnies aériennes a été de faire correspondre la taille de leur aéronefs à la demande dans tel ou tel marché. Ainsi, on ne voit plus de jets remplis à 20 p. 100 desservir certaines collectivités, juste pour faire un geste purement symbolique. On a recours à de petits avions suffisamment remplis, et ainsi la compagnie tire en fait un profit de l'utilisation de cet équipement et du personnel requis. Elle peut donc continuer à le faire. La meilleure façon de garantir la desserte des petites collectivités sera d'assurer que de nouveaux venus sur le marché peuvent faire concurrence aux entreprises déjà établies.
Quand j'étais jeune, j'ai habité Thompson, au Manitoba, pendant plusieurs années. Si j'habitais encore là aujourd'hui et si je jugeais une liaison aérienne nécessaire, j'aimerais qu'il existe une structure de marché qui me permettrait de fonder une compagnie aérienne, à condition de pouvoir rassembler les capitaux et les ressources requises pour ce faire. Dans un contexte de fusions axées sur l'instauration d'un monopole, je ne peux m'empêcher de me demander si ce serait possible.
Le président: Merci, monsieur Jackson.
J'ajouterais juste ceci. Si un transporteur national décide à d'assurer une liaison entre Halifax et Terre-Neuve en pensant qu'il peut faire des bénéfices et que tout d'un coup, ces bénéfices ne se matérialisent pas, il peut cesser d'assurer cette liaison. En revanche, s'il existe dans ce pays une compagnie aérienne qui détient un monopole et qui assure tous les vols internationaux lucratifs, il est possible d'envisager d'adopter une réglementation ou de trouver un moyen pour que les bénéfices tirés de ces vols internationaux que le gouvernement autorise la compagnie en question à assurer soient utilisés pour subventionner certaines de ces liaisons plus courtes, non rentables, mais importantes au plan régional.
M. Douglas Reid: C'est certainement une façon d'envisager les choses. Je dirais que ce n'est pas un point de vue terriblement populaire ailleurs que sur la Colline, mais il semble avoir une certaine crédibilité ces temps-ci. Cependant, à mon avis, c'est un bon moyen de pousser le transporteur qui détient un monopole à chercher avant tout non pas à desservir la clientèle et à rentabiliser ses opérations, mais plutôt à s'assurer de satisfaire son maître, c'est-à-dire le gouvernement.
Est-ce là une utilisation judicieuse du temps que consacrent ses dirigeants à la gestion de la compagnie aérienne en question?
Le président: Vous dites que cela satisferait le gouvernement. Mais ce que nous essayons de faire, c'est de nous assurer que les gens qui vivent dans ces collectivités et qui ont besoin d'être desservis par une compagnie aérienne bénéficient de ce service. Ce sont ces gens-là que la compagnie devrait essayer de satisfaire. Si elle se rend compte qu'elle ne peut pas faire de bénéfices en desservant cette collectivité, elle ne va pas offrir le service requis.
M. Douglas Reid: C'est tout à fait vrai.
Le président: Que suggérez-vous? Une compagnie aérienne qui détient un monopole va faire de l'argent à tour de bras, littéralement, n'étant pas au coude à coude avec un concurrent puisqu'elle n'en aura plus. Ceux de ses avions qui assurent les liaisons les plus en demande, dans le triangle, vont être remplis à 80 p. 100. C'est elle qui assurera également les liaisons internationales qui lui permettront de faire beaucoup de bénéfices. Comment pouvons-nous régler ce problème s'il existe une telle compagnie monopolistique? Comment pouvons-nous lui dire qu'elle doit assurer ces liaisons moins importantes parce qu'elles l'ont été par le passé et qu'il n'est pas possible de dire non, tout simplement parce que ce n'est pas rentable? Comment pouvons-nous garantir que cette compagnie va continuer à desservir les localités en question?
M. Douglas Reid: Honnêtement, je ne sais pas quel conseil vous donner sur la façon dont on peut obliger un monopole à faire quoi que ce soit.
Il y a toutefois une chose que je peux vous signaler—et cela s'appuie sur des recherches qui concernent des entreprises internationales—c'est que le pouvoir de négociation d'une compagnie change après qu'elle a conclu un marché; autrement dit, le meilleur moment d'obtenir des concessions d'une compagnie, c'est avant que le marché ne soit conclu. Dès qu'il existe un monopole, qu'il s'agisse d'une compagnie aérienne ou de toute autre entreprise, dans un secteur important pour le Canada, à un titre ou à un autre, le pouvoir que détient cette entité pour modifier ex post facto les termes des contrats qu'elle a conclu et obtenir des concessions en invoquant des imprévus, grandit; ce n'est pas le contraire que se produit.
Cela signifie que si le gouvernement cherche à obtenir quelque concession ou garantie que ce soit—ce qui, en toute franchise, reste à mon avis un pis-aller par rapport à des marchés concurrentiels—le meilleur moment pour avoir gain de cause, c'est avant que tout marché soit conclu. Après cela, le pouvoir de la compagnie qui détient un monopole vis-à-vis le gouvernement devient plus fort—beaucoup plus fort.
Le président: Voilà qui définit le dilemme du mois.
Michel Guimond, s'il vous plaît.
[Français]
M. Michel Guimond (Beauport—Montmorency—Côte-de-Beaupré—Île-d'Orléans, BQ): Monsieur Reid, je vous remercie grandement de votre présentation et de votre témoignage devant ce comité.
[Traduction]
Il est parfaitement bilingue. Il a compris ce que j'ai dit.
[Français]
Monsieur Reid, comme je le disais—je ne voudrais pas que vous pensiez que je souffre de la maladie d'Alzheimer et que je ne me rappelle pas l'avoir déjà dit—, je veux simplement vous remercier d'être venu vous présenter devant nous.
Ma question portera sur le rôle du Bureau de la concurrence. Êtes-vous d'avis qu'en rapport avec la décision des actionnaires d'Air Canada, car ce sont eux qui, en bout de ligne, prendront cette décision le 8 novembre prochain, le Bureau de la concurrence devrait jouer pleinement et entièrement son rôle, quelle que soit cette décision?
Le Bureau de la concurrence agit ni plus ni moins comme chien de garde des intérêts des consommateurs. Il représente ni plus ni moins une barrière qui protège les contribuables du Canada. Êtes-vous d'avis qu'en ce qui concerne une transaction aussi importante, en termes d'emplois touchés, en termes de l'apport économique de deux compagnies au Canada, dans toutes ses régions, le Bureau de la concurrence devrait jouer pleinement son rôle, quelle que soit l'issue d'une telle transaction?
En sous-question, je vous demanderai si vous croyez qu'un processus accéléré pour régler une mégatransaction de cette sorte est à proscrire, à rejeter ou à éviter.
[Traduction]
M. Douglas Reid: La réponse est oui, monsieur. Je pense que le Bureau de la concurrence devrait procéder comme il le fait habituellement pour évaluer cette fusion. Je trouverais très inquiétant que l'on modifie les règles de quelque façon que ce soit pour faciliter une restructuration de cette industrie, alors qu'il existe des procédures normales pour régler la question de la faillite d'une société. Je préférerais que l'on procède ainsi, personnellement et pour des raisons d'ordre économique qui militent pour que le Bureau de la concurrence soit impliqué comme il l'est normalement.
[Français]
M. Michel Guimond: Monsieur Reid, M. Jackson a posé tout à l'heure la question que je voulais moi-même poser relativement à la règle des 10 p. 100 par rapport à l'intérêt public. Je ne reprendrai pas sa question comme telle. Je vais plutôt tenter d'aller un peu plus loin.
Vous êtes un universitaire, une personne neutre et non rémunérée, directement ou indirectement, par les différents acteurs liés à ce dossier.
• 0930
Lorsque le ministre des Transports annonce, en
cours de processus, qu'il serait souhaitable
que la règle des 10 p. 100 de
participation dans le capital d'Air Canada soit changée,
avez-vous l'impression
qu'on change les règles du jeu en cours de partie?
Je vous demande de répondre à cette question en
votre qualité de personne neutre.
Avez-vous l'impression que cela ressemble à un arbitre
qui, lorsqu'une équipe de hockey est en train de perdre
8 à 0, décide tout à coup qu'il est temps que les
équipes changent de côté de la patinoire puisque le jeu est
toujours d'un côté plutôt que de l'autre?
Avez-vous l'impression qu'en acceptant d'entrer dans l'étrier de la voie d'un changement législatif aussi important que la règle des 10 p. 100, on change les règles du jeu en cours de partie? Je vous demande de répondre de façon très neutre et très indépendante puisque, de toute façon, c'est pour cela que vous témoignez devant nous.
[Traduction]
M. Douglas Reid: Monsieur, vous m'avez posé une question qui porte à la controverse. En tant qu'universitaire, j'évite naturellement la controverse dans la mesure du possible.
Des voix: Oh, oh!
M. Douglas Reid: Je serais sans doute porté à dire que, de façon générale, il est préférable que les entreprises opèrent dans le cadre de règles claires, établies dès le départ. Et nous ne parlons pas de n'importe quelle industrie. Généralement, les entreprises ont toujours tendance à préférer des règles claires, qui ne changent pas, ainsi qu'une interprétation logique de ces règles.
Cette affaire s'est compliquée parce qu'on a modifié les règles et les politiques pendant que la transaction était en cours. On ne peut le nier, cela a beaucoup compliqué les choses.
Je suis porté à dire qu'il aurait été préférable de ne pas apporter ces changements. De façon générale, à mon avis, si l'on veut prendre des décisions cohérentes, il est préférable de ne pas avoir à se préoccuper du fait que les règles peuvent changer. Pour reprendre votre analogie avec le hockey, l'arbitre peut prendre des décisions différentes, mais de façon générale, les transactions sont facilitées lorsque les attentes ainsi que l'interprétation des règles restent cohérentes.
Le président: Merci, monsieur Guimond.
Monsieur Dromisky, s'il vous plaît.
M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.): Merci, monsieur Reid. J'ai trouvé votre exposé très intéressant. Plusieurs points appellent des questions, mais nous n'avons pas assez de temps pour que je vous les pose toutes.
Je suppose que vous avez suivi le déroulement de ce scénario depuis déjà quelque temps et que vous avez très consciencieusement étudié tout ce qui a été rapporté par les médias. Je suis sûr que vous avez examiné et suivi de très près, jour après jour, le déroulement du scénario qui implique les deux compagnies aériennes et ce qui se passe ici, sur la Colline.
Vous savez que le ministre a établi un cadre stratégique qui comporte cinq volets spécifiques. Il a également indiqué qu'en ce qui concerne la règle des 10 p. 100, ce serait au comité et au gouvernement de se prononcer. Il n'a pas dit qu'on était déjà arrivé à une conclusion ni, autrement dit, qu'une décision sans appel avait été prise.
À propos du cadre stratégique, quelle est votre réaction, à la lumière de ce qui se passe entre les deux principales compagnies aériennes? Quel impact cela pourrait-il avoir, à votre avis? Y a-t-il des lacunes? Y a-t-il des points forts? Vu que de votre point de vue, nous ne devrions pas être impliqués dans les affaires de l'industrie de l'aéronautique...
M. Douglas Reid: Sinon pour...
M. Stan Dromisky: La sécurité est elle...?
M. Douglas Reid: ... de façon générale, j'ai trouvé ce cadre stratégique quelque peu déconcertant parce qu'il semble fixer des objectifs inconciliables. Peut-être n'est-il pas possible de préserver un service aussi étendu que le souhaite le ministre. Il est probable qu'avec un monopole, on ne puisse éviter une augmentation raisonnable des prix; cela n'est tout simplement pas logique. Penser qu'une certaine concurrence puisse continuer de s'exercer lorsqu'une compagnie domine un secteur à 90 p. 100 est risible; c'est tout simplement absurde. Vous avez alors un transporteur dominant qui exerce pratiquement un monopole.
• 0935
Bref, quand on essaie de cerner ce qu'on entend par
concurrence, la langue de bois n'est pas de mise. Il faut dire les
choses très clairement et poser la question carrément. Cela veut-il
dire qu'une entreprise a la possibilité d'entrer sur le marché?
Est-ce que sa nationalité a de l'importance? Quel est le rôle de
l'aviation commerciale au Canada? S'agit-il de transporter les gens
d'un point à un autre à travers le pays pour un prix aussi bas que
possible et dans des conditions aussi sécuritaires que possible, ou
bien d'assurer que les gens qui investissent dans cette industrie
y trouvent une source fiable de profits à cause de la structure du
marché qui, en réalité, permet de faire payer aux passagers plus
qu'ils ne le devraient?
Donc, pour vous répondre brièvement, il me semble qu'il y a des incohérences, mais la politique est un domaine qui est pour moi largement étranger, si je peux dire, et je ne comprends pas très bien certaines des motivations qui peuvent entrer en jeu. J'espère vous avoir donné une réponse adéquate. Je ne sais tout simplement pas comment...
M. Stan Dromisky: J'aimerais me concentrer sur un point particulier, les droits des employés. Les deux compagnies aériennes, pardon, l'une d'entre elles, a stipulé qu'il n'y aurait aucune mise à pied. Quant à l'autre, qui compte 16 000 employés—je ne sais pas ce qu'elle va dire. Lorsqu'on envisage le regroupement de deux compagnies qui emploient des milliers et des milliers de personnes, les dirigeants de ces entreprises peuvent-ils sincèrement dire qu'il n'y aura, à court terme—parce qu'à l'heure actuelle, ils ne parlent que du court terme—aucune mise à pied?
M. Douglas Reid: C'est se montrer étrangement crédule. Peut-être que le meilleur moyen de décrire la situation, c'est de dire ceci: examinons les motifs, les raisons pour lesquelles des compagnies fusionnent. Elles le font pour réaliser des économies d'échelle, c'est-à-dire en fait pour obtenir les avantages que l'on peut tirer d'une plus grande envergure. Elles agissent ainsi pour améliorer l'efficience de l'exploitation, pas uniquement en termes de coefficient de remplissage et du nombre de passagers transportés, mais également au plan de certaines choses comme le nombre de personnes qu'elles emploient par aéronef. Elles essaient d'augmenter la productivité de chaque intrant.
Vu le nombre de conditions que les compagnies ont accepté, je me demande franchement comment elles vont pouvoir mettre en application les ententes qu'elles ont conclues. Normalement, en cas de fusion ou d'acquisition, on cherche à réaliser des économies en vendant certaines composantes non rentables. On cherche à se séparer de certains employés qui ne jouent pas un rôle essentiel dans la réalisation des buts poursuivis par la compagnie. On cherche à combiner certains éléments de ce qu'on appelle la chaîne de valeur, à la poursuite de ces fumeuses synergies. Et, disons-le franchement, une compagnie qui détient un monopole augmente le prix des billets parce qu'elle peut le faire; elle a la puissance commerciale nécessaire pour procéder ainsi. Elle coupe également le service là où la demande n'est pas suffisante.
