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NDVA Rapport du Comité

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CHAPITRE 2 : LES LIMITES DE LA POLITIQUE ACTUELLE

A.     Le Livre blanc sur la défense de 1994

Le Livre blanc sur la défense de 1994 constitue encore la politique officielle du gouvernement. Pourtant, certaines instances, notamment en hauts lieux, ont signalé qu’il était temps de revoir certains des postulats sur lesquels repose cette politique. Le Comité est très favorable à une telle initiative et ferait tout en son pouvoir pour en assurer le succès. Le Livre blanc de 1994 constituait en fait la réponse du gouvernement à un rapport du Comité mixte spécial sur la politique de défense du Canada (1994). Cet examen du Comité mixte spécial était l’une de trois grandes études politiques réalisées dans la foulée de la victoire électorale des Libéraux en 1993, les deux autres visant la politique étrangère et la politique sociale.

Le rapport du Comité mixte spécial — intitulé La sécurité dans un monde en évolution — était exhaustif, sans toutefois sortir des sentiers battus. Sans froisser la doctrine ministérielle, il préconisait un ajout de 3 500 personnes à l’effectif de la Force terrestre régulière. Cette augmentation était recommandée en raison de l’accroissement des fonctions de maintien de la paix des Forces canadiennes. Tout en réclamant une réduction de 25 % des ressources consacrées aux avions de chasse et en reconnaissant le besoin de « responsabilité financière », le rapport militait en faveur du maintien de forces armées polyvalentes et aptes au combat. Il a également conclu qu’il fallait améliorer le transport aérien et maritime afin d’appuyer l’activité accrue des Forces canadiennes à l’étranger. Enfin, le Comité a aussi recommandé que les unités des quartiers généraux soient réduites du tiers et que l’effectif des quartiers généraux soit réduit de la moitié.

Dans le Livre blanc, le gouvernement s’était engagé à accroître la force de campagne de l’armée de terre de 3 000 soldats, sans toutefois recruter à l’extérieur. De plus, l’ensemble de la force devait être ramené à 60 000 membres. Le Comité mixte spécial avait pourtant déclaré que 66 700 soldats étaient le minimum nécessaire pour que les Forces canadiennes jouent un rôle véritable au Canada et à l’étranger. Comme il voulait ajouter 3 500 personnes à la Force terrestre, le Comité considérait donc qu’un effectif approprié devait s’élever à quelque 70 000 personnes.

Le Livre blanc a réduit de 25 % les dépenses au titre de la force de chasse et a supprimé le tiers des ressources servant aux fonctions des quartiers généraux. D’un point de vue militaire, cela signifie que les FC devraient fournir ce qui suit dans les déploiements multinationaux, dans le cadre de l’OTAN, de l’ONU ou d’une coalition de pays aux vues similaires :

 être en mesure de déployer, ou de redéployer à partir d’autres théâtres d’opérations multilatérales, un quartier général de forces opérationnelles interarmées, ainsi que, séparément ou ensemble, un ou plusieurs des éléments suivants :
  -un groupe opérationnel naval, composé d’un maximum de quatre combattants (destroyers, frégates ou sous-marins) et d’un navire de soutien, et doté d’un appui aéronaval approprié;
  -trois groupements tactiques distincts ou un groupe-brigade (formé de trois bataillons d’infanterie, d’un régiment blindé et d’un régiment d’artillerie, et doté de l’appui au combat et du soutien logistique appropriés);
  -une escadre de chasseurs avec soutien approprié;
  -un escadron d’aéronefs de transports tactiques;
  -pouvoir fournir dans un délai de trois semaines, des éléments individuels ou les éléments d’avant-garde de cette force et les soutenir aussi longtemps que cela est nécessaire dans un contexte de menace réduite;
  -dans un délai de trois mois, le reste des éléments de la force d’intervention;
 affecter un groupe bataillon d’infanterie soit en réserve de l’ONU, soit au service de la force de réaction immédiate de l’OTAN;
 disposer de plans de mises en œuvre de mesures visant à accroître la capacité des Forces canadiennes de tenir leurs engagements existants ou de faire face à une crise grave.

