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FAIT Rapport du Comité

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RÉALISATION D'UNE ZONE DE LIBRE-ÉCHANGE
DES AMÉRIQUES

Il ne fait aucun doute que l’aboutissement de la négociation de la ZLEA constituerait un important accomplissement. Comme l’a rappelé au Sous-comité l’ex‑ministre costa-ricain des Affaires étrangères, c’est là un ambitieux projet qui se soldera par la création de la plus vaste zone de libre-échange au monde.

La ZLEA fait aussi partie intégrante du processus du Sommet des Amériques qui lie la croissance économique au développement social et préconise l’adoption de mesures pour accroître le niveau de vie, améliorer les conditions de travail et mieux protéger l’environnement d’un bout à l’autre des Amériques. En ce sens, l’initiative commerciale sert à renforcer les grands objectifs du Sommet.

L’idée d’une zone de libre-échange regroupant les Amériques a été lancée pour la première fois en 1990 par le président américain de l’époque, George Bush père, dans son Initiative pour les Amériques (1990). L’Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALE) venait alors d’être signé et l’on commençait à négocier ce qui allait devenir l’ALENA.

Au premier sommet des Amériques des temps modernes, tenu à Miami en 1994, l’idée a été reprise sous le nom de ZLEA. Ce sommet réunissait les chefs d’État et de gouvernement de 34 pays de l’hémisphère occidental pour discuter des moyens à prendre pour promouvoir la prospérité économique, la démocratie et le développement dans les Amériques. Lors de ce sommet, tous les pays ont convenu de se donner jusqu’en 2005 pour s’entendre sur la création d’une ZLEA. Avec l’appui du Canada et de quelques autres pays, on a par la suite proposé de ramener cette échéance à 2003, mais la suggestion n’a pas été retenue. Les négociations officielles en vue de la création de la ZLEA ont été lancées au Sommet de Santiago en 1998. L’échéancier actuel fixe la fin des négociations, à janvier 2005 et la mise en œuvre de la ZLEA, à décembre 2005.

Le Sous-comité a essentiellement entendu deux points de vue concernant la date butoir de 2005. D’un côté, certains estiment que cet objectif est exagérément ambitieux et ne sera pas atteint en raison de quantité de facteurs qui y font actuellement obstacle. D’autres estiment par contre que même si 2005 est un délai difficile à respecter, il est possible d’y arriver si les négociations se déroulent bien. Or, nous avons cru comprendre que les négociations se déroulaient effectivement bien et qu’il y avait des progrès.

Même s’il peut y avoir quelques désaccords quant aux chances que les négociations aboutissent d’ici la date visée, il est clair que les négociations sont maintenant engagées sur les enjeux cruciaux touchant l’accès aux marchés (p. ex., réduction des tarifs douaniers, barrières non tarifaires/obstacles techniques au commerce, règles d’origine), qui occupent l’essentiel des négociations de la ZLEA. Le succès des négociations dépend pour une bonne part de la résolution de ces questions.

Lorsqu’il est question d’accès aux marchés, aucun dossier n’est, semble-t-il, plus délicat que celui de l’agriculture. Lors de la mission d’étude du Sous-comité, des témoins ont fait état de la nécessité d’ouvrir les marchés agricoles en Amérique du Nord. Souvent les obstacles sont de nature technique. En Colombie, la ministre déléguée aux Affaires étrangères a insisté sur l’importance de s’attaquer aux questions relatives à l’accès aux marchés dans le secteur agricole lors des négociations de la ZLEA. Il serait trop long, selon elle, d’attendre que l’OMC y trouve des solutions.

Un accord sur la ZLEA traiterait à la fois des barrières tarifaires et non tarifaires (p. ex., droits ou redevances sur les importations) ainsi que d’autres questions comme les règles d’origine et les obstacles techniques au commerce. Le Canada a déjà exprimé publiquement ses positions sur : l’accès aux marchés; l’agriculture, l’investissement, les services (le Canada s’est engagé à protéger la santé, l’enseignement public, les services sociaux et la culture); les marchés publics, les droits de propriété intellectuelle; la politique de concurrence; les subventions, l’antidumping et les mesures compensatoires; le règlement des différends (prendre appui sur le processus de l’Organisation mondiale du commerce et sur le chapitre 20 de l’ALENA); la participation de la société civile; les économies de petite taille et le commerce électronique (voir :
http://www.dfait-maeci.gc.ca/tna-nac/ftaa_new_archives-f.asp)

A.   Les avantages de la ZLEA

L’hémisphère occidental regroupe moins de 15 % de la population mondiale, mais il est le théâtre de plus de 35 % de l’activité économique mondiale mesurée. Avec plus de 800 millions d’habitants et un produit intérieur brut collectif de plus de 11 billions de dollars américains, les Amériques représentent de loin la région économique la plus grande et la plus productive au monde, dépassant de plus de 3 billions de dollars américains l’Union européenne (UE), qui se situe au deuxième rang.

Chacun sait que les États-Unis sont le premier partenaire commercial du Canada, qui y destine 87 % de ses exportations. Si l’on ajoute les autres pays de l’hémisphère avec lesquels le Canada a conclu une entente de libre-échange (le Mexique, le Costa Rica et le Chili), on arrive à 98 % du commerce hémisphérique du Canada. À première vue, donc, il ne semble pas nécessaire de se lancer dans une autre initiative du même ordre. Le Canada a toutefois plusieurs bonnes raisons d’adhérer à la ZLEA.

