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SNUD Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 18 février 2002




¿ 0915
V         La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.))

¿ 0920
V         Mme Patricia Erickson (scientifique principale, Centre de toxicomanie et de santé mentale)
V         La présidente
V         Mme Patricia Erickson
V         

¿ 0925
V         

¿ 0930
V         La présidente
V         M. Alan Young (professeur agrégé, Osgoode Hall Law School)
V         

¿ 0935
V         

¿ 0940
V         La présidente
V         Mme Diane Riley (Fondation canadienne pour une politique sur les drogues et du Réseau pour la réduction des méfaits)
V         

¿ 0945
V         

¿ 0950
V         

¿ 0955
V         La présidente
V         M. Robert Remis (professeur agrégé, Département des sciences de la santé publique, Université de Toronto)
V         

À 1000
V         

À 1005
V         La présidente
V         Mme Peggy Millson (département des sciences de santé publique, Université de Toronto)
V         La présidente
V          Mme Peggy Millson
V         

À 1010
V         

À 1015
V         La présidente
V         

À 1020
V         M. White (Langley--Abbotsford)
V         Mme Patricia Erickson
V         M. Randy White
V         Mme Diane Riley
V         

À 1025
V         M. Randy White
V         Mme Diane Riley
V         M. White (Langley--Abbotsford)

À 1030
V         La présidente
V         M. Randy White
V         M. Alan Young
V         La présidente
V         Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD)
V         Mme Davies

À 1035
V         
V         La présidente
V         M. Alan Young
V         Mme Patricia Erickson
V         La présidente
V         Mme Diane Riley

À 1045
V         La présidente
V         Mme Peggy Millson
V         La présidente
V         M. Robert Remis
V         La présidente
V         Ms. Davies
V         La présidente
V         M. Lee
V         M. Alan Young
V         M. Lee
V         

À 1050
V         Mme Patricia Erickson
V         La présidente
V         Mme Diane Riley
V         

À 1055
V         La présidente
V         M. Robert Remis

Á 1100
V         
V         La présidente
V         M. Robert Remis
V         La présidente
V         Mme Patricia Erickson
V         La présidente
V         M. Alan Young
V         La présidente
V         Mme Diane Riley

Á 1105
V         
V         La présidente
V         La présidente

Á 1115
V         Mme Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.)
V         

Á 1120
V         M. Robert Remis
V         La présidente
V         M. Robert Remis
V         La présidente
V         M. Robert Remis
V         La présidente
V         Mme Peggy Millson
V         

Á 1125
V         La présidente
V         M. Alan Young
V         Mme Davies
V         M. Alan Young
V         Mme Davies
V         M. Alan Young
V         Mme Libby Davies
V         M. Alan Young
V         Mme Diane Riley

Á 1130
V         La présidente
V         Mme Patricia Erickson

Á 1135
V         
V         La présidente
V         M. Robert Remis
V         La présidente
V         Mme Peggy Millson
V         

Á 1140
V         La présidente
V         M. Alan Young
V         La présidente
V         Mme Diane Riley
V         La présidente
V         Mme Diane Riley
V         

Á 1145
V         La présidente
V         M. Randy White

Á 1150
V         
V         La présidente
V         M. Robert Remis
V         La présidente
V         Mme Patricia Erickson
V         La présidente
V         Mme Diane Riley
V         
V         La présidente
V         Mme Libby Davies
V         La présidente
V         M. Robert Remis
V         La présidente
V         M. Alan Young

Á 1155
V         

 1200
V         La présidente
V         Mme Diane Riley
V         La présidente
V         M. Lee
V         La présidente

 1205
V         Mme Diane Riley
V         La présidente
V         M. Alan Young
V         La présidente
V         M. Alan Young
V         La présidente
V         Mme Hedy Fry










CANADA

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


NUMÉRO 022 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 18 février 2002

[Enregistrement électronique]

¿  +(0915)  

[Traduction]

+

    La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): La séance est ouverte. Nous sommes le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou de médicaments. Notre comité a été créé en mai 2001 pour examiner les facteurs sous-jacents ou parallèles à la consommation non médicale de drogues ou de médicaments au Canada, et pour présenter des recommandations visant à réduire l'ampleur du problème. Depuis le rapport de la vérificatrice générale de décembre, qui renforçait l'idée qu'il fallait faire quelque chose au Canada, nous avons aussi accueilli à Ottawa des témoins de tout le pays, et nous en avons rencontré sur le terrain, à Vancouver, ce qui a permis de voir d'autres dimensions intéressantes de notre travail.

    Nous sommes ici, à Toronto, jusqu'à jeudi, et dans la grande région de Toronto, y compris à Burlington, mercredi, et le même jour aussi, près de la frontière, à Niagara Falls.

    Ce matin, des députés de trois partis sont présents. Comme témoins, nous accueillons, du Centre de toxicomanie et de santé mentale, Mme Patricia Erickson, scientifique principale; de l'Université York, M. Alan Young, professeur agrégé de l'école de droit; de la Fondation canadienne pour une politique sur les drogues et du Réseau pour la réduction des méfaits, Mme Diane Riley; et de l'Université de Toronto, M. Robert Remis, professeur agrégé, et Mme Peggy Millson.

    Je suis convaincue que notre merveilleuse greffière et nos attachés de recherche vous ont informés, mais précisons que nous nous attendons à cinq ou dix minutes d'exposé, avant de passer aux questions et réponses. Je tiens compte du temps et après environ neuf minutes, je vous ferai signe avec un doigt, pour que vous sachiez qu'il est temps de conclure.

    À moins que vous vous soyez entendus autrement, nous allons commencer avec Mme Patricia Erickson. Bienvenue.

¿  +-(0920)  

+-

    Mme Patricia Erickson (scientifique principale, Centre de toxicomanie et de santé mentale): Merci.

+-

    La présidente: Je vous signale aussi que nous avons des services d'interprétation en anglais et en français et que notre personnel allumera votre micro, de manière que vous n'ayez pas à le faire vous-même.

+-

    Mme Patricia Erickson: Merci. Je suis ravie d'être ici et de cette occasion de parler à ce comité important d'une question dépourvue de partisanerie, au Canada.

    Près de trente ans se sont écoulés depuis que je suis allée à la Fondation de la recherche sur la toxicomanie, comme on l'appelait à l'époque, dans la foulée de la Commission Le Dain. Depuis, on a vu des changements dans la législation sur les drogues, des discussions à ce sujet, des changements dans la composition des groupes qui étudient ces lois, mais en pensant à mon exposé d'aujourd'hui, je trouvais un peu déprimant de constater que les choses n'avaient pas beaucoup changé, depuis mes débuts à la Fondation, en 1973.

    Pendant cette période, j'ai eu la chance de faire des recherches sur la consommation de drogues illicites au Canada, en me concentrant particulièrement sur les impressions des utilisateurs de drogues au sujet des lois et de leur incidence. Des ouvrages en ont résulté, notamment Cannabis Criminals, l'une des rares études à porter sur les consommateurs de drogue qui sont passés devant les tribunaux. J'ai aussi réalisé diverses études sur les cocaïnomanes, qu'ils soient de la classe moyenne ou qu'ils vivent dans la rue, en consommant du crack.

    En cinq ou six minutes, je ne peux pas en dire beaucoup. J'ai hâte de répondre à vos questions, pour savoir ce qui intéresse particulièrement le comité.

+-

     J'aimerais vous présenter les trois ou quatre principales conclusions de ce travail de recherche scientifique, que ce soit le mien ou celui de mes collèges de partout dans le monde.

    Pour commencer, je crois que j'aurais dû insister sur l'effet peu dissuasif des lois pénales sur les consommateurs de drogues. De nombreuses études, qu'elles portent sur des consommateurs, des non-consommateurs ou des consommateurs de divers niveaux, permettent de constater que la loi est bien loin de leur esprit, et la perception d'une très faible possibilité de sanctions signifie que la loi a peu d'effet sur la décision de consommer des drogues ou de continuer d'en consommer.

    Quand on y pense, ce n'est pas étonnant, puisque la consommation de drogues est une activité qu'on fait de son plein gré la plupart du temps, en secret, entre personnes consentantes qui ne vont pas appeler la police pour dénoncer cette activité. Il est très difficile d'obtenir un effet dissuasif quand on ne peut s'attendre à des plaintes. Il est difficile d'obtenir des résultats, quand les valeurs au sujet de cette activité sont loin de faire consensus, et quand, depuis trente ans que je suis dans le domaine, de plus en plus de personnes se demandent si la consommation de drogues est une activité très répréhensible. On peut ne pas vouloir soi-même consommer de drogues, mais avec le temps, beaucoup de gens, dans le grand public, sont devenus plus hésitants à approuver le recours au droit pénal contre les consommateurs de drogues.

    Deuxièmement, pendant ces mêmes décennies, la drogue a été très facile à obtenir au Canada. Les corps policiers l'ont confirmé dans leurs rapports annuels. Les consommateurs confirment qu'ils peuvent obtenir très facilement de la drogue, s'ils en veulent. Ceux qui n'en consomment pas peuvent habituellement trouver parmi leur réseau d'amis quelqu'un qui leur en procurera, s'ils en veulent. J'ai moi-même des adolescents et cette question m'a intéressée de près, vous pouvez l'imaginer, pendant les vingt à trente dernières années, et j'ai bien dû en discuter avec eux.

    Il est très clair que si nos politiques initiales sévères étaient destinées à protéger la jeunesse, elles ont échoué. De bien des façons, je dirais qu'elles ont aggravé le problème, en marginalisant les consommateurs adolescents, en les faisant se sentir à part des autres, ou délinquants. Les drogues étaient tout aussi disponibles, mais je pense que ces mesures nous ont empêchés de trouver de bons moyens de leur faire prendre des décisions saines, comme de ne pas prendre de drogues, ou d'attendre à plus tard, ou de s'en tenir loin. Nos lois pénales n'ont pas du tout protéger la jeunesse, je le crains.

    J'ai aussi observé, au cours des trente dernières années, que nos lois ont eu peu d'effet sur la disponibilité des drogues. Bien entendu, il est difficile d'étudier l'activité du vendeur de drogues, mais il est clair qu'il ne coûte pas très cher d'en devenir un...même si vous êtes peu instruit, ou sous-employé, l'investissement de départ est faible et le rendement, élevé. Il n'est pas donc étonnant que les études qui ont permis d'interroger des vendeurs de drogues, condamnés ou simplement repérés, permettent de constater qu'ils pensaient que c'était une façon de faire facilement de l'argent. Et bien entendu, ils sont très facilement remplacés à l'échelon inférieur, dans la rue, par les petits revendeurs, qui sont ceux que la police est plus susceptible d'arrêter, parce que ce sont eux qui font concrètement la vente et qui ont la drogue sur eux. Nous savons qu'il est très difficile d'appréhender ceux qui sont au haut de la pyramide du marché noir.

    Troisièmement, ce qui revient constamment, dans beaucoup d'études, c'est que les préoccupations au sujet de la santé sont le moyen vraiment efficace de faire réfléchir les gens à la consommation de drogues: ne pas en prendre, en prendre moins ou cesser d'en prendre. Les messages sur la santé sont clairement ceux qui ont le plus d'impact, quand on compare les effets de la loi et les effets de la perception de la nocivité des drogues. Ce n'est pas étonnant. On constate la même chose pour l'alcool et le tabac. C'est la préoccupation relative à la santé qui compte.

    Dans les très rares études à long terme portant sur des jeunes, et qui commencent avant le début de la consommation de drogues, on voit très clairement que ceux qui ont plus tard des problèmes de drogues sont en général ceux qui ont été soumis au stress très tôt et qui avaient des problèmes sociaux ou familiaux.

¿  +-(0925)  

+-

     Donc je pense que vous risquez de pénaliser doublement les jeunes si vous les excluez de l'école pour les traîner devant les tribunaux, les traitez comme des criminels pour des comportements qui ne sont probablement pour eux qu'une forme d'adaptation ou une façon de faire face à leur réalité—pas tous, mais je veux parler des enfants qui... La plupart des enfants font des expériences sans se laisser entraîner. Chez les enfants qui sont psychologiquement sains, c'est presque mauvais signe de ne pas faire d'expériences. Les études montrent aussi que les enfants qui n'y touchent jamais sont ceux qui sont les plus susceptibles de manifester certains problèmes au niveau des indicateurs de santé mentale. Il y a donc ces deux extrêmes.

    Les enfants sains peuvent faire des expériences, et la plupart du temps ils n'ont pas de problèmes. Je crois qu'il faut surtout nous préoccuper des enfants qui commencent très tôt à consommer beaucoup de drogue. Mais il faut certainement essayer de trouver autre chose au départ qu'une intervention policière ou la mise à l'écart de leurs pairs ou de leurs familles.

    Je ne sais pas si votre comité est au courant de tous les témoignages du Comité sénatorial. Je ne voudrais pas me répéter, car j'y ai parlé de mes recherches sur le cannabis, mais j'aimerais tout de même vous présenter l'un de mes constats les plus importants dans mes recherches sur la cocaïne, qui ont constitué une bonne partie de mon programme de recherche. Encore une fois, il n'y a pas autant de recherche sur la cocaïne, mais il y en a tout de même au niveau international. Nous n'en avons pas fait beaucoup au Canada, mais il est évident que les effets des drogues sont les mêmes, quel que soit le pays: l'attrait de la cocaïne et le plaisir qu'elle procure ne changent pas quand on traverse une frontière, pas plus que les pièges qu'elle entraîne.

    Ce qui détermine le résultat—les problèmes, les effets nocifs—ce sont surtout les caractéristiques des individus, les raisons pour lesquelles ils consomment de la drogue, l'importance de cette consommation en association avec des pairs, etc., et aussi ce que représente la cocaïne pour eux, ainsi que le contexte social de la cocaïne. J'ai eu la chance d'assister à une conférence à Sao Paolo il y a quelques années: j'ai été frappée de constater que les termes utilisés dans les ghettos et parmi les prostituées et les pauvres pour décrire leur expérience quand ils fumaient de la pâte de coca étaient tout à fait semblables à ceux pour décrire la poussée relativement mineure de consommation de crack dans notre pays. Je pense donc que nous avons là des éléments qui montrent que si nous voulons avoir une bonne politique en matière de drogue, il faut probablement commencer par avoir une bonne politique sociale. Il faut réduire la vulnérabilité des individus de notre société qui pensent que la cocaïne est une solution simple pour occuper leur temps ou tout simplement avoir un moment de plaisir pour pas cher.

    Le résultat de la consommation de drogue dépend énormément du contexte. À mon avis, c'est pour cela que nous n'avons pas eu une épidémie de crack aussi généralisée qu'aux États-Unis. Cela est aussi valable en ce qui concerne les études hollandaises et australiennes. Nous n'avions pas une population aussi vaste et aussi vulnérable. J'ai interrogé de nombreux consommateurs à Toronto, dans la région de Sherbourne et Dundas. Il y avait une population vulnérable qui a consommé du crack, mais grâce à l'appui que nous leur apportions sur le plan du bien-être social ou du logement, ce groupe n'était pas aussi important.

    Encore une fois, ce que j'essaie de suggérer au comité, c'est de ne pas se concentrer simplement sur ces puissants agents pharmacologiques, mais plutôt sur le consommateur et le contexte social pour déterminer les interventions et les mesures que vous pourriez envisager.

    Merci.

¿  +-(0930)  

+-

    La présidente: Merci, madame Erickson.

    Monsieur Young.

+-

    M. Alan Young (professeur agrégé, Osgoode Hall Law School): Merci.

    Madame Erickson, je suis heureux d'avoir l'occasion de participer à ce débat, mais franchement je suis assez attristé de constater qu'une fois de plus nous sommes en train de discuter des mérites d'une politique de justice pénale qui a lamentablement échoué, tout le monde le sait. Nous avons diverses raisons d'en être convaincus.

    Je suis venu ici vous faire quelques remarques du point de vue de l'administration de la justice pénale. Je pense que ce qu'il est important de souligner, et que le comité et la Chambre doivent savoir, c'est que la justice pénale est un instrument qui manque de finesse. La Commission de réforme du droit du Canada l'a dit en 1976. En 1982, le gouvernement du Canada a publié un document intitulé Le droit pénal dans la société canadienne et il nous a rappelé que la justice pénale n'était pas un outil vraiment efficace pour promouvoir la politique sociale. Je trouve tout de même curieux que les gouvernements l'aient dit, mais ne l'aient cependant pas reconnu dans le contexte de la réforme du droit concernant les drogues.

+-

     À mon avis, la justice pénale doit préserver sa légitimité dans l'ère moderne et il faut que ce soit un régime de maintien de l'ordre et de la sécurité. Cette justice ne devrait intervenir que lorsqu'il y a un grave manquement à l'ordre social, et on n'aurait jamais dû y faire appel pour dicter à des individus les substances psychotropes qu'ils peuvent absorber. Les menaces et l'interdiction n'ont jamais réussi à bloquer l'appétit humain, il faut bien le comprendre. On le sait depuis très longtemps. Nous connaissons tous l'histoire d'Adam et Ève et du fruit défendu, et j'ai toujours affirmé que ce que nous disait cette histoire, c'était que si Dieu n'avait pas été capable de contrôler la curiosité de l'esprit humain, c'était le comble de l'arrogance de la part d'un État séculier de croire qu'il pouvait y parvenir.

    J'apporte donc ici deux types d'expérience. D'une part, quand j'étais plus jeune, j'ai eu une vaste expérience de la sous-culture des drogues, puisque j'ai grandi au début des années 70. Deuxièmement, dans ma vie professionnelle, lorsque j'ai mûri d'un point de vue plus traditionnel, j'ai commencé à étudier la politique des drogues et à contester ce que faisaient les autorités parce que je venais d'une sous-culture dans laquelle la plupart des utilisateurs étaient ce que j'appellerais des citoyens respectueux de la loi et productifs. Je ne voyais vraiment pas pourquoi on voulait imposer des sanctions pénales dans ce cas-là.

    Je crois que si vous voulez aboutir à quelque chose de positif, et ne pas faire comme tous les autres comités, il faut que vous admettiez certaines réalités que les gouvernements ont refusé de voir, car la politique actuelle en matière de drogues continue à s'appuyer essentiellement sur la désinformation et la propagande. On raconte des tas de faussetés.

    Je voudrais vous parler de la réalité de la consommation de drogues et de situations qu'on ne reconnaît pas. Premièrement, la plupart des gens—ou beaucoup d'entre eux, je n'ai pas de pourcentage—sont très attirés par les substances intoxicantes. Certains disent que c'est une quatrième pulsion instinctive. Je vous recommande vivement de lire l'ouvrage du Dr Ronald Siegel intitulé Intoxicationpour voir comment les animaux eux-mêmes s'intoxiquent. Il faut donc bien comprendre que les gens vont continuer à rechercher une forme d'ivresse, quelle que soit la politique que leur dicte l'État. Les fluctuations du taux de consommation de drogues ici au cours du XXe siècle n'ont rien eu à voir avec l'état de nos lois. Les sanctions pénales draconiennes n'ont aucune influence sur la population.

    Par conséquent, quand les Américains ont essayé avec succès dans les années 80 de nous convaincre d'avoir une politique de négation pure et simple, nous avons commis une effroyable erreur—alors que nous semblions nous orienter vers une attitude plus progressiste à la fin des années 70. «Dites non», ce n'est pas une politique sociale valable. En réalité, c'est ridicule. C'est comme si on allait dire à des individus déprimés, enfermés dans un établissement psychiatrique, qu'il faut qu'ils se remontent le moral. C'est tout à fait le même niveau d'efficacité.

    Les interdictions ne fonctionnent pas bien face aux instincts humains. Elles fonctionnent dans le cas de délits tels que la fraude ou la fraude fiscale, mais pas quand il s'agit d'un comportement qui est l'expression d'une individualité. Nous n'aurons jamais de zone sans drogue, il faut bien le comprendre. L'Amérique du Nord est le continent où l'on consomme le plus de drogues au monde. Nous n'aurons jamais une zone sans drogue, et il ne faut donc pas prôner l'abstinence, mais enseigner la responsabilité en matière de consommation.