B.     Critiques

Le Livre blanc de 1994 était généralement considéré comme une réponse « modérée », quoique assez statique, à l’évolution de l’environnement stratégique à l’époque. Les réductions étaient inévitables, et le Canada n’était pas le seul pays à en faire. Cependant, beaucoup ont affirmé que le Canada avait voulu récolter les dividendes de la paix bien avant la fin de la guerre froide.

Le gouvernement avait à peine produit sa nouvelle politique que les questions se sont mises à fuser pour savoir si même l’engagement minime consenti était viable. Est‑ce qu’un si petit budget pouvait soutenir une force de combat moderne polyvalente, une force équipée et entraînée pour « se battre aux côtés des meilleurs, contre les meilleurs »?

Très rapidement, un consensus s’est dégagé à l’effet que les Forces canadiennes ne pouvaient plus survivre et poursuivre leur mission sans une importante injection de fonds. Entre 1993 et 1998, le budget de la défense a diminué de 23 %, et le pouvoir d’achat réel du ministère de la Défense nationale a chuté de plus de 30 %. En 1998, le vérificateur général (VG) a déclaré qu’il fallait verser entre 5 et 6 milliards de dollars de plus dans le compte capital au cours des cinq à dix prochaines années pour remplacer l’équipement complètement usé. En 2000, le VG a évalué à 750 millions de dollars le déficit annuel du budget opérations et maintenance du MDN. En 2001, le VG a révisé ce montant à la hausse, le portant à 1,3 milliard de dollars.

L’augmentation est conforme aux conclusions d’études récentes réalisées par la Conférence des associations de la défense (CAD), dont Coincé entre les deux : Une évaluation de la capacité opérationnelle des Forces canadiennes. De 1999 à 2006, le gouvernement aura augmenté le financement du MDN de 5,1 milliards de dollars. Cependant, sur ce total, seulement 750 millions de dollars serviront à augmenter la base budgétaire, ce qui est loin d’être assez pour combler les manques à gagner dans les comptes capital et opérations et maintenance. Les études de la CAD montrent aussi qu’entre 2 et 3 milliards de dollars du budget annuel total de quelque 12 milliards de dollars du MDN ne servent pas aux capacités militaires, puisque cette somme est engagée en vue d’objectifs comme le secours aux sinistrés dans les provinces, les cotisations aux régimes de retraite, les paiements de transfert, l’assurance-emploi, et ainsi de suite. Cet argent engagé automatiquement n’ajoute rien à notre puissance militaire et vient gonfler un budget qui est en fait très limité.

Le Council for Canadian Security in the 21st Century (Conseil pour la sécurité des Canadiens au XXIe siècle) a aussi soulevé des préoccupations concernant le manque de fonds et le vieillissement accéléré de l’équipement. Dans son rapport de 2001, intitulé Pour assurer la sécurité d’une nation, le Conseil a recommandé l’accroissement du budget de la défense le plus rapidement possible. Cette année, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a déposé son rapport intitulé L’état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense, dans lequel il réclame une injection immédiate de 4 milliards de dollars dans le budget de la défense.

Ceux qui prennent le temps d’étudier l’état des Forces canadiennes en viennent invariablement aux mêmes conclusions :

 les niveaux actuels de financement ne permettent pas de respecter les exigences du Livre blanc de 1994;
 le rythme opérationnel accru dans l’après-guerre froide exerce trop de pressions sur les FC;
 si aucune mesure n’est prise, les FC feront bientôt face à une crise, si ce n’est pas déjà le cas.