Premièrement, les avantages directs en matière de commerce et d’investissement méritent encore d’être explorés. La raison d’être de tous les accords de libéralisation des échanges est d’augmenter la taille du « gâteau » économique — afin d’améliorer la prospérité et le bien‑être de tous. Les sociétés œuvrant dans les secteurs de l’économie axés sur l’exportation ne sont pas les seules à profiter d’une libéralisation des échanges. Du côté « importation » de l’équation commerciale, les avantages résident dans une compétitivité accrue des sociétés qui importent des produits et services aux fins de leur processus de fabrication, ainsi que dans la plus grande satisfaction des consommateurs canadiens qui ont accès à de nouveaux biens et services venant de l’étranger. Le
libre-échange devrait faire baisser le prix de bon nombre de ces importations.

Même en faisant abstraction des partenaires du Canada dans l’ALENA, la région de l’Amérique latine et des Caraïbes a représenté en 2001 un marché d’exportation de 4,2 milliards de dollars pour les biens canadiens, soit environ 8,7 % du total des exportations de marchandises canadiennes à destination de pays qui ne sont pas parties à l’ALENA. De même, la région affiche un potentiel à long terme intéressant pour les biens et services canadiens, avec sa population d’environ 500 millions d’habitants et son PIB de l’ordre de 2 billions de dollars américains.

Deuxièmement, l’un des importants avantages qu’offrira la ZLEA au Canada sera d’ouvrir et d’assurer aux exportations canadiennes un accès aux marchés grâce à l’élimination des tarifs douaniers. Certes, pas moins de 94 % des importations actuelles en provenance des pays de la ZLEA entrent au Canada en franchise, mais certains produits canadiens (produits du papier, produits de la technologie, pièces d’automobiles et potasse) sont assujettis à de lourds tarifs (pouvant aller jusqu’à 30 %) dans la région. Actuellement, les droits moyens sur les importations en Amérique latine sont élevés (12 %). Leur élimination sur tous les produits, sous réserve de quelques exceptions limitées et suivant un calendrier de réduction progressive s’étalant sur au plus dix ans, contribuerait utilement à stimuler les exportations et à réduire le déficit commercial global du Canada avec la région.

Troisièmement, le Canada demeure un investisseur majeur en Amérique du Sud, surtout dans les secteurs des ressources naturelles et des télécommunications, ainsi que dans les Caraïbes. L’investissement étranger direct (IED) du Canada dans les Amériques a atteint approximativement 268 milliards de dollars en 2001. Si les États-Unis ont été la première destination de l’IED du Canada entre 1989 et 1999, l’IED du Canada dans les pays hors ALENA de l’hémisphère occidental est passé, pendant la même période, de 7 milliards de dollars à près de 66 milliards de dollars; ce qui représente une augmentation beaucoup plus rapide que celle de l’investissement canadien direct aux États-Unis10.

Étant donné que le Canada investit énormément dans les autres pays des Amériques hors ALENA, il a tout intérêt à vouloir mettre en place un cadre réglementé, sûr et prévisible, pour les investisseurs et leurs investissements dans l’hémisphère, du genre de celui que pourrait offrir la ZLEA. Idéalement, les engagements dans ce domaine ressembleraient, à quelques exceptions près, à ceux qui existent déjà dans les accords bilatéraux et infrarégionaux en vigueur. En fin de compte, le principal objectif visé est d’instaurer un traitement non discriminatoire des investissements canadiens et des entreprises canadiennes qui font des affaires dans l’ensemble de l’Amérique latine.

Quatrièmement, la ZLEA rendra possible l’élargissement du champ d’application des accords commerciaux (en allégeant les procédures douanières, en précisant les règles et en simplifiant les transactions pour les producteurs et les commerçants, en encourageant la concurrence et en ouvrant les marchés d’État). Idéalement, l’entente devrait également englober d’autres éléments utiles, comme des règles d’origine claires et prévisibles (pour que l’accord profite aux biens produits dans l’hémisphère), et permettre l’élimination graduelle des barrières non tarifaires et des obstacles techniques au commerce, comme les normes et les mesures phytosanitaires. La ZLEA pourrait également stimuler considérablement à l’échelon régional les négociations en cours à l’Organisation mondiale du commerce. La réalisation de progrès dans tous ces domaines revêt une importance cruciale pour une économie ouverte comme celle du Canada.

Par ailleurs, le resserrement des liens hémisphériques comporte également des avantages géopolitiques, puisque les intérêts du Canada dans les Amériques débordent le domaine commercial. Aucun n’est plus important cependant que d’assurer la paix et la stabilité politique dans la région.

Les pays des Caraïbes, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud ont aussi beaucoup à gagner d’un accord de libre-échange hémisphérique. L’accès accru aux vastes marchés nord-américains et brésiliens que la ZLEA procurerait revêt une importance suprême. A ce sujet, Donald Mackay (conseiller spécial, Fondation canadienne pour les Amériques) a indiqué au Sous-comité que l’obtention d’un accès préférentiel au vaste marché américain incite beaucoup de pays des Amériques à demeurer actif dans les négociations de la ZLEA. Il ne fait aucun doute que la ZLEA stimulera les échanges, les investissements et la croissance économique dans l’ensemble de la région.

Un accord sur la ZLEA fournira aussi aux petits pays des Amériques les règles et les mécanismes de règlement des différends dont ils ont besoin pour faire des affaires en toute confiance avec leurs partenaires en matière de commerce et d’investissement et ainsi assurer leur stabilité économique. Même des pays aussi ouverts sur le monde que le Chili aimeraient que des progrès soient faits dans certains dossiers clés comme celui des investissements et des services. La création d’une ZLEA à l’échelle de l’hémisphère libérerait aussi en bout de ligne les précieuses ressources actuellement affectées à l’application de la politique commerciale au niveau bilatéral.