    La deuxième réalité que je voulais mentionner—et qui est qualifiée d'hérésie, mais je persiste à l'affirmer—c'est que toutes les drogues sont sans danger si on les utilise de façon responsable. Aucune drogue au monde ne va vous détruire si vous en consommez occasionnellement. Ce sont des poisons. Les gens ne prennent pas des poisons pour planer. Il y a un certain degré de sensibilité dans le choix que nous faisons de notre mode d'intoxication.

    Il est important de bien le comprendre parce que nous avons commis l'erreur de nous concentrer sur ce que nous considérons comme les propriétés pharmacologiques néfastes d'une drogue comme si elle était délibérément conçue pour nous détruire. La drogue et les effets de la drogue dépendent entièrement du contexte et de l'état d'esprit du consommateur. Si nous commençons par nous concentrer sur l'individu, nous allons pouvoir proposer une politique des drogues qui sera une politique de compassion et d'intervention en cas de complications médicales, car même si je dis que les drogues sont sans danger si elles sont utilisées de façon responsable, je sais bien qu'il y a un certain pourcentage de personnes qui en abusent et qui en souffrent, et dont les souffrances se répercutent sur d'autres personnes. Dans le cas du cannabis, qui est mon principal sujet d'étude, il s'agit probablement de 1 p. 100 des consommateurs; dans le cas de l'alcool, le pourcentage va peut-être jusqu'à 15 p. 100. Je n'ai jamais, jamais vu la moindre étude—et peut-être mes amis les spécialistes des sciences sociales pourront-ils m'aider ici—montrant que plus de 20 p. 100 d'une population de consommateurs abusaient de la substance en question. Je n'ai jamais vu cela. Donc nous savons en gros qu'une personne sur cinq utilise les drogues de façon responsable.

¿  +-(0935)  

+-

     Mon troisième argument est qu'à mon avis, nous n'avons pas une politique sociale saine en 2002. Une guerre contre la drogue, c'est une croisade. Je le dis parce qu'une bonne politique sociale se mesure à l'efficacité de ses résultats. Quand les gouvernements se fixent une politique, ils font le point de temps à autre pour voir si elle donne les résultats attendus. Chaque fois qu'on fait le point sur cette politique, on se rend compte qu'elle ne marche pas, mais cela n'a aucune importance parce que les croisés se sentent bien. C'est la définition d'une croisade. Nous pouvons perdre notre temps, cela n'a aucune importance parce que même si nous perdons la bataille, nous savons que nous luttons pour le bien.

    C'est inacceptable dans la société contemporaine. Même si vous n'êtes pas d'accord avec moi pour dire que la consommation de drogues fait partie intégrante du droit à l'autodétermination, à l'épanouissement de l'individu, même si vous pensez que c'est quelque chose d'idiot et de pas sérieux, vous pouvez laisser de côté la philosophie politique de l'idéologie libérale, mais pensez simplement au coût de cette guerre et à ses retombées. Regardez ce qu'elle fait. Ne vous contentez pas d'espérer simplement des résultats meilleurs à l'avenir.

    Je vais vous donner quelques exemples de situations que j'ai connues. Le 1er décembre 1999, la police a fait une descente dans une fête d'anniversaire organisée par des enfants et a abattu un chien sous les yeux d'une dizaine d'enfants qui hurlaient. Voilà le coût de la guerre contre la drogue. Elle provoque une escalade de la violence. Il y a plus de violence endémique dans le secteur de l'application des lois sur les drogues que dans n'importe quel autre domaine. Quand les policiers perquisitionnent dans le cas d'un vol à main armée, ils n'ont pas le même comportement que quand ils font une descente pour trouver de la drogue.

    Deuxièmement, il y a des drogués qui meurent dans les rues de Vancouver. Ce n'est pas à cause des propriétés de l'héroïne pure. C'est à cause des impuretés de la marchandise vendue au marché noir. Il n'y a pas de contrôle de la qualité. Il faut aider ces gens-là.

    Troisièmement, il y a des narcomanes qui volent dans les magasins. Ils commettent des crimes secondaires parce qu'il n'y a pas de filet de sécurité pour les drogués, qui ne peuvent pas se procurer de la drogue légalement et ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins. À mon avis, le danger vient uniquement d'un petit pourcentage d'individus qui abusent de la drogue et peuvent devenir complètement dépendants parce que leur comportement est alors faussé.

    J'ai représenté des centaines de personnes qui étaient des citoyens respectueux de la loi et productifs avec de bons emplois, qui contribuaient au bon fonctionnement de ce pays et qui sont maintenant marquées de la marque de Caïn, qui ont un casier judiciaire parce qu'elles ont choisi un certain type de drogue. C'est inacceptable.

    Au cours de mes travaux, j'ai aussi constaté que la police violait souvent la Constitution et que la corruption n'était pas loin lorsqu'il y avait application des lois sur les drogues. Ce sont des effets secondaires qu'il faut commencer à prendre en compte. Cette politique ne nous mène nulle part, et il faut comprendre les dégâts qu'elle cause dans l'ensemble de la société.

    Je vais terminer sur ces mots. Si l'interdiction de la drogue débouchait vraiment sur un résultat concret et tangible—si nous aboutissions à une société plus saine, plus respectueuse du droit, quel que soit l'objectif—je pourrais peut-être tolérer la boîte de Pandore de maux divers qu'ouvre la police lorsqu'elle enquête sur des crimes consensuels. Mais en l'absence de résultats tangibles et concrets depuis 30 ans avec cette politique, le seul constat que nous pouvons faire à mon avis, c'est que l'administration de la justice est lamentable.

    Merci.

¿  +-(0940)  

+-

    La présidente: Merci, monsieur Young.

    Nous passons maintenant à Mme Riley.

+-

    Mme Diane Riley (Fondation canadienne pour une politique sur les drogues et du Réseau pour la réduction des méfaits): Merci beaucoup

    Comme mes collègues, j'aimerais vous remercier de m'avoir invitée à vous parler de ce sujet important. Comme eux, également, j'ai une impression de déjà vu. Bon nombre d'entre nous ont déjà comparu devant semblable comité.

    Je travaille depuis 35 ans dans le domaine de la drogue et de la politique des drogues, dans divers pays, et comme d'autres l'ont déjà dit, ce qui me sidère toujours, c'est de retrouver partout dans tous ces pays la même recherche de substances intoxicantes et le même besoin humain de modifier son état de conscience. Ce qui diffère, et c'est de cela que je vais vous parler un peu aujourd'hui, c'est la façon dont la société réagit à ces activités et par conséquent la façon dont les retombées néfastes, qui ne sont pas nécessairement associées à la consommation de drogues, varient d'une société à l'autre.

+-

     J'aimerais faire quelques suggestions sur la façon dont le Canada pourrait modifier sa politique de lutte contre les drogues pour qu'elle soit plus efficace et plus humaine.

    Comme on l'a dit, je fais partie de la Fondation canadienne pour une politique sur les drogues, mais je fais également partie de l'Association internationale pour la réduction des méfaits que j'ai créée en 1996 avec plusieurs collègues, parce que j'avais constaté un peu partout dans le monde à quel point il était nécessaire de trouver des façons de réduire les méfaits liés à la drogue. Dans le cadre de mon travail, j'ai pu examiner en profondeur la façon dont les différents pays du monde et les différentes régions du globe réagissaient à ce fléau.

    Je siège également au conseil d'administration de plusieurs organismes, notamment le programme de lutte contre le sida des Nations Unies, et j'aimerais aujourd'hui vous faire part de ce qui se dégage aussi sur ce front.

    Puisque j'ai soumis mon mémoire au comité, je ne vais mettre en relief que quelques points. J'aimerais également mentionner que j'ai déjà préparé pour le Sénat un long document à ce sujet. En effet, il y a plusieurs années, le sénateur Nolin m'avait demandé de préparer un document de fond en vue de la création du Comité sénatorial sur les drogues, ainsi que de rédiger le mandat du comité. Vous trouverez ce document sur le site du Sénat, et vous trouverez dans mon mémoire tous les liens vous permettant de retrouver ces documents.

    En ce qui concerne mes principales préoccupations, nous reconnaissons tous aujourd'hui que l'industrie des drogues illicites est l'une des plus rentables au monde, et suit de près l'industrie des armes et des produits pharmaceutiques légaux, à hauteur d'environ 400 milliards de dollars américains par année. Mais ce qui nous préoccupe et devrait nous préoccuper encore plus, c'est que cette industrie alimente le crime organisé et le terrorisme, de même qu'elle mène à la propagation d'infections comme le VIH et l'hépatite. Elle mène également à des conditions de vie catastrophiques pour ceux qui sont pris dans les filets d'une approche mal avisée, celle de l'interdiction à laquelle nous avons recours pour essayer de juguler ce qui est déjà alimenté par le marché. Cette vision n'améliorera en rien la situation; elle ne fera que l'empirer et qu'augmenter le nombre déjà grand de personnes incarcérées.

    J'ai également fait beaucoup de travail dans les prisons, et c'est là que l'on peut voir les pires résultats de notre système d'interdiction. Nous y trouvons des gens incarcérés pour un crime mineur, celui de la simple possession de drogue, emprisonnés dans un système où la probabilité augmente qu'ils soient infectés par l'hépatite et par le VIH; en effet, nous ne fournissons pas aux gens incarcérés les moyens de se prémunir contre ces infections.

    Revenons un instant au Canada: on peut voir que certains des problèmes mentionnés sont poussés à l'extrême dans notre propre pays, si riche soit-il. Pour avoir travaillé autant à l'étranger, j'avoue être catastrophée et honteuse lorsque je reviens dans mon propre pays—et je suis toujours heureuse d'y revenir—et que j'y constate l'ampleur des problèmes, malgré notre grande richesse. Nous avons le taux le plus élevé de VIH/sida chez les utilisateurs de drogue du monde occidental. La situation dans nos centres-villes, en raison de la drogue et aussi plus directement de la pauvreté et du manque de soutien social—et je pense à Vancouver—est équivalente à celle qui prévaut dans beaucoup de pays en développement.

    Ce qui est encore plus consternant, c'est la situation chez nos Autochtones. Alan Young a mentionné que l'on constate rarement des taux de consommation de drogues de plus de 20 p. 100. Or, la situation chez les populations autochtones contredit cette règle, puisque l'on y trouve des taux d'alcoolisme et de consommation d'autres substances allant jusqu'à 60 ou même 80 p. 100. Cela devrait nous faire prendre conscience du fait qu'il existe dans ces collectivités de terribles problèmes d'iniquité et de dislocation sociale.

    Il y a un autre phénomène qui me préoccupe encore plus et qui illustre les conditions de vie de nos populations autochtones, et c'est le taux de suicide. Chez certaines cohortes d'enfants autochtones, le taux de suicide atteint 27 fois le taux moyen dans la population canadienne du même âge.

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     Il y a une autre chose qui me préoccupe, et c'est strictement la question de l'utilisation, dans toutes nos villes. Nous constatons, particulièrement en Ontario, qu'au fur et à mesure que notre filet de sécurité sociale diminue et que nous optons pour la répression, les problèmes de l'utilisation de la drogue dans la rue s'exacerbent. Dans tous les cas, y compris dans nos prisons, nous exposons nos populations à un risque très élevé d'infections à l'hépatite et au VIH, de même qu'à la surdose. En effet, le taux de surdose d'héroïne et de cocaïne à Vancouver est extrêmement élevé, et nous devrions réagir à cela, ne serait-ce qu'en regardant ce que d'autres pays ont fait.

    C'est justement la question que je voudrais aborder brièvement, étant donné que j'ai déjà travaillé dans d'autres pays. Il nous arrive trop souvent de nous tourner vers les États-Unis pour chercher l'exemple. À mon avis, la seule raison pour laquelle nous devrions regarder ce qui se passe aux États-Unis, c'est justement pour ne pas les imiter. Ce qui se passe aux États-Unis en matière de consommation de drogues et de problèmes liés à la drogue est consternant. Ceux qui sont jetés en prison le sont majoritairement parce qu'ils ont commis ce que l'on appelle des crimes liés à la drogue, et ils sont en plus grand nombre que ceux qui étaient envoyés dans les goulags soviétiques.

    Il nous faudrait donc nous tourner vers des pays plus progressistes, comme certains pays européens et l'Australie, avant que le système n'y ait commencé à s'effriter. En effet, l'Australie a reculé depuis trois ans, à cause de l'arrivée d'un nouveau premier ministre. Mais nous avons déjà des exemples de ce qui donne de bons résultats. Je sais que votre comité compte d'ailleurs vous rendre dans certains de ces pays.

    L'un des dénominateurs communs à bien de ces pays, c'est que l'on s'est fondé sur le principe de la réduction des méfaits. Je ne veux pas aborder ces principes en détail, mais j'ai beaucoup écrit là-dessus tout comme l'a fait Mme Erickson, et nous ferons en sorte que vous receviez copie de ce que nous avons écrit. Cette approche s'est avérée efficace, et aujourd'hui on trouve des données scientifiques solides démontrant que la réduction des méfaits donne d'excellents résultats et à moindre coût. Le fait que l'on puisse constater des résultats aussi étonnants dans les pays en développement avec des moyens dérisoires devrait nous faire comprendre qu'il est possible de faire aussi bien ici même.

    Cela dit, à mon avis, la stratégie canadienne de réduction des méfaits n'a de stratégie que le nom. Il serait dangereux de croire qu'il se fait au Canada une véritable réduction des méfaits. Or, des efforts tièdes en matière de réduction des méfaits sont dangereux, car ils nous rendent complaisants. Une véritable réduction des méfaits doit se faire sur toute la ligne.

    Il nous faut une nouvelle stratégie antidrogue qui soit pleinement financée. Vous savez bien que l'ancienne stratégie a disparu en 1997, quand on a démantelé l'équipe de politique et de recherche avec laquelle je travaillais, faute d'en renouveler le financement. Il nous faudrait une stratégie antidrogue pleinement financée, coordonnée sur tous les plans avec la stratégie de lutte contre le VIH/sida. À l'heure actuelle, il y a une absence totale de coordination, et beaucoup d'éléments passent inaperçus.

    Quant à mes recommandations, nous devons nous inspirer des pays dont les politiques et programmes donnent des résultats. Nous devons également nous écarter de l'interdiction, puisque c'est celle-ci qui exacerbe le problème et qui alimente notamment l'industrie multimilliardaire du crime et du terrorisme qui sévit actuellement. Je suggère également que nous envisagions de fonder notre système sur le principe de réduction des méfaits, mais seulement si ce principe est appliqué de façon exhaustive.

    J'entends par là qu'il faudra instaurer certaines mesures très controversées, comme l'ouverture de piqueries contrôlées. Cette solution donne des résultats. Pour cela, il faudra prescrire non seulement les opiacés, y compris l'héroïne, mais aussi des stimulants, tels que les amphétamines, étant donné qu'une bonne partie de nos problèmes dépend aujourd'hui des stimulants et que nous n'y avons pas encore accordé suffisamment d'attention.

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     Ce qui est encore plus important, il nous faut renforcer nos filets de sécurité sociale et nous occuper du bien-être de la population. Je pense notamment à offrir logements, formation professionnelle et programmes de sport, étant donné que la consommation de drogues illustre surtout un besoin humain d'altérer son état de conscience. Voilà ce qu'il nous faut bien comprendre, que ces êtres humains ont besoin d'avoir recours à ces substituts pour altérer leur état de conscience et se prémunir contre la détresse. Le Canada, pas plus que d'autres pays, ne réussit à sauver certains de ses citoyens de leur détresse quotidienne.

    Merci.

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    La présidente: Merci, madame Riley.

    Monsieur Remis.

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    M. Robert Remis (professeur agrégé, Département des sciences de la santé publique, Université de Toronto): Merci beaucoup.

    Je vais changer d'orientation et vous parler ce matin surtout de certaines des conséquences de l'usage de drogues injectables du point de vue des infections hématogènes et vous parler brièvement de l'épidémiologie de cet usage surtout.

    J'ai laissé un mémoire qui vous sera distribué. Vous l'avez? Très bien.

    Les utilisateurs de drogues injectables ou UDI font face au risque particulièrement élevé de contracter à la fois le VIH et l'hépatite virale, ce qui a des conséquences énormes pour les utilisateurs mêmes ainsi que pour leurs familles, leur milieu et la société en général. En effet, ces graves infections peuvent être mortelles.

    S'il n'est pas traité, le VIH progresse et se transforme en une grave déficience du système immunitaire et en sida, de trois à 20 ans après l'infection. Les nouveaux traitements peuvent atténuer certains des effets, mais ils coûtent très cher et ils sont associés à plusieurs difficultés, notamment le manque de fidélité au traitement, les effets secondaires et l'émergence de résistance.

    Le VIH se transmet également aux partenaires sexuels, le degré d'infection étant plus élevé immédiatement après l'infection et aux étapes ultérieures. La probabilité que le VIH se transmette et infecte les partenaires est de 5 à 10 p. 100 par année ou au cours des deux premières années, même si j'ai remarqué que les véritables coûts monétaires des infections étaient énormes, à hauteur de centaines de millions de dollars par année. Nous avons effectivement essayé de quantifier le prix de la maladie dans certains autres travaux.

    Le virus de l'hépatite C agit plus lentement, mais à long terme, il peut entraîner la cirrhose, l'insuffisance hépatique et le cancer lymphatique. C'est à ces infections que s'exposent les utilisateurs de seringues ayant déjà servi à d'autres.

    La plupart des études effectuées au Canada à ce jour démontrent que le taux de partage des seringues au cours des six premiers mois est de 30 à 50 p. 100. Ceux qui s'injectent de la cocaïne semblent s'exposer à un risque particulièrement élevé de contracter le VIH et l'hépatite virale à cause de leur fréquence plus élevée d'injections et de la grande désorganisation sociale associée à cette habitude.

    La fréquence à laquelle on partage les seringues est liée partiellement à l'accessibilité à des seringues propres permettant d'utiliser une nouvelle seringue à chaque injection. Une évaluation effectuée en 1996 à Montréal révélait que moins de 5 p. 100 du nombre de seringues disponibles avaient été effectivement distribuées.

    J'aborderai maintenant brièvement l'épidémiologie de l'usage de drogues injectables. Nous n'avons pas au Canada de données précises sur l'ampleur du phénomène; toutefois, d'après une étude récente à laquelle j'ai participé, on a évalué à 12 000, 13 000 et 12 000 le nombre d'UDI actifs à Montréal, Toronto et Vancouver respectivement. Si l'on extrapole ces résultats au reste du Canada, on peut évaluer à environ 90 000 le nombre d'UDI actifs. Toutefois, ces chiffres doivent être considérés uniquement comme estimatifs.

    Il faut également comprendre que ces chiffres représentent le nombre de personnes qui s'injectent activement des drogues, et nous entendons par là ceux qui se sont injectés des drogues au cours de l'année précédant notre étude. Cela implique, en outre, qu'il y a un nombre encore plus grand de gens qui se sont injectés des drogues à intervalles divers et pour diverses durées. Voilà pourquoi nous estimons qu'il y a environ deux fois plus d'anciens UDI qu'il n'y en a d'actifs. Beaucoup d'entre eux peuvent avoir contracté des infections hématogènes et risquent d'en subir les séquelles à long terme, d'infecter leurs partenaires sexuels de même que de recommencer à s'injecter de la drogue.

    Nous évaluons à quelque 35 000 le nombre d'UDI actifs en Ontario. Dans un rapport de situation préparé en 1997, nous avons estimé que la proportion globale d'UDI dans la population ontarienne variait d'une région géographique à l'autre, mais se situait néanmoins autour de 0,2 à 0,6 p. 100.

    Plus d'hommes que de femmes s'injectent des drogues, à raison de deux à quatre pour une, et nous pensons donc que de 20 à 35 p. 100 des UDI sont des femmes. C'est au début de l'âge adulte, entre 18 et 45 ans, que se situe principalement le problème de l'injection de drogue, avec un sommet chez les 25 à 35 ans. À 45 ans, la plupart des UDI sont soit décédés soit brûlés. Soit dit en passant, même si je ne l'ai pas inclus dans mon mémoire—et on en a déjà parlé—le taux de mortalité chez ceux qui s'injectent des drogues est extrêmement élevé.