Nous en sommes maintenant rendus au point où nous devons soit accroître le financement, soit restructurer en profondeur les FC. Ou alors, nous devrons simplement décider de limiter les engagements futurs. Cependant, il ne sera peut-être pas facile de limiter les engagements dans le but de réaliser des économies. Étant donné notre penchant pour le multilatéralisme, l’accent mis actuellement sur l’Afrique et nos responsabilités en tant qu’alliés, les FC seront très probablement appelées à en faire plus, et non moins. Selon le Comité, les principes généraux qui sous-tendaient le Livre blanc restent judicieux. L’énoncé de politique de 1994 signalait trois grandes missions pour les FC :

 la protection du Canada,
 la coopération canado-américaine en matière de défense,
 les contributions à la sécurité internationale.

Ces tâches ne sont pas seulement raisonnables, elles sont essentielles. Ce qui pourrait parfois changer est l’importance que nous accordons à chacune. Il y a évidemment une hiérarchie dans l’attribution des missions, et la défense du territoire interne prendra certainement une importance croissante dans le cadre des deux premières. Parallèlement, nos contributions au chapitre de la sécurité internationale deviennent beaucoup plus coûteuses qu’au moment de la rédaction du Livre blanc. Les choix que nous effectuerons à l’égard de ces tâches auront nécessairement une incidence sur la structure de nos forces.

En tant que nation, nous pouvons choisir la somme d’effort et d’argent que nous sommes prêts à contribuer à la sécurité étrangère, mais nous ne pouvons pas choisir l’environnement dans lequel nous souhaitons évoluer à cet égard. Rares sont ceux qui diront que le monde est un endroit plus sûr qu’il y a dix ans. L’environnement devient plus complexe et exigera peut-être davantage des FC qu’elles ne sont capables de donner à l’heure actuelle. La force militaire canadienne étant de petite ampleur, nous devons veiller à ce que sa structure soit hautement productive sur le plan stratégique. Nous avons toujours combattu aux côtés d’alliés, ce qui ne changera probablement pas. Par contre, il importe que les Forces canadiennes fassent leur marque quand elles sont déployées et que l’on reconnaisse leur apport.

Pour être un participant réel, il faut une force équilibrée, bien équipée et apte au combat, qui peut être déployée rapidement et qui est interopérable avec ses principaux alliés. Les membres du Comité sont convaincus, et ne sauraient trop insister sur le fait, que nous ne finançons pas suffisamment cet engagement. Les Forces canadiennes ont besoin de pouvoir compter sur un financement stable et prévisible. Nous recommandons donc :

RECOMMANDATION 1

Que le gouvernement augmente le budget de base annuel du ministère de la Défense nationale pour qu’il atteigne entre 1,5 et 1,6 % du PIB, augmentation qui sera appliquée graduellement au cours des trois prochaines années, et qu’il continue de se rapprocher de la moyenne de l’OTAN.

De tels niveaux de financement permettront aux Forces canadiennes de récupérer et de planifier l’avenir avec confiance. S’il est vrai que notre PIB peut fluctuer, il reste qu’une telle garantie de financement offrira à la planification une prévisibilité bien meilleure qu’elle ne l’a été jusqu’à maintenant.

De plus, en regardant les dépenses moyennes en pourcentage du PIB, on constate que le dernier tiers des pays membres de l’OTAN y consacre en moyenne 1,3 % du PIB, alors que les pays des deux premiers tiers y consacrent en moyenne 2,6 %. Le Comité estime qu’il est raisonnable de croire que les Canadiens ne sont pas très fiers de languir dans le dernier tiers. Or, à l’heure actuelle, le Canada consacre 1,1 % de son PIB à la défense. Le Comité tient par contre à souligner qu’il est d’accord avec les déclarations du ministre de la Défense, Art Eggleton, à l’effet que cet investissement nous offre un excellent rendement. Les Canadiens obtiennent probablement plus pour l’argent consacré à la défense que tout autre pays de l’OTAN, sans doute en grande partie en raison de l’expérience et du dévouement de notre personnel militaire.