Or, si je me rappelle tout ce qu'ont dit les deux protagonistes, M. Schwartz et M. Milton... Ils se privent de toutes ces économies. Ils se sont engagés à ne pas profiter de ces avantages. La question que je ne peux alors m'empêcher de poser est la suivante: pourquoi prendre la peine de conclure un marché quelconque? Quelle est l'utilité de cette transaction, d'un point de vue économique, si l'on ne profite pas des économies normalement liées à la consolidation d'une compagnie par le biais d'une acquisition ou d'une fusion? J'en arrive alors à me demander si, d'une part, la crédibilité de ces déclarations ne doit pas être mise en doute ou si, d'autre part, les responsables de l'entité qui résultera de la fusion ne vont pas revenir sur ces déclarations dans un an ou deux et dire: «Désolés, nous avons eu des ennuis et il faut modifier les termes de notre accord» ce qui veut dire, comme je l'ai indiqué en répondant plus tôt à la question de M. Keyes, que des modifications post facto vont devoir être apportées au contrat. À l'heure actuelle, je me pose clairement la question de savoir si l'une ou l'autre des ententes qui sont envisagées est judicieuse sur le plan économique si l'on ne profite pas des synergies que l'on prétend possibles.
Le président: Merci, monsieur Dromisky.
Il y a évidemment quelques facteurs dont vous n'avez pas tenu compte, peut-être tout simplement parce que vous manquez d'informations. Quoi qu'il en soit, certaines de ces synergies viennent également du fait que, si une seule compagnie aérienne est en exploitation, les liaisons internationales, pour la plupart, sont assurées par une seule compagnie au lieu de deux—il existe une synergie au plan des liaisons avec le quadrilatère Montréal-Ottawa-Québec-Toronto, par exemple. Cette compagnie n'a plus à faire face à des coefficients de remplissage de 30 p. 100 ou moins; ils passent à 80 p. 100. Ainsi donc, toutes ces synergies contribueront également à compenser certaines des choses dont vous parlez.
En ce qui concerne les emplois, les deux parties intéressées ont dit très clairement qu'elles n'allaient pas fusionner dès le marché conclu et que l'on ne verrait pas, dès février prochain, une seule flotte desservir tout le pays. Les deux compagnies aériennes vont exister pendant encore deux ans et il y aura une réduction normale des effectifs, quelque 2 500 emplois au sein de chacune des compagnies qui disparaîtront au cours de ces deux années, de ces 18 ou 16 mois, que ce soit parce que certains employés prendront leur retraite, quitteront volontairement la compagnie, etc. Nombre de ces emplois sont fictifs. Enfin, ce sont les informations qui sont transmises au comité.
Il y aura donc également des synergies de ce genre.
M. Douglas Reid: De fait, je suis tout à fait au courant, mais je continue de penser que, si l'on se fonde uniquement là-dessus...
Les synergies sont de deux types. Premièrement, il y a celles qui concernent les ressources matérielles, les cas où, si vous assurez un service entre le point A et le point B, vous pouvez déterminer très précisément quels avantages vous allez pouvoir en tirer. L'autre type de synergies est lié aux ressources humaines.
Toutes les recherches sur les fusions et les acquisitions indiquent très clairement que lorsque ces transactions sont hostiles, lorsqu'il existe beaucoup d'acrimonie entre la compagnie qui achète et celle qui est absorbée, les synergies qui se fondent sur la collaboration des ressources humaines ne se matérialisent généralement pas.
Je suis donc d'accord avec vous: il va y avoir des synergies au plan des ressources matérielles, des avoirs de ces compagnies, les aéronefs et autres équipements. Je ne pense pas toutefois qu'il va y avoir des synergies découlant de la fusion des ressources humaines qui ressembleront, de près ou de loin, à ce que l'on prétend.
De fait, si vous examinez la circulaire d'Onex, vous verrez que deux ou trois pages sont consacrées à la description de toutes les difficultés que l'on peut rencontrer pour faire fonctionner une compagnie aérienne résultant d'une fusion. En réalité, de nombreuses entreprises se lancent dans un processus de fusion ou d'acquisition sans avoir la moindre idée des synergies qui peuvent en résulter. Il n'est pas du tout évident, étant donné le nombre de conditions que les parties prenantes à la série de transactions actuellement envisagées ont acceptées, que ces synergies, quelles qu'elles soient, se matérialisent jamais.
Le président: Madame Desjarlais, s'il vous plaît.
Mme Bev Desjarlais (Churchill, NPD): Merci.
C'est incontestablement, je pense, nous ne pouvons pas nous intéresser uniquement à la situation économique de l'industrie aéronautique. Nous ne pouvons pas envisager la question dans une seule perspective.
Vous avez affirmé deux ou trois choses qui me poussent à faire quelques observations. Vous avez dit, par exemple, que les entreprises veulent savoir à l'avance quelles sont les règles qui s'appliquent, en laissant entendre que c'est la façon qui leur permet le mieux de fonctionner. Cependant, de mon point de vue, dans un environnement où règne la concurrence pour la concurrence, strictement, les entreprises, je suppose, auront tendance à vouloir connaître les règles et à s'assurer qu'elles sont bien établies, à moins, évidemment, qu'elles puissent les contourner et en tirer profit. C'est dans l'ordre des choses.
Je présume que si tous les intéressés étaient bons joueurs, s'ils avaient des principes et agissaient pour le bien de tous, on pourrait dire: ne changeons pas les règles, ce ne serait pas juste pour l'autre gars, pas question d'agir ainsi.
C'est comme si vous vous retrouviez en train de jouer la finale de la coupe Stanley; vous marquez un but qui n'est pas accepté, mais le gardien de but dit: non, pas question, il y a bel et bien but, vous avez gagné.
Ce n'est pas ce qui se passe dans le monde des affaires, du moins d'après ce que j'ai pu constater ces dernières années. Je pense que la situation de ces deux compagnies aériennes ressemble beaucoup à celle où se sont trouvées deux compagnies de chemin de fer à qui l'on avait tout donné sur un plateau et qui ont fini par se battre et se chamailler, tant et si bien que nous en sommes venus à nous dire: mon Dieu, ces gars-là ne s'entendent pas, qu'allons-nous faire?
En bout de ligne, il faut s'assurer que les Canadiens disposent du service dont ils ont besoin. La situation que nous avons connue avec les deux compagnies de chemin de fer peut se répéter ou alors, nous pouvons intervenir avant que l'une ou l'autre des compagnies impliquées ait la haute main sur le secteur alors qu'aucune règle n'a été établie.
En ce qui a trait à certaines autres observations que vous avez faites sur les coûts d'exploitation des compagnies aériennes, je me demande si vous jugez déraisonnable que nous nous attendions à ce que les services soient fournis à moindre prix. À votre avis, le prix des billets est-il trop élevé ou bien les frais d'exploitation d'une compagnie aérienne sont-ils tels qu'il n'est pas possible d'offrir des billets à moindre prix, comme nous l'espérons?
M. Douglas Reid: Les calculs que font les compagnies aériennes pour établir le prix des billets relèvent d'une science à part. Peut-être cela ressemble-t-il davantage à l'alchimie—quelque chose qu'il est difficile de comprendre à moins d'avoir vu ce qui se passe de près.
Je me souviens d'avoir lu, il y a quelques années, un article du magazine Fortune qui portait sur l'exploitation d'un avion d'American Airlines de 150 sièges, je crois. Les auteurs de l'article relevaient le fait qu'au moins 100 tarifs différents pouvaient s'appliquer aux voyageurs qui empruntaient cet avion.
Alors, je me pose la question: Qu'est-ce qu'on entend par tarif? De quel tarif parle-t-on quand on dit qu'il devrait y avoir un plafond? S'agit-il du plein tarif que paye un passager qui doit se rendre du jour au lendemain, disons, de Toronto à Vancouver pour des raisons professionnelles ou familiales, en haute saison, ou s'agit-il du tarif appliqué à un voyageur d'agrément comme moi, qui réserve un siège huit mois à l'avance pour aller à Vancouver rendre visite à des membres de sa famille ou à des amis?
Si l'on prend en compte la structure des compagnies aériennes, on peut dire que les tarifs sont calculés, en général, selon ce qu'on appelle la distance franchissable, c'est-à-dire la longueur du vol. Mais il se passe communément des choses étranges: par exemple, un vol aller-retour Toronto-Thunder Bay, Ontario qui coûte deux fois plus cher qu'un vol aller-retour Toronto-Londres, Angleterre. C'est ce qui rend les gens perplexes. Pourquoi en est-il ainsi?
• 0945
Divers facteurs expliquent ces différences: le type
d'appareil, le coefficient de remplissage, la date à laquelle le
billet a été acheté, etc. Mais il ne semble pas qu'il y ait, du
moins du point de vue de la population, de méthode cohérente pour
calculer les tarifs, une méthode basée sur un élément de mesure
quelconque, comme la distance, et que tout le monde puisse
comprendre.
Est-ce quÂon s'attend à ce que les compagnies aériennes fassent des bénéfices? Oui. Certaines d'entre elles en font. Southwest Airlines, aux États-Unis, est la seule compagnie aérienne qui a régulièrement fait des bénéfices au cours de la dernière décennie.
Mme Bev Desjarlais: Je vous ai demandé si, par rapport aux frais d'exploitation, les prix que nous nous attendons à payer sont trop bas, et non si les compagnies aériennes dégagent des bénéfices.
M. Douglas Reid: Je ne suis pas sûr de comprendre la question. Voulez-vous dire que les compagnies aériennes devraient perdre de l'argent sur la vente des billets?
Mme Bev Desjarlais: Nous attendons-nous—et plus généralement, les gens s'attendent-ils—à ce que les compagnies aériennes baissent leurs prix, alors que les frais d'exploitation n'autorisent pas des tarifs plus bas que ceux qui existent à l'heure actuelle?
M. Douglas Reid: Je ne sais quoi répondre. Les gens pensent probablement que toutes les autres qui se trouvent avec eux dans le même avion ont payé leur billet moins cher qu'eux, mais c'est juste à cause de la façon dont les tarifs sont calculés. Les compagnies utilisent ce qu'on appelle des systèmes de gestion du rendement.
Un de mes collègues à l'Université Queen's, Jeff McGill, fait partie des meilleurs spécialistes du monde en systèmes de gestion du rendement, et il peut expliquer de façon très détaillée comment les compagnies aériennes fixent les prix de façon à tirer le maximum de revenus de chacun de leurs appareils. Quoi qu'il en soit, cela veut dire que certains sièges coûtent très peu cher et d'autres très cher, et qu'il se peut fort bien qu'ils aient été vendus à des passagers assis côte à côte.
Est-ce logique? Curieusement, oui, étant donné les caractéristiques de l'industrie et celles du produit que vendent les compagnies.
Le président: Merci, madame Desjarlais.
Monsieur Hubbard, s'il vous plaît.
M. Charles Hubbard (Miramichi, Lib.): Merci, monsieur le président.
Nous avons évoqué tant de sujets de réflexion que cela porte presque à confusion. Tout d'abord, nous avons deux compagnies aériennes qui, ni l'une ni l'autre, ne gagnent beaucoup d'argent. L'une en perd, en fait, et l'autre ne verse aucun dividende à ses actionnaires. L'une et l'autre font des promesses mirifiques à la population canadienne à propos de ce qu'elles vont offrir et de ce dont nous allons pouvoir bénéficier. Mais voilà, bien des Canadiens trouvent toute cette agitation très suspecte.
J'ai été plutôt stupéfait de vous entendre dire qu'une seule compagnie aurait le droit d'assurer des liaisons internationales. Je pense que vous avez dit cela il y a quelques minutes. Ce serait certainement très problématique si nous envisageons que s'exerce une certaine concurrence, avec les conséquences que cela peut avoir.
Hier, les responsables de l'aéroport du Grand Moncton m'ont fait parvenir quelques commentaires à ce sujet. Ils se déclarent très préoccupés par ce qui se passe dans les régions de moindre importance, par la possibilité qu'un seul transporteur de premier plan desserve leur aéroport et ce, dans le contexte de la cession des actifs des aéroports, un événement lourd de conséquences qui a lieu ces dernières années.
Essentiellement, la thèse qu'ils défendent est à peu près celle-ci: le moteur économique le plus important pour une collectivité est probablement le fait de disposer d'un service aérien. Dans leur communiqué de presse, les responsables de l'aéroport de Moncton se disent préoccupés parce que les deux offres qui ont été déposées ne garantissent pas vraiment les meilleurs horaires et les meilleurs prix, et ils se demandent en quoi cela peut les affecter.
Ils déclarent également, un peu impulsivement, que le prix des billets dans les régions subventionne les dépenses des compagnies aérienne ainsi que les billets vendus dans les plus grands centres. J'ai quelques difficultés à admettre cela, mais c'est ce qu'ils prétendent. Quand on voit combien coûtent certains billets dans les régions, on se demande en effet si les régions ne subventionnent pas effectivement certains des vols qui relient nos plus grands centres. C'est une affaire enregistrée auprès d'un tribunal et ils l'ont signalé à la presse hier.
Vous avez fait de très nombreuses observations qui sont excellentes. Le comité doit respecter des délais très serrés pour présenter un rapport au Parlement. De fait, ce rapport doit être déposé d'ici trois semaines. À votre avis, pouvons-nous faire une étude réaliste et adéquate qui reflète les préoccupations des Canadiens à l'égard de l'industrie aéronautique? Pensez-vous que le comité s'est engagé dans un processus réaliste?
M. Douglas Reid: Encore une fois, il s'agit là d'une question qui porte à la controverse et à laquelle je ne suis pas certain de pouvoir répondre de façon satisfaisante. Je peux peut-être essayer d'interpréter cela d'une autre façon.
Il se peut fort bien que les questions que vous devez chercher à démêler soient en fait très simples et que vous ayez assez d'informations à l'heure actuelle pour parvenir à une conclusion. Les points que je vous suggère de considérer sont les suivants.
• 0950
Quelle est la fonction que doit remplir une compagnie
aérienne? Est-ce que ce sont ses passagers ou ses actionnaires qui
doivent bénéficier de son activité?
Deuxièmement, qu'est-ce qui différencie l'industrie aéronautique de toute autre industrie du Canada et probablement de toute autre industrie du monde? Pourquoi les compagnies aériennes sont-elles traitées de façon si particulière, si unique et si idiosyncratique qu'elles opèrent selon une série de règles qui ne s'appliquent qu'à elles et qui dictent qui peut en être propriétaire, quelles sont les liaisons qu'elles peuvent assurer et quelles sont celles qui peuvent desservir tel ou tel aéroport?
À mon avis, telles sont les questions essentielles que la plupart des gens jugeraient intéressantes.
Concrètement, ce qui me préoccupe, moi qui habite dans l'est de l'Ontario et qui travaille à Kingston—une ville fantastique que l'on a décrite comme étant l'une des plus agréables et des plus isolées au centre du Canada—n'a rien à voir. Ce qui me préoccupe, c'est comment avoir accès aux principaux aéroports pour pouvoir partir à l'étranger, si je veux.
Les questions qui se posent sont très élémentaires. Quelle est la concurrence qui peut tirer quelque avantage de la situation? Quelles sont les compagnies aériennes qui peuvent en bénéficier? Voilà en fait en quoi cela se borne.