Une dernière observation, peut‑être moins bien connue, veut que bon nombre des pays en développement profiteraient sur le plan interne d’une adhésion à la ZLEA. Par exemple, l’ex‑ministre costa-ricain des Affaires étrangères a souligné au Sous-comité que les accords de libéralisation des échanges peuvent donner le coup d’envoi aux changements institutionnels (p. ex., réforme fiscale, bonne application de la règle de droit) souvent nécessaires pour moderniser une économie. En Argentine, un membre du
Sous-comité a fait observer que si ce pays (et d’autres dans l’hémisphère) ne fait rien au sujet de la ZLEA et/ou d’autres accords bilatéraux, il pourrait alors se replier sur lui-même, nationaliser son économie et négliger d’effectuer les changements économiques et politiques dont le pays a cruellement besoin.

B.   Les obstacles et les enjeux liés à la ZLEA

Comme le Sous-comité se l’est fait dire à maintes reprises tout au long de ses déplacements en Amérique latine, la ZLEA est loin d’être chose faite. En fait, la plupart des témoins sont pessimistes quant à la capacité des négociateurs de respecter l’échéancier de 2005. Malgré ce pessimisme, le Sous-comité demeure convaincu du
bien-fondé du libre-échange en général et de la ZLEA en particulier.

Même s’il existe de nombreux obstacles à la conclusion d’un traité — ils sont énumérés ci‑dessus accompagnés d’un certain nombre de recommandations de solutions — l’essentiel de l’incertitude actuelle concernant la ZLEA tient à la tendance des États-Unis à recourir à des mesures protectionnistes et à des lois portant sur les recours commerciaux, et à l’attitude des autres pays (en particulier, le Brésil) face à ces mesures qui limitent l’accès aux marchés. Il est extrêmement malheureux que l’optimisme initial suscité par la ZLEA semble avoir été réduit à néant par l’intervention américaine.

1.    Le protectionnisme américain

Partout en Amérique latine, des intervenants ont exprimé leurs préoccupations au sujet de l’attitude des États-Unis envers le libre-échange. Certains ont qualifié le U.S. Farm Bill, qui a maintenant été ratifié par le président Bush, d’« obscène », et la décision des États-Unis concernant l’acier, de « ridicule ». En ce qui concerne le U.S. Farm Bill, on prévoit que le montant total des nouvelles dépenses agricoles au cours de la prochaine décennie s’élèvera à environ 180 milliards de dollars américains, soit une augmentation de près de 80 % par rapport au coût du maintien des programmes actuels. De même, la nouvelle loi agricole impose de nouvelles exigences en matière d’étiquetage qui obligent à indiquer la provenance des produits vendus aux États-Unis et dont l’application sera obligatoire d’ici le 30 septembre 2004. En ce qui concerne l’acier, le président Bush a autorisé l’imposition de droits sur l’acier importé en vertu de l’article 201 du Trade Act de 1974.

En Colombie et au Pérou, des témoins ont pris position en faveur de l’exercice d’un plus grand leadership américain sur les questions commerciales mondiales et d’une approche plus cohérente à l’égard de la politique commerciale américaine. Au Chili, le chef de la Chambre de commerce Canada-Chili a dénoncé la puissance des intérêts des grandes sociétés américaines et leur influence sur le Congrès américain.

À plusieurs reprises, le Sous-comité s’est fait rappeler la participation active des négociateurs américains dans les discussion officielles au sujet de la ZLEA. Le ministre délégué de la Colombie aux Affaires étrangères a rappelé au Sous-comité le soutien solide et constant de l’administration américaine à l’égard de la ZLEA. Cet engagement ne cadre toutefois pas avec les récentes décisions des États-Unis de protéger leurs industries nationales contre la concurrence étrangère. Comme l’a si bien dit un homme d’affaires canadien à Sao Paulo, si les États-Unis souhaitent vraiment la création d’une ZLEA, ils ont une drôle de manière de le démontrer. Pour que le processus de la ZLEA puisse être mené à bien, il faudra que les États-Unis fassent preuve d’une volonté politique considérable.

2.    La nécessité d’une autorisation par procédure accélérée aux États‑Unis (promotion du commerce)

Tout au long de ses huit années au pouvoir, le président américain Bill Clinton a été incapable d’obtenir du Congrès l’autorisation par « procédure accélérée » tant souhaitée. Cette autorisation permet au président de négocier des ententes commerciales qui seront par la suite sanctionnées par un simple vote positif ou négatif.

Pour sa part, le président George W. Bush a indiqué que l’obtention d’une telle autorisation (désormais rebaptisée « autorisation de négocier des accords commerciaux » ou « Trade Promotion Autority » (TPA)) constitue une priorité pour son gouvernement. Toutefois, il semble de plus en plus incertain qu’il obtiendra une TPA sans réserve, comme il le voudrait. La Chambre des représentants a déjà adopté une loi sur la TPA, mais elle sera peut‑être obligée de voter de nouveau, car le comité sénatorial a approuvé sa propre version du projet de loi, laquelle suppose l’ajout de plusieurs changements à la loi émanant de la Chambre. Une conférence entre le Sénat et la Chambre est prévue pour dénouer l’impasse et en arriver à une loi de compromis.

Le problème concernant la version que propose le Sénat de l’autorisation de négocier des accords commerciaux, c’est que l’avantage qu’elle procure en permettant le renouvellement de l’Andean Trade Preferences Act, en vigueur depuis 11 ans, permet aussi aux sénateurs de corriger la ZLEA et d’autres ententes de libre-échange importantes, une fois que celles‑ci ont été négociées. De façon plus précise, l’amendement Dayton-Craig qui a été ajouté au projet de loi sur l’autorisation de négocier des accords commerciaux déposés par le gouvernement américain accordera au Sénat le droit de revoir les dispositions d’une entente susceptible de modifier une partie de l’ensemble des lois américaines actuelles portant sur les recours commerciaux (p. ex., antidumping, mesures compensatoires, garanties). Pour sa part, le président Bush a indiqué qu’il opposerait son veto au projet de loi si l’amendement est maintenu au terme des négociations avec la Chambre des représentants.