Les mesures qui précèdent permettraient au MDN de planifier à long terme, mais il reste le problème du « rattrapage ». Nous recommandons donc :

RECOMMANDATION 2

Que, pour permettre au MDN d’acheter les biens d’équipement nécessaires en temps opportun, on comble aussitôt que possible les manques à gagner annuels constatés par le vérificateur général.

Le Comité souligne également que, tout en jugeant le rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense perspicace et extrêmement utile, il hésite à recommander une injection immédiate de 4 milliards dans le budget de la défense, car il n’est pas convaincu que le ministère de la Défense nationale pourrait absorber efficacement une augmentation immédiate d’une telle ampleur.

C.     Le lien entre la politique étrangère et la politique de défense

Il faut parfois des années pour corriger de graves erreurs en politique de défense, et l’injection soudaine d’importants montants, en l’absence d’une politique étrangère et d’un examen de la défense, pourrait s’avérer prématurée, sinon irresponsable. Quand il s’agit de planification de la défense, il convient de toujours agir avec une hâte prudente. La politique étrangère et la politique de défense, bien qu’elles soient nécessairement liées, sont de nature extrêmement différente. La politique étrangère guide les affaires extérieures de l’État et, parce qu’elle est par nature une activité d’ordre élevé ou du premier ordre, elle oriente aussi une foule de moyens d’action. La politique de défense, qui est par sa nature même guidée en grande partie par la politique étrangère, est à caractère déclaratoire.

Un autre élément à garder présent à l’esprit, et qui est souvent oublié, est qu’il est très facile de changer la politique étrangère, que ce soit en modifiant le fond ou en déplaçant l’accent. C’est ainsi que l’arrivée d’un nouveau ministre ou d’un nouveau gouvernement, ou une modification dans les intérêts nationaux ou la demande intérieure peuvent entraîner un changement à ce chapitre. Par contre, pour modifier en profondeur notre Force maritime ou aérienne, il faudra compter plusieurs années, surtout si cela nécessite l’acquisition de nouvel équipement. Par conséquent, une erreur grave en matière de politique de défense est difficilement réparable.

La politique étrangère dispose de tout un éventail de moyens, dont l’un est les FC. Quand elles sont appelées à le faire, les Forces canadiennes peuvent aider à promouvoir les objectifs de la politique étrangère et de l’intérêt national en influant sur le comportement des autres selon les moyens que privilégie le Canada. Elles aident ainsi à la diffusion et à l’expression des valeurs canadiennes à l’étranger.

Par conséquent, la structure de nos forces militaires doit bien tenir compte de la nature et de la portée des objectifs de la politique étrangère. Et les planificateurs de la politique étrangère, quand ils envisagent des changements, devraient regarder derrière eux pour s’assurer que nos forces sont capables de suivre et sont équipées en conséquence.

Une politique étrangère ambitieuse et active doit notamment compter sur un effectif militaire approprié. Et s’il y a une chose que le Comité a appris au fil des ans, c’est que nous ne pouvons pas nous permettre de sacrifier les hommes et les femmes des forces armées sur l’hôtel d’objectifs ou d’entreprises de politique étrangère trop ambitieux. Si les engagements en politique étrangère dépassent nos moyens militaires, les conséquences peuvent être désastreuses.

L’examen de la défense doit être réalisé judicieusement. Il est beaucoup plus difficile de nos jours d’énoncer une politique de défense que ce ne l’était en 1994, et il est donc beaucoup plus facile de se tromper. Un examen approprié devra être transparent et exhaustif et donner voix aux opinions et aux préoccupations de la population. Il doit aussi se fonder sur une bonne compréhension des objectifs de la politique étrangère que serviront les FC. Nous recommandons donc :

RECOMMANDATION 3

Que tout examen de la politique de défense réalisé à l’avenir bénéficie d’un apport parlementaire et public considérable.