M. Charles Hubbard: Kingston est une ville où sont rassemblés des gens venus des quatre coins du pays, des gens qui représentent probablement un peu toutes les collectivités du Canada. Disons que vous voulez rentrer chez vous pour le week-end ou rendre visite à des amis ou je ne sais quoi encore. À mon avis, le gros problème des gens qui vivent à Kingston est d'avoir accès à toutes les régions du Canada—pas seulement de pouvoir se rendre en avion à Vancouver, Calgary ou Toronto, mais plutôt à Gander, Terre-Neuve ou à Prince Georges, en Colombie-Britannique.
Vous venez de Kingston. Pour les gens qui habitent là, le grand problème n'est-il pas d'avoir accès à toutes les régions du pays à un prix raisonnable, grâce à un service de transport raisonnable? Le processus dans lequel nous nous sommes engagés pourrait aboutir à ce que ce service soit assuré uniquement un jour par semaine. Devrait-on pouvoir voyager n'importe quel jour de la semaine?
Kingston est une ville magnifique, pittoresque, mais on y trouve des gens qui viennent des quatre coins du Canada. La collectivité où vous vivez est probablement celle qui donne l'image la plus juste du Canada, si l'on songe à tous les éléments que l'on y trouve, le collège militaire, les prisons et la grande université que vous représentez.
Le président: Avez-vous une question à poser, Charlie?
M. Charles Hubbard: C'est un endroit qui a une grande importance historique. Le Père de la Confédération dont on voit le portrait là-haut y est né ou y a travaillé, n'est-ce pas?
Le président: Mais, comme on dit, Charlie, on ne peut pas aller là d'ici.
Bref, avez-vous un question à poser, Charlie?
M. Charles Hubbard: La voici: le comité doit-il se préoccuper autant des régions que des plus grands centres?
M. Douglas Reid: Étant donné la mélancolie que j'éprouve lorsque je pense à la ville où se trouve mon employeur, je comprends ce que vous voulez dire.
Avoir le choix est probablement ce qui préoccupe les gens qui vivent dans des villes comme celle-là. Vous m'avez aidé, d'une certaine façon, en mettant l'accent encore plus précisément sur ce qui est au coeur du problème. La véritable question que doit résoudre le comité est celle-ci: les Canadiens devraient-ils avoir le choix ou non? Quelqu'un qui vit à Kingston et qui souhaite se rendre dans l'une des merveilleuses localités que vous avez mentionnées et dans beaucoup d'autres, d'ailleurs, doit-il être obligé d'utiliser les services d'une compagnie aérienne sanctionnée par le gouvernement ou avoir le choix entre, disons, Air Canada, Canadien International, British Airways ou toute autre compagnie aérienne du monde? Comment la clientèle est-elle le mieux servie?
En réalité, la réponse est plutôt élémentaire. Les gens devraient avoir l'éventail le plus large possible de choix lorsqu'ils veulent voyager dans leur propre pays ou se rendre ailleurs dans le monde, à un prix raisonnable et à un moment qui leur convient.
Le président: Merci, Charles.
Monsieur Casey, s'il vous plaît.
M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC): Merci.
Parmi les questions qui ont été assez souvent évoquées, il y a celle des compagnies aériennes régionales et le grand débat que cela suscite. Je crois que le gouvernement penche pour le dessaisissement des compagnies aériennes régionales. Je n'en suis pas sûr, car il est difficile de dire quelle est la politique du gouvernement.
Le président: Oh, vous n'avez donc pas encore acquis une connaissance du gouvernement qui ferait de vous un expert en la matière, Bill?
M. Bill Casey: Non, je ne suis pas expert en la matière et je ne sais pas quelle est la politique du gouvernement, s'il en a une. Mais quoi qu'il en soit, d'après les déclarations qui ont été faites, je pense que le gouvernement aimerait mieux que les compagnies régionales soient dessaisies. Cependant, les deux propositions donnent au monopole le contrôle des compagnies régionales. Je me demandais simplement ce que vous en pensez et si, à votre avis, ces compagnies devraient être dessaisies ou faire partie du monopole.
M. Douglas Reid: Les compagnies aériennes régionales jouent un rôle très important à l'heure actuelle auprès des deux transporteurs en assurant le trafic d'apport de leurs vols long-courrier. Elles sont l'équivalent, au Canada, des routes en étoile axées sur des plaques tournantes qui constituent la structure en place aux États-Unis. Je peux donc comprendre que les compagnies aériennes hésitent à s'en séparer.
En général, à cause du type d'aéronef qu'elles utilisent, elles ne peuvent pas véritablement faire concurrence aux compagnies qui assurent des vols long-courrier. Un Dash ne pourrait pas aller de Toronto à Vancouver sans s'arrêter souvent pour faire le plein. En ce sens, leur rôle est limité par leur capacité matérielle.
• 0955
En ce qui concerne leur dessaisissement éventuel, la question
de l'impact que cela aurait sur les options dont disposent les
consommateurs ne se pose pas vraiment. Celle qui est plus
fondamentale, c'est de savoir si l'un des autres transporteurs
capables de faire concurrence aux compagnies qui offrent des vols
intérieurs et-ou internationaux long-courrier serait autorisé à
exercer une telle concurrence sur le marché canadien.
M. Bill Casey: À l'heure actuelle, les activités des compagnies régionales sont limitées à cause de la taille des avions qu'elles peuvent utiliser. Elles ne peuvent mettre en service que des avions à turbopropulseurs. Elles ne sont pas autorisées à avoir des jets, à part ceux qui ont été exclus. C'est juste une condition de l'accord conclu avec la compagnie aérienne mère. Si elles étaient autorisées à exercer une concurrence, serait-elle de l'envergure que souhaitent la plupart des gens? C'est une chose qui revient souvent: les gens s'inquiètent parce que les propositions qui ont été faites ne permettent aucune concurrence.
M. Douglas Reid: Je pense que la réponse est non. Ce n'est pas un transporteur régional, dont la compétence s'étend uniquement à une petite partie du marché national, qui va pouvoir faire concurrence à une compagnie aérienne dominante à 80 p. 100. Non, cela n'a rien à voir avec la concurrence.
M. Bill Casey: Vous ne pensez donc pas que dans ces conditions, il y aura beaucoup de concurrence.
M. Douglas Reid: Cela dépend, bien sûr, de la politique qui va présumément régir l'entrée sur le marché, qui a trait à ce qu'on appelle la cinquième liberté ou le droit de cabotage. Essentiellement, c'est ce qui va déterminer si, oui ou non, nous allons avoir le choix.
Ce qu'il faut prendre en compte, je pense, c'est qu'il existe au Canada une industrie aéronautique composée de plusieurs segments différents. Les fonctions que remplissent les affréteurs, les compagnies régionales et les transporteurs à marge réduite comme Westjet sont très différentes de celles que remplissent Canadien International et Air Canada. Toutes ces compagnies partagent le même espace aérien, mais elles ne sont pas nécessairement en concurrence directe. Elles font des choses différentes. Elles ont des flottes différentes et leur raison d'être est différente.
Pour que les gens jouissent des avantages que procure le choix, il faut qu'il y ait des transporteurs—deux ou un seul, peu importe—en concurrence avec des compagnies du même type, d'autres transporteurs qui utilisent des jets et qui sont capables d'assurer des vols long-courrier. Ce genre de concurrence n'existe pas à l'heure actuelle dans notre pays.
M. Bill Casey: Si le gouvernement vous confiait la tâche de concevoir la politique idéale sur l'industrie aéronautique, quelle serait essentiellement la façon dont vous envisageriez les choses—une compagnie aérienne, deux, dix, des compagnies régionales, ou quoi?
M. Douglas Reid: Ce ne serait pas une très longue politique. Le rôle principal du gouvernement est d'assurer que tous les aéronefs et toutes les pratiques en matière d'aéronautique répondent aux critères de sécurité les plus stricts. Aucune restriction ne devrait s'appliquer à la propriété ni à l'accès au marché. Toute compagnie qui se conforme aux normes de navigabilité devrait être autorisée à soutenir la concurrence ici, à condition de pouvoir attirer assez de consommateurs pour avoir les revenus nécessaires.
M. Bill Casey: Même des compagnies étrangères? Pas de limite?
M. Douglas Reid: Aucune. Je ne vois pas pourquoi il devrait y en avoir.
Cela se rattache à un point que j'ai soulevé plus tôt. Le secteur de l'aéronautique est traité de façon très différente par rapport à toute autre industrie en ce qui concerne la concurrence. Le Canada ne possède pas beaucoup d'industries essentielles à sa survie. J'ai lu, dans le Globe and Mail, un article où l'auteur déclarait que nous n'avons pas d'industrie nationale de l'informatique alors que l'informatique, et les télécommunications jouent à notre époque un rôle absolument vital pour assurer la compétitivité d'un pays.
M. Bill Casey: La plupart des gens estiment que l'industrie de l'aéronautique est un peu comme un service public, que c'est une chose nécessaire. Quand on parle aux responsables des compagnies aériennes, on voit des étincelles s'allumer dans leurs yeux lorsqu'ils mentionnent Heathrow ou Rome, ce genre d'endroit, mais tout s'éteint quand on parle de Miramichi ou de Moncton. Si le marché était le seul facteur déterminant en la matière, je crois que nombre d'aéroports et nombre de régions ne seraient plus desservis par ces compagnies.
M. Douglas Reid: Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas du tout d'accord.
Le président: Merci, monsieur Casey.
Monsieur Volpe, s'il vous plaît.
M. Joseph Volpe (Eglinton—Lawrence, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Reid, je vous remercie des réponses que vous avez apportées à certaines questions. Elles sont très utiles, en tout cas, en ce qui me concerne, pour clarifier plusieurs sujets que nous étudions.
Ce week-end, un de vos collègues qui commentait l'une des offres qui ont été faites, a exprimé le même point de vue que vous, un point de vue qui reflète ce que l'on enseigne dans les écoles de commerce, je suppose: si vous ne réalisez aucune des économies possibles, si vous ne licenciez personne, si vous n'éliminez aucune route et si vous ne prenez aucune des mesures requises pour qu'une compagnie puisse joindre les deux bouts, quelle est la valeur de votre offre?
Je présume encore une fois—et j'espère que je ne vous fais pas dire ce que vous ne dites pas, mais c'est ce que j'ai entendu, je pense—que les deux offres n'ont vraiment guère de sens au plan économique et qu'il doit donc y avoir autre chose en jeu. C'est un point qui n'échappe peut-être pas au comité.
• 1000
Je voulais vous poser une question un peu plus précise, et
vous allez voir à quel point je suis chauvin puisqu'elle concerne,
non pas Miramichi ni Moncton, mais Pearson. Si l'une des offres est
éventuellement acceptée et si les deux compagnies aériennes
fusionnent, pouvez-vous me dire ce qui va probablement arriver à
tous les gens qui travaillent au sol à Pearson?
M. Douglas Reid: Première question, monsieur: quelle offre? La structure de chaque offre est fondamentalement différente.
M. Joseph Volpe: Eh bien, dans la première offre d'Air Canada, il était stipulé qu'il n'y aurait pas beaucoup de licenciements, peut-être 2 000, mais que ces mises à pied ne toucheraient pas le personnel d'Air Canada. Dans la dernière offre d'Onex, on mentionne qu'il n'y aura aucune mise à pied avant 2002 ou 2003, je ne sais plus trop. Donc, à court terme, il n'y aura pas vraiment de licenciements.
M. Douglas Reid: D'après ce que je sais, Onex propose la fusion des compagnies. Il est vrai que ce genre de chose ne se fait pas du jour au lendemain, mais il reste qu'il s'agirait d'une fusion de toutes les activités. D'après l'offre d'Air Canada, il semble que l'on retiendrait deux entités commerciales auxquelles s'ajouterait une nouvelle compagnie dont le siège social serait situé à l'aéroport de Mount Hope. Ces offres sont fondamentalement différentes. Si votre question porte sur ce qui va arriver aux employés, tout dépend de ce que décidera la direction de l'entité en cause à propos du regroupement ou du partage des installations, à savoir: va-t-il y avoir une intégration plus poussée que celle qui existe aujourd'hui.
Dans le cas de la proposition d'Onex, s'il existe une seule compagnie aérienne, parmi les questions pratiques qui se posent, il y a celle qui concerne l'utilisation de l'aérogare 2 ou de l'aérogare 3 à Pearson. Va-t-on les utiliser toutes les deux? Où logez-vous vos partenaires? Comment tirez-vous avantage du jumelage origine-destination lorsque vous ne partagez pas les installations? Cela soulève toute une série de questions. Dans l'offre d'Air Canada, on examine effectivement ce qui se passe lorsqu'il n'y a pas de structure organisationnelle intégrée et lorsqu'on n'a pas la possibilité de tirer profit des économies qui peuvent être réalisées.
Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à la question à moins de passer au stade suivant: choisir une des offres et parler des avantages qui en découlent effectivement.
M. Joseph Volpe: Je vais adopter le point de vue d'un consommateur et d'un usager. Ce n'est probablement pas quelque chose qui saute aux yeux aussi facilement à Pearson que, disons, à Vancouver ou Calgary. Quand on jette un coup d'oeil le long des corridors, on peut voir les billettistes et les bagagistes de l'une des deux compagnies et, un peu plus loin, ceux qui travaillent pour l'autre compagnie. On nous dit qu'à l'heure actuelle le coefficient de remplissage est en moyenne de 60 p. 100 environ. Cela n'est vraiment pas logique d'avoir deux compagnies qui offrent des vols à dix minutes l'un de l'autre pour les mêmes routes. Si les deux compagnies fusionnent en une seule et même entité et que leur capacité est restructurée, certains employés, qui voient leurs collègues travailler un peu plus loin, vont dire: «Monsieur Volpe, pouvez-vous imaginer que, si les deux compagnies fusionnent, nous allons eux et nous, faire exactement la même chose?» Des représentants des deux compagnies ont déclaré que ce qui va arriver, c'est que le nombre de voyageurs va augmenter, si bien que personne ne va perdre son emploi. Je vous le demande: du point de vue d'un analyste des systèmes de gestion, est-ce un scénario probable?
M. Douglas Reid: Permettez-moi de vous répondre en deux temps. Premièrement, le coefficient de remplissage d'Air Canada est de 70,9 p. 100. Pour Canadien International, ce coefficient est de 71,9 p. 100. Ces chiffres sont cités dans le Airline Business Magazine où l'on trouve un classement des compagnies aériennes pour l'année 1998. Donc, vous avez un système où le coefficient de remplissage est en moyenne de 71 p. 100 ou 72 p. 100.
Ce que vous me demandez en fait, c'est ceci: est-il probable que le nombre de passagers augmente si les compagnies aériennes fusionnent, par rapport au statu quo? Je pense qu'il faut examiner les raisons pour lesquelles les gens voyagent. La plupart des chercheurs vous diront que la demande, dans le domaine des voyages est considérée comme une demande dérivée. Elle dérive du besoin de faire autre chose. Alors que je peux fort bien emmener ma famille faire un tour en voiture à la campagne le dimanche après-midi parce que c'est une occupation agréable, très peu de gens vont monter dans un avion juste pour le plaisir d'être à cinq milles du sol. Vous prenez l'avion parce qu'il faut que vous alliez du point A au point B pour participer à une réunion d'affaires, parce que vous partez en vacances ou pour une raison d'ordre familial. La demande est par conséquent effectivement dérivée du besoin de faire autre chose. Elle dépend énormément du cycle économique.