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     Au cours de notre étude, nous avons étudié ce qui s'était écrit à ce sujet, et avons constaté que le taux de mortalité se situe entre 1 et 4 p. 100 par année, comme au Canada. Or, cela équivaut à 20 à 30 fois le taux de mortalité des gens du même âge qui ne s'injectent pas de drogues. Ce phénomène a donc des conséquences énormes à la fois en termes de coût et en termes de morbidité et de mortalité chez les UDI.

    Parlons brièvement de l'infection au VIH, problème nouvellement apparu dans le monde à la fin des années 70 ou au début des années 80. Le Canada a été relativement épargné pendant la première décennie de l'épidémie au VIH dans le monde, mais s'est vite rattrapé, dès la fin des années 80 à Montréal, puis à Vancouver. Ottawa a pour sa part connu des percées explosives de VIH parmi ses UDI.

    Santé Canada estime qu'à la fin de 1999, quelque 10 000 personnes au Canada étaient infectées au VIH par suite d'injections, dont quelque 2 300 habitent en Ontario. En Ontario, la prévalence totale d'infections au VIH est autour de 5 à 10 p. 100, mais varie d'une région à l'autre. L'incidence annuelle peut également varier, même si nous n'avons que des données limitées là-dessus. Ottawa a connu une explosion d'épidémies au VIH du milieu à la fin des années 90, et nous estimons qu'il y a actuellement de 3 000 à 4 000 habitants d'Ottawa qui sont des UDI actifs. L'incidence mesurée atteignait 20 cas par 100 années-personnes, ce qui représente un taux annuel de 20 p. 100, même si, à mon avis, ce chiffre n'est probablement pas vraiment représentatif. Le nombre de cas était néanmoins très élevé et l'est sans doute encore.

    La prévalence du VIH est également élevée dans plusieurs plus petites localités du nord de l'Ontario, comme l'ont révélé nos données diagnostiques; en effet, on a observé des taux élevés de positivité chez ceux qui subissent le test du VIH, et ce particulièrement à Ottawa, mais aussi dans plusieurs petites localités du nord de l'Ontario.

    Tout cela a des répercussions en termes de transmission sexuelle secondaire. D'ailleurs, on a constaté dans des régions où l'utilisation de drogues injectables était élevée des taux plus élevés de VIH par transmission hétérosexuelle, ce dont il ne faut pas se surprendre.

    L'hépatite C ne constitue pas en soi un problème nouveau, mais il est nouvellement reconnu, même s'il est difficile de déterminer quand la maladie a véritablement envahi le Canada. Elle est devenue un grave problème de santé publique, même s'il existe peu de données sur la prévalence et l'incidence de l'hépatite C virale.

    Quelques études ont été entreprises, notamment des études descriptives, qui ont révélé que de 50 à 90 p. 100 des UDI souffrent d'hépatite C virale. La prévalence globale au Canada chez les UDI actifs est sans doute de 70 à 80 p. 100. Au moins deux études se sont penchées sur l'incidence de l'hépatite C virale et ont mis en lumière des taux annuels de 15 à 25 p. 100. Par conséquent, il semble que les UDI soient rapidement contaminés par l'hépatite C, peu après le début des injections. Si l'on combine les chiffres estimatifs de la prévalence et le nombre d'UDI au Canada, on en arrive à un chiffre estimatif de 60 à 80 000 UDI actifs infectés à l'hépatite C, soit presque le double des personnes atteintes ne s'étant jamais injectées de drogues. Autrement dit, on évalue à près de 200 000 le nombre de personnes infectées à l'hépatite C à la suite d'injections, ce qui représente quelque 80 p. 100 de tous les malades de l'hépatite C au Canada.

    Plusieurs collaborateurs, tels que Shimian Zou et Leslie Forrester, notamment, se sont penchés sur la question de l'incidence et ont essayé de la quantifier de façon approximative. On chiffre autour de 3 000 à 8 000 personnes le nombre de celles qui contractent chaque année l'hépatite C au Canada, une moyenne donc de 5 000 personnes. La grande majorité de ces nouvelles infections est sans doute due à l'injection de drogues.

    Enfin, j'aborderai brièvement l'épidémiologie de l'infection double à l'hépatite C virale et au VIH. Étant donné que ces deux maladies dépendent du même facteur de risque, soit le partage de seringues qui ont servi, il ne faut pas se surprendre que ces deux maladies coexistent chez un nombre relativement grand de gens. La division de l'hépatite C nous a commandé une étude l'année dernière là-dessus, puisque le problème en est un d'envergure et puisque la présence d'une deuxième infection pose des défis particuliers en termes de traitement. En effet, le foie des personnes atteintes de l'hépatite C qui ont également le VIH se détériore beaucoup plus rapidement que celui de celles qui n'ont pas le VIH.

    Nous avons conclu qu'environ 11 000 Canadiens sont infectés à la fois par l'hépatite C virale et par le VIH; 70 p. 100 d'entre eux les ont contractés à la suite d'injections et 15 p. 100, après injection de drogues et relations sexuelles avec d'autres hommes, ce qui représente 85 p. 100 des infections doubles au Canada. La majorité d'entre eux résidaient au Québec, en Colombie-Britannique et en Ontario. Par conséquent, ces trois provinces comptent pour environ 90 p. 100 de tous les Canadiens ayant contracté les deux maladies.

À  +-(1000)  

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     On nous a également demandé de nous pencher sur la co-infection chez les Autochtones et les détenus. Nous avons constaté que, parmi la population carcérale, 600 détenus étaient infectés des deux virus au Canada et que près de 90 p. 100 d'entre eux étaient des utilisateurs de drogues injectables.

    Enfin, dans un autre ordre d'idées, en ce qui concerne les besoins en matière de recherche, comme je l'ai dit un peu plus tôt, il y a insuffisance de données de qualité sur l'épidémiologie de la consommation de drogues et des infections graves transmissibles par le sang au Canada. Les contrôles habituels nous renseignent jusqu'à un certain point sur le sujet, mais leur utilité est extrêmement limitée.

    Traditionnellement, les organismes de financement de la recherche hésitent à financer des études vastes et souvent coûteuses qui sont de la plus haute importance pour la santé publique sans nécessairement faire preuve d'une grande originalité scientifique. Plus spécialement, des études des cohortes sont en cours à Montréal et à Vancouver, mais il est très difficile d'assurer le financement de ces études et de le maintenir. À Toronto, il n'y a jamais eu d'étude par cohorte des infections transmissibles par le sang chez les utilisateurs de drogues injectables. Je crois que ces études sont extrêmement utiles pour comprendre l'étendue et les causes de l'utilisation de drogues injectables ainsi que la contraction de maladies transmissibles par le sang chez cette population très vulnérable.

    En passant, j'ai ici quelques-uns des documents source auxquels je me suis référé, que je peux remettre à votre comité.

    Merci.

À  +-(1005)  

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    La présidente: Merci beaucoup, monsieur Remis.

    Madame Millson, souhaitiez-vous ajouter quelque chose?

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    Mme Peggy Millson (département des sciences de santé publique, Université de Toronto): J'ai aussi préparé quelques remarques que je peux vous livrer, si vous le voulez.

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    La présidente: Parfait, aucun problème. Lorsque j'ai vu votre groupe, je n'étais pas sûre qui prendrait la parole.

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     Mme Peggy Millson: J'imagine que c'est parce que nous travaillons au même endroit.

    Comme Mme Erickson, je m'intéresse aux questions qui seront posées. Peut-être puis-je répondre, dans ce domaine, à certaines questions précises qui intéressent le comité. J'ai cru qu'il serait utile de vous parler un peu de mon domaine d'étude et de vous donner une idée des questions auxquelles je serai apte à répondre; j'aborderai aussi quelques points précis qui font suite à ce qu'a dit M. Remis à propos de la disponibilité de données et du financement de la recherche. Ce sont des questions que je connais.

    J'effectue des recherches sur le VIH et l'utilisation de drogues injectables depuis 1989 et j'ai pris part à bon nombre d'études, notamment une évaluation du programme d'échange de seringues ici à Toronto, plusieurs enquêtes ponctuelles d'utilisateurs de drogues injectables et de leurs comportements à Toronto et, plus récemment, j'ai participé à une comparaison régionale des utilisateurs à l'échelle de la province de l'Ontario. À l'heure actuelle, j'effectue l'évaluation d'un programme de maintien à la méthadone à faible seuil--en fait, il s'agit de deux programmes, l'un à Kingston et l'autre ici même à Toronto. Je me consacre aussi à une étude de l'injection du crack à Toronto, ainsi qu'à une recherche que nous intitulons «Comprendre la consommation de drogue à Toronto», qui exige des collectes exhaustives de données qualitatives auprès d'utilisateurs de drogues injectables, au sujet de leurs habitudes et comportements, leur utilisation des services, les obstacles qu'ils rencontrent dans la prestation de services, et ainsi de suite.

    Manifestement, je pourrai à peine toucher à une fraction de tout cela ici, alors j'ai cru opportun de me concentrer sur les questions très précises que j'ai identifiées sur le site Web du comité, plus précisément les questions liées aux sources de données et à l'information.

    En tant que chercheur, j'ai de sérieuses inquiétudes quant aux sources de données et à l'information dont nous disposons sur la consommation de drogues au Canada. C'est également, comme vous l'avez dit, l'une des préoccupations de votre comité. La plupart des données dont nous disposons à l'heure actuelle à propos des groupes les plus isolés et les plus marginalisés du Canada, qui sont généralement les plus vulnérables à l'utilisation de drogues injectables et à d'autres problèmes comme le VIH-sida, proviennent de recherches dont le financement est souvent laborieux et peu sûr. La plupart de ces études tombent dans certaines catégories précises--et il s'agit là d'une simplification. Mes excuses aux chercheurs; je suis certaine que ces études sont beaucoup plus nuancées que ce que je vais décrire, mais je les ai classées dans plusieurs catégories types:

    --les enquêtes, qui peuvent être reprises, réalisées au moyen de questionnaires et d'analyses statistiques, qui s'accompagnent souvent de tests de dépistage anonymes pour le VIH et l'hépatite B et C;

    --les études des cohortes, dont on a déjà parlé, qui comprennent des enquêtes de type semblable tout en essayant de suivre les mêmes individus à intervalles réguliers pour observer l'évolution de ces personnes;

    --les différents types d'études qualitatives, dont le contenu est généralement moins orienté par le chercheur et davantage ouvert à des informations nouvelles et inattendues. Ce type d'études peut comprendre des entrevues personnelles approfondies avec des questions à développement. Elles peuvent faire appel à des groupes d'étude à qui l'on demande de discuter d'une série de questions, et cela peut comporter différents types d'études sur le terrain, dont l'observation directe, généralement accompagnée de questions.

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     Chacune de ces méthodes de recherche comporte ses forces et ses faiblesses. Aucune ne peut fournir toute l'information nécessaire, mais elles peuvent toutes contribuer à la compréhension globale nécessaire. Les études des cohortes en particulier s'avèrent coûteuses parce qu'elles exigent généralement un personnel nombreux pour effectuer des entrevues répétées et pour assurer le suivi auprès de personnes qui sont difficiles à repérer. Ce type d'études comporte souvent des coûts supplémentaires qui ne sont généralement pas défrayés par les organismes subventionnaires, par exemple, l'installation d'un laboratoire de recherche ou d'une autre forme de présence matérielle dans la communauté qui soit apte à rassurer cette dernière et qui rende la recherche possible.

    Dans le cadre de la stratégie de lutte contre le VIH, le financement de ce type d'études s'avère difficile depuis un bon moment.

    Je crois utile de préciser que j'ai été présidente du comité d'examen de la recherche du PNRDS dans le cadre de la recherche sanitaire publique VIH-SIDA, de 1994 jusqu'à son transfert à l'IRSC l'an dernier, alors j'ai pris connaissance de beaucoup de problèmes liés à la réalisation de ces études.

    Deux études de ce type peuvent facilement absorber la totalité du budget alloué à la recherche sanitaire publique et au VIH-SIDA au niveau fédéral, situation qui paraît inacceptable puisqu'elle rend impossible le financement d'autres études épidémiologiques fort importantes ou de vastes études des cohortes.

    Au Canada, deux des plus importantes études des cohortes d'utilisateurs de drogues injectables, l'une à Vancouver et l'autre à Montréal, ont en fait, au cours des dernières années, reçu l'essentiel de leur appui financier d'un organisme subventionnaire américain, le National Institute on Drug Abuse. Ceci ne constitue pas un problème en soi, mais illustre la fragilité de ces études dans l'éventualité où les Américains jugeraient que ces cohortes ne sont plus en mesure de générer des nouvelles données utiles aux intérêts et aux décideurs américains.

    À ma connaissance, il n'y a aucun mécanisme au sein de l'IRSC pour atténuer ce problème. Étant donné que ces études sont désormais une source clé d'information, non seulement sur le VIH, mais sur une variété d'autres facteurs liés à la consommation de drogues injectables dans leurs villes respectives, il s'agit là d'une source de vive préoccupation.

    Il y a aussi certaines difficultés inhérentes à de telles recherches. Par exemple, les personnes se portant volontaires peuvent ne pas être représentatives, à bien des égards, de la population générale des utilisateurs de drogues injectables. Manifestement, lorsqu'on est en mesure de recruter le gros de la population dans une zone donnée, on réduit le risque d'éprouver ces problèmes de sélection. S'il est difficile d'assurer un taux élevé de suivi, des distorsions importantes peuvent survenir, de sorte que les sujets deviennent de moins en moins représentatifs de la population que l'on souhaite étudier.

    Et enfin, la participation à une telle étude peut, à terme, affecter le comportement du sujet, ou du moins le comportement rapporté, de sorte que la représentation devient de plus en plus aléatoire avec le temps. Je ne dis pas que ces études ne valent pas la peine d'être effectuées. J'affirme qu'elles sont valables dans la mesure où on les appuie en même temps que l'on appuie d'autres types de recherches. Nous ne devrions pas être obligés de faire des choix injustes aux dépens d'une méthode de recherche nécessaire.

    Il y a aussi, au Canada, de nombreuses villes, grandes et petites, où des données sur l'utilisation de drogues injectables--le sujet que je connais le mieux--seraient utiles mais où, pour différentes raisons, des études des cohortes n'ont pas été entreprises ou ne sont peut-être pas adaptées. On ne peut se fier à des études de cohortes menées dans quelques grands centres urbains pour dégager un tableau utile s'appliquant à tout le pays. Le quartier est du centre-ville de Vancouver représente un cas unique--il est très important de le comprendre et d'y agir, mais il ne reflète pas la situation à Halifax, à St. John's, ou ailleurs au Canada.

    Nous ne saurions nous fier aux études de cohortes effectuées dans quelques grands centres urbains puisque l'élément contextuel est nécessaire, autant que la connaissance des problèmes communs, que ces études ont mis en évidence de façon très efficace. En Ontario, nous avons choisi d'entreprendre des enquêtes intersectorielles à répétition, qui s'avèrent une méthode plus efficace d'utiliser nos infrastructures de recherche très limitées en vue d'examiner la situation actuelle, en particulier dans les collectivités où le taux d'infection semble peu élevé à l'heure actuelle, où la mobilité des utilisateurs et la difficulté d'assurer le suivi qui en résulte semblent être un problème important.

    Quand les taux de nouvelles infections sont faibles, l'identification des facteurs d'infection exige le suivi de tellement d'individus que la chose n'est plus possible. À Toronto, par exemple, il est clair qu'il n'y a pas une seule communauté d'usagers de drogues, mais bien plusieurs différentes communautés, ce qui rend problématique l'élaboration d'une seule étude des cohortes.

    Toutefois, les enquêtes ponctuelles exigent également un financement. À défaut d'un financement stable, chaque nouvelle enquête doit être amorcée comme une toute nouvelle proposition de recherche, sujette à toutes les incertitudes et à tous les délais propres au financement de la recherche. Jusqu'ici, il semble évident que les comités d'examen de la recherche, même ceux qui sont favorables au financement de la recherche sanitaire publique utile à l'élaboration des politiques, sont réticents à octroyer un financement à ce qu'ils jugent être des activités de surveillance plutôt que des projets de recherche innovateurs. Le phénomène est manifeste, à mon avis, dans la nouvelle structure de l'IRSC. En effet, malgré les bonnes intentions exprimées, la quantité de recherches sur le VIH-SIDA financées jusqu'à maintenant porte à croire que l'IRSC est beaucoup plus réceptif à la recherche biomédicale et moins disposé à accepter les compromis nécessaires à la recherche qui ne peut faire appel à des méthodologies telles que l'échantillonnage aléatoire et les essais randomisés.

À  +-(1010)  

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     Bref, je considère que la situation par rapport à la recherche dans des domaines clés liés à l'élaboration de politiques est mauvaise, et risque de s'aggraver. Si les données dont nous disposons à l'heure actuelle sont insuffisantes, rien ne porte à croire que la situation va s'améliorer à défaut d'un appui ciblé en temps opportun.

    Une possibilité consisterait à financer spécialement l'appui à la surveillance de la recherche dans le cadre de la lutte antidrogue du Canada, à l'instar de ce qui a été fait pour le VIH-SIDA. Cela pourrait consister en une combinaison de propositions de recherche élaborées par les chercheurs d'une part, et de demandes de propositions précises dans des domaines où la politique exige des recherches précises, d'autre part. S'il y a déjà un tel programme en place, je n'en ai pas connaissance.

    Les fonds pourraient être ajoutés à l'enveloppe de financement du VIH-SIDA, à condition d'éviter les chevauchements et d'accepter des propositions couvrant un ensemble plus vaste d'aspects dans le domaine de la drogue. À l'heure actuelle, il faut cibler sa proposition en fonction des intérêts précis de l'organisme de financement sollicité. Ainsi, si vous souhaitez faire une recherche sur le VIH-SIDA, vous devez insister sur ce fait et éviter de dire que vous allez également vous pencher sur les surdoses et ainsi de suite.

    Si vous vous adressez à une agence qui s'intéresse à la recherche sur les drogues, il faut mettre de l'avant une autre série de priorités. Les chercheurs gaspillent beaucoup de temps à solliciter des petites sommes ici et là pour en arriver à financer leurs vastes projets, qui exigent un financement considérable.

    Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu'il est nécessaire de financer les chercheurs, pas seulement la recherche. À mon avis, il est extrêmement difficile de faire épanouir sa carrière universitaire dans ce domaine. Comme je l'ai déjà dit, l'obtention du financement constitue une lutte en soi. La recherche elle-même représente une lutte, bien que certains problèmes d'ordre politique et logistique ne se posent pas aux chercheurs qui travaillent dans des milieux conventionnels ou sur des problèmes plus simples. Les chercheurs et les sujets de leurs études font peut-être, aujourd'hui encore, l'objet d'un stigmate. Le personnel de recherche, ceux qui effectuent concrètement les tâches sous la direction des chercheurs principaux, travaille souvent sous un stress considérable et risque l'épuisement professionnel. Parce que nous travaillons dans le contexte de propositions de recherche compartimentées, chacune étant financée séparément, nous n'avons pas l'infrastructure qui nous permette, par exemple, de maintenir un certain personnel au travail pendant que nous nous occupons à faire une nouvelle demande ciblée. Cela signifie que des compétences peuvent être gaspillées lorsque le personnel de recherche se rabat sur un domaine où on a de meilleures chances d'être salariés régulièrement et de travailler dans de meilleures conditions.

    J'aimerais parler du type de structure qui pourrait être favorable à la collecte de données. Dans le processus, je crois que le rôle que le fédéral serait appelé à jouer en serait un de coordination du financement et de la diffusion. La collecte directe de données s'effectue le plus efficacement au niveau local, avec un appui venant de l'extérieur, là où on comprend le contexte et on bénéficie de relations avec les fournisseurs et les utilisateurs de drogues injectables eux-mêmes, et où on est en mesure d'utiliser concrètement les conclusions de la recherche.