Tout cela pour dire que l’avenir de la TPA demeure incertain. Or, cette caractéristique de la politique commerciale américaine est importante, car les pays peuvent être réticents à traiter avec les Américains, s’il demeure possible que le Congrès puisse réviser un traité ayant déjà fait l’objet d’un accord. Techniquement parlant, la TPA n’est réellement nécessaire qu’en vue de la conclusion des négociations de la ZLEA, mais l’obtention de cette TPA est essentielle pour maintenir l’impulsion du processus de la ZLEA. Le monde attend pour voir si le Congrès approuvera la TPA et sous quelle forme (c.‑à‑d. assortie de quelles conditions en matière d’agriculture, de textiles, de recours commerciaux, de travail et d’environnement). Comme Claude Carrière (directeur général, Direction générale de la politique commerciale I, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international) l’a indiqué au Sous-comité, un certain nombre de pays ont déjà exprimé des réserves au sujet des conditions prévues dans les versions du projet de loi proposées par le Sénat et par la Chambre, en particulier en ce qui a trait à l’agriculture (p. ex., les barrières prévues dans le projet de loi de la Chambre à l’égard des produits agricoles, notamment le jus d’orange, et les textiles), aux recours commerciaux, à la
main-d’œuvre et à l’environnement.

3.    L’intérêt du Brésil pour une ZLEA

L’économie du Brésil, presque aussi importante que celle de la Chine, représente un tiers des extrants économiques de l’Amérique latine, et son poids assure la stabilité de la région. Elle représente la moitié du nouveau marché qu’une ZLEA ouvrirait au Canada, et les trois quarts si l’on ajoute ses partenaires du Mercosur. À l’évidence donc, tout regroupement de libre-échange dans l’hémisphère ne serait guère crédible sans la présence du Brésil.

Jusqu’à maintenant, la stratégie privilégiée par le Brésil semble être de commencer par former un bloc solide en Amérique du Sud grâce à son rôle de premier plan au sein du Mercosur, pour ensuite négocier plus à égalité11. Cependant, avec l’effondrement récent de l’économie argentine, cette stratégie pourrait avoir fait long feu.

Si le Brésil participe activement aux négociations, en particulier au sujet de l’accès aux marchés et du commerce des produits agricoles, il n’est pas encore certain qu’il signera une entente. Lors de son voyage au Brésil, le Sous-comité a constaté que la négociation de la ZLEA était perçue surtout comme l’enjeu de discussions bilatérales avec les États-Unis, tous les autres pays étant relégués à la « périphérie ». Le Brésil est loin d’être convaincu que les États-Unis sont prêts à des concessions importantes au sujet de l’accès au marché américain et de la réduction des droits de douane.

Pour beaucoup de Brésiliens, les négociations actuelles ont un caractère unilatéral, le Brésil cherchant à obtenir accès aux secteurs mêmes que les Américains tentent de protéger (comme le secteur agricole). Pour le moment, les droits de douane américains moyens sont d’à peine 3 %, mais ceux qui frappent les 15 premiers produits d’exportation du Brésil aux États-Unis totalisent 44 %. En outre, les Brésiliens sont contre la politique agricole américaine et les procédures antidumping qui protègent entre autres les aciéries américaines. Cependant, les Américains ne sont pas prêts à négocier des changements dans ces domaines, affirmant que ce type de négociation relève de l’OMC. Il s’ensuit, comme nous l’a dit un universitaire brésilien, que l’opinion publique brésilienne voit maintenant dans le projet de ZLEA un arrangement avantageux essentiellement pour les États-Unis, car il leur ouvrira davantage le marché brésilien, mais pas l’inverse.

Nous avons entendu dire que les Brésiliens continuent de redouter la concurrence des entreprises américaines et hésitent à concentrer leurs flux commerciaux sur l’Amérique12. Comme nous l’a dit un sénateur chilien, le Brésil n’est tout simplement pas convaincu que son économie est arrivée au point où elle peut soutenir efficacement la concurrence des autres pays. Cela expliquerait en grande partie la tiédeur des Brésiliens à l’endroit du projet de ZLEA.

Autre difficulté, le gouvernement brésilien devra neutraliser l’opposition de lobbies industriels puissants avant d’en arriver à un accord. L’économie du Brésil est très protégée, les droits sur les importations se situant à près de 15 %. Des droits et des restrictions encore plus sévères protègent les grandes industries comme l’automobile, les produits chimiques, les produits pharmaceutiques et l’informatique.

Il y a enfin la question de la souveraineté. Plusieurs personnes nous ont dit que le Brésil se considère un peu comme les États-Unis d’Amérique du Sud et hésite donc à renoncer à une trop grande part de souveraineté en contrepartie des avantages que la ZLEA pourrait lui apporter. Parmi les membres de la législature brésilienne, beaucoup craignent qu’un accord de libre-échange à l’échelle des Amériques gruge la souveraineté des pays concernés et confère aux Américains une trop grande influence sur la politique étrangère et sur les décisions de politique intérieure.

En dernière analyse, la plupart des gens que nous avons interrogés au Brésil sont d’avis que le Brésil joindra la ZLEA si cela présente des avantages pour le pays. On pense généralement que si l’on pouvait régler certains problèmes comme l’accès aux marchés pour les produits agricoles (par exemple, par la suppression des contrôles phytosanitaires sur le jus d’orange) et restreindre le recours à des mesures antidumping (par exemple, dans le cas de l’acier), les Brésiliens seraient disposés à faire preuve de souplesse. Un grand groupe industriel de Sao Paulo a fait remarquer que l’accord ne serait sans doute pas prêt en 2005, mais que cela ne constituait pas un gros problème.

4.    Instabilité économique et politique dans la région

Il ne fait aucun doute que certains pays d’Amérique du Sud sont aux prises avec d’assez fortes turbulences sur les plans économique ou politique. L’Argentine traverse une autre difficile crise financière, et l’instabilité politique est extrême en Colombie et au Venezuela.