Certains prétendent que l'on pourrait faire baisser le prix des billets d'avion au point que les gens auraient le choix entre la route, le train ou l'avion pour aller de Toronto à Montréal. Étant donné mes préférences, si je jugeais que le prix d'un billet d'avion était assez bas, je serais sans doute très content de prendre l'avion plutôt que ma voiture ou le train. Dans ces conditions, il y aurait des transferts d'un mode de transport à l'autre. Est-ce que les gens vont voyager davantage juste parce que les compagnies aériennes auront fusionné? Je ne vois pas pourquoi. Dans ce cas, ma réponse est non.
M. Joseph Volpe: Merci.
Le président: Merci, monsieur Volpe.
Monsieur Bailey, s'il vous plaît.
M. Roy Bailey: Merci , monsieur le président.
Monsieur Reid, je tiens à vous remercier d'avoir partagé avec nous votre point de vue manifestement perspicace de la question. À en juger par vos réponses, vous êtes plus que qualifié et vous êtes un excellent témoin.
La comité n'a pas beaucoup de marge de manoeuvre pour mener à bien cette étude. Nous avons brièvement abordé la question l'année dernière et nous avons entendu quelques témoins, mais c'est un dossier d'une telle envergure qu'essayer de faire un rapport qui le résume raisonnablement pour le transmettre au ministre est, c'est le moins qu'on puisse dire, une tâche difficile.
Ce qui me préoccupe c'est qu'en tant que membres du comité nous n'avons véritablement que deux options à évaluer. Ce sont des options qui ont été rendues publiques, et les deux adversaires se font la guerre par l'intermédiaire des journaux. Je ne sais pas comment on peut absorber ce flot d'informations différentes et contradictoires qui n'arrête pas. Serait-il trop simple, juste pour résumer ce que nous tentons de faire ici—et nous allons entendre beaucoup d'autres témoins—que le comité dise qu'il n'est pas vraiment sûr d'avoir toutes les informations dont il a besoin? Il y a des renseignements qui, selon moi, auraient certainement dû être transmis au comité, mais il se peut que nous ne les ayons jamais.
Alors, que nous conseillez-vous?
Le président: Monsieur Bailey, c'est une question qui met le témoin dans une situation embarrassante étant donné qu'il n'a pas la liste des gens qui vont comparaître devant nous au cours du prochain mois. Et bien entendu, monsieur Reid, nous devrions probablement préciser que personne ne nous oblige à terminer cette étude d'ici la fin du mois. Mais le temps presse. Canadien International est en difficulté, et une solution aurait dû être trouvée hier. C'est la raison pour laquelle nous tenons ces...
M. Reid ne sait pas qui a comparu devant nous, etc. Monsieur Reid, peut-être voulez-vous répondre à la question, même si elle est quelque peu embarrassante?
M. Douglas Reid: Je ne suis pas sûr de pouvoir vous aider beaucoup en la matière, monsieur le président.
Le président: Monsieur Bailey.
M. Roy Bailey: Le choix que nous avons est très clair. Quoi qu'il arrive, il va y avoir une compagnie aérienne dominante, c'est l'expression que nous allons utiliser. Dans ces conditions, appliquer tout autre type de critères économiques à cette réalité, c'est-à-dire la présence d'une compagnie aérienne dominante... Notre responsabilité, à titre de représentants de la population canadienne qui nous a élus, est d'assurer un service et de garantir des prix raisonnables, peu importe ce que l'on entend par là. Comment pouvons-nous nous attaquer à cela alors que nous savons que, quel que soit le marché qui sera conclu, il y aura une compagnie aérienne dominante?
M. Douglas Reid: La réponse est très simple: des marchés concurrentiels vous permettront de faire cela, gratuitement. Toutes les autres industries canadiennes—et encore une fois, monsieur, c'est un thème que j'ai déjà évoqué deux ou trois fois ce matin—ont les même caractéristiques. Tous les concurrents, dans toutes les industries, veulent occuper une position dominante. Le problème en ce qui concerne l'industrie aéronautique, c'est juste qu'il y a trop peu de concurrents et que tout transporteur qui occupe une position dominante le fait vraiment de façon très visible.
La réponse, je pense, est que la façon la plus facile de donner effectivement à vos électeurs et à ceux de vos collègues ce qu'ils souhaitent—et je ne veux pas vous faire dire ce que vous ne voulez pas dire, mais je crois qu'il s'agit de billets à bas prix, de départs fréquents et d'une certaine réceptivité vis-à-vis la clientèle, ce qui signifie que le transporteur vous traite avec certains égards—c'est la concurrence. La décision à prendre n'est donc pas très difficile. En fait, c'est très simple.
Je ne vais pas essayer de vous dépeindre la concurrence comme un remède miracle; je dis simplement que dans tout marché où s'exerce une concurrence, il semble que cela ait le genre de résultats que souhaitent vos électeurs: des bas prix, du choix et des entreprises qui traitent bien leur clientèle. Dans tout marché non concurrentiel, les prix sont élevés, on nÂa aucun choix et le service est mauvais. Nous pouvons tous, j'en suis sûr, nous rappeler de cas où nous avons eu à traiter avec des entreprises qui occupaient une position privilégiée sur le marché, des cas où nous, à titre de consommateurs, n'avions aucun moyen d'obtenir ce que nous voulions, ni même la possibilité d'être traités équitablement. Vous pouvez transigez équitablement avec une entreprise uniquement si elle sait que vous ne la menacez pas en vain lorsque vous dites que vous allez traverser la rue et acheter chez son concurrent.
Je ne sais pas quels sont les témoins que vous allez entendre, mais en toute franchise, en ce qui concerne les résultats que souhaitent vos électeurs, je ne pense pas que la décision que vous avez à prendre soit terriblement compliquée. En fait, je crois que c'est une décision très simple.
Le président: Merci, monsieur Bailey.
Monsieur Calder, s'il vous plaît.
M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci, monsieur le président.
• 1010
Monsieur Reid, j'ai trouvé vos propos très intéressants. Je
veux parler de deux éléments des deux propositions, premièrement,
celle d'Air Canada qui a déclaré qu'il n'y aurait pas fusion d'Air
Canada et de Canadien International—que les deux compagnies
continueraient d'opérer comme des entités séparées et que Canadien
International deviendrait une filiale d'Air Canada. C'est une
proposition qui me pose problème.
Je peux imaginer, par exemple, que d'ici 18 mois, après avoir fonctionné dans ces conditions, ils reviennent nous voir en disant: «Bon, nous avons vraiment essayé, mais cela ne marche tout simplement pas. Bien entendu, nous sommes un peu hors circuit maintenant que Canadien International est une filiale d'Air Canada; et Air Canada peut décider que si sa filiale n'est pas rentable, on ne peut la sauver, on ne peut l'exploiter et donc qu'elle disparaît.» Ce qui risque d'arriver aux employés dans ce cas me préoccupe énormément. C'est une conséquence possible de la proposition d'Air Canada.
En ce qui concerne celle d'Onex, qui envisage la fusion des deux compagnies, la question qui se pose, c'est celle de l'ancienneté; en effet, par exemple, il y a des pilotes de Canadien International qui ont plus d'ancienneté que ceux d'Air Canada. Comment peut-on amalgamer les deux compagnies sans semer en même temps la désolation parmi les employés? Comment régleriez-vous ces deux problèmes?
M. Douglas Reid: Permettez-moi de m'occuper d'abord du second. Premièrement, je ne pense pas que ce soit au comité ni, je l'espère, au ministère des Transports, de s'occuper directement de cet amalgame. C'est à la compagnie de le faire en se fondant sur les règles qu'elle a négociées, quelles qu'elles soient. À ce que je sache—et ma compétence en la matière n'est pas aussi étendue que dans certains autres domaines de recherche auxquels je m'intéresse—les pilotes sont des gens qui se comportent de façon très professionnelle. Ils vont essayer de faire ce qu'il faut. Ce que je peux vous dire, c'est que d'après toutes les recherches qui ont été faites sur les fusions et les acquisitions, il est très clair que, dès que les tractations entre compagnies deviennent extrêmement acrimonieuses, il est moins probable que le regroupement se fasse. Les cultures ne se mélangent pas aussi facilement que le lait et le café. C'est un problème très complexe. De fait, cela peut prendre des dizaines d'années pour le résoudre.
Ce que je veux dire, c'est que même si les pilotes et les autres employés se comportent de façon professionnelle, conformément aux normes de sécurité, la fusion peut ne pas déboucher sur les synergies et les économies que les protagonistes prétendent pouvoir réaliser.
Je reviens à votre première question. Honnêtement, quand vous dites que l'on peut fort bien imaginer que les responsables d'Air Canada déclarent dans quelque temps qu'ils ne pensent pas pouvoir exploiter Canadien International de façon rentable et qu'il faut faire quelque chose à ce propos, c'est l'exemple même du problème auquel font face tous les gouvernements qui ont à traiter avec des monopoles: une fois qu'un gouvernement a créé un monopole ou en a autorisé la création, il se place dans une position de subordination dans la mesure où le pouvoir de négociation des monopoles est plus grand. Un monopole peut dire au gouvernement, un an ou deux après avoir conclu une entente: «Nous avons eu des ennuis à cause des conditions du marché, nous ne nous y attendions pas, nous avons fait de notre mieux, mais voilà où nous en sommes aujourd'hui. Il faut donc modifier les termes de notre accord; sinon, nous allons être en mauvaise posture et, par voie de conséquence, le gouvernement va aussi se trouver dans une position difficile.»
Donc, la plupart des gouvernements, vont s'empresser d'accéder à ces demandes, de façon à ce que le problème disparaisse et à ce que l'entreprise puisse rationaliser ses opérations, ce qui est probablement la solution qui aurait dû être adoptée dès le départ.
À mon avis, le problème se pose effectivement: est-ce que le comité va pouvoir déterminer correctement si les entités concernées risquent de s'adresser à nouveau au gouvernement dans deux ou trois ans, s'il y a une récession, par exemple, en disant que des facteurs qui échappent à leur contrôle—soit une récession, soit une augmentation du prix du carburant—les obligent à modifier les termes de l'accord qui a été conclu.
Dans des marchés concurrentiels, ce problème ne se pose pas, en partie. Vous devez comprendre—et je dis cela avec tout le respect que je vous dois—que si vous sanctionnez un marché qui est structuré d'une certaine façon, vous vous condamnez à accepter qu'un certain pouvoir de négociation s'exerce pendant très longtemps.
M. Murray Calder: Très bien. De là, passons à une vue plus générale de la question. Pour moi, il y a trois options: les deux propositions et le statu quo. Kevin Benson nous a dit que le temps est le pire ennemi de Canadien International. Pourtant, si on y regarde de plus près, d'un côté, il y a l'Alliance Star qui regroupe United Airlines, Air Canada et Lufthansa, et de l'autre, il y a l'Alliance Oneworld, qui regroupe American Airlines et Canadien International. J'ai cité en premier United Airlines et American Airlines car ces compagnies sont deux vieilles rivales. Dans le cadre de ces propositions, soit Air Canada va quitter l'Alliance Star et se joindre à l'Alliance Oneworld, soit Canadien International va quitter l'Alliance Oneworld et se joindre à l'Alliance Star.
M. Douglas Reid: Non.
M. Murray Calder: Pourquoi?
M. Douglas Reid: Une petite correction aux fins du compte rendu. Apparemment, dans le cadre de la proposition d'Air Canada, la compagnie Canadien International sera affiliée à Delta...
M. Murray Calder: Oui.
M. Douglas Reid: ... qui ne fait pas partie de l'Alliance Oneworld.
M. Murray Calder: Très bien, cela m'avait échappé.
Et bien entendu, si l'on adopte la troisième solution—et qu'on laisse les choses en l'état, comme dit Kevin Benson, Canadien International va faire faillite et disparaître de l'Alliance Oneworld.
À votre avis, est-ce qu'American Airlines va laisser faire sans lever le petit doigt au cas où l'on choisisse le statu quo? Cette compagnie a déjà injecté de l'argent dans Canadien International. Pensez-vous qu'il soit possible qu'elle en injecte davantage?
M. Douglas Reid: Je ne sais pas quoi vous répondre. Je vous dirais ceci: si l'on se fonde sur ce que rapportent les médias et sur les déclarations de la compagnie elle-même, American Airlines et d'ailleurs, tout partenaire d'un transporteur principal au sein d'une alliance, a un intérêt direct et considérable à faire en sorte que ce transporteur poursuive son activité et reste au sein de l'alliance. American Airlines tire des bénéfices substantiels des droits de service voyageurs que lui verse Canadien International. J'ai vu des prévisions qui chiffraient cela entre 250 et 500 millions de dollars par an. Je ne sais pas quel est le chiffre exact; cela dépend de ce sur quoi vous vous basez pour faire les calculs.
Inutile de dire que dans une telle situation, une compagnie aérienne, quelle qu'elle soit, devra prendre la décision qui va dans le sens de son intérêt supérieur. Et si elle a tout intérêt à ce que son partenaire reste en activité, elle peut fort bien le financer, quoique, à mon avis, American Airlines aurait maintenant beaucoup de mal à justifier une telle intervention, étant donné les résultats de Canadien International.
Je ne suis pas d'accord avec une des choses qu'a dites M. Benson—et ne connaissant pas M. Benson, je présume qu'en le citant, vous ne le trahissez pas. Peut-être que le temps n'est pas le pire ennemi de Canadien International, que c'est plutôt le fait que cette compagnie aérienne est incapable d'offrir le produit et les services que les gens souhaitent acheter, d'une part, et d'autre part, de maintenir ses coûts assez bas pour pouvoir faire des bénéfices. Le rôle que joue le temps se limite, comme c'est le cas habituellement, à épurer l'industrie, sauf qu'il existe des règlements adoptés par le gouvernement qui interdisent la faillite des compagnies aériennes ou rendent difficile la réduction méthodique de la capacité.
M. Murray Calder: Ce sera ma dernière question. Pensez-vous que dans l'avenir prévisible, Canadien International puisse devenir rentable?
M. Douglas Reid: Je pense qu'aucun analyste n'a dit que cette compagnie pouvait être rentable à l'avenir, et je ne vois pas pourquoi les tendances qui existent actuellement changeraient. Par exemple, il y a une tendance inquiétante, la réduction du nombre de passagers. Canadien International vient de rendre public son rapport du troisième trimestre—il y a une semaine ou dix jours, je crois—où l'on indique que le nombre de passagers a baissé de 16,8 p. 100 par rapport à l'année dernière, ce qui dénote une tendance très inquiétante. Les consommateurs peuvent fort bien avoir décidé que Canadien International ne va pas s'en tirer—je ne pense pas que ce soit le cas, soit dit en passant—et ils le font savoir d'ores et déjà en allant ailleurs.