    Manifestement, beaucoup de ces questions touchent à des champs de compétence provinciaux. Conséquemment, le partenariat et la participation des provinces sont nécessaires si nous voulons qu'une telle approche s'applique à l'élaboration des politiques. Il est essentiel de se doter de meilleurs moyens de communication à tous les niveaux et entre les différents ministères. Il semble que les ministères de la Santé, de l'Éducation, des Services sociaux et des Services correctionnels aient chacun une partie de l'information et des sources d'information nécessaires. Les ministères éprouvent tous des difficultés à en arriver à une compréhension globale de la situation. À mon avis, cette fragmentation nuit à l'élaboration des politiques et à leur mise en oeuvre.

    Je vais m'arrêter là. Je pourrais parler encore longtemps de certaines questions de fond soulevées par mes collègues, mais ces derniers ont déjà fourni des exposés fort complets sur ces sujets.

À  +-(1015)  

+-

    La présidente: Merci, docteur Millson.

    Nous passons maintenant aux questions.

    J'aurais dû vous présenter mes collègues de façon plus formelle. Randy White représente l'Alliance canadienne, il est le député d'Abbotsford, en Colombie-Britannique. Libby Davies représente le Nouveau Parti démocratique. Elle est députée de Vancouver Est. Derek Lee, du Parti libéral, est député de Scarborough--Rouge River. Quant à moi, je suis députée de Burlington, Ontario, non loin d'ici. Je représente aussi le Parti libéral. Peut-être que d'autres députés se joindront à nous.

+-

     Commençons par des tours de table de 10 minutes. Si la question s'adresse à vous, ayez l'obligeance d'y répondre d'abord. Si vous souhaitez intervenir pour répondre à une question posée à un autre témoin, faites-moi signe et j'en prendrai note. Essayons de nous en tenir à 10 minutes et nous verrons par la suite.

    Randy.

À  +-(1020)  

+-

    M. Randy White (Langley--Abbotsford, Alliance canadienne): Merci, Paddy.

    Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez adopté des positions très intéressantes. Il est aussi intéressant d'entendre la frustration que vous ressentez après tant d'études et de démarches, année après année, et devant le refus d'agir des gouvernements dans ce dossier.

    La dernière étude d'un gouvernement du Canada sur cette question remonte, je crois, à la commission Le Dain en 1972--ce n'est pas ce que j'appellerais suivre la situation de près. Nous voici en 2002, nous examinons des recommandations et je crois que tous les Canadiens comprennent que des changements sont nécessaires. La question est de savoir quels seront ces changements et avec quelle rapidité ils seront adoptés, mais il est certain qu'on ne peut prétendre qu'il y a eu des changements rapides jusqu'à présent.

    Le comité du Sénat met davantage l'accent sur le cannabis, je crois. Notre comité s'intéresse davantage à ce que j'appellerais les drogues dures--l'héroïne, la cocaïne... et peut-être aussi l'ecstasy dont on ne sait pas encore si elle crée l'accoutumance et où il faut la classer.

    Madame Erickson, estimez-vous nécessaire que l'on mène des études distinctes du cannabis et des drogues dures? Pourquoi faire une distinction?

+-

    Mme Patricia Erickson: Du point de vue de la recherche, il serait quelque peu trompeur de faire une étude de la cocaïne, une étude de l'héroïne et une étude du cannabis, parce que toutes ces drogues sont illicites et peuvent toutes être obtenues de la même façon. De plus, la plupart des utilisateurs de drogues dures sont consommateurs de drogues multiples et sont exposés... Mes recherches ont démontré que le crack était au 13e rang des drogues par lesquelles les toxicomanes avaient commencé leur consommation. Très peu de gens qui n'ont jamais consommé de tabac, d'alcool ou de cannabis finissent par utiliser des drogues dures, bien sûr. Si vous voulez comprendre les processus et les démarches des consommateurs de drogues, il me semble tout à fait indiqué de voir comment ces drogues sont interreliées.

    En revanche, le cannabis est consommé par beaucoup plus de gens et est plus accepté socialement parce qu'on l'estime moins dangereux. Lorsque vous vous entretenez avec des gens qui ont consommé du cannabis et de la cocaïne, vous constatez qu'ils considèrent le cannabis bien différemment de la cocaïne; ils sont beaucoup plus prudents à l'égard de la cocaïne, en tout cas, dans les recherches que j'ai faites.

    Je crois que vous pourriez envisager des politiques distinctes pour le cannabis, des politiques qui tiendraient compte du fait qu'il est beaucoup plus répandu. Les incidences sur la santé des opiacés et de la cocaïne et les dangers d'accoutumance sont beaucoup plus grands et sont associés à de plus grands préjudices; notre réponse doit être proportionnelle aux préjudices. Les préjudices associés au cannabis relèvent plutôt de la criminalisation et de la stigmatisation associée au fait d'avoir un casier judiciaire. Pour ma part, je vous encouragerais à étudier ainsi ces drogues sans tenter de faire une distinction trop rigide.

+-

    M. Randy White: Merci.

    Madame Riley, j'ai trouvé intéressant que vous jugiez nécessaire que nous ayons une stratégie antidrogue bien financée. J'aimerais savoir...[Note de la rédaction: Inaudible]...qu'il nous faut une stratégie antidrogue.

+-

    Mme Diane Riley: Oui, je suis d'accord avec vous, bien que nous soyons censés avoir une stratégie antidrogue. Pour ma part, j'estime que c'est une coquille vide. Dans les faits, ce n'est certainement pas une véritable stratégie antidrogue. C'est scandaleux. Comme vous le savez, pendant deux périodes de cinq ans, la stratégie antidrogue a été financée pleinement puis elle a été temporarisée, comme on dit.

+-

     Je suis tout à fait convaincue qu'il faut revenir à une stratégie entièrement financée car c'est bien beau d'avoir une stratégie—nous n'en avons même pas—mais l'essentiel, c'est de financer la recherche et tout le soutien qui doit impérativement accompagner cette stratégie. Comme l'ont dit mes collègues, nous n'avons pas d'argent pour la recherche dans ce pays. Les Américains dépensent beaucoup plus d'argent au Canada pour la recherche sur nos problèmes de drogue que nous ne le faisons nous-mêmes. Voilà donc des problèmes qu'il faut résoudre.

    Quand je parle d'une stratégie de lutte antidrogue entièrement financée, je veux parler de fonds qui seront accordés aux différents partenaires; ces derniers devront travailler conjointement, et c'est précisément à ce niveau que la coordination est indispensable. Actuellement, la stratégie dite de lutte antidrogue est confiée à Santé Canada et à mon avis, l'action de ce ministère dans le dossier de la drogue au cours des dernières années a été consternante. La situation s'est considérablement détériorée. Les interventions sont fragmentées. Je sais par expérience que les gens qui travaillent à la division pour la lutte antidrogue ont tendance à ne pas communiquer avec ceux de la division du sida et vice-versa, et pour nous qui sommes au point de jonction entre ces deux problématiques, c'est une situation désolante, qui témoigne d'un grave problème d'immaturité. C'est notamment pour cela, à mon avis, que nous avons l'un des pires taux du monde occidental en ce qui concerne la séropositivité chez les toxicomanes.

À  +-(1025)  

+-

    M. Randy White: Pourriez-vous me parler un peu de la stratégie antidrogue? Peut-on envisager un organisme national qui coordonnerait les stratégies antidrogue mises en oeuvre par les organismes provinciaux? Comment peut-on décrire la stratégie? Actuellement, les gouvernements provinciaux consacrent de l'argent aux problèmes de toxicomanie par l'intermédiaire de différents services. Par ailleurs, le gouvernement fédéral consacre également de l'argent aux problèmes de toxicomanie par l'intermédiaire de certains ministères, notamment le solliciteur général, Santé Canada, les douanes, etc. On a en plus les municipalités et les organismes de services communautaires. Toutes ces entités consacrent de l'argent, dans une certaine mesure aux mêmes problèmes. Pouvez-vous décrire une stratégie nationale antidrogue à l'intention d'un profane qui ne s'est pas encore fait d'opinion à ce sujet?

+-

    Mme Diane Riley: Oui, brièvement, et nous pourrions évidemment en parler de façon plus détaillée; par ailleurs, on peut consulter une excellente documentation sur ce thème.

    Je pourrais vous proposer le recours à des modèles de stratégie efficace comme le modèle australien mis en place initialement à la fin des années 80 et qui a donné d'excellents résultats jusqu'à ces derniers mois, où il s'est heurté à un manque de volonté politique imputable à la nouvelle équipe dirigeante. Cette stratégie étudie les principaux problèmes à résoudre, et des organismes au niveau fédéral... Je pense que l'Australie constitue un bon point de départ, car c'est une fédération, comme le Canada, et on y trouve donc le niveau fédéral, le niveau de l'État ou de la province et le niveau municipal.

    Ce que j'aime dans la stratégie australienne, c'est qu'elle a des objectifs très précis en matière de réduction du nombre de personnes infectées par le VIH, de réduction des surdoses, de réduction du nombre d'accidents ou d'incidents violents causés par du verre brisé, de réduction de l'initiation aux drogues injectables—voilà le genre d'objectifs visés par tous les partenaires, que ce soit les douaniers, les policiers, les travailleurs sociaux, etc.

    Pour élaborer cette stratégie, les autorités australiennes ont consulté les groupes communautaires. Elles ont rencontré chacun des intervenants—même si je déteste ce mot—, elles ont rencontré les toxicomanes, les parents, elles ont parcouru l'ensemble du pays et chaque année, le programme fait l'objet d'une vaste révision à l'échelle nationale; on fait le point et on voit si l'action est bien adaptée aux objectifs et aux stratégies. Comme je l'ai dit, les résultats sont excellents, et je pense que nous devrions faire la même chose ici.

    L'essentiel, dans la stratégie australienne, c'est qu'il s'agit d'une stratégie coordonnée concernant la toxicomanie et le sida. Je crains qu'au Canada, nous ayons tendance à polariser l'action, ce qui empêche une véritable collaboration. Il faudrait surmonter cette difficulté.

+-

    M. Randy White: Puis-je poser une autre question, s'il vous plaît?

À  +-(1030)  

+-

    La présidente: Vous avez 60 secondes.

+-

    M. Randy White: J'aimerais demander à Alan Young s'il y a lieu de légaliser la drogue au Canada.

+-

    M. Alan Young: Je vous réponds oui, mais la réalité est celle-ci: la légalisation est sans doute la mesure la plus progressiste, car elle permet d'éviter de dramatiser un mal. L'erreur qu'on a faite dans la législation sur la drogue, c'est qu'on a créé un mal. On l'a dramatisée et on l'a rendue très attrayante. À mon avis, une politique de légalisation aurait deux avantages. Tout d'abord, le gouvernement n'aurait jamais dû s'occuper d'interdire des produits végétaux. Quand on y réfléchit, il est tout à fait curieux et irréel d'adopter des lois contre des plantes. Pour les produits synthétiques, il faut des lois. On ne peut envisager une légalisation absolue, à cause du contrôle de qualité, et il faudra passer au mode réglementaire, en imposant des sanctions draconiennes à ceux qui distribuent sans permis, à cause du risque fondamental des produits frelatés.

    Je pense donc que la légalisation est possible. Je ne crois pas qu'il en soit question actuellement. Je crois que le gouvernement ne l'envisagera que lorsqu'il y verra une source de recettes supplémentaires, comme il s'est intéressé au jeu lorsqu'il a constaté qu'il avait besoin de recettes supplémentaires. Dans un premier temps, on pourrait lever les sanctions pénales, c'est-à-dire opérer une dépénalisation, qui mènerait par la suite à la légalisation. Quand on parle de légalisation ou d'un marché libre de la drogue, les gens craignent que le Canada devienne un pays habité par 20 millions de toxicomanes. Si je croyais une telle éventualité possible, je ne formulerais pas ce genre de proposition, et je suis convaincu que mes collègues sont du même avis. Le cannabis est sans doute de ce point de vue une drogue légèrement différente, mais dans tous les pays qui ont opté pour la libéralisation, le changement progressif et la dépénalisation, les taux de consommation n'ont pas augmenté; au contraire, ils ont tendance à être inférieurs aux taux de consommation de l'Amérique du Nord, qui applique l'interdiction.

    Je ne voudrais pas donner l'impression que je propose de façon cavalière la légalisation et la dédramatisation d'un mal en sachant que cela risque d'avoir des conséquences catastrophiques pour le pays. Je ne préconiserais jamais la légalisation dans de telles circonstances. En fait, je suis convaincu que l'expérience serait comparable à celle du Danemark lorsqu'il a renoncé à l'interdiction de l'obscénité dans les années 60. Tout le monde a commencé à consommer de la pornographie pendant deux ans, et on en trouvait dans tous les foyers au Danemark. Aujourd'hui, le problème ne se pose plus. Les Danois sont rassasiés. Une fois qu'on supprime la sanction, chacun cède à ses penchants naturels, quitte à dire ensuite: «Il n'y a rien là. Moi, je préfère jouer au golf.»

+-

    La présidente: Merci, monsieur Young. Voilà—une conclusion étonnante.

    Madame Davies, c'est à vous.

+-

    Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Tout d'abord, merci beaucoup de vous être déplacés. Vous nous avez proposé une excellente information.

    Je reviens tout juste de ma circonscription de Vancouver-Est, où l'on s'occupe de l'horrible histoire des 50 femmes qui ont disparu. Il y a un rapport très précis entre le sort de ces femmes et la législation contre la drogue et la prostitution. La plupart de ces femmes étaient toxicomanes et plusieurs d'entre elles étaient autochtones. J'aurais bien des questions à vous poser, mais j'aimerais avant tout vous poser une question de classe. J'ai l'impression qu'il existe encore un stéréotype très fort concernant le toxicomane. C'est le fait des programmes d'éducation de la police en milieu scolaire; le stéréotype ne fait jamais référence au courtier prospère ou au professionnel qui consomme de la drogue à des fins récréatives; il représente toujours un consommateur de drogues dures plus ou moins itinérant, etc.

    Je me préoccupe non seulement des sanctions pénales imposées aux toxicomanes et de la marginalisation qui en résulte, mais aussi de la façon dont la législation est appliquée. Il suffit de consulter n'importe qui pour voir que c'est essentiellement les consommateurs et les petits trafiquants qui sont harcelés, interpelés, soumis à la justice, etc. Je trouve paradoxal qu'il soit si facile d'obtenir un tribunal réservé aux affaires de drogue, alors qu'il est si difficile d'obtenir une piquerie contrôlée. À Vancouver, nous avons pourtant reçu d'excellents rapports de John Miller, l'ancien médecin hygiéniste en chef de la province.

+-

     Je ne sais pas si l'Ontario a produit un rapport semblable qui recommande l'entretien à l'héroïne, la promotion de la santé, etc. Nous avons des rapports qui s'empilent partout, et de très bons rapports. On ne sait même pas exactement de qui devraient relever les piqueries contrôlées. Il y a aussi les tribunaux réservés aux affaires de drogue et je voudrais vous poser une question à leur propos, parce que nous allons en entendre parler aujourd'hui même.

    Évidemment, on vient d'en ouvrir un à Vancouver, en décembre dernier. Vous avez davantage d'expérience à Toronto, mais je suis très sceptique et je m'oppose à ces tribunaux, car j'estime qu'ils perpétuent le mouvement de pénalisation et au lieu de proposer des interventions à seuil bas avant que les toxicomanes ne se retrouvent devant la justice, on s'attend à ce qu'ils soient accusés et qu'une fois condamnés, ils aient ce prétendu choix, étant entendu qu'en fait, les toxicomanes refusent de se faire traiter. Je ne connais pas la situation qui prévaut à Toronto, mais en tous cas, ce n'est pas vrai pour Vancouver. On peut même se demander ce que cela signifie car celui qui se retrouve face à la justice passe avant tout le monde et le pauvre toxicomane qui essaie de se faire traiter ou désintoxiquer depuis des mois et des mois va devoir attendre, alors que celui qui se retrouvait devant la justice va être accueilli immédiatement. Cette formule soulève toutes sortes de questions.

    J'aimerais avoir votre avis sur les tribunaux réservés aux cas de drogue, car on les présente souvent comme une politique modérée, presque sociale. J'ai trouvé intéressant d'entendre Mme Erickson dire qu'une bonne politique en matière de drogues était l'équivalent d'une bonne politique sociale; souvent, on considère que les tribunaux réservés aux cas de drogue sont l'équivalent d'une intervention sociale, d'une politique sociale. Je me demande si c'est vraiment le cas. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.

À  +-(1035)  

+-

     Au lieu de discuter du principe, je pense qu'il vaudrait mieux attendre pour voir les résultats de la recherche sur le tribunal de Toronto; je suis intervenue dans les premières phases de cette démarche, mais je pense qu'il importe également de se rappeler... Il y a des gens qui sombrent dans la drogue, qui se retrouvent à la rue, qui ont des antécédents sociaux et des relations chaotiques, qui crient à l'aide, qui demandent de l'assistance, et je pense que c'est une façon bien compliquée et bien détournée de leur venir en aide que de les traîner devant un tribunal.

    À mon avis, le problème des tribunaux réservés aux cas de drogue, c'est qu'il existe peut-être un sous-groupe de la population toxicomane qui va pouvoir en profiter, alors que tous les autres profiteraient sans doute davantage de formes d'intervention différentes.

    Je retiens de ce que vous avez dit, madame Davies, que lorsqu'on impose une interdiction générale assortie de l'intervention de la justice pénale, on fausse tout le reste, et on fait passer au second plan les piqueries contrôlées, les programmes de prévention du VIH et l'éducation concernant le cannabis. Voilà le problème. On s'empêche ainsi de considérer qu'il est possible de proposer des traitements et des mesures d'assistance sous des formes autres que coercitives.

    Lorsque le tribunal de Toronto a débuté ses travaux, il s'était engagé à soumettre sans délai à des traitements, avec un soutien communautaire très solide, des personnes qui, sinon, n'auraient pu se faire traiter. Peut-être est-ce déjà ce qui se fait à Vancouver, mais je crois que c'est assez récent. À Toronto, il n'est pas douteux que certaines personnes ont bénéficié de ce genre d'intervention; d'autres ont renoncé à la toxicomanie, d'autres encore ont été contraintes d'y renoncer. Mais ce ne doit pas être le seul objectif. Les Américains ont tendance à dire que ceux qui refusent la prison doivent se soumettre au tribunal réservé aux cas de drogue et à des traitements obligatoires. Je pense qu'on peut interpréter le problème différemment. S'il est acquis que la consommation de drogues va rester assortie de sanctions pénales pendant un certain temps, il peut être utile de disposer d'un appareil judiciaire susceptible d'améliorer le sort de certaines personnes.

    Je considère donc assez positivement qu'il peut être avantageux, pour certains Canadiens, de passer par un tel tribunal.

+-

    La présidente: Qui veut commenter? Alan Young.

+-

    M. Alan Young: J'amène mes étudiants au tribunal réservé aux affaires de drogue, car je participe à un cours dans le cadre duquel ils doivent y faire des stages. Je les amène au tribunal parce que je pense que c'est bon pour leur formation, mais je ne considère pas que ce soit un bon programme.

    Ces tribunaux fonctionnent selon le principe suivant et dans mon exposé, j'ai essayé de montrer que ce principe était faux—dès qu'on consomme de la drogue, on en abuse. C'est le problème du tribunal pour la toxicomanie. Tout justiciable qui s'y présente obtient une concession: il ne subira pas de sanction pénale à cause de son comportement s'il se soumet à un traitement. Il ne faudrait pas contraindre qui que ce soit à subir un traitement s'il n'en a pas besoin. C'est le problème du tribunal réservé aux affaires de drogue: il fonctionne selon le principe voulant que tous les cas qui lui sont soumis, c'est-à-dire tous les consommateurs de drogue, sont des cas d'abus. Je pense que c'est faux. On envoie un message faux et on élargit le filet du contrôle social d'une façon qui ne me semble pas gérable.

