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HAFF Rapport du Comité

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ANNEXE II

OPINION DISSIDENTE

BLOC QUÉBÉCOIS

 

OPINION DISSIDENTE DU BLOC QUÉBÉCOIS

 

Suite au dépôt, par la majorité gouvernementale d’un rapport blanchissant le Ministre de la défense quant aux déclarations contradictoires qu’il a fait à la Chambre concernant la capture de prisonniers afghans par les troupes canadiennes, le Bloc Québécois se doit de produire la présente opinion dissidente.

Le mandat du comité

Dans un premier temps, il importe de revenir brièvement sur l’ordre de renvoi que la Chambre a donné au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. D’entrée de jeu, rappelons que les événements qui ont conduit le comité à étudier cette question sont admis autant par les membres du comité que par le Président de la Chambre. En effet, tous conviennent que le Ministre de la défense a, les 29 et 30 janvier 2002, tenu des propos contradictoires quant à la date où il a pris connaissance de l’arrestation de prisonniers afghans. C’est ce qui a donné lieu à l’étude de la motion suivante déposée par le député de Portage-Lisgar :

«  Que l’accusation portée contre le Ministre de la défense nationale pour avoir induit la Chambre en erreur soit renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. »

Dans sa décision accueillant la question de privilège du député Pallister, le Président souligne :

«  De plus, dans le cas présent, comme l’ont souligné les honorables députés, l’intégrité de l’information est d’une importance capitale du fait qu’elle vise directement les règles d’engagement des troupes canadiennes affectées au conflit en Afghanistan, un principe qui est au cœur même de la participation du Canada à la guerre contre le terrorisme » (p.2)

et en citant le Marleau-Montpetit :

«  Je renvoie les honorables députés à la page 67 du Marleau-Montpetit : Il existe toutefois d’autres affronts contre la dignité et l’autorité du Parlement qui ne peuvent pas constituer une atteinte au privilège comme telle. Ainsi, la Chambre revendique le droit de punir au même titre que l’outrage tout acte qui, sans porter atteinte à un privilège précis, nuit ou fait obstacle à la Chambre, à un député ou à un haut fonctionnaire de la Chambre dans l’exercice de ses fonctions. » (p.4)

Lors de son témoignage, le Greffier de la Chambre, M. William Corbett, nous a mentionné que selon le Parliamentary Practice in New Zealand, pour établir si une déclaration constitue un outrage à la Chambre il faut établir que le député savait, au moment de faire la déclaration, qu’elle était inexacte et qu’en la faisant il avait l’intention d’induire la Chambre en erreur. Selon nous, cette exigence rend impossible la possibilité de prouver un outrage à la Chambre en y effectuant une fausse déclaration. En effet, l’intention d’induire la Chambre en erreur ne pourrait se prouver que par l’aveu de la personne qui a fait la déclaration. Nous soutenons que le fait de faire une déclaration fausse toute en sachant qu’elle est fausse inclut par le fait même l’intention d’induire en erreur.

Ainsi, selon nous les questions soulevées devant le comité sont les suivantes :

  1. Est-ce que le Ministre de la Défense a induit la Chambre en erreur, et
  2. Est-ce que le fait d’avoir induit la Chambre en erreur constitue un outrage qui doit être sanctionné par la Chambre.

C’est donc à la lumière de ces deux questions que nous avons examiné les différents témoignages entendus en comité au cours des dernières semaines.

 

Chronologie des événements

Les différents témoignages entendus en comité nous permettent d’établir la chronologie suivante des événements entourant la question et concernent plus particulièrement le Ministre de la défense.

Le 20 janvier 2002, les troupes de la FOI2 capturent des prisonniers afghans et les remettent aux forces armées américaines. En soirée, le Général Henault est informé, par téléphone, par le vice-chef d’État-major du succès de la mission et de la remise de prisonniers aux forces américaines. Selon le témoignage du Général, l’information donnée par le vice-Amiral était claire et essentiellement la même que le Ministre de la défense a eu le lendemain.