Donc, pour que Canadien International se retrouve dans une situation financière plus saine, il faudrait que la compagnie modifie l'opinion que les gens ont d'elle. Il faudrait qu'elle amène les consommateurs à faire volte-face, et c'est une tâche très difficile.
Le président: Merci, monsieur Calder.
Mes chers collègues, M. Comuzzi va être le dernier député à poser des questions. Ensuite, nous suspendrons la séance pendant cinq minutes avant de recevoir notre deuxième témoin.
M. Joe Comuzzi (Thunder Bay—Superior-Nord, Lib.): Si nous avons pris du retard, monsieur le président, je serais heureux de...
Le président: Non, ça va, nous avons le temps.
M. Joe Comuzzi: Merci, monsieur Reid.
Je pense que tous mes collègues ont souligné la complexité de cette question, mais au cours de votre exposé, vous avez dit que vous ne voyiez pas pourquoi nous traitions ces entreprises différemment des autres, et je suis d'accord avec cela. Tenons-nous en à l'essentiel. S'il n'existe qu'une seule compagnie aérienne une fois cette guerre terminée, je vous garantis—et de cela, il ne peut y avoir aucun doute—moins de services, des prix plus élevés et moins de respect pour les plus petites localités de ce pays. Je peux vous garantir dès maintenant que l'on diminuera énormément le nombre des employés, par attrition et par d'autres moyens. Tout cela, c'est du sûr, quoi qu'on en dise.
Le dilemme auquel nous faisons face est le suivant: les gens que nous sommes censés protéger sont ceux qui ont édifié et payé, grâce à leurs impôts, chaque aéroport de ce pays, grand ou petit, que ce soit à Moncton, Hamilton, Winnipeg ou ailleurs. Les contribuables de ce pays ont financé au fil des années chaque aéroport qui a été construit. Les contribuables de ce pays ont financé chaque piste d'atterrissage. Les contribuables de ce pays ont financé chaque système de navigation aérienne qui a été installé.
• 1020
Si nous laissons ce genre de chose arriver, et c'est la
question que je vous pose, tous ces gens qui ont payé les
installations utilisées par ces entreprises pour mener à bien leurs
activités—et ce n'est au fond que des entreprises comme les
autres, qui utilisent des installations que les contribuables
canadiens ont toutes payées et qui achètent les avions—si nous
laissons ce genre de chose arriver, ce sont les gens que nous
sommes censés protéger ici qui vont se faire avoir. J'aimerais
savoir ce que vous en pensez. Comment pouvons-nous empêcher cela?
M. Douglas Reid: Eh bien, je pense que vous avez résumé le problème de façon très éloquente et très concise. Je suis entièrement d'accord avec vous. J'ajouterai toutefois les précisions suivantes.
Premièrement, le problème, c'est que les monopoles se comportent presque toujours de la même manière, peu importe ce que les responsables prétendent qu'ils vont faire. Ce n'est pas un phénomène qui se limite aux compagnies aériennes; c'est plutôt un phénomène lié à la façon de faire des affaires des monopoles. Les monopoles n'opèrent pas dans l'intérêt des consommateurs. En fait, ils sont hostiles à cet intérêt qui, pour le comité, a une importance primordiale. Il n'est pas nécessaire d'avoir étudié la chose de près pour le dire; tous les gens qui ont pris un cours d'économie de première année vous diront la même chose.
Deuxièmement, les installations dont vous avez parlé constituent effectivement non seulement un subvention aux transporteurs, mais également une part importante de l'infrastructure nationale. De mon point de vue, il est dans l'intérêt national que cette infrastructure produise, pour le contribuable qui l'a financée, le meilleur rendement possible, présumément en servant à transporter les gens et les marchandises à la fréquence voulue et au plus bas coût possible.
Selon moi, le meilleur moyen d'y arriver est de commencer à traiter les compagnies aériennes de la même façon que toute autre entreprise au Canada; c'est-à-dire, accueillir la concurrence étrangère—non pas parce que notre produit national n'est pas de bonne qualité, mais parce que de façon générale, la concurrence se traduit partout par des avantages pour les consommateurs. En outre, il faudrait s'assurer que la concurrence étrangère sert à optimiser l'utilisation de ces installations tout en avantageant les consommateurs.
C'est pourquoi je suis entièrement d'accord avec tout ce que vous avez dit. À mon avis, votre déclaration est tout à fait perspicace et sage. Le dilemme auquel vous faites face est donc le suivant: comment le comité peut-il faire valoir énergiquement l'importance primordiale de l'intérêt des consommateurs, par opposition à l'intérêt des actionnaires ou à l'intérêt des dirigeants dans cette affaire? Parce que, monsieur, si vous faites cela, cela revient à déclarer tout simplement que la concurrence doit s'exercer dans le secteur de l'aéronautique canadienne comme dans toutes les autres industries de services dont bénéficient les Canadiens.
M. Joe Comuzzi: Merci, monsieur Reid. Je présume donc que votre thèse est la suivante: l'industrie aéronautique canadienne doit épouser les principes qui sous-tendent l'ALENA, la concurrence doit être libre et ouverte et si nous devons garantir ce que j'aimerais voir garanti en bout de ligne, le marché est largement ouvert.
M. Douglas Reid: Oui, monsieur.
M. Joe Comuzzi: Largement ouvert—laissons venir toutes les compagnies aériennes qui le veulent, laissons venir dans notre pays toutes les compagnies qui peuvent nous prouver qu'elles opèrent en toute sécurité, laissons-les venir pour le bénéfice de tous les gens qui ont financé les installations qu'elles vont utiliser.
M. Douglas Reid: Oui, monsieur, vous avez tout à fait raison. J'ajouterai une toute petite chose, si vous le permettez. Je ne pense pas que l'on doive craindre, de façon tout à fait irrationnelle, que la plupart des compagnies aériennes qui entreraient sur le marché seraient américaines. Je pense qu'on serait surpris, en fait—il est vrai que le Canada est un pays plutôt multiculturel—de voir combien de lignes aériennes pourraient juger que c'est un bon endroit pour faire des affaires. Nous ne devrions pas craindre une invasion américaine, je pense. À mon avis, nous devrions craindre davantage un monopole canadien qui ferait du tort aux consommateurs. Donc, je suis entièrement d'accord avec vous.
M. Joe Comuzzi: Merci, monsieur Reid.
Monsieur le président, ceci n'est pas une question. À propos de la tragédie qui a eu lieu ce week-end, de cet avion égyptien qui s'est écrasé, je sais que nous avons discuté de la pratique du cabotage et je me demande si quelqu'un pourrait faire quelques recherches pour nous. Cet avion a atterri à Los Angeles en provenance de je ne sais où, des passagers ont débarqué et embarqué à Los Angeles, et la même chose s'est passée à JFK, où l'avion a également atterri avant que n'ait lieu cette tragédie. Ces mouvements de passagers, c'est du cabotage. Comment se fait-il que cette compagnie aérienne ait pu fonctionner de cette façon?
Le président: Nous pouvons faire faire des recherches pour vous, Joe.
M. Joe Comuzzi: J'aimerais savoir pourquoi. Enfin, c'est quelque chose qu'on nous a conseillé ou qu'on nous a dit de...
Le président: Il y a des ententes réciproques entre les pays, les États-Unis et d'autres.
M. Joe Comuzzi: Je pense que nous devrions examiner le genre d'entente conclue par cette compagnie aérienne avec les États-Unis.
Le président: Bien sûr, cela pourrait nous servir de référence. Je vous remercie d'avoir posé la question, Joe. Je vais mettre votre nom en haut de la liste pour que vous soyez le premier à poser des questions à Onex cet après-midi lorsque ses représentants comparaîtront devant nous. C'est une bonne question; vous pourriez la leur poser.
• 1025
Monsieur Reid, une dernière question avant de vous remercier
de nous avoir présenté cet exposé et d'avoir répondu à nos
questions.
Toutes les fusions qui ont lieu au Canada ne se soldent pas par une réussite, exact? Quel est le taux d'échec ou de succès? Est-ce 30 p. 100, 50 p. 100, 75 p. 100? Le savez-vous, approximativement?
M. Douglas Reid: Cela varie d'une industrie à l'autre. Je pense qu'à l'heure actuelle, les taux d'échec à deux chiffres se rapprochant de 50 p. 100 sont monnaie courante. Encore une fois, cela dépend de ce que vous entendez par échec. Voulez-vous dire par là que les deux entreprises qui ont fusionné font faillite ou tout simplement que la compagnie qui est issue de la fusion est incapable de soutenir la concurrence de la même façon qu'auparavant? Non pas que je cherche à me couvrir, mais toutes les recherches qui ont été faites sur les fusions et les acquisitions montrent que la plupart des acquisitions n'ajoutent généralement pas de valeur aux avoirs des actionnaires et que, dans bien des cas, c'est le contraire qui se produit. C'est une manière plutôt tarabiscotée de dire que ces transactions ont probablement un effet neutre, au mieux, en termes de rendement et qu'elles peuvent effectivement être néfastes.
Parmi les universitaires, la controverse reste anodine, c'est le moins qu'on puisse dire, par rapport à ce qui se passe dans le monde du réel, mais cette question, à savoir si les fusions et les acquisitions sont une bonne chose ou non, reste sans réponse dans le milieu universitaire, notamment dans le secteur qui s'intéresse à la gestion stratégique. Toutefois, on a tendance à penser aujourd'hui que les entreprises qui se diversifient trop, les entreprises qui ne se concentrent pas sur ce qu'elles font le mieux, les entreprises qui rachètent à n'en plus finir pour assurer leur croissance au lieu de croître de l'intérieur ne sont probablement pas des entreprises concurrentielles à long terme.
Le président: Monsieur Reid, merci de votre exposé. Notre comité vous remercie.
Mes chers collègues, nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes avant que notre prochain témoin, M. Janda, ne comparaisse devant nous. Merci.
Le président: Chers collègues, nous allons reprendre nos travaux avec le prochain témoin, M. Richard Janda, qui enseigne à la Faculté de droit de l'Université McGill.
Monsieur Janda, je vous souhaite la bienvenue au Comité permanent des transports. Je crois savoir que vos notes se trouvent sur votre ordinateur et que par conséquent, il n'y a pas de traduction pour le comité.
Il va falloir, mes chers collègues, que nous remettions nos écouteurs.
Monsieur Janda, quand vous serez prêt vous aurez une dizaine de minutes pour faire votre exposé; après quoi, nous vous poserons quelques questions. Vous avez la parole.
[Français]
M. Richard Janda (Faculté de droit, Université McGill, témoigne à titre personnel): Merci beaucoup, monsieur le président. J'aimerais signaler aux membres du comité que s'ils désirent poser des questions en français, je me sentirai à l'aise, mais que je vais vous adresser la parole en anglais.
[Traduction]
J'aimerais faire deux remarques devant le comité ce matin. La première est que l'article 47 de la Loi sur les transports au Canada ne confère pas au ministre le pouvoir d'imposer la suspension du processus de révision des fusionnements prévu dans la Loi sur la concurrence. Le comité devrait le signaler au Parlement aux termes du rapport qui sera déposé avant le 26 novembre.
Deuxièmement, le projet du ministre d'introduire une loi rétroactive qui substituerait, à l'examen par le Bureau de la concurrence d'une éventuelle fusion d'Air Canada et de Canadien, un examen par le Cabinet, est peu judicieux. Le procédé s'avérera une solution administrative impraticable. Il ébranlera la crédibilité de la Loi canadienne sur la concurrence et risque de provoquer des frictions commerciales. Le procédé ira à l'encontre de la propre politique des transports du gouvernement. Pire, il exposera ce qui devrait être un processus indépendant à d'éventuelles ingérences politiques.
Le comité devrait recommander que le ministre s'abstienne de proposer une telle loi.
Si nous discutons aujourd'hui la restructuration de l'industrie du transport aérien, c'est parce le 13 août, le ministre des Transports a déposé, par l'intermédiaire du Cabinet, l'ordre permanent 99-344. Cet ordre avait prétendument pour objet d'invoquer l'article 47 de la Loi sur les transports au Canada et de suspendre l'application de la Loi sur la concurrence dans le cas d'une fusion dans l'industrie du transport aérien, notamment de la fusion de Canadien International et d'Air Canada.
J'aimerais rappeler aux membres du comité qu'en vertu de l'article 47, il incombe au ministre de déposer cet ordre permanent devant le Parlement pour qu'il soit ensuite renvoyé pour examen à un comité permanent désigné.
Le pouvoir législatif accordé par l'article 47 est tout à fait extraordinaire. C'est un pouvoir d'exception. Il accorde le droit de sortir du cadre de la loi canadienne en cas de perturbation extraordinaire de l'exploitation effective et régulière du système de transport du Canada.
Il faut que le ministre ait déterminé que l'on fait face effectivement à une telle perturbation extraordinaire. Si c'est le cas, la situation est censée être alors soumise à un examen parlementaire rigoureux, y compris un examen par ce comité.
J'ai quatre remarques à faire à propos de l'usage abusif de l'article 47.
La première est qu'il n'a pas été déterminé que le système de transport du Canada fait face à une perturbation extraordinaire. Si la compagnie Canadien International est menacée de faillite, cette faillite est imminente depuis au moins 1993, puisque le Tribunal de la concurrence s'est alors interrogé sur le risque d'un dépôt de bilan de Canadien International. Vous avez entendu le commissaire à la concurrence dire qu'il surveillait constamment cette compagnie aérienne, craignant un dépôt son bilan. Il n'y a donc rien de nouveau. Il n'a pas non plus été indiqué clairement dans l'ordre permanent quelle était la nature de cette perturbation imminente.
• 1040
Ma deuxième remarque est qu'en vertu de l'article 47, s'il
existe une autre loi qui permet au gouvernement d'agir, on ne
devrait pas recourir à ce pouvoir d'exception. Il existe une autre
loi. Il y a la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, qui autorise
la réorganisation d'un transporteur advenant qu'il devienne
insolvable, et il y a la Loi sur la concurrence elle-même, laquelle
autorise le commissaire à la concurrence à prendre en compte la
possibilité d'un dépôt de bilan par la compagnie en vertu de
l'article 93. Il y a donc un cadre législatif en place.
Enfin, en vertu de l'article 47, le ministre est seulement tenu d'agir de manière à ne prendre que les mesures nécessaires minimales pour régler des problèmes comme les contraintes tarifaires ou la limitation de la capacité. Il n'est pas fait mention d'un examen des fusions à l'article 47. Le comité sait peut-être qu'il y avait en instance devant la cour fédérale une affaire qui a finalement été abandonnée par Air Canada, mais c'était essentiellement ce point de vue qu'Air Canada voulait défendre devant la cour fédérale. Et je pense qu'il incombe toujours au comité de se demander si l'article a été correctement invoqué. C'était le tribunal de dernier recours en ce qui concerne l'article 47.