    Si le tribunal pour la toxicomanie était une sorte d'institution sociale chargée de s'occuper de ceux qui gâchent leur vie, celle de leur conjoint et celle des membres de leur famille à cause de leur consommation de drogue, j'y serais favorable. Je suis favorable à un modèle de prévoyance sociale, car je ne suis pas naïf et je suis bien conscient des histoires d'horreur auxquelles l'abus de drogues peut donner lieu, mais je considère toujours que la grande majorité des consommateurs de drogue sont de simples consommateurs et ne devraient pas faire l'objet de mécanismes de contrôle social, que ce soit sous la forme d'un tribunal réservé ou de tribunal ordinaire. Voilà le problème tel que je le vois.

    Le deuxième élément, que j'aborderai très rapidement, car vous avez abordé un sujet totalement différent, une sorte de secret caché, c'est le fait qu'on cible la classe socio-économique inférieure. Tout le monde connaît l'histoire de la législation antidrogue, qui a été adoptée au départ sur la base d'une crainte raciale. Nous le savons, c'est une histoire éculée. Mais ce que les gens ne savent pas, c'est que du fait de notre système de justice discrétionnaire qui permet à la couronne et à la police d'agir à leur guise, c'est la classe socio-économique inférieure qui se trouve ainsi ciblée.

    Le meilleur exemple est celui des États-Unis, qui représente la formule canadienne poussée à l'extrême: il n'y a plus de poursuites pour la cocaïne sous forme de poudre blanche; tout porte sur le crack, parce que le crack est la drogue de prédilection des centres-villes, alors que la cocaïne est la drogue de prédilection des banlieues. Voilà un élément dont il faut tenir compte.

+-

    Mme Patricia Erickson: On a beaucoup polémiqué sur les tribunaux réservés et il est bon de se rappeler que c'est essentiellement une invention américaine; aux États-Unis, les peines d'emprisonnement sont très longues et dans un souci d'économie et d'efficacité, on a jugé bon d'orienter certaines personnes vers un traitement, les récalcitrants étant menacés de la prison.

    À mon avis, il convient d'examiner très soigneusement ce principe si on veut le mettre en oeuvre au Canada; il vaudrait mieux trouver une meilleure justification, car ici, les auteurs d'infractions liées à la drogue ne sont pas condamnés à de très longues peines d'emprisonnement. À mon avis, il faut une incitation beaucoup plus forte si l'on veut que les toxicomanes se soumettent à un tel tribunal et qu'ils puissent bénéficier de cette expérience.

+-

    La présidente: Écoutons Mme Riley, puis Mme Millson.

+-

    Mme Diane Riley: Je suis parfaitement d'accord avec ce qui vient d'être dit. J'ai étudié les tribunaux réservés aux cas de drogue, au Canada comme aux États-Unis, et je crois qu'on a tout à fait raison de dire que c'est largement une solution propre aux États-Unis, où, comme je l'ai vu dans certains cas récents, on impose par exemple des peines d'emprisonnement de 337 ans, ou encore, où il y a des cas d'emprisonnement de femmes pour meurtre parce qu'elles ont donné naissance à un enfant mort-né et qu'on a trouvé des traces de cocaïne dans le sang de la mère--une mère de race noire, bien sûr. On peut voir comment ces tribunaux ont pu recevoir l'appui du public là-bas.

    Cela dit, je crois que le fait qu'ils soient acceptés aux États-Unis représente un danger. Ils demeurent un prolongement de notre système de justice pénale, et nous savons qu'ils ne donnent pas les résultats voulus. À mon avis, il est périlleux d'imposer un modèle de traitement de cette façon parce qu'on va se réveiller un beau matin avec une industrie du traitement qui sera aussi grosse que l'industrie de la justice pénale.

    Ce qu'on fait pour apaiser l'inquiétude de Libby Davies, c'est pratiquer le profilage racial et social de la pire sorte, et au bout du compte j'ai pu le voir dans un pays comme les États-Unis, et nous risquons de suivre nous aussi--, nous pourrions nous retrouver avec une industrie du traitement qui pratiquerait le genre d'épuration mentale et sociale qu'on a vu dans la fédération soviétique. Je crois qu'il y a vraiment lieu de s'en alarmer. Encore une fois, on ne s'attaquerait qu'à ceux qui présentent les apparences de la déviance, et on sait que si vous avez des moyens financiers suffisants, vous pouvez toujours vous en sortir en passant pour excentrique.

    J'ai donc de sérieuses réserves à ce sujet. Je pense qu'il faut investir cet argent ailleurs, dans la prévention, dans le traitement s'il le faut. Je trouve aberrant que, pour avoir accès au traitement, il faille passer par une tribunal antidrogue. Nous devrions offrir cette aide à ceux qui en ont besoin, et particulièrement aux femmes qui en ont besoin, parce qu'elles sont vraiment en marge du système, surtout les femmes enceintes et les femmes avec enfants. À mon avis, les tribunaux antidrogue nous donnent surtout l'illusion qu'on fait quelque chose. C'est comme pratiquer un peu la réduction des méfaits. C'est dangereux. Ce n'est pas la solution. Ce n'est qu'un palliatif.

À  +-(1045)  

+-

    La présidente: Merci.

    Madame Millson.

+-

    Mme Peggy Millson: Au sujet de ce qui a été dit concernant le traitement à Toronto et sa disponibilité, nous avons assisté à une augmentation dramatique du nombre de personnes qui peuvent recevoir de la méthadone en Ontario depuis qu'on a modifié la politique. C'est l'une des quelques bonnes choses qui ont été faites. Mais le fait que l'Ontario College of Physicians and Surgeons ait assumé la responsabilité d'accréditer les médecins qui administrent la méthadone n'est pas nécessairement une bonne chose.

    Cependant, ces programmes ne dépassent pas le minimum vital. Vous allez voir votre médecin de famille tous les jours ou toutes les semaines, celui-ci procède à un examen très sommaire et vous remet une ordonnance. Ce ne sont pas des programmes complets. Il serait plus logique d'investir des ressources dans des programmes complets. Il y a définitivement un préjugé de classe à l'oeuvre ici.

    Si vous êtes un héroïnomane employable, bien scolarisé, de classe moyenne, vous arriverez probablement à organiser votre visite chez le médecin qui administre la méthadone. Vous n'aurez rien de plus pressé à faire que de sortir de là à temps pour retourner à votre travail, et ainsi personne ne saura que vous vous êtes absenté pour aller chercher votre dose de méthadone. Mais si vous êtes un drogué de la rue qui n'a même pas terminé son secondaire, qui n'a pas travaillé depuis 10 ans, arriver à vous sortir de votre toxicomanie n'est pas votre seul problème. Il y a tellement d'autres ressources qui entrent en jeu lorsqu'on veut offrir un bon traitement complet qui préviendra la récidive. Il faut que la personne embarque. Il faut que la personne s'engage, dans une certaine mesure, à opérer tous ces changements.

    Je n'exclus pas la possibilité que certaines personnes fassent le premier pas parce qu'elles y seront contraintes, mais nous savons qu'un tas de gens feront d'eux-mêmes le premier pas vers le traitement en participant à un échange de seringues et qu'ils finiront ainsi par parler à quelqu'un qui est accueillant, qui ne les juge pas, et qui leur parlera de leur toxicomanie. C'est une bien meilleure façon de procéder et un bien meilleur usage des ressources, si nous tenons vraiment à prévenir une partie de cette criminalité qui est liée aux toxicomanies.

+-

    La présidente: Monsieur Remis, voulez-vous intervenir?

+-

    M. Robert Remis: Non.

+-

    La présidente: D'accord.

+-

    Mme Libby Davies: Est-ce qu'il me reste du temps?

+-

    La présidente: Il y aura un autre tour.

    Avant de céder la parole à M. Lee, j'aimerais vous présenter le Dr Hedy Fry, députée libérale de Vancouver Centre, qui a pris l'avion de nuit pour être ici. Nous sommes très heureux de vous avoir ici, avec vos bagages aussi.

    Monsieur Lee.

+-

    M. Derek Lee (Scarborough--Rouge River, Lib.): Merci.

    Je vais d'abord m'adresser à Alan Young.

    Les tribunaux réservés aux cas de drogue ne sont-ils pas une version modifiée de la déjudiciarisation, parce qu'on reconnaît que le système judiciaire normal—soit la Reine contre Jones—ne marche pas? Le tribunal de la famille, où un requérant échange de basses injures avec un intimé, ne donne pas non plus les résultats voulus dans de nombreux cas de litiges familiaux. N'est-ce pas là la vraie nature des tribunaux réservés aux cas de drogue?

+-

    M. Alan Young: Il ne fait aucun doute que c'est un genre de déjudiciarisation structurée, qui existe aussi sans que l'on ait à s'adresser à un tel tribunal. Bien sûr, si on a créé ce genre de tribunal parce qu'on est parti du constat que la justice pénale ou accusatoire traditionnelle est insuffisante, je me demande pourquoi nous n'avons pas envisagé de mesures un peu plus novatrices que ce simple tribunal complémentaire.

    Du point de vue de l'administration de la justice, ce dont on ne parle pas beaucoup, le tribunal réservé aux cas de drogue et même la déjudiciarisation coûtent cher. Par exemple, j'ai défendu un sidéen—et je veux que les gens comprennent bien à quel point la justice pénale peut être mesquine—qui avait été arrêté avec un joint dans sa voiture. Il fumait pour des raisons thérapeutiques—je travaille beaucoup dans ce domaine. On a refusé de déjudiciariser son affaire parce que la politique dit que si vous étiez à l'intérieur d'une voiture, la déjudiciarisation ne s'applique pas. Mais j'ai insisté énergiquement sur le fait qu'il s'agissait d'un homme très malade ainsi que d'une infraction très mineure. Je mentionne cela parce qu'il a fallu 10 comparutions pour faire déjudiciariser son affaire et les faire changer d'avis. Si vous procédez à une petite étude coûts-avantages de ce qu'il en a coûté aux contribuables, on se demande vraiment si c'en vaut la peine.

    Donc pourquoi avons-nous ce simple complément à la justice pénale? Si l'on sait que la justice pénale est inefficace, pourquoi ne pas créer quelque chose d'innovateur qui marcherait vraiment?

+-

    M. Derek Lee: Merci.

    Passons maintenant à la sociologie. Je crois que mes collègues du comité espèrent peut-être modifier un peu les règles du jeu dans ce domaine. Ce n'est pas pour nous strictement une question de droit.

    Sur le plan sociologique, serait-il utile à votre avis que notre rapport dise bien, noir sur blanc—et je peux me tromper en disant cela—qu'il y aura toujours un taux basique de toxicomanie dans une société, tout comme il y a toujours un taux basique ou structurel de chômage?

+-

     Les économistes disent que nous n'atteindrons jamais le chômage zéro. Il faut accepter qu'il y aura toujours des gens qui se trouveront entre deux emplois et certaines personnes qui ne veulent pas travailler tout le temps, si bien qu'on aura toujours un taux de chômage de 2, 3, 4 et même 5 p. 100. J'avance donc qu'il y aura toujours aussi un taux minimal de toxicomanie quelque part, qu'il y en a parmi nous, compagnons de route dans la vie, qui souhaiteront une déjudiciarisation, même si un bon nombre de toxicomanes sont les plus vulnérables de la société. Je ne veux pas faire comme si ces gens-là n'existaient pas, mais ai-je raison de dire à tout le monde: reconnaissons que ce problème existera toujours, il s'agit donc de bien le gérer sur le plan social, d'aider ces personnes à faire une vie normale, et qu'il faut investir des ressources de ce côté?

    Nous avons plusieurs spécialistes ici. Mme Erickson.

À  +-(1050)  

+-

    Mme Patricia Erickson: C'est une très bonne question, une question très difficile, mais je crois que nous ne savons pas vraiment ce qui constitue un taux de base de toxicomanie pour chaque substance étant donné que les contrôles légaux et l'accès, l'approbation sociale et les risques que nous percevons pour la santé varient beaucoup. Si une drogue est légalement accessible, comme cela a été le cas de la nicotine et de l'alcool, on peut probablement estimer qu'environ 10 p. 100 des gens éprouvent des difficultés avec l'alcool, par exemple. On peut contester cela, mais c'est à peu près le chiffre que certains de mes collègues citent. Pour le tabac, la nicotine, cette proportion semble beaucoup plus élevée. Entre 60 et 70 p. 100 des Canadiens sont touchés.

    Que pourrait-on changer sans imposer de prohibition? Les taux de dépendance à la nicotine ont baissé de beaucoup lorsque les gens ont cessé de fumer, lorsque les gens se sont mis à utiliser le timbre et la gomme. Je pense qu'on peut changer les gens. Il est beaucoup plus difficile de dire ce que serait le taux le plus bas si les opiacés étaient en vente libre. Mon opinion ici diffère de celle d'Alan Yougn. Ces drogues sont probablement trop dangereuses pour qu'on les vende au magasin du coin. Je pense qu'il y aura toujours des drogues avec lesquelles il faudra être très prudent. Pour les opiacés, peut-être qu'une approche avec surveillance médicale est ce que nous pouvons avoir de mieux si l'on demeure réaliste.

    Je crois que votre idée fondamentale, à savoir que ces problèmes existent et qu'ils doivent être gérés, est très importante. On ne sait pas vraiment pourquoi la plupart des gens arrivent à contrôler leur consommation de ces drogues qui ont un attrait si puissant. Quelle que soit la drogue, la norme est une consommation contrôlée chez les personnes qui sont fonctionnelles à part cela. Elles peuvent en prendre ou ne pas en prendre. On ne sait pas pourquoi un petit nombre en consomme au point d'en faire le coeur de leur vie, et le jour où les chercheurs auront compris cela, cela ne sera pas trop tôt. Comme l'a dit le Mme Millson, on y travaille. Nous aimerions aider à trouver ces réponses, mais l'aspect pratique du problème est tel que vous l'avez décrit. Dans l'intervalle, il faut endiguer le problème et tâcher de réduire les méfaits.

+-

    La présidente: Mme Riley.

+-

    Mme Diane Riley: Question fascinante. Pour reprendre votre analogie avec le chômage, je ne crois pas que le besoin d'intoxication ait jamais atteint le point zéro. À mon avis, s'il y a toujours eu intoxication et un certain degré de dépendance, c'est parce qu'il s'agit d'un besoin foncièrement très humain de modifier la conscience qu'on a des choses, quelles que soient les raisons. Je crois que nous commençons à comprendre cela. On le voit dans toutes les sociétés et partout dans l'histoire.

    Je n'aime pas le terme «assuétude». Je préfère employer le terme «dépendance», même si je ne suis pas sûre que cela nous avance beaucoup. Je crois que l'une des choses qu'on voit, c'est qu'il y a une tendance chez les êtres humains à se créer des dépendances.

+-

     Cela dit, certains d'entre nous ont la chance ou les moyens d'avoir une dépendance à l'égard de substances licites ou légales, si nous consommons ces substances. Certaines personnes ne créent pas en elles de dépendance à des substances mais elles deviennent dépendantes d'autres habitudes, par exemple le jogging et le reste. Il est tout à fait naturel chez un humain d'avoir des habitudes. On considère que certaines d'entre elles sont bonnes, et d'autres mauvaises.

    Étant donné que je travaille sur le plan international et que j'ai également une formation d'anthropologue, ayant déjà travaillé au fil des ans dans des pays comme la Nouvelle-Guinée et ailleurs, j'ai toujours été étonnée de voir que ce que l'on considère être bien dans un certain pays peut être jugé comme étant détestable dans un autre. Mais dans chacun de ces pays que j'ai étudiés, et pour toutes les drogues que j'ai étudiées, j'ai remarqué qu'il y a quelque chose qui change quand on passe de l'intoxication et de la dépendance que l'on constate dans certaines «cultures en voie de développement» à notre culture développée.

    L'une des choses que l'on voit souvent dans les pays comme la Papuasie-Nouvelle-Guinée ou certaines régions du Brésil, le long de l'Amazone, c'est que la drogue est encore très liée à l'usage rituel et religieux. Il y a donc toute une série de contrôles sociaux et un système de soutien autour de la drogue. Ce qui veut dire que les habitudes de consommation, peu importe comment vous voulez appeler ça, ne connaissent pas de débordements ou n'entrent pas dans certains aspects de la vie.

    L'autre chose qu'on voit, et je crois que c'est essentiel, c'est qu'il y a toute une différence dans le degré de dépendance et le genre de méfaits correspondants lorsqu'il y a consommation de formes plus naturelles de la plante, par exemple si l'on songe à l'utilisation de marihuana et de la feuille de coca par rapport à la cocaïne. C'est très différent, et je crois que nous devons étudier cela. Plus un produit est raffiné, plus l'on expose les êtres humains à un degré de torts différent.

    L'une des conséquences très graves de la prohibition tient au fait que nous avons produit des drogues de plus en plus raffinées parce qu'elles sont plus faciles à passer en contrebande. Je crois que nous devons réétudier les effets des produits moins raffinés.

    Je crois aussi que l'un des éléments qui rompt le contrôle social et rituel, c'est la dislocation. Les gens vivent dans des sociétés et des collectivités qui ne sont pas solidaires, qui sont très perturbées, et je crois que lorsque cet état de choses prévaut, on voit apparaître des comportements beaucoup plus déréglés.

À  +-(1055)  

+-

    La présidente: Merci.

    M. Remis, il y a un chiffre qui a été cité et qui vous a, je crois, un peu surpris.

+-

    M. Robert Remis: C'est quand vous avez parlé du pourcentage de fumeurs. Il est peut-être arrivé qu'il soit aussi élevé que celui mentionné par Mme Erickson, mais d'après moi, actuellement le pourcentage de fumeurs tourne aux alentours de 25 p. 100.

    Je pourrais peut-être vous donner un ou deux derniers petits points de détail.

    Il a été fait allusion au problème d'accès aux programmes de traitement. Bien que je n'aie pas vraiment une expérience personnelle de ce qui se passe sur le terrain, j'ai l'impression qu'au Canada il n'y a pas réellement accès égal et suffisant à des services de désintoxication ou à des programmes de traitement à la méthadone d'une manière générale. À mon avis, c'est un obstacle. Lorsqu'une personne est prête à se soumettre à un traitement, l'attente devrait être minimum.

    En fait, il suffirait d'un simple contrôle pour le déterminer. Si nous avions une stratégie nationale de désintoxication, c'est un des paramètres, le temps d'attente de participation, qui devrait être examiné de près tout comme nous surveillons de près les temps d'attente pour les transplantations d'organes ou les poses de prothèse de la hanche, etc. C'est quelque chose qu'il faudrait vraiment surveiller de près et cela ne devrait pas dépasser quelques semaines, sachant pertinemment, bien entendu, que ce n'est pas forcément le remède pour tout le monde. Nous savons également que pour la cigarette, il faut parfois plusieurs tentatives avant de pouvoir s'arrêter de fumer définitivement.

    Le récidivisme n'est pas forcément en soi un échec absolu. Mais à mon avis, il faudrait totalement supprimer tout obstacle d'accès au traitement pour que l'attente se compte en jours ou, au maximum, en semaines plutôt qu'en mois, voire en années, comme c'est le cas, je crois comprendre, dans certaines collectivités, pour bénéficier de ces services. Il me semble absolument inacceptable que ces services ne soient pas immédiatement disponibles.

    Je ne suis pas pharmacologue, mais j'aimerais rappeler qu'il y a une différence entre l'habitude et la dépendance. Nous savons tous que pour certaines de ces drogues plus lourdes il y a dépendance pharmacologique et non pas simplement accoutumance psychologique.

Á  +-(1100)  

+-

     Pour des drogues comme l'héroïne, il est notoire, sur le plan pharmacologique, qu'il y a un phénomène de tolérance. Par exemple, le drogué a besoin de doses de plus en plus élevées pour obtenir les mêmes effets. Il y a aussi les phénomènes liés au sevrage qui ne sont pas simplement des phénomènes d'anxiété ou d'angoisse psychologique. Pour les héroïnomanes, le sevrage peut avoir des conséquences physiologiques mortelles. Il y a des gens que le sevrage après des années d'injections peut faire mourir instantanément. Il y a une différence dans le cas des drogues qui créent une dépendance pharmacologique.