Les représentants syndicaux péruviens nous ont fait savoir que toute cette instabilité créait beaucoup d’incertitude. Cependant, le Sous-comité refuse de croire que la période de turbulences que traverse actuellement l’Amérique latine empêchera la concrétisation de la ZLEA. Les choses seront peut-être retardées au-delà de 2005, mais le projet restera sur les rails.

5.    La difficulté d’en arriver à un accord avec 34 pays différents

À première vue, on pourrait croire que les aspects purement techniques que représente le traitement d’une multitude de dossiers complexes touchant à 34 pays de taille et de niveau d’avancement très différents, pratiquement tous liés d’une façon ou d’une autre par une multitude d’ententes infrarégionales, font du projet de ZLEA un défi considérable. Or, comme l’a dit au Sous-comité le ministre délégué aux Affaires étrangères de la Colombie, la négociation de la ZLEA concerne en fait cinq grands groupes et quelques pays pris isolément (ALENA, Mercosur, Communauté andine, CARICOM, Marché commun d’Amérique centrale, Chili, République dominicaine et Panama).

L’opposition nord-sud que certains craignaient ne s’est pas matérialisée, ce qui est un bon signe aussi. Des représentants du gouvernement chilien ont dit au Sous-comité que si des alliances s’étaient effectivement constituées, elles concernaient seulement certains enjeux de la négociation.

Le succès de la négociation de la ZLEA dépendra à coup sûr en grande partie des groupes de négociation. Tous les pays concernés participent aux négociations et y ont consacré énormément de temps, surtout par l’intermédiaire des groupes précités. La concrétisation du projet de ZLEA dépendra en dernière analyse des concessions importantes auxquelles les pays accepteront de consentir.

6.    Préoccupations des petites économies

Les petites économies représentent les trois quarts (26 sur 34) des pays qui négocient la ZLEA. Il n’est donc pas étonnant que l’une des préoccupations majeures des négociations ait été l’intégration des vues des petites économies dans le processus. Comme l’ont fait remarquer des représentants de la Communauté andine au Pérou, pour réaliser la ZLEA, il va falloir surmonter certains obstacles, notamment celui que pose la grande diversité de fortune entre les pays d’Amérique latine. Il faudra établir des mécanismes particuliers pour tenir compte des besoins assez différents des pays pauvres en matière de développement.

Dans l’immédiat, les petits pays ont du mal à réunir les ressources dont ils ont besoin pour les fins de la négociation de la ZLEA et d’autres négociations à caractère bilatéral ou multilatéral (par exemple, au niveau de l’OMC). Le ministre délégué à l’Intégration du Pérou a tenu à souligner que son pays manquait de ressources humaines pour ces négociations. Pour sa part, la ministre déléguée aux Affaires étrangères de la Colombie s’est dite très reconnaissante de l’aide offerte par le Canada à son pays pour la négociation de l’accord sur la ZLEA.

Il importe aussi de noter que de nombreux pays en développement hésitent à s’engager dans une entente qui pourrait écraser leurs fragiles économies. L’une des principales questions est celle de savoir comment ils peuvent développer au mieux leurs propres régimes fiscaux afin de remplacer les tarifs douaniers. Pour beaucoup d’entre eux, passer d’une économie fondée sur les tarifs douaniers à un système d’impôts sur le revenu présente de grandes difficultés.

Une des principales solutions envisagées consiste à offrir aux petites économies la possibilité de procéder à une diminution plus graduelle des droits de douane. Le Canada estime que tous les signataires de l’accord sur la ZLEA doivent avoir des droits et obligations identiques, mais il est d’accord pour que l’on prévoie des mesures destinées à faciliter la transition pour les petites économies, à la condition que ces mesures soient spécifiques et aient une durée déterminée. Au demeurant, les négociateurs de l’accord relatif à la ZLEA se sont entendus (en septembre 2001) sur des lignes directrices relativement à l’étude, cas par cas, par les groupes de négociation, des demandes de traitement spécial fondées sur des différences au niveau du degré de développement ou de la taille des économies. Le Sous-comité est d’avis que ce type de disposition spéciale doit faire partie intégrante de l’accord sur la ZLEA.

Il est aussi extrêmement important d’aider ces pays dans leurs efforts de renforcement des capacités. Un grand nombre des petits pays qui constituent la majorité des États des Amériques n’ont pas les ressources humaines spécialisées nécessaires à la mise en œuvre d’un accord commercial. Plusieurs pays pourraient avoir beaucoup de mal à appliquer le traité en l’absence d’aide.

Au Costa Rica, l’ancien ministre du Commerce international a dit au Sous-comité que le renforcement des capacités (dans le secteur public et dans le secteur privé) et le développement des ressources humaines constituaient des facteurs clés dans l’avancement du dossier de la libéralisation des échanges. Selon lui, le renforcement des capacités aide la société à composer avec les problèmes et à profiter des avantages que présente l’ouverture des marchés issue de la libéralisation des échanges. Cela dit, il faut persuader les pays du caractère continu et permanent du renforcement des capacités. Un représentant syndical brésilien aussi prône le renforcement des capacités par la multiplication des formations professionnelles et techniques et l’établissement d’une stratégie nationale d’adaptation pour composer avec les effets du libre-échange.

On a rappelé au Sous-comité que le Canada avait toujours été soucieux des intérêts des petites économies. Par la voie de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), il répond au souhait des petites économies de participer au processus de négociation de l’accord relatif à la ZLEA et à des négociations commerciales bilatérales avec le Canada en offrant des programmes d’assistance technique conçus pour renforcer les capacités pour les fins du commerce, de l’investissement et de la stabilité financière. Dans ce contexte, nous offrons aux pays d’Amérique latine et des Caraïbes, lesquels constituent la majorité des petites économies des Amériques, des sommes assez importantes pour le financement d’assistance technique en rapport avec le commerce international. En avril 2001, le Canada a annoncé qu’il accordait 18 millions de dollars de nouveaux crédits à cette fin, dont 13 millions sont destinés au Programme de gestion économique dans les Caraïbes orientales et jusqu’à 5 millions iront à des projets d’assistance technique en matière de commerce international en Amérique centrale.