La preuve incontestable que l'article 47 ne peut pas être utilisé de cette manière est que la procédure concernant les fusions autorise le commissaire à la concurrence à examiner les fusions pendant trois ans après la conclusion d'un tel accord. Or, l'article 47 comporte une clause d'extinction de 90 jours. Cela signifie qu'une fois passés 90 jours, la compétence du commissaire à la concurrence reste entière. Si le ministre propose une nouvelle législation rétroactive pour lui accorder le pouvoir d'examiner la fusion, c'est uniquement parce que l'article 47 ne le lui reconnaît pas. Je pense par conséquent qu'il incombe à ce comité, qui après tout se doit de préserver l'intégrité du processus législatif et des pouvoirs d'exception, d'informer le ministre que de son point de vue, l'article 47 ne peut pas être utilisé de la manière dont il a été.
En conclusion, il ne s'agit pas simplement d'une remarque formaliste formulée par un professeur de droit. Ce qui est en cause, c'est la bonne façon d'appliquer une politique. Permettez-moi de mettre en contraste ce qu'a fait le ministre des Transports et ce qu'a fait le ministre des Finances dans le dossier de la fusion des banques. Dans ce dernier cas, le ministre a mis en place un processus de révision de la politique et le Bureau de la concurrence lui-même a entrepris d'élaborer de nouvelles directives relatives aux fusions pour régler précisément le problème des fusions bancaires. Incidemment, il existe une disposition législative précise dans la Loi sur la concurrence qui autorise l'examen des fusions bancaires par le ministre des Finances, ce qui n'est pas le cas en ce qui concerne les fusions des compagnies aériennes.
Le ministre des Finances a donc mis en oeuvre un processus d'examen de la restructuration de l'industrie bancaire. Et, comme vous le savez, les banques ont agi prématurément. Elles ont annoncé une fusion avant que le processus ne soit terminé et elles en ont subi les conséquences, car le ministre a clairement fait savoir que cela était illégal dans le contexte de l'examen global de la politique qui était en cours.
On se retrouve ici, au contraire, devant un ministre qui encourage une fusion, d'une façon ou d'une autre, et qui prévoit qu'il sera ensuite possible de déterminer la politique sur laquelle elle s'appuie. On inventera la politique une fois que la fusion effectuée. Or, cela n'est pas conforme à l'esprit de l'article 47. Il a été conçu pour être appliqué aux situations d'urgence qui affectent le système: les aéroports ne sont plus opérationnels, un problème lié à l'an 2 000 fait surface ou le contrôle du trafic aérien est complètement détraqué. L'article 47 n'a pas été conçu pour traiter un problème présent dans l'industrie depuis au moins 1993.
Je voudrais en venir brièvement à ma deuxième observation principale, qui est liée à la précédente. Elle concerne les déclarations du ministre devant ce comité, voulant qu'il déposera un projet de loi lui accordant le pouvoir rétroactif d'examiner cette fusion. J'ai mentionné la chose à mes étudiants de première année de droit, et quelqu'un a déclaré avoir appris qu'une loi rétroactive n'est pas une bonne chose, pas plus que les arrêts du Parlement. On ne devrait pas adopter des mesures législatives qui s'appliquent à des individus en particulier ou à des transactions spécifiques, et c'est pourtant le type de législation que le ministre souhaite déposer.
J'ai lu avec beaucoup d'attention les déclarations du ministre devant ce comité, et je crois comprendre qu'il souhaite intégrer le processus d'examen du Bureau de la concurrence à celui du Cabinet.
Je vais faire une recommandation très simple au comité. Si le ministre a simplement l'intention de compléter les conditions imposées par le Bureau de la concurrence, je peux m'accommoder en l'occurrence de ce qui paraît être une loi rétroactive. Mais si, comme je pense que c'est le cas, le ministre envisage passer au crible les conditions du Bureau de la concurrence et choisir celles qu'il juge applicables et celles qui ne le sont pas, on se retrouvera alors, selon moi, dans une situation susceptible de miner le processus compétitif au Canada.
• 1045
Le fait est que le comité a été chargé d'étudier précisément
les conditions que le Bureau de la concurrence pourrait imposer en
cas de fusion. Vous avez été chargés par le ministre, il y a une
semaine, jour pour jour, d'examiner les programmes pour grands
voyageurs, les systèmes informatisés de réservation, les surprimes
des agents de voyage, les avions excédentaires, les transporteurs
nolisés régionaux non affiliés, et ainsi de suite. Il s'agit
précisément des éléments de la politique sur lesquels le Bureau de
la concurrence pourrait se pencher à l'occasion de l'examen d'une
fusion. Il est inutile de se prêter à un exercice d'anticipation en
la matière, et c'est la raison pour laquelle la population craint
que l'on soit en train de s'immiscer dans un processus qui devrait
normalement être mené en toute indépendance.
Je vous incite à recommander au ministre de préserver l'intégrité du processus compétitif et de faire en sorte que les recommandations du Bureau de la concurrence relatives à cette fusion soient celles qui gouvernent la transaction.
Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Janda. Vous savez que le ministre a indiqué qu'il y aura un examen complet par le Bureau de la concurrence, quoi qu'il advienne en fin de compte.
M. Richard Janda: Tout à fait, mais vous noterez également, monsieur le président, ce qu'a indiqué le ministre dans l'annexe à sa politique, l'annexe A. Je pense que je peux vous citer ce qu'on y trouve... Le ministre se réserve le droit de prendre en compte les recommandations énoncés par le commissaire à la concurrence et d'imposer d'autres conditions qui seraient conformes à la politique des transports du Canada quelle qu'elle puisse être en l'occurrence.
Donc, si cela signifie que les conditions imposées par le commissaire à la concurrence auront préséance, et que le ministre peut en ajouter d'autres, par exemple, en ce qui concerne les pertes d'emploi, ce qui n'est pas couvert par la Loi sur la concurrence, c'est une chose.
Mais si cela signifie que les recommandations du commissaire à la concurrence—par exemple en ce qui a trait aux points de grands voyageurs, aux systèmes informatisés de réservation, aux clauses relatives aux intérêts majoritaires dans les aéroports—sont sujettes à un réexamen par le ministre, j'affirme que c'est illégitime. Cette crainte n'est pas totalement hypothétique, vu que le ministre s'est présenté devant le comité et a dit d'étudier précisément les domaines sur lesquels le commissaire à la concurrence a compétence.
Le président: Avant d'aller plus loin, vous donnez l'impression cependant que le dossier sera fermé une fois que le ministre ou le Cabinet aura pris une décision et présenté une loi, qu'elle soit rétroactive ou autre. Mais en vérité, quand tout est dit, si une mesure législative finit par être présentée, quel qu'en soit le contenu ou quelle qu'en soit la forme, elle devra quand même être renvoyée au comité une fois passé le stade de la première lecture à la Chambre des communes.
M. Richard Janda: C'est juste, et je compte sur le comité pour faire le nécessaire. Ce que je voulais dire, c'est que...
Le président: Ce que je voulais dire c'est que le dossier n'est pas clos au moment où le ministre prend une décision relative à la politique et qu'une mesure législative est présentée. Cette dernière a encore du chemin à faire avant d'être adoptée par le gouvernement.
M. Richard Janda: Très juste, mais on nous a donné un signal très clair concernant ce que le ministre a l'intention de faire à propos du processus d'examen de la fusion en cause.
J'aimerais rappeler au comité que la Loi sur les transports au Canada a été mise en place pour donner au Bureau de la concurrence la compétence nécessaire relativement au processus d'examen des fusions au Canada. Telle était l'une des principales orientations de la loi de 1996. Auparavant, l'Office des transports du Canada possédait également des pouvoirs d'examen. Alors même que la nouvelle loi est mise à l'épreuve pour la première fois, que se passe-t-il, sinon que le ministre déclare ne pas être sûr que le processus d'examen devrait continuer à faire partie des prérogatives du Bureau de la concurrence.
Je ne vois pas comment le ministre et le Cabinet pourraient imposer des conditions du même type que celles dont le respect serait exigé, en cas de fusion, par le commissaire à la concurrence par le biais du Tribunal de la concurrence. Il est possible de faire appliquer des conditions par ce Tribunal.
Je vous le demande, monsieur le président: qu'arrivera-t-il si, par exemple, le commissaire à la concurrence déclare qu'à son avis, les articles relatifs aux participations majoritaires dans les aéroports devraient être annulés, que ces dispositions devraient être éliminées pour permettre l'entrée de nouveaux participants? Or, le ministre a déclaré qu'il pourrait ou non accepter cette condition, que je considère problématique. Mais même si le ministre l'accepte, en fin de compte, comment la fera-t-on appliquer? Les parties se tourneront-elles vers le Cabinet pour faire exécuter ces conditions?
Il me semble que l'on embrouille inutilement une procédure qui est à la fois claire, indépendante et établie. C'est une procédure qui est menée par le commissaire à la concurrence et qui aboutit devant le Tribunal de la concurrence.
• 1050
Pour situer la chose dans une contexte commercial, vous savez
certainement que la Commission européenne s'intéresse aux
conséquences de cette transaction au niveau de la concurrence. Nos
voisins du Sud pourraient être, eux aussi, intéressés par les
conséquences de cette transaction au niveau de la concurrence. Ils
possèdent des processus indépendants d'examen des fusions.
Je pense que le Canada pourrait se trouver dans une situation difficile s'il donnait l'impression que le processus concurrentiel ordinaire, autonome, était menacé ou pouvait être court-circuité. Je ne veux pas dire que c'est ce que le ministre souhaite faire, mais je pense que rien ne justifie que l'on donne cette impression.
Le président: Monsieur Bailey, s'il vous plaît.
M. Roy Bailey: Merci.
Monsieur Janda, depuis que le comité a commencé son étude, cette question me préoccupe... et vous avez encore noirci la situation, et de belle manière. Les responsabilités du comité, quand on travaille dans l'incertitude, me laissent perplexe. Et la lumière ne s'est pas encore faite, pour moi, en tout cas. Et puis, vous arrivez et avec beaucoup d'éloquence, vous rendez mon incertitude encore plus grande, vous jetez plus d'ombre encore dans mon esprit, et je ne pense pas que je finirai par y voir clair.
Il y a eu le projet d'abroger l'article 47, celui d'introduire une loi rétroactive, et tout le reste, pendant un court laps de temps, pendant que le Parlement ne siégeait pas, le comité non plus, et alors que nous n'avions pas été convoqués. La guerre faisait rage dans la presse et la population canadienne était sidérée pratiquement tous les matins par ce qu'elle lisait dans les journaux.
Pourtant le comité est chargé de ce dossier—il s'agit d'un bon comité je puis vous l'assurer—et nous n'avons pas beaucoup de temps pour nous retourner et faire rapport au ministre. De quoi va-t-on pouvoir faire rapport? On pourra dire, comme vous le suggérez, que l'on devrait faire ceci, cela ou encore ceci, mais nous n'allons pas dire au ministre quoi que ce soit qu'il ne sait pas encore, car c'est lui qui est à l'origine de toute l'affaire. Je vous pose donc la question suivante: que nous est-il possible de faire en ce court laps de temps?
M. Richard Janda: Je suis d'accord quant à l'état lamentable de la situation.
Premièrement, je pense que le comité aurait avantage à se prévaloir de son autorité pour examiner l'application de l'article 47 et dire, en pensant à l'avenir, qu'il ne pense pas qu'il s'agisse d'une utilisation appropriée de l'article 47. Même si cela est fait en douceur, je pense qu'il serait utile de le dire.
Les dégâts peuvent être réparés, en partie, si ce que je considère comme une affirmation quelque peu ambiguë, dans l'annexe A de la nouvelle politique du ministre, est clarifié de manière à ce qu'il soit clair comme le jour pour tout le monde que l'évaluation indépendante de cette fusion menée par le commissaire à la concurrence, y compris les conditions qu'il imposera, prévaudront, et que la seule initiative du ministre sera d'ajouter de nouvelles conditions—et non d'en remplacer certaines, étant entendu qu'il s'agit des conditions formulées par le commissaire.
Je peux facilement comprendre que le ministre des transports soit préoccupé par la perspective des pertes d'emplois par exemple et qu'il appréhende de donner des garantis à cet égard. Cela n'est pas du ressort du commissaire à la concurrence. Je peux comprendre que le ministre veuille formuler un ensemble de conditions qui s'ajoutent aux conditions recommandés par le commissaire à la concurrence.
J'aimerais encourager fortement le comité à faire sa part, comme il a était invité à le faire par le ministre la semaine dernière, en formulant une appréciation du réalisme et de l'efficacité des mesures recommandées par le commissaire. J'aimerais encouragé fortement le comité à dire non, qu'il pense que le commissaire s'est prononcé, qu'il a l'expertise voulue, qu'il s'agit de conditions qui relèvent de sa compétence, et qu'elle devrait tout simplement prévaloir. Ce serait un signal très utile que pourrait envoyer le comité.
M. Roy Bailey: Je vous remercie monsieur.
Le président: Merci monsieur Bailey.
La parole est à M. Sekora.
M. Lou Sekora (Port Moody—Coquitlam—Port Coquitlam, Lib.): Merci.
J'ai écouté avec intérêt ce que vous dites. Que l'article 47 est certainement inapproprié, et qu'il y a plusieurs autres choses que fait le ministre qui sont inappropriées. Mais cela ne reflète uniquement votre opinion?
Ce que je veux dire en fait est qu'en ce qui me concerne—je suis issue du milieu de la politique municipale—que dans tous les cas si l'on fait venir un avocat on entend un opinion, si l'on en fait venir un autre, on entend une deuxième opinion, et si l'on en invite encore un autre on se retrouve avec trois opinions.
• 1055
La réalité est qu'il y a un grand nombre d'opinions
différentes et qu'il s'agit uniquement de votre opinion. La chose
n'a pas encore été testée devant les tribunaux. Il ne s'agit que de
votre opinion. Par conséquent pourquoi devrai-je me contenter
d'entendre uniquement votre opinion?
M. Richard Janda: Bien sûre, je vous invite naturellement monsieur à entendre d'autres opinions. Je ne prétends par être la perfection faite avocat mais je suggère que s'il y avait un contentieux devant la cour fédéral qui a été abandonné, c'est parce que l'on considéré au sein de la communauté des hommes de loi qu'il y avait un problème. Je dirais simplement qu'il incombe à ce comité de se pencher sur l'application de l'article 47. Cela est précisé au paragraphe 47(5).
Vous en arriverez peut-être à une conclusion opposée à la mienne et c'est parfait; mais je vous incite à en arriver à une conclusion. Je pense que c'est important pour l'exercice de tout pouvoir d'exception que le comité exerce ses compétences et s'interroge pour savoir si l'autorité est exercée correctement. Si vous en arrivez à conclusion qu'elle est exercée correctement, ce sera parfait; mais je vous encourage à en faire part dans votre rapport le 26 novembre.
Je vous dis simplement que je considère qu'elle n'a pas été exercé correctement, pour les raisons que j'ai donné, et je vous laisse juge de déterminer si j'ai raison ou non.