    Enfin, j'ai toute une série de petits renseignements complémentaires. Je peux y revenir plus tard. J'ai quelques commentaires sur les piqueries contrôlées.

+-

    La présidente: Voulez-vous faire vos commentaires maintenant?

+-

    M. Robert Remis: Je trouve l'idée de piqueries contrôlées très intéressante et très séduisante. Elle mérite certainement d'être essayée. Elle mérite d'être examinée par les différentes instances. Il faut essayer de nouvelles méthodes mais à condition de les évaluer correctement.

    À mon avis, les piqueries contrôlées offrent un potentiel de réduction du problème. J'ai fait quelques calculs rapides. Je me demande par contre comment nous pourrons jamais offrir suffisamment de sites de ce genre pour répondre aux besoins réels. Un calcul rapide sur la base des chiffres que j'ai suggérés m'a dit qu'il nous en faudrait au moins 100 à 150 à Vancouver. Je ne sais même pas si cela répondrait aux besoins mais c'est un mode d'intervention possible que je trouve très intéressant.

+-

    La présidente: Merci.

    Madame Erickson, vous avez demandé à ravoir la parole.

+-

    Mme Patricia Erickson: À propos du tabac, l'important c'est que la prévalence du tabac a chuté de manière spectaculaire du haut de ces 60 ou 70 p. 100 des années 60 où presque tout le monde était dépendant en fonction du nombre de cigarettes fumées... Le pourcentage a chuté de manière spectaculaire sans criminalisation du produit et sans toute la panoplie de la guerre antidrogue. Cela démontre la force des mesures de contrôle du milieu et des stigmates sociaux dans les messages sanitaires. Je crois que nous sous-estimons souvent la possibilité de considérer le tabac depuis l'autre côté du miroir et de voir comment nous aurions pu opter pour une approche de réduction du problème qui aurait pu aboutir à ces résultats sans aller jusqu'à la pénalisation du produit.

+-

    La présidente: Merci.

    Monsieur Young.

+-

    M. Alan Young: Étant donné que le spectre de la dépendance a été agité, je tiens à faire le commentaire suivant. Nous ne pouvons nous servir de la dépendance comme base de l'interdiction criminelle existante. Certaines drogues, contrairement à la marijuana, créent une dépendance et mènent à des comportements très néfastes pour la société. Il faut être très prudent.

    Presque tous les gens ici présents ont une tasse de café. Si ce matin vous prenez deux ou trois tasses de café, je peux vous garantir que si vous décidez de vous arrêter de boire du café, demain, vous aurez mal à la tête. C'est la conséquence d'un sevrage et cela ne coûte pas grand-chose. Il est évident que le plus difficile c'est de se passer d'alcool.

    J'ai beaucoup travaillé avec des héroïnomanes. J'ai lu avec beaucoup de surprise le livre de Bruce Alexander, Peaceful Measures. Il contenait un chapitre sur l'héroïnomanie. Pour la majorité des gens, le sevrage ne fait pas plus de mal qu'une mauvaise grippe. Pourtant, j'ai grandi en regardant des films où les victimes mourraient littéralement dans les convulsions. Actuellement, j'ai trois personnes que j'ai autrefois représentées qui travaillent pour moi parce que je ne les fait pas payer. Ils font du travail de jardinage, ils promènent mon chien, ce genre de choses. Il leur a fallu un week-end pour s'arrêter de consommer de l'héroïne et ils n'ont pas rechuté depuis.

    Les horreurs racontées sur la dépendance doivent être acceptées avec un grain de sel même si ça marche bien au cinéma. Quant à votre migraine de demain si vous arrêtez de boire du café, accompagnez-la d'autres médicaments et amplifiez-la un peu. Ce n'est pas forcément aussi mauvais que les sanctions criminelles pourraient le laisser supposer.

+-

    La présidente: Merci.

    La parole est à Mme Riley, et ce sera la dernière intervention pour ce tour de questions.

+-

    Mme Diane Riley: Quand j'ai dit que je préférerais parler de «dépendance», et que j'ai parlé d'accoutumance ou d'habitude, je ne voulais pas dire qu'il n'y avait pas de dépendance pharmacologique. Bien sûr c'est le cas pour certaines substances. Mais ce qui est également intéressant c'est que lorsque nous examinons certains comportements que nous pourrions qualifier d'habitude ou d'accoutumance, il est également possible de détecter des phénomènes de changement physiologique et de sevrage chez les sujets. Je crois qu'il faut être très prudent et faire attention car il y a drogue et drogue.

    Ceci dit, il est évident qu'il y a des drogues qui créent une dépendance, à la fois pharmacologique et physiologique. Il faut s'en occuper. Il faut offrir des services de traitement à ceux qui veulent se sortir de cette dépendance. Et comme Alan Young l'a rappelé, une de ces pires drogues est l'alcool. Je trouve effroyable qu'il y ait si peu de services humains. Presque partout au Canada, les services de désintoxication sont absolument révoltants et repoussants.

Á  +-(1105)  

+-

     L'autre problème que j'aimerais évoquer afin qu'on ne l'oublie pas est celui des produits solvants et inhalants. Pour ces produits, le sevrage est une véritable horreur et il nous faut absolument faire des progrès dans ce domaine surtout dans les collectivités autochtones. Je voulais simplement l'ajouter à votre liste.

+-

    La présidente: Merci.

    Si nos témoins et si les membres du comité n'y voient pas d'inconvénient, j'aimerais que nous suspendions la séance cinq minutes. Merci.

Á  +-(1106)  


Á  +-(1112)  

+-

    La présidente: Si tout le monde pouvait se rasseoir, nous allons reprendre notre séance et la parole est à Mme Hedy Fry.

Á  +-(1115)  

+-

    Mme Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.) Sans tasse de café le matin, j'ai mal à la tête à cinq heures l'après-midi. Je ne peux pas démarrer sans une tasse de café, ce qui m'incite à poser la question suivante.

    M. Remis, vous avez parlé des facteurs pharmacologiques et physiologiques de la dépendance. À mon avis, il y a une autre perspective totalement différente de la dépendance qu'il est indispensable d'examiner. Nous continuons à considérer la dépendance comme la conséquence d'un acte criminel et nous l'avons donc criminalisé. En fait, une des choses que je vous ai entendu dire ce matin...vous nous en parlez tous pratiquement comme d'un problème que seuls des modèles de santé publique peuvent régler, modèles comportant des objectifs pour atteindre certains résultats mesurables à un point donné dans le contexte d'une stratégie globale et coordonnée.

    La question importante posée par quelqu'un ce matin—je crois que ce quelqu'un c'était Randy—est de savoir s'il est ou non possible de mettre en place une stratégie coordonnée. Selon moi, c'est tout à fait possible. En fait, si nous ne mettons pas en place une stratégie globale et coordonnée, dans 25 ans nous n'aurons toujours pas réglé le problème et nous continuerons à nous poser les mêmes questions et à écouter les mêmes témoins nous répéter toujours la même chose.

    Le problème d'une stratégie globale et coordonnée—et j'aimerais que M. Remis ou peut-être Mme Millson me disent ce qu'ils en pensent—c'est que les gouvernements et les législateurs ont toujours tendance à considérer les problèmes dans une perspective verticale par opposition à une perspective horizontale. Mais en médecine et en santé publique, on considère un problème et on en voit les éléments sociologiques ou socio-économiques, les éléments sanitaires, les éléments prophylactiques, les éléments réducteurs, les éléments réhabilitateurs, etc., et on propose cette stratégie au sein de laquelle tout le monde, quelle que soit la discipline, travaille en équipe pour régler le problème. C'est à ce niveau qu'il faut faire autrement. Il faut que le gouvernement considère ce problème dans la perspective horizontale pour déterminer comment travailler ensemble, horizontalement, à sa résolution. Je voulais donc vous demander comment vous nous voyez y arriver, comment vous nous voyez arriver à développer ce modèle global fondé sur une sorte de modèle de santé publique horizontale.

+-

     Ma deuxième question s'adresse à Alan Young. Je sais que vous réclamez la légalisation. Je crois savoir, et j'aimerais qu'on me renseigne un peu plus sur la chose, que légaliser maintenant poserait de gros problèmes à cause d'ententes internationales et à cause du droit international, mais on peut toujours décriminaliser. Ce n'est pas la même chose. On peut réfléchir à un modèle de décriminalisation, en fait modèle tout juste adopté il y a six mois par le Conseil de l'Europe et qui commence à être appliqué, modèle dans lequel les usagers verraient leurs activités décriminalisées alors que les activités des trafiquants internationaux, des syndicats du crime, continueraient à être considérées criminelles.

    J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette distinction entre la légalisation et la décriminalisation et de ce genre de modèle. J'aimerais également entendre M. Remis sur la question de l'horizontalité du modèle de santé publique.

Á  +-(1120)  

+-

    M. Robert Remis: Il ne fait aucun doute qu'avec une vision coordonnée, réfléchie, exhaustive et multidisciplinaire, on combattrait de façon beaucoup plus efficace cet énorme fléau social. Il est évident que je ne saurais vous expliquer en quelques minutes à peine ce dont pourrait avoir l'air cette nouvelle instance, qu'il s'agisse d'un conseil ou d'un comité de coordination. Je ne sais pas lequel des deux il vaudrait mieux choisir.

    Mais comme je l'ai dit, il faut que l'équipe soit multidisciplinaire: vous devez trouver des gens qui ont des expériences diverses, c'est-à-dire une expérience des services de première ligne, de la recherche programmatique, de la recherche à différents niveaux et de la surveillance. Autrement dit, il vous faut tout un éventail de gens dont l'expérience serait diversifiée et dont les compétences sont suffisantes pour élaborer ces politiques.

    Quant aux politiques, elles devraient être élaborées en étroite collaboration avec les provinces. Les diverses lignes directrices doivent mettre en évidence les bonnes pratiques. Ainsi, on pourrait faire appel à nos compétences et à nos capacités d'évaluation, comme nous le faisons pour la pratique clinique. Le Canada est en effet un chef de file en fait de pratiques cliniques exemplaires et en fait de classification et d'utilisation du savoir scientifique et de recours à différents types d'interventions médicales. Une équipe de McMaster, de McGill et d'ailleurs a mis au point une façon de faire qui me semble très intéressante: au lieu de lancer des croisades et d'y aller par conviction profonde, on propose plutôt de tenter de résoudre ce problème en se fondant sur les résultats.

    Bien sûr, il faut de bonnes recherches en matière de prévention; or, cela fait cruellement défaut dans le domaine de la santé publique, et particulièrement dans le domaine des maladies transmissibles telles que le VIH. Au Canada, on déploie beaucoup d'efforts sans qu'ils soient convenablement évalués. À preuve, le programme d'échange de seringues: dans le milieu, nous sommes fermement convaincus qu'il faut pouvoir utiliser une seringue propre pour chaque injection. Or, on n'a jamais fait au Canada de véritable évaluation d'un programme d'échange de seringues, que je sache; je parle d'une véritable évaluation, et pas seulement d'un simple exercice de calcul servant à chiffrer le nombre de seringues distribuées une année donnée.

    Il me semblerait très stimulant de mettre au point un programme de recherche axée sur la prévention, qui serait doté de subventions telles que l'aide à l'innovation. On pourrait également songer à un programme prônant des lieux sécuritaires où s'injecter. Cela vaudrait mieux que d'avoir à chercher à gauche et à droite pour trouver des bourses de recherche et de s'adresser aux IRSC ou même à l'Institut NIDA. C'est lamentable de ne pas pouvoir trouver de fonds alors que ces projets sont de toute évidence importants et pourraient être très productifs d'un point de vue de santé publique. Pourquoi ne pas avoir une vision exhaustive et organisée et permettre la mise à l'essai d'idées sur deux ou trois ans, par exemple? Dieu sait pourtant que nous ne pourrions pas faire encore pire qu'aujourd'hui!

    Il faut examiner certains de ces projets innovateurs et les évaluer convenablement.

    Voilà les idées que j'avais.

+-

    La présidente: Merci.

    Avant de céder la parole Mme Millson, je vous rappellerai à tous que les micros sont très sensibles.

    Monsieur Remis.

+-

    M. Robert Remis: C'est le National Institute on Drug Abuse des États-Unis qui a subventionné les recherches de Montréal et de Vancouver, ce qui en dit long sur notre capacité de recherche. Imaginez: on a dû se tourner vers les États-Unis pour financer les études sur ces deux cohortes...

+-

    La présidente: En revanche, certains de nos grands chercheurs ont...

+-

    M. Robert Remis: Mes projets avaient d'abord été refusés au Canada.

+-

    La présidente: Madame Millson.

+-

    Mme Peggy Millson: J'aimerais ajouter une chose: aujourd'hui, en matière de santé publique, la tendance est au développement du milieu et à la promotion de la santé dans le milieu comme élément important dont il faut tenir compte. Autrement dit, on n'impose plus rien à la population; plutôt, on agit avec elle et on fait valoir son point de vue. On ne se donnerait plus la peine de concevoir toutes sortes de programmes sans demander leur avis à ceux qui vont en profiter, dans le but de bien démarrer dès le départ et pour que les principaux intéressés voient au chapitre d'entrée de jeu.

    Ce principe vaut tout autant pour les utilisateurs de drogues injectables. Il vaudrait vraiment la peine de se demander comment on peut outiller le milieu des consommateurs de drogues pour leur permettre d'avoir une voix beaucoup plus forte au chapitre.

    On a tenté l'expérience à Vancouver. On a fait face à quelques difficultés, et même à des problèmes, car il y a toujours quelqu'un qui parle au nom d'un tiers et qui, ce faisant, en exclut d'autres. Néanmoins, c'est un pas dans la bonne direction.

    Cela se fait aussi à petite échelle à Toronto. Dans la plupart des autres villes, on en est encore au tout début, mais c'est un aspect dont il faut vraiment tenir compte si l'on décide d'opter pour le modèle de l'équipe en santé publique. En effet, ces gens-là sont ceux qui connaissent la situation mieux que quiconque.

    Il est évident qu'il faut aussi aller chercher des gens de l'extérieur pour faire la recherche, car il faut avoir les deux points de vue. Il est bon d'avoir une participation directe en matière de promotion de la santé, mais il faut aussi aller au-delà; il faut agir localement tout en ayant aussi une vision d'ensemble. C'est très important. Chez les drogués irréductibles, sur qui porterait ma recherche, il faut savoir qu'il y a un taux horriblement élevé d'abus sexuel à l'égard des enfants, et ce sont là des phénomènes que nous devrions empêcher. Mais c'est la vie qui a rendu ces gens si vulnérables, alors que nous aurions dû intervenir avant qu'ils n'en arrivent à ce point là.

+-

     Ce principe vaut tout autant pour les utilisateurs de drogues injectables. Il vaudrait vraiment la peine de se demander comment on peut outiller le milieu des consommateurs de drogues pour leur permettre d'avoir une voix beaucoup plus forte au chapitre.

    On a tenté l'expérience à Vancouver. On a fait face à quelques difficultés, et même à des problèmes, car il y a toujours quelqu'un qui parle au nom d'un tiers et qui, ce faisant, en exclut d'autres. Néanmoins, c'est un pas dans la bonne direction. Cela se fait aussi à petite échelle à Toronto. Dans la plupart des autres villes, on en est encore au tout début, mais c'est un aspect dont il faut vraiment tenir compte si l'on décide d'opter pour le modèle de l'équipe en santé publique. En effet, ces gens-là sont ceux qui connaissent la situation mieux que quiconque.

    Il est évident qu'il faut aussi aller chercher des gens de l'extérieur pour faire la recherche, car il faut avoir les deux points de vue. Il est bon d'avoir une participation directe en matière de promotion de la santé, mais il faut aussi aller au-delà; il faut agir localement tout en ayant aussi une vision d'ensemble. C'est très important. Chez les drogués irréductibles, sur qui porterait ma recherche, il faut savoir qu'il y a un taux horriblement élevé d'abus sexuel à l'égard des enfants, et ce sont là des phénomènes que nous devrions empêcher. Mais c'est la vie qui a rendu ces gens si vulnérables, alors que nous aurions dû intervenir avant qu'ils n'en arrivent à ce point-là.

Á  +-(1125)  

+-

    La présidente: Monsieur Young.

+-

    M. Alan Young: En ce qui concerne la légalisation, la décriminalisation, il y a certaines choses qui doivent être dites.

    Tout d'abord, en ce qui a trait à la légalisation, ce n'est pas une option à l'heure actuelle, car vous avez sans doute raison, les traités internationaux ne le permettent pas, ce qui est très malheureux en réalité, car que ce soit à partir de la conférence de Shanghai en 1908 jusqu'à la convention Single en 1961, ces traités avaient été signés en raison de l'absence d'information. Il est malheureux que ces traités régissent toujours la question aujourd'hui, car ils ne reflètent pas vraiment la situation actuelle. Cela mis à part, il faudrait une réaction de la communauté internationale pour qu'il y ait légalisation.

    Par ailleurs, la légalisation exigerait une intégration sur l'économie de marché. Si on décide qu'une drogue est légalisée, il faut prévoir un réseau de distribution--par exemple, soit dans le secteur privé, soit ce que nous avons fait dans les années 20, en monopolisant la vente des alcools. Ce n'est pas vraiment dans les cartes et ce serait plutôt un rêve chimérique que quelque chose dont nous pouvons vraiment parler.

    En ce qui concerne la décriminalisation, il n'y a absolument rien dans le droit international qui empêche le Canada de le faire. Chaque fois que je suis allé devant les tribunaux pour contester la politique du gouvernement, les avocats du gouvernement ont évoqué le spectre de la convention de 1961. Je trouve cela très contrariant, car, sans vouloir être facétieux, s'ils ouvraient les yeux pour regarder ce qui se passe de l'autre côté de l'océan: cela n'a pas empêché toute l'Europe et presque toute l'Australie de décriminaliser.

    Voici notre position en fait, et je veux qu'elle soit très claire. L'Italie, l'Espagne et le Portugal l'ont fait avec une mesure législative, non pas de facto. Ils ont en fait modifié leur loi et imposé plutôt une sanction administrative pour toutes les drogues--il n'y a pas de différence entre le cannabis et l'héroïne. La Hollande, l'Allemagne, la Belgique, la Suisse et le Luxembourg ont tous ce que l'on appelle la décriminalisation de facto. Ils ferment tout simplement les yeux, voilà ce qui se passe là-bas. Une grande partie du monde occidental a donc changé.

    En 1997, dans une cause que j'ai amenée devant les tribunaux, concernant le cannabis et pour laquelle Mmes Riley et Erickson étaient des témoins experts, le juge a conclu que le Canada et les États-Unis n'étaient pas au pas avec le reste du monde occidental. Je pense qu'il est vraiment important de souligner que le fait d'examiner notre politique concernant les drogues et d'apporter une réforme progressive ne constitue pas une tâche hérétique en 2002. Nous ne sommes pas les premiers, loin de là--nous sommes vraiment très loin derrière.

    Donc je pense que la décriminalisation est quelque chose que non seulement le droit international permet, mais en fait si on lit la convention de 1988 sur les drogues psychotropiques--et corrigez-moi si je me trompe, je ne connais pas le titre exact--on constate qu'elle encourage vraiment l'innovation pour ce qu'ils appellent les «cas mineurs de criminalité», et personne en Amérique du Nord n'a vraiment répondu à cet appel de créativité.

+-

    Mme Libby Davies: Quels pays ont institué la décriminalisation?

+-

    M. Alan Young: La Hollande a été le premier pays à le faire.

+-

    Mme Libby Davies: La Hollande, la Belgique, l'Allemagne...