Le 21 janvier, le vice-Amiral Maddison, vice-chef d’État-major en informe le Ministre de la défense, alors à Mexico, par téléphone. Selon le témoignage du vice-Amiral Maddison, cette séance d’information a été claire, « crystal clear » pour employer son expression, le ministre n’ayant demandé aucune information supplémentaire, les informations transmises étant relatives au fait que les troupes canadiennes avaient fait des prisonniers, qu’ils avaient été remis aux américains, qu’il n’y avait eu aucune perte de vie dans les forces canadiennes et que la mission avait été un succès. Le Général Henault, chef d’État-major a également témoigné en ce sens, réitérant la clarté de la séance d’information concernant la capture de prisonniers par les soldats canadiens.

Le 22 janvier , le vice-Amiral Maddison tient une séance d’information avec le sous-ministre de la défense, Jim Judd. Celui-ci devient alors le seul civil, à part le ministre de la défense à être au courant de la situation. De plus, selon son témoignage, il se fait confirmer, dès le 22 janvier, que la photo du Globe and Mail est reliée à la capture de prisonniers par des soldats canadiens.

Le 25 janvier, le Ministre de la défense, de retour à Ottawa, rencontre le vice-Amiral Maddison pour sa séance d’information quotidienne. Il lui fait alors part du lien entre la photographie parue à la « une » du Globe and Mail du 22 janvier 2002 et la capture de prisonniers afghans. Tel qu’il appert du témoignage du vice-Amiral Maddison, ainsi que de celui du Général Henault, le Ministre ne demandera par la suite aucune information supplémentaire concernant la prise de prisonniers afghans par les militaires de la FOI2.

Le 28 janvier, le Premier Ministre déclare publiquement que les troupes canadiennes n’ont fait aucun prisonnier et que c’est une question hypothétique. En soirée, la Chambre tient un débat exploratoire sur l’envoi de troupes en Afghanistan. Des questions concernant le statut des prisonniers sont adressées au Ministres de la défense. Celui-ci fait référence à la capture de prisonniers par des soldats canadiens en parlant de cette situation au futur comme si elle était hypothétique.

Le 29 janvier, le Ministre de la défense déclare, lors de la période de questions, qu’il a été mis au courant de la capture de prisonniers par des soldats canadiens le 25 janvier.

Le 30 janvier, lors de la période de questions, le Ministre déclare avoir été mis au courant de la capture de prisonniers dans les 24 heures suivant l’événement, soit le 21 janvier, mais qu’il a attendu d’être de retour au Canada pour avoir des informations supplémentaires sur les événements.

 

Conclusion

La séquence des événements nous démontre que le Ministre de la défense a soutenu deux versions différentes quant au moment où il a pris connaissance de la capture de prisonniers par des soldats canadiens. Mais contrairement à l’interprétation que fait la majorité libérale au comité, tant le témoignage du vice-Amiral Maddison que celui du Général Henault certifient que la séance d’information du 21 janvier était claire, que le Ministre de la défense avait eu toutes les informations nécessaires pour bien connaître la situation et qu’en aucun temps par la suite le Ministre n’a demandé aucune information supplémentaire concernant la capture de prisonniers. Selon les témoignages entendus, principalement ceux du Chef d’État-major et du vice-chef d’État-major, le Ministre avait reçu toutes les informations nécessaires dès le 21 janvier et connaissait très bien la situation dès ce moment.

Il nous apparaît donc peu crédible, à la lumière des témoignages entendus, que le Ministre de la défense se soit simplement trompé de date dans ses déclarations. Par les déclarations contradictoires qu’il a fait, nous soutenons qu’il a induit la Chambre en erreur. Ce fait constitue également, selon nous, un outrage à la Chambre compte tenu de l’importance du sujet en question à savoir l’implication militaire des forces armées canadiennes dans des actions sur le terrain et qu’un important débat sur cette question avait lieu dans les médias, au sein de la population et dans la communauté internationale. Le ministre savait donc ce qu’il disait en Chambre. Compte tenu de la gravité de l’outrage à la Chambre, le Ministre devrait être démis de ses fonctions.