M. Lou Sekora: Vous voyez en ce qui me concerne les dossiers se retrouvent devant les tribunaux et les décisions sont infirmées, puis elles montent devant une juridiction hiérarchiquement supérieure où elles sont ou non infirmées. Le fait est que c'est là où les hommes de loi entrent en jeu. Les avocats interviennent et se battent, car ils ont étudié le droit et l'interprète d'une façon, alors qu'un autre avocat l'interprète d'une autre façon. Il diffère et c'est très bien. Vous avez votre opinion mais il pourrait y avoir un autre avocat qui a une opinion tout à fait différente.
J'ai le sentiment d'être ici pour, un, décider ce qui est le mieux pour le Canada et, deux, ce qui est le mieux pour les employées. Ce sont les deux choses qui m'intéressent véritablement. Qui s'agisse d'Air Canada, ou qu'il s'agit d'Onex ou de qui que ce soit, c'est ce qui vaut le mieux pour le Canada d'un océan à l'autre, plutôt que pour une région du Canada alors que pour une autre région ce n'est pas aussi bien, et ce qui est le mieux pour les employés.
M. Milton, qui était ici l'autre jour, a déclaré qu'il y aurait 2 500 suppressions d'emplois, et qu'il y en aurait 5 000 chez Canadien International. Mais si l'on regarde bien les choses, ils ont tous les deux tort. Les deux chiffres sont faux. Le fait est que Air Canada a 24 000 employés. J'ai demandé à M. Milton combien il y avait de retraités tous les ans, il ne m'a pas donné de chiffres, et je lui ai demandé de me fournir un pourcentage. Il a parlé de 3 p. 100.
Hors, 3 p. 100 de 24 000 c'est 720. Si Canadien International a 16 000 et qu'il y en a aussi 3 p. 100 qui se retire tous les ans, on parle de 1 200 personnes par an. En cinq ans, on en est à 6 000; c'est plus que 5 000. Il s'agit des départs en retraite normaux.
C'est pourquoi je pense que les chiffres fournis par les deux parties sont tous à fait fictifs. Ce ne sont pas des chiffres qui fournissent une image fidèle. En ce qui me concerne, ils ne veulent tout simplement rien dire. Il ne font pas le compte.
En ce qui me concerne, le plus important est le service fourni aux petites localités, le service d'un bout à l'autre du Canada, et les employés. Telles sont les choses dont je dois tenir compte prioritairement. En fait vous savez je me fiche si la loi est juste, ou si elle est injuste ou ce qu'elle est, bonne ou mauvaise. La seule chose est que les tribunaux peuvent en décider. En tout cas les avocats ne le feront pas.
En ce qui me concerne par conséquent c'est la chose la plus importante.
M. Richard Janda: Si vous me permettez monsieur Sekora je voudrais vous dire que je comprends bien vos préoccupations relative aux pertes d'emplois. C'est bien sûre le principal problème auquel devra faire face le comité et le ministre. Mon argument toutefois n'est pas seulement d'ordre technique. Il porte sur l'intégrité du processus d'application de la loi sur la concurrence.
Pourquoi nous en préoccupons-nous? Parce que les consommateurs le font. Le commissaire à la concurrence a dit très clairement qu'un monopole s'avérera négatif pour les consommateurs et que la seule manière que l'on puisse envisagée un monopole dans le secteur aéronautique est si l'on n'y attache des conditions assez rigoureuses. Je pense que le commissaire a monté un dossier solide, convainquant, sur la façon de protéger les consommateurs dans le contexte d'une malheureuse tournure des événements pour l'industrie aéronautique canadienne.
Ne perdons pas de vue les employés, non bien sûre, mais pensons aussi aux consommateurs. Ma crainte est que si le ministre est confronté à la tentation—pour dire les chose carrément—de supprimer des conditions qui seraient imposées dans le cadre d'un examen de la fusion de manière à favoriser les entreprises qui fusionnent... Autrement dit, il vous sera plus facile de survivre si vous n'avez pas à faire face à la concurrence, et par ailleurs, si vous augmentez la mise quelque peu en ce qui concerne le nombre d'emplois que vous protégerez, alors supprimons ces conditions inutiles que le commissaire à la concurrence veut imposer.
• 1100
Là, c'est où le consommateur va se perdre. Il ne s'agit pas
simplement d'une question de procédure. L'enjeu est de s'assurer
que les intérêts des consommateurs sont correctement protégés dans
le cadre de cet exercice.
Le président: Merci, monsieur Sekora.
La parole est à M. Asselin.
[Français]
M. Gérard Asselin (Charlevoix, BQ): Monsieur Janda, depuis le début, depuis le mois de janvier, il y a des discussions entre Onex et le ministre des Transports. En juin, à la suite de conversations, d'écrits et de pourparlers entre M. Schwartz de la compagnie Onex et lui-même, le ministre des Transports a décidé d'invoquer l'article 47 sur la concurrence. Il me semble y avoir dans ce dossier un manque de transparence. Il me semble y avoir connivence entre le ministre des Transports et Onex.
Bien sûr, Onex et le ministre des Transports, constatant les problèmes financiers de Canadien, ont vu là une excellente occasion d'entreprendre un tel échange. Vous voyez l'ingérence du ministre dans ce dossier. Afin de répondre au désir d'Onex d'acquérir l'une des deux ou les deux compagnies aériennes, soit Air Canada et Canadien, le ministre a invoqué l'article 47 sur la concurrence, ce qui permettait à Onex de faire une offre. Il a osé annoncer qu'il y aurait possibilité d'augmenter la limite de 10 p. 100. C'est une chose qui a toujours été interdite aux banques, à Petro-Canada et à la Caisse de dépôt et placement du Québec, lorsqu'elle s'est embarquée dans le dossier de CP Rail et du CN.
La décision d'accepter une offre au détriment de l'autre appartient, bien sûr, aux actionnaires. Advenant que cette offre soit acceptée par les actionnaires, est-ce que le gouvernement canadien, par son ingérence au moyen de l'article 47 ou une modification apportée à la loi pour augmenter la fameuse limite de 10 p. 100, pourrait être mis en cause dans une guerre juridique voulant démontrer que le ministre fédéral des Transports a favorisé Onex au détriment de l'autre société? Est-ce qu'on ne risque pas de se mettre le bras dans le tordeur, de s'embarquer sur une galère et que tout cela n'arrive à rien, parce que ce serait contesté en cour ou que des injonctions seraient émises sur différents aspects, et de se retrouver avec un problème sur les bras pendant un an et demi ou deux ans? Est-ce une chose possible?
M. Richard Janda: Monsieur Asselin, je partage vos préoccupations, parmi lesquelles, me semble-t-il, l'élément le plus concret est la possibilité de procédures assez complexes qui seraient engagées ailleurs, aux États-Unis ou peut-être devant la Commission européenne. Ce ne sont pas tellement les litiges devant les tribunaux du Canada qui m'inquiètent.
Je vais vous donner un exemple très spécifique de ce qui pourrait arriver. Pour avoir une alliance reconnue aux États-Unis, en concordance avec le Federal Aviation Act des États-Unis, il faut recevoir ce qu'on appelle l'antitrust immunity de la part du ministère des Transports américain.
Le ministère des Transports a toujours tenu compte de la façon dont le transport aérien est réglementé dans l'autre pays. Par exemple, quand British Airways et US Air avaient fait une alliance à l'époque, elles avaient eu beaucoup de difficulté auprès du ministère des Transports parce que d'autres transporteurs comme Delta, United, etc. s'étaient opposés en disant que le processus, en Angleterre, n'était pas transparent, ne permettait pas la concurrence, etc.
Vous pouvez donc imaginer que, dans le cas où Onex réussirait le 8 novembre, United Airlines ne serait pas très contente et s'opposerait en entamant des démarches auprès du ministère des Transports pour qu'on n'accorde pas l'antitrust immunity à cette alliance aux États-Unis. Cela signifierait énormément de litiges et de difficultés aux États-Unis.
• 1105
Je ne veux pas m'aventurer sur les recours qui
seraient à la disposition de United ou d'autres
s'ils ne réussissaient pas, mais on sait bien
qu'il y a déjà beaucoup de litiges, même avant la
conclusion de l'entente. Je pense qu'il ne faut pas
beaucoup d'imagination pour prédire que les avocats
vont continuer à travailler fort sur ce dossier.
[Traduction]
Le président: Merci monsieur Asselin.
La parole est à M. Comuzzi.
M. Joe Comuzzi: Merci monsieur le président et bienvenue au professeur Janda.
Quelques-unes de mes questions reflètent l'intérêt que je porte au droit administratif, qui m'a été enseigné par votre collègue, le professeur Rod Macdonald. Souhaitez-lui le bonjour de ma part. Il siège à la Commission de réforme du droit du Canada.
Je suis très intéressé par ce que vous avez déclaré au début de votre exposé de cet après-midi concernant l'application de l'article 47. J'ignore si vous êtes au courant mais nous avons demandé au ministre et à Canadien International le document officiel, qui devait être soumis au gouvernement ou au ministre des Transports, portant sur la demande de suspension de l'article 47 formulée par la compagnie Canadien International. Dans ce document, si je ne fais pas erreur, ils ne peuvent pas se contenter de dire qu'ils veulent une suspension de l'article 47; ils doivent démontrer les perturbations extraordinaires qui seraient causées. Ils doivent motiver leur demande.
Voici comment fonctionne le comité: nous fonctionnons sans point de repère. Monsieur le président, nous n'avons toujours pas reçu ce document. Nous l'avons pourtant demandé. Ne soustrayez pas mon temps de parole de celui de M. Janda, mais quelles sont les dispositions prises par ce comité à l'égard de ce document?
Le président: On pourrait peut-être demander à la greffière de vous répondre tout de suite. Le chronométrage de votre temps de parole est interrompu; celui de la greffière commence.
La greffière du comité: Le ministère n'a fait aucune difficulté. Il a simplement souhaité consulter les dirigeants de Canadien International, et n'attend plus maintenant que leur feu vert.
Le président: Pour quel motif...?
La greffière: Une question de confidentialité.
M. Joe Comuzzi: Je me demande si c'est confidentiel. Il s'agit d'un document qui est envoyé...
Le président: C'est ce qui nous a été dit par le ministère des Transports.
M. Joe Comuzzi: C'est la raison qu'ils vous ont donnée. Autrement dit, ils préféreraient ne pas lâcher le document, ne pas nous le transmettre.
Le président: Non, ils veulent simplement vérifier que ça ne pose pas de problème. Il s'agit d'un document qui passe d'une unité à une autre, et ils veulent les tenir au courant par simple courtoisie.
M. Joe Comuzzi: Quand pensez-vous qu'on aura une réponse?
La greffière: Aujourd'hui.
M. Joe Comuzzi: Je devrais peut-être poser ma question autrement. Quand obtiendra-t-on le document, selon vous?
Le président: Vous commencez à mordre sur votre temps de parole, Joe. Il vaudrait mieux que vous vous occupiez à nouveau de notre témoin. Nous faisons le nécessaire; nous allons l'avoir le plus rapidement possible.
M. Joe Comuzzi: Je pense qu'il est extrêmement important que nous l'ayons. Êtes-vous d'accord avec moi?
M. Richard Janda: Je suis tout à fait d'accord. L'ordre permanent lui-même comme vous le savez, j'en suis sûr, n'explique pas ce qu'il faut entendre par perturbations extraordinaire.
M. Joe Comuzzi: C'est juste.
M. Richard Janda: On peut seulement en déduire, en se référent aux circonstances que cela a trait à la situation financière de la compagnie Canadien International.
Air Canada a tenté, comme vous le savez, de clarifier, à l'époque, la portée de l'article 47 et de faire ajouter une disposition qui énoncerait clairement qu'une faillite ne constitue pas une condition extraordinaire; tout comme un conflit de travail ne constitue pas une condition extraordinaire, une faillite n'en est pas une. Cela ne fut pas inscrit dans la loi à l'époque.
Je pense donc que le plus raisonnable serait de reconnaître—dans le prolongement des propos tenus par M. Sekora—qu'il est difficile de savoir exactement si une faillite peut être assimilée à une condition extraordinaire. Le fait reste que nous n'en avons pas été informés. Reste que le comité est chargé d'examiner les raisons qui sont avancées. Pour procéder à cet examen vous avez vraisemblablement besoin du document.
M. Joe Comuzzi: Poussons les chose encore un peu plus loin parce que votre analyse me plaît. Ce que je remets essentiellement en cause depuis que le comité a commencé à étudier la question, c'est ceci: l'article 47 a-t-il été imposé à juste titre? On ne peut encore rien dire là-dessus. Je suis entièrement d'accord avec vous que les motifs revêtent une importance primordiale. Mais en dehors de cela, il y a des questions de procédure qui découlent de la loi dont vous avez parlé.
• 1110
À propos de cet ordre, poussons les choses un peu plus loin.
Tout ordre présenté au parlement en vertu de l'article 4 doit être
renvoyé au comité permanent. Hors, le cadre de référence de notre
étude ne couvre pas cela. Cet ordre n'a toujours pas été présenté
au comité parlementaire approprié, c'est-à-dire le Comité des
transports, pour qu'il puisse examiner exclusivement ce document
particulier. Vous êtes d'accord avec cela?
M. Richard Janda: Je suis d'accord et je trouve cela troublant. Ce n'est pas juste...
Le président: Monsieur Janda, pardonnez-moi de vous interrompre.
Joe, pour information, le comité a reçu l'ordre de la Chambre des communes à propos de l'article 47.
M. Joe Comuzzi: Je ne l'ai pas vu.
Le président: La greffière l'a entre les mains.
M. Joe Comuzzi: Je reconnais mon erreur mais je ne l'ai pas vu; ainsi donc, le document dont je parle et la demande concernant la mise en application qui doit nous être transmise comme pièce jointe. Pourquoi sommes-nous ici?
Le président: Nous pouvons en discuter plus tard mais nous avons reçu du parlement...
M. Richard Janda: Permettez, monsieur le président. J'ai posé précisément cette question à la greffière juste avant le début de cette audience pour avoir moi-même une idée claire de la situation. D'après ce que je comprends, cet examen n'a pas fait l'objet d'une demande précise et n'est pas inclus dans le cadre de référence de vos travaux. Je recommanderais tout simplement au comité d'inclure cet examen dans la documentation à l'appui du rapport que vous allez préparer en vue de la transmettre au ministre le 26 novembre.
Le président: Votre avis est noté.
M. Joe Comuzzi: Je ne peux partager votre avis si je n'est pas en main le document en question. Il y a un document...
Le président: Une minute, Joe.
M. Joe Comuzzi: Permettez-moi d'enlever ma cravate, monsieur le président. C'est une question de procédure.
Le président: Vous avez une minute, Joe.
M. Joe Comuzzi: Ce document là ne parle pas des motifs pour lesquels on a imposé l'article 47.
Le président: Vous avez dit que l'ordre n'avait été transmis au comité. Tout ce que j'ai fait, c'est vous faire remarquer que si, il avait bel et bien était transmis.
M. Joe Comuzzi: Il a été transmis au comité, mais les motifs de...
Le président: Je n'ai rien vu là-dessus.