+-

    M. Alan Young: L'Allemagne était tout à fait contre et entamait des poursuites très rigoureuses contre les Hollandais. Ils se sont rendu compte cependant qu'ils ne pouvaient plus le faire, alors il y a eu décriminalisation dans tout le nord de l'Allemagne. Il y a aussi la Belgique... la Suisse s'apprête à modifier sa loi, mais à l'heure actuelle, il y a décriminalisation de facto seulement. Il y a aussi le Luxembourg, si c'est toujours un pays.

+-

    Mme Libby Davies: Je vois. Qu'en est-il de l'Espagne et du Portugal?

+-

    M. Alan Young: L'Espagne, le Portugal et l'Italie ont en fait modifié leur loi pour créer un régime administratif. L'Italie et l'Espagne l'ont fait il y a quatre ans, le Portugal l'a fait l'an dernier.

    La présidente: Madame Riley.

+-

    Mme Diane Riley: Je pense que lorsque nous parlons de cette question, il est bon d'avoir une définition de certains des autres termes qui peuvent être utilisés, car légalisation est une catégorie très vaste. Nous parlons de différentes formes de réglementation et du genre de systèmes que nous aimerions voir, alors je pense que nous devrions commencer à utiliser le mot «réglementation», plutôt que de parler de légalisation par opposition à décriminalisation. J'aimerais souligner qu'une forme de légalisation, une forme étroite, est la médicalisation, et qu'il y a de plus en plus de pays, naturellement, qui médicalisent certaines drogues, notamment l'héroïne, comme nous pouvons le constater lors des procès, et comme nous pourrons le constater au Canada et aux États-Unis sous peu.

    L'autre chose que je voudrais dire, c'est que d'après mon expérience du droit international--et parce que je fais du travail à l'internationale, c'est une question dont je m'occupe maintenant depuis les 10 ans--les traités laissent une grande marge de manoeuvre, beaucoup plus que la plupart des gens semblent le croire. Naturellement, les traités stipulent assez clairement qu'aucun de ces traités ne devrait primer sur la souveraineté du pays. Il s'agit là d'une chose que nous ne devrions pas oublier au Canada, car le traité ne doit pas aller à l'encontre de ce que le pays choisit de faire. Les traités ne peuvent pas faire cela.

    Une autre chose qui se passe au sein des organisations internationales, notamment au programme de contrôle des drogues des Nations Unies où je travaille, on parle de réexaminer les traités internationaux, étant donné la situation terrible dans laquelle on se retrouve avec la propagation du VIH-SIDA, mais aussi parce qu'il y a de plus en plus d'organisations internationales qui sont vraiment préoccupées par l'ampleur que prend le crime organisé qui est une conséquence directe de la prohibition. Donc je pense que nous allons assister à de très importants changements sous peu.

Á  +-(1130)  

+-

    La présidente: Merci.

    Avant de donner la parole à M. White, je voudrais moi-même poser quelques questions.

    Mme Millson et moi-même parlions tout à l'heure ensemble. D'une part, nous avons tous ces jeunes qui deviennent végétariens, qui veulent des aliments biologiques et toutes ces tendances vers le naturel, tandis que d'un autre côté, il y a l'ecstasy, il y a l'héroïne. Ils semblent faire certaines expériences, madame Erickson, qui ne sont pas très saines. À Abbotsford, une amie de Randy White nous a raconté qu'elle avait perdu cinq ans de sa vie et qu'elle avait risqué sa santé alors qu'elle prenait de l'héroïne, et je ne suis pas certaine si en fin de compte elle était heureuse des choix qu'elle avait faits, ou si elle avait vraiment l'information pour faire de tels choix. Il lui semblait que tout le monde prenait de l'héroïne et que ce n'était pas si grave que cela, et pourtant elle a l'impression qu'elle a eu beaucoup de chance de survivre à tout cela.

    Que faisons-nous face à l'expérimentation? Quel message devrait-on envoyer à nos jeunes qui, de façon générale, lorsque nous leur en parlons, répondent quelque chose comme «J'ai besoin de m'échapper»?

    Madame Riley, je pense que c'est vous qui avez mentionné le sport. Nous avons visité un centre de désintoxication pour les jeunes. La meilleure athlète de son école était là et des jeunes nous ont dit que toute l'équipe de football prenait de l'héroïne à la mi-saison. Je ne m'imaginais pas que c'était là le genre de jeunes qui se droguaient... L'une de ces jeunes aurait dû faire partie de notre équipe nationale, mais voilà qu'à 17 ans elle se trouvait dans un très mauvais pétrin, toxicomane. Sur le plan socio-économique, cette jeune fille était comme une reine de beauté. Cela nous a choqués--tout au moins, j'ai été choquée. C'est donc une question que je voulais poser.

    Madame Millson, je me demande si vous seriez en mesure de nous décrire cette situation traumatique, car certainement, monsieur Remis, vous dites que dans la ville de Toronto et en Ontario il y a beaucoup plus d'utilisations de drogues par intraveineuse qu'à Vancouver, c'est très évident à Vancouver. Les chiffres m'ont donc quelque peu surprise.

    Monsieur Young, vous dites que le système de justice criminelle n'est pas approprié dans le cas des psychosubstances, mais il y en a certainement une partie--les jeunes, le trafic de drogues, le contrôle des produits chimiques. Je me demande si vous pourriez nous donner davantage de détails à ce sujet.

    Madame Erickson.

+-

    Mme Patricia Erickson: Lorsqu'ils passent de l'enfance à la vie adulte, les adolescents sont exposés à beaucoup de choses dangereuses en réalité--la drogue, les voitures, la motoneige sur l'eau, toutes sortes de choses--et les drogues sont disponibles. Un des aspects d'une société libre c'est que les gens ont le droit de prendre de mauvaises décisions.

Á  +-(1135)  

+-

     Nous aimerions protéger nos jeunes afin qu'ils ne prennent pas de mauvaises décisions prématurément. C'est une partie très importante de la santé publique. Voilà le dilemme. La loi criminelle n'est pas une loi sur la santé; c'est une loi criminelle qui dit que si vous faites telle ou telle chose vous êtes une mauvaise personne, et que si vous vous faites prendre, vous serez puni.

    Je pense que le message et l'éducation seraient meilleurs si nous ne tentions pas de faire peur aux jeunes en leur disant de ne pas utiliser les drogues, si on ne tentait pas de rendre les drogues séduisantes et attirantes pour les jeunes qui veulent prendre des risques. Il est normal de prendre des risques à l'adolescence, mais on espère que cela ne va pas jusqu'à se piquer à l'héroïne. Espérons plutôt qu'ils ne feront que quelques tentatives à la marijuana, ou peut-être qu'ils essaieront une fois l'ecstasy.

+-

    La présidente: Monsieur Remis.

+-

    M. Robert Remis: Je voudrais faire quelques petites observations rapidement.

    Tout d'abord, en ce qui a trait à l'usage de drogues injectables à Toronto et Vancouver, la ville de Toronto est plus grande que Vancouver, donc les pourcentages sont peut-être légèrement plus élevés à Vancouver.

    Si on parle de l'usage de drogues dans la population en général, nous estimons qu'à Vancouver le pourcentage se situe à 0,70 p. 100 et à Toronto à 0,56 p. 100, c'est-à-dire 25 p. 100 plus élevé à Vancouver qu'à Toronto. Naturellement, ces pourcentages peuvent être interprétés de différentes façons.

    C'est peut-être que le milieu de la drogue est plus concentré et plus visible à Vancouver. Comme Mme Millson l'a mentionné, c'est peut-être un peu plus éparpillé dans plusieurs centres à Toronto, de sorte que c'est peut-être moins visible.

    Il y a une chose que je voudrais dire rapidement, une chose qui a été mentionnée précédemment par Alan Young, concernant les effets nocifs. De toute évidence, aucune drogue, qu'elle soit médicale ou non médicale, n'est entièrement sans effet secondaire, mais certaines drogues comme l'ecstasy peuvent être en fait très dangereuses. À un comité dont je suis membre, on nous a fait part d'une étude qui révèle que peut-être un seul usage d'ecstasy pourrait avoir un effet sur les centres du cerveau, tandis qu'il est possible de fumer un joint en toute impunité. Je ne sais pas si cela est vrai au sujet d'une tablette occasionnelle d'ecstasy, ou de certains types de méthamphétamine ou d'autres drogues. Nous devons cependant être prudents, car il y a peut-être certaines drogues qui sont vraiment nocives--pas toutes, mais il y en a peut-être.

+-

    La présidente: C'est exact.

    Peggy.

+-

    Mme Peggy Millson: Voulez-vous que je vous parle un peu de Toronto?

    Il y a plusieurs quartiers de Toronto où on retrouve ce problème, ce qui a affecté, par exemple, la fourniture de services. On craint qu'il soit difficile de trouver des usagers dans certains quartiers de la ville, même si on soupçonne fortement qu'ils s'y trouvent. Nous avons une situation très diffuse, par rapport à la situation de Vancouver où la drogue est très concentrée dans la partie est du centre-ville.

    Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de quartiers précis. Par exemple, la région de Parkdale est bien connue pour l'usage d'héroïne. Il y a là une concentration de gens qui ont des problèmes de santé mentale car c'est dans ce secteur que se trouvait l'ancien hôpital psychiatrique, où les gens vivaient avant qu'on leur dise d'aller ailleurs.

    Il y a aussi un secteur, comme Mme Erickson a mentionné, où on fait usage de crack, etc. Donc, la situation est plus diffuse, ce qui a ses avantages et ses désavantages. Il y a peut-être moins de possibilités de réseautage pour les gens qui ne se connaissent pas, donc moins de risque de répandre les virus, par rapport à la situation dans l'est du centre-ville. S'ils partagent le matériel, les gens ont tendance à partager dans des groupes limités avec des gens qu'ils connaissent. Ce sont toutes des tendances, et il y a certainement toujours des exceptions.

    Toronto a toujours eu--du moins initialement--un très bon programme de prévention. Le programme d'échange de seringues a été mis en place en 1989 et comme nous avons là un problème de cocaïne depuis le début, on a toujours été conscients de la nécessité de fournir un certain nombre de seringues aux gens qui le demandaient--de ne pas limiter le nombre de seringues que les gens peuvent échanger, et ce type de politiques, qui, je pense, ont été utiles.

+-

     À Toronto, on a par ailleurs tenté de décentraliser le programme d'échange de seringues et de l'offrir selon différentes formules de service. Le programme était financé et géré par le ministère de la Santé, mais était offert dans des centres de santé communautaire, par exemple, ou par d'autres types d'organismes de service, où leurs propres clients, des gens qu'ils connaissent, des gens en qui ils ont confiance, pouvaient également avoir accès à l'échange de seringues.

    Je voudrais par ailleurs mentionner que Toronto n'a pas eu l'infusion de ressources de prévention que Vancouver a eue au cours des dernières années—bien au contraire—je dis donc cela avec une certaine prudence. Je pense qu'on a fait beaucoup d'efforts pour prévenir le VIH à Toronto, et qu'on l'a fait avec un degré raisonnable de succès. Ce n'est pas parfait, mais il y a eu certains succès. En même temps, je pense qu'il y a toujours un risque et que les politiques sociales qui sont en place à l'heure actuelle augmentent de plus en plus ce risque.

    Je suis consciente que le fédéral ne s'occupe pas nécessairement directement de toutes ces choses, mais la situation n'est jamais statistique et je pense qu'on ne peut pas dire qu'il n'y a pas de problème tout simplement parce qu'on ne l'a pas encore constaté.

Á  +-(1140)  

+-

    La présidente: Merci.

    M. Young et Mme Riley.

+-

    M. Alan Young: J'aborderai brièvement la légalisation, mais avant de le faire, je voudrais faire une brève observation à la suite de ce qu'a dit M. Remis au sujet des drogues insidieuses et de l'exemple de l'ecstasy. Il a dit qu'une étude révèle qu'une seule dose d'ecstasy peut causer les méfaits. Je dirais que l'un des aspects tragiques de notre guerre contre la drogue c'est que des gens comme moi-même, et bien d'autres, vont lire cela mais n'y croiront pas. Moi je n'y croirai pas. Je vérifierai qui a fait l'étude, si c'est le NIDA, car je sais que cela signifie, et je sais si c'était un bon groupe de contrôle.

    Je dis cela car il y a eu tellement de mauvaises informations pour appuyer la prohibition que lorsque quelque chose est publié et que nous devrions y porter attention, personne n'y porte attention. Cela a toujours été un problème lorsqu'on tente de créer une politique sociale qui se fonde sur une mauvaise information. Je suis enseignant. Vous voudriez que je crois cela, et que je l'enseigne aux étudiants, mais je ne peux pas, car j'ai vu trop de mauvaises études être présentées comme des études scientifiques. Je suis désolé, mais il fallait que je le dise.

    En ce qui concerne la légalisation, vous m'avez demandé ce qui devrait être criminel, car vous voulez savoir si je dirais tout simplement qu'il faut laisser les gens faire ce qu'ils veulent et tant pis pour eux. Ce n'est pas exactement ma position, mais il y a des limites.

    Je dois vous dire que la distribution aux enfants n'est pas un problème pour moi. C'est un mythe des médias. Je peux vous dire qu'après avoir traité avec des trafiquants de drogues pendant 18 ans, je sais que personne ne vend de la drogue aux enfants. Les enfants vendent aux enfants. La façon la plus facile de se faire prendre c'est de vendre aux enfants. Pensez-vous qu'ils vont vendre de la drogue à un enfant de 10 ans dont la mère fait toujours la lessive et qui risque de trouver du cannabis dans les poches de ses vêtements? On évite les enfants. C'est la façon de se faire prendre. On trouve quelqu'un pour distribuer la drogue. C'est de cette façon que cela a toujours fonctionné dans les écoles secondaires de premier cycle et dans les écoles secondaires. Si quelqu'un vient à l'école pour vendre de la drogue, ne croyez-vous pas que cette personne se fera repérer facilement si cette personne est plus âgée? Ce n'est tout simplement pas un problème.

    Pour ce qui est de savoir quelles drogues devraient toujours être illégales, cela comprend la vente de drogues frelatées et l'administration de substances délétères, ce qui se trouve toujours dans le Code criminel. C'est comme si Cathy Evelyn Smith injectait la dose fatale à John Belushi qu'il en mourrait. Il y a toujours le problème des crimes secondaires.

    Mais le crime principal—et je sais que ce n'est pas le bon terme et que je ne devrais l'utiliser—la principale infraction aux règlements qui pourrait exister, et une infraction assez sérieuse, serait de vendre une substance frelatée qui ne serait pas conforme au Règlement de la Loi sur les aliments et drogues, si on continue d'utiliser la Loi sur les aliments et drogues à l'avenir.

+-

    La présidente: Merci.

    Madame Riley.

+-

    Mme Diane Riley: Si j'ai bien compris, vous posez la question de la consommation de drogues par les classes socio-économiques supérieures et dans le contexte sportif.

+-

    La présidente: C'est la question du message que nous devons faire passer, surtout lorsqu'il s'agit d'un groupe atypique. J'ai toujours pensé qu'on pouvait dire faites du sport et voyez la vie en couleurs, mais ce n'est pas forcément indiqué.

+-

    Mme Diane Riley: La première chose, de façon générale, c'est que la consommation de drogues n'est pas limitée à un niveau de la société. Nous savons que les riches qui s'ennuient en consomment très souvent plus que les autres. Dans notre système, c'est que ce sont malheureusement les classes inférieures de la société qui se font prendre.

+-

     Pour revenir à ce que disait Mme Erickson, à savoir que le message doit porter sur les risques que l'on prend, notre société doit reconnaître que tous les jeunes veulent prendre des risques.

    Si vous considérez la perspective anthropologique, il y a un stade dans la vie que l'on appelle dans certaines sociétés «le rite du passage», mais nous avons perdu ce rite officiel. Nous nous y prenons différemment et j'aimerais que cela revienne. Je ne sais pas à quoi cela ressemblerait, mais je pense que ce serait intéressant.

    C'est ce que font les jeunes et le mieux à mon avis est d'informer les enfants et leurs parents. Les parents viennent me voir—je suis sûre qu'ils viennent nous voir tous—en disant: «Aidez-moi, mes enfants en savent plus sur les drogues que moi. Qu'est-ce que je vais faire»? Il nous faut informer honnêtement la population à propos des drogues et de leurs effets, et pas seulement les enfants.

    Comme d'autres ici, j'enseigne à la Faculté de médecine de l'Université de Toronto et ce que l'on enseigne à propos des drogues illicites est un strict minimum. Je pense qu'il faut améliorer l'éducation à ce sujet en général. Mais il faut le faire honnêtement, il faut parler de la réduction des préjudices, il faut dire aux enfants, aux jeunes et à leurs parents comment reconnaître les signes de surdose et comment y faire face. Surtout il faut expliquer aux enfants l'effet qu'auront les drogues sur eux car, pour le moment, il y a tellement d'informations erronées que les jeunes ont tendance à ne rien croire de ce qu'ils entendent.

    Une des choses qui a très bien réussi dans le programme national des Pays-Bas quand ils ont décriminalisé de facto la marijuana et l'une des raisons pour lesquelles ils ont tellement peu de consommateurs de marijuana comparativement à l'Amérique du Nord, c'est qu'ils ont lancé une campagne d'information massive sur les effets réels de la drogue. Un résultat important fut que l'on a arrêté d'idéaliser la drogue, mais cela aussi a appris aux enfants à être beaucoup plus prudents face aux drogues plus fortes, cela leur a appris ce qui arriverait avec les drogues douces, etc.

    C'est nécessaire mais il faut également apprendre aux gens ce que c'est que de prendre des risques en général et permettre que l'on prenne des risques tout en ayant de meilleurs filets de sécurité. L'éducation fait partie de ce filet de sécurité mais la politique sociale en général en fait aussi partie.

Á  +-(1145)  

+-

    La présidente: Merci, madame Riley.

    Monsieur White, je crois qu'il va falloir que nous passions à un tour d'environ cinq minutes, si vous voulez bien.

+-

    M. Randy White: Merci, je voudrais revenir sur trois questions qui préoccupent tout le monde.

    Tout d'abord, monsieur Remis, vous avez déclaré: «Sur le terrain, nous croyons beaucoup à ce modèle de réduction des préjudices». Je crois que c'est à peu près ce que vous avez dit. J'aimerais vous détromper. Je ne pense pas du tout que ce soit le cas car il y en a qui croient certainement à un modèle de réduction des préjudices, mais je dirais que la majorité des localités canadiennes restent très sceptiques.

    Dans ma propre ville de 130 000 habitants, il y a le problème des échanges de seringues—non pas des piqueries contrôlées, mais des sites d'échange de seringues. Beaucoup contestent qu'il s'agit là de réduction des préjudices et disent qu'on accroît les préjudices en offrant de tels sites.

    Évidemment, il est difficile pour un comité qui examine la question dans tout le Canada de suggérer un modèle de réduction des préjudices qui inclut des piqueries contrôlées, l'échange de seringues, etc. comme norme dans un pays tel que le nôtre alors qu'en fait je ne crois pas que la majorité de la population y croit. J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez, mais je vais d'abord vous poser mes deux autres questions en vitesse.

    La deuxième question s'adresse à Mme Erickson. Ce que je sais des centres de réintégration sociale dans ce pays, c'est qu'ils sont rares et espacés. Il y en a un avec lequel je collabore depuis un certain temps. C'est un excellent programme, on peut recevoir 34 personnes. C'est un programme qui s'adresse aux adolescentes toxicomanes. Il n'y a que cinq personnes qui en profitent parce que le gouvernement ne veut pas y envoyer d'autres toxicomanes: le coût est supérieur à un séjour en foyer d'accueil, etc. Après les treize semaines du programme, ces jeunes se retrouvent à la rue parce qu'il n'y a rien d'autre. C'est une question d'argent et de volonté de la part des administrations locales. J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.

Á  +-(1150)  

+-

     Enfin, et je m'adresse là à Mme Riley, vous avez dit que nous devrions investir dans la prévention. Je serais d'accord là-dessus mais le problème est qu'il s'agit là d'un système pyramidal. En haut de la pyramide, ceux qui vendent de la drogue gagnent plein d'argent et essaient d'intéresser beaucoup plus de monde pour s'enrichir encore. Les intermédiaires en font autant. C'est un système de vente pyramidal.