Ainsi que déjà souligné, un examen de la défense n’aura pas à transcender tout ce qui existe. Bien qu’il y ait des questions fondamentales à étudier, il se peut qu’un examen se résume finalement à une vérification, pour s’assurer que nous sommes toujours sur la bonne voie. Par contre, en l’absence d’examen, on continuera à prendre des décisions réactionnelles à la pièce, ce qui signifie que les grandes questions resteront sans réponse et que l’institution commencera à sombrer. Si l’institution perd son sens de direction, les unités individuelles n’auront plus de but précis et finalement, les individus commenceront à remettre en question ce qu’ils font. En fait, les FC ne peuvent pas justifier elles-mêmes leur raison d’être.

Les gouvernements adoptent des politiques pour assurer la stabilité, particulièrement quand ils font face à un environnement qui change rapidement. L’examen de la défense devra donc attendre que la politique étrangère soit bien établie, puisqu’il faut une cohérence entre cette dernière et la politique de défense. Une mauvaise compréhension de ce qui se passe dans la communauté internationale et des répercussions donnera probablement naissance à une politique de défense mal avisée. Mais, finalement, l’orientation que prendra la politique de défense reste une décision politique.

D.     Renseignement

Un des principaux outils dans la lutte contre les menaces asymétriques est un renseignement sûr, fourni à point nommé. Ce genre d’information peut aider à neutraliser des menaces avant qu’elles ne se concrétisent, permettant de sauver un nombre incalculable de vies. Plusieurs témoins ont déclaré qu’il pourrait être utile pour le Canada d’établir son propre organisme de collecte de renseignement extérieur ou, du moins, d’accroître considérablement ses moyens actuels d’évaluer le renseignement11.

Si l’on envisage d’accroître les services de renseignement, il importe de remarquer qu’il serait futile de se contenter d’augmenter les moyens de collecte de données. Il faut parallèlement « une capacité réelle et de haute qualité d’évaluation » et d’analyse12, car c’est la justesse de l’analyse qui persuadera l’utilisateur, du moins l’espère-t-on. Sans analyse, l’information recueillie reste un véritable fouillis13.

Les produits de renseignement proviennent souvent de sources de données ouvertes (communiqués de presse, journaux, Internet, publications techniques, etc.), de même que de sources secrètes, de l’imagerie par satellite, de l’analyse des transmissions et d’ailleurs. Tout en reconnaissant l’importance de l’information de bonne qualité, on peut se demander pourquoi il faut accroître nos moyens alors que nous jouissons déjà d’ententes exhaustives de partage de renseignements avec les États-Unis et d’autres alliés. Or, Anthony Forster souligne les faits suivants :

 Au Canada, les décisions touchant les politiques sont prises en partie après évaluation de données provenant de sources autres que canadiennes. Or, la nature même des ententes fait que les données et les évaluations envoyées au Canada seront presque certainement influencées par les préoccupations politiques du pays fournissant l’information.
 L’accroissement de la capacité de collecte du renseignement pourrait décupler la puissance d’une force militaire actuellement à court de fonds.
 À l’ère de l’information, alors que se resserrent les liens nous unissant à d’autres nations en matière de défense, d’économie et de culture, l’absence d’un organisme solide et bien organisé de collecte et d’analyse de renseignement extérieur ouvre la porte à des erreurs de politique étrangère, ou pire encore.
 Le milieu du renseignement au Canada est composé à l’heure actuelle d’éléments épars relevant de divers ministères, et a grand besoin de direction et de coordination de la part des cadres supérieurs.
 Étant donné la multiplicité des nouveaux dangers (par opposition à une seule menace nationale comme dans le temps de la guerre froide) et le nombre d’organismes ayant chacun leurs besoins propres en matière de renseignement provenant de l’extérieur du Canada, il faut absolument apporter des modifications et mettre l’accent sur les menaces internationales14.

Cependant, avant de pouvoir effectuer une réforme du milieu du renseignement, le gouvernement doit étudier attentivement ses objectifs en matière de politique étrangère et ses préoccupations dans le domaine de la défense. Ses conclusions seront extrêmement utiles dans l’établissement de priorités en vue de l’organisme ou des divers services qui seront à privilégier15. La mise en garde servie récemment par le vice-premier ministre, M. John Manley, soit que la création d’un nouvel organisme est une mesure qu’on ne saurait précipiter et qu’il s’agit-là d’une immense question qui mérite mûre réflexion et une étude attentive, va d’ailleurs dans le même sens16.