Par ailleurs, accréditer la thèse de la majorité libérale du comité de l’erreur par une confusion du Ministre sur le fil et sa compréhension des événements soulève de sérieux doutes quant à sa compétence.

 

Considérations additionnelles

Rappelons que depuis la mi-janvier, il y avait un débat, autant dans l’opinion publique canadienne et américaine que dans le caucus libéral, concernant le statut des prisonniers capturés en Afghanistan. Le débat portait sur le respect, par les Américains, des Conventions de Genève relatives au traitement des prisonniers. Le comité permanent des Affaires étrangères et celui de la Défense ont d’ailleurs siégé conjointement les 17 et 18 janvier 2002 et ont traité de cette question. À cette époque, le gouvernement canadien qualifie la question d’hypothétique, étant donné qu’il n’y pas eu de capture de prisonniers par les troupes canadiennes. Les porte-parole du gouvernement, le Ministre de la défense et celui des Affaires étrangères en tête, affirmaient avoir eu l’assurance que les Américains respectaient la Convention de Genève. Le débat sur cette question a pris une importance encore plus grande alors que des dissensions sont apparues au sein même du gouvernement américain. Le 28 janvier 2002, en soirée, au cours d’un débat exploratoire en Chambre portant sur l’envoi de troupes en Afghanistan, le ministre de la défense a été questionné à plusieurs reprises sur le statut des prisonniers. À toutes les questions posées, il a répondu au futur, comme si la capture de prisonniers par des soldats canadiens était un événement hypothétique et non réel, comme il le savait depuis le 21 janvier. Le contexte peut apparaître l’élément de motivation qui a fait en sorte que le ministre n’ait pas rendu publique l’information. Toutefois, le mandat du présent comité n’est pas de faire la preuve des motivations du Ministre, mais de savoir s’il a induit la Chambre en erreur.

On nous a également mentionné à plusieurs reprises que le Ministre de la défense était le seul civil à faire partie de la chaîne de commandement. Pourtant, comme nous l’avons mentionné plus haut, le sous-ministre de la défense M. Judd a été mis au courant de la capture de prisonniers le 22 janvier. Le témoignage écrit du Commodore Thiffault nous mentionnait également que l’attachée du Ministère des Affaires étrangères au centre de commandement de Tampa Bay, Madame Wendy Gilmour, était au courant de la capture de prisonniers le 25 janvier. Étrangement, ce témoignage écrit, à partir de questions envoyées une semaine à l’avance, a été modifié deux jours après avoir été reçu au Comité, le lendemain de la comparution du greffier du Conseil privé, Monsieur Mel Cappe.

À cet effet, nous ne pouvons également passer sous silence le témoignage du greffier du Conseil Privé, M. Mel Cappe. Selon le témoignage du Ministre de la défense, son adjoint exécutif, M. Young l’informe du fait que la question des prisonniers afghans sera à l’ordre du jour de la réunion du Cabinet du 29 janvier. Mentionnons malheureusement que la majorité gouvernementale au comité a refusé d’entendre M. Young comme témoin. Le sous-ministre de la défense quant à lui mentionne que c’est le Conseil privé qui établit les ordres du jour des réunions du cabinet. Or, selon M. Cappe, il a appris la capture de prisonniers le 29 janvier en même temps que le Premier ministre. Il nous apparaît improbable que le fonctionnaire principal de l’appareil gouvernemental ignore totalement le contenu des sujets à l’ordre du jour des réunions du Cabinet. Dans le cas qui nous concerne, le greffier a affirmé ignorer le fait que le Ministre allait traiter de la question des prisonniers fait par les troupes canadiennes en Afghanistan. Une telle affirmation est-elle plausible et crédible?

 

Pierre Brien
Whip en Chef du Bloc Québécois
Député de Témiscamingue

Michel Guimond
Whip-adjoint du Bloc Québécois
Député de Beauport—Montmorency
Côte de Beaupré—Île d’Orléans