Stephen Free (directeur général, Direction des Amériques, Agence canadienne de développement international) a dit au Sous-comité que l’ACDI offre actuellement à peu près 120 millions de dollars d’aide bilatérale aux pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Le chiffre monte jusqu’à environ 200 millions de dollars si l’on ajoute l’aide accordée à des ONG ou acheminée par la voie des institutions financières internationales.

Enfin, le Canada appuie les efforts déployés par la Banque interaméricaine de développement (BID) et la Banque mondiale pour aider les futurs membres de la ZLEA à réussir leur intégration à l’économie mondiale. M. Free a signalé que la BID prévoyait allouer de 40 à 45 milliards de dollars à l’Amérique latine et aux Caraïbes d’ici les quatre ou cinq prochaines années. Ces fonds serviront à surmonter les problèmes économiques et sociaux de ces pays, qu’ils aient ou non rapport avec la ZLEA.

Abstraction faite de ces initiatives tout à fait louables, nous estimons que les pays avancés des Amériques peuvent faire davantage pour soutenir le renforcement des capacités, au niveau bilatéral et par le biais des institutions financières régionales comme la Banque interaméricaine de développement. Par exemple, le président de la Chambre de commerce Canada-Argentine a dit à un membre du Sous-comité que le Canada devait installer sur place des ressources propres au renforcement des capacités dans les domaines notamment de la restructuration politique, de l’éducation (par la voie d’un programme plus poussé d’échanges d’étudiants) et des programmes sociaux comme la santé et l’assurance-chômage. Le Sous-comité recommande :

Recommandation 15

Que le Canada accorde aux petits pays des Amériques des ressources financières et techniques accrues pour les aider à se doter des capacités dont ils ont besoin pour négocier l’accord sur la ZLEA, s’y adapter et en bénéficier. Il faudrait leur fournir une assistance technique pour l’élaboration de programmes de formation professionnelle et d’alphabétisation, ainsi que de stratégies et de programmes nationaux d’adaptation au libre-échange.

Recommandation 16

Que le gouvernement fédéral appuie l’inclusion dans l’accord sur la ZLEA de mesures spéciales en vue d’accorder aux pays en développement qui participent à la ZLEA des délais de mise en œuvre souples.

Recommandation 17

Que le Canada encourage les autres membres de la Banque interaméricaine de développement à renforcer le mandat de cette institution et sa contribution à la satisfaction des besoins de développement des pays des Amériques, comme le prévoit le plan d’action du troisième Sommet des Amériques13.

7.    Le lancement d’une nouvelle série de négociations sous l’égide de l’OMC

Avec le lancement d’une nouvelle série de négociations sous l’égide de l’OMC à Doha en novembre 2001, laquelle des deux solutions (ZLEA ou OMC) aura la priorité parmi les pays de l’hémisphère occidental? Laquelle est la plus prometteuse sur le plan du degré de libéralisation des échanges, de la sûreté de l’accès aux marchés, de l’élimination des subventions au commerce international et à l’investissement et du traitement non discriminatoire des investissements?

On craint fort que, du fait des négociations multilatérales, les pays soient réticents à mener une véritable négociation de la ZLEA tant que l’on n’aura pas une idée assez claire de l’issue des négociations de l’OMC. Il se pourrait en effet que certains pays comme le Brésil et les États-Unis, par exemple, préfèrent attendre de voir s’ils peuvent obtenir de meilleures conditions à l’OMC.

Ces craintes pourraient être fondées. La ministre déléguée au Commerce international de la Colombie n’a pas caché sa déception après que les négociateurs canadiens et mexicains ont révélé récemment qu’ils préféreraient que le dossier des produits agricoles soit réglé sous l’égide de l’OMC. Elle pense pour sa part qu’il serait possible de faire des progrès sensibles à l’occasion de la négociation prochaine de l’accès aux marchés dans le cadre de la ZLEA. M. William Miner (premier agrégé, Centre de droit et de politique commerciale, Université Carleton) a exprimé des vues analogues, persuadé que la négociation de la ZLEA permettrait de réaliser des progrès importants dans le dossier de la plupart des produits agricoles transformés. Cependant, sur la question des subventions à l’exportation et des mesures de soutien interne, il a fait remarquer qu’il faudra attendre l’issue des négociations de l’OMC pour enregistrer de réels progrès.

Pour sa part, le Sous-comité partage l’opinion de Donald Mackay pour qui il serait opportun de mener des négociations sur les enjeux importants de la libéralisation des échanges sur les deux fronts. De plus, nous souscrivons aux vues de l’universitaire brésilien que nous avons rencontré à Sao Paulo, de Bill Dymond et de Pierre Laliberté (économiste principal, Congrès du travail du Canada), qui nous ont dit que la ZLEA devrait offrir tous les avantages de l’OMC et plus encore pour que le jeu en vaille la chandelle.

8.    Transparence et participation de la société civile

Le gouvernement du Canada prend au sérieux la question de la transparence, suffisamment pour que Claude Carrière juge qu’il en est le champion. En février 2001, le Canada a proposé aux membres de la ZLEA de renforcer la participation des citoyens à la ZLEA, notamment en publiant des mises à jour régulières, en organisant des réunions publiques dans tout l’hémisphère sur les négociations de la ZLEA, en diffusant l’information sur la ZLEA quand cela est possible et en soumettant les mémoires des citoyens aux groupes, comités et institutions concernés.