L’objectif d’un service de collecte et d’évaluation de renseignement extérieur est de pouvoir présenter des produits du renseignement de toutes sources qui sont exacts et objectifs et fournis à point nommé afin d’aider le Cabinet et le premier ministre à formuler les politiques nationales et internationales. Le Canada effectue déjà de la collecte de renseignement extérieur. Le Centre de sécurité des télécommunications (CST), le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ainsi que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) et le renseignement militaire remplissent tous cette fonction à divers degrés.

En matière de collecte de renseignements, il importe de toujours garder présent à l’esprit la différence entre le « renseignement de sécurité » et le « renseignement extérieur ». Selon la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, le renseignement de sécurité vise les « menaces envers la sécurité du Canada ». D’après la Loi, ces menaces comprennent :

 l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;
 les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;
 les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menace de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique au Canada ou dans un État étranger;
 les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) est autorisé à recueillir de l’information de sécurité au Canada et à l’étranger, mais cette information doit être directement reliée aux menaces décrites ci-dessus.

Le renseignement extérieur diffère du renseignement de sécurité en ce qu’il vise l’information sur les intentions et les activités de gouvernements et d’individus étrangers ou d’autres intérêts non étatiques. L’information recherchée peut toucher une foule de questions de nature économique, militaire, criminelle, technologique ou politique. En dernière analyse, le renseignement extérieur englobe tout ce que le gouvernement canadien estime concerner l’intérêt national.

Ainsi que déjà souligné, le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) et le SCRS font déjà dans une certaine mesure la collecte de renseignement extérieur. Le CST pourrait, au moyen de ses activités d’écoute électronique, cibler des particuliers ou des délégations possédant de l’information économique ou politique échappant au mandat du SCRS. Ce dernier peut en effet recueillir de l’information auprès d’organismes de sécurité amis, avec lesquels il a conclu des ententes d’échange, ou auprès de sources humaines. Cependant, aucun des deux organismes ne peut cibler des particuliers ou des organismes étrangers afin de recueillir des renseignements extérieurs.

Certains affirment que nous sommes capables de récolter suffisamment d’information à partir des « sources ouvertes » pour répondre à nos besoins de renseignement extérieur. D’ailleurs, la grande majorité des renseignements et des données qu’utilisent les décideurs des gouvernements proviennent de sources ouvertes. Le renseignement représente peut-être, en pourcentage, une petite valeur ajoutée. Cependant, son importance peut être cruciale quand il s’agit de confirmer ou de rejeter des analyses fondées uniquement sur des sources ouvertes. Par conséquent, les activités de renseignement clandestines peuvent être d’une valeur inestimable en raison de leur nature critique et de la rapidité de leur production. Par conséquent, les activités de renseignement clandestines et auprès de sources ouvertes doivent de préférence être considérées complémentaires.

Dans notre monde de plus en plus ouvert et complexe, les gouvernements ont besoin de renseignements sûrs. Il serait insensé de croire que les sources ouvertes peuvent fournir toute l’information nécessaire pour prendre des décisions de façon éclairée. Il faut un renseignement national efficace pour le déploiement des Forces canadiennes dans les zones de conflits outre-mer. Aussi bien en Somalie, en 1993, qu’au Zaïre, en 1996, le renseignement préalable aux déploiements était probablement insuffisant. C’est pourquoi la question suivante s’impose : « Pourquoi le Canada est‑il le seul pays du G‑8 dépourvu d’organisme de renseignement extérieur? ».