M. Joe Comuzzi: Vous n'avez rien vu qui traite des motifs, et c'est de cela que nous devons nous occuper, monsieur le président, des motifs.
Monsieur Janda, on va bientôt me couper la parole, alors j'apprécierais beaucoup votre avis, je n'hésite absolument pas à dire que votre analyse de l'article 47 est juste et mérite considération. C'est le point de départ de nos discussions à propos de toutes les autres questions qui se posent. Êtes-vous d'accord?
M. Richard Janda: Je suis d'accord avec vous.
M. Joe Comuzzi: Merci.
Le président: Merci, monsieur Comuzzi.
Madame Desjarlais, s'il vous plaît.
Mme Bev Desjarlais: Je voudrais faire une observation et vous assurez également que, moi aussi, je juge essentiel qu'un avis soit donné sur l'évocation de l'article 47.
Je ne crois pas que l'on puisse douter, d'après ce que j'ai vu ou entendu, que cela n'était pas nécessaire. Par ailleurs, d'autres informations, notamment des notes de service que j'ai ici devant moi, impliquent que cette décision n'aurait pas dû être prise et que l'on a procédé de façon très sournoise. Donc, je suis d'accord avec vous, la question ne se pose pas, et je suis également d'accord de tout coeur avec monsieur.
Le président: C'est tout?
On se calme, maintenant. Monsieur Dromisky, s'il vous plaît.
M. Stan Dromisky: Oui, merci.
Monsieur Janda, Au début de votre exposé, vous avez prétendu qu'aucune perturbation extraordinaire ne justifiait véritablement les actions du ministre des Transports et du ministre de l'Industrie en août.
Je peux vois qu'à tire d'avocats, vous adoptez une position très tranchée, vous avez déclaré qu'il ne semble pas exister de définition de ce qui pourrait être une perturbation extraordinaire. Ainsi, vous êtes en mesure de faire un jugement de valeur et de déclarer que les mesures qui ont été prises n'étaient pas justifiées.
Toutefois, je pense que nous devrions aller au-delà des considérations économiques que vous avez évoqué. Vous dites qu'une faillite, une déclaration de faillite ou un risque de faillite ne justifie pas vraiment que l'on donne à cet article l'importance qu'on lui accorde aujourd'hui. Toutefois, à mon avis, il y a autre chose à considérer que la faillite pure et simple. Je pense que nous devons aller un peu plus loin, nous qui sommes des politiciens, des gens qui sont concernés par ce qui se passent dans notre pays. Nous devons prendre en compte les conséquences d'une faillite—les conséquences sociales, les conséquences économiques, etc. Je peux en énumérer bien d'autre.
• 1115
Si j'additionne tous ces facteurs et si je dis que cela va
avoir un impact négatif énorme sur une multitude de gens qui vivent
dans notre pays—pas seulement les 16 000 personnes qui sont
impliquées directement, mais des milliers d'autres qui seront
touchés indirectement—les retombées seront horribles, très
perturbatrices et très néfastes.
À titre d'homme politique concerné par le sort des canadiens, puisqu'il n'existe pas de définition claire de ce qui peux constituer une perturbation extraordinaire, je peux additionner tous ces facteurs et dire qu'à mon avis, on fait face à une situation qui est des plus extraordinaire. Il s'agit d'une perturbation de première envergure et nous devons agir avant que notre pays est à faire face à un désastre.
M. Richard Janda: Je comprends certainement votre point de vue, monsieur, et je pense qu'il vous incombe, à vous et aux ministres, de vous préoccuper des pertes d'emplois et des conséquences d'une faillite. Tout comme ce qui se passe à l'usine de Boisbriand, au Québec ainsi que les conséquences de cette situation nous préoccupe, par exemple, nous nous inquiétons également des licenciements massifs qui pourraient résulter de l'insolvabilité de Canadien International. Cependant, avec tout le respect que je vous dois, cela n'entre pas vraiment en considération.
Ce dont nous parlons, c'est d'une perturbation extraordinaire qui a justifié que l'on suspende l'application de la loi sur la concurrence. Rien n'interdit au ministre, au comité ou au cabinet de prendre des mesures—comme on essaye justement de le faire en ce qui concerne Boisbriand—pour aider les employés ou pour faciliter les choses lorsque des licenciements massifs peuvent résulter d'une transaction. Mais je me permets de poser la question: Pourquoi ces événements devraient-ils exiger que l'on suspende l'application de la loi sur la concurrence, alors que dans cette loi elle-même, on trouve des dispositions conçues pour prendre en compte la situation d'une entreprise qui bat de l'ail?
Le commissaire à la concurrence n'a pas comparu devant vous pour vous dire qu'il allait s'opposer à cette fusion parce que c'est une mauvaise chose. Le commissaire à la concurrence a dû prendre en compte le fait qu'il existait une entreprise en difficulté et il vous a dit que certaines conditions importantes devraient être imposées en cas de fusion, quelle qu'elle soit. Je ne comprends donc pas pourquoi, même s'il s'agit de protéger des emplois ou de prendre en compte des considérations très valables ayant trait à la politique gouvernementale, les autorités ont besoin de suspendre l'application de la loi sur la concurrence. C'est cet élément là qui ne s'emboîte pas logiquement.
M. Stan Dromisky: Très bien, je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Dromisky.
Monsieur Casey, s'il vous plaît.
M. Bill Casey: Merci.
J'ai une question technique à vous poser dans les notes d'Onex qui ont été déposé en cours, dans le cadre de l'affaire en instance au Québec, il y a une liste des réunions importantes organisées par les responsables de cette compagnie, notamment une rencontre avec John Manley, le ministre de l'Industrie, à propos de laquelle on dit:
-
[...] important qu'il soit informé s'il continue d'occuper le même
poste, étant donné que le ministre des Transports et lui, s'il
agisse de concert peuvent apporter des modifications sans avoir à
s'adresser au bureau de la concurrence.
Est-ce exact? Est-ce que les deux ministres pourraient circonvenir le bureau de la concurrence sans invoquer l'article 47 ou, à votre avis, est-ce de l'article 47 dont on parle ici?
M. Richard Janda: Malheureusement, je n'ai pas le document sous les yeux, mais je sais que le conseil d'administration d'Onex s'est réuni avant le 13 août. D'après ce qu'on a pu lire dans les journaux, le conseil cherchait à s'assurer précisément que l'article 47 serait invoqué. Nous savons donc que, si Onex était prêt à effectuer cette transaction, cela était dû, au moins en partie, au fait qu'il y aurait un certain allégement de la procédure d'examen concernant la concurrence. C'est cela qui est très troublant, c'est cela qui sent l'ingérence et c'est cela que je juge superflu.
Il me semble que cela vaut la peine de mettre la chose dans une contexte un peu plus large. La raison pour laquelle les fusions ne font pas l'objet d'un examen de la part du cabinet n'a rien à voir avec ce qui motive, par exemple, un appel au cabinet à propos d'une décision rendue par le CRTC ou par tout autre organe de réglementation. Il s'agit de préserver l'indépendance d'un organe qui va devoir trancher dans une situation où des intérêts financiers importants sont en jeu. La seule exception à cette règle prévue dans la loi sur la concurrence concerne la fusion de banque, et la raison de cette exception est que, si une fusion n'est pas autorisée dans certains cas, cela peut entraîner une réaction en chaîne dans tout le système financier.
• 1120
Ainsi, le ministre des Finances peut parfois préférer
autoriser une fusion, même si cela semble anticoncurrentiel pour
rehausser la qualité du secteur bancaire plutôt que de voir d'autre
banques affectées par effet de contagion. Mais un tel argument ne
peut être invoqué en ce qui concerne l'industrie aéronautique. Chez
nos voisins du sud, il n'y a pas d'examen des fusions par le
cabinet. Il n'y a pas d'examen par le cabinet ni l'équivalent en
Europe. À ce que je sache, aucun pays n'a essayé d'instaurer un
pouvoir parallèle, et s'il en est ainsi, c'est qu'il n'y a aucune
raison logique à cela.
M. Bill Casey: Si ce genre de chose vous met mal à l'aise, je me demande ce que vous pensez du fait que, sur cette liste de réunion qu'Onex propose d'organiser—il y en a plusieurs—il y en a une avec Kevin Lynch, le sous ministre de l'Industrie. Il est important à cause de l'influence qu'il exerce au bureau de la concurrence. Avant cela, on dit:
-
Un autre acteur clé est le greffier du conseil privé, Mel Cappe
[...] Mel Cappe apportera les modifications finales quand la
proposition sera examinée au niveau des sous ministres, et s'il
connaît nos plans, cela peut avoir une influence sur ses choix.
Quelle impression cela vous donne-t-il?
M. Richard Janda: Pas bonne du tout, pour parler franchement.
Le président: Que lit-il?
M. Bill Casey: Ce sont des documents présentés dans le cadre de l'affaire en instance au Québec. Il s'agit de notes internes portant sur la stratégies et les plans d'Onex.
M. Richard Janda: Si vous le permettez, monsieur Casey, je crois savoir qu'il s'agissait d'une stratégie à deux volets: Soit éviter le bureau de la concurrence en invoquant l'article 47, soit gagner le bureau de la concurrence à leur cause. En ce qui me concerne je suis soulager et heureux de constater que le commissaire à la concurrence n'a pas hésité à formuler des recommandations énergiques, aider en cela, je crois, par le fait qu'il n'était pas vraiment sur la sellette. Si le comité déclare que l'on devrait respecter ces recommandations, je pense que nous aboutirons à une solution raisonnable. À mon avis, il y avait certainement un risque d'ingérence dans le processus concurrentiel lui-même, mais c'est une autre histoire dont nous pourrons parler si vous le souhaitez.
M. Bill Casey: Voici une autre note qui risque de vous intéresser, vous qui êtes professeur de droit:
-
Il va falloir modifier la loi sur la participation publique au
capital d'Air Canada pour éliminer la limite de 10 p. 100 des
actions avec droit de vote qui frappent les actions d'Eastco. Cela
risque d'entraîner un vif débat à la Chambre des communes. Chercher
à obtenir cette approbation pendant le congé d'été nous donne
l'occasion de limiter ce débat.
M. Richard Janda: Je me contenterais de dire que l'article 47 oblige le ministre ou le cabinet à déposer au parlement, dans un délai de sept jours de séance, l'ordre concernant le recours à ce pouvoir extraordinaire et ensuite, à le renvoyer au comité, l'idée étant qu'il s'agit d'un pouvoir d'urgence et qu'il existe un créneau de 90 jours pour en examiner minutieusement et strictement les raisons. Cet examen minutieux doit également être mené rapidement. Je trouve très problématique le fait que cet examen est été mené pendant l'été pour rendre plus difficile une enquête approfondie.
M. Bill Casey: L'expression «limiter ce débat» est celle qu'ils ont utilisé.
Le président: Merci, monsieur Casey.
M. Joe Comuzzi: J'invoque le Règlement.
Le président: Oui, monsieur Comuzzi.
M. Joe Comuzzi: On nous renvoie à des documents dont nous n'avons pas copie, à un document qui est censé avoir été déposé dans le cadre d'une affaire en instance devant la cour supérieure du Québec. Peut-être devrions-nous être un peu plus précis. S'agit-il des conclusions présentées à la barre? Reprend-on textuellement ces conclusions? Je pense qu'il est très important que...
M. Bill Casey: Je peux préciser.
M. Joe Comuzzi: ... Si l'on cite ces documents au comité, monsieur le président, avant d'aller plus loin...
Le président: Demandons à M. Casey de nous dire ce dont il s'agit.
M. Bill Casey: Ce sont des documents présentés dans le cadre de l'affaire Airline Industry Revitalization Co. c. Air Canada. Il y a toute une liste de documents confidentiels fournis à la cour, et on peut se les procurer.
Le président: Ils ont été rendus publics?
M. Bill Casey: Oui.
M. Joe Comuzzi: Devant quel tribunal ont-ils été déposés?
M. Bill Casey: La cour supérieure du Québec.
M. Joe Comuzzi: La cour supérieure du Québec. Et cette affaire est-elle encore en instance?
M. Bill Casey: Oui. De fait, cette cause est entendue aujourd'hui en ce moment. Il s'agit des poursuites intentées par Air Canada au motif que la proposition d'Onex n'est pas conforme à la loi, plus précisément, à la disposition de la loi portant sur la limite de 10 p. 100 à la participation au capital.
Le président: Mes chères collègues, pour que nous puissions faire distribuer ces documents, il faut qu'ils soient traduits. Sinon, nous devons adopter à l'unanimité une motion nous dispensant de les faire traduire.
M. Joe Comuzzi: Je pense que nous en avons besoin.
Le président: Quelqu'un s'oppose-t-il à ce que nous nous dispensions de la traduction?
Mme Bev Desjarlais: En fait, je pensais que nous étions tombé d'accord pour ne pas faire précisément ce que vous faites maintenant, ce que vous demandez.
Le président: Non, la règle adoptée par le comité est que, avant de faire distribuer un document, il faut qu'il est été traduit à moins que le comité décide à l'unanimité de se dispenser de cette traduction.
Quelqu'un s'oppose-t-il à ce que je fasse distribuer ces documents? Monsieur Asselin.
[Français]
M. Gérard Asselin: Monsieur le président, pour ne pas retarder les travaux du comité, j'accepterais que le document, qui est exclusivement en anglais, soit distribué aux membres du comité qui aimeraient l'avoir en anglais, mais je demande qu'on le traduise en français et qu'on nous fasse parvenir cette traduction, à M. Guimond et à moi, dans les meilleurs délais.
[Traduction]
Le président: Bien, nous allons en faire des copies immédiatement.
Monsieur Casey, vous disposez d'une minute.
M. Bill Casey: Eh bien, par quoi devrai-je commencer?
Le président: Par le document officiel déposé en cour, s'il vous plaît.
M. Bill Casey: Je me demande ce que vous pensez de ceci:
-
Onex ne donnera pas suite à cette transaction à moins d'obtenir
d'Ottawa l'assurance claire que [...] L'on nÂimposera pas à
l'avenir à la compagnie aérienne résultant de la fusion de lourdes
exigences réglementaires.
Que pensez-vous de cela? Ils détiennent un monopole et ils disent qu'une des conditions qui si rattache est de ne pas avoir à respecter de lourdes exigences réglementaires.
M. Richard Janda: Monsieur Casey, j'ai été abasourdi de lire dans les journaux les raisons invoquées par des analystes des marchés boursiers pour démontrer qu'il s'agit d'une bonne transaction, que ce soit pour Onex ou pour Air Canada, parce que cela va solidement instaurer un monopole et que, par conséquent, cela représente un bon investissement. Certains d'entre vous ont pu lire cet article dans les pages du National Post consacrées au milieu des affaires. En réalité, cette transaction devrait être soumise à une réglementation draconienne, précisément du type de celle qui est écrite par le commissaire à la concurrence dans sa lettre au ministre.
Le président: Merci, monsieur Casey.
Mes chères collègues, je suis arrivé à la fin de ma liste d'intervenants. Je vous remercie.
Monsieur Janda, merci d'avoir présenté votre exposé au comité.
Nous reprendrons nos travaux à 15 h 30.