    Je me demande ainsi combien d'argent on pourrait investir dans la prévention, dans la réintégration sociale, dans le traitement et dans les services de police quand on a ces types en haut de la pyramide et dans tout le système à qui cela rapporte. Quelles que soient la formation ou l'information que vous donnez aux jeunes, ces gens vont trouver le moyen de leur vendre de la drogue. Que pourriez-vous suggérer?

    Et voilà, j'ai cinq minutes.

+-

    La présidente: Nous allons devoir entendre M.  Remis, Mme Erickson et Mme Riley en une minute et demie.

+-

    M. Robert Remis: Ma foi, j'espère que je ne vous ai pas donné l'impression que je parlais pour l'ensemble de Canadiens en disant que nous croyons tous à la réduction des préjudices. Le Canada est une nation diverse, une communauté de communautés et, bien sûr, tout le monde n'est pas d'accord et certains sujets sont controversés. Ce que je voulais dire, c'est qu'il existe clairement un consensus dans le milieu de la santé publique au Canada, en particulier dans les grands centres urbains. Cela repose sur une prémisse très simple, à savoir que, indépendamment de toute l'idéologie et du débat, une politique d'abstinence et d'élimination ne donne rien et ne donnera rien. Il y aura toujours une petite et catégorie de gens qui fera des tas de choses et que l'on ne peut arrêter. Il faut le reconnaître.

    Il serait très bien que l'on ait une recette pour éliminer le problème d'injection. Ce serait magnifique. Mais on n'en a pas, et ceci pour différentes raisons. Certains pensent peut-être qu'il n'y a pas d'autres solutions valables et que l'injection a de nombreux effets délétères—nous sommes bien au courant—mais, au moins, nous pouvons minimiser les préjudices en permettant aux gens, dans la mesure possible, de mettre fin à ces pratiques nocives mais également à limiter les risques, par exemple, d'attraper une grave infection sanguine souvent mortelle telle que le VIH, l'hépatite B ou l'hépatite C.

    Certes, il y a des gens qui sont catégoriquement opposés aux échanges de seringues aux États-Unis, mais je dois vous dire, en toute déférence, que ce n'est pas le cas dans nos villes. C'est peut-être vrai chez vous, il y a peut-être des gens qui sont encore tout à fait contre, mais je crois que la réalité est qu'il y a des gens qui s'injectent de la drogue et qu'il nous faut faire le maximum pour minimiser les effets délétères de ce qu'ils vont inévitablement faire.

+-

    La présidente: Mme Erickson.

+-

    Mme Patricia Erickson: Je répéterai que traiter un problème de drogue isolément peut aider un jeune dans l'immédiat mais que si on n'intègre pas cela à des considérations de logement, de formation professionnelle, de soutien communautaire et d'accueil, l'individu se retrouve à la rue. J'ai interviewé un certain nombre de prostituées qui consommaient du crack il y a quelques années, et il est très difficile de trouver une solution sans offrir un contexte d'assistance sociale bien meilleure, un filet de sécurité élémentaire, des services d'orientation et de soutien à ceux qui en ont réellement besoin.

+-

    La présidente: Madame Riley.

+-

    Mme Diane Riley: À propos de la prévention face à la disponibilité des drogues, je répéterai tout d'abord ce qu'ont dit me collègues, il faut envisager une démarche globale qui tienne compte de la prévention, de la réduction des préjudices, du traitement et des services de police, et je crois aussi qu'il faut reconnaître que si la drogue est aussi disponible, c'est le résultat de la prohibition et du marché noir. Différentes formes de réglementation pourraient régler ce problème.

    Cela dit et ayant indiqué le problème qui va au coeur du système de marché actuel que nous avons, j'aimerais revenir sur ce que disait M. Remis à propos d'une recette qui permettrait de mettre fin à l'injection. Dans les travaux que j'ai effectués sur les tendances de consommation de drogues dans différentes régions du monde, il semble que le recours à l'injection est en grande partie dicté par le marché de la drogue, la force de la drogue et la nature de la drogue disponible.

    On pourrait en effet essayer de détourner les populations de l'injection, et je pense que c'est nécessaire. C'est ce que nous faisons actuellement au palier international. On revient toutefois toujours à la question du marché. C'est le marché qui alimente le problème. Alors attaquons le problème du marché et le système que nous avons. Ce n'est pas un système de réglementation. À l'heure actuelle c'est le chaos au total et l'accès illimité aux drogues. Commençons par cela et je crois que nous verrons de grosses améliorations. On pourra alors rediriger l'argent là où il est nécessaire.

+-+-

    La présidente: Merci.

    Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies: Merci, Paddy.

    J'aimerais revenir à un commentaire que Diane a fait un peu plus tôt: s'il y avait des essais cliniques à l'égard d'un programme d'entretien à l'héroïne, la médicalisation représente à certains égards une forme de légalisation. Il existe toutes sortes de drogues qui ne sont pas disponibles pour le grand public à moins qu'on ait une ordonnance; il s'agit donc de drogues illégales à moins qu'elles ne soient prescrites. Cela demeure une possibilité.

    Nous avons entendu de très bonnes idées aujourd'hui, les questions qui ont été posées étaient vraiment excellentes, mais je crois que ce qu'il faut se demander c'est comment assurer ce changement. J'ai parlé à des gens dans le quartier est du centre-ville pendant cinq ans et je dis nous sommes sur le point de faire quelque chose de dramatique, les choses changeront; pourtant les gens sont exaspérés et frustrés. Les gens sont conscients du fait qu'il existe un consensus, au moins, je crois, dans certaines collectivités locales, certainement à Vancouver, mais traduire tout cela dans un plan national qui changera fondamentalement la façon dont nous agissons, c'est là le défi et c'est un défi de taille. À mon avis, l'élément essentiel c'est le leadership politique; en fait tous ces rapports le signalent également.

    Je me demande donc si vous avez des conseils à nous offrir à cet égard parce que je ne voudrais pas qu'un autre comité dépose un autre rapport... Quel serait d'après vous le catalyseur qui permettrait de changer la réaction politique de nos leaders? Je ne parle pas nécessairement de notre comité, nous avons d'ailleurs déjà eu d'excellentes discussions ici. Que devons-nous faire? Je ne crois pas que faire intervenir des raisons d'ordre moral serait efficace; devons-nous parler de facteurs économiques? Je ne sais pas. C'est une question que je me pose sans cesse; je ne veux tout de même pas qu'on devienne de plus en plus découragés cette année dans ce dossier.

+-

    La présidente: Monsieur Remis.

+-

    M. Robert Remis: Lorsqu'on parle de changement politique ou social, il faut comprendre qu'il y a plusieurs étapes proposées dans le modèle de la promotion de la santé. Il est clair qu'il doit exister une volonté politique. La création de votre comité est clairement une décision fort encourageante. Votre comité aura peut-être un impact, peut-être pas, on verra. Mais je crois qu'il faut mobiliser l'opinion publique. Je ne sais pas ce que pense vraiment les Canadiens, mais il doit y avoir un nombre croissant de leaders d'opinion publique, pas seulement dans nos collectivités, mais dans d'autres secteurs, qui s'expriment publiquement dans ce dossier et qui alimentent un débat national sérieux sur la question; il faut faire état dans ce débat des réalités auxquelles nous sommes confrontés maintenant et de l'impact possible des politiques que nous adopterons plus tard. Je crois que nous devons assurer la participation des Canadiens à ces débats parce que c'est la façon de mobiliser, par exemple, les décisionnaires afin de les encourager à apporter les modifications législatives qui s'imposent clairement.

+-

    La présidente: Merci.

    Monsieur Young.

+-

    M. Alan Young: Même si cela ne touche pas nécessairement la réforme du droit, je crois qu'une première étape, serait pour le gouvernement de s'acquitter de sa responsabilité morale qui est de renseigner le Canadien moyen sur les drogues. Je crois que le problème est le manque de connaissances des Canadiens à cet égard. Nous avons grandi la majorité d'entre nous à une époque, qui se poursuit encore aujourd'hui, où les renseignements diffusés sont inexacts et frisent pratiquement l'hystérie. Lorsque nous disons que tous les Canadiens n'appuient pas une politique de réduction des préjudices, c'est probablement vrai. J'ai étudié certains dossiers dans le nord de l'Ontario, et la situation est complètement différente là-bas; on y parle toujours de rapports et d'émissions qu'on a vus dans les années 50.

    Le gouvernement doit donc apprendre à mieux collaborer avec les médias dans ce dossier. Je ne veux pas manquer de respect, mais si l'on regarde derrière nous, nous voyons qu'il y a deux rangées de sièges réservés pour les journalistes, mais aucun d'entre eux n'est occupé. Je peux vous garantir que si vous demandiez au chef de police de Toronto, M. Julian Fantino, de témoigner devant le comité, il y aurait salle comble.

Á  +-(1155)  

+-

     Vous verrez la différence. Le gouvernement doit comprendre qu'il ne pourra changer et mobiliser l'opinion publique que s'il diffuse des renseignements au public. Ce n'est pas vraiment un sujet porteur. Le type de renseignements que le public aime recevoir, c'est ce qui fait les manchettes, par exemple, quand on dit que l'héroïne détruit les cellules du cerveau. Le public n'aime pas vraiment voir des reportages qui disent le contraire parce que ce n'est pas aussi intéressant. Ce n'est pas enlevant. Il faut contrôler l'information diffusée si on veut faire avancer le dossier.

  +-(1200)  

+-

    La présidente: Nous vous encouragerons cet après-midi à lire votre témoignage de ce matin.

    Madame Riley.

+-

    Mme Diane Riley: Je crois vraiment que la solution c'est la volonté politique. Malheureusement, on ne peut l'embouteiller ni la vendre. Je crois cependant que la création de ce comité est un signe encourageant, et il ne faut pas oublier qu'il y a un comité sénatorial qui se penche sur la question. Peut-être y aura-t-il un jour un comité mixte.

    Plusieurs pays ont déployé des efforts importants afin de procéder à une réforme nationale et d'adopter une stratégie nationale dans ce domaine. Malheureusement, un des catalyseurs a été le fait que le leader ou un important personnage du pays a été touché directement par le problème des drogues. Je crois que c'est une chose qui comporte de nombreux volets. Je crois qu'à moins que ça se produise ici il faudra se fier à des gens comme vous qui faites partie de ce comité et qui devront se faire les défenseurs de ces propositions. De plus, il nous faut de plus avoir recours, comme certains d'entre vous le font, à la page en regard de l'éditorial pour s'assurer que cette question sera toujours à la une parce qu'on a tendance à la mettre en veilleuse.

    J'ai présenté mon premier exposé lors de la Conférence nationale de Vancouver en 1988 et j'ai expliqué comment on pouvait empêcher une épidémie du VIH chez les toxicomanes. À l'époque, on disait que c'était extraordinaire puisqu'on avait une occasion rêvée. Chaque année depuis, je présente un exposé à Vancouver. Il y a toujours eu de bons projets. Il existe aujourd'hui à Vancouver un extraordinaire programme à quatre volets. Il faut simplement la volonté politique pour passer de la parole aux gestes. Je crois qu'il nous faut intervenir dans ces circonstances, aider Vancouver à aller de l'avant, et nous faire les défenseurs de ces projets.

    Il nous faut dès maintenant une stratégie canadienne antidrogue. Je crois que ce serait très utile parce que certains politiciens s'en feraient les défenseurs. Je sais que les libéraux appuyent une telle politique. Je travaillais jadis à l'organisation nationale chargée de la politique et de la recherche qui a mis fin à ses activités lorsque la dernière stratégie a pris fin. Nous avions l'appui d'un très grand nombre d'intervenants. Je crois que c'est justement une des choses importantes qu'il nous faut faire. Ça nous permettrait d'avancer.

    Il serait scandaleux et négligeant de laisser les choses comme elles sont. Nous devons agir, si ce n'est pour nous-mêmes, pour nos enfants. Nous savons ce qui va se produire. Les problèmes associés au VIH, à l'hépatite C, aux surdoses, se multiplieront. Dans les pays où je travaille et où il existe un problème, on perd une génération entière. C'est une génération de jeunes qui hantent les rues qui n'ont pas de parents. Il existe des problèmes extraordinaires et il coûte trop cher de les régler.

    C'est ce qui nous attend. Le taux d'infection à VIH s'élève à 10 p. 100 chez nos toxicomanes. Nos études internationales ont révélé que c'est le point de non-retour à moins que l'on intervienne. Nous le disons au niveau national, local, et international depuis des années, mais le Canada fait la sourde oreille. Pourquoi n'écoute-t-il pas? Je sais qu'il y a des gens ici qui écoutent et qui doivent communiquer ce message. Il nous faut un mécanisme.

    Merci.

+-

    La présidente: Merci, madame Riley.

    Nos témoins pourraient-ils rester jusqu'à 12 h 15? Non? M. Young devra peut-être nous quitter. Nous ferons de notre mieux.

    Nous passerons maintenant à M. Lee et à Mme Fry.

+-

    M. Derek Lee: Le comité espère faire avancer les choses un peu en ce qui a trait à la stratégie.

    Puis-je vous poser une question? Vous simplement répondre oui ou non. Est-ce que tout le monde saisit bien ce qu'est la stratégie canadienne antidrogue, ou est-ce que les gens ne sont pas vraiment certains? Je ne sais pas ce que représente cette stratégie. J'ai lu des documents là-dessus au cours des dernières semaines. Chacun d'entre vous, provenant d'une discipline distincte, voit les choses sous un angle différent. Tout le monde a fait de très bonnes suggestions quant à ce qu'on pourrait faire. Mais je ne sais pas vraiment sur quel pied danser.

    Comment tout ce que vous avez dit peut-il être intégré dans une stratégie nationale? Quels sont les objectifs? Essayez-vous de rendre les gens plus heureux, et convaincre de dépenser moins d'argent, essayer de faire modifier la loi? Je ne sais pas. Est-ce que tout le monde pourrait prendre 30 secondes pour répondre à cette question?

+-

    La présidente: Mme Riley suivie de M. Young.

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    Mme Diane Riley: Je crois qu'il serait utile de vous tracer l'historique de la stratégie antidrogue actuelle. Nous n'avions pas du tout de stratégie, puis nous avons appris qu'il devait y avoir une réunion internationale sur les politiques de contrôle des drogues. Il était un peu gênant que le Canada n'ait pas de politique à cet égard et le gouvernement canadien a préparé des choses qu'il a affichées sur son site Web. Il s'agit en fait de quelque chose qui était une stratégie pour le ministère de la Santé. Ce n'est pas une stratégie qui regroupait tous les intervenants, comme c'était le cas pour notre bonne vieille stratégie antidrogue. Il faut bien faire la distinction. C'est tout. Ce n'est pas une politique globale. C'est simplement quelque chose qui a été préparé dans le feu de l'action. Il ne faut pas s'étonner que les gens ne sachent pas de quoi il s'agit parce que c'est une mesure bouche-trou.

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    La présidente: Monsieur Young.

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    M. Alan Young: La seule fois que j'ai entendu parler d'une stratégie nationale antidrogue, c'était un des derniers programmes lancé par M. Mulroney. C'était un document très mince. On n'y disait pas grand-chose, mais on y parlait de l'affectation de ressources financières importantes à l'étude, la saisie, les poursuites et la recherche en ce qui a trait aux drogues illicites—c'était un gros montant à répartir entre divers intervenants. Une politique nationale sur la drogue, c'est comment vous répartissez ces montants, et dans le cas de la stratégie de M. Mulroney les choses n'ont pas vraiment changé, la plus grosse partie du budget est réservée à l'application de la loi.

    Je crois que la question que vous avez posée, qui quant à moi est d'une très grande importance, est quel devrait être l'objectif d'une stratégie? Si vous n'avez pas d'objectif, la stratégie ne veut rien dire, c'est simplement un mot dans le vent. Pour moi, pour mon secteur, pour mes collègues, la stratégie doit viser à enseigner une consommation responsable des drogues—pas essayer de faire du Canada une zone exempte de drogues, parce que c'est impossible, et nous jetterions l'argent par les fenêtres; il faut plutôt établir un cadre qui permettra aux gens d'en connaître plus long sur les drogues, de faire des choix éclairés et, nous l'espérons, dans une société libre et démocratique, choisir peut-être de s'abstenir, parce que même si on pouvait croire que je fais la promotion de l'usage des drogues, je suis parfaitement conscient du fait que pour avoir un mode de vie spirituel et physique sain, il ne faut pas prendre de drogues. Mais nous vivons dans une société libre, et les gens doivent décider d'eux-mêmes.

    Je m'excuse, mais je dois partir. Je vous remercie de m'avoir invité.

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    La présidente: Puis-je vous demander si ce commentaire vaut pour les drogues illicites?

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    M. Alan Young: Lorsque vous parlez de stratégie canadienne antidrogue, si vous faites la distinction quant au caractère illicite du produit, vous commettez une grave erreur, parce qu'un des plus graves problèmes auxquels est exposée la société canadienne provient de l'utilisation de médicaments sur ordonnance. Je crois que c'est bien connu. Il faut donc avoir un programme global et se pencher sur les raisons qui poussent les gens à prendre des drogues ou médicaments, puis essayer de leur donner les outils nécessaires pour qu'ils puissent faire des choix éclairés qui les protégeront et qui protégeront leur famille.

    Merci.

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    La présidente: Merci.

    Mme Fry, vous aviez une question?

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    Mme Hedy Fry: Je voulais simplement faire un commentaire.

    Vous avez beaucoup parlé de prévention. J'ai entendu les questions qui ont été posées parce qu'on voulait savoir à quoi sert la prévention, parce que tout compte fait cela ne changera absolument rien s'il y a beaucoup de gens qui vendent les drogues et que leur bien-être économique dépend de cette activité. Il y a toutes sortes d'activités illégales qui se déroulent autour de nous. Comment pouvons-nous triompher de ces activités illégales, parce qu'elles sont omniprésentes autour des jeunes?

    Je crois que ce disaient Mme  Riley et M. Remis, c'est que vous éduquez les gens, si vous leur dites la vérité, si vous leur donnez des renseignements objectifs et non pas une version idéologique ou morale, leur disant par exemple, que les drogues c'est mauvais pour eux, que s'ils s'en servent ils ne sont pas de bons citoyens et qu'ils deviendront des voyous, leur disant qu'il ne sert à rien de dépenser de l'argent pour ce genre de personnes, qu'ils méritent bien ce qui leur arrivera... Nous ne pourrons jamais investir dans quelque chose de solide si nous avons ce genre d'attitude, que certaines personnes ne méritent pas d'être réchappées.

    À mon avis, ce dont on parle ici c'est de l'éducation; je voulais donc vous parler d'une stratégie d'éducation et je vous demanderais de m'en dire un plus long sur la question. Vous semblez dire que si nous oublions les aspects touchant la moralité et la criminalité associées à l'usage des drogues—et je parle pas ici du trafic mais simplement de l'usage—il nous faut alors expliquer de façon objective pourquoi certaines substances ne devraient pas être utilisées par les jeunes. Il faut alors avoir des solutions objectives.

    Pourquoi les intervenants du secteur de la santé publique n'agissent-ils pas en ce sens? Pourquoi n'y a-t-il pas mobilisation afin d'assurer ce genre d'éducation qui ne tiendrait pas compte de l'opinion des médias, des intervenants politiques ou des défenseurs de la moralité? Je sais quelle sera votre réponse—vous direz que vous agissez déjà dans ce secteur. Mais comment procéder pour que cette campagne d'éducation soit intéressante et attrayante et qu'elle rejoigne les jeunes pour que ces derniers écoutent vraiment ce que vous avez à dire? Est-ce une chose possible?

    Mme Diane Riley: Je sais que vous pensez que nous allons dire que nous le faisons déjà, et en fait, à certains égards, c'est vrai. Cependant j'aimerais dire...

    [Note de la rédaction: Difficultés techniques]