Cependant, la meilleure façon de combattre l’impression que les négociations commerciales se déroulent dans le plus grand secret et ne tiennent compte que des intérêts des multinationales, a sûrement été la décision de rendre publics les textes de la ZLEA. Le gouvernement canadien jugeait que la diffusion de ces textes était un moyen radical d’instaurer la transparence dans les négociations. On a également tenté d’élargir l’ordre du jour afin d’inclure plus de dossiers et de tenir compte ainsi des préoccupations du public.

Le Sous-comité a entendu à maintes reprises au cours de sa mission d’étude en Amérique latine que la société civile doit participer à la prise de décisions de la ZLEA. Au Costa Rica, on a exhorté le Canada à montrer comment la participation du public pourrait s’intégrer au processus politique. Au Chili, les ONG se sont plaintes qu’elles sont encore tenues à l’écart des négociations de la ZLEA et qu’elles ne possèdent pas l’information et la formation nécessaires relatives au commerce, particulièrement pour vérifier l’impact des accords commerciaux sur le respect des droits des travailleurs et des normes de travail. Les témoignages étaient sensiblement identiques au Pérou et au Brésil, où les représentants syndicaux ont dénoncé le manque de participation au processus de prise de décisions de la ZLEA.

Le Sous-comité croit que le Canada peut jouer un rôle dans ce domaine. Nous recommandons :

Recommandation 18

Que, pour améliorer la transparence des négociations de libre-échange, ainsi que la participation de la société civile, le gouvernement du Canada encourage activement les gouvernements des Amériques à consulter largement leur population et leur société civile pendant le processus de négociation de l’accord sur la ZLEA, à rendre publics les textes de la négociation, à encourager les activités de leurs organisations non gouvernementales nationales et à faciliter le dialogue entre les entreprises et les organisations non gouvernementales dans le domaine du libre-échange.

9.    Opinion publique

Les avis demeurent partagés parmi la population américaine et latino‑américaine au sujet des avantages d’une zone commerciale à l’échelle du continent. Les syndicats et les activistes antimondialisation américains ont affirmé que la ZLEA provoquera des pertes d’emplois, car les capitaux américains partiront à la recherche des salaires bas et des normes de sécurité et environnementales moins élevées de l’Amérique latine. Ils craignent également que la participation à la ZLEA se solde par une participation accrue à l’instabilité et aux problèmes économiques qui secouent certains pays du sud (p. ex., aide étrangère, aide financière).

En Amérique latine, le public se préoccupe de dossiers totalement différents. En effet, le Sous-comité a appris que les deux principales inquiétudes sont, d’une part, l’absence d’un système d’éducation adéquat et d’information sur le libre‑échange et la ZLEA et, d’autre part, la poursuite du libre‑échange comme outil de développement des pays et de réduction des inégalités de revenu des citoyens.

Tout au long de notre mission d’étude, les témoins ont insisté sur l’importance de renseigner le public sur les avantages du libre‑échange afin de mobiliser l’appui populaire dont ont besoin les initiatives de libéralisation des marchés. Au Costa Rica, un groupe national d’importateurs a noté la nécessité de renseigner les jeunes de ce pays. Au Pérou, selon le ministre délégué à l’Intégration, la population en général croit encore que le libre‑échange ne profitera qu’aux pays riches et aux couches les plus aisées de la société péruvienne. Il pense que le Canada est bien placé pour jouer un rôle de premier plan dans cette campagne d’information. Les communautés d’affaires canadiennes au Pérou et au Brésil proposent que des spécialistes canadiens du commerce international expliquent aux citoyens de ces deux pays les avantages que les Sud-Américains retireront de la ZLEA. Cette campagne d’information ne devrait en aucun cas prévoir un partenariat avec les États‑Unis.

Au sujet des inquiétudes que soulève le lien entre le commerce et le développement, l’opposition publique à la ZLEA pourrait s’aggraver si la pauvreté et les inégalités de revenu ne s’estompent pas dans ces pays. Les inégalités de revenu demeurent un problème important sur le continent américain et bon nombre s’attendent que le libre‑échange se traduira directement par une amélioration des niveaux de vie de tous. Selon l’ancien ministre du Commerce international du Costa Rica, les gouvernements et les accords commerciaux devraient être axés sur le développement, non pas seulement sur le commerce. Les ONG chiliennes, les représentants syndicaux péruviens et la communauté d’affaires canadienne en Colombie partagent cet avis et soulignent que le développement et les besoins de la société sont indissociables du commerce. D’après le ministre délégué à l’Intégration du Pérou, il faut réduire les inégalités de revenu grâce au libre-échange et à la croissance économique. La ZLEA serait donc un outil utile en ce sens. Finalement, une ONG brésilienne a insisté sur l’importance d’établir un lien entre, d’une part, la ZLEA et le libre-échange et, d’autre part, les politiques nationales.

Le Sous‑comité est convaincu de l’urgence de répondre aux inquiétudes concernant l’éducation et le développement décrites ci‑dessus et indique que le Canada pourrait faire figure de pionnier dans ce domaine. Cependant, comme Claude Carrière l’a fait remarquer au Sous‑comité, il existe sans doute un besoin urgent de programmes sociaux en Amérique latine et dans les Antilles, mais les accords commerciaux ne seront pas une panacée. Le processus serait plutôt indirect et ferait en sorte que les gouvernements nationaux puissent utiliser les retombées du libre‑échange pour corriger les inégalités de revenu. À cet égard, le Canada pourrait jouer un rôle d’appui très utile. Le Sous-comité recommande :

Recommandation 19

Que le Canada soit le fer de lance d’une campagne hémisphérique d’éducation et de sensibilisation aux mérites du libre-échange en général et de la ZLEA en particulier. Il faudrait envisager, dans le cadre de cette campagne, de faire appel à des spécialistes canadiens du commerce et de mieux utiliser les ressources des ambassades et des chambres de commerce étrangères.