Notre rôle international comme gardien et artisan de la paix, notre lutte contre la criminalité et le terrorisme internationaux et notre désir d’une politique étrangère indépendante — qui saura représenter les intérêts nationaux du Canada — sont autant d’éléments qui soulignent la nécessité d’un organisme canadien de renseignement extérieur. La prise de décision indépendante doit se fonder sur une base indépendante, laquelle indépendance est impossible si la majorité de notre renseignement extérieur est fournie par des tiers, même si ces tiers sont nos plus proches alliés. En effet, nos plus proches alliés militaires sont aussi nos principaux concurrents sur la scène économique. Or, le renseignement économique est de plus en plus important, et l’absence d’un organisme de renseignement extérieur nous laisse particulièrement défavorisé à ce chapitre.

Si nous souhaitons améliorer nos moyens de collecte de renseignement extérieur, nous voudrons peut-être envisager la création d’un organisme à cet effet. En 1981, la Commission royale Macdonald sur les activités des services de sécurité de la GRC a proposé la création d’un tel organisme, sans toutefois faire de recommandation officielle, puisque la question ne relevait pas de son mandat.

La Commission avait conclu que l’absence d’un tel organisme laissait le Canada dans une situation de dépendance considérable par rapport à ses alliés. Par ailleurs, il a également été souligné que le renseignement de sécurité et le renseignement extérieur ne devaient pas relever d’une même entité. S’il est vrai qu’un organisme de renseignement de sécurité doit respecter la loi, il reste qu’un organisme de renseignement extérieur a besoin d’une plus grande souplesse.  Pour obtenir de l’information sur des questions comme le terrorisme, les enjeux économiques, la prolifération d’armes de destruction massive, l’immigration illégale, etc., il faut pouvoir compter sur une combinaison de renseignement électromagnétique (SIGINT) et de renseignement humain (HUMINT) — le renseignement au sol. Or, c’est seulement en possédant notre propre organisme de renseignement international que nous disposerons d’une source objective pour ce dernier type de renseignement.

Si nous continuons de nous fier principalement au CST et au SCRS pour notre cueillette de renseignement, notre capacité de réagir aux nouvelles menaces et de protéger nos intérêts nationaux vitaux restera limitée. Les gouvernements qui se heurtent à des questions de sécurité internationale et dont l’économie est fondée principalement sur le commerce ont besoin d’un service indépendant de renseignement extérieur. Il nous faut accroître notre capacité à cet égard afin de faire face à ces questions. L’importance d’un renseignement sûr ne peut être surestimée. Nous avons su, après les événements du 11 septembre, que la tragédie aurait pu être évitée si ce n’avait été de la défaillance du renseignement, défaillance du renseignement au sol.

La collecte de renseignement extérieur n’était pas un des points importants de l’étude du Comité, mais les témoignages entendus ont permis de conclure que ce type de renseignement prend une importance croissante. En tant que nation souveraine, nous avons besoin de pouvoir évaluer le renseignement de façon indépendante. La coopération avec nos alliés est essentielle et productive, mais il serait téméraire de croire que nos alliés voient toujours les choses du même œil que nous ou que leurs intérêts sont toujours compatibles avec les nôtres.

Étant donné les réalités de l’environnement stratégique post-guerre froide et la nécessité pour le Canada d’avoir un service indépendant de collecte de renseignement extérieur, nous recommandons donc :

RECOMMANDATION 4

Que le gouvernement examine l’actuelle structure de sécurité et de renseignement afin de déterminer si le renseignement extérieur et le renseignement de sources ouvertes sont efficacement coordonnés et afin de déterminer s’il faut ou non créer un organisme indépendant de renseignement extérieur de façon à bien servir les intérêts nationaux vitaux du Canada.



11Anthony Forster, A Question of Intelligence: Foreign Intelligence Gathering and Analysis, and the Canadian Government, document de travail fourni au personnel du Comité.
12David Charters, Délibérations, 1er novembre 2001.
13John Thompson, directeur, Mackenzie Institute, Délibérations, 25 octobre 2001.
14Forster, A Question of Intelligence
15Ibid.
16National Post, 11 avril 2002.