Recommandation 20

Que le gouvernement du Canada encourage les pays qui participent à la ZLEA à utiliser les avantages des accords de libre-échange pour aborder leurs préoccupations au sujet des inégalités de revenu.

10.  Investissement

L’ALÉNA est un accord qui, dans son ensemble, a été profitable au Canada. Cependant, des éléments spécifiques du chapitre 11 ont soulevé des problèmes qui doivent être corrigés. Pierre Pettigrew, le ministre du Commerce international, a indiqué que certaines dispositions de ce chapitre doivent être clarifiées et que l’exécution des clauses relatives au règlement des différends entre les investisseurs et l’État doit être plus transparente. Le gouvernement du Canada poursuit son travail avec ses partenaires de l’ALÉNA afin d’éclaircir les parties dispositives clés et les procédures pertinentes. Pendant les négociations des prochains accords commerciaux comme la ZLEA, il s’inspirera sans aucun doute de son expérience des négociations et de la mise en œuvre des règles d’investissement avec d’autres pays, y compris de la procédure de règlement de différends prévue au chapitre 11 de l’ALÉNA.

Pendant son voyage en Amérique latine, le Sous‑comité a reçu le ministre délégué aux Questions multilatérales de la Colombie, qui lui a dit qu’un accord sur les investissements conclu dans le cadre de la ZLEA permettrait d’assurer la sécurité des investissements. Nous partageons son avis.

D’autres témoins ont exprimé des doutes quant à l’utilisation de dispositions sur le règlement des différends entre les investisseurs et l’État similaires à celles de l’ALÉNA et à leur impact sur la souveraineté des nations, particulièrement sur les pouvoirs de réglementation des gouvernements et la prestation des services publics. Même si plusieurs des témoins qui ont comparu devant le Sous‑comité à Ottawa semblaient appuyer les dispositions sur le règlement des différends entre les investisseurs et l’État, le Sous‑comité partage un bon nombre des préoccupations précitées au sujet de la question de la souveraineté et il recommande :

Recommandation 21

Que le gouvernement du Canada s’emploie avec diligence à obtenir un consensus des pays concernés sur l’importance de négocier un accord complet assurant la protection des investissements à l’intérieur de la ZLEA. Les dispositions sur le règlement des différends entre investisseurs et États du type ALENA doivent être exclues de l’accord sur la ZLEA.

11.  Normes du travail et normes environnementales

Il faut déterminer comment on traitera les normes environnementales et les normes du travail dans le contexte de la ZLEA. Certains groupes d’intérêt du monde du travail et de l’environnement réclament l’intégration directe des normes environnementales et du travail dans les accords commerciaux, afin qu’elles soient respectées. Au Chili et au Brésil, les ONG ont dit au Sous‑comité qu’il faut intégrer les normes environnementales et du travail dans la ZLEA.

Les gouvernements des pays en développement ne s’opposent pas à un agenda relatif au travail et à l’environnement qui compléterait les négociations commerciales, mais ils hésitent à lier ces questions directement à un accord commercial. Ils craignent qu’une telle mesure ne limite le commerce et les investissements et, par conséquent, leur croissance économique. Établir un lien entre l’application de normes du travail internationales et les accords commerciaux représenterait, aux yeux des pays en développement, une forme de protectionnisme détourné. Ils s’y opposent donc. Des hauts fonctionnaires chiliens ont indiqué au Sous‑comité que les accords parallèles relatifs au travail et à l’environnement — qui, selon eux, sont des traités internationaux qui ont le même poids légal que les accords commerciaux — ont eu beaucoup de succès. Les gens d’affaires canadiens ne veulent pas non plus que les normes environnementales et du travail servent de barrières au commerce et aux investissements.

Après un examen minutieux des arguments de chaque partie, le Sous‑comité conclut que la démarche qu’il défend dans son rapport de mai 2002 sur l’Organisation mondiale du commerce s’applique également à la ZLEA. En effet, dans le rapport sur l’OMC, nous appuyons l’introduction de la conditionnalité à l’OMC afin d’empêcher les pays qui enfreignent les droits démocratiques et ceux des travailleurs de profiter de la libéralisation des marchés. En ce qui a trait à la ZLEA, le Sous‑comité recommande :

Recommandation 22

Que le gouvernement du Canada fasse la promotion de l’introduction dans l’accord de la ZLEA de dispositions visant à lier la possibilité pour les pays de profiter de leur appartenance à la ZLEA à la preuve qu’ils respectent les droits relatifs à la démocratie.

12.  Culture

Le Sous-comité désire répéter les préoccupations qu’il a exprimées dans son rapport de mai 2002 sur l’OMC (Pour un nouveau cycle de négociations efficace: Les grands enjeux du Canada à l’OMC) afin de protéger la diversité culturelle du Canada au moyen d’un nouveau traité international sur la culture, avant de négocier tout accord commercial exhaustif. Par conséquent, le Sous-comité recommande :

Recommandation 23

Que le gouvernement du Canada s’assure qu’il peut préserver et promouvoir la diversité culturelle en accentuant ses efforts pour parvenir à un nouveau traité international sur la diversité culturelle.


10Du côté des rentrées, environ 70 % de l’investissement étranger direct au Canada provient des Amériques, les États-Unis détenant la part du lion (plus de 95 %). En 1999, la valeur cumulative de l’IED au Canada en provenance de pays hors ALENA n’était que de 3 milliards de dollars au total.
11« Getting Over The Jet-Lag » . Canada-Brazil Relations 2001, Fondation canadienne pour les Amériques, Policy Paper FPP-01-3, p. 5.
12En fait, ils semblent maintenant obnubilés par les Européens.
13On peut consulter la version anglaise du plan d’action sur le site http://www.oas.org/juridico/english/programs.html.